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Règle française et Primitive de l'Ordre du Temple

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INTRODUCTION

1. — La Règle du Temple, dans l'état où elle nous est parvenue, est loin de composer un tout homogène, de la même époque et du même auteur. A défaut des manuscrits originaux, probablement détruits, elle nous est connue par trois copies, des XIIIe et XIVe siècles, conservées à Rome, à Paris et à Dijon. Ce sont elles qui forment la base de la présente publication. Les textes qui les composent ont été transcrits à la suite les uns des autres, sans révision, sans divisions parfois, avec les répétitions que des rédactions et des commentaires successifs ne pouvaient manquer de faire naitre. Un examen attentif permet cependant d'apercevoir plusieurs parties bien distinctes (1).
1. Nous avons placé, avant le texte de la Règle, une table sommaire qui permettra de se rendre compte de ces divisions.

C'est d'abord une traduction, en soixante-douze articles, de la Règle latine (2) annexée au procès-verbal du concile de Troyes de 1128 ; on sait que le fondateur du Temple, Hugues de Payns, se présenta à cette assemblée avec plusieurs de ses compagnons. La traduction est suivie d'une liste des fêtes célébrées au Temple.
2. Nous imprimons le texte de cette Règle latine en note, au-dessous de la traduction française ; nous avons suivi l'ordre adopté par le rédacteur de cette dernière, ordre très différent de celui du texte latin. On trouvera à la fin du volume, avant la Table générale, une table de concordance des paragraphes des deux textes.

En second lieu, un chapitre important, renfermant les statuts hiérarchiques da l'Ordre. Il concerne les dignitaires et les frères du Temple : les principaux devoirs de leur vie conventuelle, militaire et religieuse, le costume et les équipements, les droits et prérogatives y sont indiqués avec soin. Ces règlements offrent déjà des différences avec ceux du concile de Troyes ; mais ils prennent, dans ce chapitre, leur forme définitive, car on n'y revient, dans le reste du manuscrit, que pour ajouter des détails et des commentaires nouveaux. Quelques articles, qui ne paraissent pas à leur vraie place, traitent des repas au couvent et des soins à donner aux malades. — On décrit dans un chapitre spécial ce qui se passe à la mort d'un grand maître et à l'élection de son successeur ; c'est le seul passage de la Règle où soit mentionné ce cérémonial, dont la rédaction semble contemporaine de celle des statuts précédents. — La même remarque s'applique aux pages suivantes, qui comprennent un premier exposé de la pénalité en usage dans l'Ordre ; cet exposé est fort bref et sans explications. On y a joint quelques articles sur les frères chapelains et sur les formules latines employée à leur profession.

La troisième grande partie de la Règle peut se diviser en deux chapitres. Dans le premier, ou revient, avec de nombreux détails, sur le règlement journalier des frères : repas, lever et coucher, discipline conventuelle, soins à donner aux chevaux, rapports entre les frères, service religieux, jeûnes, discipline et marche en campagne pendant la guerre. Le second nous fait connaître la tenue des assemblées ordinaires, la confession publique dus frères, les témoignages ou accusations qu'ils sont tenus d 'apporter, et tout ce qui concerne le code pénal de l'Ordre. Les fautes prévues sont classées et étudiées suivant le degré des peines qu'elles appellent ; le mode de punir ou d'absoudre et la manière dont les frères subissent leur peine sont minutieusement expliqués.
Une quatrième partie fournit de nouveaux éclaircissements sur la pénalité, et y joint, cette fois, quelques exemples historiques.
Enfin, un dernier chapitre, sans aucun lien avec ce qui précède, donne, pour ainsi dire, le procès-verbal de la réception d'un frère dans l'Ordre du Temple.

Nous distinguons ainsi, dans le recueil des textes de la Règle tel qu'il nous est parvenu, au moins quatre rédactions successives des statuts conventuels, et deux chapitres de rituel relatifs à l'élection du grand maître et à la profession des frères. On ne saurait assigner à aucune de ces diverses parties une date, même approximative. Nous ignorons même, dans le texte de la Règle latine que nous possédons, ce qui remonte véritablement à la date de 1128, au concile de Troyes, et représente l'œuvre rédigée sous l'inspiration de saint Bernard.

