Les Templiers   Orient-Latin   Les Croisades

Possessions des Croisés en Orient-Latin

Retour

Préface

S'il est une histoire qui paraît connue et épuisée, c'est bien celle des croisades, qui n'a cessé depuis sept siècles d'exercer la veine des érudits et des romanciers.
Peut-être toutefois le spécialiste ne considèrera-t-il pas comme un paradoxe d'ouvrir ce travail en disant qu'une telle gloire n'a pas toujours produit le climat le plus propice à la recherche scientifique, et que sur bien des points l'histoire des croisades reste à faire. L'Europe ne s'est longtemps attachée qu'aux croisades, non aux états fondés par elles sur le sol d'Asie ; lorsqu'elle a pris en considération les « Francs » de Syrie elle s'est préoccupée avant tout du royaume de Jérusalem, comme si l'histoire d'Antioche, de Tripoli, d'Édesse, en était une simple annexe ; elle les a insuffisamment, rattachés à leurs cousins d'Occident ; elle a étudié leurs relations avec leur milieu oriental presqu'exclusivement du point de vue politique, et là même très imparfaitement, parce que les sources arabes de cette histoire sont restées jusqu'à ce jour dans une large mesure inutilisées. Le présent travail est un effort pour combler en partie ces lacunes.

Géographiquement, il a pour centre la Syrie du nord et ses confins septentrionaux et orientaux. Il y a là un ensemble de régions qui n'ont jamais reçu d'appellation commune, mais n'en possèdent pas moins depuis toujours une indéniable individualité comme carrefour de l'Anatolie, de la Syrie et de la Mésopotamie, par où elles s'opposent à la Syrie méridionale, toujours attirée vers l'Égypte. Pendant la période des croisades, cette opposition est accusée parce que la Syrie méridionale est un pays musulman, tandis que la. Syrie du nord est de population en grande partie chrétienne, hier relevant de l'empire byzantin ; les croisés accentuent la différenciation, puisque, abstraction faite des deux états secondaires de Tripoli et d'Édesse, ceux qui s'établissent dans le royaume de Jérusalem sont des « Lorrains » et des Français, ceux d'Antioche des Normands de l'Italie du sud. La principauté d'Antioche fera l'objet principal de notre élude, mais il est impossible de la séparer des pays qui l'environnent et particulièrement du comté d'Édesse.

Le contenu de notre ouvrage a été déterminé par des circonstances indépendantes des nécessités du sujet. Les préoccupations centrales en sont l'adaptation des Francs aux conditions « coloniales » de leur vie nouvelle et les contacts mutuels des peuples que leur conquête a appelés à vivre ensemble. Mais il n'était pas possible de ne pas établir d'abord avec précision le cadre politique au travers duquel les faits sociaux nous apparaissent. On aurait voulu pouvoir à cet égard se borner à situer l'histoire franque dans l'histoire orientale sans entrer dans les détails de cette dernière ; l'absence d'exposé auquel renvoyer le lecteur nous a paru rendre utiles des développements qu'on jugera sans nul doute fastidieux. Quant aux divers aspects de la vie sociale du proche-Orient, il eût fallu allonger considérablement la liste de nos sources et la durée de nos recherches si nous avions prétendu en donner dès cet ouvrage un exposé général approfondi ; nous ne nous dissimulons pas les graves lacunes qui résultent de cette carence pour la compréhension même de la société franco-syrienne.

Nous avons consacré aux sources, principalement arabes, un exposé général critique plus étendu que ne l'exigeait notre sujet ; une telle étude, base indispensable à tout travail historique sérieux, n'a que trop longtemps été omise, et notre ambition est qu'elle puisse servir à orienter d'une façon nouvelle les recherches d'histoire du proche-Orient. Nous avons cru aussi devoir introduire un copieux exposé de topographie historique, moins neuf assurément, mais faute duquel l'historien serait exposé à commettre quelques contresens. Les auteurs qui ont étudié les croisades n'ont pas toujours été suffisamment détachés de leurs opinions politiques ou religieuses ; nous ne pouvons éviter l'emploi de termes contemporains comme « colonisation », par exemple ; nous serions désolés qu'ils pussent servir à étayer des arguments, quels qu'ils soient, de politique contemporaine, française ou syrienne.

Ce travail a été fait sous la direction historique de MM. Ch. Diehl et L. Halphen ; il eût été irréalisable sans l'enseignement arabe de M. Gaudefroy-Demombynes. Je ne saurais trop les remercier de l'accueil excellent et des conseils précieux que j'ai toujours trouvés auprès d'eux, Je m'excuse auprès des autres personnes auxquelles je dois de la reconnaissance de n'en pouvoir donner ici la liste, qui serait trop longue ; je les prie de croire que je n'en oublie aucune.

Mon travail a bénéficié d'un séjour de trois ans à la Fondation Thiers, coupé de voyages dans les bibliothèques de Londres, Oxford, Leyde, Vienne, Rome, Venise, etc... et d'un séjour d'un an en Turquie, grâce à la Caisse des Sciences, à l'Institut Français d'Istambul dirigé par M. Gabriel, et aux autorités turques.

On a cherché à adopter un système de transcription combinant les avantages d'être le moins déroutan (...)
L'édition de cet ouvrage n'a été possible que grâce aux bons offices de MM. Dussaud et Seyrig, de M. Geuthner, et à la subvention dont l'a honoré l'Institut (1). Paris, le 27 septembre 1938.

Notes
1. On a cherché à adopter un système de transcription combinant les avantages d'être le moins déroutant possible pour le lecteur français et de rendre toutefois par des signes distincts les lettres distinctes des divers alphabets originels (en particulier arabe et arménien). Il n'a été fait qu'une exception pour le « gh » qui, suivant l'exemple des arabes, a été considéré comme pouvant rendre à la fois le gh et le lw arméniens. On n'a pas distingué du i normal de i sourd turc qui n'est distingué que par l'alphabet moderne.

Chapitre I. Le Pays

Les régions qui font l'objet de ce travail, douées tout au long de l'histoire d'une forte individualité commune mais non d'une appellation générale, constituent la transition entre le pays syro-mésopotamien d'une part, les plateaux anatolo-cappadociens de l'autre.

Le relief syrien est caractérisé par l'existence de deux plateaux soulevés, l'un proche de la mer, l'autre intérieur, séparés par un fossé courant du nord au sud ; le relief de la partie de l'Asie Mineure qui touche à la Syrie, par l'existence de la chaîne taurique, orientée du sud-ouest au nord-est en deux grands plis, le Taurus et l'Anti-Taurus. Le relief des pays de la Syrie du nord est le résultat du conflit de ces deux orientations. D'un bout à l'autre se retrouvent les deux chaînes séparées par une fosse, celle-ci étant seulement un peu morcelée. Au nord du Liban, qui n'est qu'un morceau de la table syrienne surélevé et déjeté selon la direction taurique, le système syrien se retrouve dans le Djabal Ansarié, que la fosse du Ghâb et du Roûdj sépare, à l'est, du Djabal Zawiyé. Au-delà, la direction taurique triomphe et la chaîne intérieure atteint ici la mer; là se trouve le Djabal 'Aqra, qui se prolonge au-delà de l'Oronte et du 'Afrin par le Kurd Dagh (1). La chaîne extérieure constitue l'Amanus ou Ghiaour DagHistoriens des Croisades Les deux chaînes sont séparées par un vaste couloir, marqué par les vallées du bas-Oronte et du Qara Sou au sud et de l'Aq Sou au nord. Au nord, elles se raccordent à l'Anti Taurus, qui file au nord-est où il se fond dans les Massifs d'Arménie. L'Anti Taurus et l'Amanus à l'est, le Taurus à l'ouest et au nord enferment la plaine cilicienne. Les montagnes de la Syrie du nord à l'est, les montagnes tauriques au sud-est se continuent par des plateaux, dans le détail assez morcelés, qui s'inclinent doucement vers le sud, et se prolongent à l'est, au pied des massifs arméniens, jusqu'aux chaînes du Kurdistan, coupés de quelques hauteurs orientées est-ouest. L'ensemble des plateaux, du moyen-Euphrate au bassin supérieur du Tigre, constitue la Djéziré ; de là comme de la Syrie intérieure on passe sans transition nette en Iraq.

Les altitudes sont très variables. Les plus hautes sont toujours atteintes au bord même des fosses, soit à l'est pour les chaînes occidentales, soit à l'ouest pour les chaînes orientales. C'est le cas en particulier pour le Dj. Ansarié, dont la ligne de faîte, qui se tient entre 1.200 et 1.500 mètres, tombe à pic sur le Ghâb qui est à 200 mètres; pour l'Amanus, dont les 1.800 mètres au sud, les 2.300 mètres au nord dominent presque sans transition le couloir du bas-Oronte à l'Ak Sou, qui ne dépasse pas 500 mètres au centre et s'abaisse aux deux extrémités. De plus, la largeur de ces chaînes est faible, d'où des pentes abruptes, des ravins profonds; ce sont des murailles difficiles à franchir. Par contre, les chaînes intérieures sont moins hautes (ne font exception que les chaînes qui se raccordent à l'Anti Taurus tout au nord et le Dj. Aqra, 1.760 mètres, qui, exceptionnellement, se trouve, comme les chaînes extérieures, au bord de la mer). Il s'ensuit que la transition avec le désert est, climatiquement et humainement, beaucoup plus insensible qu'en Syrie centrale.

Les roches constitutives du pays sont très variées. L'Amanus, le Dj. Aqra, certaines parties des chaînes tauriques, sont constituées de roches dures et imperméables, favorables aux puissantes vallées; au contraire, dans toute la région des petites chaînes et plateaux de la Syrie intérieure et de la Djéziré prédomine le calcaire sec qu'entaillent verticalement les gorges de l'Oronte ou de l'Euphrate. Le Dj. Ansarié, les plateaux entre le Taurus oriental et l'Euphrate, sont de glaise molle effroyablement déchiquetée en tous sens par les torrents. Les dépressions sont couvertes d'alluvions.

Le tracé des cours d'eau n'obéit que partiellement aux lignes du relief. L'Oronte, échappé vers le nord à la dépression de la Beqâ, entre Liban et Antiliban, tourne à l'ouest près de Hamâh, puis de nouveau vers le nord dans le Ghâb, d'où, après des gorges, il atteint la dépression bordière de l'Amanus qu'il emprunte par un violent coude vers le sud-ouest, en recevant les eaux du Qara Sou, qui l'a parcourue en amont, et du 'Afrîn, qui s'est taillé une large vallée entre le Kurd Dagh et le Dj. Smân, mais sans avoir pu drainer le lac du 'Amouq; au nord du même couloir, l'Aq Sou ne draine pas mieux son bassin avant de rejoindre dans ses gorges le Djeïhoûn qui, venu de Cappadoce, traverse l'Anti Taurus et l'Amanus, puis, le Seïhoûn descendu du Taurus, forme de ses alluvions la basse-plaine cilicienne. L'Euphrate, échappé au prix de coudes furieux dans des défilés grandioses, des massifs arméniens, longe d'abord vers le sud-ouest la base des chaînes tauriques orientales, puis, repoussé par les premiers contreforts des hauteurs syriennes, coule vers le sud en entaillant le plateau calcaire, en attendant, de subir à partir de Bâlis l'attraction de la dépression mésopotamienne vers le sud-est; sur sa rive gauche, il reçoit alors le Bâlikh et le Khâboûr, qui suivent également du nord au sud la pente des plateaux. Semblable est, de l'autre côté, l'orientation du Qouaïq d'Alep qui, n'ayant aucun fleuve pour entraîner ses alluvions, se perd dans une lagune. Les plateaux calcaires entre Qouaïq et Oronte sont le domaine des vallées sèches.

Les côtes traduisent bien l'orientation du relief, qu'elles suivent du nord au sud le long du Dj. Ansarié et du sud-ouest au nord-est entre Lattakié et l'embouchure de l'Oronte et dans le golfe d'Alexandrette, ou coupent transversalement dans quelques chaînons du Dj. 'Aqra ou à l'extrémité de l'Amanus, au fond du golfe d'Alexandrette, et en basse-Cilicie. Mais, soit qu'elles longent des chaînes sans les briser, soit qu'en coupant les lignes du relief elles traversent des dépressions, elles sont presque partout basses, marécageuses; ne font exception que la côte au sud du Râs al-Khanzîr et celle du Djabal 'Aqra, qui seule a d'importantes échancrures. Ce n'est donc pas de ses qualités naturelles que cette côte a tiré son importance maritime à certaines époques de l'histoire, mais de son rôle de façade méditerranéenne de l'Asie et du compartimentage de l'arrière-pays, propice à la multiplication des petits ports.

Le climat est un compromis entre la Méditerranée et le désert syro-arabique. L'été est toujours sec; l'amplitude des variations thermiques, grande à l'intérieur, s'atténue sur la côte. Mais le relief est ici le principal agent de diversité : la pluie est abondante sur les chaînes côtières et les hautes chaînes intérieures; les cimes portent des neiges qui ne fondent qu'au printemps, entretenant de nombreux cours d'eau. Les orages sont fréquents et, avec le relief, contribuent à la prédominance des torrents sur les rivières calmes. Par contre, une fois franchie ces chaînes, la pluie devient rare. Les dépressions, même sur des côtes comme celles d'Alexandrette, sont étouffées, malsaines, à l'exception du sillon d'Antioche qui, unissant la mer et les régions intérieures, produit au contraire un remarquable appel d'air.

La végétation présente des différences tranchées entre les montagnes arrosées et imperméables, et l'intérieur plus sec par suite de la rareté des pluies et de la perméabilité du sol. Sur l'Amanus, le Dj. 'Aqra, un peu le Dj. Ansarié, on trouve, on trouvait surtout des forêts (conifères dans l'Amanus, chênes plus au sud) et de riches prairies. Dans les régions de Behesnî et Kiahtâ, la montagne est vêtue d'un maquis méditerranéen. Tous les plateaux intérieurs sont une steppe où il est possible par irrigation de cultiver des céréales et des arbres fruitiers, dans une zone longue et mince s'étendant en arc de cercle de l'Anti Liban au Diyâr Bakr par Alep et Edesse. Plus à l'intérieur encore, c'est le désert aux rares oasis.

La Syrie et la Djéziré constituent donc un ensemble de zones concentriques formant un quart de cercle entre un désert et des montagnes peu habitables et difficilement traversables. La zone des agriculteurs, des commerçants, des immigrations est la zone médiane, entre les Bédouins et les montagnards ; zone longue et étroite, sans cesse menacée, dont l'intégrité est la condition de la prospérité pour la Syrie et la Djéziré. Dans les zones montagneuses vivent de petits pays fermés, particularistes, que les grandes routes longent sans les pénétrer ; ces routes viennent de l'Asie centrale et du golfe persique ; d'où des ports actifs, mais peu en rapport avec leur arrière-pays immédiat. Les populations locales ont formé des bourgeoisies maritimes quand elles n'avaient pas de concurrent, mais ont ensuite été éliminées par les Occidentaux, et leurs ports sont plus méditerranéens que syriens. L'opposition est toutefois moins tranchée dans la Syrie du nord que plus au sud, à cause de l'étendue de l'arrière-pays agricole et de la facilité des communications entre la côte et lui.

Notes - Le Pays
1 — Entre l'Oronte et le 'Afrîn se trouvent plusieurs petits massifs dont le dernier au nord-est est le Dj. Smân; ils forment un compromis entre la direction taurique, qui affecte leur forme globale, et la direction syrienne qui se traduit par leur compartimentage en chaînons orientés nord-sud.
Sources : Claude Cahen, La Syrie du Nord à l'Epoque des Croisades et la Principauté Franque d'Antioche. Editeur Librairie Orientaliste Paul Geuthner. Paris 1940.

Chapitre II. — Topographie Historique et Archéologique

La topographie historique de la Syrie du nord et des régions voisines est assez difficile à établir, comme il arrive partout où se sont superposés de multiples peuples ayant chacun donné aux mêmes localités des toponymes dans leurs langues respectives ; les contrées occupées aujourd'hui par les Turcs sont à cet égard particulièrement défavorisées, parce que presqu'aucun nom médiéval n'y a survécu. Il faut ajouter que les explorations, assez nombreuses en Syrie, le sont beaucoup moins en Turquie, et que la cartographie n'est pas toujours au-dessus des reproches (1). Dans les pages qui suivent, on trouvera rassemblés, en même temps que les indications des sources et des auteurs modernes, les résultats d'un rapide voyage que j'ai pu effectuer au printemps 1937 en Cilicie, Syrie du nord, et dans les territoires correspondant à la partie de l'ancien comté d'Edesse située sur la rive droite de l'Euphrate.

Pour chaque localité, une fois indiqués les divers noms qu'elle porte, nous avons choisi d'adopter ensuite l'appellation arabe, la plus fréquemment conservée aujourd'hui. Nous n'avons fait exception à cette règle que dans les cas où le nom arabe est inconnu, ou lorsqu'il s'agit d'une ville connue en Europe sous un autre nom (Antioche).

La recherche des identifications et localisations a été trop souvent faite en se laissant guider par des rapprochements phonétiques ou sémantiques qui, vu l'incertitude des orthographes et la fréquence des vocables semblables, ne peuvent rien prouver trois fois sur quatre. A moins de forme compliquée, une identification ne peut être avancée que si elle est en outre appuyée sur des restes matériels ou sur la concordance de plusieurs localisa, lions connexes (2).

Une description minutieuse de la totalité des pays mis en jeu dans cet ouvrage atteindrait des dimensions démesurées. On n'entrera ci-après dans les détails que pour les régions occupées au moins momentanément par les Francs ; on se contentera pour les autres de quelques indications importantes (3).

Notes - Topographie
1 — Pour la Turquie la meilleure carte est celle de l'Etat-Major turc au 20O.OOOe, dont on ne trouve généralement qu'une réduction au 1.000.000e; il faut la compléter par les cartes, qui conservent des noms plus anciens et sont parfois plus détaillées, de Kiepert et des états-majors anglais et russe. Pour la Syrie, il faut consulter la carte d'Etat-Major au 200.000e dans sa seconde édition et en corrigeant la toponymie défectueuse par les cartes de Dussaud, (Topographie historique de la Syrie); une carte remarquable au 50.000e est en cours de confection (les feuilles d'Alep, Lattakiée Djabala, ont paru). Seront mis ci-dessous en italiques seulement les noms attestés au moyen-âge, que nous répèterons comme forme normales ensuite.
2 — Les Francs, comme leurs prédécesseurs, ont quelquefois traduit les noms locaux (Mardj ad-dîbâdj = Pratum palliorum), mais plus souvent ils les ont transcrits, parfois avec des adaptations libres (Mopsuestia des Grecs, Maçîça des Arabes, est devenue Mamistra; Laodicée, La Liche), ou remplacés par des noms nouveaux (Baghras par Gaston, Bikisrâil par La Vieille).
3 — Nous n'entrerons pas dans de grands détails archéologiques, parce que ce serait empiéter, et sans l'excuse de la compétence, sur le domaine des travaux que prépare M. Paul Deschamps, comme suite à ceux qu'il nous a déjà donnés sur Sahyoun et le Krak des Chevaliers; un ouvrage relatif aux châteaux arméniens de Cilicie est d'autre part annoncé par Mr. Gottwold, de Berlin.

Sources : Claude Cahen, La Syrie du Nord à l'Epoque des Croisades et la Principauté Franque d'Antioche. Editeur Librairie Orientaliste Paul Geuthner. Paris 1940.

§ I. Le Comté d'Edesse

A. — Le Diyar Modar

Édesse
Édesse (Osroène) Sources: Wikipedia

On appelait ainsi la région comprise dans la grande boucle de l'Euphrate, à l'ouest du Khâboûr. Le nord seul en appartient aux Francs. C'est, dans l'ensemble, une succession de petits plateaux et de petites collines s'abaissant doucement vers le sud, où disparaît la végétation encore assez riche du nord. Ils sont limités à l'est par le Djabal Achoûma (aujourd'hui Qaradja Dagh), dont le rebord méridional, où naissent les cours d'eau constitutifs du Khâboûr, s'appelait le Chabakhtân. Le modelé du terrain est ici peu propice à la multiplication des forteresses et des petits pays fermés ; par contre, le Diyar Modar est traversé par les routes allant de Syrie à Mossoul, et de là en Mésopotamie où en Iran. C'est donc une grande région de passage. C'est en même temps dans toute sa partie nord une région de riches pâturages, voire localement de riches cultures ; d'où la constitution de gros marchés où entrent en contact pasteurs nomades et cultivateurs sédentaires. Ces raisons expliquent la naissance de villes dont deux, Edesse et Harrân, ont joué de plus dans l'histoire spirituelle du haut moyen-âge un rôle considérable.

Edesse (arabe Rohâ ; turc Ourfa) seule appartint aux Francs, après avoir été un centre byzantin en face du centre musulman de Harrân. Grande ville encore, qu'il ne peut être question de décrire ici, puisqu'elle est surtout de construction antique, que dans la mesure où peuvent le faire les témoignages de notre période (1). Elle se trouve dans le bassin supérieur du Bâlîkh, à côté d'un affluent de droite, le Scyrtus (arménien Daïçân, turc Kara Tchaï), au pied de grosses collines, et au pied d'une source abondante (Callirhoé de l'antiquité) (2), qui contribue, avec deux aqueducs antiques, à l'alimenter copieusement en eau. Elle avait été entourée sous Justinien de murailles, de plus de deux mètres d'épaisseur et dix de hauteur, munies de 145 tours et par endroit d'un avant-mur. Quatre portes principales les perçaient : au nord, celle de Samosate ou des Heures, près d'où les remparts furent restaurés par les Francs, et au dehors de laquelle, sur la rive opposée du Scyrtus, se trouvait l'église des Confesseurs (3); à l'est, celle de Kesâs (bourgade située près du confluent du Scyrtus et du Bâlîkh), non loin de laquelle était le jardin dit de Boûzân (gouverneur de la ville sous Malik-Châh); au sud, celle de Harrân; à l'ouest enfin celle de la Source, dominée par le cimetière de Saint-Ephrem, le jardin de Barçauma, et la vallée dite de Soulaïmân. Originellement l'enceinte au sud-ouest aboutissait à la citadelle, mais au lendemain de la mort de Malik-Châh, Thoros l'en avait fait séparer par un mur inférieur, qui isolait totalement la citadelle de la ville (4). Quant à cette citadelle, qui domine Edesse de près de cent mètres, c'était elle aussi un puissant ouvrage du temps de Justinien; elle était entourée d'un fossé et avait une porte donnant sur la ville, une sur la campagne; elle fut en partie détruite par Kaïqobâdh en 1235 (5).

Edesse conservait d'abondants monuments, principalement des églises et des monastères. La ville n'ayant jamais été détruite de fond en comble, il n'est pas douteux qu'une partie pourrait s'en retrouver enrobée dans quelques édifices modernes, mais on n'a pas d'observation précise à ce sujet. Les églises attestées à l'époque des croisades sont : Saint-Jean, cathédrale latine restaurée par les Francs (6), et au pied de laquelle Zengî fit construire en 1146 le palais du gouverneur turc, peut-être à la place de l'actuel Sérail, entre les portes de Samosate et de Kesâs; Sainte-Sophie, cathédrale grecque, disparue; peut-être Sainte-Euphémie et Saint-Abraham, comme cathédrales des Arméniens et des monophysiles (7) ; celle des Confesseurs, près de la porte de Samosate, détruite par Zengî; Saint-Thomas et Saint-Etienne, de culte latin, converties en magasins par le même; Saint-Théodore (8) et Saint-Thomas (une autre), détruites par lui, à l'est de la ville; Saint-Théodore des Syriens, qui hérita à la même date des reliques d'Addaï et d'Abgar (9) ; celle du Sauveur (10); celle des saints Apôtres Pierre et Paul, qui subsistait au temps de Rey; enfin celle des Quarante-Martyrs, si elle est bien l'actuelle Oghlou Djami (11). L'ancienne mosquée restaurée sous Philarète fut adoptée comme résidence par l'évêque latin, puis rendue au culte musulman en 1144. Dans la ville et dans la montagne à l'ouest il y avait d'abondants monastères dont douze de religieuses, que fit détruire Zengî, et dont un, dominant la ville, dédié aux saints Thadée, Jean-Baptiste et Georges Martyr, avait quatre riches portiques sculptés, et un autre, proche du Scyrtus, renfermait des statues en or des saints Thomas et Barnabé. L'ensemble des maisons était relativement cossu, et les bazars abondants (12). La ville était entourée de jardins qui lui donnaient un aspect des plus riants (13).

Autour d'Edesse, on connaît, outre Kesas, Djoulman au nord, et un Fort de la colline de l'Aigle, sur la route de Samosate (14).

A l'ouest, la route de Bîra, s'infléchissant légèrement au sud, passait à mi-chemin par Saroûdj (franc Sororge), près des sources du principal affluent du Bâlîkh, gros bourg entouré de riches jardins, et fortifié (15). Sur un autre chemin probablement plus septentrional unissant Edesse à l'Euphrate se trouvait une forteresse dont on ne nous dit pas le nom (16).

A l'est la domination franque atteignit le Chabakhtân, où l'on connaît les localités fortifiées d'al-Mouwazzar, Djamlîn, Tell-Gauran (17), al-Qoradî, et Tell-Mauzan (18). Quelque part sur les confins méridionaux de la province se trouvait Sinn ibn 'Otaïr (19). Au nord-est, Sèvavérak (forme arménienne, traduction arménienne Souwaïdâ), jadis place byzantine, n'appartint jamais aux Francs.

Au sud, le Diyar Modar resté musulman comprenait la ville de Harrân (l'ancienne Carrhæ), importante et bien fortifiée (20), et non loin de là Hiçn ar-Rafîqa (21). Entre Harrân et Qal'a Nadjm, Ibn Djobaïr passa à Tell-'Abda et à al-Baïda (22). A l'est de Harrân, la même route franchissait le Khâboûr à Râs al-'Aïn, et de là gagnait soit Mârdîn, où elle rejoignait la route venue d'Edesse, et de là Djazîrat ibn 'Omar et Mossoul par Nacîbîn (Nisibe), soit directement Mossoul par Sindjâr. Sur le Khâboûr en amont de Qarqîsiya (23) on signale à notre époque surtout Mâkisîn, 'Arabân, et al-Madjdal (24). L'ensemble de la région comprise entre le Khâboûr et Mossoul constitue le Diyar Rabî'a.

Forteresse, Amid (aujourd'hui Diyarbékir)
Le bassin supérieur du Tigre forme le Diyâr Bakr, dont les villes principales sont Mârdîn, au pied d'une puissante forteresse, Amid (aujourd'hui Diyarbékir), entourée d'une remarquable enceinte ancienne, et Mayâfâriqîn, également très bien fortifiée.
Ce sont toutes trois de grandes villes, dans une région riche, où l'on peut citer encore les places notables de Hânî et Arqanîn (aujourd'hui Ergani), Hiçn Kaïfâ, Arzan, Is'ird. Le Diyar Bakr est séparé au nord des bassins de Bâloû, Tchapaktchoûr et Moûch sur le Nahr Arsanyas (aujourd'hui Mourad Sou) par le Djabal Sassoûn (ou Sanâsina). Au nord-est il communique par la trouée de Bitlis avec le Lac de Van, Akhlât, et l'Adherbaïdjân. Au nord-ouest, il se raccorde, par-delà le Djabal Baharmaz et le « Petit Lac » (aujourd'hui Gueuldjuk) de Dzovq (ar. Bahîratân), à la province du Khanzit qu'enserrent l'Euphrate et le Mourad Sou, et dont le chef-lieu est Khartpert (ar. Hiçn Ziyâd), dans une situation imprenable (25).
Sources : Claude Cahen, La Syrie du Nord à l'Epoque des Croisades et la Principauté Franque d'Antioche. Editeur Librairie Orientaliste Paul Geuthner. Paris 1940.

