Maison de Villers-lès-Verrières
La Maison de Villers-lès-Verrières dans le procès des Templiers
Dans les pièces du procès des Templiers, sept frères servants sont mentionnés comme se rattachant à la maison de Villers-lès-Verrières ; trois par leur origine : P. de Verrières, Etienne de Verrières et Etienne de Villers ;trois par leur résidence, ou par leurs fonctions, dans ladite maison : Jacques de Troyes, Nicolas de Serres et Chrétien ; un par sa profession religieuse : Jean « d'Annonia. »
Conformément au plan que nous nous sommes tracé, et que nous avons suivi pour les établissements de Sancey et de Payns, nous présenterons, l'un après l'autre, à nos lecteurs ces sept frères servants, nous examinerons quelle fut l'attitude de chacun durant la tourmente ; puis, de cet examen, ou plutôt de cette révision partielle du procès, nous dégagerons les conclusions qu'il convient de tirer, soit pour l'innocence, soit pour la culpabilité de l'Ordre du Temple.
P. de Verrières
Nous n'avons sur ce frère du Temple aucun détail biographique. Nous savons seulement qu'il, fut un des 545 Templiers réunis, le 28 mars 1310, dans le verger du palais épiscopal de Paris, pour prendre la défense de l'Ordre et qui, après avoir entendu la lecture de l'acte d'accusation, chargèrent deux de leurs frères, Pierre de Bologne et Raynaud de Provins, de transmettre en leur nom, à la Commission pontificale, les justes protestations et les touchantes doléances que nous avons relatées dans nos études précédentes.Cette attitude était conforme à celle qu'il avait eue le 9 février précédent, car c'est lui, à n'en pas douter, qui est désigné, sous le nom de P. de « Vererenis trecensis diocesis », parmi les soixante-dix-sept Templiers qui, comparaissant ce jour-là devant la Commission, déclarèrent vouloir défendre l'Ordre.
Mourut-il de mort naturelle avant la convocation du Concile de Sens, ou doit-il être compté parmi les frères, « hélas trop nombreux », que ce Concile condamna au bûcher ou à la détention perpétuelle ? Impossible de répondre pertinemment à cette question. Quoi qu'il en soit, P. de Verrières persévéra très certainement dans l'attitude que nous l'avons vu prendre devant la Commission pontificale ; son témoignage, par conséquent, milite en faveur de l'innocence de l'Ordre.
Etienne de Verrières et étienne de Villers
Nous avons tout lieu de croire que, sous ces deux noms, il n'y a qu'une seule et même personne, distinguée des autres étienne, tantôt par le nom de la commanderie de son village, tantôt par le nom du village lui-même. En effet, étienne de Verrières et étienne de Villers appartinrent tous deux à la maison de Sancey ; le premier y fut témoin de la profession de Nicolas de Serres, six semaines avant l'arrestation des Templiers ; le second y assista à celles de Foulques de Troyes, en 1296, et de Jean de Sancey, en 1299.Il importe peu du reste, qu'il y ait unité ou dualité, car Etienne de Verrières et Etienne de Villers sont simplement nommés dans le procès comme témoins des trois réceptions que nous venons d'indiquer ; il n'y a pas trace de leur comparution ni devant le tribunal de l'Inquisition, ni devant la Commission pontificale ; il est donc impossible de dire dans quel sens ils auraient déposé et, en conséquence, ils doivent être mis hors de cause.
Jacques de Troyes, Nicolas de Cerres, Chrétien, alias Chrétien de Bicey
Nous avons eu à parler de ces trois frères servants dans notre étude Les Templiers à Sancey et nous n'avons rien à ajouter à la notice que nous leur avons consacrée ; nous nous bornerons donc à y renvoyer nos lecteurs.
Jean d'Annonia
Originaire du diocèse de Cambrai, Jean « d'Annonia » fit profession, en 1293, dans la chapelle du Temple de Villers les-Verrières.Jean Bruart, précepteur de la baillie de Troyes, présida la cérémonie à laquelle assistèrent Etienne le Nain, Gauthier le Berger, Raoul d'Annnonia, frère du récipiendaire et Barthélemy de Troyes, tous frères servants. Des quatre témoins, un seul, Barthélemy de Troyes, a parlé de cette profession et a déclaré de la manière la plus formelle que rien d'inconvenant ne s'y était passé.