La question a été plusieurs fois examinée, et l'on a fait remarquer que probablement quelques-uns des articles du texte qui nous est parvenu sont postérieurs à ceux de la rédaction primitive. Il est clair, en effet, pour un certain nombre des statuts indiqués, qu'ils n'ont pu être établis dès la fondation du Temple : ils prouvent une existence déjà assez longue de l'Ordre, une expérience acquise, une influence étendue (3).
3. Voyez, par exemple:
Les articles 21 et 22 (68 et 17 de la Règle française), interdisant aux chapelains et sergents de porter le manteau blanc réservé aux seuls chevaliers, contusion qui avait donné lieu à de nombreux abus.
Les articles 51 et 66 (57 et 58 de la Règle française), permettant à l'Ordre de jouir de terres et de vilains, et de recevoir des dimes.
Cf. Encore les articles 4, 5, 18, 29, 32, 37, 55, 57, 61 et 64.
- Pour tout ceci, voyer Münter, Statutenbuch des Ordens der Tempetherrn., Berlin, 1794, 1 volume in-8°, et surtout Wilcke, Geschichte der Tempelherrn, 2e édition, Halle, 1860, 2 volumes in-8°.


La traduction française est également postérieure à la dernière rédaction du texte latin, car, malgré sa fidélité générale, elle contredit, dans quelques passages importants, les statuts originaux. Ceux-ci parlent d'un noviciat exigé, comme dans les autres Ordres, avant la profession (c. 58 Règle française n° 11) : la Règle française supprime cette phrase, et jamais, dans le reste des statuts, il n'est question d'une pareille condition. De même, le texte latin ne permet pas aux frères de chercher des recrues pour l'Ordre parmi des chevaliers excommuniés (c. 64 ; Règle française n° 12) : le texte français, au contraire, ordonne ce mode de recrutement, afin de ramener dans le sein de l'église les chevaliers égarés. Un mot ou deux, habilement intercalés, suffisent à changer absolument l'esprit du texte original. Il en est de même dans plusieurs autres endroits (4).
4. Par exemple, au n° 64 de la Rgle française et (4 de la Règle latine), la traduction française change l'expression de « chapelains servant dans l'Ordre, » prise dans un sens général, en celle de - prêtres et clercs servant à la charité. » Cette distinction importante montre qu'à l'époque de la rédaction française, le précepte ne devait plus s'appliquer aux chapelains du Temple qui faisaient partie de l'Ordre.
Ce n'est qu'en arrivant aux dernières pages de la Règle, aux exemples historiques, que nous pouvons fixer des dates.

La mention d'une invasion des Tartares, qui eut lieu en 1257, et celle de différents faits survenus à Arsuf, Saphet, Antioche, Jaffa, etc., avant que ces villes et châteaux forts tombassent aux mains des païens, c'est-à-dire avant 1205, 1206, 1267 et 1208, limitent à une période d'environ huit années (entre 1257 et 1205) la date de la rédaction de ce chapitre. Il serait en effet peu vraisemblable, si cette rédaction eût été d'une époque postérieure, que l'auteur n'eut fait aucune allusion à de si graves événements. Il déclare, d'ailleurs, après avoir cité un fait qui s'était passé sous le magistère d'Hermant de Périgord (1233-1244), en avoir eu connaissance, non par lui-même, mais par des frères « qui furent en celui tens » et le lui ont « retrait ; » et ce détail tend à confirmer notre hypothèse. En général, tous les exemples historiques cités sont empruntés à des événements arrivés au milieu du XIIIe, siècle.

