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Fondation de la Milice du Temple

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Guillaume de Tyr

Création de La Milice

Chapitre VII.

[1118] - Dans le cours de l’année 1118, quelques nobles chevaliers, hommes dévoués à Dieu et animés de sentiments religieux, se consacrèrent au service du Christ, et firent profession entre les mains du patriarche de vivre à jamais, ainsi que les chanoines réguliers, dans la chasteté, l’obéissance et la pauvreté. Les premiers et les plus distingués d’entre eux furent deux hommes vénérables, Hugues de Pains et Geoffroi de Saint-Aldemar. Comme ils n’avaient ni église, ni résidence fixe, le roi leur concéda pour un certain temps un logement dans le palais qui est situé auprès du temple du Seigneur, du côté du midi. Les chanoines de ce temple leur concédèrent aussi à de certaines conditions, et comme champ d’exercice, la place qui leur appartenait tout près du palais. Le roi et les grands, le seigneur patriarche et les prélats des églises leur donnèrent en outre, sur leurs propres domaines, certains bénéfices, les uns à terme, les autres à perpétuité, et ces bénéfices furent destinés à leur assurer les moyens de se couvrir et de se vêtir. Lorsqu’ils firent leur première profession, il leur fut enjoint par le seigneur patriarche, et par les autres évêques, de travailler de toutes leurs forces, et pour la rémission de leurs péchés, à protéger les voies et les chemins, et de s’appliquer à défendre les pèlerins contre les attaques ou les embûches des voleurs et des maraudeurs. Durant les neuf premières années de leur institution, ils portèrent l’habit séculier, et n’eurent jamais d’autres vêtements que ceux que le peuple leur donnait par charité. Dans le cours de la neuvième année, et lors du concile qui fut tenu en France à Troyes, auquel assistèrent les seigneurs archevêques de Reims et de Sens, et leurs suffragants, l’évêque d’Albano, légat du siège apostolique, les abbés de Cîteaux, de Clairvaux et de Pontigny, et plusieurs autres encore, on institua une règle pour les nouveaux chevaliers, et on leur assigna un costume, qui fut le vêtement blanc, en vertu des ordres du seigneur pape Honoré, et du seigneur Etienne, patriarche de Jérusalem. Depuis neuf ans qu’ils avaient, fait leur première profession, ils n’étaient encore que neuf : mais alors leur nombre commença à s’augmenter, et ils acquirent aussi des propriétés plus considérables. Dans la suite, et sous le pontificat du seigneur pape Eugène, à ce qu’on rapporte, ils commencèrent à faire attacher sur leurs manteaux des croix faites en drap rouge, qui devaient servir à les distinguer entre tous les autres hommes, et ces croix étaient également portées par les chevaliers et par leurs frères inférieurs en rang, qui étaient appelés servants. Leurs affaires ont prospéré si bien qu’ils ont en ce moment dans leur couvent trois cents chevaliers plus ou moins, tous revêtus de manteaux blancs, sans compter les frères servants, dont le nombre est presque infini. On dit qu’ils ont d’immenses propriétés, tant au-delà qu’en deçà de la mer, et qu’il n’y a pas dans le monde chrétien une seule province qui ne leur ait assigné une portion quelconque de biens ; en sorte que leurs richesses sont, à ce qu’on assure, égales à celles des rois.

Comme le lieu de leur résidence est dans le palais royal qui se trouve situé près du temple du Seigneur, on les appelle Frères chevaliers du Temple. Ils se sont pendant longtemps maintenus convenablement dans l’objet de leur institution, et ont accompli les lois de leur première profession ; mais oubliant ensuite le devoir de l’humilité, qui est comme on sait la gardienne de toutes les vertus, et qui préserve de tout malheur tant qu’on la conserve volontairement au fond du cœur, ils se sont soustraits à l’autorité du seigneur patriarche de Jérusalem, qui leur avait donné la première institution et les premiers bénéfices, et lui ont refusé l’obéissance que jours prédécesseurs lui avaient d’abord engagée. Ils se sont aussi rendus extrêmement incommodes aux églises de Dieu, en leur enlevant les dîmes et les premiers fruits de la terre, et les troublants forts injustement dans leurs possessions.
Guillaume de Tyr (Jérusalem, vers 1130 - mort 1184) est archevêque de Tyr de 1175 à 1184, historien des croisades au Moyen Age et le précepteur du roi de Jérusalem Baudouin IV le Lépreux.

