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Cartulaires des commanderies Templières

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    La commanderie de Provins

    Etablissement des Templiers à Provins. — II. La commanderie du Val de Provins et la Madeleine. — III. Le « Temple » et la vicomte de la Chaussée-Sainte-Croix. — IV. Restriction apportée par le comte de Champagne à l'agrandissement des domaines des Templiers. — V. Rareté des donations à partir de la seconde moitié du XIIIe siècle. — VI. Administration et personnel de la Commanderie.

    I.

    Provins, chef-lieu de la plus importante des baillies de Champagne, « ville opulente et populeuse (1) » , résidence favorite des comtes, Provins dut attirer de bonne heure les Templiers. Hugues de Payns, leur fondateur, s'y rencontra probablement avec le jeune comte Thibaud, lorsque celui-ci fit don à la milice de son manoir de Barbonne, le 31 octobre 1127 (2). Plus tard, en 1164, Henri le Libéral leur cédera ses droits de tonlieu sur la laine, le fil et autres marchandises vendus à Provins en échange d'une rente de dix marcs et demi d'argent que son père et lui leur avaient assignée sur les foires de Troyes (3). Pour que les chevaliers du Temple aient consenti, et peut-être sollicité cet arrangement, nous pensons qu'ils n'étaient pas sans avoir déjà des intérêts dans la ville. Toutefois nous n'apercevons encore aucune trace d'organisation. Peut-on supposer aussi qu'ils y avaient dès lors une résidence ? On a fait valoir à ce propos une charte de 1165, où le comte de Champagne renouvelle à Bernard de la Grange, en augment de fief, l'abandon de ses droits sur une maison sise au Val-Saint-Ayoul (4). Mais cet acte ne fait aucune mention du Temple, et le fait qu'il figure dans le cartulaire, porte seulement à croire que la commanderie de Provins, venue plus tard en possession des biens qui forment l'objet du contrat, en reÇut alors le titre de propriété. Quant à supposer, comme l'a fait un peu légèrement M. Lefèvre, que Bernard était un personnage interposé au lieu des moines (5), l'hypothèse n'est que gratuite.

    II.

    S'il paraît assez difficile de préciser la date à laquelle les chevaliers de la milice du Christ se fixèrent à Provins, on est encore réduit aux conjectures dès qu'on veut connaître le lieu de leur première installation et la charte qui leur en permit l'accès. On sait seulement, de source certaine, que, à la fin du XIIe siècle, le Temple avait à Provins deux maisons de frères : le Val de Provins, appelé plus tard l'Hôpital, à Fontaine-Riante (6), et la Madeleine, à la ville haute, près la porte de Jouy.
    La commanderie du Val était située dans un gracieux parc de verdure, agrémenté de sources vives, au pied du coteau de Fontaine-Riante. J'admettrais volontiers que les Chevaliers choisirent cet endroit, à la suite de l'échange qu'ils firent avec Henri la Borde d'une maison par eux possédée au Marché-Neuf contre un immeuble plus spacieux, voisin de l'église
    Notre-Dame du Val (7) (1171). Si l'on admet cette opinion (8), l'établissement comprenait à cette époque une habitation principale, construite en pierres et précédée de bâtiments qui servaient de halles ou d'entrepôts au commerce 9). On y bâtit une chapelle, placée plus tard sous l'invocation de saint Jean (10). Le cimetière était contigu à la chapelle. Puis venaient les cours intérieures, quelques jardins et les sources, dont les eaux réunies alimentaient une claire fontaine, aujourd'hui couverte de lierre et surnommée la fontaine des Templiers. Un bail de 1490 attribue à ce petit domaine une superficie d'un hectare, divisé en deux parties d'égale étendue : l'ancien couvent et ses dépendances, puis, en arrière, une terre labourable, le tout enclos de murs (11).
    Après la suppression du Temple, les biens de l'Ordre furent incorporés à ceux des Hospitaliers (12), et la maison du Val, comme plus tard celle de la Madeleine, prit le nom de son nouveau propriétaire, l'Hôpital (13).

    En 1430, le commandeur était Nicolas de Giresme, grand-prieur de France et commandeur de la Croix-en-Brie. Ce personnage avait une prédilection pour Provins, dont il aimait le séjour. Les embellissements qu'il fit exécuter au vieux manoir en firent une résidence « somptueuse, » la Belle-Maison, comme on disait. Nicolas était un chevalier sans peur. Lorsque les Anglais prirent la ville de Provins, le commandeur de l'Hôpital, aidé du bailli de Meaux et d'une troupe de braves qu'il avait formée, vint assiéger les Anglais retranchés dans la ville haute et les enchâssa. Provins repris, les ennemis se vengèrent de lui en détruisant la Commanderie (1432). Longtemps les bâtiments « deschénés » (14) dressèrent dans le Val leurs ruines branlantes. Seule, la chapelle avait été respectée (15). On ne lui laissa pas le loisir d'une fin naturelle. Pendant la seconde guerre de religion, les catholiques la livrèrent aux flammes de peur que les protestants, campés près de là, n'y vinssent loger (1567) (16). Au début du siècle suivant, cette solitude devint le refuge d'ermites (17), qui l'occupèrent jusqu'en 1778. Plusieurs d'entre eux avaient été soldats. La chapelle fut rebâtie à leur intention, sous le vocable de Notre-Dame de la Roche (18). Plus tard on y établit une confrérie, et le clergé de la paroisse Sainte-Croix venait de Provins y célébrer l'office tous les ans, le jour de la Nativité de la Sainte Vierge (8 septembre) (19).
    On ignore à quelle date fut fondée la Madeleine, le second établissement des Frères de la chevalerie du Temple à Provins. C'était à l'origine une maison fortifiée, où logeait en 1188 le chevalier Bursaud 20), peut-être membre de l'Ordre. On voit encore de cet édifice deux belles salles voûtées de style ogival et la tourelle d'angle construite, ce semble, à la même époque que les fortifications de la ville haute (XIIe-XIIIe s.) (21). Cette maison était située au « Bourg-Neuf. » On y avait établi le poids des laines, et c'est en face d'elle, sur la place de l'ancien Provins, que se vendaient la laine et les agnelins, les mardis de marché (22) ; là aussi qu'on exerÇait les bestiaux, ce qui fit donner à ce lieu le nom de « Cours-aux-Bêtes. »

    L'ordre du Temple une fois supprimé, la Madeleine fut réduite à la condition d'une ferme ordinaire (23). La destruction du Val par les Anglais (1432) lui ramena quelque considération, car Nicolas de Giresme en fit sa résidence et le chef-lieu de la commanderie de Provins. Mais la misère était alors générale en France. Faute de bras pour les travailler, les terres restaient improductives et l'amoindrissement des revenus obligea les Hospitaliers à réduire le nombre de leurs commanderies. Du coup, la commanderie de Provins fut réunie à celle de la Croix-en-Brie (24) (1480) (25), acquise par l'Hôpital, au commencement du XIIIe siècle. L'hôpital de la Madeleine redevint alors une simple ferme et céda le pas à la maison du Temple devant Sainte-Croix, dont nous allons parler. Enfin, l'an 1644, on l'afferma, y compris trente arpents de terre, moyennant deux muids de blé et la charge, pour le preneur, « de bailler à dîner aux prêtres qui feront le service en la chapelle, » le jour de Sainte-Madeleine (26). Cet ancien temple avait conservé sa chapelle. Celle-ci menaÇait ruine, quand elle fut reconstruite, mais avec des proportions moindres, en 1740. Et jusqu'à la fin de l'ancien régime, chaque année, on y chantait une messe en l'honneur de la sainte, le 22 juillet, et le chapitre de Saint-Quiriace y faisait une station à la procession de Saint-Marc (25 avril) (27).

    III.

    D'origine moins ancienne que les précédentes, la maison du Temple devant Sainte-Croix s'entoure plus encore d'obscurités et de légendes. La pensée d'offrir un asile aux pèlerins de Terre-Sainte n'aurait pas été étrangère à sa fondation. Rivot l'affirme (28) et ses compilateurs n'ont pas montré moins de témérité. D'aucuns même en ont fait, à l'époque des Templiers, le « chef-lieu » (29) de leurs propriétés en Brie, ce qui ne s'est réalisé que dans les dernières années du XVe siècle, sous les Hospitaliers. A la vérité, on ne sait pas si les Templiers ont dans ses murs vécu la vie conventuelle ; aucun texte ne présente cette habitation comme une « maison de frères, » et je n'ai onques trouvé trace de la chapelle qui, régulièrement, lui eut été incorporée (30). Un texte de 1269 dit simplement à son sujet : « La meson et le porpris que li Temples tient dou roi (de Navarre) devant Seinte Croiz » (31). En 1300, on l'appelle « le Temple, » sans plus (32). On y avait installé un bureau pour le pesage des laines en la ville basse (33). Plus tard, à l'occasion de la foire de Saint-Ayoul, les gens de Louvain y faisaient preuve d'activité commerciale (1346) (34). A la fin du XVe siècle, cet hôtel fut choisi de préférence à la Madeleine, d'accès peu commode, pour être le pied-à-terre des commandeurs de la Croix-en-Brie. Un procès-verbal de 1495 déclare qu'on en ferait « pour peu de chose » une habitation confortable. Celui qui l'occupait à cette époque, le chapelain de l'ancienne chapelle du Val, remplissait en même temps les fonctions de procureur de la Commanderie (35). Et c'est à lui, devant la porte principale de l'hôtel, que les tenanciers de l'Hôpital payaient leurs redevances (36).
    La donation qui porta cette maison dans le patrimoine du Temple appartient à l'année 1193. A cette date, Henri Britaud, vicomte de Provins, aumônait aux Chevaliers, du consentement d'Héluis, sa mère, pour le salut de son âme et de celle de Pierre Britaud, son père, deux maisons sises à Provins. L'une de ces maisons, qui donnait sur une place, avait appartenu à Etienne le Maître, et l'autre à Hugues de Flandre. La donation comprenait encore sept boutiques surmontées d'un grenier et contiguës à ladite place, et deux autres places sur la paroisse Sainte-Croix, ainsi que les terrains qui s'étendaient de chaque côté de la rue des Prés jusque vers Sainte-Croix et le cours d'eau (37). Ces divers immeubles, distraits du domaine de la vicomté de Provins, étaient appelés à former par la suite, sous le nom de vicomté de la Chaussée-Sainte-Croix, un des quartiers les plus animés de la ville. Placé au coeur de la cité, celui-ci « s'étendait de part et d'autre des rues Sainte-Croix et de la Chaussée-Sainte-Croix depuis la grande rue jusqu'aux murs de la ville, et suivait la rue des Caves et la grande rue jusqu'à la Levrette » (38).
    On s'est demandé si les propriétés que les Britaud, vicomtes de Provins, cédèrent alors aux Templiers, conféraient en même temps à ceux-ci le titre et la qualité de seigneurs. La question s'est posée en présence d'un texte de l'an 1300 (39), qui attribue aux Templiers de Provins la vicomté de la Chaussée-Sainte-Croix, et sans doute aussi parce que les commandeurs de la Croix-en-Brie, qui leur ont succédé, sont parfois désignés comme vicomtes de Provins.

    Avouons tout d'abord que nous ne savons à peu près rien de ce qui constituait à l'origine la vicomté de Provins. Les lettres d'érection, attribuées au comte Etienne, vers l'an 1101, portaient, suivant l'abbé Ythier : « Nous avons désuni de notre comté de Provins les choses mentionnées et spécifiées, pour être séparément tenues et possédées en titre de foi et nom de vicomté » (40). L'acte de vente de cette vicomté, en 1248, n'apprend rien de plus. Néanmoins, Brussel s'appuie sur ce dernier texte 41), pour énoncer dans son Traité des fiefs que « les vicomtes héréditaires consistaient dans une partie de château ou de ville forte » (42). Mais la vicomté provinoise n'était pas, exclusivement, une circonscription topographique. Elle comprenait en outre des droits pécuniaires assignés sur certains biens fonds en dehors de Provins même. Une partie de ce domaine utile fut démembré par Henri Britaud, au profit des Templiers, sans toutefois y comprendre le titre de vicomté. Cette retenue de la part du donateur avait eu sans doute pour motif l'interdiction faite naguère à la milice d'acquérir en Champagne seigneurie de cité ou de château (43), ce qui rend très vraisemblable l'opinion de Brussel.
    De la famille Britaud, la vicomté passa au chevalier Guillaume des Barres, par son mariage avec Héluis, fille d'Henri Britaud. Et Guillaume et sa femme la revendirent au comte de Champagne, avec toutes ses appartenances où qu'elles fussent, en juillet 1248 (44). Ajoutons que rien de ce qui fit l'objet de cette vente ne figure dans les biens précédemment cédés au Temple dont la part était plus grande (45). Il n'est d'ailleurs pas douteux que la vicomté, une fois rentrée dans les mains du comte, fut réellement abolie ; mais à cause de leur ancienne mouvance, dont un particularisme étroit voulait perpétuer le souvenir, on réserva à quelques propriétés, les plus importantes, le nom de vicomté. Ainsi « la vicomté de Provins » désigna longtemps une ancienne maison de la commanderie qui, en 1672, portait sur sa faÇade les armes de l'ordre de Malte (46), et l'appellation de « vicomté de la Chaussée-Sainte-Croix » comprit tout le quartier de Provins acquis des Britaud par les Frères de la milice. Aucun templier cependant ne prit le titre de vicomte de Provins. Thomas du Buisson, commandeur en 1369, émit, le premier, cette prétention, que nul aveu de fief ne justifie. La commanderie n'avait d'ailleurs aucun droit de justice (47), et les seuls actes où le titre figure, tous d'origine privée (48), concernent l'administration des anciennes propriétés du Temple réunies par les Hospitaliers à la Croix-en-Brie (49).

    IV.

    Voilà donc par trois maisons, toutes importantes, l'Ordre établi solidement à Provins. De la fin du XIIe siècle aux environs de 1225, les donations affluent. Puis l'engouement se ralentit. Les pauvres chevaliers du Christ sont devenus un ordre puissant, estimé autant que prospère, non moins jalousé et jouissant de richesses considérables. On jugera de cette fortune en les voyant acheter du comte Thibaud la gruerie de leurs bois en Champagne moyennant dix mille livres de provinois (28 octobre 1229) (50).
    Cette puissance matérielle, si considérable qu'elle ne laissait de créer des inquiétudes aux rois, s'était développée jusque-là en Champagne avec la protection des comtes. Henri II y contribua plus que tout autre, quand sous les murs de Saint-Jean-D'acre, assiégé, il accorda aux Templiers le droit d'acquérir dans ses états toute sorte de biens,— sauf seigneurie de cité ou de château (1191) (51). Ses successeurs ne marchèrent pas sur ses traces. Thibaut IV, dit le Chansonnier, osa même contester à la milice la légitimité de ses possessions en Champagne et en Brie. Une lutte s'engageait où l'on voit déjà poindre les raisons que les juristes de Philippe le Bel exploiteront plus tard contre les Templiers.
    Les revendications du prince cachaient mal d'ailleurs ses embarras financiers ; ceux-ci étaient urgents et Thibaud, faute de moyens meilleurs, y voulut remédier en exigeant des gens de mainmorte l'amortissement des biens qu'ils avaient acquis sans son consentement depuis la mort de son père. L'affaire n'alla pas sans résistance. Aux Templiers, Thibaud riposta en faisant saisir les biens en cause (1228) (52). Un tel exploit constituait une violation flagrante de la charte d'Henri II. Le Saint-Siège, consulté en cette affaire, choisit pour arbitre la reine Blanche et le cardinal Romain de Saint-Ange (53). Leur jugement débouta le comte de ses prétentions, et Thibaud, qui n'avait que besoin d'argent et à qui les Templiers venaient d'acheter pour dix mille livres de provinois les droits de gruerie qu'il exerÇait sur leurs bois (54), Thibaud approuva incontinent les acquisitions faites par eux jusqu'à ce jour (28 octobre 1229) (55). Cet accord toutefois ne fut suivi d'aucun effet. Vingt-cinq ans plus tard, les immeubles qui formaient l'objet du litige seront toujours sous séquestre. Entre temps, Louis IX employait sa médiation. Les Templiers conserveraient les biens qu'ils avaient acquis antérieurement à l'ouverture du procès et s'engageraient pour l'avenir à ne rien acquérir en Champagne sans l'autorisation du comte (août 1241) (56). Ce projet avait l'approbation de Thibaud et des Templiers de la province. On n'attendait plus que la ratification du grand-maître : on l'attendit vainement (57). Enfin, Thibaut IV étant venu à mourir, une solution transactionnelle termina l'affaire sous la reine régente, en 1235 (58). A dater de cette époque, la faculté d'acquérir des biens fonds fut restreinte pour les Templiers aux biens tenus d'eux en fiefs, arrière-fiefs et censives ; à part cela ils ne purent rien acquérir en Champagne et en Brie, si ce n'est par aumône ou par legs et sous l'obligation de mettre tous nouveaux acquêts « fors de leurs mains » (59).

    V.

    Une telle « paix, » tout en reconnaissant la légitimité des possessions du Temple, n'apporta pas moins une restriction considérable à l'agrandissement de ses domaines champenois. Les actes de libéralité se font dès lors plus rares et la fortune immobilière de l'Ordre tend à devenir stationnaire. Même en supposant la perte ou l'ignorance de titres, il convient de souligner le fait qu'on ne rencontre pas dix donations en faveur de la commanderie de Provins pendant les cinquante dernières années de son existence (60).

    VI.

    La commanderie de Provins (61), constituée des couvents du Val et de la Madeleine, appartenait à la baillie de Brie, en la grande baillie de France (62). Sa création facilita la mise en valeur des propriétés que l'Ordre possédait à Provins et dans les environs, mais cette exploitation ne se fit point, comme celle des propriétés des grands monastères, à l'aide d'officiers domaniaux, tels que doyen, prévôt, maires et sergents. Chez les Templiers, l'administration fut réduite à l'indispensable.
    Le précepteur ou commandeur de France était de droit maître de la grande baillie. Sa présence ou, à son défaut, celle de son lieutenant était de rigueur pour terminer les questions importantes, comme les échanges de propriétés 63), les acquisitions (64) ou réglementations de droits (65).
    Quel était le chef-lieu de la baillie de Brie ? On l'ignore. De son commandeur relevaient les maisons de la région, et l'on recourait à lui pour les conflits de quelque gravité (66). Dans les derniers temps de l'Ordre, le titulaire unissait à ses fonctions la charge d'une commanderie <(67).
    Je ne crois pas que les temples de Provins aient eu chacun un précepteur ou commandeur. Deux actes l'un de 1224, l'autre de 1300, mettent seulement en cause le « commandeur » ou « précepteur » des maisons de la chevalerie du Temple à Provins (68). Le commandeur était aussi appelé « maître. » Il avait à gérer le domaine et les finances de sa charge ; mais il ne pouvait traiter une affaire ni disposer des biens de l'Ordre sans le consentement de ses religieux ou la délégation d'un supérieur. « Un prêt, une dépense ou un don fait sans autorisation attiraient sur le coupable les peines les plus graves, » dit M. de Curzon (69). L'Ordre seul en effet avait droit de propriété. Aussi, la plupart du temps, n'est-ce pas le titulaire ni même les frères du Temple de Provins mais la collectivité des frères de la milice du Temple, tout court, qui achète, échange des censives, donne à cens ou à ferme.
    Le commandeur était parfois un prêtre du Temple. Le cas se présente vers 1271, et plus tard en 1286, en la personne de Gérard de Provins.
    Le frère chapelain célébrait le service religieux et récitait devant les Frères les heures canoniales. Manquait-il ? Un clerc, que l'on prenait à terme, assurait le service. A Provins, où l'on compta un moment deux maisons de l'Ordre, la présence d'un frère chapelain n'était pas incompatible avec celle d'un clerc (70). Toutefois cet ecclésiastique ne pouvait entendre les religieux en confession. A défaut du frère chapelain, dans les dernières années du XIVe siècle, ce ministère était réservé aux Cordeliers de la ville (71). Enfin, conformément à la règle, les Frères communiaient trois fois l'an, à Pâques, à la Pentecôte et à Noël (72).
    Les religieux placés sous les ordres du commandeur étaient en petit nombre (73). Chacun avait sa fonction. Les documents anciens mentionnent un aumônier, que la règle appelle aussi infirmier, un maréchal (74) chargé de commander aux frères de métier (75), et un receveur du tonlieu de la ville (76). Au moment de l'arrestation des Templiers, le personnel comprenait au moins un économe (77) qui avait la garde des clefs de la maison (78), et un frère employé à la vente des vins (79). Ces religieux étaient simples sergents. Ils ne pouvaient porter blanches robes ni blancs manteaux. Leur costume était d'étoffe noire ou brune (80).
    Les confrères du Temple étaient admis à partager la vie des religieux par une application semblable à celles qui constituent les tiers ordres de Saint-FranÇois et de Saint-Dominique. Clercs et laïcs y pouvaient prétendre. Parmi les clercs affiliés à l'Ordre, nous connaissons un nommé Joubert et Raoul de Provins. Un autre clerc, Chrétien de Provins, était marié. Les laïcs, des convers, semble-t-il, figurent dans les actes comme témoins. Ce sont Thomas et Guillaume du Temple. La règle ne dit rien des engagements contractés par ceux qui sollicitaient « la confrérie de la maison » ; elle n'est explicite que pour les gens mariés, à qui elle impose l'obligation de faire du Temple l'héritier de leurs biens après la mort (81). Nous avons vérifié le fait en ce qui regarde Chrétien de Provins (82). D'autres, qui semblent n'avoir pas connu les liens du mariage, favorisaient néanmoins l'établissement soit par donation entre vifs avec réserve d'usufruit (83), soit par tout autre moyen (84).
    Les confrères se distinguaient-ils des oblats ? On ne saurait le dire. Les oblats étaient des enfants que leurs parents avaient offerts au Temple et qui, moyennant un don, étaient accueillis pour être élevés dans l'Ordre et prendre un jour l'habit monastique. Tel Renaud, fils d'Odeline Blanche, que sa mère avait adressé au maître des Frères de Provins. La donation, pour être irrévocable, devait être ratifiée par le sujet à sa majorité. Libre à lui de quitter alors le couvent. Mais Renaud n'usa point de cette faculté et, déférant au désir de sa mère, il s'en remit pour le reste au bon vouloir des religieux (85).
    Enfin la maison occupait des serfs et donnait asile à des gens à gages. Les uns et les autres formaient la mesniée, « la gent du Temple » (86), comme disaient les contemporains.
    Sources : Carrière Victor, Histoire et cartulaire des templiers de Provins, Libriaire Champion, Paris — 1919