Il n'y a, sur ce point, aucune conclusion à tirer de l'âge des manuscrits que nous possédons ; ceux-ci ne sont, en effet, que la copie d'un ou de plusieurs originaux. Deux d'entre eux, ceux de Rome (5) et de Paris (6), sont complets dans leur ensemble, malgré la perte de quelques feuillets.
5. Ce manuscrit faisait partie de la bibliothèque du prince Corini (Cod. 17), où l'a découvert le Danois Münter, dont nous parlerons plus loin. Il est conservé aujourd'hui à l'Académie des Lincei, Cod. 44, A 14. C'est un petit in-4° sur parchemin, mesurant 0 m 232 sur 0 m 160, et comprenant 133 feuillets à 2 colonnes ; un feuillet, détaché avant le numérotage des pages, manque aujourd'hui. Nous désignons ce manuscrit par la lettre R.
6. Ce manuscrit est conservé à la Bibliothèque nationale, fonds français 1977 (ancien 7908). Il provient de la bibliothèque de Mazarin, où il portail, le n° 780. Il mesure 0 m 230 sur 0 m 100, et comprend 122 feuillets ; deux feuillets manquent et n'ont pas été comptés.
Nous désignons ce manuscrit par la lettre P.

Ils proviennent probablement des chefs-lieux de deux des principales provinces de l'Ordre. Le troisième, conservé à Dijon (7), est beaucoup plus court et comprend seulement les deux premières parties des manuscrits de Rome et de Paris, la Règle ancienne et les statuts hiérarchique ; le texte s'arrête au chapitre de l'élection du grand maître.
7. Ce manuscrit, qui provient du grand prieuré de Champagne (maison de Voulaines), est conservé aux Archives départementales de Dijon, sous la cote H 111. Il mesure 0 m 210 sur 0 m 150 et comprend 116 feuillets placés sans ordre dans une reliure ancienne. A la lecture, les feuillets se succèdent ainsi : 1-4, 93-108, 13-92, 5-8, 109-116, 9-12. Ces transpositions ont été reconnues par l'ancien archiviste, Maillard de Chambure, qui a utilisé le premier ce manuscrit. Nous désignons le volume par la lettre D.

Copié pour l'usage d'une maison d'ordre inférieur, ce manuscrit n'avait nul besoin de renfermer les parties qui suivent dans les autres manuscrits, la pénalité par exemple, dont les règlements toutefois avaient certainement été fixés avant cette époque. On peut le faire remonter au commencement du XIIIe siècle, et, à ce point de vue, il n'est pas à dédaigner, tout incomplet qu'il soit, pour servir de contrôle aux manuscrits de Rome et de Paris, qui paraissent avoir été copiés tous deux vers les dernières années du XIIIe, ou mieux au début du XIVe siècle.

On ne s'étonnera pas du petit nombre des manuscrits aujourd'hui connus de la Règle du Temple, si l'on songe que les procédures intentées à l'Ordre, au moment de sa chute, ne constatèrent l'existence d'aucun d'entre eux et que, vraisemblablement, les juges n'en avaient pu trouver, les grands maîtres ayant, à plusieurs reprises, fait restreindre le nombre des exemplaires et détruire tous ceux qui n'étaient pas d'une nécessité absolue. D'ailleurs la Règle elle-même donne la raison formelle de cette rareté des manuscrits : « Nul frère, dit-elle, ne doit tenir retrais ne règle, se ne les tient par le cungié dou couvent. Le couvent establit que nus frère ne les tenist, nul frere se il ne fust bailli, tel qu'il le peust tenir por l'office de la baillie. » Plusieurs autres passages montrent que l'un ne faisait connaître aux frères qu'une petite partie des statuts et que le texte complet n'était confié qu'aux grands dignitaires, aux commandeurs des provinces et aux principaux commandeurs des maisons. Encore tous ne possédaient-ils pas le recueil en entier. Le passage que nous venons de citer distingue la règle et les retraits, et prouve par-là l'existence simultanée de plusieurs recueils spéciaux, communiqués aux commandeurs selon leur rang et leur compétence. Les retraits, qui sont, à proprement parler, les établissements hiérarchiques et les règlements conventuels, renvoient souvent à la Règle ; celle-ci est sans doute la traduction que nous possédons des statuts primitifs latins, très répandus même en dehors de l'Ordre. Ces distinctions sont importantes à établir.