Ecuries du Roi Salomon à Jérusalem

La Mosquée al-Aqsa ou al-Aksa était l’ancienne église de la Présentation édifiée par l’Empereur Justinien et affectée au culte du Prophète ultérieurement par Omar. Au fond de cette église, vers l’ouest se trouvait la salle d’armes et la résidence des « pauvres chevaliers du Christ. » Au-dessous de cette construction communiquaient les Ecuries du Roi Salomon. Y figuraient encore au XIXe Siècle les anneaux ou les templiers attachaient leurs chevaux les selles et harnais prêts à tout moment à partir dans l’urgence pour protéger les Pèlerins.
Image des écuries et informations ci-dessus fournies par M. Philippe Miguet. Galerie du Grand Veneur. Paris.

Ecuries du Roi Salomon Jérusalem
Ecuries du Roi Salomon à Jérusalem - Sources: Abbé Fillion 1860

Mosquée al-Aqsa ou al-Aksa

Au-dessus de la roche Sarah s’élève la grande coupole, soutenue par quatre piliers et douze colonnes, qui forment une enceinte circulaire au centre delà mosquée. Les colonnes sont en marbre et d’ordre corinthien; elles sont antiques. Il y en a toujours trois entre deux piliers, et des arcs en ogive les réunissent toutes par le haut. La seconde enceinte est formée par huit piliers et seize colonnes : les piliers sont vis-à-vis des angles du mur de la mosquée; les colonnes sont placées de manière qu’il y en a toujours deux entre deux piliers : elles ont vingt pieds de hauteur. La largeur de la nef formée par cette colonnade et les murailles de la mosquée, d’après les mesurent de Catherwood, est de douze pieds anglais; la largeur de la nef située entre les deux rangées de colonnes est de trente pieds, et le diamètre de l’espace circulaire du milieu est de soixante-quinze. Dans la mosquée, il n’y a pas d’autres ornements que des arabesques de couleurs variées, des textes du Coran en lettres d’or, et une quantité de lampes et de vitraux coloriés.

La mosquée al-Aqsa ou al-Aksa, avec les nombreux bâtiments qui l’entourent, occupe la partie sud de la grande esplanade, à une distance de trois cent dix pieds anglais du haut parvis. Je m’y suis rendu en sortant de la mosquée d’Omar.

Le nom al-Aksa signifie la plus éloignée: la mosquée porte ce nom parce qu’elle est la plus septentrionale des trois mosquées les plus saintes de l’islamisme, celles de la Mecque, de Médine et de Jérusalem. Les Juifs l’appellent Midrasch Salomo.

Du côté de la vallée, elle repose sur les constructions voûtées fort considérables et fort anciennes dont j’ai parlé. Le palais de Salomon s’élevait autrefois dans cette partie de la ville. La mosquée est bâtie dans la direction du nord au sud.

En entrant, on ne saurait méconnaître l’origine et la disposition intérieure d’une église chrétienne. L’année 530, Justinien fit bâtir à Jérusalem une magnifique basilique en l’honneur de la Mère de Dieu; il n’y a pas de doute que ce ne soit ici son emplacement. Elle s’appelait l’église de la Présentation, parce que c’est vers cette partie de l’ancien temple que les parents de Marie l’offrirent au Seigneur lorsqu’elle n’avait encore que trois ans. Nous voyons dans les temps les plus anciens que de jeunes vierges, désignées sous le nom de halmah, étaient attachées au service du Seigneur, et figuraient même dans les solennités religieuses des Hébreux. La sainte Vierge fut élevée à l’ombre du sanctuaire avec ses jeunes compagnes jusqu’à l’âge de quinze ans, époque de ses fiançailles avec saint Joseph (1).
1. Consulter à ce sujet: Jacques de Vitry, Histoire de Jérusalem, chapitre 62.

C’est là aussi qu’habita Anne la prophétesse, qui salua l’enfant Jésus quand il fut présenté au temple.
D’après la description de Procope, la basilique de Justinien était une des plus magnifiques qui aient jamais été dédiées à la sainte Vierge (2).
2. Procopius, de Ædificiis Justignani, V 6. Voyez dans le même livre chapitre VII et IX, les noms des églises et couvents bâtis par Justinien en Palestine.