    Notes

    1 — Dom Bouquet, Rec. des Histoire de la France (Ex chronologia Roberti Altissiodorensis, an. 1188), t. XVIII, p. 258.
    2 — Cartulaire, charte XCIII.
    3 — Cartulaire, chartes LXXXI1 et XCI.
    4 — Cartulaire, charte XX.
    5 — E. Lefèvre, Les Rues de Provins (Ext. de la Feuille de Provins. [Provins, s. d.], in-8º, 224 p., non achevé d'imprimer), p. 76.
    6 — Cette appellation n'est pas antérieure à l'administration des Hospitaliers de Saint-Jean.
    7 — L'église de Notre-Dame du Val avait été primitivement construite sur la route de Fontenay, un des faubourgs de Provins.
    8 — C'est aussi l'opinion de M. Mannier, Les commanderies du Grand-Prieuré de France, p. 233.
    9 — Cartulaire, charte LXXXIX.
    10 — Il est probable que le nom de Saint-Jean fut donné à la chapelle par les Hospitaliers, en l'honneur du patron spirituel de leur association. — Arch. nat, S 5558, Visite de 1495, fol. 7.
    11 — « Item au lieudit anciennement appeléle Cloz de l'Ospitail, une pièce d'heritaige où souloyent estre enciennement l'esglise, cymetiere, maisons, courtz, jardins, accintz et terre labourable, où y a encore à présent une petitte chapelle, masures abbatues, plusieurs sources et prises des fontaines, ensemble la terre labourable estant derrier, s'est trouvé en tout contenir troys arpens quatre perches. De laquelle quantité y peult avoir de présent environ ung arpent et demy en terre labourable, et le reste est en cymetiere, masures, fontaines, hayes et buissons... » (Arch. nat., S 5164 B, liasse 34, nº 11, bail du 3 mai 1490).
    12 — La suppression du Temple fut prononcée par le concile de Vienne, dans sa seconde session, le 3 avril 312. Quant aux biens fonciers, ils furent attribués à l'Hôpital dans la session suivante, le 3 mai.
    13 — On rencontre cette appellation pour la première fois dans un acte de 1320 : « La meson de l'Ospitau de Provins, qui jadis fu dou Temple » (Arch. nat., S 5162B, liasse 29, nº 2).
    14 — Le mot se trouve dans la description qui fut faite de l'établissement en 1495.
    15 — Voici la description que j'en trouve sous l'année 1495 : « Au dehors de ladite ville dudit Provins à un gect d'arc est une chappelle de Saint Jehan, laquelle... avons trouvée assez bien ediffiee d'ancienneté et à présent est en bon point et suffisamment garnye d'ornemens tant de vestemens, chappes et chasubles de soye fort vielz, ung calice d'argent, deux croix et aucuns reliquiaires et de beaux livres et deux grans chandeliers de letton. Ladite chapelle est tenue de trois messes la sepmaine et servie de présent par ung chappellain séculier nommé messire Jehan Erre, procureur et gouverneur de ladite commanderie et pour le présent n'a besoing de nulle reparacion. » (Arch. nat., S 5558, Visite de 1495, fol. 7).
    16 — F. Bourquelot, Mémoires de Claude Haton, t. I, p. 495. — Le bail à ferme de 1577 ne signale plus que « le tresfontz de l'église et cymetierre dudict lieu, vulgairement appelé l'Hospital lez Provins. » (Arch. nat., S 5164 B, liasse 34, nº 18).
    17 — La jouissance de l'ermitage fut accordée par les Hospitaliers à divers solitaires. Le premier ermite qui bénéficia de cette faveur fut Mathurin Bonchrétien, mort le 9 septembre 1610 (Bibl. de Provins, ms. 114 (40) p. 41 et suivantes). On trouvera des notes biographiques sur quelques-uns de ses successeurs dans Opoix, Histoire et description de Provins, (Provins, 1846), p. 235-238.
    18 — Cette chapelle avait six pieds de long sur dix de large. Elle fut agrandie par l'ermite Claude Riglet, en 1686.
    19 — Bibl. de Provins, ms. 99 (38), p. 126.
    20 — Opoix, Histoire et description de Provins, p. 332.
    21 — Cf. Congrès archéologique de France, LXIXe session, 1902 (1903), p. 502.
    22 — Cartulaire, charte CLI.
    23 — En 1386, on trouve « ou Chastel... la granche de l'Ospital où est le poids de la layne » (Arch. nat., S 5164 B, liasse 35, nº 2).
    24 — La Croix-en-Brie (Seine-et-Marne, arr. de Provins, cant. de Nangis).
    25 — « Je trouve, vers l'an 1480, l'Hôpital de la commanderie de la Croix au châtel de Provins. » (Bibl. de Provins, ms. 114 (40), p. 201-202).
    26 — Arch. nat., S 5164 A, liasse 33, bail du 2 mars 1644.
    27 — Bibl. de Provins, ms. 114 (40), p. 201-202.
    8 — Bibl. de Provins, ms. 99 (38), fol. 715.
    29 — F. Bourquelot, Notice sur le Cartulaire des Templiers de Provins, dans la Bibl. de l'Ecole des Chartes, an. 1858, p. 175.
    30 — Claude Moissant, dans son « Campaniae comitum genealogia et brevis historia » (Paris, 1607), p. 27, dit que les biens du Temple dévolus aux Hospitaliers de la Croix-en-Brie appartenaient « capellis videlicet Magdalenes in castro Pruvinensi et Beatae Mariae a Rupe juxta Pruvinurn. » Le silence de l'auteur à l'égard du Temple devant Sainte-Croix prouve bien que cet hôtel ne passait pas pour une ancienne maison religieuse.
    31 — Bibliothèque, nationale, ms. fr. 8593, fol. 144, vº. — Cette maison était grevée de cinquante sous et six deniers de rente foncière. Renier Accorre, qui les tenait du comte de Champagne, les échangea aux Templiers en 1275 (Cartulaire, charte CLIII).
    32 — Cartulaire, charte CLIX.
    33 — Cartulaire, charte CLI.
    34 — « De magno domo Templi in nundinis Sancti Aygulphi per habitatores de Louvain, II libras. » (Comptes de Saint-Quiriace, dans la collection Ythier, cité par F. Bourquelot dans ses Etudes sur les foires de Champagne, Paris, 1865-1866, t. II, p. 18).
    35 — « Dedens ladite ville a une autre maison que feu monseigneur le prieur de France de Giresme repara fort et la meist en bon estat et encores de présent elle est assez conpetemment, et pour peu de chose si feroit une bonne habitation, en laquelle ledit chappellain dessus nommé fait sa résidence et aussi le commandeur quant vient en ladite ville. » (Arch. nat., S 5558, Visite de 1495, fol. 7 vº et S 5164b, liasse 27, no 6, bail du 8 juin 1491).
    36 — Cet hôtel fut incendié par la foudre le 21 juillet 1712 et reconstruit en 1720. A la veille de la Révolution, il avait pour locataire Sébastien Poteleret, maître menuisier (Arch. nat., S 5164a, liasse 32, nº 16.
    37 — Cartulaire, chartes VII et CXXIX.
    38 — E. Lefèvre, Les Rues de Provins, p. 80.
    39 — Cartulaire, charte CLIX.
    40 — Bibl. de Provins, ms. 104 (41), p. 189.
    41 — Arch., nat., J. 203, nº 64.
    42 — Brussel, Traité de l'usage général des fiefs, t. II, p. 678 et 692.
    43 — « ... Indulgeo etiam dicte domui (militie Templi) hanc libertatem, ut quicquid elemosina vel ernptione vel alterius modi acquisicione acquiret, libere et tranquille possideat. Excipimus tamen, quod sibi civitatis aut castri dominium in terra mea obtinere non possint... » (H. d'Arbois de Jubainville, Histoire des ducs et des comtes de Champagne, t. III, p. 477).
    44 — Arch., nat., J 203, nº 04. Le texte a été publié par M. Bourquelot, Histoire de Provins, t. II, p. 403-405. La confirmation de cette vente par Jean Britaud (Arch. nat., J 203, nº 63) porte seulement sur la vicomté et non pas sur les droits et autres choses cédés par les vendeurs.
    45 — E. Lefèvre, Les Rues de Provins, p. 81.
    46 — Cette maison était à l'encoignure de la rue du Moulin-de-la-Ruelle, attenante à celle du four de la Commanderie. On a pu les confondre, comme l'a fait M. Lefèvre (Les Rues de Provins, p. 204), mais elles étaient distinctes l'une de l'autre. Cf. les baux des XVIIe et XVIIIe siècles (Arch., nat., S 5164 a, liasse 32, nº 16, liasse 34, nº 26 et 27).
    47 — Ladite Commanderie n'a nulz villaiges ne jurisdicion. Toutesfoys, en certaines limites dedens la ville, elle joyt de previliege de viconté, mais par le temps passé ledit previliege a esté mal gardé et entretenu, et de présent n'en joyt degueres. » (Arch. nat., S 5558, Visite de 1495, fol. 7). Cette rédaction amphigourique prouve l'embarras où l'on était de faire état d'un titre sans racine dans le passé.
    48 — Cf. la « Copie des baux emphytéotiques des maisons de Provins dépendantes de la vicomté de Provins, du 18 octobre 1783. » (Arch. nat., S 5164a, liasse 32, nº16). Cf. le titre analytique que l'archiviste Jacquemin a donné au Cartulaire des Templiers des Provins, p. 32, note 1.
    49 — Cette affirmation constante du même titre avait fini par faire croire à M. Bourquelot que « la vicomté de Provins, par un acte dont il ne nous reste pas de trace, était redevenue la propriété des Templiers. » (Not. sur le Cart. des Templiers de Provins, p. 177.)
    50 — H. d'Arbois de Jubainville, Histoire... des comtes de Champagne, t. V, p. 272, nº 1950.
    51 — Ci-dessus, p. LV, note 2.
    52 — « Theobaldus... saisiverat omnia acquisita post mortem Theobaldi, patris sui, asserens quod eis [Templariis] per dictas litteras [Henrici II] sine consensu ipsius in terra predicta acquirerenon licebat. » (Bibl. nat., ms. lat., 5993a, fol. 88). — En novembre 1252, lors du synode tenu à Paris par l'archevêque de Sens, Thibaud IV fut de nouveau exhorté à lever la saisie qu'il avait faite des biens acquis par les clercs depuis quarante ans. (Labbe, Concilia, t. XI, col. 706).
    53 — H. d'Arbois de Jubainville, Histoire... des comtes de Champagne, t. V, p. 256, nº 1859.
    54 — Edouard de Barthélémy, Notice sur les établissements des Hospitaliers militaires en Champagne (Bull, monumental, 2e série, t. 6, Paris 1850), p. 8, note 1.
    55 — Bibl. nat., ms. latin 5992, fol. 134 vº.
    56 — Arch. nat., J 198 B, nº 82.
    57 — M. d'Arbois de Jubainville (Histoire... des comtes de Champagne, t. IV, p. 628) dit à tort que « le grand maître accepta cette sentence. » La charte à laquelle il se réfère (t. V, nº 3082) est du 15 juillet 1255 et ratifie la transaction passée le même jour entre Thibaud V et le Temple (nº 3081).
    58 — Accord entre Marguerite de Bourbon, Thibaud, son fils, comte de Champagne, et la reine Isabelle, sa femme, d'une part, et les Frères de la chevalerie du Temple, d'autre part, sur la question de savoir si ceux-ci peuvent faire des acquisitions d'immeubles en Champagne et en Brie sans le consentement des comtes. 15 juillet 1255 — A défaut de l'original, le texte de cet accord nous est connu par quatre copies. La moins récente appartient au recueil de Michel Caillot (Bibl. de Provins, ms. 95 (35), fol. 360; elle est du XVIe siècle et fort défectueuse. Un deuxième exemplaire, du XVIIIe siècle, est une reconstitution due au chanoine Billate (Bibl. de Provins, ms. 138 (Michelin 82), Titres des chevaliers du Temple). Ythier l'a reproduit avec scrupule dans son histoire ecclésiastique de Provins (Bibl. de Provins, ms. 114, fol. 219). Toutes ces copies datent l'acte de juillet 1255. Une autre copie, transcrite par Billate, place l'accord en question « le lendemain de la Magdeleine. » (Bibl. nat., Collection de Champagne, t. 25, fol. 239 vº). Une analyse, insérée dans ladite collection (tome 135, 262-263) prétend que l'acte fut passé « le jeudy dens la feste de la Madeleine. » Mais la ratification de l'accord par le grand-maître du Temple existe en original aux Archives nationales (J 198 B, nº 100) et celui-ci porte qu'elle eut lieu « lou jeudi devant la feste de la Magdelaine, » c'est-à-dire le 15 juillet. Ces différentes leÇons accusent un texte de lecture difficile. Où l'original marquait « le jeudi devant, » l'un a lu « le lendemain, » l'autre « le jeudi dans. »
    59 — La charte leur reconnaissait en outre le droit d'acquérir des dîmes et, pour l'amendement de leurs terres, le droit d'avoir 120 bêtes à laine par charrue de terre labourable de 120 arpents.
    60 — Pour les années 1247-1307, le Cartulaire renferme deux donations, celles de 1256 et de 1301 (Chartes CXLIV et CLX). Il faut y ajouter les dons repérés dans la charte d'amortissement de novembre 1294. (Voir aux « Additions")
    61 — Les Templiers de Provins (Templarii pruvinenses] sont ainsi désignés pour la première fois en 1205 (Cartulaire, charte XCVI).
    62 — Les baillies du Temple, établies au début du XIIIe siècle, ne peuvent être assimilées en étendue aux baillies royales.
    63 — Cartulaire, chartes LXXXIX, CXXXV, CXXXIX, CLIII.
    64 — Cartulaire, charte CXLVII.
    65 — Cartulaire, charte CLI.
    66 — Cartulaire, chartes L, CXV, CLIX.
    67 — Raoul de Gizy était, en 1303, commandeur de la baillie de Brie et du Temple de Troyes.
    68 — Cartulaire, chartes CXXI et CLIX.
    69 — La Règle du Temple, p. XXVII.
    70 — Cartulaire, chartes XIX, LV, CLII.
    71 — Michelet, Procès des Templiers, t. I, p. 503-505.
    72 — K. Schottmueller, Der Untergang des Templer-Ordens (Berlin, 1887), t. n, p. 40.
    73 — On a beaucoup exagéré le nombre des Templiers. A Chypre, au moment de l'arrestation, les chevaliers n'étaient que cent dix-huit membres. D'après l'évêque Pierre de Lerida, les Templiers établis en France à la même époque ne dépassaient pas deux mille (H. Finke, Papsttum und Untergang des Templerordens, t. II, p. 113).
    74 — Cartulaire, chartes VII et LXXXIV.
    75 — H. de Curzon, La Règle du Temple, p. 130-131, nº 175.
    76 — Michelet, Procès des Templiers, t. II, p. 395.
    77 — Michelet, Procès des Templiers, t. II, p. 381.
    78 — K. Schottmueller, Der Untergang des Templer-Ordens, t. Il, p. 39.
    79 — Michelet, Procès des Templiers, t. II, p. 350.
    80 — H. de Curzon, La Règle du Temple, p. 67, nº 68.
    81 — H. de Curzon, La Règle du Temple, p 68, nº 69.
    82 — Cartulaire, chartes CLIV-CLVI.
    83 — Tel Raoul de Provins, Cartulaire, charte LV.
    84 — Cartulaire, chartes XXXVIII, LXXI, CXXII. Cf. Aux « Additions » l'amortissement de 1294, où il est question de maisons laissées en héritage par Herbert du Temple.
    85 — Cartulaire, charte XII (février 1241).
    86 — F. Bourquelot, Notice sur le manuscrit intitulé Cartulaire de la ville de Provins (Extrait de la Bibl. de l'Ecole des Chartes, 1857), p. 74.

    Sources : Carrière Victor, Histoire et cartulaire des templiers de Provins, Libriaire Champion, Paris — 1919

    2 — Formation du Temporel de la Commanderie. Top

    La donation, cause principale d'enrichissement. Les donations à titre gratuit. — II. Les donations rémunérées. — III. Les ventes-parties. — IV. Sens large du mot « donatio. » — V. L'expression « dare » synonyme de « tradere. » — VI. L'échange. — VII. Le Temple a-t-il acquis par personnes interposées ?

    Les acquisitions des Templiers en la baillie de Provins donnèrent lieu à diverses espèces de contrats que nous allons examiner brièvement, des points de vue diplomatique et juridique.

    I.

    La principale cause d'enrichissement d'une maison religieuse, c'est naturellement la donation. Quel qu'en soit le motif, même quand celui-ci n'est pas indiqué (1), c'est toujours d'une idée religieuse qu'elle relève. On donne par piété (2), pour l'amour de Dieu (3), dans une pensée charitable (4), par reconnaissance envers l'Ordre (5), simplement et sans condition (6). De telles aumônes manifestent un désintéressement absolu. En d'autres chartes, plus nombreuses, le donateur espère, en retour de sa libéralité, un bien d'ordre spirituel : et c'est ordinairement le salut de son âme, celui de ses ancêtres, de ses proches ou amis (7). Il arrive aussi qu'on donne à l'Ordre, soit avant de faire profession, soit en se réservant le droit de finir ses jours sous le manteau de Templier (8).
    La donation à titre gratuit faite au Temple par un établissement religieux suppose parfois entre les contractants des liens d'assistance spirituelle, une confraternité de prières. Ainsi, peut-être, l'abandon de certains droits que le chapitre de Notre-Dame-du-Val consentit aux Templiers de Provins, ses familiers (familiares) (9).

    II.

    Participer aux mérites spirituels des chevaliers du Christ, cela ne suffisait pas toujours aux donateurs. Nombre de gens, les uns par gêne, les autres pour ne pas s'appauvrir, ne se prêtaient guère aux donations plus ou moins gratuites; leur piété avait besoin d'être encouragée, stimulée, j'allais dire monnayée ! Les Templiers, trop naturellement, fomentaient ces dispositions qui facilitaient à leurs capitaux un placement rémunérateur. Non contents de solliciter des aumônes (10), ils les provoquaient en octroyant aux donateurs une prime en argent (11). A vrai dire, le présent équivalait rarement — peut-être n'équivalait-il jamais — à la valeur de l'objet cédé. Le mot « elemosina » qui caractérise ces transactions en détermine aussi la nature. Même lorsque l'écart paraît insuffisant entre les biens donnés et l'argent reÇu, il y aurait quelque témérité à conclure qu'il s'agit d'une vente déguisée. Des raisons de convenance ou toutes autres considérations difficilement appréciables ont pu donner aux choses une valeur supérieure à leur prix réel. Prenons, par exemple, la donation de Pierre Montele en 1256. Cet écuyer cède en pure aumône aux Templiers quatre deniers de cens à prendre sur une de leurs propriétés, cens qu'il disait être de son propre franc-alleu ; et les religieux, « tanti beneficii nolentes inmemores remanere » (12), l'en récompensent en lui donnant soixante sous provinois (13). La satisfaction exprimée par les Templiers montre bien qu'il s'agit ici pour le donateur d'un acte de libérale piété. Mais supposons que le scribe ait passé sous silence la gratitude des donataires : qui ne verrait — mais à tort — un marché de dupe dans la donation d'un revenu, correspondant à un demi pour cent de la somme versée par le Temple pour l'acquérir ? Et cela dans un pays où la rente se capitalisait alors normalement sur le pied de huit à dix pour cent (14). Cet exemple n'indique pas seulement, à chiffre égal, la supériorité du cens sur la rente foncière; il conseille aussi la prudence lorsqu'une donation mentionne des biens, en l'espèce, un cens allodial, dont il est impossible d'estimer la valeur.