C'est en effet dans ce sens qu'il faut, à notre avis, interpréter certain passage, souvent cité et mal compris, du procès des Templiers, où un avocat précédemment lié avec Gervais de Beauvais, maître du Temple de Laon, dépose qu'il lui a entendu dire, entre autres choses, «.... qu'il avait un certain petit recueil de statuts de son Ordre, qu'il montrait volontiers, mais aussi un autre plus secret, qu'il ne laisserait voir pour tout un monde (8). »
8. « .... Quod habebat quemdam librum parvulum, quem bene ostendebat, de statutis sui Ordinis, sed alium secretiorem habebat, qunm pro toto mundo non ostenderet.... » Séance du 11 avril 1310 dans le Procès des Templiers, édition Michelet (Collection des Documents inédits, 2 volume in-4°, 1840), tome I, page 175. — Cf. d'autres dépositions mentionnant la Règle : tome I, page 243 et 388 ; tome II, page 434, 438, 444.

Les deux manuscrits que nous avons peuvent donc être regardés dans cet état comme exceptionnels. Ils sont, du reste, identiques, et, de son côté, le texte du fragment de Dijon, en dépit des différences de dialecte et du peu de scrupule du copiste, qui a çà et là remplacé un mot par un autre, ne diffère pas de celui des manuscrits de Rome et de Paris. — Nous sommes donc en présence d'un texte unique, émané sans doute du siège de l'Ordre et rédigé dans le style incorrect, dans la langue parfois mêlée d'italianismes, de mots tirés de divers dialectes ou forgés au besoin, qu'on parlait en Orient, et dont les chartes et les règlements écrits en français dans le Levant, au XIIIe siècle, nous fournissent de nombreux exemples. Il faut ajouter que le scribe était peu soigneux, et sans doute assez ignorant ; ses phrases ne sont pas toujours claires, son orthographe est parfois fantaisiste. Le texte est néanmoins curieux dans cet état, et nous l'avons scrupuleusement reproduit (9). Notre édition le présente ainsi, pour la première fois, dans son ensemble. Il serait injuste, néanmoins, de ne pas rappeler que la Règle du Temple a déjà été l'objet de deux publications : une traduction résumée, en langue allemande, publiée en 1794 par le Danois Münter, et une édition du manuscrit de Dijon, complété à l'aide du manuscrit de Paris, édition donnée par l'archiviste Maillard de Chambure, en 1840 (10).
9. Ces observations ne se rapportent qu'au texte de Paris et Rome.
Nous avons relevé en note toutes les variantes fournies par celui de Dijon. Nous avons cru toutefois devoir corriger dans le texte quelques erreurs évidentes, quelques fautes grossières et divers spécimens, souvent isolés, de dialectes étrangers au reste du texte, formes anomales placées parfois à deux lignes de distance de la forme ordinaire. Citons ainsi les mots : aumosna (66), octavas (74), partia (82), enfermeria (93, 510), terra (95, 182, 187, 196, 271, 323), tabla (95, 182, 187, 196, 271, 323), chevaucheura (99), chapela (148, 208, 318), maladia (150, 190, 194), maniera (177, 372), vila (579), medecina (195), marina (640), sainta (24), aucuna (326) ; d'autre part, les formes : soveirain (8, 9, 22, 38, 62), jorn (30, 31, 62, 63), cominal (4, 21), Diaus (198, 365, 388, 408, 537).
— Enfin des formes comme : scilence (24, 31, etc.), luit (116, 123, 174, 210, 218, 317), celuit (149, 167, 109, 329, 385), chascunt (138, 519), fraire (faire : 173, 174, 193...), etient (253, 259, 304, 441, 535....), sarmon (387, 389, 394), lagiere (516), asmis (112). — Mais, nous le répétons, la plupart de ces mots sont dans la proportion de un ou deux contre trente ou quarante exemples de la forme ordinaire.