Justinien fit placer devant la porte deux magnifiques colonnes, comme nous avons vu qu’il y en avait devant le temple de Salomon (3). Cette église reposait d’un côté sur des rochers, et de l’autre sur des constructions souterraines faites avec des pierres d’une grosseur inusitée : Procope désigne sans doute par-là ces galeries appelées aujourd’hui étables de Salomon, qui ont été bâties alors ou seulement renouvelées.
3. Le baptistère de Florence, l’église Saint-Charles à Vienne, le dôme de Wurzbourg, etc., ont des colonnes pareilles.

L’église de la Présentation dut subir des changements à l’époque où les Sarrasins la convertirent en mosquée. Elle formait, avec les bâtiments qui l’entourent, une espèce de citadelle qui offrit la résistance la plus opiniâtre aux croisés ; aussi fut-elle inondée de sang à la prise de Jérusalem par les chrétiens.

Pendant la durée du royaume des Francs, tous ces édifices étaient appelés le Portique du temple de Salomon. Indépendamment de l’église, il y avait le palais du roi, et plus tard l’habitation des Templiers, dont le nombre s’éleva jusqu’à trois cents. Ils construisirent une nouvelle église et de nouvelles demeures qui furent rasées par Saladin.

Aujourd’hui la mosquée al-Aksa a deux cent quatre-vingts pieds anglais du nord au sud et cent quatre-vingts pieds de largeur. Elle a sept -nefs formées par quarante colonnes environ et plusieurs piliers: les colonnes sont en marbre, et ont été enlevées à d’anciens monuments; les piliers sont en pierre. Au milieu est une coupole fort élevée, couverte en plomb, ainsi que tout le reste de l’édifice, qui a deux toits ; celui qui couvre les dernières nefs est plus bas que celui qui surmonte le corps de l’édifice.

Si je n’avais vu à Constantinople et au Caire de célèbres mosquées dans un pareil état de nudité et de délabrement, j’aurais cru qu’on avait enlevé ce jour-là tous les ornements. A part la niche de prière (le mihrab) et la chaire (le minber), il n’y a rien qui mérite de fixer l’attention. Le mihrab est du côté oriental; on l’appelle aussi autel de David : c’est là qu’Omar fit sa prière le jour que Jérusalem fut conquise. Le minber est au milieu : c’est celui qui a été fait à Alep par Nour-ed-din. On montre encore, du côté occidental, la mosquée des femmes; au midi, le coin de la circoncision, l’autel de Moavia, et, près de la grande porte, le puits de la Feuille ; on l’appelle ainsi, dit-on, parce qu’un homme est entré par-là dans le paradis, d’où il est revenu en portant une feuille verte derrière l’oreille. A l’extrémité orientale de la mosquée, il y a un second autel de David, et près de là un lieu nommé le marché de la Science. En sortant de la mosquée de ce côté, on trouve une chapelle souterraine peu éloignée de la mosquée ; les musulmans l’appellent le berceau de Jésus, parce que c’est là, disent-ils, que pria Marie: ils y récitent la prière que fit Jésus lorsqu’il monta au ciel sur la montagne des Oliviers. Kamil-pacha ne nous conduisit pas dans les autres mosquées attenantes à celle-ci; je suppose, parce qu’elles sont peu dignes d’être vues. Au reste, nous en avions déjà trop pour une seule visite, quelque longue qu’elle ait été. Aussi longtemps qu’il faudra se borner à ces courses rapides (et cela même n’est accordé qu’à peu de personnes), on ne pourra faire aucune étude sérieuse sur des localités au plus haut point intéressantes, et où il y a encore bien des choses à découvrir (1).
1. Les meilleurs travaux qui ont été faits sont ceux ce Catherwood, Arundale et Bonomi. Voyez Bartlett, The Christian in Palestine, or Scens of sacred History, etc.
Sources: Monseigneur Mislin - Les saints lieux: pèlerinage à Jérusalem en passant par l’Autriche, la Hongrie, la Slavonie, les province danubiennes, Constantinople, l’Archipel, le Liban, la Syrie, Alexandrie, Malte, la Sicile et Marseille. Paris 1858 Volume 2

Création de la Milice, par Jacques de Vitry.