    III.

    La piété et l'intérêt traitent parfois ensemble, mais de faÇons non pareilles. Au lieu d'une simple donation rémunérée du tout, le propriétaire cède alors une partie de son bien à titre onéreux. En pareil cas, la même charte traduit pour le même objet deux actes différents, l'un de donation pour partie, l'autre de vente pour le surplus (15). Il arrive aussi que ces transactions se présentent à nous en des chartes distinctes, passées tantôt sous la même date (16), tantôt dans le même mois (17) ou la même année (18). De plus, que les actes soient distincts ou non, la cession à titre gratuit est toujours de moindre valeur que la vente du surplus et toujours il la précède. Ces ventes-parties sont bizarres, et peut-être étaient-elles destinées à tourner un obstacle juridique.
    Les autres libéralités ne sont que des aumônes ; et le donateur ou bien ne se réserve rien sur la tenure qu'il cède, laissant aux donataires le soin d'obtenir l'assentiment des seigneurs dominants (19) ; ou bien il garde sur elle le cens (20) et les droits de fief (21), — restrictions qui faisaient échec à l'ordinaire prétention des Templiers de ne relever que du roi.

    IV.

    L'emploi fréquent au moyen âge du terme « donatio » en élargit dans la pratique le sens primitif. Loin de constituer une libéralité, la « donatio » exprime parfois une simple dation. L'examen des actes permet rarement de s'y méprendre. Lorsque Simon, lieutenant du prieuré de Pont-sur-Seine, reconnaît avoir cédé aux frères de la milice du Temple une terre située à Fréparoy, moyennant douze deniers de cens et un setier d'avoine, cette redevance indique qu'il s'agit non pas, comme l'exprime l'acte, d'une donation « donatio, » mais d'un bail à cens (22).

    V.

    D'autres contrats emploient seulement les mots dédit, dédisse. Mais là encore, il ne saurait être question de donations à titre d'aumône. L'expression employée est synonyme de tradidit, tradidisse; elle désigne l'acte par lequel le cédant se dépouille d'une chose et l'abandonne à un autre, ce qu'on peut appeler un transfert de bien (Cf. charte CXXXVI).

    VI.

    L'échange est une forme d'acquisition que les Templiers utilisèrent à l'occasion pour traiter avec des possesseurs médiocrement pourvus de numéraire. En usant de ce procédé, ils obtinrent de plusieurs établissements religieux (23), et quelquefois de particuliers (24), soit des terres à leur convenance (25), soit des rentes assises sur leurs propres fonds (26). Ces chartes emploient d'ordinaire le mot « escambium, dédisse in escambium. » Le texte relate alors deux actes simultanés, une dation et une « contredation. » Par ce moyen, l'un des contractants transfère à titre d'échange une chose pour obtenir en contre échange de l'autre partie une autre chose : tel l'échange de censives conclu entre le Temple et le chapitre de Saint-Quiriace de Provins, en mars 1226 (27).

    VII.

    Les Templiers usèrent-ils de personnes interposées pour acquérir ? On l'a prétendu (28). Le Cartulaire relate en effet divers achats où le nom des Templiers n'est pas indiqué ; mais cela s'explique en dehors de toute idée frauduleuse. Ces actes, à l'exception d'un seul (29), ont tous pour auteur un clerc du Temple, un clerc marié, Chrétien de Provins (30). Ce clerc a pu acquérir pour lui-même. Mais il avait été reÇu dans l'Ordre à titre de confrère et, comme tel, sa mort faisait du Temple l'héritier de ses biens. C'est d'ailleurs ce qui advint, comme en témoigne l'amortissement obtenu par les Chevaliers en 1294, lequel mentionne à Provins même une maison qui fut jadis à Chrétien de Provins et cent sols de rente que celui-ci avait acquis sur la maison de Simon le Barbier (31).
    Sources : Carrière Victor, Histoire et cartulaire des templiers de Provins, Libriaire Champion, Paris — 1919

    Notes

    1 — Cartulaire, chartes III, XVII, XIX, XLIX, LXXIV, LXXXVIII, XCVII.
    2 — « Pietatis intuitu. » Cartulaire, charte XI.
    3 — « Intuitu Dei et caritatis. » Cartulaire, charte LXVII. Cf. charte XXXI.
    4 — « Karitative concedo. » Cartulaire, charte XCIII.
    5 — « Comme li frère... eussent fait ou temps passé à Aveline... mout de biens, de services, curialitez, bontez et courteisies, et facent encor de jour en jour... desquiex biens, services, curialitez, bontez et courtesies devant diz, lidit frère norent onques nul guerredon ne nule remuneracion, si comme ele disoit, et ele ne vueille mie le vice d'ingratitude encurre... » Cartulaire, charte CLX.
    6 — « Simpliciter et sine aliqua conditione. » Cartulaire, charte CXIV.
    7 — Cartulaire, charte XXIX.
    8 — Cartulaire, charte LXXXVI.
    9 — Cartulaire, charte XLI. — V. les exemples cités par Du Gange, dans son Glossarium, au mot FAMILIARES.
    10 — Des donations sont faites « ad instantiam fratrum predictorum. » Cartulaire, charte LXVII.
    11 — Cartulaire, charte VII.
    12 — Ce texte ne permet pas d'envisager le présent du donataire comme un expédient destiné à rendre l'acte irrévocable de la part du donateur. Cf. J. Brissaud, Manuel d'histoire du droit franÇais (Paris, 1898-1904), p. 1598.
    13 — Cartulaire, charte CXLIV.
    14 — Exemples : En 1269, vingt sous de rente sont vendus pour douze livres tournois (Cartulaire, charte CLXII), ce qui fait ressortir le taux à près de huit et demi pour cent. En 1277, soixante-et-un sous trois deniers de rente cédés moyennant vingt-neuf livres trois sols (Cartulaire, charte CLVI), fixe le taux à dix pour cent environ.
    15 — Cartulaire, chartes IV, XXV, C, CI, CXVIII.
    16 — Cartulaire, chartes VIII et LXXIII, LXXIV et LXXV, C1II et CIV.
    17 — Cartulaire, chartes I et LXXII.
    18 — Cartulaire, chartes XIX et CXXV.
    19 — Cartulaire, chartes LXXIV, CXVIII.
    20 — Cartulaire, charte IV.
    21 — Cartulaire, chartes XXV, CV.
    22 — Cartulaire, charte L.
    23 — Cartulaire, chartes XLIII, CXXXV, CXLIX.
    24 — Cartulaire, chartes LXXXIX, CXLV, CLIII.
    25 — Cartulaire, charte CXLV.
    26 — Cartulaire, chartes XLIII, CLIII.
    27 — Cartulaire, chartes LXIX et CXXXII.
    28 — E. Lefèvre, Les Rues de Provins, p. 76. V.
    29 — Cartulaire, charte XX.
    30 — Cartulaire, chartes CLII, CLIV, CLV, CLVI.
    31 — Arch. nat., K 36, nº 28. Ce texte a été publié par Prutz (Entwicklung und Untergang des Tempelherrenordens, Berlin, 1888, p. 310), mais avec trop de fautes pour qu'on puisse y référer. Nous reproduisons dans nos « Additions » le passage relatif à la commanderie de Provins.


    3 — Description du Temporel de la commanderie. Top

    En quoi consistait le patrimoine de la Commanderie. — II. Superficie des terres, des prés, des vignes et des bois. — III. Les maisons du Temple à Provins. — IV. Les dîmes du Plessis-Poil-de-Chien et de Sancy. — V. Droits incorporels.

    I.

    Le patrimoine des Templiers de Provins consistait en quantité de biens : terres, maisons, bois, serfs, dîmes, moulins, rentes, droits ou franchises. Nous n'essaierons pas de faire le relevé exact de toutes ces possessions. Outre que le travail serait fastidieux, l'état fragmentaire des textes y fait obstacle. Heureux si nous parvenons à donner une idée, tant soit peu approximative, du temporel de la Commanderie à la fin du XIIIe siècle.

    II.

    Le domaine utile de la Commanderie se composait de terres en plein rapport situées au nord et au sud de Provins, très peu à l'est.
    Au nord, sur la paroisse de Savigny, les Chevaliers possédaient vingt-huit arpents en plusieurs pièces (1) et tout près, à Gimbrois (2), puis en tirant vers la maison du Val, au Plessis-Poil-de-Chien (3), à Saint-Martin-des-Champs (4), à Rouilly (5), des champs cultivés et des vignes. De jolis vignobles avoisinaient leur enclos, à Fleigny (6), à Saint-Brice (7), au Clos-Platel (8). A Provins, une partie des terrains cédés par les Britaud était en prés (9). Le tout pouvait couvrir une superficie d'environ cinquante arpents (10).
    Au nord, les propriétés du Temple étaient moins étendues. Un bail de 1644, relatif à la ferme de la Madeleine, lui reconnaît trente arpents de terres labourables, franches de dîmes (11). La plupart de ces terres étaient assises à Poigny. De ce côté, peut-être, faut-il localiser mainte pièce de terre dont je n'ai pu identifier le nom 12). On connaîtrait ainsi, pour une portion plus grande, l'origine des biens incorporés ensuite à la Madeleine. Quoi qu'il en soit, nombreux sont les plants de vignes que les actes du XIIIe siècle situent sur le mont Hennepont (13), au territoire de Poigny.
    Vers l'est et au sud-est, le Temple avait peu de terres labourables : un jardin à Sourdun (14), quelques arpents à Léchelle (15), une culture à Villegruis (l6), trois quartiers à Melz-sur-Seine (17), et un demi-journal de terre à Fréparoy <(18), commune de la Motte-Tilly.
    Enfin, le Cartulaire mentionne de grands espaces boisés, d'où les Templiers tiraient de quoi se chauffer et bâtir : le tiers du bois Hunaud 19), près de Jouy-le-Châtel, et soixante-cinq arpents en la forêt de Sourdun (20), le tout franc de gruerie.

    III.

    Si les donations les plus nombreuses, les plus importantes aussi, furent des donations de terre, elles ne furent pas celles que les chevaliers de la milice du Temple recherchèrent davantage. Nous avons déjà eu l'occasion d'en faire la remarque : la mission des Templiers n'avait rien de commun avec les soucis d'une entreprise agricole ; sans attrait pour le travail des mains, ils s'efforcèrent toujours d'acquérir par préférence des biens dont les revenus ne leur donnaient d'autre peine que de les recueillir, comme la propriété bâtie, les dîmes et les monopoles commerciaux.
    L'on peut se faire une idée de l'importance que les Templiers attachaient à la possession d'immeubles urbains si je cite, par exemple, l'échange qu'ils conclurent avec Léon de Sézanne, de deux « places » situées en la grand-rue de Provins pour vingt-deux arpents de terre à Vulaines et vingt-trois setiers de froment à Vulaines et à Léchelle (29 mai 1263) (21). Voilà certes des terrains qui durent par la suite ne pas être d'un léger rapport !

    La Commanderie était propriétaire un peu partout, à Provins et dans les faubourgs de la ville : rue de Culoison (1220), rue de Jacy (1220, 1234), dans le Cours-aux-Chevaux (1228), rue Sainte-Croix (1230), près du palais des Comtes (1232), à Fontaine-Riante (1232), au Grès, rue des Marais (1233), en tête et hors la porte de la Chaussée-Sainte-Croix (1232, 1294), près du moulin Moucène (1233, 1236), devant les anciens étaux des bouchers (1234), près du Buat (1236) (22), à « la Gatelerie » (1240), rue de Changy (1257), dans la grand-rue de Provins (1263, 1269), rue de « BuzanÇois » (1294) (23), en face le four des Raines (1277), rue aux Aulx (1294), rue de la Bretonnerie (1300), ailleurs encore (1232, 1233, 1236) (24). Ces habitations étaient, la plupart, entourées de vergers et de prairies. Le censier de la Commanderie pour une époque voisine des dernières années du Temple, mentionne en 1386 plus de soixante-dix maisons, chambres ou loges en la censive des Hospitaliers (25). Les plus importantes étaient « le Temple, » en face le portail de l'église Sainte-Croix et la « Vicomte, » située sur la grand-rue, à l'encoignure de la rue du Moulin-de-la-Ruelle. Celle-ci, en 1672, portait sur sa faÇade les armes de l'ordre de Malte (26).

    Les dîmes aussi furent activement recherchées des Templiers. S'ils ne réussirent à posséder qu'une partie de la dîme de Sancy (27), ils eurent en revanche celle du Plessis-Poil-de-Chien tout entière. Nous rappelons que les dîmes d'une paroisse pouvaient être cédées à titre de fief, comme une terre, une justice. D'autres furent données ou vendues par l'Eglise, d'autres échangées à des laïques ou simplement usurpées par eux sur l'Eglise, surtout au Xe et XIe siècle. C'est l'origine des dîmes inféodées, et telle était la dîme du Plessis-Poil-de-Chien, que possédaient Joubert de Courgousson et Pierre des Granges. Les Templiers s'y intéressèrent, en 1212, à la suite de l'aumône que leur firent Joubert et sa femme, de deux muids de blé à prendre sur cette dîme (28). Douze ans plus tard, les religieux étaient parvenus à se substituer complètement aux propriétaires : ils avaient tout acheté, les dîmes et la grange dîmeresse. L'opération leur coûta trois cent-quarante-six livres de provinois (29). Deux pièces de terre étaient contiguës à cette grange; ils les acquirent en 1236 (30). Le domaine, ainsi constitué, pouvait mesurer en tout six arpents (31).

    IV.

    Il convient de mentionner, en passant, les droits et les monopoles commerciaux des Chevaliers de la milice à Provins. Les privilèges dont ils jouissaient, leurs droits de tonlieu et les banalités du moulin, du four et du pressoir constituaient pour eux une source précieuse de revenus. Mais comme l'on ne saurait rien en dire qui ne put convenablement se rapporter au chapitre suivant, nous y renvoyons le lecteur.
    Sources : Carrière Victor, Histoire et cartulaire des templiers de Provins, Libriaire Champion, Paris — 1919

    Notes

    1 — Cartulaire, chartes XLV, LIV, CXXVI, CXXXIV.
    2 — Cartulaire, chartes XXXV, CXXI, CXLV.
    3 — Cartulaire, chartes XVIII, XXVI, LII, LXII; Arch. nat., S 5164 b, liasse 33, nº 18.
    4 — Cartulaire, charte CXL.
    5 — Cartulaire, chartes IV, XXX, CXL.
    6 — Cartulaire, charte CXVII.
    7 — Cartulaire, charte VI.
    8 — Cartulaire, chartes I, XXIX, XLIII, XLIV, LXXII, CXXVII.
    9 — Cartulaire, chartes XIII et CXXII. Le Cartulaire de Renier Accorre mentionne en la censive du Temple près de sept arpents de terre assis « à Prouvins et es apartenances. »
    "Ce sont li cens que Renier Acorre doit... à la Seint Rémi de l'an sesante et nuef... A l'eiglisse dou Temple por arpant et demi de terre aus Perruissiaus qui fu Guillaume Buignet sis deniers.
    Item por demi arpant quatre perches mains de terre au Bordes qui fu Guillaume Buignet deus deniers.
    Item un bichet de forment de moison.
    Item por un arpant de terre derriers la masure qui fu Guillaume Buignet deus deniers.
    Item por trois quartiers de terre au Losche qui furent Nicholas Neret deus deniers et maalle.
    Item por quarante et quatre perches de terre ou Val des Deux Buissons deus deniers.
    Item por deus arpanz et demi de terre à la Perrière dou chemin qui furent Perrot Neret set deniers. » (Bibl. nat., f. fr. 8593, fol. 155).
    0 — Ce chiffre reproduit à peu de chose près l'étendue des terres de l'Hôpital du Val-de-Provins arpentées en 1595. (Arch. nat., S 5164 b, liasse 34).
    11 — Arch. nat., S 5164 a, liasse 33, bail du 2 mars 1644.
    12 — Cartulaire, charte CXXI.
    13 — Cartulaire, chartes XLVII, CLII, CLIV.
    14 — Cartulaire, charte XLIII.
    15 — Arch. Nat, S 5164 B, liasse 35, nº8.
    16 — Cartulaire, charte XLII.
    17 — Cartulaire, charte XLVII.
    18 — Cartulaire, chartes L et CXXXVI.
    19 — Cartulaire, charte C; et Arch. de Seine-et-Marne, H 701, p. 217.
    20 — Cartulaire, chartes CXII et CXVIII.
    21 — Cartulaire, charte CXLVI.
    22 — Le Buat, lieudit de Provins, dont parle la charte LXX.
    23 — Voir aux « Additions » la charte d'amortissement de 1294.
    24 — Les Templiers avaient acheté, en 1222, trois tiroirs ou ateliers d'étendage pour les draps, situés hors les murs de Provins (Cartulaire, charte XXXVI).
    25 — Arch. Nat, S 5164 b, liasse 35, nº 2.
    26 — Arch. Nat, S 5164 b, liasse 34, nº 27. Ci-dessous, p. 126, n.
    27 — Les Templiers percevaient vingt-sept setiers de blé sur la dîme de Sancy-lez-Provins (Cartulaire, chartes CXXX et CXLI).
    28 — Cartulaire, charte XLVI.
    29 — Cartulaire, chartes XXVI, LII, CIX.
    30 — Cartulaire, chartes XVIII et LXII.
    31 — Arch. Nat, S 5164 b, liasse 33, nº 18.


    4 — Exploitation du Temporel de la commanderie. Top

    L'exploitation agricole comprend la réserve monacale et .les tenures des paysans. — II. Etat des personnes : serfs et vilains. — III. Condition des tenures : le bail à cens et le bail à temps. — IV. Les banalités du moulin, du four et du pressoir. — V. Les Templiers font le commerce des vins. — VI. Les monopoles de la Commanderie : les tonlieux et le poids des laines; droits de minage; étaux et boutiques.

    Le gouvernement temporel de la Commanderie incombait au « maître » ou commandeur ; celui-ci était aidé par quelques frères, trois ou quatre, pas plus. Parmi ces derniers, l'un se dit receveur du tonlieu, cet autre s'emploie à la vente des vins, un troisième, désigné comme économe, a la garde des clés de la maison et probablement aussi la surveillance du personnel domestique. Ces différents emplois caractérisent les branches d'activité particulières aux religieux affectés à l'exploitation domaniale.

    I.

    On remarquera que les textes ne signalent aucun frère occupé aux travaux de la terre. Ne nous en étonnons point. Les Templiers ne furent jamais, à proprement parler, des agriculteurs. Non seulement le travail des champs était incompatible avec la mission du noble chevalier, destiné par vocation à combattre l'Infidèle, mais les frères de métier, d'origine plus humble, étaient trop peu nombreux dans chaque maison pour s'intéresser à la culture, sinon en y remplissant un rôle de direction ou de surveillance. Le travail de la terre était le partage des convers et de serviteurs à gages. Eux aidant, les Templiers entreprirent l'exploitation directe d'une grande partie de leur domaine.

    Le domaine de la Commanderie comprenait la réserve monacale et les tenures des paysans. A la réserve appartenaient les jardins et les terres situés à l'intérieur et aux alentours immédiats de la maison du Val-de-Provins. Les vignes étagées sur les coteaux de Fleigny, en un climat appelé « le Clos-du-Temple » (1), celles de Fontenay et du Clos-Platel où les religieux avaient leur pressoir, les bois, les banalités aussi en faisaient assurément partie. Je serais assez tenté d'attribuer également à l'exploitation directe maintes cultures sises au nord de Provins. A Savigny même, où ils avaient une ferme, non loin de leur grange dîmeresse du Plessis-Poil-de-Chien, les acquisitions de terre réalisées par les religieux entre 1231 et 1236 semblent avoir eu pour but d'organiser à leur usage une entreprise agricole. Quant aux autres terres, disséminées, quelques-unes loin de leur couvent, à Gimbrois, à Rouilly, à Léchelle, etc... Les Templiers estimèrent plus avantageux de les transformer en tenures.