Notes - Le Diyar Modar
1 — Il n'a jamais été fait de relevé archéologique d'Edesse; on trouvera des renseignements dans Wright, The chronicle of Joshua the Stylite, 1882, appendice; Sachau, Reise in Syrien und Mesopotamien, Berlin, 1890; Rey, Colonies Franques, pages 308-314; Rubens Duval, Histoire d'Edesse, page 12. Pour notre période, les deux sources principales sont- Chroniques Anonymes Syriaques 288 et la description latine faite en vue de la deuxième croisade éditée par Rohricht ZDPV, 1887, pages 295-299.
2 — Une autre source, voisine, est sans doute celle que Chroniques Anonymes appelée source d'Abgar.
3 — Non loin au Nord-Ouest était une colline dite Dauké (observatoire). Cette porte est appelée par la description latine Na'm et la tour voisine, par où la ville fut prise en 1144, Naïman. Il appelle deux des autres portes l'une Soys, l'autre, de la roche pendante; la quatrième, dit-il, était, fermée (celle de la Source le fut par Zengi); on ne voit de roche à aucune porte.
4 — Chronique Anonyme Syriaque éditions Chabot, pages 53-54.
5 — D'après la notice du manuscrit arabe Bibliothèque Nationale 2281, 62 r° : « Périmètre de la citadelle intérieure, 460 brasses, 14 tours; citadelle médiane, 400 brasses, 7 (9 ?) Tours; citadelle extérieure, 670 brasses, 16 tours; tour du markaz d'Edesse, 185 brasses. » Un plan précis serait nécessaire à l'interprétation.
6 — Chronique Anonyme Syriaque 290; d'après la description latine, la cathédrale latine se serait appelée Sainte-Marie-Thadée-Georges (on connaît une église antique de la Vierge); Rey a cru voir des restes d'un palais qu'il dit franc.
7 — Ces noms ne se trouvent que dans l'Anonyme latin.
8 — Celle-ci est nommée aussi par Matthieu d'Edesse, 105.
9 — Rey a vu une église de ce nom (= Thoros) près des remparts à l'ouest.
10 — Matthieu d'Edesse, paragraphe 14.
11 — Selon Rey, l'actuelle Ibrahim Djami recouvre une ancienne église.
12 — Nersès Schnorhali, vers 490 et suivantes.
13 — L'Anonyme Latin, 297, 298.
14 — Chronique anonyme syriaque, 292.
15 — Ibn Chaddaâd, REI, III; au sud de la route de Bîra à Saroûdj se trouve, selon Duluurier, Kandetil, de Matthieu d'Edesse, 96; près de Saroûdj, Kafarazoûn, selon Honigmann, 108.
16 — FoucHistoriens des Croisades, I, 14; Albert d'Aix, (IV, 7 et V, 18-22) nomme Amacha comme appartenant avec Saroûdj à Balak, peut-être identique à une Ma'arra associée à Saroûdj par Michel le Syrien, 184.
17 — Michel le Syrien, 401, y cite un Tell Arab, par altération ?
18 — Ibn al-Athir,, 62 (Historiens des Croisades 442) At., 118; Ibn Chaddaâd, loc. cit.; Kamal (al-Qorâdî).
19 — A 5 parasanges d'Edesse (Bibliothèque Nationale, 2281, 62 r° ); les Banou 'Otaïr étaient les chefs de la tribu arabe des Nomaïrites. Cf. aussi 'Azîmî 512 (d'où Ibn al-Athir,, 383).
20 — B. N., 2281, 62 r° : « Tour des remparts, 7612 brasses (environ 4 km.), 187 tours citadelle, 526 brasses. »
21 — Ibid. . : « Tour de l'enceinte, 9.033 brasses (?), 132 tours. »
22 — Trad. Schiaparelli, 239. Peut-être al-Baïda est-elle identique à Hiçn Baddaya entre Qal'a Nadjm et Saroûdj signalée par Ibn Djobaïr (Le Strange, 500). Vers l'est de Harrân, Matthieu d'Edesse, 96 signale Chenav.
23 — Cf. supra p.
24 — Ibn Chaddaâd dans REI, 113; cf. Dussaud, p. 484. I. W., Cambridge, L. I., 6, 162 signale aussi Tanînîr et Arsal (auj. Achral), ainsi que (?) Sakîr; Ibn Djobaïr, venant de Donaïsar au sud de Mârdîn, gros carrefour de caravanes, passe à Tell al-Ouqab, puis à al-Djisr (le Pont) un jour après, et à Râs al-'Aîn une deini-journée plus tard; de là il y a deux jours de désert jusqu'à Harrân sans autre localité que des ruines à Bourdj Houwa.
25 — Pour les détails cf. Diyar Bakr, 221-227; le « Petit Lac « s'appelle aussi « Lac de Samanîn » (Ibn al-Athir, XII, 132), qui peut être a rapprocher de Samahi (Diyar Bakr, 226); Haminta est Djarmoûk (Ahrens-Kruger, Zacharie le Rhéteur, p. 259, 380, signalé à moi obligeamment par Honigmann).

B. — Du 'Afrîn et de l'Aq-sou à l'Euphrate

Sur la rive droite de l'Euphrate, dans la partie de son cours orientée du nord au sud, l'incurvation des lignes du relief qui unissent la Syrie au Taurus oriental fait converger les routes qui relient l'Anatolie à la Mésopotamie et la Syrie à l'Arménie. L'importance d'Alep, un peu plus au sud, où confluent en outre les routes plus méridionales de Cilicie ou d'Iraq en Syrie, a empêché qu'il se développe sur le territoire de l'actuel vilayet turc de Gaziantep de grande ville au moyen-âge, et le morcellement du relief a agi parallèlement; mais les petits centres ont toujours été nombreux et la population relativement active, prospère, et dense.

A l'époque romaine et byzantine, la place principale de la région avait été Doulouk (grec Dolichè, néo-byzantin Telouch, latin Tulupe) (1) au pied des montagnes, près du débouché de la route de Mar'ach (2), dans la haute vallée du Nahr Kerzîn et près de la source du Sâdjoûr. Ce n'était plus à l'époque des croisades qu'une bourgade (3) dont le titre épiscopal seul rappelait la gloire antique. La conquête arabe avait fait croître, comme toujours, une localité plus engagée dans la steppe intérieure, 'Aïntâb, sur le Sâdjoûr; cependant la reconquête byzantine et franque ayant redonné la vie en aval encore au site antique de Tell-Bâchir, 'Aïntâb ne prit son essor définitif que lorsque l'invasion mongole eût anéanti Tell-Bâchir.

Citadelle de Gaziantep
Le noyau de 'Aïntâb (latin Hatab; turc moderne : Gaziantep) est sa citadelle, élevée sur un gros tertre rond en grande partie artificiel, entourée par un fossé profond. Les ruines importantes qui en subsistent aujourd'hui contiennent des réfections de la période des Mamloûks, mais la forteresse était déjà importante au XIIe siècle; les ruines actuelles sont dans l'ensemble, toutes proportions gardées, de type analogue à celui d'Alep (4).

Forteresse de Tilhalit, Tell Khalid (latin: Trialeth)
En aval de 'Aïntâb, qui est encore étroitement enserré au milieu de collines pierreuses, le Sadjoùr forme une série de bassins humides que séparent de molles hauteurs sèches. Dans le second de ces bassins et au bord de la rivière se trouvait Tell-Bâchir (Latin : Trialeth, aujourd'hui Tilhalit), dont le site a été habité depuis la plus haute antiquité (5).
Au temps des croisades c'était une localité bien arrosée, abondant en jardins produisant des prunes réputées. La forteresse, élevée sur un grand tell trois fois plus long que large, doit dater originellement du XIe siècle, mais fut développée par les deux derniers comtes d'Edesse qui en firent leur résidence et par Dilderim sous Noûr ad-dîn (6). L'anéantissement presque total de ses ruines (7) ne permet guère d'en discerner les caractères. Nous savons qu'au lendemain de sa reconquête par Noûr addîn, la forteresse consistait en un château proprement dit de 300 brasses de périmètre, avec quinze tours et, à côté sans doute, en une cour munie d'une seconde enceinte de 425 brasses avec deux autres tours. A la forteresse était adossée au sud une bourgade, qu'entourait un rempart de 625 brasses dont la trace se suit encore.
Il s'y trouvait un hôtel et, entre autres églises, une dédiée à saint Romain (8).

En aval encore de Tell-Bâchir, au point où le Sâdjoûr coupe la route d'Alep à Bîra, se trouvait, poste avancé sur la frontière, une forteresse plus petite mais tout de même forte, Tell-Khâlid (latin Trihalet). Elle existait dès le Xe siècle, mais, très endommagée par le tremblement de terre de 1114, dut être en partie restaurée sous les Francs (9). Au-delà, le Sâdjoûr, qui coulait vers le sud-est, tourne peu à peu vers l'est; en l'abandonnant et continuant à suivre sa direction primitive, on passait à Manbidj, en territoire musulman, et de là on rejoignait l'Euphrate et la route de l'Iraq.

Forteresse Bourdj ar-Raçâc (latin Turris Plumbea)
Entre les bassins supérieurs très voisins du Sâdjoûr et du Qouaïq, les communications sont faciles; ils sont par contre séparés du 'Afrîn supérieur par une série de petits massifs accidentés, autrefois boisés; on peut les traverser en deux endroits, au nord et au sud du Djabri Dag Historiens des Croisades. Le passage septentrional était gardé par la petite place de Bourdj ar-Raçâc (latin Turris Plumbea), de construction originellement byzantine, mais refaite par l'un des deux Joscelin (10).

Forteresse Hiçn Sînâb
Le passage méridional était surveillé par la forteresse byzantine de Hiçn Sînâb, qui avait perdu de son importance au bénéfice de Râwandân (11). Ni l'une ni l'autre de ces places ne dominait au reste de grand chemin ; elles se bornaient à dominer un canton.

Château Râwandân (latin Ravendel)

Ravendel
Château Ravendel. Sources : Forteresses d'Orient

Le vrai chef-lieu du haut 'Afrîn était le château de Râwandân (latin Ravendel), qui existait au XIe siècle.
Situé en plein Djâbrî Dagh à quelque quatre cents mètres au-dessus du 'Afrîn, sur un sommet conique que sa hauteur, à défaut de pentes très abruptes, met à l'abri des machines de guerre, il indique encore par ses ruines belles et importantes, en partie enfouies sous la terre, son caractère de place militaire et de résidence seigneuriale.
La construction première doit dater du XIe siècle, mais fut complétée peut-être par les croisés et sûrement, pour toute la partie avoisinant l'entrée, par Saladin, dont le nom est gravé sur la porte.
Elle consiste essentiellement en une enceinte grossièrement circulaire, presque partout occupée par deux étages de salles et flanquées de tours barlongues ou octogonales ; les murs sont partout épais, en blocage revêtu de pierre de taille de moyen appareil.
D'autres constructions se trouvent à l'intérieur, parmi lesquelles une citerne et une vaste et haute salle en partie souterraine d'où un escalier, taillé dans l'épaisseur du mur, donne accès plus bas, sur la pente méridionale, à une salle très claire où l'on arrive d'autre part une fois franchie la porte d'entrée.
Le mur autour de la porte est garni de mâchicoulis.
Une salle, peut-être une chapelle, dans l'enceinte supérieure (sud-ouest), prend jour par une fenêtre à arc trifolié, en partie murée (12).
La forteresse de Ravendel (Ravanda Kalesi), d'origine peut-être hittite et utilisée pendant les croisades, est à 9 km au nord de Kilis. Anatolie.

Plus au nord, une route qui n'a pas varié des Hittites à nos jours fait communiquer la région de 'Aïntâb avec la région de Marrî (Islahiyé). Elle se détachait de la route de Mar'ach à Sâm, et contournait par le nord le Kurd Dagh ; quelques ruines anciennes la jalonnent (13). Quant à la route de Mar'ach, de Sâm elle montait à un col, d'où, redescendant brusquement par le Derbend Dere actuel elle traversait l'Aq-sou (14) ; on s'attend à la voir marquée par quelque localité ancienne, mais ni les textes ni le sol n'en portent de trace (15).

Forteresse de Tilbesar, Turbessel par les croisés, Tell Bâchir par les Arabes.

Turbessel
Turbessel. Sources : Turbessel

A l'est et au nord-est de 'Aïntâb et Tell-Bâchir, on trouve une série de vallées parallèles orientées ouest-est et aboutissant à l'Euphrate : Sâdjoûr au sud, les trois vallées constitutives du Nahr Kerzîn, le Merzmen Tchaï, l'Araban Tchaï, enfin le Kaïsoûn Tchaï, ce dernier se jetant dans le Gueuk-sou, affluent septentrional de l'Euphrate. Ces vallées, qui s'élargissent parfois en fertiles bassins, sont séparées les unes des autres par des rangées de montagnes — telles le Kizil Dagh et le Kara Dagh — qui, peu élevées mais rocailleuses et broussailleuses, opposent à la circulation de non négligeables obstacles. D'où un morcellement du pays qui se traduit par la multiplicité des petits centres, nommés dans les textes mais souvent difficiles à retrouver sur le terrain (16). Les uns sont au bord ou à proximité de l'Euphrate, dont ils surveillent les accès ; les autres le long d'une route unissant les places du haut Sâdjoûr — et, plus loin, Alep — à Behesnî et à la voie Mar'ach-Amid. Cette route, dont la partie septentrionale correspond au chemin connu aujourd'hui sous le nom de Mourad Djaddesi, traverse le Merzmen Tchaï à Yarimdja, l'Araban Tchaï à Altountach, et le Kaïsoûn Tchaï à Kaïsoûn.

C'est sur le Merzmen Tchaï, peut-être à Yarimdja même, qu'en raison de la similitude onomastique il faut rechercher la forteresse de Marzbân (17), qui est certainement dans cette région (18). Place importante au XIIe siècle et auparavant, elle cessa d'être entretenue au XIIIe, et n'a pas, sembîe-t-il, laissé de traces. Non loin de là était Khouroûç (19).

Comme le Merzmen Tchaï conserve le nom de Marzbân aujourd'hui oublié, de même l'Araban Tchaï rappelle que Ra'ban est le nom ancien de l'actuelle Altountach Kale. Les textes la décrivent clairement comme une puissante forteresse, mais il n'en reste de trace sur le sol qu'un dessin d'enceinte entourant la plateforme supérieure d'un vaste tell (20).

Kaïsoûn (latin Cressum, Cesson)
Sur le cours d'eau du même nom, était une petite ville prospère et le chef-lieu des territoires compris entre Qal' at ar-Roûm et l'Aq-sou.
Elle possédait une citadelle, construite originellement de brique crue, puis partiellement refaite en pierre par Baudouin de Mar'ach ; il n'en subsiste rien du tout (21). Immédiatement au sud de Kaïsoûn se trouvait le grand couvent arménien de Garmir Vank (22).

Citadelle Behesnî, Behetselin
Enfin en continuant vers le nord on arrivait à Behesnî (aujourd'hui Besnî; dans Guillaume de Tyr, Behetselin) (23), dont la situation est très différente de celle des localités précédentes.
La ville garde non un passage de rivière mais un col élevé entre les deux profondes vallées parallèles de l'Aq-sou oriental et du Souffraz Souyou, l'un et l'autre affluent du Gueuk-Sou; de ces vallées la communication est facile avec celle de l'Aq-sou occidental à l'ouest, avec l'Euphrate à l'est ; en même temps Behesnî se trouve juste au contact du plateau avec la chaîne orientale du Taurus.
Pour, toutes ces raisons elle occupe un carrefour de première importance, d'où des routes conduisent vers Alep, Mar'ach ou Albistân, Kiahtâ et Amid, Samosate et Edesse.

Le site précis de la ville est assez étrange ; allongée dans un ravin encaissé et dénudé à deux kilomètres au sud du col, elle a débordé, grâce à un seuil étroit, sur un second ravin qui un peu plus bas se jette dans le premier.
Sur l'éperon rocheux circonscrit par ces deux ravins et le seuil s'élevait la citadelle, dissimulée de tous côtés par des hauteurs supérieures.
Les quelques ruines qui en subsistent, abstraction faite d'additions postérieures, témoignent d'une certaine force ; les bâtiments principaux occupaient le point culminant du rocher, au nord, à l'angle du seuil et du grand ravin ; de ces deux côtés la pente est abrupte et il n'y avait qu'une enceinte dont il subsiste sur le ravin une tour et plusieurs fragments de murs.
Des autres côtés le promontoire descend en pente douce et une seconde enceinte à mi-pente doublait l'enceinte supérieure (24).
L'ensemble était certainement antérieur aux croisades.
Quant à la ville, elle avait une population assez nombreuse, active et prospère, et, au-delà de ses ravins, des champs et des jardins. Kaïsoûn et Behesnî étaient en communications si étroites avec Mar'ach qu'au temps de la domination franque elles, appartinrent au même seigneur. Les textes citent plusieurs localités situées peut-être sur le parcours, mais qui n'ont pu être retrouvées sur le terrain (25).

Forteresse Hadathâ « la rouge »
Parmi ces localités, on peut conjecturer qu'il s'en trouvait au passage de l'Aq-sou occidental. C'était le cas, sur la route de Behesnî à Albistân (26), de Hadathâ « la rouge » (au début de l'Islam, al-Mahdiya ou al-Mohammadiya ; arménien, Gueuïnuk ; kurde, Alhan; aujourd'hui Inekli; la citadelle s'appelait Ouhaïdab) (27); la place avait joué un grand rôle dans les guerres arabo-byzantines, mais à l'époque des croisades, bien que la vallée restât cultivée et le passage parfois utilisé, la forteresse ne fut pas entretenue et tomba en ruines.
Yaqoût (Le Strange, 389) signale une passe proche de Hadathâ, appelée 'Aqabat as-Sîr, peut-être identique à la passe menant à Albistân, connue d'habitude sous le nom de Darb as-Salâma.

Quant aux traversées de l'Aq-sou en aval, s'il ne semble pas que le site de la moderne Bazardjik (Boughdin) ait été occupé, on trouve par contre un peu au nord-est, à l'endroit où la vallée se resserre, une ruine appelée aujourd'hui Keur Oghlou, qui remonte peut-être au moyen-âge. Entre 'Àïntab et Mar'ach ou Hadatha, on signale un Mardj ad-dîbâdj (28) qui ne peut guère être que le bassin de Bazardjik (29).

Au bord ou à proximité de l'Euphrate se trouve une seconde ligne de localités notables. Le Nahr Kerzîn, dans son cours inférieur, fait un vaste détour vers le sud avant de se jeter dans l'Euphrate. Les deux cours d'eau enserrent ainsi un petit district, appelé au moyen-âge le Nahr al-Djauz, qui fut toujours spécialement riche (30). La route qui le traversait au sud pour unir Alep, par Tell-Khâlid, à Bîra, franchissait le Nahr Kerzîn à Hiçn Kerzîn (31).

Citadelle de Bîra (latin Bile, Biredjik)
C'est sur la rive orientale de l'Euphrate que se trouve Bîra (syriaque Birtha, latin Bile, aujourd'hui Biredjik), qui gardait l'un des deux principaux passages unissant la Syrie du nord à la Djéziré. A la différence de ce qui a lieu en amont et par endroits encore en aval, l'Euphrate n'est pas ici bordé de falaises d'accès difficile des deux côtés ; il ne s'en trouve que sur la rive gauche, mais entaillées par un ravin.
C'est sur l'éperon délimité par l'Euphrate et ce ravin que se trouve la citadelle de Bîra, pour l'ensemble de construction antérieure aux croisades ; bordée d'abrupts de tous las côtés sauf au nord, elle est complétée par des salles creusées à même le roc ; en raison de la blancheur du calcaire, on l'appelait Qal'a Baïda.
Il en reste encore d'assez belles ruines, bien que la municipalité, pour des raisons d'aération, accélère ici, semblet-il, l'oeuvre destructrice du temps. La ville était également entourée d'une enceinte, dont il subsiste d'importantes parties plus ou moins refaites sous les Mamloûks (32).
Elle fut une forteresse du Comté d'Édesse.
Birecik, aussi connue sous les noms de Bir et, pendant les Croisades, de Bile, est une ville et un district de la province de Sanliurfa dans la région de l'Anatolie du sud-est en Turquie.


Citadelle de Ranculat, Rumkale

Rumkale
Rumkale. Sources : Ranculat

Au débouché du Merzmen Sou se trouvait la vieille citadelle de Qal'at ar-Roûm (arménien Hromgla, latin Ranculat, aujourd'hui Roum-kale; identification probable avec la byzantine Ouremen), dont la construction, en grande partie de haute époque byzantine, a été complétée par les Catholicos arméniens à la fin du XIIe siècle.
Elle est située sur un éperon rocheux tombant abruptement de trois côtés sur l'Euphrate et le Merzmen Sou ; le seuil restant du quatrième côté a été creusé de main d'homme par un fossé, comme à Çayoûn et Gerger (profond de trente mètres). Les salles sont, plus encore qu'à Bîra, en partie creusées dans le roc.
L'Euphrate, profond et rapide, ne peut être traversé normalement (33).

C'est probablement vers le coude de l'Euphrate, à l'est de Kaïsoûn, qu'il faut rechercher Kafarsoûd (ou Kafarsoût), qui n'a été jusqu'ici ni signalée ni localisée; c'était cependant un gros marché fortifié d'une notable importance (34). On n'a pas plus localisé, mais il doit falloir rechercher dans la province de 'Aïntâb, les places appelées dans divers textes Abeldjes (arménien) (35), Arghal (36), Harasta (37), Qarîna (38), Cummi (latin) (39), etc.

Notes : Du 'Afrîn et de l'Aq-sou à l'Euphrate
1 — Sur l'identification contestée mais non contestable, cf. Syria, 1923, p. 78; il ne reste rien aujourd'hui de la Douloûk antique; dès le début du XIIIe siècle, Yâqoût croit qu'elle était identique à 'Aïntâb; Ibn Chaddâd un peu plus tard n y signale que des jardins autour de ruines (95 v° ).
2 — Au carrefour des routes de Douloûk vers Mar'ach et vers Marri se trouvait Sâm, dont le nom se conserve dans un village actuel.
3 — On verra qu'elle est encore objet d'hostilités vers 1150.
4 — C'est du moins l'impression qui se dégage de la vue des ruines; il ne semble pas qu'on puisse interpréter d'après elles la notice écrite au temps de Noûr ad-dîn (Bibliothèque Nationale 2281, 57 v° ) que je traduis ci-après : « Périmètre du mur de la citadelle, 540 brasses au qastmî, 6 tours; périmètres de l'enclos (haouch), 66 (?) brasses 1/2, trois tours; bâchoûra sous le markaz, 307 brasses au qâsimî et 5 tours; forteresse médiane, 343 brrasses au qâsimî; petite bâchoûra, 234 brasses au qâsimî; grand enclos habité, 382 brasses 1/2 au qâsîmî; enclos de la porte de la citadelle, 105 brasses au qasîmî et 3 tours. » Les tours actuelles de l'enceinte au sommet du tell sont carrées, l'une hexagonale; l'intérieur contient des constructions en partie souterraines. Les ruines actuelles doivent remonter surtout à un travail ayyoubide.
5.Cf. El (Honigmann).
6 — Ibn Chaddaâd 58 v° .
7 — Il reste seulement a la base méridionale du tell des éboulis de grosses pierres, au milieu desquelles on peut suivre l'ancien chemin d'accès; à son arrivée au sommet du tell se voit un linteau de porte et un pan de mur en bel appareil à bossage.
8 — Bibliothèque Nationale, ibid.; Sachau, Reisen, 162-166; pour l'église, Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome I, 89.
9 — Honigmann, Ostgrenze, p. 95, 104; Foucher, 429; il ne reste aucune ruine en dehors du tell, petit mais haut.
10 — Ibn Chaddaâd, 57 v° ; Rôhricht Geschichte, p. 668, n. 1. Au nord du bassin dont Bourdj occupe le rebord sud-est se voit un forlin appelé Kara Dinek (Sof-Dagh).
11 — Le Sînâb est la branche méridionale du Qouaïq supérieur, qui naît à l'est de Râwandân; c'est au confluent de ses sources qu'était Hiçn Sînâb selon Ibn Chaddaâd, 135 r° (cf. Honigmann, 95). Cela correspond aux ruines de forteresses visibles aujourd'hui au-dessus d'Ispanak, très délabrées.
12 — Ibn Chaddaâd, 56 v° , Le Strange, 520, Albert III, 17. Kamâl (Aya Sofya, 69) dit avoir vu à Râwandân une inscription antique; elle peut avoir été apportée d'ailleurs. Dans une salle à l'ouest on trouve une marque de tâcheron un 7 vue de droite à gauche. Au sud-ouest de 'Aïntâb, sur le tell Kehriz, Cumont (Etudes syriennes, 306) a vu des ruines de forteresse.
13 — Surtout, vers le milieu, Arslan (ou Katir) Kale ; plus b l'est, Kiepert note Sof Kale et Shekhshekh Kale ; le second paraît inconnu aujourd'hui des habitants de la région. C'est par cette route que passe la retraite franque de 1151 (infra p. 388). Gulesserian, Dzovq et Hromqla, Vienne, 1904, 12° , croit que le catholicos réside à Sof et non à Dzovk dans le Khanzit.
14 — En aval de la route actuelle, semble-t-il, au Keupru Aghzi Boghazi.
15 — La ruine signalée au col par la carte d'E. M. est insignifiante ; au nord de Douloûk, Karadja Bourdj et Aktché Bourdj le paraissent aussi.
16 — Entre Tell-Bâchir ou 'Aïntâb et Yarimdja est Kizil-Bourdj, où se trouvent des ruines ; il y a d'autres ruines plus au sud au-dessus de Gueurénis, au carrefour des pistes de 'Aïntâb vers Behesni et Biredjik.
17 — C'est l'orthographe arabe courante ; on trouve aussi Barzman (Yaqoût), qui répond au syriaque et arménien Pharzman (Michel le Syrien, Grégoire le Prêtre, Samuel) ; Ibn Chaddaâd, 59 r° -v° croit qu'elle s'était appelée originellement Marzesân.
18 — On la cite selon les cas avec Khouroûç, Kafarsoud, Nahr al-Djauz, Kerzîn, Bîra, Kaïsoûn, Behesnî, Ra'bân, Qal'at-ar-Roûm, Maçara et Mar'ach (Ibn Chaddaâd, 59 r° , Ibn al-Fourât, III, 34 r° ; Ibn al-Athir, XI, 257-258 ; I. W., 393 r° ; Yâqoût dans Le Strange, 421 ; Grégoire le Prêtre, 182 ; Samuel d'Ani, 449 ; Michel le Syrien, 295). Kamâl Revue de l'Orient Latin V, 56, note dans l'ordre de la marche Behesnî, Ra'bân, Marzbân, et Tell-Bâchir.
19 — Ibn Chaddaâd, 59 v° ; I. W., 393 r° . La proximité de Marzbân ne permet de corriger ni en Qoûriç (Cyrrhus) ni en Chores (en amont de Samosate).
20 — Brûlée par les Mongols, reconstruite par Héthoum I, elle fut définitivement détruite par Baïbars ; postérieurement ont été édifiées au flanc sud du tell une mosquée et une grande salle avec accès coudé fermé peut-être réadaptation d'ouvrages antérieurs qui subsistent intactes. L'enceinte comprenait tout du long l'épaisseur d'une galerie intérieure.
21 — Le tertre même sur lequel elle s'élevait est détérioré par le village.
22 — Il y a des ruines dans la montagne au sud de Kaïsoûn.
23 — Et non Bathémolin avec lequel l'identifie à tort Dussaud, 230.
24 — Au XVe siècle Qaïtbâï y ajouta encore une tour (avec inscription); au-dessus du seuil, un ouvrage qui paraît destiné à porter une machine à projectiles paraît de la même époque (inscription illisible).
25 — La montagne entre Kaïsoûn et l'Aq-sou occidental s'appelait Zobar, du nom d'un monastère (Michel le Syrien, 198). Un acte latin (Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome I, 226) signale, probablement près de Behesnî, Vartèrin (cf. Vartahéri dans Matthieu d'Edesse, 108) et Vanaverium (où l'on devine le radical van = maison en arménien), et, à côté, un lieu-dit Platta, propre b être fortifié.
26 — D'après Kamâl Boughya, Aya Sofya, 29, les lacs au pied de Hadathâ s'appelaient Anranît (Anzanît ?), nom à rapprocher du Nahr Hoûrîth, forme ancienne du nom de l'Aq-Sou (?).
27 — Ibn Chaddaâd, 64 v° .
28 — Maqrîzî, Quatremère, 140.
29 — Yâqoût (Le Strange, 389) signale une passe proche de Hadathâ, appelée 'Aqabat as-Sîr, peut-être identique à la passe menant à Albistân, connue d'habitude sous le nom de Darb as-Salâma.
30 — Yâqoût (Le Strange, 463) ; Ibn al-Fourât, III, 33 v° ; Kamâl, Revue de l'Orient Latin,, V, 51 ; Ibn al-Athir, XI, 100 (Historiens des Croisades, 481).
31 — Yâqoût (Le Strange, ibid.) ; Kamâl ibid. ; Ibn al-Fourât ibid., d'après lequel Noûr ad-dîn y passe entre Tell-Khâlid et le Nahr al-Djauz ; le gué actuel est au hameau encore appelé Kale (forteresse), mais il n'y a pas de ruines.
32 — A la porte d'Edesse s'étale une longue inscription de Qaïlbâï.
33 — Honigmann, EI III, 1258 ; Moltke, Briefe, 365-374; A. NOodcke. Petermann's Mitteilungen. 1920, p. 53 sq.
34 — Elle est citée avec Marzbân, le Nahr al-Djauz, des places euphratésiennes s'échelonnant de Samosate à Bîra, Behesnî, ou (sans proximité définie) Mar'ach, selon les textes. Kamâl Revue de l'Orient Latin,, V, 51 ; Michel le Syrien, 297 ; Yâqoût (Le Strange, 472); Ibn al-Athir,, XI 100 (Historiens des Croisades, 481) ; Ibn Bibî, 228. Au confluent de l'Araban Tchaï et de l'Euphrate se trouve l'antique Sougga, et sur la rive en face était l'antique Kapersana ; je n'ose proposer de rapprochement.
35 — Héthoum, 489 (avec Qal'ol-ar-Roûm et Behesnî).
36 — Ibn al-Fourât, III, 86 v° avec Douloûk, Marzbân, Ra'bân, et Behesnî ( = Ardil, on est de Ra'bân ?).
37 — Le Strange, 448 (près Ra'bân).
38 — Boustân, 545-546 (avec 'Aïntâb, Marzbân. Kaïsoûn).
39 — Guillaume de Tyr, XVII, 28 (avec Douloûk, Kaïsoûn, Mar'ach).