Les pièces du procès sont muettes sur le lieu de l'arrestation de Jean « d'Annonia » et sur ses premières déclarations devant les officiers royaux et les inquisiteurs. Emprisonné dans le diocèse de Sens, Il fut de là transféré à Paris, où il comparut, le 14 février 1310, devant la Commission pontificale, avec six de ses co-détenus. On ne leur demanda alors qu'une seule chose :
« Voulez-vous défendre l'Ordre du Temple contre lus accusations qui pèsent sur lui. » Bien qu'interrogés séparément, leur réponse fut la même :
« Avant de prendre une décision, nous voulons conférer avec le Grand-Maître du Temple. » Trois jours après Jean « d'Annonia », interrogé de nouveau, est plus catégorique ; il déclare vouloir défendre l'Ordre dans la mesure de ses moyens, « pro posse suo. »
Le nombre des Templiers animés des mêmes dispositions allait chaque jour grossissant. Lorsque, le 28 mars, la Commission pontificale les convoqua dans le verger du palais épiscopal de Paris, pour leur notifier ses pouvoirs et leur donner lecture des 127 articles de l'acte d'accusation dressé contre l'Ordre, ils étaient déjà 545, parmi lesquels Jean « d'Annonia. » Ainsi réunis après une longue séparation ; se senrant les coudes, comme on dit vulgairement, et se croyant désormais à l'abri de la torture, qui avait joué un si grand rôle clans la procédure inquisitoriale, ils reprenaient courage et ouvraient leurs âmes à l'espérance. C'était hélas trop présumer des pouvoirs, de l'énergie et de l'indépendance des nouveaux juges que le pape, par une distinction pour le moins subtile, venait de donner à l'Ordre, sans pour cela dessaisir les inquisiteurs de leur juridiction sur les individus.
La Commission
Le devoir de la Commission eût été, semble-il, d'entendre, sans délai, les 545, de les interroger et de contrôler leurs dépositions les unes par les autres. Elle recula devant cette besogne et demanda aux inculpés de se faire représenter par des procureurs qu'ils choisiraient parmi eux, au nombre de six, de huit, ou de dix au maximum. Les Templiers s'y refusèrent, disant qu'ils ne pouvaient adhérer à cette proposition sans l'autorisation du Grand Maître et ce fut alors que Renaud de Provins et Pierre de Bologne, se faisant les interprètes de leurs frères, rédigèrent et remirent à la Commission les protestations et les doléances dont nous avons parlé plus haut.Pour toute réponse, les commissaires réitérèrent leur proposition et, comme les 545 demeuraient inébranlables dans leur refus, ordre fut donné de les reconduire dans leurs prisons respectives. « Là, leur dit-on, vous aurez le temps de la réflexion, profitez-en ; dans quelques jours, des notaires iront vous visiter, avec mission d'enregistrer ce que chaque groupe aura décidé. »
C'était à l'abbaye de Sainte-Geneviève que Jean « d'Annonia » se trouvait enfermé avec dix-neuf de ses frères en religion. Les notaires s'y présentèrent le mercredi 1er avril et demandèrent aux prisonniers si, conformément à la requête des commissaires, ils avaient constitué procureurs. « Non, répondirent-ils, nous ne l'avons pas encore fait, parce que le prévôt de Poitiers et Jean de Jamville, nos gardiens, ne nous ont pas amené, comme il avait été convenu, certains de nos frères, pour délibérer avec nous sur ce point. »
Cédant sans doute aux instances des notaires, ils finirent cependant par désigner six procureurs, entre autres le chevalier Guillaume de Chambonnet, ratifiant par avance tout ce qu'ils pourraient dire ou faire ; puis, revenant brusquement sur leur décision, ils déclarèrent avoir nommé les six mon pour engager ou soutenir une action judiciaire, mais simplement pour prendre conseil et délibérer avec d'autres sur ce qu'il convenait de faire.
Ils ajoutèrent que les accusations portées contre l'Ordre, et dont on leur avait donné lecture le samedi précédent, étaient mensongères et contraires à la foi catholique, protestant qu'ils en feraient bonne justice, c'est-à-dire qu'ils en établiraient la fausseté. Puis, l'un d'entre eux le plus lettré sans doute « Hélye d'Aimery », du diocèse de Limoges, remit aux notaires, en son nom et au nom de ses co-détenus, un factum vraiment intraduisible, qui témoigne de sa foi, de sa naïve piété et de sa mémoire, beaucoup plus que de sa connaissance des règles les plus élémentaires de la grammaire latine et de sa puissance d'argumentation. Dans ce factum les trois personnes de la sainte Trinité, la sainte Vierge, saint Bernard, saint Louis, saint Jean l'Evangéliste et saint Georges sont tour a tour invoqués en faveur de l'Ordre, dont l'innocence est d'ailleurs nettement affirmée.