Livre II

[1118] - A la suite de ces événemens, et tandis que de toutes les parties du monde, riches et pauvres, jeunes gens et jeunes filles, vieillards et enfans accouraient à Jérusalem pour visiter les lieux saints, des brigands et des ravisseurs infestaient les routes publiques, tendaient des embûches aux pélerins qui s’avançaient sans défiance, en dépouillaient un grand nombre, et en massacraient aussi quelques-uns. Quelques chevaliers agréables et dévoués à Dieu, brûlant de charité, renonçant au monde, et se consacrant au service du Christ, s’astreignirent par une profession de foi et des vœux solennels, prêtés entre les mains du patriarche de Jérusalem, à défendre les pélerins contre ces brigands et ces hommes de sang, à protéger les routes publiques, à combattre pour le souverain Roi, en vivant, comme des chanoines réguliers, dans l’obéissance, dans la chasteté, et sans propriété. Les principaux d’entre eux furent deux hommes vénérables et amis de Dieu, Hugues de Pains, et Geoffroi de Saint-Aldémar. Dans le principe, ils ne furent que neuf à prendre une aussi sainte résolution. Portant les vêtemens que les fidèles leur donnaient à titre d’aumônes, pendant neuf ans ils servirent sous l’habit séculier. Le roi, les chevaliers, et le seigneur patriarche, remplis de compassion pour ces nobles hommes, qui avaient tout abandonné pour le Christ, les soutinrent de leurs propres ressources, et leur conférèrent dans la suite, pour le salut de leurs ames, quelques bénéfices et quelques propriétés. Comme ils n’avaient pas encore d’église qui leur appartînt, ni de résidence fixe, le seigneur roi leur accorda pour un temps une petite habitation dans une partie de son palais, auprès du temple du Seigneur. L’abbé et les chanoines du même temple leur donnèrent aussi, pour les besoins de leur service, la place qu’ils possédaient à côté du palais du roi. Et comme ils eurent dès lors leur demeure auprès du temple du Seigneur, ils furent appelés dans la suite frères chevaliers du Temple. Lorsqu’ils eurent demeuré neuf ans dans cette maison, vivant dans la même profession et dans cette sainte pauvreté, tous en commun, et comme un seul homme, l’an de grâce 1128, ils reçurent une règle, d’après les ordres du seigneur pape Honoré et du seigneur Étienne, patriarche de Jérusalem, et on leur assigna un vêtement blanc, sans aucune croix. Cette décision fut rendue dans le concile général qui se tint à Troyes, ville de Champagne, sous la présidence du seigneur évêque d’Albano, légat du Siége apostolique, en présence des archevêques de Rheims et de Sens, des abbés de l’Ordre de Cîteaux et de beaucoup d’autres prélats d’églises. Plus tard, et au temps du seigneur pape Eugène, ils mirent sur leurs vètemens, et en dehors, des croix rouges, continuant à porter le vêtement blanc, en signe d’innocence, et indiquant le martyre par les croix rouges, parce que, selon les préceptes de leur règle, ils font profession de verser leur propre sang pour la défense de la Terre-Sainte, de combattre vigoureusement contre les ennemis de la foi du Christ, pour les rejeter hors du territoire des Chrétiens, et parce que, sur le moindre signe, ou sur les ordres de celui qui les commande, ils s’avancent au combat sans aucune impétuosité désordonnée, mais en toute sagesse et prudence, étant toujours les premiers à combattre, et les derniers à se retirer, n’ayant jamais la permission de tourner le dos, ou de revenir sur leurs pas sans un ordre exprès. Et comme ces vaillans et vigoureux chevaliers du Christ, nouveaux Machabées, ne comptant point sur leurs propres forces, mais mettant toutes leurs espérances en la puissance divine, et ayant une confiance entière en la croix de Jésus-Christ, exposaient leurs corps, pour l’amour du Christ, à « une mort précieuse aux yeux du Seigneur », le Seigneur aussi combattait avec eux et pour eux. De cette sorte, ils devinrent formidables à tous les ennemis de la foi du Christ, si bien « qu’un seul en poursuivait mille, et que deux hommes en mettaient dix mille en fuite. » Toutes les fois qu’on criait aux armes, demandant, non point combien étaient les