Sources : Claude Cahen, La Syrie du Nord à l'Epoque des Croisades et la Principauté Franque d'Antioche. Editeur Librairie Orientaliste Paul Geuthner. Paris 1940.

C. — Territoires situés entre le Taurus oriental et l'Euphrate

Au nord du Diyar Modar, sur la rive droite de l'Euphrate, et jusqu'au bord du Khanzit, le Taurus oriental oppose aux communications entre la Djéziré occidentale et les plateaux d'Albistân et de Malatya une barrière qu'on ne peut franchir qu'en quelques points et avec peine. Entre la montagne et le fleuve s'étend une région qui, dans son ensemble, constitue un vaste plateau descendant doucement vers le sud, mais qui est souvent déchiqueté par un grand nombre de ravins, sans parler de vallées profondes comme celles de l'Aq-sou oriental, du Gueuk-sou et du Djenderesou. C'est juste au pied de la montagne que ces accidents sont le moins graves et les passages les plus faciles. D'où une double ligne de places, les unes au nord, en haut du plateau, les autres au sud, aux passages de l'Euphrate, qu'on traverse plus qu'on ne le suit. Les unes et les autres ont joué au moyen-âge un rôle militaire important, qui n'a cessé qu'avec la conquête ottomane.

La forteresse de Kiahta ou Kahta

Forteresse de Kiahta ou Kahta
Forteresse de Kiahta ou Kahta. Sources : Wikipedia

En venant de Behesnî, une fois traversé l'Aq-sou et le Gueuksou, soit vers l'ancien couvent fortifié d'Ernîch (1), soit en aval près de la route moderne, on abordait le vrai plateau, dont Hiçn Mançour, près de l'antique Perre, était le chef-lieu (aujourd'hui Adyaman).

Un chemin la reliait à Malalya ; de l'ancienne citadelle, certainement forte, il reste à peine une butte de terre ; elle avait une double enceinte, et la ville à ses pieds était également entourée d'un rempart, percé de trois portes et bordé d'un fossé. Le démantèlement date de la conquête mongole ou de la reprise mamlouke (2).

A partir du Djendere Sou, le paysage change entièrement, et la profonde vallée de ce cours d'eau ouvre une voie relativement pratiquable vers Malatya. L'importance du noeud de route est soulignée par les monuments antiques qui l'entourent : ponts romains du Djendere Sou et de son affluent le Kiahta Sou, monuments commagéniens de Karakouch et du Nemroud Dag Historiens des Croisades. La forteresse de Kiahta, qui le gardait au moyen-âge, n'avait pas une moindre importance.

Située sur un formidable éperon rocheux qui domine de cent, cinquante mètres la gorge par laquelle le Kiahta Sou débouche dans la vallée du Djendere Sou, elle est bordée de tous côtés par des abrupts, sauf au nord-ouest où un étroit seuil la relie au village voisin. Telle que les croisés l'ont connue, la forteresse était byzantine, et consistait en un ouvrage supérieur et une enceinte inférieure, l'un et l'autre en petit appareil joint par un mortier extrêmement résistant. L'ouvrage supérieur épouse le pourtour grossièrement triangulaire de la plate-forme qu'il occupe ; du côté du ravin, qui est le plus élevé, les constructions se sont bornées à renforcer le rebord rocheux ; des deux autres côtés est une enceinte de trois étages qui, d'après une description de la fin du XIIIe siècle, comprenait soixante-dix pièces ; l'ensemble constituait un château autonome, où résidait le gouverneur, et où se trouvaient une citerne, des magasins de vivres et d'armes et des pigeonniers ; on y accédait par une porte pratiquée dans l'angle sud, et reliée à la forteresse inférieure par une vingtaine de marches taillées dans le roc. La forteresse inférieure consistait en une longue enceinte également forte surtout au côté ouest, comprenant trois étages et 270 pièces. De l'autre côté, un chemin d'eau de 470 marches en partie creusé en tunnel et défendu par de petits ouvrages crénelés descendait au milieu de la gorge. Un mur de crête courait au-delà du château le long de l'éperon rocheux jusqu'à son extrémité à quelque 200 mètres plus loin. Une triple porte, peut-être munie d'un pont, donnait accès au chemin venant du village au-delà d'un enclos inférieur (3).

Dans les ruines actuelles figure d'autre part une seconde enceinte, au-dessous de la première et l'enveloppant à l'ouest et au nord (4); la porte de la citadelle supérieure a été également refaite. Ces travaux datent des sultans mamloûks Qalâoûn, Achraf et Nâcir, dont sept inscriptions sont encore conservées (5). Ils se distinguent immédiatement par leur bel appareil à bossage régulier ; ils sont munies de tours carrées pourvues de mâchicoulis. L'ensemble de Kiahta constitue une des ruines les plus imposantes du territoire turc, et mériterait une étude approfondie.

Forteresse médiévale de Gerger
Gerger est une ville de la province d'Adiyaman en Turquie. C'est le siège du district de Gerger.
C'est dans la région de Kiahta que se trouvait la forteresse jusqu'ici non localisée de Teghenkiar, au village du même nom sur le haut Kiahta-sou ; au-dessus, aux ruines dites Boursoun Kale, était le monastère patriarcal monophysite de Mar Barçauma (6).
Teghenkiar gardait le passage entre le Kiahta Sou et le Gerger Tchaï, par derrière le Nemroud DagHistoriens des Croisades Les prolongements de ce sommet, détaché en avant de la chaîne taurique, se rapprochent de l'Euphrate, de façon que la zone de plateaux finit par complètement disparaître, et qu'en amont de Gerger la montagne borde directement le fleuve. C'est par la vallée du Gerger Tchaï que de Kiahta l'on atteint le plus facilement l'Euphrate, qu'on traverse en aval de ses premières gorges en direction de Sèvavérak et d'Amid. De l'extrémité de l'arrête rocheuse qui sépare le bas Gerger Tchaï de l'Euphrate et les domine de plusieurs centaines de mètres, on aperçoit l'Euphrate en amont sur une grande longueur en même temps que l'il embrasse un immense horizon de basses terres sur la rive gauche du fleuve. Le site a été occupé de tous temps, puisqu'on y trouve des bas-reliefs hittites, des inscriptions commagéniennes, enfin la forteresse médiévale de Gerger (7).

Pour autant que l'état des ruines permet de s'en rendre compte, la forteresse consistait en une enceinte carrée et au sud, au-dessus du seuil séparant le rocher de Gerger de l'arrête montagneuse qu'il prolonge, un ouvrage supérieur ne paraissant pas comporter de constructions très importantes. Ce seuil était approfondi par un fossé creusé de main d'homme, où un pilier central, comme à Çahyoûn, existait peut-être (8) pour supporter un pont. L'ensemble est byzantin, mais le chemin d'accès a été fortifié au XIVe siècle par les mamloûks qui y ont laissé trois inscriptions aujourd'hui illisibles.

De Gerger on pouvait traverser l'Euphrate soit au pied même de la forteresse, l'autre bord du fleuve étant protégé par le petit château aujourd'hui disparu de Qatîna (9), soit en remontant jusqu'à Bâbaloû (Bâbalwa, Baboula, Bebou, aujourd'hui Bibol), d'où, par Djarmoûk, l'on atteignait aussi Amid (10) ; au-delà de ce point, qui formait l'extrémité nord-orientale des possessions franques, l'Euphrate traverse des défilés à peu près infranchissables.

Malgré son caractère montagneux, la région de Kiahta et de Gerger, mieux arrosée que celle de Hiçn Mançoûr, est et était plus riche et plus peuplée ; de nombreux monastères étaient disséminés dans le district compris entre Malatya, Kiahta, et la boucle de l'Euphrate à l'est (11). En amont de sa traversée du Taurus le fleuve passait à Claudia, d'où l'on gagnait facilement le Khanzit, et qu'on pouvait atteindre de Kiahta et Teghenkiar ; les gorges elles-mêmes pouvaient exceptionnellement être traversées en direction de Dzovq sous Abdaher.

Si maintenant de Gerger nous redescendons l'Euphrate, nous rencontrons successivement Nacîbîn ar-Roûm (rive gauche) et Khores (r. d.), qui ne sont plus signalées après la fin du XIe siècle (12), puis (r. d.), la ville antique de Samosate (arabe Soumaïsât, aujourd'hui Samsat; ne pas confondre avec Arsamosate sur le Mourad-sou) dont l'enceinte est encore en assez bon état; elle conservait quelqu'importance au moyen-âge, mais il ne semble pas qu'aucune construction notable y ait été faite par les Grecs, les Francs ni les Turcs (13).

Entre Samosate et Qal'at ar-Roûm, on traversait le Sangas (Gueuk-sou) sur un pont antique près du débouché oriental duquel se trouvait la vieille bourgade de Troûch (grec Tarsos; latin Toreis (14) ; arménien Thoresh) (15). De là on gagnait 'Aïntâb ou Tell-Bâchir d'un côté, Behesnî et Mar'ach de l'autre.

Notes : Territoires situés entre le Taurus oriental et l'Euphrate
1 — A l'ouest on trouve aujourd'hui Salahin Kale.
2 — Ibn Chaddaâd, 65 r° ; Idrisi, Yâqoût et A. F., dans Le Strange, 454.
3 — A cela se bornent les précisions pour lesquelles je peux concilier la vue des ruines et la description donnée par Ibn 'Abdazzâhir à la veille des travaux de Qalâoûn, consécutifs à sa conquête de la place (Vie de Qalâoûn, 55 r° ).
4 — C'est surtout cette enceinte qui apparaît dans le bon dessin de Puchslein, Reisen in Kleinasien und Nordsyrien, Berlin, 1890, 4° , p. 186.
5 — La date de 525 lue sur l'inscription de la porte par Hamdi Bey et reproduite dans l'article de l'EI ne repose sur rien : la date réelle est 685/1284. Les autres sont de 690, 692 (enceinte inférieure), et 707 (porte de la citadelle).
6 — Michel le Syrien, 294 ; citée comme pas très éloignée de Barçauma et proche de Hiahla et Gerger, elle ne peut, malgré la similitude de sens, être identifiée, comme le veut Rey, avec Altountach Kale (Ra'bân). L'identification de Barçauma sera démontrée dans un prochain travail de E. Honigmann.
7 — Humann-Puchstein, op. cit., 353.
8 — D'après le témoignage de De Moltke ; je n'en ai plus rien vu.
9 — Khazradjî, an 633; Vie de Qalâoûn (récit de sa prise après Gerger). Un village de Qatîna existe encore.
10 — Azr., 174 r° ; Michel le Syrien, 260 ; Chronique anonyme syriaque, 246 ; Matthieu d'Edesse. 40 ; Diyâr Bakr 236. 226.
11 — C'est peut-être dans cette région qu'est le Sopharos de Michel le Syrien, 244 ; entre Gerger et Bibol, le nom du village de Vank suggère un ancien couvent arménien.
12 — On ne sait où placer le Djisr aU'Adili où al-Kâmil passe entre Behesnî ou Hiçn Mancoûr et Sèvavérak (I. W., 291 r° -v° ).
13 — Un peu en amont (r. g.) était au XIe siècle le château de Lidar (Matthieu d'Edesse).
14 — Orderic, vol. IV, 247.
15 — Lire ainsi, et non Thorer, dans (Historiens des Croisades, Arméniens des Croisades), d'après Honigmann, art. Roumkale, dans El; corriger de même l'« Aurach » de Kamal 635 en Toûr (a) ch ou Troûc H



La Principauté d'Antioche

Antioche au IIIe siècle (Reconstitution)
Antioche au IIIe siècle (Reconstitution) - Sources : Paul Jacquot

A. — Antioche

Par sa situation à la sortie du carrefour de routes constitué par le 'Amouq, Antioche (grec : Antiocheia; arabe Antâkya) était prédisposée à être une capitale, et par ses dimensions, sa population, sa richesse, elle restait assurément telle pendant la période des croisades. Malheureusement de la ville à peu près rien n'a subsisté; les dévastations des tremblements de terre et de Baïbars (1) ont passé sur elle, puis l'exploitation de ses pierres par les nouveaux habitants, et seules aujourd'hui (1910) ses murailles subsistent en notable partie. On peut cependant affirmer une chose; c'est que la ville médiévale était aussi proche de la ville de Justinien qu'elle l'était peu de la ville moderne construite dans l'angle sud-ouest de l'ancienne enceinte (2).

Le site d'Antioche était remarquable. Située au point où l'Oronte, dont la vallée se rétrécit, échappe aux marais et faux bras qui en amont le rendent difficilement traversable, mais n'est pas encore engagé entre les hauteurs de son cours inférieur, peu propices à la construction d'une grande ville, elle s'allonge sur une plate-forme doucement inclinée dont les terrasses supérieures sont dominées de près de quatre cents mètres par le dernier prolongement septentrional de la chaîne du Djabal 'Aqra, le Silpius, défense naturelle de premier ordre, que scinde en deux la gorge d'un gros torrent, l'Onopniktès. La proximité de la mer, les nombreuses sources de la montagne y font abonder l'eau, à laquelle le relief ne permet pas de dormir. Le couloir de l'Oronte entre l'Amanus et le Djabal 'Aqra-Silpius, provoque un appel d'air qui entretient à Antioche une fraîcheur et une salubrité contrastant non seulement avec l'étouffoir marécageux du 'Amouq, mais même avec les côtes fermées du golfe d'Alexandrette. Ce climat se traduit dans la nature par un aspect verdoyant de la vallée et des premières pentes, dont l'enchantement a été ressenti par les croisés et les voyageurs médiévaux comme il l'est par le visiteur d'aujourd'hui. Et ce n'est pas seulement en raison des souvenirs pieux qui s'attachaient à la ville de Saint-Pierre que tous chantent la « ville de Dieu », et même le byzantin Phocas, porté à insister sur la décadence d'un pays échappé aux Grecs.

Si la configuration du terrain a toujours imposé le même emplacement au pont sur l'Oronte, le centre de la ville antique et médiévale, au lieu d'être comme aujourd'hui à l'entrée de ce pont, se trouvait au nord-est, plus près de l'Onoptiktès. Mais elle s'étendait bien au-delà, et, mêlées assurément de jardins, des constructions existaient dans toute la partie plate de 3 km. 1/2 sur 1 km. 1/2 qui était comprise entre les remparts et la montagne. Ce qui, aux hommes du moyen-âge, paraissait immense (3).

Ces remparts, auxquels les Francs n'apportèrent, comme à la citadelle, que d'insignifiantes retouches, frappaient tout le monde d'admiration. D'un périmètre de plus de douze kilomètres, elles ne protégeaient pas seulement la ville du côté de la plaine, mais c'en est aujourd'hui la seule partie conservée — escaladaient la pente du Silpius, en couronnaient la crête, et franchissaient dans une plongée vertigineuse la gorge de l'Onoptiktès, que fermait la fameuse « porte de fer. » Des tours de trois étages — 360 selon la tradition les renforçaient sur tout leur pourtour, réunies par un large chemin de ronde. Du côté de la plaine, aujourd'hui disparu, se trouvait de plus un avant-mur. La construction était en pierre de taille et brique revêtant un blocages de maçonnerie. Au sommet du Silpius et juste au-dessus de la gorge de l'Onoptiktès, se trouvait la citadelle, ajoutée aux fortifications antérieures par Tzimiscès au Xe siècle, peu considérable en elle-même, mais presque inexpugnable par sa position. On y accédait de la ville par un sentier empruntant le plus septentrional des deux ravins qui divisent les pentes du Silpius au sud de l'Onoptiktès (4).

Ces remparts étaient percés de poternes de tous côtés et de cinq portes autour de la ville : Saint-Paul au nord, sur la route d'Alep (5); Saint-Georges à l'opposé sur la route de Lattakié ; du Chien, du Duc ou des Jardins, et du pont, du nord au sud du côté de l'Oronte; cette dernière, d'où partaient les routes de Souwaïdiya et de Cilicie, était la plus importante (6).

Antioche abondait en beaux édifices, églises surtout, presque tous datant du Bas-Empire et de Justinien. Il semble que le palais du prince (hier de l'émir ou du duc) se soit trouvé vers l'angle nord-est de l'agglomération actuelle, soit à un kilomètre environ du pont (7); proche de lui était la paroisse Saint-Jacques, dont l'église fut brûlée en juin 1098 avec tout son quartier; il résulte du récit du même incendie (8) que Saint-Pierre, la cathédrale, que nous savons d'autre part avoir été au coeur de la ville, se trouvait à quelque distance de ce quartier, non toutefois très loin, soit sans doute un peu à l'écart du bas Onoptiktès et sur sa rive méridionale; ce n'était pas seulement l'église patriarcale, mais aussi un lieu d'assemblée populaire; quelques restaurations durent y être apportées par les Francs après le tremblement de terre de 1170. Là étaient enterrés les princes, les patriarches, le légat Adémar du Puy, et Frédéric Barberousse (9). De Saint-Pierre une rue conduisait à une place sur laquelle se trouvait Saint-Jean, et qui continuait jusqu'à un torrent, peut-être l'Onoptiktès; la dernière partie de cette rue constituait le quartier génois, auquel était contigu l'ancien quartier amalphitain (10). Cette vague localisation de Saint-Pierre paraît confirmée d'autre part par l'emplacement connu des ruines de Sainte-Marie-Rotonde, plus proches de la montagne, et qu'on sait n'avoir pas été éloignées de Saint-Pierre; elle fut, elle aussi, éprouvée par le tremblement de terre de 1170 (11).

Procope et Malalas nous apprennent que Saint-Cosme-et-Damien n'était pas éloignée de Sainte-Marie-Rotonde; au XIIe siècle, elle se trouvait à l'extrémité d'une rue qui passait près de l'hôpital « hebeneboleit (?) », devant lequel se trouvait le four de Saint-Georges découvert (12). Juste au pied de la citadelle était Saint-Jean Chrysostome (13). Sainte-Marie-Latine paraît avoir été peu éloignée de Saint-Jean, et non loin d'elle aussi se trouvait la Maison de l'Hôpital (14). Près de Saint-Pierre était une chapelle à Saint-Siméon (15).

Quittant les quartiers supérieurs centraux, nous trouvons signalés : dans la gorge de l'Onoptiktès, une grotte de Sainte-Marie-Madeleine et une chapelle de Sainte-Marguerite (16) ; au-dessus de la porte de Saint-Paul, le couvent et l'église du même nom (en arabe Dair al-baraghîth), antérieurs aux Francs mais accrus par eux d'une construction gothique, et, dans le même mont mais plus près de l'Onoptiktès, Saint-Luc (17) ; à l'autre extrémité de la ville, Saint-Georges (identique soit à l'église de ce nom occupée par des chanoines augustiniens, soit à l'église monophysite homonyme (18), et, plus haut, Sainte-Barbe et les saints Macchabées (19); enfin, hors des murs sur la rive droite de l'Oronte à quelque distance du pont, Saint-Julien (20). Les autres églises attestées à l'époque roman-byzantine ne le sont pas dans notre période; on connaît par contre seulement aux XIIe-XIIe siècles les églises Saint-Menne, Saint-Théodore, Saint-Thomas (quartier de Panticellos), sans parler de Saint-André, fondée ou rebaptisée par Raymond de Toulouse en 1098, Saint-Léonard, probablement ainsi baptisée par Bohémond qui avait une dévotion spéciale pour ce saint, et des églises monophysites de Saint-Georges (peut-être identique à la précédente du même nom) et de la Mère de Dieu (sûrement distincte de Sainte-Marie-Rotonde), construites à la veille des croisades, et de Mar Barçauma, construite sous Renaud de Chatillon; la localisation de ces dernières églises est inconnue (21).

L'aspect général des maisons était, comme il est de règle en Orient, misérable et fermé du dehors, mais, pour les demeures riches, délicieux à l'intérieur (22). On trouvait aussi en abondance bazars et tavernes. Les bains, comme aujourd'hui les hammams, étaient un des charmes de la ville, surtout dans les hauts quartiers proches de l'aqueduc (23), et les grands personnages avaient les leurs en propre. L'eau était partout, dans les rues, les bazars, jusque dans Saint-Pierre (24); elle provenait de puits (d'un près de Saint-Jean), de sources (par exemple à Saint-Paul), et de l'aqueduc antique qui venait de Daphné, et d'où on la répartissait par des canalisations ramifiées qui faisaient l'admiration universelle (25). Elle faisait tourner des moulins, et entretenait dans les hauts quartiers cinq terrasses de jardins, d'où l'on jouissait d'un superbe panorama (26). Sur ces terrasses, le patriarche jacobite Ignace se fit construise vers 1240 une luxueuse résidence (27).

Grande ville, Antioche était divisée en quartiers. On en connaît quatre noms : Saint-Paul au nord, des Amalfitains au centre et de Saint-Sauveur aux Pisans et probablement par suite aussi vers le centre, enfin de Panticellos avec la paroisse de Saint-Thomas, de localisation inconnue (28).

La vallée de l'Oronte, en aval d'Antioche, appelée Doux, est étroite comme en amont du 'Amouq, bien que sur la rive droite la douceur des pentes permette un passage facile. Le fleuve est accessible à de petites embarcations, non à des navires même médiévaux. Sur la rive gauche, Daphné (auj. Baït 'al-Mâ) restait un riant lieu de promenade et un souvenir cher aux lettrés ; des couvents s'y étaient établis, par exemple celui des Monophysites à Douwaïr (29). Sur la rive droite, à peu de distance de la mer, était Souwaïdiya (latin Soudin, Solin, Sedium, Port Saint-Siméon du nom du couvent de Saint-Siméon le Jeune au bord de la montagne en amont). L'ancienne Séleucie n'était plus que le but d'une excursion destinée à faire admirer aux pèlerins son tunnel artificiel. Le port était maintenant en aval de Souwaïdiya, à l'entrée même de l'Oronte, au lieu-dit depuis l'arrivée des croisés, Scala Boamundi (auj. Eskele), au pied d'une source de la rive gauche (30).

Notes : La Principauté d'Antioche — Antioche
1 — Et des incendies (pour notre période, juin 1098, cf. infra, et 1178, Michel le Syrien an 1489).
2 — Une étude archéologique complète d'Antioche dépasserait le cadre de ce travail puisqu'elle porterait forcément sur la ville antique presqu'exclusivement ; nous ne pouvons ici que relever les témoignages de la période franque, tout en les éclairant par les renseignements concernant la ville antérieure, rassemblés en particulier par K. 0. Muller, Antiquitates antiochenæ, Gottingen, 1839 ; Forster, Antiochia am Orontes (Jahrb. d. deutsch. arch. Inst. XII, 1897) ; Schultze, Antiocheia, Gutersloh. 1930 ; et dans le fichier constitué à la direction des fouilles franco-américaines d'Antioche (au courant des résultats desquelles il faut naturellement se tenir). Il est nécessaire de lire les récits des voyageurs qui ont vu à Antioche des ruines aujourd'hui disparues, tels Pococke (bibliographie dans E. I. (Streck) et Dussaud 421.
3 — Guillaume de Tyr, tome 169 ; Wilbrand, 172 ; Ibn Boutlân dans Le Strange, 369.
4 — Ibn Boutlan et Idrîsî dans Le Strange, 370 ; Raymond, 342 ; Wilbrand, 172 ; Gesta, c. 32 ; Guillaume de Tyr, tome 169 ; poème d'Ibn al-Qaîsarânî dans 'Imâd Kharida B. N. 3329, 7 r° . Description moderne d'après les ruines surtout dans Rey, Monuments Militaires 195-202. En 1178, l'Oronte, près du pont, lors d'une crue, passa par-dessus les remparts (Michel le Syrien, an 1489).
5 — La tour voisine s'écroula en 1114, et dut être refaite par les Francs.
6 — Guillaume de Tyr, tome 169.
7 — S'il correspond bien aux ruines très délabrées de palais vues par Pococke et appelées Prince par les habitants, dit-il (II, 192).
8 — Raoul de Cæn, 77 ; Gesta, 136 ; Rôhricht. Regesta., 983 ; selon Continuateur de Guillaume de Tyr D 209, dans le palais Raymond de Poitiers avait fait faire une chapelle à saint Hilaire.
9 — Il n'est guère douteux que ce soit la cathédrale toujours, donc toujours le même édifice, qui est appelé par la plupart des chroniqueurs chrétiens Saint-Pierre, par Wilbrand Sts Pierre et Paul, par les Grecs et les Arabes Cassianos. Peut-être même est-ce elle que Baïbars écrit à Bohémond VI avoir détruite, bien qu'il l'appelle Saint-Paul, nom d'une autre église, mais moins importante, et dont il semble que des ruines plus notables aient subsisté après lui. Cf. aussi Continuateur de Guillaume de Tyr A, 137 ; Pococke II, 192.
10 — Hagenmeyer Ep., 155 ; Ughelli IV, 847 ; Lib. Jur., 30, 249 ; Pococke II, 192 ; Chesney II, 425.
11 — Wilbrand, 172 ; Foulcher de Chartes, 339 ; Gautier le Chancelier I, 2 ; Michel le Syrien, an 1481 ; Le Strange, 368; Ibn al-Qaisarânî, loc. cit.
12 — F. de Rozière, 169.
13 — Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome I, 143 : « Ecclesia S. Johannis os aurei. » Pococke II, 192.
14 — Rohricht, 331 ; Kohler, 172, 181 ; Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome I, 9.
15 — F. de Rozière, 171 ; Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome I, n° 1060.
16 — Wilbrand, 172 ; Pococke II, 192
17 — Mas'oûdî dans Le Strange, 368 ; Wilbrand, 172 ; Rey, Colonies franques, 327 (a en core vu des ruines) — « Au pied de cette même colline, mais plus à l'ouest et placée sous le vocable de l'évangéliste saint Luc, s'élevait l'église dont les ruines se voient encore dans le cimetière latin qui se trouve en ce lieu. »; cf. image d'un édicule gothique sur deux sceaux d'abbés de Saint-Paul, dans Revue Numismatique, 1888, 1891. Saint-Paul fut peut-être détruite par Baïbars, supra page 130, note 3.
18 — Guillaume de Tyr, tome 169 ; Michel le Syrien, ans 1462 et 148l ; Inn. IV, n° 7397.
19 — Wilbrand, 172 ; Mas'oûdî dans Le Strange, 368 ; pour Sis Macchabées, fichier des fouilles d'Antioche.
20 — Continuateur de Guillaume de Tyr A, 208.
21 — F. de Rozière, 171 ; Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome I, 574 ; Rôhricht Regesta., 983 ; Raymond, 266 ; Michel le Syrien, 174 et ans 1481 et 1462.
22 — Wilbrand, 172.
23 — Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome I, 491 ; Rozière, 165 ; Le Strange, 371. On connaît des bains de Tancrède, du Mazoir, etc.
24 — Ibn Boutlân et Idrisi dans Le Strange, 369 et 375; Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome I 574 (fontaine de Naquaire).
25 — Wilbrand, 172; Benjamin, Adler, 17; Guillaume de Tyr, tome 169.
26 — Le Strange, 371 et 375 ; Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome I, 144 (jardins de Saint-Jean Chrysostome, de Saint-Paul) et tome I, 106 (jardin de Trigaud, chambellan de Raymond de Poitiers).
27 — B. H. Eccl., 668
28 — Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome I, 144 ; Ughelli IV, 847 ; Muller, 3 ; Rôhricht Regesta., 983.
29 — Honigmann, Ostgrenze, 127; le nom de Doux étant antérieur aux croisades c'est par imagination que Raoul de Cæn le rattache au duc Godefroy de Bouillon (650). Chanson d'Antioche, II, 82, appelle Val Corbon la vallée d'Antioche ; cf. le village de Corbana, en amont d'Antioche, que Gautier le Chancelier II, 9 dit s'appeler ainsi depuis le passage de Corbaran-Karboûqâ (?). Pour Douwair, cf. Phocas 2; Michel le Syrien III, 231.
30 — Wilbrand, 173 ; Yaqoût, 376 ; bonne description de la vallée par Guillaume de Tyr, tome IV.