Plusieurs groupes de prisonniers avaient basé leur refus d'obtempérer aux désirs de la commission sur le même motif que Jean « d'Annonia » et ses co-détenus, c'est-à-dire sur l'inexécution de la promesse qu'on leur avait faite, disaient-ils, de leur amener quatre de leurs frères qu'ils voulaient consulter, à savoir les prêtres Renaud de Provins et Pierre de Bologne et les chevaliers Guillaume de Chambonnet et Bertrand de Sartiges, qui, en raison de leur sagesse et de leur instruction, jouissaient de l'estime et de la confiance générale. Sans reconnaître avoir pris sur ce point le moindre engagement, la Commission crut devoir néanmoins donner satisfaction aux récalcitrants. Les notaires, accompagnés cette fois des quatre conseillers, retournèrent donc aux prisons.
Ce fut le dimanche 5 avril qu'ils se présentèrent à l'abbaye de Sainte-Geneviève. Ils signifièrent aux prisonniers que les commissaires pontificaux voulaient en finir et que, quoi qu'il arrivât, ils commenceraient le surlendemain la procédure. Il importait donc aux intéressés de se tenir prêts à exposer, ce jour-là, soit par les quatre conseillers ci-dessus désignés, soit par un délégué spécial, leurs moyens de défense. En même temps, pour leur permettre d'écrire leur décision, le geôlier leur remit papier, plumes et encre.
Après en avoir délibéré, les dix-neuf donnèrent mandat aux quatre conseiller, de les représenter devant la Commission, non pas pour plaider en leur nom, mais simplement pour déclarer qu'ils persistaient dans leur refus de constituer procureurs, leur laissant d'ailleurs pleine et entière liberté d'intervenir comme bon leur semblerait pour la défense de l'Ordre.
Nous perdons ensuite la trace de Jean « d'Annonia. » Il est très probable, pour ne pas dire certain, qu'en vertu de la laineuse distinction entre l'Ordre et les personnes, il fut arraché à la-Commission pontificale par le Concile provincial de Sens et condamné comme tant d'autres, soit au bûcher, soit à la prison perpétuelle. C'était un moyen très simple, voire même très légal, ce qui ne veut pas dire très honnête, de se débarrasser des témoins gênants, et les inquisiteurs et les membres du Concile, tout dévoués à la politique de Philippe le Bel, ne se firent pas scrupule de l'employer.
Si Jean « d'Annonia » ne parle plus désormais, un parlera pour lui, ou plutôt contre lui, et une grave accusation pèse sur sa mémoire. Cette accusation émane d'un frère servant du diocèse d'Amiens ; Jean Rocher de Granvillar, qui, le 18 mars 1311, fit les déclarations suivantes devant la Commission pontificale :
« Je fis profession religieuse dans la chapelle du Temple de la Bossière ; au diocèse d'Amiens, dans l'octave de la fête de Pâques de l'an 1303. Jean de Crèvecoeur présida la cérémonie, à laquelle assistèrent le prêtre Gilles de Rotangis et les frères servants Hugues de Gamaches et Jean « d'Annonia », que je crois encore vivants. Après la réception de mes voeux, l'accolade fraternelle et différents avis sur la manière dont je devrais désormais me comporter, il me semble que Gilles de Rotangis et Hugues de Gamaches se retirèrent; quant à Jean de Crèvecoeur et à Jean « d'Annonia » ils m'entraînèrent près de l'autel. Là, l'un des deux, je ne sais plus lequel, alla prendre, par derrière, une croix de bois ne portant pas l'image du Christ et me la présenta. En même temps Jean « d'Annonia » m'enjoignit de renier Dieu. Je refusai ; il insista, disant que c'était là un des points de la règle que j'avais juré d'observer. La mort dans l'âme, je reniai Dieu, de bouche, mais non de coeur. Plaçant ensuite la croix sur un siège, il m'ordonna de cracher dessus ; je ne voulus pas le faire. Il ajouta que la règle m'autorisait à avoir des rapports charnels avec mes frères en religion. Je ne me suis pas rendu coupable de cette infamie, et je ne crois pas qu'elle ait été pratiquée dans l'ordre. Il me dit enfin que, d'après la Règle, je devais baiser « in ano » le frère qui avait reçu mes voeux. Ici encore je refusai et Jean de Crèvecoeur déclara qu'il n'y tenait pas. »
Sur quatre points l'accusation est précise et nettement formulée, mais elle se trouve en contradiction formelle avec l'attitude antérieure du déposant. En effet, Jean Rocher de Grandvillar fut un des nombreux Templiers qui se levèrent pour la défense de l'Ordre, lors de l'entrée en fonctions de la Commission pontificale, et son nom figure dans la liste des 545 adhérents à la déclaration collective du 28 mars 1310. Il a donc été successivement témoin à décharge, puis témoin à charge contre l'Ordre. Pris en eux-mêmes, ces témoignages s'annulent l'un l'autre; mais en tenant compte des circonstances dans lesquelles ils ont été rendus, leur valeur est loin de s'équilibrer; le premier a été donné librement sans la moindre pression, tandis que le second, postérieur à l'autodafé du 10 mai 1310, a été certainement arraché par la crainte du bûcher ou d'une condamnation à l'emprisonnement perpétuel.