    II.

    Le constitution et la mise en valeur du domaine de la Commanderie avaient fixé sur ses terres des hommes qui en devinrent la dépendance, les uns à titre de serfs, les autres comme vilains.
    Le Cartulaire ne désigne pas moins de vingt hommes ou femmes de corps. La plupart occupent une tenure isolée, qu'ils fécondent de leurs bras; ce sont des cultivateurs. Les autres appartiennent peut-être à la domesticité de l'établissement, comme Geoffroi le Page (2) ; ceux qui exercent un art mécanique nécessaire à la nourriture et à l'habillement, les cordonniers (3), les tisserands (4), semblent n'avoir aucune terre.
    Le serf ne s'appartient guère. Son maître peut le donner, le vendre, l'échanger. Souvent la donation comprend toute la famille du serf, ses enfants nés (5) ou à naître (6). Si la terre qu'il cultive est de condition servile, la tenure suit le tenancier (7), quitte à revenir après sa mort au donateur (8). Les dons, plus rares, sont toujours en quelque faÇon onéreux pour le Temple (9). Quant aux échanges, ils ont pour but de faciliter entre serfs les mariages et la vie conjugale (10).
    Quels que soient les actes auxquels ces transactions donnent lieu, le serf est communément appelé « homo. » Cette expression, employée de préférence au mot « servus, » témoigne des progrès de la classe rurale. Au XIIIe siècle en effet, la condition du serf s'est adoucie, améliorée ; il est en voie d'affranchissement ; on lui reconnaît des droits (11). Veut-on un exemple ? En 1222, le comte de Champagne s'oblige envers des gens qu'il cède au Temple et sous la garantie du précepteur de Provins, à n'exercer sur eux aucun droit, sauf celui de justice (12). L'homme de condition servile peut acquérir des biens et posséder des censives (13). Parfois le propriétaire consent en faveur de l'homme dont il dispose, une concession viagère. En 1219, Guillaume, seigneur de Gimbrois, fait don au Temple d'une famille serve, établie sur son domaine, Pierre de Gimbrois (14) et sa femme Emeline. Le ménage a des biens : sa maison d'abord, puis des terres au Mez, à la Croix-de-Maizières, au Chêne, ailleurs encore. A cette exploitation, le donateur ajoute vingt arpents de terre à défricher, mais à la mort du dernier conjoint, tous les biens que celui-ci tient de lui devront lui faire retour, à lui ou à ses héritiers (15). Enfin, le serf se prévaut parfois d'une situation telle qu'il ne paraît pas anormal que des bourgeoises de Provins s'unissent à lui en mariage (16).

    Des sujets du Temple, les vilains forment la classe la plus nombreuse. Preneurs de terre à bail ou censitaires, les modes de tenure qu'ils contractent supposent chez le concessionnaire une liberté complète, ou du moins quelque chose d'approchant (17). J'insiste sur ce point : car l'absence de chartes d'affranchissement dans notre recueil pourrait faire croire que les Templiers entendaient maintenir tous leurs hommes dans l'état de servitude. J'estime au contraire que de telles chartes, il n'y avait guère lieu d'en octroyer aucune : la condition de la plupart des tenanciers de la Commanderie étant supérieure au servage, comme d'ailleurs dans presque toute la Brie où, à cette époque, cet état social inférieur tendait à devenir exceptionnel (18).
    On s'en rendra mieux compte en étudiant les contrats qui régissent l'exploitation domaniale de la Commanderie.

    III.

    Accenser, amodier, prendre « à moyson, » ces différents synonymes du bail à cens désignent dans les actes de notre cartulaire deux contrats distincts, selon qu'il s'agit de tenures perpétuelles ou temporaires.
    Le bail à cens perpétuel est une cession de propriété faite à un homme de condition libre, moyennant un cens et une rente immuables. Le cens est un impôt récognitif du domaine éminent, une redevance qui frappe le sol au sortir de la seigneurie ; variable parfois suivant l'étendue et la nature du tènement, il ne dépasse jamais quelques deniers (19) et comporte le droit des lods et ventes, qui se percevait à chaque mutation de propriétaire, « sur le pied du vingtième au moins et quelquefois sur le pied du tiers du prix de vente (20) » . La rente représente, à la date fixée par la charte, l'intérêt du sol ou le loyer de la maison, sur qui elle repose; elle constitue le principal revenu de la directe seigneuriale (21).

    De tous les modes de tenure en usage, l'accensement est celui qui répond le mieux à la technique agraire du bas moyen âge : assurer à la culture un rendement plus intense en la restituant à l'initiative d'hommes énergiques, assez confiants dans leur travail pour n'en pas laisser à d'autres tous les fruits. Avantageuse au bailleur qui se procure ainsi un revenu plus abondant que ne l'était la redevance du serf, l'opération est surtout favorable au preneur à qui elle assure la possession du fonds et un travail largement rémunérateur. Mais il pouvait être imprudent, alors que le paysan n'était peut-être pas toujours préparé à ce nouveau rôle, de faire de lui un propriétaire. Cette terre mise entre ses mains, on pouvait craindre qu'après quelques années d'exploitation défectueuse, usant de la faculté de déguerpir, il ne l'abandonnât. Aussi les Templiers n'accordent-ils que rarement au cultivateur la libre disposition de son tènement (22); et pour l'y retenir, les charges et les garanties sont établies et combinées avec un soin extrême. A défaut d'un immeuble qui puisse garantir le service de la rente (23), tantôt on exige du concessionnaire qu'il bâtisse une maison (24), tantôt, et c'est le cas le plus fréquent, on l'oblige à affecter, dans un délai de deux ou trois ans, une certaine somme à des travaux d'amélioration. C'est la clause énoncée sous la forme « ad emendationem ou in augmentum et meliorationem » (25). Enorme, la somme exigée de ce chef représente parfois le montant de vingt années de revenus (26). Des gens sont désignés qui s'en portent garants. Le « fîdéjusseur » payant pour un preneur à cens a une situation privilégiée ; il peut entrer en possession de la tenure, ainsi qu'il est formellement stipulé dans un acte de vente d'une maison à Provins en 1233 (27). Si le contrat est pratiqué au profit d'une collectivité, d'individus intéressés à faire charrue ensemble, l'acte établit une combinaison de garanties et de « fîdéjussions » par deux tenanciers pour un troisième de telle manière que chacun soit tenu pour lui-même et pour deux autres, et libéré seulement au moyen du payement de trois parts (28). Plus rigoureuses sont les conventions passées avec Etienne de Cormeron, en juillet 1233. Il s'agit, en l'espèce, d'une maison située à Provins, au commencement de la chaussée Sainte-Croix, et l'on convient que le non-paiement de la rente entraînera la saisie de tous les biens du débiteur et de ses proches (29).

    Le bail à temps diffère nettement du bail à cens ; il ne comporte pas cession de propriété, même conditionnelle, mais seulement le droit d'user de la chose, c'est une location, un louage. Bail à loyer ou bail à ferme, on n'en compte pas moins de six exemplaires dans notre recueil. D'aucuns sont viagers, tels ceux de 1224 (30), de 1230 et de 1234 (31). Dans le premier contrat, le preneur s'engage non seulement à payer une rente au Temple, mais encore à l'indemniser du cens que doit celui-ci. Les deux autres exigent de la part du preneur qu'il paie à la fois le cens et une redevance annuelle. Les trois derniers contrats, de dates postérieures, sont libérés de toute redevance autre que la rente et consentis pour une durée de une à dix-neuf années (32).

    Ce mode de tenure fut parfois le lot des humbles, de serfs en voie d'affranchissement. L'aléa du paiement rend alors les formalités plus dures. C'est le cas d'un nommé Gilbert, homme de poeste. Il prend à bail du Temple pour une période de dix ans une tuilerie, en un lieu dit « les Fontenelles, » à charge, outre une rente foncière, de fournir aux Templiers, chaque fois qu'ils en auront besoin, des tuiles à raison de quatorze sous le millier. Craint-on qu'il ne réussisse ? Personne du moins ne veut se porter garant pour lui de l'entreprise, et le preneur non seulement s'engage à garnir la maison de meubles, pour permettre à la saisie-gagerie du propriétaire de s'exercer, mais il s'en remet encore, pour les contestations qui viendraient à s'élever à ce sujet, entre les Chevaliers et lui, à être jugé par les Chevaliers eux-mêmes, sans recours à la justice laïque (1242) (33). Rien ne vaut toutefois comme dureté les conditions de louage d'une vigne prise des Templiers par Etienne de Rouilly en 1240. Au cas où il manquerait à ses engagements, le locataire consent à ce que « sur la demande des religieux, —je cite la formule comminatoire du doyen de Provins — chaque jour de dimanche et de fête, les cierges allumés et au tintement des cloches, quel que soit le lieu de sa résidence, nous l'excommunions et le fassions excommunier jusqu'à ce qu'il ait pleinement satisfait envers les dits Frères pour les condamnations obtenues de ce chef » (34).

    IV.

    Serfs et vilains, les vassaux du Temple, levant et couchant dans la banlieue de la Commanderie, étaient soumis aux banalités du moulin, du four et du pressoir.
    La commanderie du Val possédait plusieurs moulins. Le plus important était le moulin du Temple, situé à Provins, près la porte de Changy, sur la Voulzie (35). En droit strict, les censitaires de la Commanderie pouvaient seuls y faire moudre leur blé, s'ils étaient clercs, serfs ou bâtards (36) ; mais comme le meunier du Temple prélevait un droit de mouture moins élevé que ses collègues, les tenanciers patentés de la ville, son moulin ne cessait de fonctionner au détriment des établissements seigneuriaux. Du moulin, les gens portaient leur pain à cuire au four du Temple où la main-d'oeuvre, là aussi, était moins chère. Heureusement les bourgeois veillaient ! Ils firent entendre au comte de Champagne des doléances sur le dommage qui résultait pour lui de la concurrence des Templiers. Thibaud parut d'abord faire la sourde oreille, puis, en 1270, rapportant une mesure antérieure, il interdit à ses tenanciers d'exiger de ses sujets plus de mouture et de fournage qu'ils n'avaient accoutumé avant que les moulins et les fours fussent siens.

    Les moulins de la Varenne, situés sur un bras de la Seine, à Fréparoy, étaient passés du Temple de Fresnoy à la commanderie de Provins, vers 1240. Un peu à l'écart du fleuve, les biefs des moulins abondaient en poissons, et les Templiers en tiraient l'aliment de nombreux jours d'abstinence, à l'aide de nasses amorcées de grains d'orge, d'escourgeon. Grand dut être, quand il l'apprit, le mécontentement du seigneur de Traînel. Maître de l'eau qui coulait en cet endroit, il ne pouvait souffrir qu'on y péchât sans son autorisation, et les Templiers avaient seulement oublié de la lui demander. Mais il avait à faire à forte partie. D'autres, forts également de leur bon droit féodal, avaient dû plier devant les exigences de ces orgueilleux voisins. C'est à ce parti qu'il se rangea. Sur l'avis d'hommes sages en effet, renonÇant à la lutte, il reconnut aux Chevaliers non seulement le droit de pèche, mais encore la faculté d'avoir, près de leurs moulins, une barque pour le transport des denrées issues de leurs domaines ou destinées à leur usage et une maison qui servit d'entrepôt pour leurs marchandises. Toutefois, en retour de cette concession, et comme pour affirmer les droits de leur victime, il fut convenu que le batelier choisi par les religieux devrait chaque année prêter serment entre les mains du seigneur de Traînel (1248).

    Le four du Temple est mentionné pour la première fois en 1242. Il occupait à Provins une maison assise en la grand-rue attenant l'hôtel de la Vicomte et faisant le coin de la rue du Moulin (37). On l'avait surnommé « ad Cathenam » (38), probablement à cause d'une chaîne de fer qui formait barrage en cet endroit. Le pressoir (39) était situé près de la Commanderie, non loin du Clos-Platel, tout planté do vignes.

    V.

    Propriétaires de vignobles, les Templiers vendaient eux-mêmes leur vin <(40). Quant la récolte était insuffisante, ils se fournissaient auprès de voisins et des autres maisons du pays. Ce commerce était pour eux exempt de tout droit de tonlieu, de transport, d'entrée et de mise en perce, privilège qui leur fut maintenu contre le chapitre de Saint-Quiriace en 1220 (41). Cependant, comme la quantité de vins qu'ils faisaient venir chaque année devenait de plus en plus considérable, le comte Thibaud fit droit aux justes réclamations des chanoines, en limitant la franchise du Temple à concurrence d'une quantité de quarante tonneaux seulement. Le droit de portage devait être perÇu pour toute quantité supplémentaire (1268) (42).

    VI.

    Si l'activité commerciale des Templiers de Provins paraît s'être spécialisée dans la vente des vins de leur crû et d'ailleurs, en revanche, ils intervenaient dans les transactions commerciales pour prélever un impôt sur la vente des marchandises, à l'époque des foires, les grands marchés d'alors.
    Les foires de Provins étaient au nombre de trois : la foire de mai, qui se tenait à la ville haute, durait quarante-six jours, à partir du mardi avant l'Ascension; — la foire de Saint-Ayoul, fixée dans la ville basse, commenÇait le jour de l'Exaltation de la Croix (14 septembre), pour finir à la Toussaint; — la foire de Saint-Martin occupait la ville haute depuis la Saint-André (30 novembre) jusqu'au nouvel an. Là encore, à la ville haute ou au châtel de Provins, se tenait chaque semaine le marché du mardi.

    Foires et marché étaient une source de revenus importants. On ne vendait à Provins aucune balle de laine, aucun écheveau de fil, aucune couette, coussin, voiture ou roue que les Templiers ne prélevassent impôt sur le prix de vente. C'était le droit de tonlieu que le comte Henri leur avait cédé en échange de dix marcs et demi d'argent (43) qu'il leur devait 44). De ces monopoles, les Templiers ne se contentèrent pas. En 1214, nous les voyons acquérir de Gui de Montigny le tonlieu des animaux destinés à la boucherie (45), et une charte de 1243 nous apprend qu'ils avaient encore le tonlieu des peaux (46) : autre source de gain, et non des moindres, puisque, pour cette époque, l'on n'a pas compté moins de cent vingt-cinq fabriques de cuirs à Provins (47).

    De ces divers droits de marché, le plus productif eût sans doute été le tonlieu des laines, si cette industrie n'en avait été à peu près complètement affranchie. La protection éclairée des comtes de Champagne avait fait au commerce des draps une situation privilégiée. De coutume immémoriale, les bourgeois ne devaient payer qu'un denier, les mardis de marché à la ville haute, pour toutes marchandises achetées ou vendues concernant la draperie ; ils étaient en outre exempts de tout tonlieu les sept premiers jours de foire; ils ne payaient aucun droit pour les laines achetées aux abbayes ; ils avaient enfin le poids de la laine, chacun en leur hôtel, et les peseurs étaient nommés par les maîtres drapiers qui recevaient leur serment et les révoquaient en cas de fraude (48).

    Ce ne fut donc pas sans injustice que les Templiers firent grief aux bourgeois de leurs vieilles franchises. Appelé à juger le différend, le comte de Champagne se plut à favoriser les chevaliers du Temple, et pour couper court aux difficultés dont ceux-ci étaient menacés, il fit sienne leur propre cause, en partageant avec eux le profit du tonlieu des laines (49). La réforme eut pour résultat la suppression du poids de la laine à domicile (50). La pierre qui servait de type pour le poids de la ville, « la pierre de poids, » fut dès lors remise aux Templiers, et ceux-ci établirent deux maisons de pesage, l'une à la Madeleine pour la ville haute, l'autre au Temple devant Sainte-Croix pour la ville basse.

    Quels effets eut la suppression des privilèges de la draperie ? On s'était promis une augmentation des droits de marché. C'est une baisse qui se produisit, bientôt accompagnée d'une période de crise. Tout le commerce en fut influencé de la faÇon la plus fâcheuse. Effrayées par l'application du nouveau règlement, les abbayes menèrent leurs laines à vendre à Chalons et ailleurs ; les métiers et les usines, en raison de la rareté de la matière première, cessèrent de fonctionner normalement, et la vente, renchérie par l'augmentation du prix de revient, ne trouva plus dans la clientèle des foires les débouchés nombreux d'autrefois. Telle était la situation depuis neuf ans et plus ; et c'était grande pitié en pays provinois, quand Thibaud le jeune, sur les plaintes réitérées de ses bourgeois drapants, les rétablit enfin dans leurs anciens privilèges. Il lui parut toutefois difficile de renoncer au contrôle du poids de la laine. Ne revient-il pas au suzerain d'assurer la bonne foi des transactions commerciales ? Aussi, la charte, datée de Chalons, le 23 avril 1270, remédia seulement à l'insuffisance des maisons de poids, en portant leur nombre de deux à neuf: six au Val, et trois au Châtel. Le poids officiel restait, comme auparavant, entre les mains du Temple ; il en était de même pour les deux bureaux de pesage dont nous avons parlé. Quant aux sept autres lieux pour peser, le choix en était confié au maire et prud'hommes, qui, chaque année, pouvaient les changer et en désigner d'autres, sauf en lieu franc. Il était d'ailleurs interdit de peser autre part sans le consentement des intéressés, à savoir le comte et les Templiers qui percevaient conjointement le tonlieu (51). Cette réforme, en apportant une solution acceptable aux difficultés de la crise drapière, constituait néanmoins une atteinte aux privilèges du Temple, un échec à son esprit dominateur.

    Aux différents tonlieux énumérés, ajoutons six jours des droits de minage que les chevaliers du Temple avaient acquis d'Adam de Tachy (1214-1218) (52). Six fois l'an, en effet, les mardis de chaque marché, les religieux exerÇaient au Châtel la police du commerce des grains. Affermé (53), ce droit rapportait, en 1386, trois muids dont l'un de froment et les autres de seigle et d'avoine (54). Sur ce même minage, les Chevaliers percevaient en outre, depuis 1212, dix-huit setiers moitié froment, moitié avoine (55).

