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Saladin, le plus Pur Héros de l'Islam

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    Les remous du monde Musulman à la veille des croisades

    Le-Caire Au XIIe et au XIIIe siècle de l'ère chrétienne, la formidable explosion de l'Islam ébranla le vieux continent, et le monde arabe connut une brillante période d'expansion territoriale et religieuse, de rayonnement intense dans le domaine des sciences et des arts. Ce fut « l'âge d'or » des historiens arabes, une fête ininterrompue.

    Le rêve des socialistes modernes de se voir pensionnés et nourris par l'État était réalisé.
    Après avoir menacé l'Europe, l'Islam se stabilisa. Et bientôt, dans l'énorme masse musulmane, subitement apparue dans l'histoire du monde à un moment particulièrement critique pour l'Occident secoué par les invasions sarrasine et slave, les rivalités dynastiques et la crise romaine du IXe siècle, d'inquiétants foyers d'agitation ne tardèrent pas à se manifester parmi les fanatiques propagateurs des cent quarante sourates du Coran, concises et obscures, qui pouvaient être différemment interprétées.

    Le Prophète avait dit: « La variété des opinions est une miséricorde d'Allah. »
    Cette sentence pouvait mettre à l'aise la conscience la plus exigeante des fidèles. Les conséquences du profond déséquilibre des forces spirituelles de l'Islam devaient fatalement troubler l'unité doctrinale et temporelle du monde.

    Des querelles dogmatiques aiguës mirent en péril l'existence du pouvoir central dont la légitimité fut à tout propos contestée.

    Les califes, vicaires du Prophète, ne tenaient certes pas à se voir déposséder de leur puissance par les sectes réformistes sans cesse en position de révolte ouverte contre eux. Aussi firent-ils appel aux étrangers pour préserver leur pouvoir, garder leur palais et leurs sérails, étouffer les émeutes populacières soigneusement entretenues par les classes cléricales.

    Menacés, ils remplacèrent par des mercenaires turcs ou par des esclaves africains les turbulents mais fidèles Bédouins dont les humbles ancêtres caravaniers avaient fondé l'empire de l'Islam.

    Dès lors le drame se noue

    Les mercenaires appelés par les califes dégringolèrent en foule des arides plateaux de leur Asie Mineure natale, heureux de louer leurs services aux éblouissants maîtres de Bagdad ou de Damas entourés d'une nuée de poètes et d'émirs. Ces hommes du Nord, « ces gardiens de moutons, écrit Abou Dâoud, qui suaient la misère dans leurs villages, ces va-nu-pieds », durs sur le champ de bataille, prompts à saisir à demi-mot le sens des besognes les plus laides, serviteurs expéditifs et muets, furent fort aise de vivre désormais confortablement à l'ombre des puissants et de jouer un rôle essentiel dans les tragi-comédies de harem.

    Aussi répondirent-ils en masse à l'appel imprudent des califes, tout comme autrefois les Barbares désertèrent sans scrupule leurs tribus errantes et affamées pour courir défendre les frontières de Rome et perdre l'empire qui les avait accueillis.

    Les nouveaux venus eurent tôt fait de se rendre compte de la faiblesse permanente du pouvoir qu'ils devaient protéger et bientôt les auxiliaires turcs remplacèrent leurs maîtres décadents sur le trône des descendants du Prophète.

    D'autres occupèrent les provinces occidentales de la Perse. Partout, les anciens chefs de bande, les aventuriers devenus ministres, triomphèrent.
    L'anarchie constitutionnelle du califat, les guerres incessantes que se déclaraient les grands féodaux des sultanats secondaires, le nombre de fiefs qui, comme dans l'Europe féodale du même temps, menaçaient l'autorité légitime, le conflit permanent des intérêts locaux, la pillerie endémique des Bédouins, la bigarrure des populations, toutes ces causes premières d'un déséquilibre profond favorisaient au-delà de leurs espérances les montagnards venus du Nord, ambitieux et cruels.

