IV. — Transmission d'argent. — Payements à distance
Les établissements que les Templiers avaient fondés dans tous les pays de l'Europe et de l'Orient latin, les voyages que leurs compagnies, bien armées et solidement organisées, faisaient continuellement sur toutes les voies de terre et de mer, les mettaient dans d'excellentes conditions pour transporter au loin, avec la plus entière sécurité, de grosses sommes d'or et d'argent, comme aussi pour effectuer des payements sur les places étrangères au moyen de correspondances et de jeux d'écritures, sans avoir à déplacer les fonds.Lors de la deuxième croisade, ce fut aux Templiers que l'abbé Suger confia l'argent qu'il avait à faire passer au roi de France (38).
La pension de 2,760 livres, monnaie d'Angers, que Henri II, roi d'Angleterre, avait promise à sa belle-fille, Marguerite de France, par un traité du 11 mars 1186, était payable à la commanderie de Sainte-Vaubourg, près Rouen, d'où les arrérages devaient en être portés à Paris par les soins des Templiers et des Hospitaliers (39).
Jean sans Terre se servait habituellement des Templiers pour effectuer des encaissements et des versements d'argent de France en Angleterre ou d'Angleterre en France.
En 1206, quand il les pria de concourir à la délivrance de Gérard d'Athies, prisonnier de Philippe-Auguste, il les invita à payer à Paris 500 marcs, dont le remboursement devait être fait à l'échiquier à Londres (Rotuli).
En août 1218, il les charge de faire toucher au comte de Salisbury, en Flandre, une somme de 2,000 marcs (Rotuli).
Le 22 juillet 1215, il ordonne de rembourser aux Templiers d'Angleterre 1,100 marcs qu'il avait empruntés en Poitou de frère Gérard Brochard (Rotuli).
Le 14 novembre 1215, à Rochester, il reçoit des mains d'un Templier, frère Roger, 26 livres 18 sous d'esterlins que frère Simon de Furnes avait déposés chez les moines de la Trinité de Cantorbéry (Rotuli).
Jean sans Terre recourait parfois à l'entremise des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, qui n'étaient pas étrangers aux opérations de banque. Le 29 octobre 1212, il fit payer à Londres, au maître de l'Hôpital 500 marcs dont il faisait présent au comte d'Auvergne(40).
Innocent III et Honorius III employaient aussi concurremment les Templiers et les Hospitaliers pour les envois d'argent en Terre-Sainte. Honorius III, dans une lettre du 1er juillet 1220, dit expressément que la charge de convoyer outre-mer le produit du vingtième qui se levait alors ne saurait peser uniquement sur les Templiers, mais qu'elle devait être supportée dans des proportions égales par les deux ordres (41). On s'adressait à eux parce qu'il n'y avait point d'intermédiaires aussi dignes de confiance (42). Les Templiers étaient le plus souvent mis en réquisition.
En 1208, Innocent III les chargea de faire passer au patriarche de Jérusalem et aux grands maîtres du Temple et de l'Hôpital une somme d'or valant 1,000 livres, monnaie de Provins (43).
Par une lettre du 24 juillet 1220, dans laquelle Honorius III rappelle les envois d'argent qu'il avait faits au légat Pélage, évêque d'Albano, nous voyons qu'il lui avait transmis par les Templiers une première fois 5,000 marcs encaissés au Temple à Paris, provenant du vingtième du royaume d'Angleterre, et une autre fois 6,000 onces d'or provenant du vingtième levé en France (44).
Le 6 août de la même année, le pape reprochait en termes assez vifs au trésorier du Temple à Paris d'avoir, de son propre chef et sans ordre de la cour romaine, envoyé outre-mer, par des frères de son ordre, une somme de 13,000 marcs d'argent prise sur le produit du vingtième de l'Angleterre (45).
L'histoire de Henri III nous fournit plusieurs exemples de mouvements de fonds opérés par le moyen des Templiers. En 1224, c'est Alain, maître des Templiers en Angleterre, qui touche les arrérages de la pension assignée sur l'échiquier au vicomte de Thouars (Rotuli).
En 1228, un religieux, muni des pouvoirs de la cour de France, était allé réclamer à Henri III une indemnité pour les habitants de Saint-Emilion; il obtint 150 livres 30 sous d'esterlins ; mais comme il craignait de rapporter lui-même cette somme en France, le roi d'Angleterre offrit de la faire payer au Temple à Paris (46).
En 1235, Henri III, qui avait promis pour cinq ans une pension annuelle de 800 livres tournois au comte de la Marche, à raison de l'île d'Oléron, s'engagea à verser annuellement 200 livres d'esterlins au nouveau Temple de Londres, moyennant quoi le maître des Templiers d'Angleterre devait faire payer au Temple de Paris la somme de 800 livres tournois due au comte de la Marche (47).