    Les revenus que procuraient au Temple les foires et le marché provinois comprenaient en plus le produit des étaux où les marchands exposaient en vente leurs marchandises. Les Chevaliers ne furent pas sans profiter 56) de la donation faite par le comte Henri à son chambellan, Habran de Provins, des boutiques où l'on vendait les fruits au vieux marché de Provins (1178). Cet officier leur rétrocéda sans doute son droit. Ansel de Quincy, en 1211, leur céda en pur don deux autres étaux pour la vente des fruits dans la « regratterie » (57) ; et ils acquirent, la même année, une partie des édifices que l'Hôtel-Dieu possédait dans les Osches de Provins (58), où se tenait la foire de Saint-Ayoul, à l'emplacement même où s'éleva plus tard la collégiale de Notre-Dame du Val.
    Sources : Carrière Victor, Histoire et cartulaire des templiers de Provins, Libriaire Champion, Paris — 1919

    Notes

    1 — Vignes situées « à Feligny ou Clos du Temple, » 1386. (Arch. Nat, S 51641 b, liasse 35, no 2.
    2 — Cartulaire, charte XVII. Cf. charte XI.
    3 — Cartulaire, charte LXIV.
    4 — Cartulaire, charte XXXIX.
    5 — Cartulaires, charte LMV.
    6 — Cartulaire, charte CXIX.
    7 — Cartulaires, charte CXVIII.
    8 — Cartulaire, charte XLIX.
    9 — Cartulaire, chartes CXVIII, CXXVIII.
    10 — Cartulaire, charte LIX.
    11 — II. Sée, Etudes sur les classes serviles en Champagne, 1895, p. 36.
    12 — « Salva justicia mea » (Cartulaire, charte CXXXI). Cette expression doit s'entendre dans le sens d'une réserve générale de juridiction.
    13 — Cartulaire, charte XXII.
    14 — Voir la charte LXXIX, où il s'agit du même individu.
    15 — Cartulaire, chartes III et XLIX.
    16 — Arrêt du bailli de Meaux, en ses assises de Provins, condamnant plusieurs hommes du Temple, actuellement de l'Hôpital, mariés à des bourgeoises de Provins, à payer les impositions mises par la commune sur les dites bourgeoises (12 novembre 1325). Bibl. de Provins, Registre de Michel Caillot, ms. 92 (35), fol. 270.
    17 — C'est le cas particulier du preneur de bail à temps. Nous avons vu précédemment que le serf pouvait posséder une tenue roturière. Cf. charte XXII.
    18 — Il n'en était pas ainsi toutefois, vers 1269, dans les domaines considérables acquis par Renier Accorre à Provins et au sud de cette ville, notamment à Gouaix, Hernie, Noyen, Jutigny. Le registre de ces domaines accuse près de trois cents hommes de corps, tous justiciables et taillables de haut en bas, la plupart soumis à la mainmorte et au formariage. (Bibl. nat, ms. fr. 8393, fol. 64vº-68). Cependant, à côté d'eux, les hommes francs forment le gros de la population rurale. Dans les paroisses que je viens de nommer, comme encore à Bauchery, Vulaines, Gratteloup, etc., plus de mille paysans tiennent de Renier Accorre des biens en censives (Ibid., fol. 61-63, 69-87).
    19 — Le cens est plus fort sur les maisons que sur les champs. Il est d'un denier par arpent labourable, dans un acte de 1256 (charte CXLIV), et le donateur en le cédant au Temple abandonne par là toute directe.
    20 — E. Lefèvre, Les Rues de Provins, p. 213.
    21 — La rente foncière se capitalisait, dans la seconde moitié du XIIIe siècle, entre 8 et 10 pour cent. En 1277, par exemple, 61 sols 3 deniers de rente sont rachetés moyennant 29 livres 3 sols : c'est du 10 pour cent (Cartulaire, charte CLVI); — en 1269, une rente de 20 sous est vendue 12 livres tournois, soit à 8,33 pour cent (charte CLXII).
    22 — Un seul contrat d'accensement confert au preneur la faculté d'aliéner, moyennant le paiement des lods et ventes (Cartulaire, charte IX, an. 1228).
    23 — Cartulaire, charte VI.
    24 — Cartulaire, charte CLXIII.
    25 — Voir les textes : « ad emendationem, chartes XV, LVI, CXVI ; — « in augmentum et meliorationen, » chartes XIII, LV, CXXII, CXXIII.
    26 — Remarquons à ce propos que le sommaire ancien d'un acte se référant à l'année 1232, appelle aumône (elemosina) la somme « ad emendationem, » destinée à l'amélioration de l'immeuble (charte LVI). Mais c'est là, croyons-nous, un « lapsus calami. »
    27 — Cartulaire, charte CXVI.
    28 — Cartulaire, chartes XIII, CXXII.
    29 — Cartulaire, charte LXXI. — Cet acte émané du doyen de Provins et destiné à avoir un effet perpétuel, est passé sous un sceau de cire verte, à l'imitation des usages de la chancellerie royale.
    30 — Cartulaire, charte CXXI.
    31 — Cartulaire, chartes LI et LV.
    32 — Cartulaire, chartes XXX (an. 1240), XVI (an. 1242), CLXIII (an. 1302).
    33 — Cartulaire, charte XVI.
    34 — « Obligavit se ut, ad petitionem eorumdem, singulis diebus dominicis et festivis, candelis accensis, pulsatis campanis, quocumque loco residentiam faceret, excommunicaremus et excommunicari faceremus, donec de predictis condempnis inde habitis dictis fratribus satisfactum fuerit competenter ab eodem. » (Cartulaire, charte XX).
    35 — C'était un moulin à eau. En 1491, la maison du meunier et deux prés, de médiocre étendue, qu'on avait coutume de bailler avec, le tout était affermé moyennant trois muids et demi de blé. Le preneur s'engageait en outre à moudre le grain gratis pour le personnel de l'hôtel de la Commanderie (Arch. nat., S 5164 b, liasse 27, nº 6).
    36 — L'inventaire dressé par Jacquemin, au XVIIIe siècle, mentionne à Provins même parmi les propriétés de la Commanderie, « un moulin, appelé le moulin du Temple, près de la porte de Changy, où aucuns autres habitans que les clercs mariés, non mariés, serfs, bâtards et redevables à ladite commanderie de cens et rente ne peuvent moudre. Pourquoi il arrive souvent des contestations entre le meunier de ce moulin et les meuniers des moulins du roi assis audit Provins, pour raison du droit de chasse et de quête des grains qu'il fait pour son moulin et des saisies qui en sont faites. » (Arch. de Seine-et-Marne, 701, fol. 216 vº).
    37 — Arch. nat., S 5164 b, liasse 27, nº 5 (acte du 7 février 1422-3). — On a confondu à tort (E. Lefèvre, Les Rues de Provins, p. 204) la maison du four du Temple avec celle de la Vicomte de Provins, qui lui était attenante et en dépendait. Celle-ci portait sur sa faÇade les armes de l'ordre de Malte (Arch. nat, S 5164 b, liasse 34, nº 27 et liasse 32, nº 10).
    38 — Cartulaire, charte LXI. Il en est fait mention dans un autre acte non daté. Cf. Charte LXXX.
    39 — Cartulaire, chartes XXXIV et XLIV.
    40 — Michelet, Procès des Templiers, II, 351. — Les Templiers de Provins possédaient de nombreux vignobles. Les Hospitaliers, qui les cédèrent à bail, n'en avaient engagés pas moins de 26 arpents en 1386. (Arch. nat., S 5164 B, liasse 35, nº 2).
    41 — Cartulaire, charte XLII.
    42 — Cartulaire, charte CXLVII. — II y eut encore, en 1299, un nouvel accord à ce sujet avec le chapitre de Saint-Quiriace (Cf. charte CLVIII).
    43 — Cartulaire, charte LXXXII.
    44 — Cartulaire, chartes LXXXIII et XCI.
    45 — Cartulaire, chartes VIII et LXXVIII. Cf. charte II.
    46 — Cartulaire, charte CXXXVIII.
    47 — Opoix, Hist. de Provins, p. 173.
    48 — Cartulaire, charte CXLVIII.
    49 — A. Longnon, Doc. rel. au comté de Champagne et de Brie (1172-1361), T. II Le domaine comtal (Paris, 1904), p. 74, C-E.
    50 — Cartulaire, charte CXLVIII.
    51 — Cartulaire, charte CLI.
    52 — Cartulaire, chartes IX et LXVI.
    53 — Cartulaire, charte CXXXIX.
    54 — Arch. nat., S 5164 B, liasse 35, nº 2.
    55 — Bibl. de Provins, Ythier, tome V, p. 114; Cartulaire, chartes CIII et CIV ; Arch. de Seine-et-Marne, II 701, p. 217. Cf. charte CXXXIX.
    56 — Puisque l'acte de donation figure dans leur Cartulaire, charte LVII.
    57 — Cartulaire, charte XCVIII.
    58 — Cartulaire, charte CII.


    5 — Les revenus et leur l'emploi. Top

    Les revenus de la Commanderie. — II. Achats de biens. III. Opérations financières.

    Des propriétés et des droits de la Commanderie, s'il est comme interdit de connaître quel était le revenu, on peut conjecturer que celui-ci était supérieur à l'entretien du commandeur et des quelques frères occupés avec lui à faire valoir le domaine. C'est même apparemment la raison pour laquelle il y eut un temps à Provins deux maisons de Templiers, le Val et la Madeleine.

    I.

    A l'époque du procès, les biens du Temple, mis sous séquestre, furent régis par Jean Guérin, administrateur délégué pour les bailliages de Troyes et de Meaux (1). L'attribution de ces biens à l'Hôpital, prononcée par le concile de Vienne, dans sa troisième session, le 3 mai 1312 (2), n'eut pas pour conséquence leur restitution immédiate. Quelques années encore le roi s'en appropriera les revenus. En 1320 cependant, les Hospitaliers étaient entrés en possession de la commanderie de Provins (3), à laquelle ils unirent les terres de l'ancien temple de Champfleury (4) et la ferme de Mauny (5), acquise par les Hospitaliers de Thibaud de Sautour en 1296 (6). Par contre, il semble qu'ils aient alors distrait de Provins, pour l'affecter à la commanderie de la Ferte-Gaucher (7), la rente de vingt-sept setiers de blé que le Temple prélevait sur la dîme de Sancy (8). Plus tard, un document auquel déjà nous avons souvent eu recours, le censier de 1386, permet de se rendre un compte exact des recettes que la Commanderie percevait à cette époque : celles-ci étaient de soixante-quinze livres en argent (9) et de quatorze muids de grains. Or, un tel rendement en nature ne correspond pas à moins de quinze à dix-huit mille gerbes. Mais le document ne tient pas compte des charges de l'établissement — celles-ci d'ailleurs en petit nombre (10), — et parmi les redevances en blé Champfleury et Mauny figurent le premier pour quatre muids, le second pour trois muids et demi (11). Ainsi, très probablement, l'exploitation de la Commanderie produisait un revenu disponible assez notable. Cet excédent, comment 1'employait-on ?

    II.

    Chaque maison tenait un compte détaillé des recettes et des dépenses. Les bénéfices restaient à la disposition de l'Ordre, mais on employait une partie des ressources à l'acquisition de nouveaux biens, soit en accordant aux donateurs une prime d'argent, soit en payant les achats leur prix réel. Nous avons eu mainte occasion de le constater : les chevaliers du Temple s'efforcèrent toujours d'acquérir des biens productifs par eux-mêmes d'abondants revenus, comme les tonlieux, les dîmes, la propriété bâtie et les rentes foncières. Mais on peut se demander s'ils n'utilisaient point leurs capitaux à d'autres placements.

    III.

    Parmi les opérations financières des Templiers, il est une sorte de contrat qui dut contribuer à l'extension de leur patrimoine, j'entends nommer le prêt.
    Le prêt d'argent se présente à nous sous deux formes : le mort-gage et le vif-gage. On appelle mort-gage un contrat par lequel l'emprunteur cède au prêteur la propriété ou seulement la jouissance d'un immeuble dont ce dernier recueillera les fruits jusqu'au jour du remboursement, sans que ceux-ci viennent en déduction de la somme due. Dans le vif-gage au contraire les fruits et revenus sont affectés à l'amortissement de la dette. D'où le brocard : « le vif-gage est qui s'acquitte de ses issues, le mort-gage qui de rien ne s'acquitte » (12). Partant, de ces deux contrats le premier seul, le mort-gage, est une opération de lucre, l'autre, le vif-gage, étant par nature gratuit, est plutôt « un acte de bienfaisance » (13).
    Que les Templiers de Provins aient employé le vif-gage comme moyen de venir en aide aux particuliers « in eorum necessitatibus, » c'est possible. Nos chartes célèbrent « moult de biens, de services, « curialités, » bontés et courtoisies » dont plusieurs furent privilégiés. Cette assistance s'exerÇait-elle en tout désintéressement ? Un bienfait était rarement perdu pour l'Ordre : car ses obligés ne voulant « mie le vice d'ingratitude encourrir, » lui cédaient certaines fois « en recompensation, » par donations entre vifs, une partie de leurs biens. C'est ainsi que nos Templiers obtinrent de la famille Couppe, en 1237, une maison assise rue de Changy >(14), et plus tard, en 1301, de dame Aveline, quatre « chambres » situées rue de la Bretonnerie (15).

    Très apprécié des particuliers, le vif-gage l'était moins des moines, soucieux d'assurer à leurs capitaux un placement plus rémunérateur et certain. La bonne affaire, ceux-ci l'avaient à leur disposition dans le mort-gage immobilier, qui fut d'un usage général au XIIe siècle. Mais ce mode de crédit, secourable à qui pouvait racheter son bien sans trop attendre, aboutissait le plus souvent pour l'emprunteur à la perte de l'immeuble engagé et devenait ainsi « surtout un prêt de pure consommation. Or l'Eglise a toujours poursuivi cette espèce de prêt de ses malédictions » (16). Condamné par elle au synode de Tours en 1163 et, d'une manière solennelle, au troisième concile de Latran, en 1179, le mort-gage n'offre plus que des exemples fort rares au siècle suivant. L'un d'eux figure dans notre cartulaire sous l'année 1233 (17). Voici l'analyse de la pièce (18).

    Guillaume de Gimbrois avait engagé aux religieux du Temple quatre arpents et demi de terre pour une somme de quarante sols reÇus d'eux en prêt (mutuo recepif). L'acte fait une allusion rapide à ce « mutuum » qui dut consacrer une convention antérieure, probablement verbale. En tout cas, il était expédient pour le Temple d'avoir entre les mains un titre qui, à défaut de paiement, lui reconnut la propriété de l'immeuble engagé. C'est à cette fin que Guillaume se présente devant le doyen de la chrétienté de Provins. Il reconnaît aux Templiers, sans indiquer comment ils l'ont acquise, la propriété d'une terre de quatre arpents et demi (que habent), que cultive un de leurs hommes, Pierre de Gimbrois (19). Cette terre, que les religieux tiennent de lui, moyennant les cens et coutumes d'usage, ils en jouiront (tenerent pacifice) tout le temps qu'il leur sera redevable des quarante sols à lui prêtés, et jusque dans l'an et jour qui suivra le remboursement. Cette dernière clause était une précaution nécessaire pour empêcher que le créancier gagiste ne fût frustré des fruits de la dernière année. La récolte faite, le Temple devra se dessaisir de la terre (predictam terram extra manum suam ponere). On n'indique pas la date du paiement, mais il est probable que le créancier avait tout intérêt à ne pas être remboursé, auquel cas la terre devenait à jamais la propriété de l'Ordre. C'est d'ailleurs, je crois, ce qui arriva (20).

    Les autres opérations financières des Templiers de Provins méritent seulement une courte mention. Les seuls exemples qui me reviennent à l'esprit sont pour le moins autant d'ordre civil.
    Une fois, en 1277, il s'agit d'un mouvement de fonds opéré par le commandeur du Temple : celui-ci remet pour un mineur, entre les mains du maire et des prud'hommes de la ville de Provins, une somme de dix-huit livres que ceux-ci devront lui rendre à sa majorité (21). SoupÇonnerait-on dans l'espèce un cas de tutelle ? Ailleurs, je note que la tutelle du Temple ne comporte ni la garde ni la gestion des biens de mineur (22).
    Enfin le rôle du commandeur consiste parfois à se porter caution pour un tiers, ce qui advint, en 1222, lorsque frère Haymard garantit l'observation d'un engagement pris par le comte de Champagne envers deux de ses sujets (23).
    Sources : Carrière Victor, Histoire et cartulaire des templiers de Provins, Libriaire Champion, Paris — 1919

    Notes

    1 — A. Pétel, Comptes de régie de la Commanderie de Payns (1307-1300) (Troyes, 1908), p. 24.
    2 — La décision adjugeait les biens du Temple à l'ordre de l'Hôpital, sauf dans les royaumes d'Aragon, de Castille, de Majorque et de Portugal, où ils furent attribués plus tard à des ordres nationaux en lutte contre les Sarrasins.
    3 — Arch. nat., S 5162 n, liasse 29, nº 2, acte du 16 mai 1320.
    4 — Le domaine de Champfleury (Seine-et-Marne, arr. de Provins, cant. de Villiers-Saint-Georges, commune de Monceaux-en-Brie) n'était pas un membre de la Commanderie du Val-de-Provins, du temps des Templiers, comme l'a cru M. Mannier (Les commanderies du Grand-Prieuré de France, p. 234). Les membres de Commanderie sont une création des Hospitaliers et le temple de Champfleury conserva son autonomie jusque dans les dernières années de l'Ordre. (Michelet, Procès des Templiers, II, 388).
    5 — Arch. nat., S 5164 B, liasse 35, nº 1 et 2; S 5558, Visite de 1495, fol. H.
    6 — V. Carrière, Les Etablissements religieux de Melz-sur-Seine, dans le Bull, d'hist. et d'arch. du diocèse de Meaux, t. IV, p. 1.32.
    7 — E. Mannier, Les commanderies du Grand-Prieuré de France, p. 219.
    8 — Cartulaire, chartes CXXX et CXLI.
    9 — De cette somme, la plus grande part provenait du loyer des maisons ; les cens y figurent pour 28 sols 6 deniers.
    10 — Entre autres, la Commanderie devait servir annuellement à l'abbesse du Paraclet deux muids de blé. (Cartulaire, charte XXXIX).
    11 — Arch. Nat, S 5164 b, liasse 35, nº 2.
    12 — Loisel, « Institutes coutumières, » liv. III, titre VII, art. 2.
    13 — R. Génestal, « Rôle des monastères comme établissements de crédit, étudié en Normandie du XIe siècle à la fin du XIIIe siècle » (Paris, 1901), p. 9.
    14 — Cartulaire, charte CLXI.
    15 — Cartulaire, charte CLX.
    16 — R. Génestal, Du rôle des monastères comme établissements de crédit, p. 78.
    17 — M. Génestal a trouvé une explication ingénieuse de la rareté des contrats de mort-gage dans les cartulaires : « Supposons, dit-il, un mort-gage que l'emprunteur ne peut dégager et qui devient la propriété de l'abbaye, il est utile de le mentionner; il sera même utile de mentionner l'existence du gage tant qu'il y a incertitude sur son rachat, car éventuellement il appartiendra à l'abbaye. On copiera donc dans le cartulaire la charte qui mentionne l'acquisition en propriété de la terre engagée, et tout gage aussi pourra être mentionné dont la solution est encore incertaine. Mais quel intérêt l'abbaye a-t-elle à conserver le souvenir d'un gage qui a été racheté, d'une opération qui n'a rien laissé dans le patrimoine immobilier de l'abbaye ? Telle est à notre avis la raison qui, avec la rareté générale des documents anciens, contribue à expliquer la pénurie des textes de constitution de rente. » Du rôle des monastères, p. 18.
    18 — Cartulaire, charte LXXIX.
    19 — Chartes III et XLIX.
    20 — Les Templiers n'avaient aucune raison d'introduire dans leur cartulaire, dont la confection n'est certainement pas antérieure à 1243, un contrat de mort-gage passé sous l'année 1233, si la terre engagée avait fait l'objet du rachat.
    21 — « Frères Jehans commandierres dou Temple de Prouvins... XVIII Ib. de tournois por androit de Jehannin fil de Martin de Joy et fil feu Johanne fille feu maistre Jehan d'Auceurre, des quiex XVIII Ib. li X Ib. estoient por la reson des chambres de la Lormerie es quiex li anfes avoit... Et doit randre li meires et li eschevin les XVIII It. quant il anfes sera à aaige. Et ce fu fait l'an de grâce M. CC. LXXVII ou mois de juignet, le vanredi devant la Saint Martin le Boillant (Bibl. de Provins, ms. 89 (Michelin 34) Cartulaire de la ville de Provins, fol. 26 rº).
    22 — Cartulaire, charte XXI.
    23 — Cartulaire, charte CXXXI.

    Sources : Carrière Victor, Histoire et cartulaire des templiers de Provins, Libriaire Champion, Paris — 1919

    6 — Les Templiers de Provins et le Procès du Temple. Top

    Origines du procès. — II. Arrestation des Templiers de Provins. — III. « L'enquerre » royale. — IV. Quatre Templiers de Provins son transférés de Melun au Temple de Paris. Leurs aveux. — V. Impossibilité de conclure à la culpabilité de l'Ordre. — VI. Rétractation des premiers aveux. Simon Chrétien devant le Pape à Poitiers (30 juin 1308). — VII. Reprise du procès : procès contre les personnes et procès contre l'Ordre. — VIII. Déclarations des groupes auxquels appartiennent les Templiers de Provins. — IX. Courage de Laurent de Provins. — X. La commission pontificale choisit Renaud de Provins pour défendre l'Ordre. Mémoire justificatif qu'il présente (1er avril 1310). — XI. Riposte du Roi. Brusque convocation du concile de Sens. Renaud de Provins en appelle au Pape. — XII. Le sort des Templiers de Provins. Renand est condamné au mur perpétuel. — XIII. Suppression de l'ordre du Temple (3 avril 1312).

    I.

    On sait comment Tordre du Temple fut aboli sous le pape Clément V et le roi Philippe le Bel. Après la suppression de l'Ordre par le concile de Vienne, en 1312, la plus grande part des biens qu'il possédait en France fut dévolue aux Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Déception irritante pour le roi qui vit s'évanouir du coup le rêve de longues années d'efforts, d'intrigues et de violences. Il est de fait que dans l'affaire du Temple, le zèle de Philippe le Bel ne couvrait pas autre chose que la confiscation à son profit de richesses immenses. Avant que les besoins du royaume l'eussent amené successivement à fausser le cours des monnaies, à spolier les banquiers lombards (1291), puis les Juifs (1306), personne ne s'était avisé de porter contre le Temple une accusation d'hérésie (1). Les premiers bruits prirent naissance en Gascogne. Répandus à profusion, grossis, puis habilement exploités par Nogaret, ils ne tardèrent pas à rendre nécessaire l'intervention du pouvoir ecclésiastique. Une enquête prudente s'imposait. Mais les accusateurs craignaient qu'il ne leur en advint de la confusion et ils brusquèrent les événements.
    Une fois le procès engagé, quelle fut l'attitude des Templiers de Provins au cours des divers interrogatoires qu'ils eurent à subir ? Nous allons voir (2).

    II.