    Et, conséquence imprévue, ces aventuriers allaient rendre, à l'époque des Croisades, les guerres plus féroces et susciter par leurs excès une telle réprobation que la chrétienté entière prendra les armes pour faire respecter par les musulmans noyautés par les Turcs les accords de Charlemagne et d'Haroun al Raschid qui préservaient les privilèges des communautés chrétiennes de la Syrie franque.

    Les mêmes causes produiront éternellement les mêmes effets. Les califes, « serviteurs des deux terres sacrées », se contenteront désormais de l'usufruit de leur pouvoir spirituel.
    Ils laisseront à leurs ministres étrangers le soin de régler les affaires de l'État.
    Ils ont d'ailleurs fort à faire pour entretenir leurs poètes dont ils craignent la rime, pour vider les caisses du trésor public, s'intéresser, tel Amin, à la veille de sa mort, « à la douce lumière de la lune dansante dans les eaux du Tigre. »
    Cette société légère abandonne avec joie le fardeau des responsabilités politiques.
    Les courtisans gravitant autour des princes avaient toujours d'impérieux besoins d'argent. D'abord pour eux, pour leur famille, pour leurs amis, ensuite pour leurs propres courtisans et pour les courtisans de leurs courtisans.

    Au moment où jamais l'autorité califale n'a été aussi nulle ni autant discutée, au moment où l'on pouvait prévoir la scission du monde musulman en deux groupes de communautés ayant leur centre l'un à Bagdad, l'autre au Caire, l'Islam subit une rude épreuve.

    Les Abbassides propagent leurs mots d'ordre révolutionnaires ; des bandes d'esclaves noirs se répandent en Basse-Mésopotamie, pillant les villes prospères ; la sainte cité de La Mecque n'est point épargnée: elle est envahie par des hordes de fanatiques qui massacrent dix mille croyants autour de la Caaba ou « la Kaaba. »

    Les caravanes de pèlerins, n'osant plus se rendre à La Mecque, où l'on s'égorgeait avec zèle à longueur de journée, il se produisit alors un événement qui allait fâcheusement influencer les relations entre les chrétiens et les musulmans. En effet, ces derniers décidèrent de se rendre dorénavant à Jérusalem en pèlerinage, la mosquée d'Omar devant remplacer la Caaba ou « la Kaaba. »

    Les chrétiens n'eurent rien à gagner avec l'irruption de ces interminables cortèges de croyants qui envahissaient périodiquement Jérusalem et qui, sous l'empire de leur exaltation, menaçaient et molestaient des membres des communautés chrétiennes. Les exactions dont ils furent victimes incitèrent Byzance à intervenir.

    La grande métropole de l'Empire latin de l'Orient affirmait ainsi qu'elle n'entendait pas se désintéresser de ce qui se passait en Terre Sainte. Depuis plus de cinq siècles, elle résistait à la pression du monde musulman et la politique syrienne de ses empereurs fortifia les espérances des chrétiens d'Orient au moment où, comme nous allons le voir, les colonies chrétiennes de l'Egypte étaient terrorisées par ce fou qu'était le calife Hakem.

    Au XIe siècle, la scission du monde musulman était consommée. Les deux villes saintes se donnaient aux califes fatimides, venus de l'Afrique du Nord et nouveaux maîtres de l'Egypte, faisant ainsi perdre à leurs rivaux de Bagdad leurs titres enviés de « protecteurs de Médine et de La Mecque. » Le califat fatimide devait, selon le mot de son fondateur, « construire sur les ruines d'un monde corrompu un royaume de justice et de bonheur. » Son apparition est un événement considérable dans l'histoire de l'Orient musulman. L'empire que les Fatimides créèrent devint si puissant qu'il parut menacer très sérieusement l'Islam syrien affaibli par les rivalités de ses princes. Il était parvenu à son apogée lorsque les choses se gâtèrent.