10. Fréderic Münter, de Copenhague, découvrit, à Rome, et copia, en 1785, le manuscrit Corsini. Il fit paraître en 1794, à Berlin, un premier vulume renfermant, sous le titre de « Livre des statuts de l'ordre du Temple, » une sorte de traduction résumée, en allemand, avec commentaire, des articles du manuscrit groupés suivant l'ordre des matières. Cet arrangement, habilement fait du reste, est loin de présenter l'ensemble complet du texte : la publication de celui-ci, dans son intégrité, était réservée pour un second vulume qui n'a jamais paru. Il y a lieu de croire que cette édition n'eùt pas été parfaite : l'analyse de la traduction montre que l'auteur n'a pas toujours lu exactement le manuscrit, et que, de plus, son ignorance de divers mots du vieux français l'a amené à des interprétations étranges, des explications fantaisistes ou des lacunes forcées. Le commentaire, néanmoins, soigneusement étudié, n'est pas sans mérite et offre encore de l'intérêt : il s'applique à rapprocher de la Règle du Temple, d'une part les articles de la Règle des Teutoniques, de l'autre ce que l'ouvrage tout récent de Moldenhaver (Process gegen den Orden der Tempelherrn. Hamburg, 1792, in-8°) avait fait connaitre du procès des Templiers.


La publication de Münter passa assez inaperçue, au moins en France. En 1840, Maillard de Chambure, archiviste de la Côte-d'Or, édita, sous le titre de Règles et statuts secrets des Templiers, un texte comprenant les deux premières parties de la Règle incomplète de Dijon, puis le reste de la Règle d'après le manuscrit de Paris. Cette combinaison donne en deux fragments, écrits dans un dialecte différent, un ensemble dont nous possédons le texte complet et uniforme. Il y manque de plus les deux feuillets tombés du manuscrit de Paris : cette lacune, il est vrai, n'existe pas dans le manuscrit de Rome ; mais l'éditeur s'est contenté, pour celui-ci, de reproduire trois lignes de fac-similé. Le texte, tel quel, sans division ni table, a été édité en général avec assez peu de soin ; la lecture n'est pas toujours exacte, la méthode typographique est parfois des plus obscures, et la ponctuation, trop souvent erronée, laisse croire que des passages entiers n'ont pas été compris. Les notes manquent, et les variantes sont fort incomplètes. Enfin, l'ouvragé est déparé par l'importance considérable que l'auteur a accordée à l'Ordre moderne du Temple, dont l'histoire est longuement écrite « sous ses auspices,» avec ses armoiries et avec pièces à l'appui, dans l'Introduction.

Il n'y a d'ailleurs aucun doute à avoir sur la valeur de ce texte comme original : jamais la Règle du Temple, telle que nous la possédons, n'a pu être rédigée en latin. Le style même s'oppose à cette hypothèse : en effet, l'effort de traduction, qui se fait sentir parfois d'une façon bien inintelligente pour les articles de la Règle primitive, ne se retrouve plus dans les pages suivantes. En outre, les frères, chevaliers ou sergents, n'avaient aucune notion de la langue latine : à peine savaient-ils lire ; ils se bornaient à assister aux offices et ne les récitaient pas. Les statuts, qu'on leur commentait, l'Ecriture sainte, qu'on leur lisait pendant les repas, étaient écrits en français ; on avait fait traduire à leur usage la première Règle de l'Ordre ; on en fit autant pour la Bible (11).
11. La Bibliothèque nationale (Nouvelles acquisitions, français 1404, vente A.-F. Didot) possède le manuscrit d'une Bible française du XIIIe siècle, qui, d'après l'opinion de M. Léopold Delisle, semble provenir des Templiers. Le traducteur déclare, dans une sorte de prologue, en vers souvent peu intelligibles, intercalé avant le Livre des Juges, que son travail lui a été commandé par « maitre Richard et frère Othon, » et il s'étend sur l'utilité et l'intérêt que cette traduction ne manquera pas d'avoir pour cette « sainte fraerie, » pour cette « chevalerie, » dont il rappelle les vœux avec éloges.