Le 5 novembre 1257, les ambassadeurs de Henri III à la cour de Rome se firent prêter par des marchands florentins et siennois 540 marcs d'esterlins remboursables au mois de mai suivant au nouveau Temple de Londres (Idem 47).
Les Templiers concoururent largement aux envois d'argent que saint Louis fit en Terre-Sainte après son retour de la croisade. A la Saint-Jean de l'année 1262, ils transmirent 3,004 livres tournois à Geoffroi de Sergines (48).
En 1267, le trésorier du Temple à Paris eut à rembourser à des banquiers, sur les produits du centième levé en France, une somme de 3,000 livres tournois que Geoffroi de Sergines, avec la garantie du patriarche de Jérusalem, du maître du Temple et du maître de l'Hôpital, avait empruntée pour l'entretien de l'armée chrétienne en Palestine (49).
En 1266, le duc de Bourgogne envoya de France en Terre-Sainte, par l'intermédiaire des Templiers, une somme de 500 marcs d'esterlins à son fils Eudes, comte de Nevers (50).
A une date indéterminée, mais comprise entre les années 1272 et 1276, le pape Grégoire X emprunta à des marchands 15,000 marcs d'argent qui devaient être remboursés par le Temple de Paris (51).
J'hésite beaucoup à faire rentrer dans mon sujet l'emploi que les Templiers faisaient de leurs capitaux en fournissant des fonds aux petits tenanciers du voisinage des commanderies. Dans les archives d'une commanderie normande, celle de Saint-Etienne de Renneville, au diocèse d'Evreux (52), on rencontre par centaines des chartes du XIIIe siècle relatives aux rentes que des paysans, plus ou moins aisés, s'engageaient à servir aux Templiers comme équivalent des sommes qu'ils en avaient reçues. Mais ce genre de convention étant commun à beaucoup d'établissements religieux, il n'y a guère lieu de s'en prévaloir dans l'intérêt de la thèse que j'ai entrepris de développer.
Sources: Léopold Delisle. Mémoires de l'Institut national de France, Académie des inscriptions et belles-lettres. Mémoire sur les opérations financières des Templiers. Paris 1889. BNF
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Notes
Pour les références à: Rotuli litteraram patentium, edition Th. Duffus Hardy.38 — Lettre de Suger à Louis VII, dans oeuvres de Suger, édition Lecoy de La Marche, p. 2 5g.
39 — Catalogue des actes de Philippe-Auguste, p. 497.
40 — Documents illustrative of English history in the thirtcenth and fourteenth centuries, selected from the records of the department of the Qucen's remembrancer of the exchequer and edited by Henry Cole (London, 1844, in-folio), p. 245.
41 — Honorii III opéra, t. III, col. 460.
42 — "Quod autem vicesimam et pecuniam aliam per fratres Templi et Hospitalis frequentius mittere consuevimus, propter hoc fit quod nuntios alios de quibus videamur melius confidere non habemus". Lettre d'Honorius III du 24 juillet 1220, dans Monumenta Germaniae historica, Epistolae saeculi XIIIe regestis pontificum Romano rum, t. I, p. 90.
43 — Innocentii III Reg. I. XII, ep. 28, dans Migne, Patrologia, vol. CCXVI, col 38.
44 — Mon. Germania, histoire, Epistoloe soeculixm, t. I, p. 90 et 91.
45 — Recueil des historiens, t. XIX, p. 705.
46 — Shirley, Letters illustralive of the reign of Henry III, vol. I, p. 336 et 337.
47 — Rymer, nouvelle édition t. I, p. 218.
48 — Compte de l'année 1265, dans Recueil des historiens, t. XXII, p. 748.
49 — Mémoire publié par M. Servois, Bibliothèque de l'Ecole des chartes, 4e série, t. IV, p. 292.
50 — "Il fu aporté de Borgoingne 500 mars d'estellins, que li dux de Borgoingne envoia le conte par le Temple, au passaige d'aoust, qui valoient, au jor de lors, en Acre, 1,387 Livres 10 sols tournois" Inventaire et comptes de la succession d'Eudes, comte de Nevers, par Chazaud, p. 22. (Extrait du volume XXXII des Mémoires de la Société des antiquaires de France.)
51 — "Instrumentum super mutuo 15,000 marcharum facto domino Gregorio X per litteras régis a certis mercatoribus, qui summam ipsam recipere debuerunt Parisius apud Templum". Indiqué dans un ancien inventaire du Trésor des chartes, jadis ms. latin 9820 de la Bibliothèque nationale, fol. 90 V·, transféré en 1862 aux Archives nationales.
52 La plupart des chartes de la commanderie de Renneville sont aux Archives nationales, dans la série.
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