    Sur un ordre royal, envoyé secrètement aux baillis, les Templiers de France furent arrêtés presque le même jour, au mois d'octobre 1307. Quelques-uns, instruits sans doute du danger qui les menaÇait, avaient quitté l'Ordre depuis peu, comme Moutonet de Provins (3) ; d'autres réussirent à fuir. Les religieux appréhendés à la commanderie du Val et à la Madeleine, furent menés captifs au château de Melun où l'on devait rassembler tous les Templiers des villes voisines (4). Quel en était le nombre ? Les pièces du procès nous font connaître seulement deux frères servants, un nommé Simon Chrétien, économe, et Constant de Bissey-la-Côte, qui s'occupait de la vente des vins. Mais à défaut d'autres religieux dont on puisse affirmer la résidence à Provins même, les textes nous en révèlent plusieurs qui étaient pour le moins originaires de cette ville (5). Ce sont, dans l'ordre où ils se présenteront à nous, Jean de Provins, Renaud de Provins, Etienne de Provins, Laurent de Provins et Eudes de Provins.

    III.

    Aussitôt après leur arrestation, les prisonniers subirent un interrogatoire devant les officiers du roi, chargés de préparer le travail aux inquisiteurs. On connaît « la manière de l'enquerre. » Les accusés, informés par les enquêteurs que le pape et le roi n'ignoraient rien de ce qui se passait au Temple, étaient interrogés sur leur « erreur et bougrerie. » Les crimes de l'accusation étaient énormes, extravagants : reniement du Christ, crachats sur la croix, baisers obscènes, et jusqu'aux actes de sodomie, enfin l'adoration d'une idole. Ceux qui refusaient d'avouer étaient torturés, tenaillés : plusieurs succombèrent à leurs blessures ; les innocents n'avaient d'autre ressource que le mensonge : à ce prix, on leur assurait la vie sauve et le pardon. Ainsi s'explique le grand nombre d'aveux que recueillirent les inquisiteurs, sans avoir toujours eu recours à la question ; le plus souvent d'ailleurs, le commissaire qui avait fait la première enquête se trouvait là pour confronter les déclarations de l'inculpé.

    IV.

    Transférés au Temple de Paris, Constant de Bissey, Jean et Renaud de Provins y furent interrogés le 7 novembre, Simon Chrétien le 13.

    Voici leurs dépositions :
    Au dominicain Nicolas d'Annecy, délégué par le grand inquisiteur, Constant de Bissey-la-Côte répond : « Je suis âgé de quarante ans. Lors de mon arrestation, je résidais à Provins, où j'étais employé à la vente des vins. Ma profession religieuse remonte à treize ans environ. J'ai été reÇu à Chalon-sur-Saône, par le précepteur Eudes de Châteauneuf, en présence des frères Etienne de Bure et Guillaume, aujourd'hui décédés, et de plusieurs autres. Après avoir prêté serment d'observer les statuts et de garder les secrets de l'Ordre, frère Eudes m'imposa le manteau du Temple, puis me donnant un crucifix d'argent, il m'ordonna de renier trois fois le Christ et de cracher autant de fois sur la croix. Comme je m'y refusai, les frères qui étaient présents me saisirent par le corps et m'y contraignirent, disant que c'était l'usage. Je cédai à contrecoeur. Certes, mieux eut valu que l'Ordre jamais n'existât ! J'y suis resté pourtant, parce que j'y avais des amis qui m'en facilitèrent l'entrée, mais à présent que je vois ce qu'il en est, je ne puis dire à proprement parler de ceux-ci, qu'ils furent pour moi des amis. A la fin, celui qui me recevait se fit embrasser par moi sur la bouche et sur le nombril ; il m'ordonna encore de le baiser au bas de l'épine dorsale, mais je m'y refusai » (6).

    Jean de Provins déclare : « Je suis âgé de dix-huit ans et j'appartiens au Temple de Fresnoy (7). Il y a deux ans, j'ai été reÇu dans la maison de Payns (8) par Raoul de Gisy, receveur de Champagne, en présence de Raoul Turpin, Barthélemi de Troyes et autres. Après avoir prêté serment, je reÇus le manteau de Templier et Raoul de Gisy m'ordonna de le baiser sur la bouche et sur le nombril, vêtements interposés. J'obéis. Il fit ensuite apporter un crucifix et m'enjoignit de renier trois fois le Christ et de cracher trois fois sur la croix. Je refusai. Je fus alors enfermé par son ordre dans un cachot, où je restai huit jours au pain et à l'eau. « Tirez-moi d'ici, criai-je, je ferai tout ce que vous voudrez. » Une fois dehors, je reniai par trois fois le Christ, de bouche et non de coeur, et je crachai trois fois non sur le crucifix, mais par terre » (9).

    — Ajoutons que cette déposition fut contredite par Nicolas de Troyes devant la commission pontificale en 1311 (10). De tous les Templiers natifs de Provins, Renaud est la figure la plus intéressante. C'est un prêtre, un lettré habile en l'art de bien dire et versé dans la connaissance du droit. Quand la commission pontificale, chargée d'instruire le procès contre l'Ordre, formera une sorte de comité de défense, parmi les délégués des groupes, c'est Renaud de Provins, et avec lui Pierre de Boulogne, procureur de l'Ordre en Cour romaine, qu'elle choisira les premiers, comme les plus capables, pour faire valoir les intérêts du Temple. L'importance du personnage ajoute donc à l'intérêt de sa déposition. « Je suis âgé de trente-six ans, dit-il, et précepteur du Temple d'Orléans. J'ai été reÇu, voici quinze ans, dans la chapelle du Temple de Provins, sur le coup de midi, par Geoffroi, lieutenant du précepteur de la baillie de Brie, en présence d'un frère, nommé Hugues, et de plusieurs autres dont les noms m'échappent, et qui tous sont morts. Une foule de parents, d'amis et de curieux stationnait aux portes de la chapelle, attendant l'issue de la cérémonie. Lorsque j'eus prêté serment d'observer les statuts et de garder les secrets de l'Ordre, on me revêtit du manteau, puis un frère, je ne sais plus lequel, me désignant dans un missel l'image de Jésus-Christ, me demanda : « Crois-tu en lui ? » — Non, répondis-je. Et je faisais à part moi cette distinction : Je crois non pas en cette image, mais en Celui qu'elle représente. — « Tu as bien parlé, me dit alors frère Hugues, car c'est un faux prophète. » Mais incontinent quelqu'un de répliquer : « Tais-toi ! Tais-toi ! Nous l'instruirons ailleurs de nos statuts. » Et remettant à plus tard cette initiation, sans doute à cause de la foule qui s'impatientait au dehors et parce que l'heure était avancée, ils se retirèrent... Profondément troublé par les paroles que je venais d'entendre, je ne pus prendre aucune nourriture ce jour-là; les jours d'après et jusqu'à l'Avent, une grande faiblesse s'empara de moi, tellement qu'on n'exigea plus rien de moi, et l'on me permit l'usage de la viande pendant tout l'Avent. M'étant confessé de ces faits à frère Nicole, du couvent des Dominicains de Compiègne, qui avait reÇu de l'archevêque de Reims tout pouvoir pour absoudre, il ne me cacha pas combien lui était pénible le choix que j'avais fait de la milice du Temple, et plusieurs fois il me proposa d'entrer chez les Frères-Prêcheurs. De ma vie, je n'ai vu ni ouï les statuts de l'Ordre. Ceux qui les avaient en garde, après d'instantes prières consentirent, voici deux mois, lorsque j'étais à Poitiers, à me montrer le chapitre concernant les Prêtres. Et c'est pourquoi j'ai l'impression que ceux-là ont dit la vérité, qui ont reconnu les erreurs dont nous sommes accusés » (11).

    Arrivons à Simon Chrétien, jeune homme d'une vingtaine d'années, que l'on avait étroitement incarcéré avant l'interrogatoire. « J'ai été reÇu dans l'Ordre il y aura deux ans le lundi de Pâques venant. Ma profession eut lieu au Mont-de-Soissons par Gérard de Villiers, en présence de plusieurs frères (12) qui m'étaient inconnus. Sitôt après, je fus conduit hors de la maison, dans une chambre où je trouvais le président, étendu sur un lit et malade. Ayant promis d'observer les statuts et de garder les secrets de l'Ordre, on m'attacha le manteau de templier. Puis, Gérard de Villiers me fit voir dans un missel l'image de la Crucifixion, et me demanda : « Crois-tu en Jésus-Christ ? » — « J'y crois. » — « Crache dessus. » Je résistai longtemps, puis contraint, je crachai sur la croix et reniai le Christ, non pas de coeur mais de bouche seulement. Je ne sais rien des autres articles de la règle. Si je n'en fus pas instruit sur-le-champ, je l'attribue à l'état de lassitude et d'accablement du président, qui, déjà souffrant, fut excédé par ma résistance. Et sur son ordre, je fus envoyé dans une maison de la Brie, où l'on devait achever mon initiation (13).

    Ainsi mis en demeure de choisir entre la torture ou l'aveu, quatre des Templiers de Provins acceptèrent, au lieu de tout nier, certains chefs d'accusations seulement. Et si nous résumons leurs dépositions, nous relevons les trois principaux griefs en somme qui furent reconnus, puis rétractés, par le plus grand nombre de leurs frères en religion, à savoir le reniement du Christ, les crachats sur la croix et les baisers obscènes.

    V.

    Que conclure ? Je ne sais plus quel jurisconsulte disait : « Le malheureux qu'on applique à la question songe moins à dire ce qu'il sait qu'à se délivrer de ce qu'il sent. » C'est là un fait d'évidence. Arrachés à force de tortures ou par la crainte, les aveux renouvelés au Temple de Paris n'ont aucune valeur. Peut-être même eussent-ils été moins nombreux si le grand-maître du Temple, Jacques de Molay, séduit par les promesses de l'inquisiteur général, n'avait enjoint à ses religieux d'avouer comme lui (14). Néanmoins, il demeure établi par de libres témoignages (15), que les épreuves dont nous venons de faire le récit étaient imposées aux postulants à leur entrée dans l'Ordre. Seulement, et ceci ne paraît pas moins certain, ces rites burlesques, exigés des récipiendaires le jour même et sitôt après qu'ils s'étaient engagés par un triple voeu à l'observance stricte de la règle, ne peuvent signifier, ils n'étaient en réalité que des bouffonneries grossières, des brimades par lesquelles les anciens se plaisaient à s'assurer du degré d'énergie et de soumission des jeunes frères servants. Plusieurs en effet, vieillis sous les armes, avaient contracté dans les camps des moeurs de soudrille. D'autres, éprouvés dans leur foi naïve par les revers que la cause chrétienne avait subis en Palestine, en conservaient un fonds mouvant d'amertume, et des blasphèmes comme Renaud de Provins en entendit peut-être le jour de sa profession, n'étaient pas sur les lèvres des propos invraisemblables. Mais la signification vraie de ces bizarreries n'échappait guère aux moins perspicaces. Quand le grotesque de la situation ou certaines attitudes par trop affectées de pince-sans-rire n'arrivaient pas à rassurer le récipiendaire, le précepteur s'y prêtait parfois sans phrases : « Va te confesser, imbécile ! » disait un chevalier à un jeune profès encore tout ému d'avoir craché sur la croix (16). Le fait que rapporte Pierre de Chevru (17), est également pour nous instruire. A l'issue de la cérémonie, un des assistants, celui qui l'avait contraint à renier le Christ, ne put s'empêcher de sourire de sa docilité, et cela, visiblement, par dérision (18). Comme l'un d'eux en fit un jour l'aveu : il n'y fallait voir qu'une simple plaisanterie (19). Par ainsi, ces jeux imprudents, ces propos de corps de garde n'avaient en soi aucune portée doctrinale, ils n'enchaînaient nullement la conscience du récipiendaire. La majorité des témoins semble l'avoir ainsi compris : « Ore et non corde, » avouèrent-ils.
    Que de telles pratiques, dégagées du secret des réunions, aient pris à distance un singulier relief, même en admettant l'existence de fautes individuelles, on ne peut conclure à la culpabilité de l'Ordre. Des centaines de Templiers sont morts plutôt que d'y souscrire, et ces négations héroïques affirmées en dépit de l'estrapade et sur le chevalet, comment les expliquer, si ce n'est par respect pour la vérité. Beaucoup d'ailleurs qui avouèrent allaient revenir courageusement sur leurs dépositions, dès qu'il leur serait permis de pouvoir parler sans contrainte.

    VI.

    Indigné, il devrait l'être, de l'arrestation, accomplie à son insu, de religieux que couvrait l'immunité ecclésiastique, Clément V, dès que la nouvelle lui parvint, suspendit les pouvoirs des inquisiteurs et appela toute l'affaire à lui. Deux cardinaux, Béranger Frédol et Etienne de Suisi, envoyés vers le roi de France, furent alors chargés par le pape de mener une enquête complémentaire. L'intervention pontificale enlevait à la procédure l'emploi de la question, et les prisonniers qui eurent connaissance de ce changement, entrevoyant pour eux la possibilité de proclamer leur innocence sans risquer le châtiment suprême, revinrent en grand nombre sur leurs premières déclarations.
    L'ample mouvement de rétractations, entrepris dès lors sous l'initiative du grand-maître (20), remua profondément l'opinion. Comment arguer des aveux obtenus pour établir la culpabilité de l'Ordre, puisque ces aveux, arrachés à la plupart par la torture, étaient tous les jours formellement rétractés. Il y avait dans l'attitude nouvelle prise par les accusés, toutes les apparences d'une gageure, d'un défi jeté à l'accusation ; et le pape, ne pouvant plus croire aux griefs articulés, se décida d'entendre lui-même quelques témoins. Alors, soixante-douze Templiers, des frères servants pour la plupart, — quelques-uns même avaient quitté l'Ordre, — tous triés parmi les lâches et décidés à persister dans leurs aveux, lui furent envoyés par le roi, du Temple à Poitiers. De ce nombre était Simon Chrétien. Son interrogatoire eut lieu le 30 juin 1308. De sa déposition devant l'inquisiteur, sa mémoire n'a plus un dessin net, mais des fragments. On se rappelle qu'il y reconnaissait avoir craché sur la croix pour obéir à l'injonction de son précepteur. Or, il déclare maintenant, sans la moindre hésitation, qu'il n'a de sa vie été soumis à pareille épreuve. Cas d'amnésie vraiment regrettable et qui enlève toute valeur à son témoignage, même si les pratiques incriminées eussent été réelles. Le reniement du Christ, c'est tout ce qu'il avoue de compromettant, et il pense que chaque récipiendaire est tenu d'obtempérer à cette invite, sous peine d'emprisonnement perpétuel. Quant à lui, il s'est confessé de cette faute au chapelain de la maison, qui lui a imposé pour pénitence de réciter le psautier. Enfin, il demande miséricorde (21).
    La déposition de Simon Chrétien, non plus que celle des autres religieux, — six d'entre eux devaient plus tard témoigner qu'ils avaient menti — ne semble pas avoir pleinement résolu les doutes du Pontife. Eut-il soupÇon de l'indigne comédie que le roi venait de faire représenter devant lui ? Au lieu de terminer l'affaire, comme l'en pressait Philippe, par la condamnation de l'Ordre, Clément, embarrassé, décida la reprise du procès (juillet 1308). Elle eut lieu sous deux formes : procès contre les personnes, procès contre l'Ordre.

    VII.

    Le procès organisé contre les personnes, c'est-à-dire contre les membres de l'Ordre pris en particulier, fut mené dans chaque diocèse par l'évêque qui devait préparer les éléments d'une sentence rendue en concile provincial. Le procès contre l'Ordre même fut confié à une commission pontificale, chargée de recueillir des preuves décisives pour le jugement du concile de Vienne.
    L'inquisition du diocèse de Paris fut menée durement. Ponsard de Gisy déclara plus tard que trente-six de ses frères en religion étaient morts des tortures qu'ils subirent alors. Ces procédés barbares eurent raison d'Etienne de Provins, jeune religieux, qui n'avait pas un an de profession lors de l'arrestation de 1307 (22). Il devait d'ailleurs revenir sur ses déclarations en présence de la commission pontificale.

    Cette commission, constituée en tribunal, était présidée par Gilles Aicelin, archevêque de Narbonne. Tous les Templiers du royaume, qui avaient à parler pour ou contre l'Ordre, furent cités à comparaître devant elle. Plus de six cents répondirent à cet appel. Parmi ces religieux, conduits à Paris sous bonne garde et répartis dans divers immeubles, transformés en maison de sûreté, nous rencontrons pour la première fois Laurent et Eudes de Provins. L'un, amené de « Thiers » (23), au diocèse de Sens, avait été incarcéré avec dix de ses confrères dans la maison de l'abbé de Lagny, près la porte du Temple (24) ; l'autre, en compagnie de vingt autres religieux, était logé dans l'immeuble du prieur de Cornay (25).

    Constant de Bissey, Renaud et Jean de Provins comparurent devant la commission pontificale le 10 février 1310 (26), Laurent, le 14 (27), Etienne le 18 (28). Interrogés séparément, ils déclarèrent vouloir venger le Temple des imputations calomnieuses qui pesaient sur lui. Le 28 mars, nous les retrouvons dans le jardin de l'évêché de Paris, parmi les 546 Templiers qui s'étaient offerts à défendre l'Ordre. On leur donne lecture en latin des charges portées contre eux dans la bulle « Faciens misericordiam, » qui relate les dépositions entendues par le pape à Poitiers. Au peu qu'ils comprennent, les voici qui s'indignent, s'exaspèrent. On voudrait les calmer. Quelqu'un les invite à choisir plusieurs d'entre eux qui agiraient par procuration et soutiendraient la défense au nom de tous. Deux de leurs prêtres élèvent alors la voix. Ce sont Renaud de Provins et Pierre de Boulogne. Leurs doléances ne manquent ni d'à-propos, ni d'éloquence. Depuis le jour de leur arrestation, les malheureux sont privés de sacrements, dépouillés de l'habit religieux, spoliés de leurs biens et retenus en prison. Quant aux procureurs à désigner, ils ne le peuvent faire sans l'autorisation du grand-maître (29).

    Les jours suivants, les notaires de la commission visitèrent les groupes de détenus pour les amener à nommer des procureurs. Et comme les notaires insistaient, s'offrant à écrire tout ce que les prisonniers pourraient faire valoir pour la défense, les révélations que fournirent les religieux éclairent d'un jour lugubre les barbaries et l'immoralité des moyens employés par les premières procédures.

    VIII.

    Il n'est pas sans intérêt de rapporter leurs déclarations, celles du moins que firent à cette occasion les différents groupes auxquels appartenaient les Templiers de Provins.
    Signalons d'abord le désarroi qui s'était emparé de tous ces pauvres gens, la plupart illettrés, incapables par leur nombre même de se concerter pour une action d'ensemble, sans conseil et dépourvus de toute initiative !... Beaucoup refusent de constituer des procureurs sans l'autorisation du grand-maître; quelques-uns réclament l'assistance de gens éclairés; d'autres, plus, confiants dans l'impartialité de la commission, proposent à son choix des mandataires élus parmi eux ; mais le plus grand nombre s'offre à défendre l'Ordre, et plusieurs jusqu'à la mort.

    Le groupe de détenus le plus nombreux, celui du Temple, comprenait soixante-quinze religieux, dont Etienne de Provins. A leur demande, les notaires écrivirent sous la dictée de l'un d'eux, Pierre de Boulogne : « ... Les chefs d'accusation contenus dans la bulle du pape sont infâmes, déraisonnables et mensongers... L'ordre du Temple est pur et n'a jamais été souillé de pareils vices... Ceux qui le prétendent, parlent comme des infidèles et des hérétiques. Nous sommes prêts à le prouver : nous défendrons l'Ordre de coeur, de bouche et de fait, et par tous les moyens convenables. Pour cela nous demandons notre mise en liberté. Il importe aussi que nous puissions comparaître en personne au concile général, et que ceux qui parmi nous ne pourront s'y rendre y soient représentés. »

    "Les Frères qui ont reconnu pour vrais les griefs de l'accusation ont menti; et l'on ne peut s'en prévaloir, ni contre les personnes ni contre l'Ordre, car de tels aveux leur ont été arrachés au moyen de supplices intolérables et par peur de la mort. Ceux qui n'ont pas été soumis personnellement à la torture ont vu leurs frères torturés et, tremblants d'effroi, ils ont avoué tout ce que les bourreaux ont voulu ; mais ils sont excusables, car le supplice d'un seul suffit à terroriser une multitude, et puis, ils n'avaient d'autre moyen que le mensonge pour échapper à la question. Peut-être aussi, plusieurs ont-ils été séduits à force d'instances par la flatterie, par de belles promesses ou des menaces » (30).

    IX.