B. — Le 'Amouq et la route de Mar'ach

Au nord-est d'Antioche, entre les montagnes de Hârim et d'Antioche au sud, le Kurd Dagh au nord-est, l'Amanus à l'ouest, s'étend la vaste dépression du 'Amouq (littéralement le creu).
Au sud et à l'est, c'est une plaine alluviale formée par l'Oronte, le 'Afrîn, et d'autres affluents plus courts nés à la base des montagnes calcaires ; au centre et à l'ouest, c'est une ample nappe d'eau, le lac d'Antioche, prolongé au nord par des marécages, et formé par les eaux combinées du 'Afrîn, du Nahr al-aswad (Kara sou) et du Nahr Yaghra (Mourad Pacha (31); ce dernier, très court, mais sorti d'une énorme source, est aussi gros que le Kara sou ; il est rempli d'herbes aquatiques et de poissons « salloûr », qui ont valu à sa source, au moyenâge, le nom de 'Aïn as-salloûr (32).
La moitié sud-orientale du 'Amouq est une région de vie agricole riche, bien que dès le moyen-âge sujette au paludisme ; quant à la bande de terre entre la montagne et le lac à l'ouest, c'est une région de pêcheries et une zone de passage ; au nord, elle s'ouvre sur un couloir très différent, qui se prolongé jusqu'à Mar'ach.
La périphérie du 'Amouq est traversée par les routes d'Antioche à Alep, d'Antioche à Mar'ach, d'Alep en Cilicie ; centre de convergence de cours d'eau, le 'Amouq contient, aux point où ces routes les franchissent, des ponts ou gués importants.

La route d'Antioche à Alep traversait l'Oronte au pont fameux, qui subsiste toujours, de Djisr al-Hadîd (latin Pont de Fer).
Deux grosses tours, dont il ne reste rien, en gardaient chaque extrémité, et furent renforcées sur l'ordre de Baudouin III en 1161 ; un monastère, un village, plusieurs terrains, sont nommés à proximité pendant notre période (33).

Forteresse Artâh (latin Artasiâ)
C'est plus à l'est, près de l'entrée des massifs qui séparent le 'Amouq de la Syrie intérieure, que se trouvent les principales localités.
La plus importante, au début du XIIe siècle comme pendant la période byzantine, était Artâh (latin Artasiâ), tout à côté de l'actuelle Rihaniyé. Elle avait alors une citadelle et des remparts, ainsi qu'une église fortifiée, où résidait l'évêque ; c'était une ville peuplée et prospère, mais sa position en rase campagne était mal adaptée à un état de guerre chronique, et les Francs préférèrent choisir comme chef-lieu Hârim. Dévastée par les musulmans et les Francs, elle n'était plus en 1177 qu'une pauvre bourgade ; au XIIIe siècle ses remparts étaient ruinés ; il ne reste aujourd'hui aucune trace de l'ancienne Artâh (34).
Artâh est une ancienne ville fortifiée de Syrie, qui fait partie du système de défense d'Antioche outre-Oronte. Elle est le théâtre de plusieurs batailles pendant les croisades, notamment la victoire de Tancrède de Hauteville sur Ridwan d'Alep le 20 avril 1105 (appelée aussi bataille de Tizin) et la victoire de Nur ad-Din sur les forces des croisés coalisés le 11 août 1164 (appelée aussi bataille de (Harim)

Près d'Artâh, mais plus adossée à la montagne et mieux protégée qu'elle était 'Imm (latin Emma, aujourd'hui Yéni-Chéhir), petite ville fortifiée à côté d'une grosse source née au pied de la montagne calcaire et formant un petit lac de tous temps très poissonneux. Plus à l'est, déjà un peu engagées dans la montagne, se trouvaient. Atma et Tizîn, d'où partaient des chemins aboutissant à Tell-Aghdé et Dâna dans la Halaqa, et de là à Alep. Atma n'était qu'un village ; Tizîn avait eu des remparts, mais ils étaient en ruines, et en cas de danger les habitants se réfugiaient au début du XIIe siècle à Artâh (35).

Château Harim, Harenc
Mais le vrai chef-lieu de la région devint à l'époque franque et resta à l'époque ayyoubide et mamelouke Hârim, Harim, Harrim (écrit parfois par les Francs Harenc).
Un peu à l'écart de la route d'Antioche à Alep, assez proche cependant pour la surveiller, elle gardait l'entrée des petits massifs du Djabal Alâ et du Djabal Barîchâ.
Son site — un énorme tertre amélioré par l'homme, au bord de la montagne et dominant directement la plaine — était remarquable. Ce n'avait pourtant été longtemps qu'un simple enclos pour abriter le bétail en cas d'alerte. Les Byzantins en firent un petit château que les Francs développèrent considérablement.

Au début du XIIIe siècle al-Malik az-Zâhir d'Alep en refondit complètement la construction, un plan grossièrement circulaire étant substitué au plan triangulaire antérieur, et le tertre, modifié en conséquence, consolidé, comme à Alep, par un revêtement de pierre. Une enceinte parcourue par un ou deux étages de salles, avec quatre tours, enserra dès lors un terre-plein lui-même occupé par de nombreuses constructions, et un fossé fut creusé pour isoler le rocher de la montagne au nord-est et inondé par une dérivation du torrent voisin. De cette dernière forme de la forteresse, il subsiste encore d'importants vestiges (36).

C'est au pied d'Artâh que la route Alep-Cilicie traverse le 'Afrîn. Là se trouvait le fameux Gué de la Baleine ou mieux de Balanée, qu'on a cherché partout sauf en cet endroit (37). Nous savons en effet qu'il était proche d'Artâh, qu'on s'y rendait d'Antioche en un jour, et qu'il était en 1159 en pays chrétien, mais sur la frontière musulmane, donc en aval du Djoûma ; c'était un lieu propice aux concentrations de troupes (38). Le site du gué au pied du village moderne de Bellané, où se trouve un énorme tell et des traces d'habitat ancien (39), conviendrait d'autant mieux qu'à côté du gué était un « oppidum. » La route d'Alep en Cilicie, qui passe obligatoirement entre l'extrémité du Kurd Dagh et le lac d'Antioche, ne peut jamais avoir traversé le 'Afrin loin de là, et il serait étrange qu'un passage de cette importance ne soit signalé nulle part. Nous admettrons donc l'identité de Balanée et Bellané.

Au-delà du 'Afrîn, la route moderne qui rejoint celle d'Antioche à Alexandrette par Baghrâs et celle d'Antioche à Mar'ach, longe le plus près possible le marais du 'Amouq et traverse le Mourad Pacha presqu'à son embouchure sur un ancien pont ottoman. La route ancienne traversait-elle au même point le Mourad Pacha-Nahr Yaghra ? Dussaud, supposant que les marais ont progressé depuis la décadence du pays, croit qu'elle passait plus en aval, et une rangée de tells aboutissant au petit pont ancien et au tell de Taha Ahmad sur le Kara-sou peut paraître lui donner raison pour une période très ancienne. Néanmoins, même si l'on s'en fie aux tells, il en existe une autre ligne, qui contourne par le nord les marais du Mourad Pacha, et rejoint de là soit vers l'ouest le pont de Taha Ahmed, soit au nord la région de Bektacbli et Démirek ; à l'est, le chemin se dirigeait vers le vieux village de Chîh al-Hadîd en franchissant la petite chaîne qui le sépare du Mourad Pacha par un col facile. Au moyen-âge, la route passait au village de pêcheurs chrétiens de Yaghra, qui était fortifié (40). Il existe aujourd'hui, vers le début du Mourad Pacha, près du pont assez ancien de Moustafa Pacha, au bord de Gueul-Bachi (marécage), un village de pêcheurs, dont le nom, Kale, signifie forteresse ; mais il ne s'y trouve aucune ruine. Si la route passait là, elle ne peut avoir franchi la petite chaîne de Chîh al-Hadîd qu'en un passage plus méridional, et avoir suivi ensuite à peu de chose près le tracé de la chaussée moderne.

Chîh (et non Chaïkh) al-Hadîd est le chef-lieu du petit bassin compris entre la chaîne précitée et le Kurd Dagh. On y accède facilement de Balanée. A l'extrémité septentrionale du bassin, on débouchait sur la vallée supérieure du Kara-Sou après être passé par l'important village de Koûmîth (Carte d'E. M. Gueumid) (41).

Au nord, le 'Amouq se prolonge par un long couloir compris entre le Kurd Dagh et l'Amanus, et extrêmement inhospitalier, soit que, comme dans la haute vallée du Kara sou (Letché), le sol ne soit qu'un champ de rocaille semé de buissons épineux, soit que, comme dans le bassin fermé qui s'étend au nord du seuil imperceptible d'Islahiyé et dans la vallée de l'Aq-sou occidental, qui le traverse pour atteindre le Djeïhoûn, on ne trouve partout que marécages. Aussi n'a-t-on pas là la voie de passage très fréquentée à laquelle on pourrait s'attendre, et de Mar'ach, quiconque, se rendant en Syrie, ne désire pas particulièrement passer à Antioche, préfère passer par 'Aïntâb. Nous ne connaissons au moyen-âge aucune localité habitée dans ce couloir (42).

Citadelle Mar'ach (l'antique Germanicia)
Construite sur les premières pentes de la chaîne taurique qui ferme brusquement le couloir au nord, est le plus important carrefour de routes intermédiaire entre la Syrie et l'Anatolie : là confluent en effet les routes venant de la Cilicie septentrionale, de Qaïsariya (Kaïseri) et d'Anatolie occidentale, d'Albistân et de Sîwâs, de Malatya et d'Arménie, de 'Aïntâb et d'Alep ou de Mésopotamie. Le site, occupé dès l'époque hittite, resta important pour les Romains, les Arabes, les Byzantins. Du XIe au XVe siècle, Mar'ach fut successivement la capitale d'une principauté arménienne, d'un comté franc, d'une province seldjouqide, d'un émirat turcoman autonome : c'est une étrangeté que malgré ce rôle et les nombreuses guerres dont elle fut l'enjeu, elle semble avoir été peu fortifiée ; la citadelle arabe ancienne n'a jamais subi de transformation après le Xe siècle ; et les remparts qui entouraient la ville, aujourd'hui disparus, n'ont jamais permis de longue résistance à une forte attaque (43).

Notes : Le 'Amouq et la route de Mar'ach
31 — Nom antique : Méléagre ; il existe encore un Kastal Kara Yaghra (Kara = noir = mélas). Tell Sloûr sur le moyen 'Afrîn.
32 — Cf. lo casal Sallorie (Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome I, 177). Il y a des restes anciens au gué de
33 — Le nom de Djisr al-Hadîd, antérieur aux croisades, provient soit de portes de fer, soit d'une légende locale ; en tous cas, on ne peut rattacher la traduction Pont de Fer à une confusion entre le Farfar (nom biblique de la rivière de Damas) et l'Oronte. Sur la célébrité de ce pont, dont un auteur du XIVe siècle fit le prototype d'un pont imaginaire à La Mecque, cf. Mémoires de la Faculté de Philosophie du Caire, tome I. Dussaud a tort de placer au Djisral-Hadîd le village de Chih al-Hadîd (infra). Cf. encore Albert d'Aix, tome III, 33 ; Delaborde, 117 ; Rey Rech., p. 22 ; Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome I, 265, 356, tome II, .190, III, 127 ; Gautier le Chancelier, tome II, X (Maraban ; cf. Mahrouba, Le Strange 498).
34 — Le Strange, 339 ; Raoul de Cæn, 639, 671 ; Guillaume de Tyr, 162 (croit qu'elle s'appelait dans l'antiquité Chalcis, par confusion avec Qinnesrîn), 1036 ; tome I. Chapitre 94 r° .
35 — Le Strange, 546 ; Raoul de Cæn, 671 ; Rôhricht. Regesta, n° 361 (« porius Emmæ » = pêcherie du lac). Sur des sites voisins, Kamâl Revue de l'Orient Latin, tome IV, 149 (Djâchir) et Dussaud, 227.
36 — Guillaume de Tyr, tome XXI, 25 ; Ibn Chaddaâd (le géographe, manuscrit de Londres), 54 r° ; Van Berchem, Voyage, 229 et suivantes. Dans les environs on signale Behlile (Belilas) (Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome I, 38, 143) et Sofaïf (aujourd'hui Safsaf) Kâmâl Revue de l'Orient Latin, tome III, 534). Selon Ibn Chaddaâd (le géographe, manuscrit de Londres), la province ayyoubide de Hârim englobait le Djounia, le 'Amouq, les massifs du Djabal Baricha du Dj. Alâ et d'Armenaz.
37 — Dussaud a vu (page 229) qu'il fallait chercher sur le 'Afrîn, mais le situe beaucoup trop haut.
38 — Raoul de Cæn, 641 ; Grégoire le Chancelier, 189 ; Chronique Syriaque An., an 1470 ; cf. infra la campagne de Manuel Comnène en 1159.
39 — Débris de poteries, quelques pierres du petit cimetière voisin provenant de bâtiments anciens.
40 — Le Strange, 550 ; Dussaud rapproche judicieusement de Yaghra les pêcheries d'Agrest de Delaborde, 26.
41 — Raoul de Cæn, 630, décrivant un panorama idéal de Baghrâs, cite Spechchet (?), Spitachchel (?), Dommith (pour l'homophonie ?), Commith ( = Koûmîth), Artâh et Souwaïdiya. Ibn abî Tayyî. dans Ibn al-Fourât II, 172 v° (cf. 195 r° , et Ibn Chaddaâd (le géographe, manuscrit de Londres), 62 r° , qui a lu Ibn abî Tayyî) dit que Noùr ad-dîn prit Artâh, Hiçn Bâtrikî (?), Bâsoûtâ ,'Afrîn), Chîh al-hadid, Koûmîth, Marâsya (Ibn ach-Chihna, 177 lit Râchya et dit qu'elle s'appelle de son temps Râchî), et 'Anûqlb ('Anâfîna ? citée avec Yaghra en 195 v° ); les trois places soulignées sont évidemment à rechercher entre le 'Afrîn et le 'Amouq oriental. Rey, sans connaître Marâsyar distingue de Mar'ach une Marésie, mais tous les textes francs invoqués désignent sûrement sous ce nom Mar'ach. La limite nord du 'Amouq était aux moulins de Semoûniya (l. Ch., 54 r° ).
42 — Près de Maïdan Ekbez, ancien camp romain. Yâqoût (Le Strange, 416) signale du même côté la ville antique, mais ruinée, de Balât, sur le Nahr alaswad (Kara sou), chef-lieu du Hamwâr, dont le nom doit se conserver dans le Havar Dagh (infra, dans le Kurd Dagh), peut-être, comme le suggère Honigmann, Ostgrenze, 127, la byzantine Palatza, mais alors située plus en amont qu'il ne dit.
43 — Honigmann, El, III (article Mar'ach); Bâsim Atalâî, Marach Tarihi ve Djagrafyasi, Istanbul, 1921. A Mar'ach était un couvent de Jésuéens (Matth., 112).

C. — Le bassin moyen du 'Afrîn

Le bassin du 'Afrîn, entre le Kurd Dagh et le Djabal Smane, constituait le district appelé par les Arabes al-Djoûma. C'était la grande voie de passage d'Antioche vers le Comté d'Edesse ; de plus, il était traversé par les routes menant d'Alep en Cilicie ou à Mar'ach par le Kurd Dagh. Aussi les localités prospères y étaient-elles nombreuses, bien que le hasard des pertes d'archives nous permette mal d'en connaître la toponymie franque.

Forteresse de Bâsoûtâ
A l'intérieur du Djoûma se trouvait, sur la rive gauche du 'Afrîn en un endroit où il vient buter contre le Djabal Smane, la petite forteresse de Bâsoûtâ, dont il restait encore récemment une tour maintenant utilisée à la construction du village moderne (44). Peu en amont était Qorzâhil (latin Corsehel, aujourd'hui Gueurzel) (45). Sur la rive droite, à l'extrémité inférieure du Djoûma, et non loin de Balanée, on utilisait déjà les sources thermales de Hammam (46). Dans cette région se trouvait peut-être Bathémolin (forme latine = Mâmoûlâ des Arabes ?) (47), ainsi que Bâtrikî (48).

En amont, la limite du Djoûma est marquée par le pont de Qîbâr, sur l'affluent du 'Afrîn descendant du seuil de Katma. Le 'Afrîn était traversé en aval du confluent, à Kersen (tout près de l'actuelle bourgade de 'Afrin). A côté du pont de Qîbâr était Archa (latin Arisa, ou par corruption, Barisan). Kersen et Archa étaient au début du XIIe siècle des localités prospères (49). Juste au nord s'ouvrait, par la rupture du Djabal Smane, la large zone de passage conduisant du 'Afrîn moyen à la Syrie intérieure, par 'Azâz.

Forteresse 'Azûz (latin Hasart)
'Azûz (latin Hasart), où se croisaient les routes d'Antioche à Tell-Bâchir et d'Alep à Mar'ach, était une place d'une importance capitale dont la possession par les Francs signifiait pour les musulmans l'insécurité d'Alep, la possession par les musulmans, la rupture des relations directes entre Antioche et le comté d'Edesse. Le site même n'était cependant pas pourvu de tous les avantages, car il était mal arrosé ; c'est la raison pour laquelle Killiz, dont on connaît déjà les jardins au temps des croisades, a de nos jours un peu éclipsé 'Azâz, bien que se trouvant au nord du noeud de routes. La forteresse même de 'Azâz était construite sur un gros tell, et possédait une double enceinte et des bâtiments annexes en bas du tell ; jusqu'au temps d'az-Zâhir elle était en brique crue, et ce fut seulement ce prince qui la fit rebâtir en pierre. Il n'en reste rien aujourd'hui (50).

De 'Azâz, au lieu de descendre vers Qîbâr, on pouvait, contournant le petit massif du Djabal Barchaya (aujourd'hui Parsa Dagh) (51), où se trouve un camp romain à Qastal, franchir le 'Afrîn et son affluent, le Sâboûn Souyou, près de leur confluent sur deux ponts romains qui existent encore, et atteindre peu après la grande cité antique de Cyrrhus (ar. Qoûriç), qui n'était plus au XIIe siècle qu'une bourgade dont Noûr ad-dîn acheva la ruine (52). De là, remontant le Sâboûn Souyou, on pouvait, au travers du Kurd Dagh, atteindre les sources du Kara-Sou, et rejoindre dans la région de Marri les routes de Cilicie et de Mar'ach, après être passé sous une forteresse appelée de nos jours Aghzibouz Kalesi (53). On pouvait aussi traverser le Kurd Dagh plus au sud, à partir de Kersen, en suivant le tracé moderne du chemin de fer, et longeant la base du Havar Dagh, au sommet duquel se trouve un fortin d'où la vue embrasse tout le 'Amouq et le moyen 'Afrîn.

Le district de 'Azâz comptait au XIIIe siècle trois cents villages ou hameaux ; c'est parmi eux, ou plus près de Râwandân et de Sîfiâb, qu'il faut chercher les petites places fortifiées de Sarzîk (54), Salmân (55), Tell Zammâr (56), Harchoûr (?) (57), etc. Le district de 'Azâz était limité au sud-ouest par le pont de Qîbâr ; à l'est, il confinait à l'Ourtîq.

Notes : Le bassin moyen du 'Afrîn.
44 — Kamâl, 685; Ibn abî Tayyî dans Ibn al-Fourât II, 172 v° ; Ibn Chaddaâd (le géographe, manuscrit de Londres), 62 r° . Bâsoûtâ doit être identique à Barsoldan de Raoul de Cæn 650, non au casal Bussudan de Rôhricht Regesta, n° 576.
45 — Raoul de Cæn, 650; Ibn al-Qalânisî A, an 678.
46 — En amont est le site antique de Djindâris, en face de Tell Sloûr (supra B n. 2).
47 — Mâ peut être une altération graphique de bâ, qui est le correspondant toponymique fréquent de Baït, maison. Cf. Ibn al-Athir, 461. Kamâl, 313.
48 — Ibn al-Fourât II, 175 v° , le nomme entre Artâh et Bâsoûtâ.
49 — René Dussaud, 228-229; Raoul de Cæn, 47.
50 — Le Strange, 405; Boughya Aya Sofya, 279; Ibn Chaddaâd (le géographe, manuscrit de Londres), 55 v° ; Chron. An. Syr., 97; Allaliale, 116-120 (l'a vue en 1068); Bibliothèque Nationale, 2281, 57 r° : « périmètre de l'enceinte de la citadelle, 255 brasses au qâsimî, 25 tours; périmètre de l'enclos médian, 316 brasses 3/4 au qâsimî, 21 tours; périmètre de l'enclos inférieur, 510 brasses au qâsimî, 21 tours; périmètre du mur de la ville, 543 brasses 1/2 au qâsimî » Ce qui reste actuellement du tell n'est qu'un morceau de l'ancien tell, rongé par le village qui y trouve une bonne terre à construction.
51 — Kamâl Aya Sofya 53. Au sommet était un machhad de Hasan, ainsi qu'au village voisin non localisé de Kafar Chîghâl.
52 — Ibn Chaddaâd (le géographe, manuscrit de Londres), 96 r° .
53 — Je n'ai pu la voir, pour raisons militaires. D'après un contrebandier syrien, elle est petite et haute. Au nord-est, près de Kestan, paraît exister une autre forteresse, sur laquelle je n'ai rien pu savoir de précis.
54 — Ou Sarazbak (Ibn al-Fourât, II, 158 v° ; Ibn Chaddaâd (le géographe, manuscrit de Londres), 62 r° ).
55 — Ibn Chaddaâd (le géographe, manuscrit de Londres) Vatican, 163 r° , cf. Ibn al-Fourât II, 158 v° . Les autres manuscrits d'Ibn Chaddaâd (le géographe, manuscrit de Londres) donnent Ramâr, Ramân, Ramâl, Armân.
56 — Ibn al-Fourât II, 158 v° .
57 — Ibn al-Fourât II, 189 r° . On signale encore les villages de Bdama (Le Strange, 407). Le couvent de Daïr ach-Chaïkh ou Duïr Tell-Azâz (Le Strange, 432), Maunagh (Le Strange, 502), Tubbal (Le Strange, 546 = Tibil au nord de 'Azâz), Vaboûn (Le Strange, 550), Machhalâ, lieu de pèlerinage (Kamâl Aya Sofya, 87), Betefân (forme latine, Rôhricht Regesta, 137 b).

D. L'Amanus

A l'ouest et au nord d'Antioche et du 'Amoûq s'étend la chaîne de l'Amanus (arabe : Djabal Loukkâm, français : Montagne Noire, turc : Ghiaour Dagh). Au nord du col de Beylân, elle est orientée à peu près du sud au nord ; elle est partout étroite — vingt à quarante kilomètres — mais monte rapidement des deux côtés à plus de mille mètres, plusieurs sommets atteignant même de deux à trois mille mètres et restant couverts de neige jusqu'à l'entrée de l'été. Les pentes inférieures sont vêtues de forêts de pins ou de chênes. A l'ouest, des vallées permettent de pénétrer assez avant dans la montagne, mais à l'est la montagne forme une barrière ininterrompue, au haut de laquelle est la ligne de partage des eaux.

Au sud du col de Beylân, l'aspect est différent. L'orientation est ici sud-ouest-nord-est, les hauteurs moindres (1200-1700 mètres), les pentes des deux versants plus douces, et la ligne de faîte, à l'ouest où elle s'élève, passe au côté du golfe d'Alexandrette.

Cette région porte le nom spécial de Djabal Ahmar (turc : Kizil Dagh, grec : Skopelos). Entre elle et Souwaïdiya est le petit massif du Djabal Semân (français Montagne Admirable, grec : Taumaston Oros), dont le nom vient du monastère médiéval de Saint-Siméon le Jeune. Quelques chemins anciens franchissent la montagne (d'Ekber à Antioche par le Firniz, d'Arsouz à Souwaïdiya par Bityas). Le Djabal Ahmar et le Djabal Semân étaient au moyen-âge couverts de couvents et d'églises de toutes nations, dont diverses ruines subsistent.

Le Djabal Ahmar se termine sur la mer par le Râs al-Khahzîr (grec : Rhosikos Skopelos), qui sépare la baie d'Antioche du golfe d'Alexandrette. Au nord se trouvait Hiçn Roûsous (grec Rhosos, aujourd'hui Arsouz ; les Francs ont appelé la ville Port-Bonnel, du nom d'un mouillage voisin) (58). Au sud, quelques ruines, appelées encore Qala, rappellent une occupation ancienne au-dessus d'un mouillage encore connu sous le nom de Port des Francs (59). L'ensemble du district était appelé par les Grecs Saint-Elie, à cause d'un monastère ainsi nommé (= Saint-Pantéleïmôn) (60).

L'Amanus était franchi principalement en deux régions : au sud, par les passes de Baghrâs-Beylân et de Hadjâr Choghlân-Darbsâk, au nord par celles du Hâmous ou de Marrî.

Baghrâs (français Gaston)
La passe de Baghrâs est assurément celle qui présente au voyageur le plus d'avantages naturels : étroitesse de la chaîne, faible altitude (687 mètres), ligne directe d'Antioche à la Cilicie et à l'Anatolie. La passe de Darbsâk lui est cependant préférable pour qui se rend vers Alep, parce que, située un peu plus au nord, elle évite d'avoir à contourner le lac du 'Amouq; mais elle est moins praticable. La route médiévale de la passe de Baghrâs diffère de la route moderne en ce qu'au lieu de descendre tout droit du col sur le 'Amoûq elle passe par un seuil facile dans une vallée plus méridionale qui la rapproche d'Antioche. C'est un peu en retrait dans un ravin, affluent de cette vallée, que se trouve Baghrâs (grec : Pagraï, français Gaston) (61).