Sans valeur intrinsèque, l'accusation de Rocher de Grandvillar se trouve-t-elle corroborée par les témoignages de Gilles de Rotangis et de Hugues dé Gamaches, qui assistèrent à sa profession, ou par celui de Jean de Crèvecoeur qui la présida ? Non.
Hugues de Gamaches n'a pas pris une part active au procès; nul ne sait par conséquent dans quel sens il aurait parlé.
Jean de Crèvecoeur comparut devant la Commission, le 11 avril 1310, et prêta le serment préalable, qu'on exigeait des témoins, mais, chose pour le moins étrange, les commissaires ne prirent pas la peine de le rappeler, et il ne fut pas interrogé. Il n'a donc pas eu l'occasion ni de confirmer, ni d'infirmer l'accusation portée contre Jean « d'Annonia. »
Quant au prêtre Gilles de Rotangis, il est resté complètement muet sur la profession de Rocher de Grandvillar, dans les deux interrogatoires qu'il a subis. Les quelques aveux qu'il a faits ne concernent pas cette profession et ne constituent pas la moindre charge contre Jean d'Annania. Ces aveux, du reste, ne doivent être admis que sous la plus grande réserve, car, plus que tout autre, Gilles de Rotangis paraît avoir mis en pratique, je n'ai pas besoin de dire sous quelles influences, la théorie des opinions successives et contradictoires.
Enfermé, après son arrestation, dans la prison de « Mons-terriolo », au diocèse d'Amiens, il se laisse abattre, il gémit, il dit en pleurant à Jean de Pollencourt et aux autres prisonniers :
« On veut détruire l'Ordre du Temple, nous perdrons la vie, si nous n'aidons pas à cette destruction en faisant les aveux qu'on nous demande. »
Plus tard, lorsque la Commission pontificale est instituée, il fait cause commune avec ceux qui prennent la défense de l'Ordre, puis, effrayé par les flammes du bûcher et craignant d'être traité comme relaps, il fait de nouveaux aveux au Concile de Reims. Là, il est relevé de l'excommunication et réconcilié, mais condamné, cependant, à un emprisonnement dont les rigueurs, pour certaines causes, « propter aliquas causas », pourront être adoucies au gré du prévôt de Poitiers et de Jean de Jamville, préposés à la darde des Templiers. Quelles pouvaient bien être ces causes d'adoucissement au régime ordinaire de la prison ? On s'est bien gardé de le dire, mais nous le devinons facilement :
c'était, au premier rang, l'engagement pris par le prisonnier, de renouveler devant la Commission pontificale les aveux qu'il avait faits au Concile. Cet engagement, il le tint très fidèlement, le 28 janvier et le 13 mars 1311.
Nous n'avons pas à relater ses dépositions, mais les détails que nous venons de donner nous permettent d'affirmer que, dans le cas même où il aurait confirmé l'accusation portée par Rocher de Grandvillar contre Jean « d'Annonia », « ce qu'il n'a pas fait », la confirmation ne mériterait pas plus créance et n'aurait pas plus de poids que l'accusation dont nous avons fait ci-dessus bonne justice.
En résumé, nous dirons de la maison de Villers-lès-Verrières ce que nous avons dit de celles de Sancey et de Payns, elle ne fournit aucun argument sérieux, aucune preuve convaincante à l'appui de la culpabilité des Templiers.
Sources : M. L'Abbé Auguste Pétel curé de Saint-Julien, membre résidant de la société académique de l'Aube, membres correspondant de l'Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Dijon. Archives.Org