    Un déséquilibré selon les uns, un illuminé selon les autres, venait de monter sur le trône du Caire à l'âge de onze ans. Il s'appelait Hakem. Ce monarque fantaisiste et inconstant, ce sensuel raffiné et précoce mérite que nous lui consacrions quelques lignes, car c'est une figure originale. Il faisait décapiter les astrologues, siéger la nuit les tribunaux, trancher en une matinée la tête de dix mille victimes, incendier pour se distraire des quartiers entiers du Caire, déterrer les cadavres des cimetières pour nourrir ses chiens favoris, sabrer les femmes nues par ses esclaves noirs. Entre temps, pour varier ses plaisirs, ce despote sanguinaire, plongeant son peuple dans une stupeur confinant à la superstition, fît raconter par ses familiers qu'il était l'incarnation même d'Allah. Il trouva des partisans exaltés qui répandirent cette légende en Perse, dans les Indes, en Syrie où, de nos jours encore, les Druzes continuent à croire que Hakem incarna pendant son règne maudit le dieu des musulmans.

    Cependant, les Infidèles ne furent point les seuls à souffrir des dérangements cérébraux du calife. Après s'être attaqué aux pratiques traditionnelles de l'Islam, Hakem se plut à éprouver cruellement les communautés chrétiennes qui fournissaient pourtant à son administration les meilleurs fonctionnaires. Pour distinguer les chrétiens, les humilier, les ramener à leur condition de tributaires, il leur fit porter ostensiblement une croix pesant quatre livres. Non satisfait de détruire leurs églises et leur quartier du Caire, il conçut le projet insensé de bouleverser la terre sur laquelle se succédèrent les actes de l'éternelle tragédie ; il fit démolir pierre par pierre l'église du Saint-Sépulcre, niveler le calvaire du Golgotha, brûler des reliques.

    Ce vandalisme lui valut un regain de popularité et les vœux du monde musulman. La population fut invitée au pillage des monastères d'où les Pères furent chassés. Et la terreur fut bientôt telle que la foule s'écrasa devant les portes des bureaux de l'administration musulmane où l'on recevait les promesses d'abjuration.

    Cette persécution provoqua une violente réaction en Occident. L'émotion fut à son comble. Hakem venait d'abolir définitivement le protectorat franc établi par Charlemagne en Terre Sainte et la lutte entre le christianisme et l'Islam entrait dans une phase critique.

    L'émotion suscitée par la persécution des chrétiens d'Egypte ne s'était pas encore calmée que l'on apprenait en Europe une nouvelle catastrophe. D'anciens mercenaires turcs, autrefois appelés par le califat de Bagdad, les Seldjoukides, après maintes aventures, s'étaient reconnus assez puissants pour oser attaquer les frontières de Byzance et avaient anéanti, le 19 août 1071, sur le mémorable champ de bataille de Han-zikiert, une armée byzantine forte de cent mille hommes. Ils s'emparèrent ensuite de Jérusalem, d'Antioche, de Smyrne, de Rhodes.

    L'une après l'autre, les métropoles asiatiques, illustrées par les souvenirs de l'âge apostolique, passèrent sous le contrôle des Seldjoukides. Dès lors, les événements se précipitèrent. Rome ne pouvait demeurer indifférente devant cette débâcle. Au concile de Clermont, en mars 1095, le pape français Urbain II prêcha la Première Croisade.

    Ce qui, dans l'intérêt de la papauté, détermina les motifs de cette guerre sainte, ce fut non la menace pesant sur Byzance, mais le sort de Jérusalem.
    Cette croisade, inspirée par les malheurs des chrétiens d'Orient, exprima spontanément l'enthousiasme des fidèles pour la Terre Sainte que deux siècles de pèlerinages ininterrompus et les souvenirs de la brillante diplomatie de Charlemagne obtenant l'autorisation de bâtir des églises, des couvents, des hospices en Palestine, avaient imprimé dans le cœur des chrétiens d'Occident.