Importante certes, celle-ci n'a pas cependant l'ampleur monumentale qu'on attendrait du rôle historique qu'elle a joué. Non seulement le rocher sur lequel elle s'élève limite étroitement ses dimensions, mais la construction est dans l'ensemble assez médiocre.
Au surplus, en partie démolie par Saladin, hâtivement refaite par les Arméniens, la forteresse n'apparaît sans doute pas dans ses ruines actuelles telles que l'avaient faite les Byzantins; on n'a pas l'impression que les Templiers l'aient beaucoup transformée au XIIIe siècle.
Elle était toutefois capable de recevoir d'abondantes provisions de vivres et d'armes et une solide garnison. Les défenses étaient fortes surtout du côté ouest, où la pente était la plus faible et où une double enceinte entourait le réduit principal comprenant un donjon, une chapelle, etc.; dans le rocher étaient creusées des salles soutenues par de gros piliers. Une source coulait au pied du château, mais de plus un aqueduc amenait au haut même du rocher de l'eau cherchée dans la montagne.
Une bourgade s'était développée autour de la forteresse. Le village de Beylân en haut du versant cilicien, qui est aujourd'hui le centre du district, était au moyen-âge négligeable (62).

La passe de Baghrâs était doublée au nord par celle de Hadjâr Choghlân, plus longue parce qu'empruntant à l'est une vallée oblique et comportant une descente dans un bassin intérieur entre deux cols, mais ayant l'avantage d'éviter le lac du 'Amouq et, à l'ouest, de s'ouvrir juste au passage de la Portelle, c'est-à-dire de pouvoir être empruntée par une armée qui ne se serait pas rendue maîtresse de ce passage.
Le bassin médian, celui de Deghirmen Dere, est un remarquable carrefour où se croisent chemins de crêtes et de vallées rayonnant en toutes directions.

Hadjâr Choghlân (aujourd'hui Tchivlân Kale)
Le plus important à l'ouest longe la rive septentrionale du Merkez Souyou; à l'est, un chemin se dirige sur Demirek, un autre, meilleur, plus au sud, sur Darbsâk. La trouée est d'autant plus remarquable qu'elle est dominée, à quelques kilomètres au nord, par les cimes nues du Manghir Kayasi, un des plus hauts sommets de l'Amanus. Une forteresse la surveillait, Hadjâr Choghlân (aujourd'hui Tchivlân Kale).

Celle-ci, élevée, comme son nom l'indique, sur un rocher, occupe une situation splendide. Le rocher est un cube taillé à pic posé sur la montagne comme pour recevoir un château. Le pont par où on y accédait du côté de l'arrête qu'il prolonge a aujourd'hui disparu. Vues du dehors les ruines présentent encore une imposante façade autour de l'entrée. Là s'élevait le château proprement dit, comprenant une tour ronde à talus, une grosse tour carrée, une chapelle, des citernes. Le reste de la plate-forme, sorte d'hémicycle incliné, était seulement entouré d'une petite enceinte et occupé par quelques bâtiments dispersés (63). L'essentiel doit être byzantin, mais peut avoir été amélioré par les Francs, et a été encore occupé par les Mamloûks (64).

C'est, croyons-nous, à Hadjâr Choghlân qu'il faut identifier la place appelée par les Francs la Roche de Roissol, jusqu'ici rapprochée d'Arsouz. Outre une ressemblance phonétique bien vague, on étayait cette hypothèse sur le texte où il est dit qu'en 1268 les Templiers abandonnèrent « deux chastiaus quy sont là de près (d'Antioche), Guaston et Roche de Roissel, et la Terre de Port-Bonnel à l'entrée d'Ermenie (65). »

Forteresse la Roche-Guillaume
Faute de virgule, on rapprochait Roche de Roissel de Port-Bonnel, que le texte au contraire sépare : d'un côté Guaston et Roche de Roissel, de l'autre Port-Bonnel. Roche de Roissel ne peut être dans la Terre de Port-Bonnel, car on nous parle ailleurs d'un « territoire de Roissol », d'un « seigneur de Roissol (66) »; en outre, lorsqu'en 1204 Léon Ier attaque la plaine d'Antioche, il inflige des dommages aux dépendances de la Roche de Roissol, ce qui est plus normal pour une place gardant un passage que pour Port-Bonnel, à l'écart de sa route; le récit de ces faits associe étroitement à la Roche de Roissol une autre forteresse, la Roche-Guillaume (67), or un passage des Continuateurs de Guillaume de Tyr indique que celle-ci, attaquée par Saladin juste après Darbsak et Baghrâs, était « en terre d'Antioche », et non sur le versant cilicien, où Saladin n'alla pas (68); nous savons que Saladin soumit des châteaux secondaires dans la montagne, et Grégoire Dgha nomme parmi eux un Choughr (distinct de la place homonyme sur l'Oronte), qu'on peut rapprocher de Choghlân, et le « défilé de Sem », qui doit dissimuler Darbsak (darb = défilé) (69); ajoutons enfin qu'en 1298 l'armée mamlouk enleva la Roche-Guillaume, au cours d'une campagne vers la Cilicie où aucune source ne mentionne de détour vers Arsouz. Toutes ces raisons nous paraissent devoir faire éliminer la région d'Arsouz (où il n'y a d'ailleurs aucune ruine).

Par contre, le site de Hadjâr Choghlân nous paraît correspondre parfaitement aux conditions de tous les textes précités. De plus, nous savons par Kamâl ad-dîn que Hadjâr Choghlân appartenait aux Templiers; en 1298, elle fut cédée par les Arméniens aux Mamlouks, qui en firent le chef-lieu d'un district (70), enfin, si Choghlân ne traduit pas Roissol, hadjâr traduit roche. La seule difficulté réside dans la détermination d'une forteresse voisine qui puisse être la Roche-Guillaume. Bektachli, près de Démirek (71), paraît devoir être exclue, car cette région appartenait aux musulmans en 1204, je ne connais pas d'autre ruine, mais, aucune forteresse jumelle n'ayant été signalée ailleurs, nous admettrons jusqu'à preuve du contraire l'identité de Hadjâr-Choghlân avec la Roche de Roissol (72).

Forteresse de Darbsâk (latin Trapesac)
Le débouché sud-oriental du défilé de Hadjâr Choghlân était gardé par Darbsâk (latin Trapesac). Là, comme dans l'antique Sokhoï dont elle conservait le nom (73), se croisaient les routes d'Antioche à Mar'ach, et d'Alep en Cilicie par Baghrâs ou Hadjâr Choghlân.
La forteresse n'est pas citée avant la période franque (74). Semblable en plus petit à Baghrâs, elle couronnait un mamelon rocheux au sommet duquel un aqueduc amenait l'eau de la montagne. Les ruines sont extrêmement délabrées, et utilisées par un village moderne; l'appareil de grosses pierres à bossage trahit un travail au moins en partie franc ou musulman postérieur. Un faubourg existait au pied de la forteresse.

le fortin de Hân Aghzi
Le second passage par lequel se traverse l'Amanus, appelé aujourd'hui Arslan Boghazi, est ouvert du côté cilicien par la large et profonde vallée du Hamoûs. Pratiqué dès la plus haute antiquité, comme l'atteste la présence, à son débouché oriental, des ruines hittites de Zindjirli et romaines de Nicopolis (Islahiyé), il l'est encore de nos jours, puisque le chemin de fer l'emprunte.
En amont de la station moderne de Mamoure-Issidja, la vallée du Hamous fait place à un éventail de vallées divergentes montant doucement vers la ligne de faîte, et entre lesquels l'hésitation du voyageur est permise, car, au-delà de leur source à toutes, la redescente sur le versant oriental est partout aussi brusque.
Laissant de côté la route de Haroûnya, on peut remonter le Boulanik Tchaï en passant par la bourgade peut-être ancienne de Baghtche, ou le Kale Tchaï en gagnant Kaypak (restes antiques), Maïdan, le fortin de Hân Aghzi, et Islâhiyé; ou enfin, on peut suivre la croupe des hauteurs qui séparent ces deux cours d'eau, et, par la vieille ferme fortifiée de Karafenk Kale, en amont de Hasan Beïlî, redescendre sur l'actuelle Fevzi Pacha.
A ces trois chemins il faut en ajouter un quatrième plus méridional qui, se détachant du Hamous dès Tchardak, passe au vieux bourg de Yarpouz (aujourd'hui Djebel Bereket), et gagne Islahiyé par le petit fort d'Edilli Kale.

Forteresse de Sarvantikar (aujourd'hui Savouran Kale ou Kaypak Kale)
C'est près du confluent des trois chemins septentrionaux et plus spécialement de ceux de Kaypak et de Hasan Beïlî que se trouvait la forteresse qui était au moyen-âge la métropole de la région, Sarvantikar (aujourd'hui Savouran Kale ou Kaypak Kale). Construite sur un rocher triangulaire bordé à pic par deux ravins et ne communiquant avec la montagne que par un seuil au sud-est, elle est dominée de tous côtés par des hauteurs supérieures, mais se trouve placée de telle sorte que l'oeil enfile les passages de Kaypak et de Karafenk Kale. Les ruines, qu'une vraie forêt vierge empêche de bien étudier, sont parmi les plus considérables de la Cilicie, les plus importantes assurément de l'Amanus. Le château proprement dit se trouve au point le plus élevé du rocher, juste au-dessus du seuil; des remparts, extérieurement encore presqu'intacts, épousent les sinuosités du rebord de la plate-forme, et comportent de grosses tours rondes en bel appareil à bossage, dont l'une à base en talus trahit sûrement une influence franque. Le reste de l'enceinte, enserrant une vaste basse-cour, se borne à fortifier les défenses naturelles des parois rocheuses. L'entrée est à l'est, au contact entre la cour et le château, et porte une inscription arménienne, précédant un vestibule coudé, témoignant du travail des Arméniens du royaume cilicien. La forteresse, sous une forme à préciser, existait déjà sous la domination byzantine (75).

Il n'existait certainement pas de localité importante au moyen-âge au débouché oriental du passage, sur le site ou à proximité de Nicopolis-Islahiyé. L'ensemble du passage lui-même et du pays situé juste à ses pieds s'appelait « pays de Marrî », et, couvert de forêt, servait de frontière entre Antioche et Mar'ach (76).

Forteresse de Hâroûnya
A peu de distance de Servantikar, au nord du Hamous, s'ouvre le petit-bassin intérieur du Sâboûn Souyou, affluent de gauche du Djeïhoûn.
Par ce bassin on peut, de la Cilicie septentrionale, rejoindre la route de Marrî et, inversement, de la Cilicie méridionale gagner directement Mar'ach, par la vallée du Deli Tchaï (77).
Au bord de ce bassin se trouve la bourgade de Hâroûnya, qui conserve le souvenir de son fondateur Hâroûn ar-Rachîd, et des restes de la forteresse qu'il y fit élever.
C'était encore au temps des croisés le chef-lieu d'un district prospère; une tour s'élevait sur le seuil qui séparait le bassin de Haroûnya du Hamous et du district de Sarvantikar (78).

Le Hamous débouche en Cilicie par une large vallée dans laquelle, du nord, après être passé près des forteresses de Koum Kale et Kara Tepe, arrive aussi le Djeïhoûn, qui reçoit ses eaux. Parallèlement un peu au sud un autre affluent du Djeïhoûn, né au-dessus d'Osmanyé, occupe le bord sud de la vallée jusqu'au confluent, à Djeïhân. Près d'Osmanyé, l'entrée de la route de Yarpouz est gardée par la forteresse de Tchardak-Kale, qui la domine de 500 mètres et consiste en une enceinte carrée dont un seul côté renferme d'importantes salles (79).
En aval, au point où la route venant de Marrî croise celle qui vient du golfe d'Alexandrette, se trouvait Til Hamdoûn (aujourd'hui Toprak Kale).
Cette localisation, qui n'a pas été faite jusqu'ici, paraît résulter de ce que nous savons de la situation du Til Hamdoûn — sur la route d'Anavarza et Amoudaïn à Canamella, à deux jours de Sîs et un d'Ayas, à une demi-journée au sud du Djeïhoûn — et d'autre part de ce que Toprak Kale est, de toutes les forteresses de la Cilicie sud-orientale, où se trouvait sûrement Til Hamdoûn, la seule importante et surtout la seule située sur un tell (til) (80).

Forteresse de Til Hamdoûn (aujourd'hui Toprak Kale)
La forteresse s'élève sur un gros tertre amélioré de main d'homme, qui se situe dans l'axe du passage étroit et comme coupé au couteau, par lequel la route d'Alexandrette débouche dans la vallée du Djeïhoûn ; ce tertre est juste assez haut pour dominer les menues ondulations de terrain environnantes.
Les constructions, de plan très simple, consistent dans une double enceinte rectangulaire, enserrant un terre-plein d'environ 100 mètres X 70 mètres ; entre le mur et l'avant-mur est creusé un petit fossé ; le mur intérieur est à deux étages, dont le second est occupé par une galerie à meurtrières.
De grandes salles existent à l'angle sud-ouest et dans le mur nord.
Une citerne occupe une partie du terre-plein.
On accède à ce terre-plein au nord par une rampe que défendent des travaux avancés, et qui pénètrent à l'angle nord-est du château par une grande salle voûtée.
Le tout est en basalte noir. La construction doit remonter aux guerres arabo-byzantines, et avoir fort peu été remaniée.

C'est sur la route du Hamous à Anavarza qu'il doit falloir chercher Hamoûs, qu'on nous cite avec Mar'ach, Servantikar, Til Hamdoûn et Hadjâr Choghlân. Dotée d'un duc arménien au XIIIe siècle, elle doit avoir quelqu'importance, bien qu'on ne lui voie pas jouer grand rôle.
On la voyait de Til Hamdoûn, et la vallée qui y passe arrosait un fortin aussi peu localisé, Nadjîma

Forteresse 'Amoudaïn (aujourd'hui Hematye)
La position de Boudroum Kale paraît convenir à ces conditions ; le château n'en est pas grand, mais assez fort pour sa position escarpée et la tranchée artificielle qui le sépare de l'arrête rocheuse qu'il termine ; il est en partie construit de débris de la ville antique de Pompeiopolis, dont les ruines se voient encore à ses pieds, et qui justifierait le titre ducal.
Les Arabes attribuent la construction de Hâmoûs à Hâroûn ar-Rachîd, en connexion avec Hâroûnya. Je ne sais où situer Nadjîma (81).

En aval de Boudroum Kale se trouve la petite mais solide forteresse de 'Amoudaïn (aujourd'hui Hematye), qui fut donnée aux Teutoniques au XIIIe siècle et ne paraît pas connue auparavant (82).

Les routes de Baghrâs et de Marrî sont les seules grandes voies de passage à travers l'Amanus. Naturellement il y avait dans la montagne d'autres chemins d'intérêt local, par exemple d'Erzin (Kanîsat as-soudâ) à Islahiyé, ou de Tchoukmerzivân (Deurtyol) à Ekbez (nom moderne) par Mandjilik Kalesi ; du moins les débouchés de ces chemins d'aujourd'hui étaient-ils au moyen-âge aussi occupés par des bourgades notables (83).

Notes : L'Amanus.
58 — Jacquot, Antioche, tome I, 142; René Dussaud, page 442.
59 — Jacquot, ibid.
60 — Honigmann, Ostgrenze. 126.
61 — L'origine du nom n'est pas expliquée (Qastoûn, transcription syrienne du gréco-romain Castron, cf. le lieu homonyme du Roûdj ?).
62 — Ibn ach-Chihna, page 221.
63 — Un plan en a été dressé par Rey (inédit, montré par P. Deschamps).
64 — L'inscription mentionnée dans Jacquot, Antioche, tome I, 120, est en arabe tardif, d'ailleurs illisible.
65 — Chyprois 191 = Continuateur de Guillaume de Tyr A 457.
66 — Kohler, 151, Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome II, 911.
67 — Infra p.
68 — Continuateur de Guillaume de Tyr A, 122; Continuateur de Guillaume de Tyr B, 125. Le récit est romanesque, mais il n'y a aucune raison de négliger l'indication topographique.
69 — Elégie, vers 1813 suivantes.
70 — Kamâl Revue de l'Orient Latin, tome V, 95; Maqrîzî-Quatremère; Chyprois, 292.
71 — Plan levé par Rey (communiqué par P. Deschamps); à Demirek est une autre ruine très délabrée, mais non sur roche (et une ruine d'église byzantine).
72 — Je n'ai trouvé nulle part le Casal Erhac, du territoire de Roissol (Revue de l'Orient Latin, tome VII, 151).
73 — Ruines antiques à trois kilomètres (Gunduztu).
74 — Ibn Chaddaâd (le géographe, manuscrit de Londres), 93 v° , dit la construction « arménienne » (= byzantine du Xe-XIe siècle).
75 — Rey, Bulletin Société Antiquaires France, 1897; Paul Deschamps, Syria, 1936. L'inscription, badigeonnée au minium, n'est pas lisible.
76 — Le Strange, 538; Guillaume de Tyr, 755, 789.
77 — Sur le parcours, il y a un fortin à Ortchan (lettre du P. Philippe communiquée par P. Deschamps).
78 — Alb., 393; Ibn Chaddaâd (le géographe, manuscrit de Londres), 263 v° ; Le Strange, 449; Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome I, 143; Strehlke, 83. Villages dépendants cités : Churar ou Cherrare (aujourd'hui Tcheraz), et d'autres non identifiables, et trois abbayes. Le Strange, 386, Darb al-'Aïn est le col entre Haroûnya et Mar'ach.
79 — Dans le cimetière au pied, reste de mosaïques antiques.
80 — Le Strange, 543; Wilbrand, 179. Notre identification s'oppose à celles de Langlois (Hân Kale) et de Honigmann, Ostgrenze (Hematye), mais Honigmann à bien voulu nous faire savoir qu'il avait renoncé à son identification et s'était rallié à Toprak Kalo, que proposera Gottwald dans l'ouvrage qu'il annonce sur les châteaux ciliciens. Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome I, 143 et Kohler, 151 donnent des noms de villages (Gadir, Ubre, gâtine d'Aganir, Nabon, Borgol, Tarpétac, Anglixen).
81 — Le Strange, 543; Quatremère-Mamlouks.
82 — Strehlke, 17; Ibn 'Abdarrahîm, 183 r° ; Wilbrand, 179 (= Adamodana). Les villages cités autour de A. dans Strehlke, ne sont plus repérables.
83 — Chyprois, 292 situe une « cave » (forteresse à flanc de roche et en partie creusée dedans) entre l'Amanus et Til Hamdoûn, et l'appelle Le Pertuis.

E. Le golfe d'Alexandrette et l'accès au bas-Djeïhoûn

Le voyageur qui de Syrie gagne la Cilicie par la passe de Baghrâs doit ensuite longer la côte du golfe d'Alexandrette vers le nord. Tandis qu'au sud-ouest d'Alexandrette et au nord de Bayâs la côte est bordée par une petite plaine, dans l'intervalle la montagne se rapproche de la mer, et, entre les villages modernes de Sakaltoutan et Sarisaki, plonge directement dans l'eau. Les localités qui jalonnent cette côte jouent le triple rôle de débouchés des chemins de la montagne, de gardiennes de la voie Syrie-Cilicie, et de ports de cabotage. L'ensemble, avec les premières pentes de l'Amanus, s'appelait le district du Djegher. Le port assez ancien d'Alexandrette (Iskenderoûnya) n'avait au moyen-âge qu'une activité toute locale.

Château kizkalesi
Château kizkalesi. Sources : Wikipedia

Castrum Puellarum kizkalesi
Il est assez difficile de se rendre compte des défenses médiévales du défilé de Sakaltoutan (Portes de Syrie, ou, comme disaient les Francs, la Portelle).
Le château qu'on y voit aujourd'hui est ottoman ; mais il s'appelle kizkalesi, ce qui paraît traduire en turc le Castrum Puellarum qu'Albert d'Aix cependant place plus au nord à Payâs. Wilbrand ne connaît à la Portelle que la porte antique qui y subsiste (84).
Albert d’Aix cite un castrum pastorum et un castrum adolescentium (celui-ci dans la montagne), noms romancés peut-être mais qui gardent sans doute le souvenir de quelques châteaux réels. Il n'y a pas de ruines subsistantes qui permettent d'aboutir à plus de précision. Nous ne savons aussi de la bourgade médiévale de Payâs que son existence. Dans la montagne, entre la Portelle et Canamella, Wilbrand (85) a vu un « Castrum Nigrinum (86) », sans doute l'actuel Mandjilik Kalesi, à 500 mètres d'altitude au-dessus de la gorge sauvage du Kourou Dere, au nord de Payâs, au-dessus d'un chemin conduisant à travers l'Amanus à Ekbez ; une restauration arménienne de 1290 est mentionnée par une inscription (87).

Château de Servantikar en Cilicie
Pour une armée qui, venant de Cilicie, voulait pénétrer en Syrie, ou inversement, deux principaux passages se présentaient. L'un était celui du littoral : à proximité d'Alexandrette, la route resserrée entre le rivage et les contreforts de l'Amanus franchissait d'abord les Pylse Cilicise, probablement à Sarisaki et Saqaltoutan (les Croises appelaient ce passoge la Portelle), puis les Pylœ Syriœ, probablement à l'entrée du col de Beylan (1)
L'autre, à l'est de la Cilicie, passait par un col du Giaour Dagh, chaînon septentrional de l'Amanus et menait vers la Syrie intérieure et la Mésopotamie. Servantikar commandait ce dernier passage.
1. R. Dussaud, Topographie historique de la Syrie antique et médiévale, p. 416.
— Recueil des Historiens, des Croisades, Document arménien tome I, introduction, pages XXVI-XXVII.

Sources : Deschamps Paul. Château de Servantikar en Cilicie. In: Syria. Tome 18 fascicule 4, 1937. pages 379-388. Servantikar

En longeant vers le nord le pied de l'Amanus, on arrive à Deurtyol, qui conservait récemment encore le nom de Tchoukmerzivân qu'elle portail déjà au XIIIe siècle (88). Plus loin, on atteint Erzin, à côté de laquelle sont les ruines d'une ville antique, ce qui doit la faire identifier avec la médiévale Kanîsat as-soûdâ (ou : almouhtaraqa), dont nous savons qu'elle était une ville de « Roûm », à l'écart de la mer, entre Payâs et Hârounya (89).

Si au lieu de longer la montagne nous suivons à présent la côte, nous trouvons dans Idrisi (90) successivement depuis Payâs : Hiçn at-Tînât, port d'exportation des pins de l'Amanus, Hiçn Mouthakkab, port de Misîs, puis (Idrisî est antérieur à l'existence d'Ayâs) Djazîrat al-Basâ, enfin Hiçn Maloûn et bien plus loin Korykos. Les portulans occidentaux, plus tardifs, nomment Alexandrette, Canamella (91), à vingt milles Mons Caïbo, à quinze milles Ayâs, à dix milles Portus Palli, à dix milles Fossa de Biosa, à l'embouchure du Djeïhoûn, enfin à dix milles encore Portus Malo, puis les bouches du Seïhoûn (92). Il semble n'y avoir pas de difficulté à identifier Hiçn at-Tînât avec Canamella, Hiçn Mouthakkab avec Mons Caïbo, Djazîrat al-Basa avec Fossa de Biosa, et Hiçn Maloûn avec Portus Malo.

Reste à les retrouver sur le terrain. Le site de Hîçn at-Tînât paraît se conserver dans le tell appelé sur la carte d'E. M. Kinet (ou Tinet) Heuyuku (Heuyuk est le mot turc traduisant tell), à l'ouest de Deurtyol. C'est encore un mouillage de bateaux de pêche ; c'est le seul point au fond du golfe à n'être pas marécageux, et c'est près de là que débouche sur la côte la route de Til Hamdoûn à Alexandrette. Hiçn Mouthakkab se retrouve alors à l'angle nord du golfe, au lieu-dit Moutaleb Heuyuku (l et k sont graphiquement interchangeables). Portus Pali serait dans la baie de Youmourtalik et al-Basa au fond des marais du Djeïhoûn actuel, dont l'embouchure a considérablement avancé vers l'est depuis le moyen-âge (vers Karavân ?). Enfin la plaine de Maloûn est la région comprise entre les cours inférieurs du Djeïhoûn et du Seïhoûn, donc Portus Mali doit être du côté de l'actuel Karatach.

Entre le golfe d'Alexandrette et la vallée inférieure du Djeïhoûn se trouve une petite chaîne qu'on traversait soit à Til Hamdoûn, soit entre le site de la moderne Djeïhân et Hiçn Mouthakkab, soit enfin au sud de Misis par un chemin aboutissant à Ayas ou à la moderne Youmourtalik ; entre ces deux derniers chemins les hauteurs côtières sont doublées au bord du Djeïhân par une chaîne courte plus haute, le Djabal Noûr, difficile à franchir.
A côté de Djeïhân se trouve la forteresse appelée aujourd'hui Ilân (ou Chahmirân) Kale (93), qui, malgré des réfections récentes, paraît dans l'ensemble être de construction franco-arménienne. Elle se dresse sur un impressionnant rocher de la rive droite du Djeïhoûn, dont la ligne se prolonge au nord-ouest dans la plaine cilicienne par le rocher de Doumlou Kale.
Le château proprement dit, qui a une belle entrée coudée entre deux tours barlongues de bel appareil à bossage, occupe le nord-est du rocher, le reste étant barré par un mur de crête. Sur le chemin d'accès à l'est, une seconde enceinte complète la défense.

Le passage méridional de Misis à la baie de Youmourtalik est surveillé par une autre forteresse, construite sur un contrefort du Djabal Noûr à près de trois cents mètres au-dessus de la vallée ; elle est connue aujourd'hui sous le nom de Kizlar Kalesi. La vue embrasse à la fois la plaine d'Adana et la côte. On entre à flanc de rocher à l'ouest, et du même côté, plus bas, débouche un souterrain d'où il n'était possible de sortir qu'à l'aide de cordes. Les principaux bâtiments, à en juger par les ruines, se trouvaient près du seuil qui rattache le rocher de Kizlar Kalesi à la montagne. Il ne semble pas que la construction soit antérieure aux croisades ou au royaume arméno-cilicien (94).

Iilan Kalé, le château des Serpents


Château des Serpents

Servantikar est juché à 500 mètres sur un rocher au pied duquel passe un ruisseau, le Kalé Tchaï, affluent de l'Houmous Souyou, lequel va se jeter dans le Djeihan.
Cette route venant d'Adana est gardée par plusieurs châteaux avant d'arriver à la hauteur de Servantikar. C'est d'abord, sur l'autre rive du Djeihan, le puissant château d'Iilan Kalé, le château des Serpents (1), encore fort bien conservé et muni d'une triple enceinte dont les murailles composant un décor fantastique semblent s'accrocher aux aspérités du rocher.
Puis, plus à l'est, se trouve le château de Toprak Kalé. Cette forteresse, dressée sur un tumulus de 80 mètres de haut, est construite en matériaux de basalte. Elle est pourvue de deux enceintes, l'enceinte inférieure ayant 100 mètres de longueur sur 70 de largeur.
Elle commande, au sud une gorge étroite qui mène vers Issus, et à l'est le chemin qui se dirige vers Servantikar.
Du sommet du château de Toprak Kalé on a, vers le nord et l'ouest, une vue très étendue sur la plaine de Cilicie et le cours du Djeihan; on aperçoit le haut promontoire d'Anavarza et plus loin les rochers que couronne la citadelle de Sis qui fut la capitale des princes de Petite-Arménie.
Plus à l'est, un peu après Osmaniyé, se trouvent le petit fort de Frenk Kalassé et le château de Tchardak kalé (2).
Enfin, à une vingtaine de kilomètres au nord de Toprak Kalé et de Tchardak, se trouvent deux châteaux commandant la vallée du haut Djeihan : c'est Hémétié Kalé et Boudroum Kalé.
Ce dernier, juché sur un étroit piton, a une silhouette analogue à celle si étrange de la chapelle Saint-Michel d'Aiguilhe au Puy, plantée au sommet d'un mince dyke de basalte.
l. Sur la légende qui se rattache à ce nom voyez le P. Alishan, Sissouan ou l'Annèno-Cilicie. Venise, 1899.
2. Orthographe préférable à Tchordaa Kalé qui figure sur certaines cartes. Tchardak désigne un tréteau de planches couvert de feuillages que les Arméniens dressent devant leurs maisons et où ils couchent pendant la belle saison. Par extension on appelle Tchardak un sommet de montagne en forme de plateau.