2. — Nous avons dit que la Règle dressée sur l'ordre du concile de Troyes avait été inspirée ou dictée par saint Bernard ; le scribe ou le rédacteur, Jean Michel, le déclare dans le prologue de cette Règle même. De plus, une tradition constante affirme la confraternité toute particulière des Templiers et des Cisterciens (12) : ainsi, la Règle latine du Temple fut souvent éditée avec celle de Saint-Benoît et avec les constitutions de Citeaux (13). Pourtant quelques auteurs ont rattaché les Templiers à l'Ordre de Saint-Augustin (14). Cette confusion s'explique par certaines analogies entre les règles de ces trois Ordres, notamment dans les prières et dans plusieurs préceptes religieux ; mais l'étude comparative de la Règle de Saint-Benoît et de celle du Temple ne peut laisser aucun doute sur la source de cette dernière.
12. Voyez leur historien Manrique, Annales Cistercienses (Lugduni, 1642), tome I, page 187, année 1128, etc.
13. Par exemple, dans Henriquez, Menologium Cisterciense (Antverpiae, 1630, 2 volumes in-fol.), tome II, page 41 ; et dans A. Le Mire, Chronicon Cisterciensis Ordinis (Colon. Agrip., 1614, in-12).
14. Par exemple dans W. Dugdale, Monasticon Anglicanum, édition de 1830, Londres, 8 volume in-folio, tome VI, part II, page 813.


Les règlements des Templiers ne sont pas non plus sans analogie avec ceux des Hospitaliers et des chevaliers Teutoniques. — Les statuts de l'Hôpital, tels que nous les possédons encore écrits aux XIIIe et XIVe siècles, offrent beaucoup de points communs avec ceux du Temple ; les deux Ordres ne se trouvaient-ils pas dans les mêmes conditions, ne poursuivaient-ils pas à peu près le même but ?

Mais, à côté des ressemblances, les différences sont profondes : très concise en bien des cas où la Règle du Temple est longuement développée, la Règle de l'Hôpital s'étend avec abondance sur des questions étrangères aux Templiers, par exemple sur le soin des malades et l'hospitalité (15).
15. Les manuscrits des statuts de l'Ordre de l'Hôpital, qui existent encore aujourd'hui, sont en nombre beaucoup plus considérable que ceux de la Règle du Temple. Nous trouvons les plus amples renseignements sur cette question dans un volume que M. Delaville Le Roulx a lait paraître récemment sous ce titre : De prima origine Hospitalariorum (Paris, Thorin, in-8°, 156 pages) ; voyer les pages 38-44.
L'auteur signale vingt-trois manuscrits, ainsi distribués : sept à Paris (Bibliothèque nationale : quatre du XIVe siècle, trois du XVe) ; un à Montpellier (Bibliothèque de la faculté de médecine, XIVe siècle) ; un à Malte (Archives, XIVe siècle), un à Turin (Athéneum, XIVe siècle) ; cinq à Toulouse (Archives : deux du XIVe siècle, trois du XVe siècle) ; un à Vienne (Bibliothèque impériale, XVe siècle) ; deux à Rome
(Bibliothèque du Vatican, XIIIe et XIVe siècle) ; un à Florence (Bibliothèque nationale, XVe siècle) ; un à Marseille (Archives, XIIIe siècle) ; un à Dijon (Archives, XVe siècle). Au total, deux de ces manuscrits remontent au XIIIe siècle, onze au XIVe siècle, et dix au XVe siècle. — Suivant la coutume constante des Hospitaliers, la Règle se compose des statuts édictés par les chapitres généraux sous les magistères successifs des grands maîtres, qui ont complété la règle primitive donnée par Raymond du Puy.
A côté des statuts, l'Hôpital avait un code pénal, désigné sous le nom d'EGARDS, qui n'était pas inséré dans tous les exemplaires.
Plus tard, le grand maitre Pierre d'Aubusson (en 1489) fit transformer complètement ces dispositions et grouper les statuts par matières. Ils furent alors rédigés, puis imprimés en latin, en français, en italien, etc. On fit un choix très restreint des anciens règlements, qui sont, en somme, tout à fait inédits.