ennemis, mais en quel lieu ils étaient; lions à la guerre, agneaux remplis de douceur dans leur maison, dans une expédition, rudes chevaliers; dans l’église, semblables à des ermites ou des moines; durs et féroces pour les ennemis du Christ; pour les Chrétiens, pleins de bénignité et de tendresse, ils marchent, précédés d’une bannière noire et blanche, qu’ils appellent Beauséant, parce qu’ils sont pleins de candeur pour les amis du Christ, noirs et terribles pour ses ennemis. Et comme la religion ne peut se maintenir en vigueur sans une austère discipline, ces hommes sages et religieux, prenant dès le principe leurs précautions pour eux-mêmes et pour leurs successeurs, ne voulurent point dissimuler, ou laisser passer impunies les transgressions ou les négligences dont les frères pourraient se rendre coupables; mesurant soigneusement, et dans un examen attentif, la portée des crimes et les circonstances qui accompagnaient les péchés, tantôt ils rejetaient irrévocablement de leur société quelques-uns de leurs frères, après leur avoir enlevé la croix rouge, afin que le troupeau des brebis ne fût point souillé de la contagion d’une chèvre infectée; tantôt ils en forçaient d’autres, jusqu’à expiation suffisante, à prendre une légère nourriture sur la terre, sans nappe, afin qu’ils fussent devant tous frappés de rougeur, et que les autres en éprouvassent à leur tour une terreur convenable; et pour mettre le comble à leur confusion et à l’expiation de leurs fautes, s’il arrivait que des chiens vinssent manger avec eux, il n’était pas permis de les éloigner; d’autres fois enfin, pour réussir à délivrer les coupables des prisons de la géhenne, ils les enfermaient dans des prisons, et les chargeaient de fers, soit pour un temps déterminé, soit pour toute leur vie, selon qu’on le jugeait convenable. Il y avait encore dans les institutions de cette règle salutaire beaucoup d’autres moyens de contraindre les rebelles ou les récalcitrans à l’observation d’une discipline régulière et d’une conduite décente. Ils portaient en toute humilité, au seigneur patriarche de Jérusalem, l’obéissance et le respect qu’ils lui devaient; car, dès le principe, il les avait soutenus dans leur profession spirituelle, et secourus pour la vie du corps. Ils rendaient à Dieu les dîmes qui appartiennent à Dieu, et à César celles qui appartiennent à César151. Ils n’étaient incommodes à personne, et étaient aimés de tous, à cause de leur humilité et de leur religion. Par cette conduite, ils se firent un nom honorable; et la renommée de leur sainteté, répandant de suaves odeurs comme une cellule bien parfumée, s’étendit dans tout le monde; la maison de la sainte église fut remplie d’odeurs embaumées; et en rappelant le souvenir de ces hommes, les fidèles avaient la bouche comme remplie d’un doux miel. Aussi toute l’église des saints racontera leurs vertus et leurs combats, et leurs glorieux triomphes sur les ennemis du Christ. Des chevaliers accouraient en foule auprès d’eux de toutes les parties du monde; et non seulement des hommes de médiocre condition, mais même des ducs et des princes qui, à leur exemple, rompaient les liens du monde, renonçaient à tout pour le Christ; et qui, impatiens de s’associer à leur profession de foi et à leur vie religieuse, repoussant absolument les pompeuses vanités du monde et les délices de la chair, et les dédaignant comme la boue, inspirés par le ciel, se consacraient en toute dévotion à la milice du Christ et à la religion. Aussi se multiplièrent-ils en peu de temps à tel point, qu’ils se trouvèrent avoir dans leurs assemblées plus de trois cents chevaliers (sans compter les servans, dont le nombre était infini), tous revêtus de manteaux blancs. Ils acquirent aussi très-rapidement de vastes propriétés, tant en deçà qu’au-delà de la mer, et possédèrent, à l’exemple des frères de l’hôpital de Saint-Jean, des maisons de campagne, des villes et des places, sur les revenus desquelles ils envoient tous les ans une certaine somme d’argent pour la défense de la Terre-Sainte, à leur souverain maître, dont la principale résidence est à Jérusalem.