    Nombre de religieux, en dépit des supplices, n'avaient toutefois cessé de proclamer hautement l'innocence du Temple. C'est la fière déclaration que firent aux notaires de la commission, Laurent de Provins et ses dix compagnons de geôle : « Ni la torture, ni les promesses ne nous ont ébranlés. Aucun de nous n'a avoué une seule des erreurs reprochées à l'Ordre » (31).

    X.

    Des délégués choisis par quelques groupes, la commission d'enquête retint pour la défense quatre religieux que la majorité des détenus consentit provisoirement à reconnaître, répudiant d'avance tout ce qu'ils pourraient dire contre l'Ordre. Ce furent, avec Renaud de Provins et Pierre de Boulogne, les chevaliers Guillaume de Chambonnet et Bertrand de Sartiges.
    Le 1er avril 1310, Renaud de Provins présenta à la commission un mémoire justificatif. Il appelait son attention sur tous les points délicats du procès ; il demandait l'arrestation des Templiers qui, gagnés par des sollicitations de toute sorte ou peut-être à prix d'argent, tenaient journellement contre l'Ordre des propos scandaleux, jusqu'à ce qu'il apparût s'ils avaient porté un vrai témoignage; ils priaient notamment qu'on interrogeât ceux qui avaient assisté les religieux à leur mort, et tout particulièrement les prêtres qui les avaient entendus en confession (32).
    Un tel moyen de défense ne manquerait pas aujourd'hui de faire scandale (33). Mais au XIIIe siècle, la plupart des canonistes admettaient volontiers, à la suite de saint Raymond de Pennafort, que, dans l'intérêt du pénitent et plus encore dans l'intérêt général, le confesseur n'était pas tenu par le secret à l'égard de l'hérétique qui se refusait à renoncer à son erreur. Or, tel était le cas du templier qui, ayant avoué une première fois et après s'être réconcilié avec l'Eglise, revenait sur ses aveux antérieurs. Où il n'y a pas de sacrement, il ne peut y avoir de secret sacramentel, et celui qui fait un aveu sans ferme propos, disait-on, celui-là agit en opposition avec ta nature du sacrement (34).
    Si, depuis Soto, le système contraire a prévalu dans l'Ecole, l'argumentation de Renaud de Provins empruntait à l'opinion la plus répandue de son temps une valeur incomparable. « Interrogez, semblait-il dire aux juges de l'instruction, interrogez ceux qui ont entendu nos Frères en confession; faites parler les geôliers qui les ont assistés à leurs derniers moments : à défaut d'une preuve matérielle, encore à produire contre nous, leurs témoignages vous édifieront sur nos prétendues erreurs. Et vous vous convaincrez que la « religion » du Temple est pure de toute hérésie, car nul parmi nous, non seulement ne s'est pas rétracté à l'heure de la mort, mais aucun n'a été dénoncé comme hérétique impénitent. »
    On n'avait encore rien dit pour la défense qui mît en lumière et fit ressortir aussi clairement l'innocence des accusés (35). Eux-mêmes d'ailleurs se reprenaient à l'espérance. Chaque jour de nouveaux adhérents demandaient à parler en faveur de l'Ordre. Le 2 mai déjà leur nombre était passé à 573. Cette émulation était de bon augure. Visiblement, le procès s'orientait vers une issue fâcheuse à la politique du roi.

    XI.

    Un brusque coup de théâtre changea le cours des choses. Sous l'inspiration du monarque, Philippe de Marigny, récemment transféré de Cambrai au siège archiépiscopal de Sens, convoqua précipitamment à Paris le concile de sa province. On se rappelle que cette assemblée pouvait condamner sans les entendre les Templiers déjà examinés par les inquisitions diocésaines. Par un procédé barbare, inconnu de l'Inquisition même qui reconnaissait au patient le droit de se désavouer après la torture, toute rétraction fut considérée, de la part de l'accusé, comme un cas plus grave que la protestation d'innocence du début, et le constitua relaps, ce qui entraînait pour lui la peine du feu. Voyant qu'un certain nombre de leurs frères étaient perdus, les délégués du Temple en appelèrent aussitôt au pape. Appel inutile : car les enquêteurs pontificaux étaient incompétents à le recevoir et l'archevêque de Sens agissait en vertu d'une délégation apostolique. Le 11 mai, sans interroger à nouveau les accusés, le concile provincial condamna donc comme relaps cinquante-quatre Templiers qui avaient révoqué leurs précédentes confessions. Vainement la commission pontificale essaya-t-elle d'arracher ces malheureux à la mort. Le lendemain, ils furent conduits hors la ville et suppliciés dans un champ voisin de l'abbaye Saint-Antoine.

    Inviter les accusés à se défendre, puis les livrer aux flammes parce qu'ils rétractaient les aveux arrachés par la question, cet attentat d'une rare déloyauté eut les conséquences immédiates qu'on en attendait. Atterrés par la vision du bûcher, la plupart des religieux qui s'étaient offerts à la défense se désistèrent; d'autres revinrent à leurs premières déclarations, et ceux qui persévérèrent dans leur généreuse résolution, se virent ou condamnés à des peines plus ou moins graves, ou dégradés et emmurés pour la vie. Philippe-le-Bel pouvait dès lors envisager sans inquiétude l'ouverture du prochain concile général.

    XII.

    Aucun document ne renseigne sur le sort que subirent, Renaud de Provins mis à part, nos Templiers. Simon Chrétien obtint sans doute la liberté, ainsi qu'on le lui avait promis, en retour des aveux passés devant le pape à Poitiers. Par contre, nous avons de fortes présomptions pour penser que Laurent de Provins conserva cette attitude courageuse, que ni les premières enquêtes ni les longs mois de captivité n'avaient pu fléchir. Mais des autres, Constant de Bissey-la-Côte, Jean, Etienne, et Eudes de Provins, quelle fut l'attitude dernière ? Le silence qui se fait sur leurs noms et leurs variations au cours de la procédure rend toute conjecture impossible.
    Il n'en va pas de même pour Renaud de Provins, le champion le plus redoutable du Temple. Le concile s'était saisi de lui, sous le prétexte de le juger. Le 18 mai, la commission d'enquête réclama timidement sa mise en liberté. Son message resta lettre morte (36).
    Après six mois d'interruption, lorsqu'elle reprit ses travaux (17 novembre), Guillaume de Chambonnet et Bertrand de Sartiges comparurent seuls. Comme ils s'en étonnaient, on leur raconta que Renaud de Provins et Pierre de Boulogne avaient renoncé solennellement à défendre l'Ordre, qu'ils étaient revenus à leurs premières confessions, et que Pierre de Boulogne avait ensuite brisé sa prison et pris la fuite. Quant à Renaud de Provins, il n'avait plus capacité pour défendre; car il avait été par le concile dégradé de son sacerdoce et condamné au mur perpétuel (37). Isolés, privés d'appui, conscients de leur faiblesse, les deux chevaliers refusèrent alors d'agir seuls et se retirèrent (38).

    XIII.

    La défense supprimée, l'enquête pontificale put transmettre au concile de Vienne un rapport défavorable aux Templiers. Par contre, les informations faites dans les autres pays de la chrétienté aboutissaient à des conclusions tout autres. Les contradictions entre les différentes enquêtes servirent la cause des accusés. Malgré les efforts de Clément V, les Pères du concile se refusèrent toujours à constituer une majorité pour condamner un ordre, dont ils n'avaient pas entendu la défense. Mais il fallait en finir. Le Temple était d'ailleurs trop discrédité par les calomnies de l'accusation, pour qu'il pût désormais servir sans scandale la cause de l'Eglise.

    C'est pourquoi Clément V de sa propre autorité le supprima, par voie de provision et non de condamnation (3 avril 1313), formule heureuse qui, dans une question de pure discipline, lui permit de concilier tout ensemble les droits de la justice qui ne peuvent fléchir, et les exigences du roi de France, auxquelles il eût été dangereux de résister.
    Sources : Carrière Victor, Histoire et cartulaire des templiers de Provins, Libriaire Champion, Paris — 1919

    Notes

    1 — Pierre Dubois, dans son mémoire « De récupératione Terre Sancte » (1305-1307), où il demande la suppression de l'ordre du Temple, n'invoque aucun grief contre l'orthodoxie ni la moralité des Templiers.
    2 — Ce n'est pas notre intention de reprendre le procès du Temple ; nous en dirons juste ce qui est indispensable à l'intelligence des différentes phases du drame où figurent les derniers Templiers de Provins. Partant, la bibliographie de ce chapitre sera réduite à quelques ouvrages strictement documentaires. Ceux qui voudraient connaître la « littérature » du sujet, se reporteront utilement à la bibliographie, que dom Leclercq en a donnée dans son édition de « l'Histoire des Conciles de Hefele » (Paris, 1914), t. VI, 1re partie, p. 508-517. » — Les plus récents parmi les ouvrages cités, ceux qui plaident la cause de l'innocence du Temple avec succès, sont l'excellent livre de M. G. Lizerand, « Clément V et Philippe IV le Bel » (Paris, 1910), p. 76-160, 250-347 ; et le volume édité dans la Bibliothèque de l'enseignement de l'Histoire ecclésiastique par M. G. Mollat, « Les Papes d'Avignon » (Paris, 1912), p. 229-256.
    3 — Michelet, Procès des Templiers, t. I, p. 521.
    4 — Bibl. de Provins, ms. 99 (38), fol. 716-717 et ms. 114 (40), fol. 207.
    5 — Les frères du Temple sont le plus souvent désignés par le nom de leur lieu de naissance.
    6 — Michelet, Procès des Templiers, t. II, p. 351.
    7 — Fresnoy (Aube, cant. de Villenauxe, comm. de Montpotier).
    8 — Payns (Aube, arr. de Troyes).
    9 — Michelet, Procès des Templiers, t. II, p. 354-355.
    10 — Michelet, Procès des Templiers, t. I, p. 571.
    11 — Michelet, Procès des Templiers, t. II, p. 355-356.
    12 — De douze à quatorze frères. Voir Schottmueller, Der Untergang des Templer-Ordens, t. II, p. 39.
    13 — Michelet, Procès des Templiers, t, II, p. 381-382.
    14 — Paul Viollet, Les interrogatoires de Jacques de Molay, grand-maître du Temple. Conjectures. (Extrait des mémoires. de l'Acad. des Inscriptions, t. XXXVIII, 2e part.) Paris, 1909, p. 5, nº 2.
    15 — Une déposition importante est celle que le précepteur de l'Isle-Bouchard (Indre-et-Loire) fit aux évêques de la commission pontificale, venus pour l'interroger à Saint-Cloud (13 avril 1309). Le témoin, un sexagénaire, est étendu sur un grabat d'agonie. Questionné sur les charges de l'accusation, sous la foi du serment, il confesse qu'il a renié le Christ et craché non sur la croix mais à terre. Il ne croit pas cependant que le cérémonial auquel il s'est conformé le jour de sa réception soit pratiqué dans les maisons de l'Ordre, car il ne l'a vu se renouveler nulle part depuis quarante ans qu'il est religieux. Et sur tous les autres articles, les négations sont absolues. (Michelet, Procès des Templiers, t. I, p. 178-181.)
    16 — Michelet, Procès des Templiers, t. I, p. 589-590.
    17 — Le texte imprimé porte à tort « de Cherruto, » c'est « de Chevruto » qu'il faut lire.
    18 — Michelet, Procès des Templiers, t. I, p. 529-531.
    19 — Michelet, « ... Quia pro trufa fecerat » (Procès des Templiers, t. II, p. 111).
    20 — V. Carrière, Hypothèses et faits nouveaux en faveur des Templiers, dans la Revue d'Histoire de l'Eglise de France (1912), t. III, p. 62-64.
    21 — K. Schottmueller, Der Untergang des Templer-Ordens, t. II, p. 39-40.
    22 — Michelet, Procès des Templiers, t. I, p. 40.
    23 — Nous n'avons pu identifier cette localité.
    24 — Michelet, Procès des Templiers, t. I, p. 69.
    25 — Michelet, Procès des Templiers, t. I, p. 125.
    26 — Michelet, Procès des Templiers, t. 1, p. 63-64.
    27 — Michelet, Procès des Templiers, t. I, p. 69.
    28 — Michelet, Procès des Templiers, t. I, p. 78.
    29 — Michelet, Procès des Templiers, t. I, p. 99-111.
    30 — Michelet, Procès des Templiers, t. I, p. 115-116.
    31 — Michelet, Procès des Templiers, t. I, p. 129.
    32 — Michelet, Procès des Templiers, t. 1, p. 126-127.
    33 — L'obligation du secret de la confession, établie définitivement au IXe siècle, n'était pas aussi rigoureux au moyen âge qu'elle l'est devenue depuis, notamment à partir d'Innocent XI. Cf. Décret du Saint-Office du 18 novembre 1682.
    34 — P. Bertrand Kurtscheid, Bas Beichtsiegel in seinera geschichtlichen Entwicklung (Fribourg-en-Brisgau, 1912). Cf. l'article de M. A. Boudinhon, Histoire du secret de la Confession, dans Le Canoniste contemporain, 35e année (1912), p. 425-439, 649-659.
    35 — Pour tout dire, ce moyen de défense eût seulement apporté à l'enquête des probabilités : car la parole du confesseur ne pouvait représenter que le dire du pénitent, sans contrôle ni garantie. Mais en l'absence de toute preuve directe, la défense n'en avait pas de meilleur, et il était suffisant pour ruiner l'accusation. 36 — Michelet, Procès des Templiers, t. I, p. 277-278.
    37 — Michelet, Procès des Templiers, t. II, p. 3.
    38 — Michelet, Procès des Templiers, t. I, p. 286-287.

    Sources : Carrière Victor, Histoire et cartulaire des templiers de Provins, Libriaire Champion, Paris — 1919

    7 — Liste des commandeurs. Top

    Commandeurs de France, commandeurs de la baillie de Brie et des commandeurs de Provins



    Les relations de Provins avec les commandeurs du Temple en France et ceux de la baillie de Brie ont permis à l'abbé Ythier, mort en 1809, de dresser un catalogue de ces dignitaires (1). Toute provisoire qu'elle soit, cette liste est néanmoins intéressante à reproduire, l'auteur l'ayant rédigée à l'aide de cartulaires disparus depuis. Nous la publierons donc, en y ajoutant le résultat de nos recherches personnelles.

    I.
    Commandeurs de France.



    1143-1147. Frère EVRARD DES BARRES. Fut promu à la dignité de grand-maître en 1147 (2).
    1158. Frère OTTON (3).
    1183. Frère AMI ON « DE AIIS » (4).
    1192. Frère RAOUL DE MONTLIARD (5).
    1196. Frère GILBERT HORAL, ou ERAL. Est pourvu du magistère suprême en 1196 (6).
    1204-1219. Frère ANDRE DE COULOURS (7).
    1222. Frère ISEMBARD (8).
    1224-1228. Frère OLIVIER DE LA ROCHE (9).
    1229-1237. Frère PONCE D'ALBON (10).
    1238. Frère PIERRE DE SAINT-ROMAIN (11).
    1240. Frère PONCE D'ALBON (12).
    1242. Frère RENAUD DE VICHERY ou DE VICHEL (13).
    1244. Frère Gui DE BAZAINVILLE (14).
    1246-1250. Frère RENAUD DE VICHERY ou DE VICHEL. Grand-maître de 1250 à 1256 (15).
    1261-1264. Frère HUMBERT DE PEYRAUD (16).
    1266-1271. Frère AMAURI DE LA ROCHE, chevalier (17).
    1272. Frère HUMBERT DE PEYRAUD (18).
    1267. Frère PIERRE LE NORMAND, chevalier, lieutenant (19).
    1275. Frère FRANÇOIS DE BORT, lieutenant (20).
    1277-1281. Frère JEAN LE FRANÇOIS, chevalier (21).
    1282. Frère PIERRE LE NORMAND, lieutenant, précepteur du temple de Laon (22).
    1282. Frère GEOFFROI DE VICHERY, ou DE VICHEL, lieutenant du maître du Temple en France (23).

    1285. Frère GAUTIER DE ETE, alias DE « ESTA, » chevalier, lieutenant (24), remplissait à la même époque la charge de commandeur de Sommereux (25).

    1293-1294. Frère HUGUES DE PEYRAUD, chevalier (26). On le trouve à la même époque commandeur de Bonlieu et plus tard visiteur en France.

    1301-1307. Frère GERARD DE VILLIERS, chevalier (27), commandeur de la baillie de Brie et de Soissons en 1306.

    II.
    Commandeurs de la baillie de Brie.



    1233. Frère JEAN DE BEAULIEU, alias DE BEAUBOURG (28).
    1238-1239. Frère ANSELME DE TIGECOURT (29).
    1256. Frère HUGUES (30).
    1267-1275. Frère JEAN DE MONCEAUX, chevalier (31).
    1286-1288. Frère ARNOUL DE WESEMAEL (32).
    1287-1292. Frère GODEFROI, lieutenant (33).
    1291-1293. Frère GEOFFROI LE PICARD (34).
    1293. Frère HUGUES DE PROVINS (35).
    1295-1300. Frère RAOUL (36).
    1300. Frère HUGUES LE PICARD (37).

    1303-1305. Frère RAOUL DE GISY, sergent, receveur des finances royales en Champagne (38), désigné le 16 novembre 1303 : commandeur de Troyes et des maisons de la chevalerie du Temple en la baillie de Brie et de Payns (39).

    1305. Frère JEAN MOREAU DE BEAUNE, sergent (40).

    1305-1306. Frère GERARD DE VILLIERS, chevalier. Etait en même temps commandeur du Temple en France (41).

    III.
    Commandeurs de Provins.



    1224-1226. Frère JEAN DE TOURNUS (42).
    1270. Frère GERARD, prêtre (43).
    1277. Frère JEAN.
    1286. Frère GERARD DE PROVINS, prêtre (44). Le même, sans doute, que précédemment.
    1298. Frère HENRI FLAMAIN (45).
    Sources : Carrière Victor, Histoire et cartulaire des templiers de Provins, Libriaire Champion, Paris — 1919