— Les ressemblances sont beaucoup plus grandes entre les Templiers et les Teutoniques, et cela par une raison différente. Pendant longtemps, à partir de leur fondation, en 1190, les chevaliers Teutoniques se soumirent simplement aux statuts du Temple ; ils y ajoutaient seulement deux ou trois préceptes empruntés aux Hospitaliers et suivaient, comme ceux-ci, au point de vue religieux, la Règle de Saint-Augustin. De bonne heure, ils cherchèrent à y introduire quelques modifications, et la liberté de le faire fut octroyée à leur grand maître, en 1244, par le pape Innocent IV.

C'est à cette époque que remonte la rédaction de leurs statuts, tels qu'ils nous sont parvenus (16). Ils sont, en beaucoup de points, calqués sur ceux du Temple ; mais on voit que c'est un abrégé, un résumé, qui ne dispensait sans doute pas de se référer, à l'occasion, à la Règle originale des Templiers. Ainsi, bien que le rédacteur ait eu entre les mains la presque totalité du texte que nous publions, il a laissé de côté la plupart des détails qui concernent la tenue des chapitres et la pénalité, et n'a gardé généralement, des autres statuts, que les points essentiels.
16. Les règles primitives furent très fidèlement gardées par cet Ordre. En 1442, le grand maitre Conrad d'Erlichshausen, à la tête du chapitre général, fit rétablir le texte original (en allemand), un peu altéré dans les exemplaires en usage, et copier trois manuscrits types, qui furent déposés à Marienhourg, Horneck et Riga. Il n'en reste plus aucun, si ce n'est peut-être le premier, qui serait l'exemplaire conservé aujourd'hui à Kœnigsberg et édité dans cette ville, en 1806, par Hennig (Die Statuten des Deutschen Ordens, in-8°). On connaît encore quelques autres manuscrits secondaires, toujours en allemand. Diverses traductions de la Règle ont également été faites, une en latin notamment, très ancienne, écrite probablement avant la perte de la terre sainte, et incomplète : la meilleure édition est celle que l'on trouve au tome II (page 12-64) des Miscellanea de Raymond Duellius. (Auguste Vindobon., 1723-4, 2 volumes in-4°). — Sur cette question, voyer les excellentes Recherches sur l'ancienne constitution de L'Ordre Teutonique et sur ses usages. [Par G.-E.-J. de Wl], Mergentheim, 1807, 2 volumes in-8°.

3. — La Règle du Temple est donc doublement précieuse, puisqu'elle est la base de toute étude sur l'organisation intérieure de l'Ordre des Teutoniques aussi bien que de l'Ordre des Templiers. Pour l'histoire de ceux-ci, nous possédons, grâce à la Règle, dans leur dernier état et dans leur réunion la plus complète, des témoignages originaux, précis et authentiques sur un Ordre qui est encore bien mal connu. Les historiens, cependant, n'ont pas accordé à ce document l'attention qu'il mérite. La plupart paraissent même en ignorer l'existence : ils parlent volontiers de « statuts secrets, » qu'ils ne connaissent pas, mais qu'ils imaginent infâmes et monstrueux ; ils ne tiennent pas compte d'une source aussi pure et aussi certaine que la Règle française, et accordent un crédit aveugle à des traditions vagues ou à des conclusions passionnées, qui ne reposent que sur des témoignages le plus souvent récusables.

La Règle, il est vrai, ne prouve qu'une chose, c'est que l'Ordre du Temple était régi, jusqu'à son dernier jour, par des lois irréprochables, vraiment monastiques, et même fort sévères. Elle ne prouve pas qu'à côté de ces vrais statuts, précisément très secrets pour la plupart (17), il n'ait pu se glisser, dans un nombre de maisons plus ou moins grand, des traditions hérétiques, des pratiques coupables, des initiations symboliques ou en quelque sorte maçonniques, souvenirs de la vie et des mœurs orientales, exagération des usages autocratiques de l'Ordre, et surtout corruption importée de différents côtés et propagée dans des provinces entières par de nouveaux frères déjà pervertis et trop légèrement reçue.
17. Cf. le passage que nous, citons, page VII, relativement aux divers manuscrits de la Règle possédés par le maitre du Temple de Laon, Gervais de Beauvoir, dont il est question dans le Procès (éditions Michelet). — C'est un des arguments les plus décisifs qu'on mette en avant en faveur de la thèse des Statuts secrets.