Il en est de même pour l’hôpital de Saint-Jean; les régisseurs de leurs maisons, qu’ils appellent les percepteurs, envoient aussi toutes les années une certaine somme d’argent au principal maître de leur Ordre. A l’imitation des frères du Temple, les frères de l’hôpital de Saint-Jean, employant aussi des armes matérielles, reçurent dans leur corps des chevaliers et des servans, afin que l’on vît s’accomplir ce qui a été dit par le prophète Isaïe sur l’avancement de la future Église. « Je vous établirai dans une gloire qui ne finira jamais. Le loup et l’agneau iront paître ensemble; le lion et le bœuf mangeront la paille; le loup habitera avec l’agneau; le léopard couchera à côté du bouc; le veau, le lion et la brebis demeureront ensemble. »
Jacques de Vitry, né entre 1160 et 1170 dans la région de Reims et décédé le 1er mai 1240 à Rome, était un historien et auteur spirituel, confesseur de Marie d’Oignies, prédicateur populaire, et évêque de Saint-Jean d’Acre. Il fut nommé cardinal-évêque de Tusculum en 1228.

Création de la Milice, par Ernoul.

Coment Templier vindrent en avant.

[1118] - Un certain nombre de chevaliers de l’Hôpital se détachent de l’ordre et fondent la maison du Temple. Origine du nom de Templiers.

Quant li Crestiien orent conquis Jherusalem, si se rendirent assés de chevaliers au temple del Sepucre; et mout s’en i rendirent puis (venus) de toutes tieres (terre). Et estoient obéissant au prieus dou Sepucre. Il i ot des boins chevaliers rendus (donats) ; si prisent consel entr’iaus et disent : « Nous avoumes guerpies (quitté) noz tieres et nos » amis, et sommes chi venu pour la loy Dieu i lever » et essauchier. Si sommes chi arresté pour boire et pour mengier et por despendre sans oevre faire; ne noient ne faisons d’armes, et besoingne en est en le tiere; et sommes obéissant à un priestre, si ne faisons euvre d’armes. Prendons consel, et faisons mestre (magistre) d’un de nos, par le congié de no prieus, ki nous conduie en bataille quant lius (quand lex) en sera. »

A icel tans estoit (regnoit Baudouin II) li rois Bauduins. Si vinrent à lui, et disent : « Sire, pour Dieu, consilliés nous, qu’ensi faitement avons esgardé à faire maistre de l’un de nous qui nous conduie en bataille pour le secours de le tiere. » Li rois en fut moût liés, et dist que volentiers i meteroit consel et aïe.

Adont manda li rois le patriarche et les airchevesques et les veskes et les barons de la terre, pour consel prendre. La prisent consel, et s’accorderent tuit que bien est oit à fere. La vint li rois, si lor donna tiere et castiaus et villes. Et là tist tant li rois et ses consaus viers le prieus dou Sepucre qu’il les quita de l’obedienche, et qu’il s’en (se) départirent; fors tant que de l’ensegne de l’abit del Sepucre (ke de l’abit del Sepulcre) em portent encore une partie. L’ensegne de l’abit dou Sepucre est une crois vermelle à deux bras, [tele le porte li Ospitaus]. Et cil del Temple le portent toute single viermelle (portent toute omple viermelle). [Et si jeta li Ospitaus le Temple, et se li dona son reliet et l’ensegne c’on apele l’ensegne del Bauçant].

Or vous dirai pourquoy il ont à non Templier.

Quant il se partirent del Sepucre, il n’orent u manoir. Li rois avoit .III. riches manoirs en le cité de Jherusalem : .I. en haut, à la Tour Davi ; et une en bas, devant le Tour Davi ; et le tierce devant le Temple, là où Dex (devant le Temple Del) fu offert. Chel manoir apieloit on le Temple Salemon ; c’estoit li plus rices. Il proierent le roy qu’il lor prestast celui manoir, de ci (d’ici adonc) qu’il en averoient un fait. Li rois lor presta celui manoir c’on apiele Temple Salemon (Assises de Jérusalem, tome I, page 31. Jean d’Ibelin) dont il ont à non Templier, pour çou qu’il y manoient. Là faisoient il le past le Roy, quant il portoit couronne en Jherusalem. Puis fisent il .I. biaus et rice manoir encoste, que li Sarrasin abatirent quant il prisent la cité, que se li rois vosist avoir le sien, que il i peussent (qu’il i peust) manoir. Ansi (2) Templier furent en avant apelé Templier.
1. Pipino rappelle en un mot la création de l’ordre du Temple dans son XXVe livre : « Ordo Templariorum iisdem ferme diehus inchoat. » Et il ajoute : « De cujus prima institutionc scribitur sub temporibus Henrici V. » (M. Col. 752). Il en avait en effet traité un peu moins sommairement dans le XIXe livre, consacré aux événements contemporains du règne de l’empereur Henri V. Partie inédite du ms. de Pipino. Bibl. de Modène., fol. 70 recto, liv. XIXe, ch. 21 : De prima institutione ordinis Templariorum
2. Dans le manuscrit original, le nom Templiers fut omis.