    Notes

    1 — Bibliothèque de Provins, ms. 114. Hist. ecclésiastique de Provins, fol. 209-212, 329-330.
    2 — Dès 1143 : Art de vérifier les dates (éd. 1818), t. II, p. 119. Cf. Bibliothèque Nationale, latin 9901, Cartulaire de Vauluisant, fol. 84.
    3 — Edouard de Barthélémy, Diocèse ancien de Châlons, t. I, p. 400, nº 16.
    4 — D'après Lebeuf, Histoire de tout le diocèse de Paris (éd. 1883), t. II, p. 554. Cf. Douet d'Arcq, Collection des Sceaux, t. III, nº 9859.
    5 — Edouard de Barthélémy, ouvrage cité, t. I, p. 410, nº 38. — Le même est désigné en 1193, comme « domorum Templi in Francia humilis procurator » (Bibliothèque Nationale, latin 9901, fol. 70 vº).
    6 — Art de vérifier les dates (éd. 1818) t. II, p. 122.
    7 — 1204, 1209 : Lebeuf, Hist. du diocèse de Paris (éd. 1883), t. II, p. 554 et t. IV, p. 451,625; — avril 1214 : Bibliothèque Nationale, latin 5993, Cartulaire Campaniae, fol. 12; — mai, juin, août : Bibliothèque Nationale, latin 17098, Cartulaire de S. Etienne de Troyes, fol. 389 ; — octobre 1214 : Layettes, t. I, p. 408, nº 1090 ; — décembre 1214 : Layettes, t. I, p. 409, nº 1094, et Bibliothèque nationale latin 5993, fol. 12 vº; — 1215: Bibliothèque Nationale, latin 9901, fol. 69 vº et 71 vº ; — mars 1217-8: Guérard, Cartulaire de N.-D. de Paris, I, 416; — sept. 1219, même ouvrage p. 416. 8 — Lebeuf, Histoire du diocèse de Paris (éd. 1883), t. IV, p. 317. 9 — Juin 1224 : Petit-Dutaillis, Louis VIII, nº 120. — 10 janv. 1227 : Layettes, t. II, p. 117, nº 1914; — 1228 : d'après Ythier.
    10 — Mai 1229 : Archives de l'Aisne, G. 253, fol. 228; — 1236 : d'après Ythier; — juillet 1237.
    11 — Juin 1238 : Layettes du trésor des Chartes, t. II, p. 383, nº 2726.
    12 — Mars 1239-40 : Guérard, Cartulaire de Notre-Dame de Paris, t. II, p. 527.
    13 — Janvier 1242 : inventaire des Archives départementales de l'Aisne, t. III, p. 66.
    14 — Cartulaire, charte CXXXIX.
    15 — 19 août 1246 : Layettes, t. II, p. 632, nº 3537; — juil. 1247 : Barthélémy, Notes sur les établissements des Ordres religieux et militaires dans l'ancien archidiocèse de Reims (1883), p. 8-9 ; — mai 1248 : Pétel, Le Temple de Bonlieu, p. 412, nº XIX.
    16 — Juil. 1261 : Barthélémy, Diocèse ancien de Châlons, t. I, p. 422, nº 95 ; — déc. 1261 : Bibliothèque Nationale, latin 17098, fol. 389 vº; — juil. 1264: Du Plessis, Histoire de Meaux, t. II, p. 166 ; — sept. : Barthélémy, ouvrage cité, t. I, p. 423, nº 100.
    17 — Juin 1266 : charte CXXXV ; — mai 1268, charte CXLVII ; — avril 1269 : charte CXLIX; —juin 1269 : Bibliothèque Nationale, latin 17098, fol. 390; —23avril 1270: charte CLI; — vers 1272 : Michelet, Procès des Templiers, t, II, p. 298.
    18 — Février 1271-2 : Guérard, Cartulaire de Notre-Dame de Paris, t. II. p. 299.
    19 — Schottmueller, Der Untergang des Templer-Ordens, t. II, p. 194.
    20 — Cartulaire, charte CLIII.
    21 — Vers 1277 : Michelet, Procès des Templiers, t. II, p. 118; — 1279 : Edouard de Barthélémy, Diocèse anc. de Châlons, t. I, p. 430, nº 128; — 4 février 1281 : Ch. Mêlais, Les Templiers en Eure-et-Loir, p. 19, n. 2.
    22 — Demay, Inventaire dés sceaux de la Picardie, nº 1493.
    23 — Barthélémy, Diocèse anc. de Châlons.t. I, p. 430, nº 132. Cf. p. 431, nº 136.
    24 — Michelet, Procès des Templiers, t. II, p. 367.
    25 — Michelet, Procès des Templiers, t. I, p. 464.
    26 — Vers 1293 : Michelet, Procès des Templiers, t. II, p. 314; — 18 août 1294 : A. Pétel, Le Temple de Bonlieu, Pièces justif. p. 432-435, nº XXXIV.
    27 — Vers 1301 : Finke, Papsttum und Untergang des Templerordens, t. II, p. 315. Même page, il est prénommé à tort Richard; — 1301-1304 : Michelet, Procès des Templiers, t. I, p. 399, 571, 575, 599; t. II, p. 70, 390; — juin 1305 : Schottmueller, Der Untergang des Templer-Ordens, t. II, p. 200 ; — 1307 : Finke, Papsttum und Untergang des Templerordens, t. II, p. 338.
    28 — Cartulaire de Notre-Dame du Val de Provins, fol. 105, d'après Ythier. 29 — 3 février 1238 : Cartulaire, charte CXV ; — août 1239 : charte L.
    30 — Cartulaire de Notre-Dame du Val de Provins, fol. 75, d'après Ythier.
    31 — Vers 12C7 : Michelet, Procès des Templiers, t. II, p. 397; — Vers 1270 : même ouvrage t. I, p. 504; — 2l mars 1275 : Cartulaire, charte CLIII.
    32 — Novembre 1286 : Michelet, Procès des Templiers, t. II, p. 4; — 1287 : même ouvrage t. II, p. 395 ; — 1288 : même ouvrage t. II, p. 410.
    33 — Vers 1287 : Michelet, Procès des Templiers, t. II, p. 395; — 1292 ; même ouvrage t. I, p. 355.
    34 — Vers 1291 : Michelet, Procès des Templiers, t. I, p. 505; — 1293 : même ouvrage t. II, p. 529.
    35 — Michelet, Procès des Templiers, t. II, p. 314.
    36 — 30 nov. 1295 : Delisle, Mémoire sur les opérations financières des Templiers, p. 190. Cf. 176, 177 ; — nov. 1299 : Cartulaire, ch. CLVIII ; — 26 juin 1300 : ch. CLIX.
    37 — Michelet, Procès des Templiers, t. I, 529.
    38 — 16 août 1303 : Arch. de l'Aube, 31 H, 14 bis, fol. 177; — vers 1304, 1305 : Schottmueller, Der Untergang des Templer-Ordens, t. II, p. 190.
    39 — Arch. de l'Aube, 31 H, 14 bis, fol. 242.
    40 — Désigné dans les pièces du Procès sous les appellations Johannes de Mori (Schottmueller, Der Untergang des Templer-Ordens, t. II, p. 177), Johannes Morellus de Belna (Michelet, t. I, p. 584, t. II, p. 368, 406).
    41 — Vers 1305 : Michelet, Procès, t. I, p. 637. Cf. p. 401, 503, 578; — avril 1306 : Schottmueller, Der Untergang des Templer-Ordens, t. II, p. 39.
    42 — Octobre 1224 : Cartulaire, charte CXXI ; — mars 1226 : charte CXXXII.
    43 — Michelet, Procès des Templiers, t. I, p. 504.
    44 — Michelet, Procès des Templiers, t. II, p. 4 et 5.
    45 — Michelet, Procès des Templiers, t. II, p. 389.

    Sources : Carrière Victor, Histoire et cartulaire des templiers de Provins, Libriaire Champion, Paris — 1919

    Introduction au cartulaire de Provins

    I. Description du manuscrit. — II. Sa rédaction; son contenu. — III. Contribution du Cartulaire à l'histoire des maisons du Temple en Brie. — IV. Y a-t-il eu un second cartulaire des Templiers de Provins ? — V. Mode de publication; les pièces de l'Appendice.
    Le Cartulaire des Templiers de Provins n'est pas un monument ignoré, mystérieux. La notice que M. Félix Bourquelot lui a consacré, en 1858, en a fait connaître maintes particularités intéressantes au point de vue diplomatique et pour l'histoire des institutions du moyen âge franÇais (1). L'auteur de l'Histoire des ducs et des comtes de Champagne, M. d'Arbois de Jubainville, a extrait de ce texte les chartes émanées d'Henri Ier, dit le Libéral (2). D'autres lui ont demandé des éclaircissements touchant la condition des classes serviles (3) ou relatifs aux possessions des Hospitaliers en Champagne (4). M. le marquis d'Albon avait copié de son côté le manuscrit pour composer « Le Cartulaire général de l'Ordre du Temple » (5). De cet ouvrage un premier volume a paru en 1913, qui va des origines à la seconde moitié du XIIe siècle (6) ; mais la mort prématurée de l'auteur est venue interrompre la publication.

    I.

    Certains de nos lecteurs se rappellent peut-être le Cartulaire, pour l'avoir remarqué, un jour d'instructive flânerie, au musée des Archives nationales, alors qu'on ne l'avait pas réintégré dans le carton qu'il occupe actuellement sous la cote S 5162 B, nº 2o. C'est un petit volume in-folio comprenant vingt-quatre feuillets de parchemin, répartis en quatre cahiers, écrits sur deux colonnes (7). Ce manuscrit, le plus vénérable des cartulaires du Temple, est le produit d'une double collaboration antérieure à la seconde moitié du XIIIe siècle. Les trois premiers cahiers comptent dix-huit feuillets. L'écriture est une gothique de moyenne grosseur et d'une couleur pâle. Plusieurs feuillets sont endommagés par le bas, où l'on a coupé, parfois sans respect pour le texte, la marge inférieure. Le dernier cahier présente une minuscule plus fine et des rubriques moins développées. Trois sur six de ses feuillets sont l'oeuvre d'un calligraphe habile en son art. Une fantaisie du copiste que je relève pour son étrangeté même, c'est, en guise d'encadrement, l'analyse des chartes reproduite en long et en large, dans les marges, aux bords extrêmes des pages. La disparition des feuillets qui occupaient le milieu de cet ultime cahier commet une solution de continuité, après quoi l'on retrouve l'écriture des cahiers précédents.

    II.

    Avant d'entreprendre la rédaction du Cartulaire, a-t-on essayé une tentative de classement, une distribution quelconque des titres ? J'ai cru longtemps, sur la foi de M. Bourquelot, qu'il n'existait « aucun ordre dans la disposition des pièces. »
    L'interversion des cahiers à la reliure explique la méprise du savant. Mais si l'on rétablit entre eux la priorité d'origine, le dernier cahier actuel devient le premier cahier primitif et, à partir du quatrième folio, le texte se poursuit sans lacunes. L'étude interne du document dégage alors, sous le chaos chronologique des chartes, un plan initial : l'intention de confectionner, à l'aide des pièces centralisées au chartrier provinois, un Cartulaire divisé en deux parties, l'une concernant la Brie, l'autre particulière au Temple de Provins (8).

    L'exécution du premier travail avait été confiée à l'original copiste dont il nous reste trois feuillets soignés. Vingt-trois chartes s'y inscrivent entre 1127 et 1216. Ce sont les titres constitutifs d'anciennes maisons du Temple en Brie, telles que Barbonne, Baudement, Coulommiers, la Ferte-Gaucher, Soigny, d'autres encore. Rédiger le cartulaire spécial à Provins, fut l'oeuvre du second scribe. Celle-ci, malgré les lacunes du début et de la fin, nous fait tout de même connaître cent cinq chartes qui s'espacent de l'an 1193 à 1243.
    Ainsi, le Cartulaire manuscrit contient au total 128 chartes; mais de ce nombre 4 sont en double (9), ce qui ne fait plus que 124 documents reproduits.

    III.

    Il est probable que les Templiers constituèrent à Provins leur premier fonds d'archives régionales : on expliquerait difficilement, en dehors de cette hypothèse, la présence dans notre Cartulaire de chartes antérieures ou étrangères à l'établissement de la Commanderie. De plus, nombre de titres concernent des maisons qui reÇurent plus tard leur autonomie, et ce fait motive quelques conjectures intéressantes.
    Puisque la commanderie de Provins en conservait les titres primitifs, on peut supposer que les premiers biens de ces préceptories en dépendirent momentanément. Aussi longtemps que le Temple de Provins fut l'unique résidence des Chevaliers de la contrée, il dut s'attribuer, en effet, sans partage possible, les donations consenties en faveur de l'Ordre naissant. Mais tel était l'engouement d'alors, les libéralités de toute sorte affluaient en tel nombre qu'on dut bientôt songer à la création de maisons nouvelles. On sentait d'ailleurs le besoin de grouper sous une surveillance plus assidue quantité d'exploitations rurales trop éloignées de leur chef-lieu. On détacha donc ces domaines de Provins, et l'on eut ainsi les préceptories indépendantes de Barbonne, Baudement, Chaufour, la Ferte-Gaucher, le Mesnil-Saint-Loup, Soigny, Tréfols et Troyes (10).

    Enfin, lorsque les titres de propriétés étrangères au Temple de Provins se retrouvent, non pas dans les archives des maisons auxquelles ces biens tout appartenu en dernier lieu, mais parmi les actes de notre Cartulaire, j'incline à penser que ces préceptories ne sont pas seulement d'érection plus récente que la commanderie de Provins mais encore de fondation moins ancienne que la charte ici reproduite. Le fait est évident en ce qui concerne la maison de Baudement (11).

    Pour les autres, de légitimes inductions corroborent l'hypothèse. La grange de Barbonne (12) que les Templiers avaient acquise du comte Thibaud, en 1127, ne semble pas avoir été érigée en commanderie l'année que son fils Henri le Libéral confirma (1164) les acquisitions dont l'Ordre s'était depuis peu rendu propriétaire (13).
    Même la commanderie de Troyes (14), présumée « la première des commanderies de la province » (15), serait ainsi de fondation bien postérieure à l'an 1159 (16).
    Si Hugues de Paroy abandonne aux Templiers, en 1194, sa maison de Soigny (17) et les terres d'alentour, c'est à partir de 1212, et pas avant, qu'on y rencontre à demeure un détachement de moines (18).
    L'installation des Frères à la Ferte-Gaucher (19) ne précéda pas la cession que Robert de Sablonnière leur fit des biens qu'il possédait dans la banlieue de cette ville avant 1194 (20).
    Le Temple de Chaufour (21), signalé en 1224, occupait un domaine provenant pour une grande part d'acquisitions réalisées en 1211 et 1212 (22).
    Pareillement au sujet de Tréfols (23), dont la préceptorie pourrait ne pas remonter au-delà de 1233 (24).
    Une dérogation à cette règle, la seule que je sache, concerne la maison du Mesnil-Saint-Loup (25), que les frères du Temple occupaient en 1208, date à laquelle Raoul Britaud et Marguerite, sa femme, leur abandonnèrent leurs droits sur le moulin du Vicomte à Provins et ce qu'ils avaient au Mesnil, dans la rue du Mauvais-Profit, « in vico qui dicitur Pute Aoite » (26).

    IV.

    Les quelques cahiers de parchemin qui composent le présent Cartulaire, sauvés comme par miracle du sac de la Commanderie par les Anglais en 1432 et reliés depuis en volume, sont loin de représenter l'importance des archives rassemblées à Provins dès la fondation de l'établissement. Le manuscrit, dans son état actuel, s'arrête en 1243. De cette époque aux premières années du XIVe siècle, des contrats de toute sorte renseignent sur la vitalité de cet établissement. Motivèrent-ils par la suite la continuation du Cartulaire ? Une note autographe du chanoine Billate, placée en tête d'une copie de charte de juillet 1255, assure que cet acte, « le XVe titre du Cartulaire de la commanderie de Provins, » y prenait rang au « folio 108. » En conclurai-je que le Cartulaire actuel, où la charte fait défaut, était jadis cinq fois au moins plus volumineux ? Les termes de la note sont formels. « Le XVe titre du Cartulaire de la commanderie de Provins, lisons-nous, qui a sans doute été transporté au trésor commun des archives du Temple, puisqu'il ne se trouve plus à la Croix-en-Brie, est un acte ou accord fait au mois de juillet 1255 entre le comte Thibault et Isabelle de France, sa femme, d'une part, et les frères du Temple, de l'autre part, touchant les « amortissemens qui étoient dûs au prince pour les nouveaux acquêts desdits Templiers. » Vient ensuite la copie du document précédée de la référence au « Cartulaire de la Commanderie, folio 108 (27) » . Un détail est à retenir. Le Cartulaire que nous éditons avait été incorporé aux archives du Temple de Paris. On peut ajouter qu'il s'y trouvait encore au moment de la Révolution, comme l'établit sa présence aux Archives nationales (28). Mais je doute qu'il y ait identité entre notre manuscrit et celui auquel se réfère le chanoine provinois. Comment admettre effectivement que les quatorze premiers titres de ce dernier cartulaire aient occupé plus de cent folios alors que les vingt-quatre feuillets de notre registre suffisent à 128 chartes ? Si la référence toutefois est exacte (ce qu'il est impossible de vérifier), il faut conclure à l'existence d'un second recueil moins ancien et bien différent de celui qui fait l'objet du présent travail.

    V.

    Expliquons en quelques mots la manière dont nous avons conÇu cette publication.
    L'idéal eut été de reproduire l'original de tous les documents transcrits. Malheureusement nos recherches sont restées dans la plupart des cas sans aboutir. Neuf fois seulement, nous avons pu substituer à la copie la pièce originale et nous avons indiqué en note les variantes (29).

    Nous avons réuni dans l'Appendice divers documents qui comblent dans une certaine mesure les lacunes du Cartulaire. Ces pièces, extraites de différents dépôts d'archives, sont au total de trente-cinq et vont jusqu'en 1302. Leur nombre eut été autrement imposant si nous avions hospitalisé tous les actes analysés par Jacquemin, dans son Inventaire général des titres de la commanderie de la Croix-en-Brie (30) et qu'on retrouve aux Archives nationales, dans les cartons de la série S, sous le mot « Provins. » Mais nous eussions franchi des limites que le titre du Cartulaire, trop connu pour être modifié, n'en dessine et comporte. Nous nous sommes donc attachés à reproduire, à l'exclusion de tous autres, les seuls documents qui mettent en cause les Templiers de Provins.
    Sources : Carrière Victor, Histoire et cartulaire des templiers de Provins, Libriaire Champion, Paris — 1919

    Notes

    1 — Notice sur le Cartulaire des Templiers de Provins, p. 171-190.
    2 — Voir l'appendice du t. III, où l'on retrouve le texte des chartes 20, 57, 82, 88, 89 et 91. Cette dernière charte est reproduite même tome, p. 450.
    3 — H. Sée, Etude sur les classes serviles en Champagne (Ext. de la Revue historique, t. LVI, p. 225 et suivante et t. LVII, p. 1 et suivante), 1895, in-8º, 48 p.
    4 — E. Mannier, Les commanderies du Grand-Prieuré de France.
    5 — Paris, H. Champion, 1913, in-4º.
    6 — Cette édition reproduit trois chartes de notre Cartulaire (la charte ajoutée en note p. 102 et les n05 86 et 93), mais elle omet le charte de 1133, qui figure sous le nº 81, p. 101-102.
    7 — Au dos de la couverture, on lit une analyse sommaire du manuscrit, rédigée au XVIIIe siècle. Ci : « PROVINS. COMMANDERIE DE LA CROIX-EN-BRIE. — Cartulaire de chartes, lettres et autres titres des comtes palatins de Champagne, de Troyes et de Blois, des vicomtes de Provins et autres seigneurs, contenant plusieurs donations et ventes par eux faites aux Frères de la milice du Temple dudit Provins, de maisons, granges, cours, jardins, moulins, terres, prez, bois, vignes et plusieurs hostes et vassaux, cens, rentes, droit de tonlieu sur les bestes, les laines, le fil et autres choses, droit de minage et marché et autres droits seigneuriaux à Provins et autres lieux aux environs y mentionnés, le tout dépendant et formant la Vicomté dudit Provins. »
    8 — La présence dans l'une et l'autre rédaction de mêmes chartes appartenant à la Commanderie provinoise corrobore cette observation. N'eût-ce pas été une faute d'exclure ces titres d'une collection relative à la baillie de Brie ? Ne devait-on pas les incorporer également dans un recueil propre aux Templiers de Provins ?
    9 — Chartes 5 avec 110, 7 avec 85, 25 avec 99, 46 avec 106.
    10 — J'excepte, par prudence, « la maison de Coulommiers, » signalée dès 1173 (Cartulaire, charte LXXXVIII. Cf. charte XC).
    11 — Baudement (Marne, arr. d'Epernay, cant. d'Anglure). — Cartulaire, charte LXXXI.
    12 — Barbonne (Marne, arr. d'Epernay, cant. d'Anglure, comm. de Barbonne et Fayel).
    13 — Cartulaire, chartes LXXXII, XCIII, XCIV.
    14 — « La première fondée en Europe, » dit M. Ed. de Barthélémy (Notice sur les Etablissements des Hospitaliers... en Champagne, Bulletin monumental, Paris, 1850, p. 7).
    15 — Th. Boutiot, Les Templiers et leurs établissements dans la Champagne méridionale (Troyes, 1866), p. 8.
    16 — Cartulaire, charte XCI.
    17 — Soigny (Marne, cant. de Montmirail).
    18 — Cartulaire, chartes XCVII, CXI.
    19 — La Ferte-Gaucher (Seine-et-Marne, arr. de Coulommiers).
    20 — Cartulaire, chartes LXXIII, LXXXVII.
    21 — Chaufour (Seine-et-Marne, canton de Nangis, commune de Jouy-le-Châtel).
    22 — Cartulaire, chartes XCIX, CI, CVII et CVIII.
    23 — Tréfols (Marne, cant. de Montmirail).
    24 — Cartulaire, charte LXIII.
    25 — Le Mesnil-Saint-Loup (Aube, cant. de Marcilly-le-Hayer. — Les Templiers étaient propriétaires au Mesnil-Saint-Loup avant Pâques 1144 (D'Albon, Cartulaire... du Temple, p. 21, nº XXVIII.
    26 — Cartulaire, charte CV. — Le thème originel de ce mot « aoite » est le participe latin « augta, de augere, » accroître, qui a subi la série phonétique suivante : « augta, aucta, auita, aoite. » Augere a donné en roman « aoire. » D'où l'expression Pute Aoite, qui se traduit par mauvais gain et qui a pour équivalent la forme maugain, nom de lieu dit et nom d'homme.
    27 — Bibl. nat., Topographie de Champagne, t. XXV, fol. 238 et 239.
    28 — Si le Cartulaire était revenu à la Croix-en-Brie, il aurait suivi, lors de la Révolution, l'inventaire des titres de cette commanderie ; il serait maintenant aux Archives départementales de Seine-et-Marne, à Melun.
    29 — Chartes 4, 71, 73, 88, 89, 95, 107, 114, 116.
    30 — Arch. de Seine-et-Marne, H. 701.

    Sources : Carrière Victor, Histoire et cartulaire des templiers de Provins, Libriaire Champion, Paris — 1919

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