    Si l'on méconnaît la valeur de ce passé, son influence, on ne peut s'expliquer la genèse des Croisades, magnifique élan spirituel des peuples unis par leur foi autour du tombeau du divin Maître, sans distinction de nationalité, dans une même et ardente communion de cœur et d'esprit.

    Tandis que les premiers Croisés se rassemblaient les Seldjoukides voyaient s'écrouler, sans même avoir eu le temps d'en jouir, le magnifique empire qu'ils venaient à peine de fonder.
    L'événement, affectant la Syrie, fut providentiel pour les Croisés. L'unité politique musulmane, imposée par une poigne de fer, ne résista point à cette nouvelle épreuve que subissait l'Islam syrien. Les successeurs des Seldjoukides devinrent des féodaux soucieux de préserver leurs territoires contre les envahissements de leurs voisins. Les liens d'unité, une fois de plus, étaient brisés à un moment où cette unité de race et de religion était nécessaire pour faire face à la menace qui se précisait à l'ouest, dans les pays de l'Europe latine parcourus par les moines suscitant une sainte colère contre les Infidèles.

    Et lorsque les armées de la Première Croisade déferleront sur le sol de l'Asie, les émirs syriens ne se préoccuperont pas des suites logiques de cette invasion. Leurs haines de famille et de tribu domineront le débat.

    Terrés dans leurs capitales ils se croiront en sûreté derrière les déserts de Mésopotamie et ils regarderont passer le flot plutôt que de mettre un terme à leurs ressentiments et de s'associer pour défendre l'Islam.

    Ainsi, la Première Croisade restera par eux incomprise

    Ce ne sera point, pour les musulmans, une guerre de religion telle celle que suscitera bientôt Saladin après le geste stupide de Renaud de Châtillon enlevant en pleine paix une caravane de marchands passant par ses terres.

    Dans ce gigantesque mouvement de reflux de l'Occident vers les rivages vénérés de la Terre Sainte, les pieux et imprévoyants musulmans ne trouveront pas un seul sujet d'inquiétude.
    Il faudra attendre la venue de Saladin qui saura grouper et assagir autour de lui les émirs récalcitrants, il faudra attendre le génie de Baybars et deux siècles de luttes pour que les fautes initiales des dirigeants musulmans de la fin du XIe siècle soient purifiées par le sang des multitudes d'hommes anéanties sur la route de Jérusalem par les épidémies, par la faim, par la soif et par la guerre.

    Godefroy de Bouillon eut la partie belle. En quelques étapes il traverse l'Anatolie, culbute les Turcs, pendant que son frère fonde au-delà de l'Euphrate la principauté d'Édesse, qui pourrait menacer Mossoul et Bagdad. Après une campagne triomphale, Godefroy de Bouillon plante sa tente devant Jérusalem. Après un siège d'un mois, la ville fut prise et cent mille musulmans massacrés.

    Le royaume latin d'Orient était fondé, au milieu des cris de joie de la chrétienté et des lamentations de l'Islam.

    Les chrétiens se taillaient des États

    La principauté d'Antioche qui couvrait de son protectorat la Petite Arménie, le comté de Tripoli limité au nord et au sud par l'impressionnante citadelle de Margat et l'antique Byblos phénicienne ;

    Enfin le royaume de Jérusalem comprenant les régions de Moab, l'ancienne Nabathée, lequel était partagé entre quatre grandes baronnies:
    Les comtés de Jaffa et d'Ascalon ;
    La principauté de Tibériade ;
    La baronnie de Sidon ;
    La seigneurie de Montréal dans les terres « d'Oultre Jourdain. »
    Les Croisés, en prenant possession de ce sol où ils devaient verser tant de sang, édifièrent partout des forteresses afin de protéger la côte syrienne et surveiller les routes de Damas, d'Alep ou du Caire.
    Sources: Saladin le plus pur Héros de l'Islam — d'Albert Champdor — Editions Albin Michel; 1956

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