Sources : Deschamps Paul. Château de Servantikar en Cilicie. In: Syria. Tome 18 fascicule 4, 1937. pages 379-388. Servantikar

Entre Ilân Kale et Kizlar Kalesi, sur la rive droite du Djeïhoûn, se trouve l'antique Misîs (grec : Mopsuestia, latin Mamistra ; arabe Macîça), au point où la route Tarse-Adana-Til Hamdoûn-Syrie atteint le Djeïhoûn, et au contact entre la plate-forme de la Cilicie nord-occidentale et de la plaine alluviale marécageuse des cours inférieurs du Djeïhoûn et du Seïhoûn (plaine de Maloûn). Sa fortune, aujourd'hui, est passée à Djeïhân, et à peine peut-on deviner quelques restes de ses anciennes fortifications ; mais c'était encore au moyen-âge une cité prospère, à la fois place-forte, place de commerce, centre de productions locales (pêcheries, vêtements de fourrures des montagnes), ville ecclésiastique. Au nord de Misis, la région de convergence des divers affluents ciliciens du Djeïhoûn s'appelait le Mardj ad-dîbâdj (latin Pratus Palliorum ; grec : Baltolibadon) (95).

L'occupation franque ne dépassa jamais en Cilicie les districts de Misîs et Til Hamdoûn (96). Mais ce n'était là que l'entrée de la plaine cilicienne. Au nord d'Ilan Kale, sur un formidable rocher rouge isolé au milieu de la plaine, se dressait, au-dessus des restes d'une ville antique, la puissante forteresse d'Anavarza (Anazarba, arabe 'Aïn-Zarba), ancienne capitale de la Cilicie encore renforcée par les Roupéniens. Plus au nord, au contact de la montagne, était Sîs, qui devint la capitale du royaume arméno-cilicien à la fin du XIIe siècle. A l'ouest de Misis, le Seïhoûn était franchi devant la ville déjà notable d'Adana ; à l'entrée du Taurus se trouvait Tarse, déchue aujourd'hui où les petits navires mêmes ne peuvent plus l'atteindre, mais forte dans l'antiquité et au moyenâge. Au-delà de Tarse, par les Portes de Cilicie, on gagnait Podandos et l'Anatolie. C'était, comme c'est encore, la seule voie de communication facile entre les plateaux septentrionaux et occidentaux et la Cilicie, partout entourée de montagnes sauvages ; on pouvait cependant aussi descendre de Qaisariya vers Sîs ou Mar'ach.

Notes : Le golfe d'Alexandrette et l'accès au bas-Djeïhoûn
84 — Wilbrand, 172; Albert d'Aix, 357.
85 — Wilbrand, 172 ; Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome II, 166.
86 — Peut-être identique à Noukir cité en 1298 par Maqrizî-Quatremère.
87 — Hoberdey-Wilhelm, Reisen in Kilikien (Denkschr. d. K. Akad. Wissenschatl, Wien, XLIV, 1896, VI), page 22. Imâd (Abou Châma II, 16 (H 212) parle d'un château de Manâkir incendié par les Arméniens devant la menace de Saladin sur le Gueuk-sou (près de Mar'ach).
88 — On trouve Keniz (= Kanisat as-soûdâ ?) et Tchoukmerzivan dans Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome II, 166, avec Lacrat, Gardessia, Tchoukmalik, Tchoukolhmân (? Jucuteman), dans le Djegher.
89 — A un jour de la première, 12 milles de la seconde (Le Strange, 477, Ibn Chaddaâd (le géographe, manuscrit de Londres), 63 v° ) ; cela est impossible, mais il ne s'agit pas de nos milles : le même texte compte 15 milles de Hiçn at-Tînâl à Rhosus (80 kilomètres).
90 — Idrîsî, Jaubert, 133.
91 — Aussi dans Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome II, 166, et Wilbrand, 172.
92 — Rey, Les périples des côtes de Syrie, Archives de l'Orient latin, tome II, page 348. Tomaschek, Zur topographie Kleinasien, Sitzb. W. Ak., 1891, 70-71.
93 — Paul Deschamps, Comptes rendus des Séances Académies Inscriptions des Belles Lettres, 1936.
94 — Entre Djeïhân et Ayas, Kara Osman Kale est ottomane. Entre Ilân Kale et Mouthakkab, Kourou Koule doit être médiévale, et peut-être à rapprocher de Kâwourrâ, prise par les Mamloûks en 1336 (cf. cependant Koûbarâ prise par eux en 1298, peut-être plus a l'est ? et Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome II, 464, casal de Gobara). Le directeur du musée d'Adana m'a dit que Kourou Koule s'appelait jadis Ghiaour Kale (forteresse des infidèles), nom que les Turcs ont pu tirer de Kâwourrâ.
95 — Ibn Chaddaâd (le géographe, manuscrit de Londres), 62 r° , Le Strange, 505, Attaliate, 121, Wilbrand, 175 (a vu les remparts en mauvais état). Sur ses églises, Alishan Sissouan, 289. Au XIIIe siècle, les Génois y ont une concession. Villages dépendants : Oessi, Joachet, Grassia (Kohler, 115, 151), Sarala, Saint-Paul, Figénie (Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome I, 143; II, 637), Kafar Bayya (= Ilauranye).
96 — Les Francs ont possédé par moments Tarse, mais ni là ni à Adana on n'a de trace de colonisation durable (sauf concessions ultérieures dans le royaume arméno-cilicien).

F. Du 'Amouq à Alep et au Roûdj

Entre l'Oronte, en amont du 'Amouq, et la région d'Alep, s'étend un groupe de petits chaînons orientés chacun nord-sud, mais dont l'ensemble dessine une zone de reliefs courant du sud-ouest au nord-est : Djabal Dovili (97) (nom moderne), Djabal A'lâ, Dj. Bârîchâ, Dj. Laïloûn (dont la partie la plus haute est le Djabal Simân ou Smane), ce dernier, le plus vaste et le plus élevé, étant séparé des précédents par la petite plaine de la Halaqa. Les massifs de l'ouest sont encore aujourd'hui au sud partiellement couverts d'oliveraies et de champs, mais on à peine à concevoir qu'il ait pu en être de même du Dj. Laïloûn, et même les hauteurs entre le 'Amouq et la Halaqa, qui déroulent à l'infini sous les yeux leurs croupes nues de calcaire blanc. L'abondance des ruines romano-byzantines oblige cependant à l'admettre ; mais dès l'époque des croisades, ce n'étaient déjà plus que ruines, et les centres habités, les routes parcourues étaient à peu près tels qu'ils sont demeurés jusqu'à nous.

Les petits massifs de l'ouest ne sont traversés que par des chemins d'intérêt local, mais comprennent des bourgades toujours actives. Dans le Djabal Dovili, on signale dans notre période Salqîn, d'où des chemins rayonnent vers Djisr al-Hadîd, Hârim, Armenaz, et Tell'Ammâr-Darkoûch ; et Tell 'Ammâr, au-dessus de laquelle, à quelques kilomètres au nord-est, sont les ruines d'une petite forteresse. Mais le vrai chef-lieu de la région est, entre le Djabal Dovili et le Djabal A'lâ, Armenâz, d'où l'on communique facilement avec Salqîn, Djisr al-Hadîd, et Hârim, au sud, avec Tell 'Ammâr, Ma'arra-Miçrîn, et avec le Roûdj par une large vallée sèche où le Bîr at-Tayyîb (carte d'E. M. : Bîrar-Menaz !) marquait la limite du district (98).

C'est au nord-est du Djabal Bârîchâ et par la Halaqa que passaient les divers chemins qui d'Atma par Tell-Aghdî, de Tizîn par Dâna, de Imm par Tell 'Aqibrîn ou Sarmadâ, unissaient le 'Amouq et Antioche ou la Cilicie à Alep. De ces chemins le plus important, correspondant à une chaussée romaine encore en partie conservée, était le dernier. Il pénétrait dans la montagne à l'ouest un peu avant 'Aïn-Dilfe, alors comme aujourd'hui station ordinaire de relais, à cause d'une belle source qui n'alimentait d'ailleurs pas de village ; on passait alors à côté de la ruine antique de Qaçr al-Banât (99), puis par celle de Bâb al-Hawâ, par où l'on entrait dans la Halaqa (latin Ager Sanguinis) (100). Cette petite plaine s'allonge dans l'axe de la montagne, dominée au nord par le Djabal Baraka, appelé au moyen-âge Baït-Laha, au haut duquel un veilleur, d'une tour, regardait les routes d'Antioche et d'Alep (101). Le sol de la Halaqa est riche, et plusieurs localités nous sont connues : au sud-ouest, Sarmadâ (latin Samarta ou, par confusion avec Sermîn, Sarmit), où il y avait un petit château (102).
De là on gagnait Hârim à l'ouest, Zerdanâ au sud ; sur ce dernier chemin les Francs fortifièrent en 1121 un vieux couvent (103).
Non loin on trouvait Balât (104), puis, à l'issue sud-orientale de la plaine, le vieux village de Tell-'Aqibrîn, dont les ruines, antérieures aux Francs, mais aménagées par eux en forteresse, subsistent partiellement (105).

Tell-Aqibrîn ou Balât
A l'époque médiévale le temple est encore presque complet et ce sont les bâtiments du couvent qui servent de carrière pour le fortifier. Les chroniques de l'époque des croisades mentionnent au XIIe siècle à Tell'Aqibrîn une forteresse du nom de Balât qui permettait de surveiller la route d'Antioche à Alep (29). Il est donc à peu près certain qu'elle n'était pas à Tell'Aqibrîn même mais à l'emplacement de notre temple, absolument remarquable par ses vues (30).
29. Dussaud, Topographie..., p. 192 et 221. R. Grousset, Histoire des Croisades, 3 vol., Paris 1934-1937, cf. I, p. 553. Cahen Claude, La Syrie du Nord, page 154.
30. C'est ce que suppose G. Tchalenko, Villages, I, p. 127.
Sources : Callot Olivier, Marcillet-Jaubert Jean. Hauts-lieux de Syrie du nord. In: Temples et sanctuaires. Séminaire de recherche 1981-1983. sous la direction de G. Roux. Lyon : Maison de l'Orient et de la Méditerranée Jean Pouilloux, 1984. pp. 185-202. Persée

Règne de Baudouin II
Baudouin Ier eut pour successeur comme roi de Jérusalem son cousin Baudouin du Bourg - Baudouin II - jusque-là comte d'Edesse et qui fut lui même remplacé à Edesse par un baron d'avant garde, Jocelin Ier de Courtenay.
Baudouin II fut un prince consciencieux, pieux, actif et plein d'adresse, déjà adapté, lui aussi, au milieu oriental. Il avait comme son prédévesseur épousé une Arménienne. Son règne (1118-1131) eut à faire face à une série de difficultés graves qu'il surmonta.
Tout d'abord le prince d'Antioche Roger de Salerne (1112-1119) fut vaincu et tué à Tell-Aqibrîn, entre Antioche et Alep, par un chef du Dyarbékir, l'Ortoqide Ilghâzi (28 juin 1119).
Baudouin II, accouru de Jérusalem, arrêta les Turcs et sauva la principauté d'Antioche où il assuma la régence.
Sources : René Grousset. Les Croisades. Paru en septembre 2015 ebook (ePub). Google

En se dirigeant de là vers le nord, on atteignait et l'on atteint Dâna (106), puis Tell-Aghdî (aujourd'hui Tell-Adé) (107), ancien centre religieux syriaque (108), et chef-lieu du canton du Djabal Laïloûn (109), enfin plus au nord, dans la montagne, Daïr et Qal'a Simân, qui n'étaient plus que d'illustres ruines, comme aussi, sur le bord oriental de la plaine, Daïr Roumanîn.

Athârib (latin Cerep)
Après Tell-Aqibrîn, la route d'Alep traversait le rebord montagneux de la plaine de Sarmadâ, puis descendait sur l'importante forteresse d'Athârib (latin Cerep, grec Pheresia), site occupé de toute antiquité au carrefour des routes d'Alep à Antioche et au Roûdj.
Elle comprenait un château principal entouré d'une enceinte à tours (110) ; mais, rasée par Zangî, elle est réduite aujourd'hui à un tell, que dévore le village tapi à ses pieds (111). Quant à la partie septentrionale du Djabal Laïloûn, où ne passe aucune route, on n'y connaît aucun site notable (112).

Athârib
C'est miracle qu'elles n'aient pas d'emblée été réduites à néant, et leur longue résistance ne peut s'expliquer que par la supériorité militaire de leurs défenseurs, la puissance des châteaux dont ils garnirent leurs frontières, les concours enfin qui spontanément s'offrirent à eux : seigneurs en quête d'aventures, croisés nouveaux accourus par petites bandes pour prêter main-forte et accomplir leurs vœux, et surtout chevaliers des « ordres militaires »
Car, après s'être voués d'abord à des tâches pacifiques — celle de l'hospitalisation des pèlerins malades pour les uns, celle de la police des routes pour les Templiers, — ces deux ordres y avaient presque aussitôt ajouté les tâches guerrières auxquelles les prédisposait l'origine de leurs membres, tous de familles seigneuriales.
Mais leur courage, s'il retarda l'avance turque, devait se révéler incapable de l'arrêter. À peine maître d'Alep, Zenguî avait réussi à entamer la principauté franque d'Antioche en s'avançant (1130) jusqu'à la forteresse d'Athârib, qui couvrait la plaine de l'Oronte. Il s'en emparait cinq ans après (1135), ainsi que des forteresses de Maarrat an-Nomân et de Kafartâb, d'où il envahissait aussitôt le comté de Tripoli.
L'année suivante, sa cavalerie, dépassant l'Oronte et les monts Ansarié, allait razzier le territoire de Laodicée.
En 1137, le comte de Tripoli Raimond II tombait aux mains des ennemis, et le roi Foulques de Jérusalem, accouru pour lui porter aide, était obligé de capituler au château de « Montferrand » ou Barîn, en avant des monts Ansarié.
Sources : Louis Halphen et Philippe Sagnac. Peuples et Civilisations. Histoire générale. Page 251. (Fichier PDF). Athârib

Citadelle d'Alep
Citadelle d'Alep
Citadelle d'Alep. Sources Ancienne ville d'Alep

Alep, est au moyen-âge comme aujourd'hui plus qu'Antioche le centre de la Syrie du nord. Antioche avait dû sa fortune à des occidentaux, qui n'avaient été qu'exceptionnellement maîtres de la Mésopotamie ; la conquête arabe, commune à la Syrie et la Mésopotamie, et venue par terre, développa en face d'elle Alep, située à l'entrée du désert dans un site relativement médiocre, mais dans une situation parfaitement adaptée aux communications continentales entre sédentaires et nomades ; l'essor définitif date du jour où les Merwanides en firent leur capitale. La reconquête byzantine et le partage politique de la Syrie qui en résulta soutinrent encore Antioche pendant deux ou trois siècles ; ce fut seulement au lendemain des croisades que Baïbars lui donna le coup mortel, et qu'Alep resta seule.

Nous n'avons pas à décrire ici Alep, que les Francs assiégèrent, mais n'occupèrent jamais. Située sur la rive orientale du Qouaïq, ville déjà vaste et riche en souqs et monuments, elle était entourée d'une forte enceinte et possédait une citadelle déjà puissante au XIIe siècle et dont al-Malik az-Zahir Ghazî, le fils de Saladin, fit la monumentale place-forte que nous pouvons encore admirer aujourd'hui. En dehors des murailles de la ville se trouvaient des faubourgs, cimetières, lieux-saints, jardins, et, sur la rive droite de la rivière, le Djabal Djauchan, d'où l'on embrassait du regard toute l'agglomération.

Autour d'Alep, Neïrab, Djibrîn, Na'oûra à l'est ; Heïlân, Mouslimiya, surtout Mardj Dâbiq, important carrefour, sur le Qouaïq au nord ; Qinnasrîn (latin : Canestrine) et Hâdir Qinnasrin, vieilles cités ruinées, et Tell as-Sultân sur la lagune où se perd le Qouaïq au sud ; enfin Khânacira au bord du Djabal Ahaçç, au sud-est, Naqîra des Banou As'ad, Bâb-Bouzâ'a, dans le Wâdî-Boutnân, avec leurs demeures troglodytiques, plus loin Manbidj (Mabboug, Hierapolis) au nord-est, sont les localités le plus fréquemment citées (113). Un grand nombre de routes partaient d'Alep : à l'ouest et au nord, les routes d'Antioche, Lattakié, Marrî ou Baghrâs (vers la Cilicie), Mar'ach (vers Siwas ou Qaïsariya), 'Aïntâb (vers Hadathâ et Albistân ou Malatya et vers Behesnî), Bîra étaient dans la première moitié du XIIe siècle, au pouvoir des Francs et seront décrites plus loin. Au sud, on se rendait à Homs et Damas soit par Ma'arrat an-No'mân et Hamah, soit plus à l'est par Hiçn al-Qoubba (114) et Salamiya. Au nord-est, on traversait l'Euphrate en direction de la Djéziré, en aval de Bîra, principalement à Qal'a Nadjm à laquelle on accédait par Bouzâ'a et Manbidj, et d'où l'on gagnait Harrân. Au sud-est, on atteignit l'Euphrate à Bâlis et on le longeait vers l'Iraq, en passant successivement en face de Qal'a Dja'bar et Raqqa (embouchure du Bâlîkh) (115), puis à Rahba en face de Qarqîsiya (embouchure du Khâboûr) ; de Rahba l'on pouvait aussi couper le désert par Tadmor (Palmyre) et gagner directement Homs ou Damas. Indications sommaires qui suffisent à l'intelligence des mouvements commerciaux et militaires dans cette région.

Au sud-ouest, la route d'Alep à Lattakié traversait au sud du Djabal Laïloûn, le Djazr, puis entre les petits massifs de l'Oronte et le Djabal Soummâq le Roûdj. Par le Djazr passaient : au nord un chemin qui, quittant la route d'Antioche à Athârib, par Kellâ (aujourd'hui Kulli) et Ma'arrat al-Ikhwân (116) gagnait le Roûdj ou Armenaz ; au centre un chemin qui, par Kafar Halab (aujourd'hui Kufru Halbe), atteignait Zerdâna (latin Sardona), place importante mais déjà ruinée au XIIIe siècle et dont il ne reste que le tell (117), puis Ma'arra Miçrîn (latin Megaret Basrîn), qui, bien que mal arrosée et n'ayant qu'une enceinte ruinée, jouait le rôle de marché entre Roûdj, Djazr, et Djabal Soummâq dévolu aujourd'hui à la plus méridionale Edlib (118) ; enfin au sud un troisième chemin qui aboutissait à Sermîn, ville dont les remparts n'avaient pas été entretenus mais où se trouvait une belle mosquée et des souqs actifs, et qu'environnaient un grand nombre de villages (119). Du chemin de Sermîn devait se détacher à Hanoulah (carte d. E M., Hani-Touhan) la route de Ma'arra (120), qui atteignant le Djabal Soummâq entre Dhâdhîkh et Merdîkh (121).

Immédiatement au sud du Djzar commençaient insensiblement les molles ondulations et les riches terres du Djabal Banî 'Oulaïm, prolongement nord du Djabal Soummâq qui se distinguait de lui par une altitude supérieure et un sol un peu moins fertile.
Comme plus au sud le Djabal Soummâq, le Djabal Banî 'Oulaïm tombe brusquement à l'ouest (sur le Roûdj). Rîhâ (aujourd'hui Eriha) était alors, comme elle l'est restée quelque peu de nos jours malgré la concurrence d'Edlib, le chef-lieu des Banou 'Oulaïm (122); la grosse source qui l'arrose s'appelait 'Aïn al-Karsânî, et près d'elle au sud se trouvait le village de Kafarlatâ, qui existe encore mais a perdu sa forteresse médiévale (123).
Au nord du massif, au contact du Djzar et du Roudj, non loin de l'actuelle Edlib, était le tell de Dânîth, qui joua un grand rôle stratégique (124). Quant au versant occidental, il était surveillé par la forterresse de Hâb (latin Hap, aujourd'hui Bourdj al-Hâb) (125).
Enfin, en un lieu indéterminé du versant oriental, il faut rechercher Bâsarfoût (126).

Le Roûdj est un long couloir plat et mal drainé (127) qui s'étend du Ghâb au sud au Djabal A'Lâ au nord ; administrativement le mol s'étend à l'ouest jusqu'à la région de Djisr ach-Choughoûr, sur l'Oronte. Le Roûdj méridional était un noeud de routes de la plus haute importance : là se croisaient les routes d'Antioche à Ma'arra et d'Alep à Lattakié ; aussi les textes nous signalent-ils dans cette, région un grand nombre de localités dont l'identification est malheureusement souvent malaisée.

Le point où les deux routes traversent l'Oronte n'a jamais pu être très éloigné du passage actuel (Djisr ach-Choughoûr) car en aval le fleuve entre dans une gorge et en amont est bordé de larges marécages; de plus, c'est juste à l'ouest de ce passage qu'est la tête de la vallée du Nahr al-Kébîr, par laquelle on descend sur Lattakié. Le pont actuel est ancien, non toutefois de notre période.

Tout près du passage était Hiçn Tell Kachfâhân (latin Mons Ceffa) (128). Nous savons en effet qu'elle se trouvait à une course de cheval de Choughr-Bakas (129), en face d'Arzghân sur la rive opposée de l'Oronte (130), enfin sur la route d'Antioche à Inab (et Ma'arra) (131).
Le nom est aujourd'hui totalement inconnu; des quelques tells de la région, celui qui conviendrait le mieux est le très gros tell situé juste au nord de Djisr ach-Choûghoûr, sur la rive occidenlale de l'Oronte; mais il ne s'y trouve aucune ruine (132).

Chastel-Ruge
Est-ce à Tell Kachfâhân qu'il faut identifier le Chastel-Ruge des Francs ?
L'existence de deux ou trois localités assez voisines désignées par les textes sous les formes mal précisées de Rugia, Rugea, Rubea, Robia, Roia, Ruiath, Roissa, Rusa, Roida, Oppidum Rugine (français Chastel-Ruge) a enveloppé le problème d'une obscurité dans laquelle se sont perdus les chroniqueurs médiévaux les premiers, et dans laquelle il a fallu attendre René Dussaud pour introduire un peu de clarté.
Qu'il y a au moins deux localités, distantes de quatre milles, est sûr (133).
L'oppidum Rugiæ est la plus importante ; nous savons qu'il se trouve sur la route d'Antioche à Ma'arra, ou à Chaïzar et par Inab et Apamée (134), tout près de l'Oronte (135), non loin d'Arzghân et Bezmechân (136), bref évidemment dans la région de Tell Kachfâhân.
Et il faudrait certainement identifier les deux places si, dans la région de Darkouch ou Choughr-Bakâs, Kamâl ad-dîn ne connaissait un « Chaqîf ar-Roûdj », qui onomastiquement correspond mieux à Chastel-Ruge (137).
Quant à la seconde localité désignée sous un nom voisin de Rugia, nous en reparlerons à propos du Djabal Soummâq.

De Tell-Kachfahân à Darkoûch, l'Oronte coule dans une gorge d'où les chemins s'écartent pour passer sur les hauteurs voisines de l'une ou l'autre rive.
Le chemin occidental est gardé, au-dessus de la traversée du Nahr al-Abyadh, en amont de la gorge de Bakfelâ (138), par la forteresse jumelle de Choughr et Bakâs.

forteresse jumelle de Choughr et Bakâs
Celle-ci n'est pas connue avant les Francs, qui la construisirent, ou la développèrent sans doute dans la seconde moitié du XIIe siècle, après la chute de Tell-Kachfahân.
Elle s'élève sur une arrête rocheuse taillée à pic sur cent mètres de hauteur de trois côtés, mais extrêmement étroite et même affaissée en son milieu, d'où la nécessité de diviser la forteresse en deux châteaux, celui de Choughr, le plus fort, à la pointe du rocher, et celui de Bakâs du côté de la montagne d'où le séparait un fossé.
Les restes actuels, assez délabrés, datent la plupart, comme en témoignent des inscriptions, de restaurations musulmanes du XIIIe siècle (139).

Bakâs
M. Van Berchem fait une courte halte à Hârim, remarquable par sa citadelle, le Harenc des Croisés, rebâtie par le fils de Saladin. Il en relève rapidement le plan et, continuant sa route, il arrive à Antioche.
Malgré ses souvenirs historiques et son admirable situation, Antioche déconcerte le voyageur par son aspect moderne. Les ruines de la vieille cité grecque, celles de l'église primitive, la ville arabe qui occupe une place si importante dans les chroniques musulmanes, tout cela a disparu pour faire place à des constructions modernes sans intérêt.
En revanche, à quelques heures de là, s'élèvent les ruines majestueuses de deux châteaux qui sont souvent mentionnés par ces mêmes chroniqueurs et n'ont été jusqu'à présent que très imparfaitement explorés : c'est le Kala't Kousaïr (le Gursat des Croisés) et Choughr-Bakâs, c'est-à-dire deux forteresses reliées par un simple pont-levis que le temps n'a pas respecté, mais dont on voit encore les points d'attache au-dessus de la porte d'entrée.
Grâce à M. Van Berchem nous pouvons maintenant expliquer avec sûreté la description assez confuse qui en a été donnée par les historiens de Saladin.
Plus loin, sur la route de Laodicée, notre voyageur relève la vue du château de Sahyoun, un des plus beaux vestiges de l'art militaire des Croisés. Le temps n'a pas endommagé ses belles tours carrées, ses vastes citernes voûtées et son fossé creusé dans le roc. Les photographies que M. Van Berchem a recueillies et les détails descriptifs dont il les complète prouvent que ces ruines sont, avec celles du Krak des Chevaliers, un des plus curieux et des mieux conservés parmi les monuments de la Syrie méridionale.
Je ne dois pas omettre de mentionner aussi l'église de Tortose, qui est une des plus belles constructions des Templiers, et le château de Margat, le Mdrqab des Arabes, un des points les mieux fortifiés de la principauté d'Antioche.
A ce propos, M. Van Berchem fait remarquer avec quelle entente de l'architecture militaire les Croisés tirèrent parti du terrain dans leur plan de construction, « Les châteaux francs s'élevaient sur les points les plus forts, communiquant entre eux par un ingénieux système de tours de guette, et commandant toutes les routes sur une ligne, continue, depuis le col de Baïlân jusqu'à Gazzah. On s'explique ainsi comment les Francs ont pu vivre pendant deux siècles sur une côte étroite et pauvre en bons mouillages, harcelés sans cesse par leurs adversaires, puis abandonnés par l'Europe. Par delà la conquête des Lieux saints, œuvre de foi sincère et d'enthousiasme, on entrevoit la prise de possession d'un pays riche et ardemment convoité, entreprise réfléchie, méthodique et raisonnée qui encourageait toutes les ambitions, presque toutes les aventures. Ce que les croisades perdent en mystère, elles le gagnent en intérêt, trahissant les vieilles aptitudes de la race européenne. Cet essai de colonisation, étouffé par une suite de circonstances désastreuses, réussira plus tard dans le monde entier. »
Sources : Charles Barbier de Meynard. Rapport sur l'exploration épigraphique de la Syrie septentrionale par M. van Berchem (1895). Persée Page 627. Persée

Au nord de Choughr, près de Qaïqoûn, les routes d'Antioche et de Darkouch divergent ; cette dernière passe à mi-chemin par Chaqîf Kafar-Doubbîn (Carte d'E. M. Cufru Din) (140).