Ernoul est le nom communément attribué à l’auteur d’une chronique de la fin du XIIe siècle et traitant de la chute du royaume de Jérusalem.
Chronique d’Ernoul et de Bernard le Trésorier, publiée, pour la première fois, d’après les manuscrits de Bruxelles, de Paris et de Berne, avec un essai de classification des continuateurs de Guillaume de Tyr, pour la Société de l’histoire de France (1871)


Création de la Milice, Michel le Syrien


l’Histoire des Phrer « frères » francs (1)

Au commencement du règne de Baudoin II, un homme franc vint de Rome pour prier à Jérusalem. Il avait fait vœu de ne plus retourner dans son pays, mais de se faire moine, après avoir aidé le roi à la guerre pendant trois ans, lui et les trente cavaliers qui l’accompagnaient, et de terminer leur vie à Jérusalem. Quand le roi de Jérusalem et ses grands virent qu’ils s’étaient illustrés à la guerre, et avaient été utiles à la ville par leur service de ces trois années, ils conseillèrent à cet homme de servir dans la Milice [chevalerie], avec ceux qui s’étaient attachés à lui, au lieu de se faire moine pour travailler à sauver son âme seul, et de garder ces lieux contre les voleurs. Or cet homme, dont le nom était Houg de Payn, accepta ce conseil. Les trente cavaliers qui l’accompagnaient se joignirent et s’unirent à lui. Le roi leur donna la Maison de Salomon pour leur habitation, et des villages pour leur subsistance. De même, le patriarche leur donna quelques-uns des villages de l’Église.

Pour eux, ils s’imposèrent la règle de vivre monastiquement, ne prenant pas de femme, n’entrant point au bain, ne possédant absolument rien en propre, mais mettant en commun toutes leurs possessions. Par des moeurs semblables, ils commencèrent à s’illustrer : leur réputation se répandit en tous pays, au point que des princes royaux, des rois, des grands et des humbles venaient et s’unissaient à eux dans cette fraternité spirituelle; et quiconque devenait frère avec eux, donnait à la communauté tout ce qu’il possédait : soit villages, soit villes, soit toute autre chose.

Ils se multiplièrent, se développèrent et se trouvèrent posséder des pays, non seulement dans la contrée de Palestine, mais surtout dans les contrées éloignées (2) d’Italie et de Rome.

Leurs usages et leur règle sont écrits. Et quiconque vient pour être frère parmi eux, est éprouvé pendant un an. On lui lit les règles par sept fois, et à chaque fois on lui dit : « Vois; peut-être as-tu du regret ? Peut-être ne pourras-tu pas supporter jusqu’au bout ces règles ? Loue Dieu, et retourne à ta maison. » A la fin de l’année, sur celui qui accepte et promet de porter le joug, ils récitent des prières et le revêtent de leur habit. Et après cela, celui qui manque à sa promesse meurt par le glaive, sans miséricorde ni pitié.

Leur usage est celui-ci. Il n’est permis à personne de posséder en propre, soit maison, soit argent, soit biens quelconques ; ni de s’absenter sans la permission du supérieur; ni de dormir ailleurs que dans leurs maisons; ni de manger le pain à la table du vulgaire; ni, quand on reçoit l’ordre d’aller quelque part pour y mourir, de dire : « Je n’irai pas. » Mais on doit, comme on l’a promis, travailler avec foi dans ce ministère, jusqu’à la mort.

Quand quelqu’un meurt, ils font célébrer pour lui 40 messes; ils nourrissent les pauvres, pour lui, pendant 40 jours et 40 personnes chaque jour ; et ils font mémoire de lui à l’oblation du sacrifice dans leurs églises, à perpétuité ; ils considèrent comme des martyrs ceux qui meurent dans les combats. Si on reconnaît que quelqu’un a caché quelque chose à la communauté, ou si on trouve qu’il possédait en mourant quelque chose qu’il n’avait pas donné à la communauté, ils ne le jugent pas digne de sépulture.

Leur vêtement est un habit blanc très simple, et en dehors de lui, ils n’en peuvent revêtir d’autre. Quand ils dorment, ils n’ont pas la permission de quitter leur habit, ni de déceindre leurs reins.