Nous avons parlé plus haut (page IV) de règlements qui commandent en quelque sorte aux frères du Temple de chercher des recrues parmi les chevaliers excommuniés. N'y avait-il pas là une trop grande facilité à admettre dans l'Ordre des individus encore corrompus ou hérétiques en dépit de l'absolution obtenue pour eux ?
— Dans la question que nous soulevons en ce moment, le souvenir des Albigeois, pourchassés, réfugiés, et se convertissant pour sauver leur vie, ne se présente-t-il pas tout de suite à l'esprit ?
— Mais osera-t-on affirmer, comme quelques-uns n'ont pas craint de le taire, l'existence de règlements organiques, imposés par les puissances directrices de l'Ordre, avoués du grand maître et des grands commandeurs, quand il est certain que de nombreuses maisons, que des royaumes tout entiers n'ont pas été atteints par le mal, quand surtout on n'a réellement rien retrouvé de ces fameux statuts, malgré les recherches actives et intéressées des juges et des bourreaux (18) ?
18. Le Dr Merzdurf a publié à HHlle, en 1877, une brochure intitulée : Die Geheimstatuten des Ordens der Tempelherrn (160 pages in-8°), qui renferme, sous le titre de « Munumenta ad disciplinam arcanam fratrum militiae Templi, » la règle latine primitive, des « accessiones novae, » des « statuta secreta, » etc., en petit nombre du reste, relevas sur des manuscrits des archives du Vatican. Le proffesseur H. Prutz (Geheimlehre und Goheimstatuten des Tempelterren-Ordens ; Berlin, 1875, 183 pages in-8°) a fait justice de ces textes de fabrication maçonnique, qui ont surtout pour but d'établir une filiation entre les Templiers et les Francs-maçons. Il démontre que les statuts ont été faits après coup, d'après les accusations et les prucès-verbaux des Procès du Temple, et que les éditions de ceux-ci ont même dû être connues du faussaire.
— Une autre filiation, faisant remonter l'institution des grands maitres bien au-delà de Hugues de Payns, jusqu'à Fr. Jésus, et énumérant tous les prétendus successeurs de Jacques de Molay, avait été précédemment établie par l'Ordre moderne du Temple. On sait que cet Ordre suivait la doctrine Johannite. Son cérémonial, ses procès-verbaux, tous ses papiers sont aujourd'hui déposés aux Archives nationales ; mais ces documents n'offrent qu'un médiocre intérêt, et aucun ne fait allusion à des statuts secrets des anciens Templiers.


La question très complexe des statuts coupables et de la doctrine hérétique des Templiers a été étudiée à diverses reprises, mais par des auteurs généralement passionnés, auxquels un lecteur impartial aurait tort de se fier. Voyer notamment, sur ces matières, l'ouvrage important de Loiseleur : la Doctrine secrète des Templiers ; Orléans, 1872, 230 pages in-8°. Le professeur Prutz a résumé, à son tour, toute la question dans la première partie de l'étude citée plus haut.

Rien, dans la Règle que nous publions, ne confirme ou n'autorise ces accusations ; tout, au contraire, y reflète une discipline sévère et fortement constituée : le lecteur s'en convaincra en parcourant le résumé des règlements, que nous donnons ici.
Ceux-ci peuvent se grouper sous six chefs : hiérarchie et personnel ; vie conventuelle, costume, service religieux ; tenue des chapitres et code pénal ; élection du grand maître ; réception dans l'Ordre ; rapports des Templiers avec le pape et avec les Ordres religieux.
Sources: Henri de Curzon. La Règle du Temple publiée pour la Société de l'histoire de France. BNF

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