Château d'Arzghân (latin Arcican)
Sur la rive orientale, de petites collines s'interposent entre l'Oronte et la chaîne du Djabal-Wasît, prolongement du Djabal Dovili, qui le sépare du Roûdj. Là se trouvait, près du village moderne de même nom, le « formidable château » d'Arzghân (latin Arcican), souvent associé à Chastel-Ruge ou Tell-Kachfahân (141); il n'en reste aujourd'hui aucune trace. On traversait ensuite l'oued appelé encore Wadî abou Qal'a, et l'on arrivait à Bezmechân (latin Besmesyn, carte d'E. M. Mechmecham) (142), puis à Chaqîf Balmîs (latin Cavea Belmys) (143).
Une étude des ruines d'Arzeghan offrira d'autant plus d'intérêt qu'il faut évidemment identifier ce site avec la forteresse appelée Arcican par les sources occidentales, qui la groupent généralement avec Rugia dont nous verrons dans le chapitre suivant qu'elle était, en effet, voisine.
Arcican et Ruge (Rugia) forment le domaine de Cécile, veuve de Tancrède. Nour ed-din mit le siège devant « le formidable château » d'Arzeghan, qui se rendit et qui fut alors démoli (1161-1162). Il fut restauré, puisqu'en 1193, Saladin donne en apanage à Boémond, prince d'Antioche, el-'Amq et Arzeghan.

Sources : René Dussaud. Topographie historique de la Syrie antique et médiévale. Openedition

Le chemin de Darkouch montait alors sur la montagne, et atteignait un seuil où passaient aussi le chemin de Darkouch au Djazr, et où, près de l'actuelle Tenariye, sont les ruines d'un château appelé aujourd'hui Toûrin (144).

Quant à Darkouch, d'où des chemins conduisent vers Djisr ach-Choûghoûr, le Djazr, Armenaz ou Harim, le Djisr al-Hadîd et Antioche, c'est un bourg pittoresquement construit près de la sortie de la gorge de l'Oronte; sa forteresse, en partie creusée dans le roc, avait été construite, peut être en totalité par les Francs, dès la première moitié du XIIe siècle; il n'en subsiste rien aujourd'hui (145).

Il est inquiétant de constater que nous ne connaissons les noms francs ni de Darkouch ni de Choûghr-Bakâs, sans parler de Kafar-Doubbîn. Cette ignorance s'étend à des places du Djabal Ansaryé telles que Balâtonos, Borzeï, que nous en rapprochons ici parce que l'étude de la campagne de Saladin en 1188, au cours de laquelle les unes et les autres furent prises, est le seul moyen que nous ayons de proposer quelques identifications. Le seul texte franc où soient cités les noms de plusieurs conquêtes de Saladin est la lettre d'Ermenger, qui énumère, après Çahyoûn, « Gardam, Caveam, Rochefort, Castra munitissima »; après les avoir pris, Saladin gagne la plaine d'Antioche (146).

Cavea figure dans une charte entre « Rochefort cum abbatia » et les casaux de Levonia, Baqfela, Gaïgon (Qaïqoûn) que nous avons vu être proches de Bakas-Choûghr (147). Nous savons que Saladin, après Çahyoûn, envoya prendre Djamâhiriyoûn et Qal'at al-Aïdô clans le Djabal Ansaryé, puis assiégea Bakas-Choûghr, de là alla occuper Borzeï après être passé par Sarmenya enlevée entre temps par son fils, puis, par Kafar-Doubbîn qu'un de ses lieutenants avait réduite, gagna Darkouch qui ne résista pas, et la plaine d'Antioche. On verra que Rochefort peut être Borzeï; Cavea ne peut être qu'un chaqîf, c'est-à-dire Kafar Doubbîn ou Darkouch (148), toujours connue comme telle (149); peut-être le nom de Levonia dissimule-t-il une colonie d'Arméniens, qu'on sait par ailleurs avoir peuplé Kafar Doubbîn (150). Reste la Garde, qui peut être une des places conquises par les musulmans après Çahyoûn, ou plutôt Bakâs-Choughr, où Saladin vint en personne.

De Tell-Kachfahân, on accédait au Djabal Soummâq en traversant le Roûdj méridional, au-delà des dernières pentes du Djabal VVaslt (151). La route d'Apamée atteignait le Ghâb à Qastoûn, place byzantine citée encore en 1119, mais ruinée peu après, et dont il ne reste qu'un tell (152). La route de Ma'arra entrait dans le Djabal Soummâq à Inab (latin Nepa) (153). Rusa, distincte de Rugia, devait se trouver aussi dans le Roûdj Méridional (154).

Notes : Du 'Amouq à Alep et au Roûdj
97 — Ibn al-Fourât, I, 73 r° paraît indiquer entre Antioche et Alep un Djabal Ahmar, qui m'est inconnu.
98 — Ibn al-Fourât, tome III, 14 r° ; Ibn Chaddaâd (le géographe, manuscrit de Londres), 64 r° .
99 — Le Strange, 386, 482.
100 — Gautier le Chancelier, II, 2.
101 — Le Strange, 413; Gautier le Chancelier, 83; Boughya Aya, S. 39.
102 — Gautier le Chancelier, II, 5-6.
103 — Gautier le Chancelier, II, 16; Kamâl, H, 627, 633.
104 — Dans les collines entre Sarmadâ et Athârib (Gautier le Chancelier, II, 2-6; Abou'l-Féda, 139 r° ).
105 — Kamâl, 621.
106 — Yâqoût, 536.
107 — Kamâl, 629-625.
108 — Rey, Colonies Franques, page 353. — « Tell Agdi ou Tell Ada, château dans le district de Leïloun, pris par Tancrède en 1105. Il s'identifie avec le village nommé Tell Adai ou Adieh. (Guillaume de Tyr, livre XIV, chapitre VII) »
109 — Yamâl, 623.
110 — Le Strange, 403; Albert d'Aix, 684; Kamâl, passim; Ibn abî Tayyî, 71.
111 — A côté est Nawâz (Le Strange, 616, Kamâl, 627); aussi Ma'rathâ (Boughya, Seraï, IV, 275 v° ).
112 — Boughya Aya Sofya, 30, signale Roûhîn machhad de Hasan); Boustân, 687, Kafartîn.
113 — El, art. Halab (par Sobernheim); Ibn Ch. A'lâq, première moitié de la première partie; J. Sauvaget, Les Perles d'Or d'Ibn ach-Chihna, et la prochaine thèse du même; Kamâl, passim; René Dussaud, pages 472, 476.
114 — Au nord de Salamiya (Kamâl, 591, 612), = l'actuelle Qoubaïba ?
115 — Au sud-ouest, Roçâfa reste habitée; Kamâl Aya Sofya, 166, dit Qu'elle s'appelait dans l'antiquité Qîtâmlîlâ (cf. la localité proche de Batlamiya ?). Il connaît aussi les ruines d'Andarîn et Souriya (45).
116 — Ibn Chihna, 157, 'Azînî, 493. On nous signale encore Ibbin (Kamâl, 633), Yahmoul et Kafar (Ibn Chaddaâd, 35 r°, Kamâl, A. S., 90), Harbanouch (Le Strange, 448), qu'on retrouve sur la carte, puis, non localisés, Baït Rôs, près Yahmoûl (Ibn Chaddaâd, 35 r° ), Daïr Marqoûs (Le Strange, 430), Ardjîn ou Archln al-Qouçoûr (Le Strange, 399). La carte d'E. M., note une Qal'at al-Qantâr, qui recouvre ja ne sais pas quoi.
117 — Kamâl, A. S., 179.
118 — Ibn Chaddaâd, 52 v° On signale au sud-est Binich (Ibn ach-Chihna, 235), Fou'a (aujoud'hui Fogha), qui, dépendant de Sarmîn, en fut détaché par az-Zâhir Ghazî (Le Strange, 440; Ibn Chaddaâd, 52 v° ).
119 — Kamâl, passim; Le Strange, 532; Ibn Chaddaâd, 52 v° . Près de Sermîn est Marboûnya (Boughya, IV, 275 v°).
120 — En 1123 (Kamâl, 639), les Francs capturent à Hanoûta; Hillifa (inconnue) et Gharîb (inconnue) une caravane venant de Chaïzar.
121 — Le Strange, 437; Delaborde, 17.
122 — Le Strange, 521; Kamâl, A. S., 90. Au nord, à Istamak, Kamâl 41 connaît des restes de citernes antiques.
123 — Le Strange, 470, Kamâl, A. S., 90. Yâqoût croit à deux Kafarlatâ, le second étant près de 'Azâz; sans doute le déduit-il du récit d'une attaque sur K. venant de Tell-Bâchir (Kamâl, 592); mais leur source commet une confusion sûre, car elle nomme aussi Bâsarfoût. Kamâl, 43 et 69, signale les ruines antiques de Nahla, qui existent encore.
124 — Rey, Colonie Franques, 351. — « En 1120, le roi Baudouin II, nous dit Guillaume de Tyr, étant sorti d'Antioche, se dirigea sur Ruge, puis, passant par Haab, il vint, le 13 août, camper au tertre de Danit, et le lendemain, il remporta, en ce lieu, sur Ilgazi, une victoire signalée, qui est connue dans l'histoire des guerres saintes sous le nom de bataille de Danis. — Le même auteur nous apprend que le soir même de la bataille, le roi vint coucher au château de Haab, qui était fort voisin du théâtre du combat. Or, à huit kilomètres à l'est du Bordj el Hab, se voit un tertre nommé encore de nos jours Tell Danit, qui doit, je crois, fixer d'une manière indiscutable ce champ de bataille, d'autant plus que Kemal-ed-din dit que les Musulmans vaincus s'enfuirent à Tell-es-Sultan, point qui se retrouve à douze kilomètres à l'est de Tell Danit. »
125 — Albert d'Aix, 682; Kamâl, 624. Plus au nord (sur le tell Chamaroûn), camp romain.
126 — Bohémond se replie de là sur Kafarlatâ (Kamâl, 590, 592); le seigneur est pris sur la route d'Alep à Ma'arrat an-No'mân (Kamâl, 652); Bâsarfoût est prise en même temps que Kafarlatâ (Ibn al-Fourât, II, 173 r° ); elle est dans le Djabal Banî 'Oulaïm (Yâqoût dans Le Strange, 421).
127 — Une partie de ses eaux traverse souterrainement le Djabal Wasît et ressort en une grosse source au bord de l'Oronte.
128 — Il est inutile de corriger avec Heyd, I, 375 « Mons Ceffa », de Tafel 272 en « pons », puisque le nom indigène est Tell Kachfâhân.
129 — Abou'l-Féda Géogr., 261; cf. Abou Châma, Historiens, 368.
130 — Ibn Chihna, 177.
131 — Ibn al-Fourât, III, 13 v° , 15 r° (associe Tell Kachfâhân, Arzghân, et Bezmechân).
132 — Sauf l'aménagement des deux fontaines au pied du tell ? Tell al-Qarch, proposé par Jacquot d'après une vague ressemblance phonétique, est impossible, puisque sur la rive droite.
133 — Albert d'Aix, 701 (Rossa et Roida); Raoul de Cæn, 650 (Rubea et Rufa), Foulcher de Chartes, 423 (donne la distance entre les deux). René Dussaud, 165 et suivantes.
134 — Gessta, 73; Raymond d'Aguilers, 271; Foulcher de Chartes, 423; Guillaume de Tyr, 481.
135 — Foulcher de Chartes, 423.
136 — Raoul de Cæn, 650; cf. Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome I, 266.
137 — Revue de l'Orient latin, IV, 216. Chaqîf, correspondant à cavea, forteresse à flanc de rocher, ne peut s'entendre d'un tell ; ce n'est donc pas un autre nom de Tell Kachfâhân.
138 — Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome I, 266.
139 — Ibn Chaddaâd (le géographe, manuscrit de Londres), 61 r° ; Van Berchem, Voyage, I, 253.
140 — Ibn Chaddaâd, 54 r° . Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome I, 266; ce dernier nomme dans la région Tala (Tellan, près Darkouch ?), Cavea et Livonia, sur lesquelles cf. infra, page 160.
141 — Arzghân est la forme actuelle et de Ibn al-Fourât, II, 174 v° ; Ibn Chaddaâd, 62 r° et Ibn al-Fourât, III, 15 r° écrivent Arzqân, qui correspond mieux au latin Arcican : carte d'E. M., Aïni el-Izân I Cf. aussi Guillaume de Tyr XIV, 5 ; Grégoire le Prêtre, 199 ; Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome I, 266.
142 — L'orthographe que nous adoptons rend le mieux compte de la graphie non pointée d'Ibn al-Fourât, tome III, 15 r° , de la transcription latine (Raoul de Cæn, 644, l'éditeur a lu Belmesyn au lieu de Besmesyn; Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome I, 491), et de la forme moderne.
143 — Ibn Chaddaâd, 54 r° ; Maqrîzî-Quatremère, 53; Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome I. 491.
144 — Van Berchem, Voyage, I, 81; René Dussaud, 163. On a voulu y voir le Valtorentum de Rôhricht Regesta, n° 331, qui semble cependant être dans la plaine d'Antioche.
145 — Ibn Chaddaâd, 54 r° . On écrit souvent. Dair-Koûch, mais à tort.
146 — Ansbert, 80. Cf. Continuateur de Guillaume de Tyr, D 72.
147 — Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome, 266; Strehlke, 10.
148 — Ibn Chaddaâd (le géographe, manuscrit de Londres), 54 r° .
149 — Dans un projet de croisade du XIVe siècle, on trouve comme forme latine Dargoûs; mais l'ancien nom franc à cette date peut avoir été oublié, ou bien l'on disait Cavea Dargoûs (= Chaqîf Darkouch) (Revue de l'Orient Latin, tome X, 429).
150 — Ibn Chaddaâd, 54 r° .
151 — On cite de ce côté Besselemon (auj. Bechlimoun), Luzin (inconnu), Farmît (= Kafarmît dans le Roûdj ?), Potaman (aujourd'hui Eftaman), Pangeregan « in valli Russæ » (inconnu) (Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome I, 491). Van Berchem JA, 1902, I, 406, propose de lire Maryamîn dans Kamâl, 622, d'après le village de ce nom dans le Djabal Wasît; en réalité il s'agit de Sarmîn.
152 — Le Strange, 490; Kamâl, 615.
153 — C'est près de là, dans la plaine, qu'il faut placer le Fons Muratus, de Guillaume de Tyr, XVII, 9, Ard al-Hatîm des sources arabes, où fut battu et tué Raymond, en 1149; le récit de la bataille (en particulier Ibn al-Fourât, III, 14 r° ) exige une localisation sur le chemin de retour d'Inab vers Tell Kachfâhân et non dans la montagne au-delà d'Inab, comme le croit René Dussaud, 167.
154 — On a pensé à 'Allâroûz, au sud d'Inab (Ousama, Derenbourg-Vie, 122; Kamâl, 622, où l'éditeur a traduit « nazala 'Alârouz » comme s'il y avait « 'alâ Rouz » : au-dessus de Roûz); toutefois le rapprochement de Rusa, Rugia, Arcican, Besmesyn, par Raoul de Cæn, 650, suggère une place plus proche de Tell-Kachfahân, ainsi que la distance de quatre milles donnée par Foulcher de Chartes, 423. Quant à l'hypothèse d'un troisième site de nom voisin faite par Hagenmeyer (Gautier le Chancelier, page 176), elle repose sur l'existence d'un site de Robia ou Rouwaiha, près Ma'arra, mais n'est en aucune façon appuyée par les textes, qui peuvent toujours s'appliquer à Chastel-Ruge ou à Rusa (ou à la vallée du Roûdj).

Sources : Claude Cahen, La Syrie du Nord à l'Epoque des Croisades et la Principauté Franque d'Antioche. Editeur Librairie Orientaliste Paul Geuthner. Paris 1940.

G. Le Djabal Soummâq et le Ghâb

Chaïzar
Au sud-est du Roûdj, le Djabal Soummâq (155), sans avoir conservé ; toute la prospérité ; qu'attestent les champs de ruines dont il est couvert (c'est l'actuel Djabal Zawiyé), restait à ; l'époque des croisades bien plus vert qu'il n'est aujourd'hui.
En venant du bord occidental du massif par Inab, on arrivait aux deux petites places de 'Allaroûz (156) et Arnîba (aujourd'hui Ernebe) (157), puis à ; la vieille métropole byzantine d'al-Bâra, terriblement éprouvée par les ravages turcomans du XIe siècle, et dont l'évêque grec s'était réfugié ; à Chaïzar ; l'évêque franc, lui, s'établit à Apamée ; al-Bâra acheva au XIIe siècle de dépérir, et ne fut plus bientôt qu'un maigre village au milieu du vaste champ de ruines que l'on voit encore sous le nom d'al-Kafr.
La fortune d'al-Barâ échut alors à la musulmane Ma'arrat an-No' mân (latin Marra), plus à l'est (158). Maarat-al-Numan
Elle avait une enceinte, dont des parties subsistent (159), et au dehors, un peu à l'écart, une citadelle restaurée par Zangî (160), et aujourd'hui encore en assez bon état de conservation.
L'ensemble du pays consiste en croupes calcaires creusées de petits bassins verdoyants. A l'est de Ma'arra, la domination franque s'appuyait sur la vieille petite place forte chrétienne de Tell-Menis (latin Talaminia) (161); au sud, sur celle de Kafar-Roûm, qui était ruinée au XIIIe siècle (162).

Le sud du Djabal Soummâq, jusqu'à l'Oronte, est très différent. On traverse là de vastes et molles ondulations de terre nue descendant peu à peu vers le sud et vers l'est. Deux routes parcouraient ces plateaux, celle de Hâma à Ma'arra et celle de Hamâ à Tell-Kachfahân et Antioche.

Capharda
Selon les moments, la principale localité surveillant la première route a été l'une ou l'autre de deux petites places voisines, Asfoûna et Kafartâb (latin Capharda).

Capharda par M. REY
A partir de 1119, toute la partie occidentale et septentrionale du territoire d'Alep, notamment les districts d'El Aouacem, de Leïloun, du Djebel-Halaka, du Djebel-Ahass et d'une partie du Djebel-es-Soummak, ainsi que ceux d'En-Noukra et de Ouady Boutnan, vers l'Euphrate, étaient au pouvoir des Francs, qui, maîtres des tours de El Hader et de Kefer-Haleb, tenaient la cité étroitement bloquée, obligeant ses habitants à partager avec eux les produits des jardins de la ville et de leur payer un tribut annuelle de 1 000 dinars.
Aboulféda nous apprend que cet état de choses durait encore en 1130.
Ce principe avait, dès lors, acquis un développement. Déloppement considérable ; au nord-ouest, elle comprenait une partie de la Cilicie jusqu'à la rivière Djihoun, mais depuis la constitution définitive du royaume d'Arménie, la frontière nord-ouest de la principauté d'Antioche fut à la Portelle.
Au nord-est, elle était limitée par la frontière de la principauté d'Edesse, qui passait au sud de Coricie, entre Hazart et Turbessel. Vers le désert, elle comprennait, au delà de l'Oronte, les territoires des villes d'El Bara, de Femie ou Apamée, de Capharda et de Marra, nommé alors la Marre ; de ce côté, les villes fortes d'Artesie, d'Atareb, de Sardonie, du Sermin, et enfin la Marre, formaient la ligne des places frontières.

Elle était bornée à l'ouest par la mer, au sud par le ruisseau et la crête des montagnes formant la frontière du comté de Tripoli. Au sud-est, enfin, par les cantons montagneux de Kobeïs et de Massiad, possédés par les Bathéniens.
Mais, la chute de la principauté d'Edesse, apparu en 1145, modifié, profondément, cet état de choses dès la seconde moitié du douzième siècle.

Elle comptait alors un grand nombre de fiefs, dont les les principaux étaient ceux du Cerep, de Harrenc, du Soudin, de Saône, de Hazart, du Sarmit, de Zerdana, de Ber-Zieh, du Sermin, de Capharda, de la Marre, de Cassera-belle, etc.

Capharda ou Cafertab
Ville située sur la rive orientale de l'Oronte, entre Marra et Kalaat Seidjar, et dont le site n'a pas encore été fixé d'une manière positif. Dapper signale cependant un village nommé Chiefertab près de Khan Scheikhoun, sur la route d'Alep à Hamah. Boah-ed-din mentionne cette ville comme située à mi-chemin entre Scheizar et la Marre.

Muserac
Casal dépendant de Capharda, mentionné en 1149, dans un diplôme de Raimond d'Antioche.
Sources : Rey, Emmanuel-Guillaume. « Les colonies franques de Syrie aux XIIe et XIIIe siècles » BNF

Shaizar

Citadelle de Shaizar
Citadelle de Shaizar. Sources le cycle des croisades

Cette dernière est à quelques kilomètres au nord-ouest de la moderne Khân Chaïkhoûn (163); la seconde, que maint récit d'opérations militaires du XIe siècle attestent avoir été proche de Kafartâb (164), doit conserver le nom antique d'Achkhânî, qui occupait le site de Khân Chaïkhoûn même, encore remarquable par son énorme tell; elle était ruinée au XIIIe siècle. Les Francs l'avaient remplacée par Kafartâb, où ils avaient ajouté à une enceinte et à un fossé préexistants une forteresse faite d'une mosquée transformée; l'approvisionnement en eau y était cependant très déficient.

Quant à la route de Hamâ et Chaïzar à Tell-Kachfahân, elle passait par ce qui restait de l'antique métropole gréco-romaine d'Apamée (arabe Afâmiya, latin Femia, aujourd'hui Qal'at al-Moudîq).
Située exactement au contact du plateau et du Ghâb, elle était réduite à la citadelle, toute l'ancienne ville n'étant plus que ruine, mais conservait encore comme telle l'importance d'un chef-lieu local. La citadelle, merveilleusement située sur un rocher amélioré de main d'homme, est de construction arabe ancienne, mais restaurée par les Ayyoubides, et peut encore aujourd'hui être admirée presqu'intacte (165).

Apamée
Entre Apamée et Hamâh (166), on traversait l'Oronte par un pont devant Chaïzar (Cesara) qui n'appartint jamais aux Francs, bien qu'ils eussent plus à l'est occupé Çaurân. De là l'on filait sur Rafânya et Tripoli ou sur Hamâh, Homs, Ba'Ibek, et Damas.

La vallée de l'Oronte à l'ouest d'Apamée constitue le Ghâb, plaine aujourd'hui marécageuse, insalubre et presqu'inhabitée bordée par le Djabal Zawiyé et le Djabal Ansaryé, mais qui a été autrefois fertile, saine, peuplée, ce qui explique la prospérité d'Apamée.
Cette situation n'avait pas au moyen-âge entièrement disparu; l'ancien système mal connu de drainage subsistait, et, si la plaine était occupée partiellement par un petit lac au pied d'Apamée et un plus grand en aval, dont les eaux se rejoignaient en hiver, ces lacs poissonneux et profonds n'avaient rien de l'insalubrité des marécages, et la plaine restait assez facilement traversable pour qu'une circulation active paraisse avoir existé entre Apamée et Lattakié (167).
Sur la rive gauche de l'Oronte, le chemin passait par Bikisraïl dans le Djabal Bahrâ. Sur le versant du Ghâb, on ne connaît cependant aucune localité, à moins qu'il ne faille chercher de ce côté Logis (168). La remontée de l'Oronte au Djabal Ansaryé est partout très raide et haute, et ce chemin ne faisait pas exception.

Borzeï ou Rochefort
C'est seulement vers le nord du Ghâb, dominant au loin les abords du Roûdj, que l'on trouve sur la pente du Djabal Ansaryé deux forteresses médiévales, Sarmaniya (latin Sarménie), qui, rasée par Saladin, n'a laissé de trace que son nom (169), et Borzeï, forteresse importante dès l'époque romaine, puis pendant la reconquête byzantine, et encore sous le régime franc, où peut-être l'appela-t-on Rochefort (170).

Borzeï
Dans la vallée du moyen Oronte, en dehors des possessions déjà signalées des Mazoir, on peut mentionner le fief des Croisy, concédé avec d'autres villages, en 1179, à Joscelin d'Édesse, sénéchal de Jérusalem ; celui d'Arzghân, qui avait, avec Chastel-Ruge, constitué le douaire de la veuve de Tancrède, mais dont on connaît un seigneur après la chute de la place ; et Sarmeniya, qui était aux mains de la famille d'où sortirent jusqu'en 1219 les sénéchaux de la principauté.
Borzeï était, en 1188, aux mains d'un beau-frère de Sibylle, troisième femme de Bohémond III, mais nous ignorons s'il en était seigneur ou gouverneur.
Cahen Claude. Chapitre IV. La société laïque.Borzeï

Gardant le chemin raide qui unit le plus directement Çahyoûn au Roûdj, par le col du Nebi-Younis, qui la domine de 800 mètres, Borzeï est encore à trois cents mètres au-dessus de la plaine, à l'écart des grandes routes.
Elle occupe une vaste plate-forme rectangulaire au sommet d'un rocher entouré de ravins abrupts de tous côtés sauf au sud-ouest; aussi de ce côté l'enceinte est-elle simple ; pour le reste c'est une muraille simple terminée à l'est par une tour dominant directement le Ghâb.
Au nord-ouest est le château principal, sur la partie la plus élevée de la plate-forme.
La construction est incontestablement antérieure aux Francs, mais peut avoir été complétée par eux, par exemple par une tour à bossage de la partie supérieure de la double enceinte méridionale.
L'ensemble n'a rien de monumental; la force de la place tenait plutôt à ce qu'elle était presqu'inaccessible aux machines de guerre.

Notes : Le Djabal Soummâq et le Ghâb
155 — Du nom du soummâq qui y croît en abondance.
156 — Cf. paragraphe précédent, note 53.
157 — Ibn Chaddaâd (le géographe, manuscrit de Londres), 62 r° (Ibn ach-Chihna précise, dans le Dj. Zawiyé); Ibn al-Fourât.
158 — Idrisî et Ibn Djoubaïr dans Le Strange, 495-497.
159 — Albert d'Aix, 451, y nomme une église de Saint-André; il y avait un machhad de Joseph, restauré par az-Zàhir (Boughya, A. S., 87).
160 — Kamâl, A. S., 174.
161 — Albert d'Aix, 683; le même, 701, cite Tommosa, Turgulanl, et Montfargia, qu'il semble, d'après les faits, falloir chercher vers Ba'rîn (latin Montferand) au sud de Chaïzar; Tommosa ressemble à Teumenso, nom de Teil-Menis dans la Table de Peutinger, mais, 683, il l'appelle Talaminia.
162 — Le Strange, 471
163 — René Dussaud, page 178.
164 — L'identification de Rey acceptée par R. Dussaud, 186, avec Asfoûn, près d'Edlib, est impossible pour cette raison. Kamâl, Bibliothèque Nationale, 1666, passim.
165 — Le Strange, 473; Ousâma, 74, 113, 148; Kamâl, 609; Gautier le Chancelier, 70. Ousâma, 58 (la citadelle est l'ancien amphithéâtre); Kamâl, 615; Van Berchem, Voyage, 188-194.
166 — Ousâma nomme dans le Djabal Soummâq méridional Chahsabou, Naqira, Kafarnaboudha, Zofea, Latmîn (cf. Dussaud, page 207), Tell at-Touloûl, Tell-Molâh, Ammouriyé, al-Djalâlî, Bachila, Hillat Ara, Vasmalikh, Doubbaïs, Zalin (distincte de Behetselin qu'on a vu être Behesnî). Homedin n'est pas près d'Apamée comme le croit Dussaud, 509, mais de Çahyoûn (Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome I, 325, 289, 324). Boustân, 571, cite KaSfarand, etc.
167 — On y rencontrait toutefois des lions (Ousâma, 58).
168 — Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome I, 266. Est citée, comme Abou Qobaïs, parmi les dépendances d'Apamée (Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome I, 266) et le seigneur de ce nom paraît à Lattakié (mais son nom peut être d'origine normande). Hartmann, ZDPV, XXIII, 30, note une al-Audj, sans doute l'actuel Houwedjé ou Houweïs, au nord d'Apamée.
169 — René Dussaud, 152.
170 — Imâd dans. Abou Châma, 131 (Historiens des Croisades 372), dit que la force de Borzeï était devenue matière à dicton chez les Francs, ce qui peut être une allusion à ce nom; on a vu que Rochefort est en tous cas l'une des conquêtes de Saladin (page 160).