Leur nourriture est ainsi (réglée) : le dimanche, le mardi et le jeudi, ils mangent de la viande, et les autres jours, du lait, des oeufs et du fromage. Les prêtres seuls qui officient dans leurs églises boivent du vin chaque jour, avec le pain, ainsi que les soldats, c’est-à-dire les cavaliers pendant leurs exercices, et les piétons dans les combats. Les ouvriers travaillent chacun à son métier, et de même les ouvriers des champs ; dans toute ville ou village où ils ont une maison, il y a un chef et un économe, et, sur leur ordre, tous ceux qui s’y trouvent travaillent chacun à son ouvrage.

Le supérieur général de tous est à Jérusalem : il commande à tous, et il n’est jamais permis à aucun d’eux de faire quelque chose de personnel. Sur tout ce qui rentre des récoltes de froment, de vin, etc., ils distribuent aux pauvres un dixième ; toutes les fois qu’on cuit le pain dans une de leurs maisons, on en réserve un sur dix pour les pauvres. Les jours où on dresse la table et où les frères mangent le pain, tout ce qui reste est donné aux pauvres. Deux fois par semaine, ils distribuent spécialement aux pauvres du pain et du vin (3).

Bien que leur institution primitive fût en vue des pèlerins qui venaient prier, pour les escorter sur les routes, cependant, par la suite, ils allaient avec les rois à la guerre contre les Turcs. Ils se multiplièrent au point d’être 100 mille. Ils possédèrent des forteresses et bâtirent eux-mêmes des places fortes dans tous les pays de la domination des Chrétiens. Leur richesse se multiplia en or et en choses de toute sorte, en armures de toute espèce, en troupeaux de moutons, de boeufs, de cochons, de chameaux, de chevaux, au-delà de celle de tous les rois. Et cependant ils étaient tous pauvres et détachés de tout. Ils sont familiers et charitables pour tous ceux qui adorent la Croix. Ils fondèrent dans tous leurs pays, et surtout à Jérusalem, des hôpitaux, de sorte que tout étranger qui tombe malade y trouve place; ils le servent et prennent soin de lui jusqu’à ce qu’il soit guéri, et alors ils lui donnent un viatique et le renvoient en paix, ou bien, s’il meurt, ils prennent soin de sa sépulture. Fin.
1. Il s’agit des Templiers, comme on le verra par le contexte. Cf. Rôhricht, Gesch. des Kônigr. Jerus., page 145.
2. De même dans la version arabe. Il faut lire la première partie du nom (peut-être) ; Hugues de Payns, premier grand-maître, mort le 24 mai 1136.
3. Cf. Henri de Curzon, La règle du Temple, Paris, 1886 ; et les autres sources citées par Rôhricht, Gesch. des Kônigr. Jérusalem, page 145.

Sources : Chronique de Michel Le Syrien, patriarche Jacobite d’Antioche (1166-1199). Editée pour la première fois et traduite en français par J.-B. Chabot. Ouvrage publié avec l’encouragement et sous le patronage de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Paris Ernest Leroux, Editeur. Paris 1905.

On peut lire ici et là

Analyse personnelle

1. — Après la prise de Jérusalem, Godefroi de Bouillon, élu avoué du Saint-Sépulcre, fonde l’Ordre du Saint-Sépulcre. Il est probable qu’Hugues de Payns, avant la fondation de la Milice du Temple faisait partie de cet Ordre. Ce dit Ordre était uniquement destiné à la prière et aux bons fonctionnements des institutions religieuses en Terre Sainte.

2. — Il est tout aussi probable, qu’Hugues de Payns, en eut assez de voir les pèlerins se faire rançonner, massacrés ou emmené en esclavage par les Infidèles. C’est alors en quittant cet Ordre du Saint-Sépulcre qu’il créa la Milice du Temple.

3. — Pour ce qui est de ces neufs compagnons, il faut prendre cette information avec la plus grande précaution. Nous savons que ce chiffre de neuf a été donné par Guillaume de Tyr, nous savons aussi à quel point il ne tenait pas les Templiers en odeur de sainteté.

4. — Par la suite, ce nombre de neuf, fut repris par certains chroniqueurs des Croisades, et d’autres ensuite. Bien sûr, les historiens et les romanciers ont continués à faire de ce chiffre neuf une symbolique templière.

5. — Il ne faut pas être dupe, ce n’était pas avec neuf chevaliers, que cette nouvelle Milice pouvait sécuriser la route de Jaffa à Jérusalem.
Jack Bocar

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