H. D'Antioche à Lattakié et au Djabal Bahrâ

Si Antioche était incontestablement au XIIe siècle le centre d'attraction principal de tout le bassin inférieur de l'Oronte, il n'en était pas de même de la zone côtière montagneuse correspondant au récent état des Alaouites.
La vraie capitale en était alors, comme aujourd'hui, Lattakié (grec : Laodikeia, arabe Lâdhîqiya, français La Liche).
C'était un port bien meilleur que Souwaïdiya ; elle était en relations assez faciles avec Antioche, Alep et le Ghâb par une série de vallées en éventail, enfin elle se trouvait au milieu d'une plaine littorale ici relativement large et fertile. Au XIIIe siècle, le rattachement politique à Alep devait naturellement la favoriser au détriment d'Antioche.
Sans doute, elle n'était plus ce qu'elle avait été dans l'antiquité, dont plusieurs monuments étaient déjà en ruines ; elle n'en restait pas moins une ville active, aux maisons bien bâties, abondant en bazars et jardins (171).
Son port, le meilleur de la Syrie du nord, était fermé par une jetée que protégeait une tour, et son chenal d'accès était la nuit fermé par une chaîne (172).
Près de là se trouvait la grande rue des Pisans, comprenant « les voûtes du Prodrome » et remontant jusqu'à l'église Saint-Nicolas ; non loin de son aboutissement près du port étaient la maison du Temple et l'Eglise Saint-Elie ; non loin encore, la rue des Génois, l'entrepôt des Amalfitains, et, à côté, encore sur le port, l'Eglise Saint-Pierre (173). On signale aussi une église jacobite (174).

La ville n'était entourée que d'une enceinte simple, qui lui eût constitué une faible défense, n'eût été d'une part la tour du port, d'autre part une citadelle au-dessus de la ville, composée de deux petits châteaux, d'accès déjà difficile au début du XIIe siècle, et fortifiés encore après l'occupation par Saladin, tandis qu'on démantelait au contraire la ville pour enlever tout appui à un éventuel coup de main franc (175).

La région située entre le bas-Oronte et le Nahr al-Kabîr, au nord de Lattakié, est dominée au nord par le Djabal 'Aqra (dans l'antiquité, Cassius ; byzantin Kaukas ; français Mont-Parlier ou Palmier) (176).
Du bord sud-est de cette chaîne divergent presque toutes les rivières, soit vers le moyen-Oronte par la rivière de Qoçaïr et le Nahr al-Abyadh, soit vers le Nahr al-Kabîr par le Nahr Zegharo, le Nahr al-Qourchiya, etc.
Le nord et l'est du massif, en raison de l'altitude ou des torrents, sont assez nus ; par contre, toute la partie centrale et méridionale, aux larges et longues vallées de pentes plus douces, bien arrosées, est un pays de pénétration facile (par le sud), aujourd'hui encore couvert de forêts sur les hauteurs, et abritant dans les bassins de riches cultures ; de ces bassins le plus vaste et profond est formé, au pied même du Djabal 'Aqra, par la concentration des eaux du Nahr Qourchiya.

Les trajets pratiqués pour aller de Lattakié à Antioche au moyen-âge sont très incertains. On ne suivait naturellement pas la côte, trop découpée et abrupte. Mais suivait-on une direction en gros rectiligne, proche de la route actuelle ? Ou remontait-on le Nahr al-Kabîr jusqu'au Nahr Zegharo ou même jusqu'au Nahr Qourchiya, dont on aurait suivi ensuite les vallées ? On peut seulement affirmer que la route, quelle qu'elle fût, passait par le bassin de concentration du Nahr Qourchiya, où se trouvait, sur les flancs du Djabal 'Aqra, Kessab (latin Cassambella), ainsi que Hiçn al-Harîda, au fond du bassin, si elle est bien l'actuelle Erdou.
Entre Lattakié et Kessab, on passait par la latine Laitor, qui résiste à l'identification ; on verra seulement l'importance de Qourchiya, au confluent du cours d'eau de ce nom et du Nahr al-Kabîr (177).
Entre Kessab et Antioche, plutôt que de filer droit sur Antioche par les plateaux inhospitaliers du Ziyaret Dagh, que traverse la route moderne, on devait descendre sur l'Oronte en face de Souwaïdiya, ou mieux, à mi-chemin entre cette ville et Antioche (178).

La côte entre Lattakié et l'embouchure de l'Oronte est constituée par une série de baies et de pointes, dont chacune abritait au moyen-âge un petit port de cabotage.
Dans l'anse au nord du Râs Ibn Hânî était Gloriette (aujourd'hui Ibn Hânî) (179) ; dans la suivante, Ferere des portulans est évidemment l'actuel Mînat (port) al-Fasri (180) ; dans la troisième, on trouvait comme aujourd'hui Mînat ai-Basît (181) ; enfin dans le creu entre le Djabal 'Aqra et le Kardouran Dagh, devait être le Portus Vallis des portulans (182).

A l'est des routes d'Antioche au Nahr al-Kabîr (183) est celle d'Antioche à Tell Kachfâhân. Un peu à l'écart à l'ouest était al-Qoçaïr (litteralement le « petit château », latin Cursat ; aujourd'hui Qal'at az-Zau), dont l'importance était moins de surveiller une route que d'être dans un coin isolé, à l'abri des marches des armées.

Forteresse de Qoçair
La Chronique de Michel le Syrien contient la notice suivante (2) :
« La même année mourut aussi le patriarche des Francs d'Antioche, qui est Aimery. Il mourut dans sa forteresse de Qoçair (3).
Les Francs transportèrent son corps à Antioche et l'ensevelirent dans la grande église (4). On lui trouva une très grande fortune. Ils établirent à sa place un des prêtres âgés, qui s'appelait Arnoul »
« La même année » signifie, d'après le contexte : « En l'année 1504 » où mourut Grégoire IV, catholicos des Arméniens. Aimery serait donc mort, selon la concordance usuelle, entre le 1er octobre 1192 et le 30 juin 1193. Malheureusement la chronologie de Michel n'est pas toujours établie d'une façon absolument certaine. Elle varie
2. Texte syriaque, p. 737 ; traduction, t. III, p. 412.
3. Le Cursarium ou Cursat des écrivains francs. Célèbre forteresse près d' Antioche, au lieu appelé aujourd'hui Qalatel-Zau. M. Van Berchem lui a consacré une monographie dans son Voyage en Syrie, p. 246-251 et pi. LVI. (Mémoire du Caire, t. XXXVII).
4. Elle était dédiée à saint Pierre.

Sources : Chabot, Jean-Baptiste. Échos des croisades. Persée
Noms de personnes d'Antioche
Bastard de Qoçaïr
Guillaume de Qocaïr

Le long rocher sur lequel elle s'élève, partout abrupt sauf un étroit seuil coupé par un fossé, forme une bonne défense naturelle, mais la forteresse elle-même, malgré un nombre considérable de pièces, est de construction assez simple.
Ce fut seulement au milieu du XIIIe siècle qu'elle fut renforcée, grâce à une initiative de la papauté ; on construisit alors les deux grosses tours de bel appareil que l'on voit encore au sud-ouest en dépit de graves éboulements.
Mais la réfection s'arrêta là, le reste de la forteresse ne fut pas transformé en connexion avec ces nouveaux ouvrages, qui, réduits à eux seuls, pouvaient que très peu servir (184).

La vallée du Nahr al-Kabîr, bordée de hauteurs modérées beaucoup plus accueillantes que les chaînes du nord et du sud, plus abruptes et plus ravinées, constitue une zone de passage vers Tell-Kachfahân et la Syrie intérieure de premier ordre.
Le principal relais sur la route qui l'empruntait devait être al-Qourchiya (aujourd'hui Khân Bektach), où se voit encore une tour médiévale, Tell al-Ghâb (185).
Nous savons d'autre part que de Çahyoûn, Saladin envoya conquérir d'une part Balâtonos, d'autre part Qal'at al-Aïd et Qal'a Djamahariyîn. Qal'at al-'Aïd est la forteresse actuelle du même nom dont les ruines se trouvent sur le Djabal Chillif au-dessus d'une vallée unissant au Nahr al-Kabîr le col plus méridional du Nebi-Yoûnis. Qal'a Djamahiriyoûn succomba le lendemain; il n'en a pas été trouvé de localisation convaincante (186).

Château de Saône

Château de Saône
Château de Saône, vue générale sources Archinet

Ce n'est pas dans la vallée même du Nahr al-Kabîr, mais dans celle d'un de ses affluents méridionaux, au contact des collines de la montagne, que se trouve la forteresse qui domine la région, Çahyoûn (latin Saône).
Les ruines en sont peut-être les plus impressionnantes de toute la Syrie médiévale ; et dans la principauté d'Antioche certainement Marqab seule pouvait rivaliser d'importance avec elle. Le site, un long éperon rocheux encadré de deux ravins profonds et abrupts, était occupé dès l'époque phénicienne et le resta lors de la conquête arabe. C'est néanmoins seulement de la reconquête byzantine que date la forteresse que nous admirons aujourd'hui.
Il n'y a guère de doute qu'elle occupait déjà la totalité de la surface couverte par les ruines actuelles, sauf peut-être à l'est, du côté où le rocher se raccorde au plateau, où l'enceinte extrême, naturellement plus forte, restait en-deçà de l'enceinte actuelle ; mais elle enserrait comme aujourd'hui toute la basse-cour occidentale.
Le château principal occupait dans la partie orientale l'endroit le plus élevé, et était lui-même entouré d'enceintes intermédiaires étagées, et séparé de la basse-cour par une coupure artificielle du rocher substituée à la pente naturelle trop douce. L'ensemble était en petit appareil très finement joint, et comportait des tours rondes et polygonales.
Si les Francs, tout en apportant un peu partout des réfections, des modifications, des additions, n'altérèrent que peu l'aspect d'ensemble de la forteresse byzantine elle-même, par contre ils en transformèrent du tout au tout la conception par les travaux extraordinaires qu'ils lui ajoutèrent à l'est.
Il n'est pas sûr que l'énorme fossé creusé dans le roc sur 15 mètres de large, 18 mètres de profondeur, et 70 mètres de long, avec aiguille ménagée au milieu pour supporter un pont-levis, soit, du moins à l'origine, leur oeuvre. Mais au bord de ce fossé ils élevèrent, en un merveilleux appareil, de formidables ouvrages : aux tours rondes peu saillantes qui bordent le fossé succèdent trois tours carrées plus grosses du côté du sud-est, où était la porte principale (complétée dans la basse-cour par deux portes secondaires également fortifiées par les Francs).
Le grand nombre de salles, dont plusieurs très grandes, en particulier dans le donjon sur le fossé, l'amplitude de la citerne, témoignent de l'importance de la place. Les quelques travaux effectués par les musulmans après la reconquête n'apportèrent aucune modification profonde ; il en résulte que le château de Çahyoûn constitue dans sa partie franque un des rares exemples de l'architecture franque du XIIe siècle, non remaniée par les ordres militaires du XIIIe (187).

Voir la page consacrée au château de Saône, par M. Paul Deschamps.
Château de Saône, dans la Principauté d'Antioche, par Paul Deschamps.
Château de Saône, par M. Rey, Emmanuel-Guillaume.

Balâtonos (Qal'at al-Mehelbé)

Château de Balâtonos
Château de Balâtonos

Au sud de Çahyoûn, au contact de la zone ouverte du Nahr al-Kabîr et du Djabal Bahrâ plus âpre, se trouvait, sur un sommet d'où l'on jouissait d'une vue très vaste, la forteresse de Balâtonos (aujourd'hui Qal'at al-Mehelbé).
Elle avait été construite par la tribu locale des Banou'l-Ahmar et continuée par les Byzantins dans la première moitié du XIe siècle ; les Francs en renforcèrent plusieurs parties sans en altérer la physionomie générale ; les Musulmans firent de même plus tard. D'environ deux cents mètres de long, la forteresse consistait en une seule enceinte épousant la forme elliptique du rocher, avec de multiples saillants ronds, carrés et polygonaux, et un gros réduit au nord, et en un nombre considérable de pièces construites ou creusées dans le terre-plein (188).

Au sud de Balâtonos commence ce que le moyen-âge arabe appelait le Djabal Bahrâ (189), qui s'étendait jusqu'au-dessus de Tortose. Ici la montagne est étroite et monte brusquement au-dessus de la plaine côtière ; le terrain ne résiste pas aux orages et aux torrents ; tout le pays est déchiré par des vallées abruptes et profondes, ravagé encore dans le détail par des ravins de terre nue et croulante rendant la circulation extrêmement pénible. Aussi, chaque vallée, chaque montagne forme-t-elle un système clos, chacun muni de sa forteresse. C'est le centre des Nosaïris au nord, des Assassins au sud. Ni les croisés ni les autres conquérants n'y ont jamais eu de pouvoir bien ferme. La côte est, jusqu'à Boulounyas, plus ouverte, gardant une large bande de plaine, mais reflète par la pluralité de ses petits ports le morcellement des petits pays qu'ils desservent.

Il est possible, à en juger par de petites ruines, que des établissements aient existé au moyen-âge près des bouches du Nahr Snobar et du Nahr Roûs ; néanmoins on ne connaît rien de sûr avant d'atteindre Djabala (aujourd'hui Djéblé, latin Gabula, français Gibel ou Zibel ; ne pas confondre avec Giblet, qui est Djoubaïl, entre Tripoli et Beyrout, l'antique Byblos). C'était une petite ville active, en relations non seulement avec le Djabal Bahrâ mais avec le Ghâb et Apamée ; au temps des croisades, on y trouve des établissements de l'Hôpital, de Notre-Dame de Josaphat, des Génois, et un évêché ; on connaît une église jacobite et une église Saint-Georges extérieure aux remparts. A ceux-ci s'ajoute une citadelle constituée par l'ancien théâtre romain fortifié et munie de tours. On voyait encore au milieu du XIXe siècle le petit port médiéval (190).

En continuant vers le sud, on atteignait l'embouchure du Nahr as-Sinn, cours d'eau aussi gros que court, franchi par un pont ; là se trouvait l'antique Paltos, devenue au moyen-âge Balda, entourées de fossés inondés unissant le fleuve à la mer (191). Au sud encore, Iloureïsoun, sur le cours d'eau du même nom, est certainement l'Ericium des Latins, voisin de la mer et de Manîqa (192).

On arrivait alors à Boulounyâs (latin Valénie, aujourd'hui Bânyâs, à ne pas confondre avec la ville homonyme au sud de Damas), petite ville blanche et fraîche au XIIe siècle, mais que l'incendie effectué par Saladin, puis l'insécurité résultant de l'autonomie des montagnards, ruinèrent au XIIIe siècle, où la population se réfugia dans Marqab.

Marqab (latin Margat)

Forteresse de Margat
Forteresse de Margat. Sources Brian-Mc-Morrow

Marqab (latin Margat), la plus importante forteresse de la principauté d'Antioche avec Çahyoûn, avait été construite d'abord par un clan de montagnards (milieu du XIe siècle) ; elle fut continuée par les Mazoir au XIIe siècle, et considérablement développée après 1186 par les Hospitaliers qui en firent leur chef-lieu.
Elle est située sur une plate-forme triangulaire aux pentes de tous côtés assez raides, dominant directement la mer de trois cents mètres ; la côte à ses pieds était barré par une muraille descendant du château et percée seulement d'une étroite porte, si bien que Marqab en commandait absolument le passage.
La forteresse comprenait une double enceinte flanquée de tours rondes donnant sur un fossé; le château proprement dit se trouvait à la pointe sud, au-dessus d'un étroit seuil barré par un réservoir ; c'était un ouvrage énorme, comprenant une chapelle romane, une grande salle ogivale, un donjon de près de trente mètres de diamètre, une autre haute tour, un grand nombre de pièces d'habitation, de magasins, etc. La construction qui la termine au sud est sous sa forme actuelle l'oeuvre de Qalâoûn, postérieure aux Hospitaliers.
Dans le reste de l'enceinte était établie la bourgade (193).

Bikisrâil ou Château de la Vieille
Correspondant à la ligne côtière Djabala-Marqab se trouve à mi-hauteur des diverses vallées une ligne de forteresses intérieures, dont la première place, au sud de Balâtonos, est Bikisrâil, dans le Djabal Bahrâ septentrional, appelé au moyen-âge Djabal ar-Rawâdifî (194).
Bikisraïl, construit ou fortifié par les Byzantins vers 1030 en réplique à l'édification de Manîqa par les indigènes, s'élevait au milieu d'une vallée sur une croupe ovale peu élevée ; elle surveillait le chemin difficile mais court unissant Djabal à L'Oronte.
Elle consistait en un château supérieur entouré par une enceinte inférieure, l'un et l'autre aujourd'hui assez délabrés. Il n'y a pas à douter que Bikisrâil soit le château appelé par les Francs Vetula, La Vieille.
Plusieurs actes de Raymond Roupen établissent une relation certaine entre La Vieille et Djabala-Gibel ; on pourrait sans doute penser aussi bien à Balâtonos, mais un autre acte cite autour de La Vieille quatre villages, dont deux, aux noms caractérisés de Bessil et Carnehalia, se retrouvent aujourd'hui près de Bikisraïl dans Besseïn et Garnéhali (195) ; surtout, les récits de la prise de La Vieille par Tancrède, en 1111, dans Albert d'Aix, et de Bikisrâil, dans Kamâl ad-dîn et Ibn al-Fourât, se correspondent exactement, tandis que Balâtonos fut occupée, dans des circonstances inconnues, vers 1118 (196).
Voir Paul Deschamps sur le château de Bikisrâil
Dans la même région l'acte précité nomme un autre petit château, Saint-Gerennes (?) (197).

Manaïqa, latin Malaïcas
Continuant vers le sud, on rencontre des ruines appelées aujourd'hui Qal'a Bastouar, puis Manîqa (ou Manaïqa, latin Malaïcas) (198), située entre deux ravins encaissés dominant le Nahr Houreïsoun.
La forteresse avait été construite par les indigènes, puis reprise par les Byzantins. En dehors d'une enceinte épousant le contour du rocher, elle est isolée de la montagne par un fossé au bord duquel se trouvent les ouvrages les plus considérables : donjon, tour de guet, écuries, etc. témoignant de l'importance de la place. Il n'est pas impossible qu'il y ait eu des travaux francs.

Vient ensuite, sur la crête qui sépare les bassins du Nahr Houreïsoun et du Nahr Djobar, la ruine appelée de nos jours Qal'at al-Djaflî.

'Ollaïqa (latin Laicas)
Au-dessus du Nahr Djobar, très élevée encore, est 'Ollaïqa (latin Laicas). Celle-ci, construite sur une table calcaire aux flancs verticaux posés sur un sommet conique, comprend, derrière une première enceinte munie de tours, une seconde enceinte formant le château proprement dit ; l'ensemble, comme Manîqa, n'est pas dépourvu d'importance.
'Ollaïqa est probablement l'Argyrocastron des Byzantins, qu'on a voulu voir à Çafîtha (Chastel-Blanc) à cause de la similitude de sens des noms, mais que Honigmann a montré être bien plus au nord. On la trouve nommée d'une part comme peu éloignée de Manîqa, d'autre part associée à Marqab, Djabala, et Lattakié ; Anne Comnène pourrait faire penser à une place tout à fait côtière, mais Cedrenos suggère nettement une place de montagne ; il ne peut s'agir ni de Manîqa, connu en grec sous ce nom, ni de Bikisrâil, car Cedrenos décrit la place comme située sur un rocher élevé et abrupt. La construction de 'Ollaïqa avait été commencée, comme celle de Manîqa, par des indigènes, mais elle fut reprise par les Byzantins, évidemment sous Romain Argyre, d'où le nom d'Argyrocastron, qui ne traduit nullement Chastel-Blanc (199).

Plus au sud, la disposition des forteresses devient beaucoup moins régulière parce que le tracé des vallées est beaucoup plus tortueux et que la montagne s'élargit à la fois sur la côte, d'où toute plaine disparaît, et à l'est, qui ne longe plus l'Oronte.
C'est au milieu de cette région que passait la frontière entre la principauté d'Antioche et le comté de Tripoli ; frontière toute théorique d'ailleurs, puisque les Francs n'occupèrent jamais l'arrière-pays ; ils se bornèrent à en garder solidement les accès, les Templiers, par Çafîtha et Tortose au sud-ouest, les Hospitaliers par le Krak des Chevaliers au sud-est et Marqab au nord-ouest ; les Francs encerclèrent même un moment le massif par l'est, lorsqu'ils occupèrent Rafânya et Ba'rîn (latin Montferrand), d'où ils surveillaient les communications du Djabal Bahrâ avec Hamâh.

Maçyâth
Une route traverse le massif de Marqab à Maçyâth (200), forteresse arabe améliorée par les Assassins, importante et impressionnante du dehors, mais de construction composite et médiocre.

Qadmoûs (latin Cademois)
A mi-chemin se trouvait Qadmoûs (latin Cademois), juchée à quelque mille mètres d'altitude sur une table calcaire entourée de profondes vallées divergeant en tous sens, et d'où l'on a une vue immense ; il n'en subsiste rien aujourd'hui.

La place-forte d'al-Kahf
C'est le cas aussi au sud-ouest, en territoire tripolitain, de la place-forte d'al-Kahf, dont le nom — littéralement la grotte — provient du tunnel qui en était le seul moyen d'accès, tant tous les bords étaient taillés à pic (201).

al-Qolaï'a et Hadîd
C'est sans doute au nord de Qadmoûs qu'il convient de chercher al-Qolaï'a et Hadîd, que les Francs occupèrent juste au lendemain de la prise de Marqab et de l'installation de son seigneur par eux à Manîqa, en un temps où ils ne possédaient pas Qadmoûs.
Pour la seconde, on a proposé Hadadi, entre Bikisrâil et Maçyath, mais il ne s'y trouve aucune ruine.
Pour al-Qolaï'a, René Dussaud, après Van Berchem, écarte avec raison la ruine du même nom située entre Maçyâth et Tortose, près du site antique de Hiçn Soulaïmàn ; on lui a indiqué une ruine de ce nom au nord de Maçyâth, mais il ne l'a pas vue, et la carte est muette.
Or al-'Omari nous dit qu'al-Qolai'a était le plus septentrional des châteaux ismaïliens, ce qui ne peut convenir au site défini par R. Dussaud, mais doit nous reporter du côté de Manîqa (202).
Nous avons signalé précédemment que des ruines anciennes de forteresses existaient à Qal'a Bastouar et à Qal'at al-Djaflî ; les identifier à Qolaï'a et Hadîd nous donnerait le nom ancien de ces deux ruines, le site de ces deux noms anciens ; on manque toutefois d'indice positif précis.

Abou Qobaïs (latin Bokebeis)
Le point où, en amont du Ghâb, l'Oronte, qui plus au sud était éloigné du Djabal Bahrâ, vient buter contre son rebord oriental abrupt, était surveillé par des forteresses faisant le pendant de celles de Borzeï et Sarmanya en aval du Ghâb. La principale était Abou Qobaïs (latin Bokebeis), déjà refuge solide avant l'arrivée des croisés (203). Dans la même région nous paraît devoir se trouver Khariba.

Khariba; pose un difficile problème. Un chroniqueur tardif mais en général bien informé dit qu'elle s'appelait aussi Hiçn ach-Charqî (204), d'où René Dussaud a conclu qu'elle était identique à la franque Eixserc.
Néanmoins il paraît impossible de concilier les textes qui parlent de Hiçn ach-Charqî et de Khariba. Khariba occupait une position d'où l'on pouvait surveiller la route de Chaïzar à Apamée (205) ; elle fut acquise par les Francs en 1105, puis par les Ismaïliens en 1137, malgré une tentative adverse conduite de Hamâh et Chaïzar.
Or le même auteur auquel nous devons ce dernier renseignement, Ibn al-Fourât, nous a signalé une ligne plus haut l'acquisition de Hiçn ach-Charqî par le régent de Damas, en même temps que de Lakma, et en connexion avec un raid sur Çafîthâ, ce qui nous porte bien plus au sud ; d'autres textes associent Hiçn ach-Charqî à Rafânya et Lakma (206) ; enfin Eixserc, dont on peut accepter l'identification avec Hiçn ach-Charqî, était un fief de Maraqiya, dans le comté de Tripoli (alors qu'Abou Qobaïs relevait de Marqab), et appartenait encore aux Francs en 1163 (207).
On pourrait à la rigueur concilier ces divers textes sur un site voisin de Rafânya, mais il paraît préférable de croire à deux forteresses, l'une voisine d'Abou Qobaïs, Khariba, l'autre au sud de Maçyâth, Hiçn ach-Charqî.
Il se pourrait aussi qu'il y ait eu deux Hiçn ach-Charqî, et à ce propos nous remarquons que le principal village de l'une des deux vallées débouchant à Djabala (l'autre étant celle de Bikisrâil) s'appelle 'Aïn ach-Charqî; le col supérieur de cette vallée se trouvait en face d'Apamée, et si l'on relevait dans les environs quelque trace de forteresse, ce pourrait être Khariba, ainsi qu'une seconde Hiçn ach-Charqî (208).

Le Krak des Chevaliers

Le Krak des Chevaliers
Le Krak des Chevaliers

Au sud (209), le Djabal Bahrâ s'abaisse sur la large trouée qui fait communiquer Homs à Tripoli. C'est cette trouée que surveillaient au nord le Krak des Chevaliers (Hiçn al-Akrâd)


Chastel-Blanc

Forteresse de Chastel-Blanc
Forteresse de Chastel-Blanc

Et Çafîthâ (Chastel-Blanc)

'Akkar et 'Arqa

Forteresse d'Akkar
Forteresse d'Akkar

Et au sud 'Akkar et 'Arqa

De Tripoli à Antioche, cette trouée permettait de passer indifféremment par le côté ou par l'Oronte; au sud au contraire, il ne subsistait de route que le long du littoral, par Djoubaïl, Beyrout, Çaidâ, Tyr et Acre, vers la Galilée, la Palestine et l'Egypte.
Sources : Claude Cahen, La Syrie du Nord à l'Epoque des Croisades et la Principauté Franque d'Antioche. Editeur Librairie Orientaliste Paul Geuthner. Paris 1940. Syrie du Nord

Notes : D'Antioche à Lattakié et au Djabal Bahrâ
171 — Raoul de Cæn, page 706; Le Strange, 490 (Idrisi); Imâd, dans Abou Châma, Historiens des Croisades 365; la ville actuelle a conservé assez nettement le plan antique (Sauvaget, Le plan de Laodicée, Bulletin Et. Or. Institut de Damas, IV, 1934); il s'y trouve encore des maiions médiévales, dont une ou deux paraissent franques.
172 — Le port médiéval s'enfonçait plus dans la vie que le bassin moderne.
173 — Lib. Jur., 30; Muller, 3, 6, 15; Rôhricht Regesta, 331; Ughelli, VII, 203; Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome I, 224. C'est à tort qu'on a placé près Lattakié la stratégie de Saint-Elie (Râs al-Khanzîr).
174 — Michel le Syrien, an 1481.
175 — Le Strange, 492; Ibn al-Athir, XII, 5 (Historiens des Croisades 721); Kamâl Revue de l'Orient Latin, V, 214, 215.
176 — La raison de cette appellation m'échappe.
177 — Les hypothèses proposées reposent sur l'assimilation de Laitor avec La Tor (Bourdj, Toros); mais la graphie est nettement Laitor, Lactor, Lattor, et ne peut donc ainsi être décomposée. On voudrait pouvoir identifier Laitor avec Qourchiya ou Erdou. Qal'a Douz (E. M. Dor), a l'est d'Erdou, est à l'écart de tout et n'a pas de ruine. Pour Kessab et Harîda, cf. Le Strange, 448, Gautier le Chancelier, II, 9; René Dussaud, 423.
178 — Il faudrait voir s'il y a des traces anciennes au nord-est du Dj. 'Aqra au lieu-dit Qal'a Boghazi (défilé de la forteresse); des habitants de Kessab disent qu'il y a dans les environs des restes d'église.
179 — Rey, Périples, 334 ; Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome I, 266; Wilbrand, 173.
180 — On peut aussi y voir Fassia de Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome I, 490, mais non Pheresia, d'Anne Comnène, qui est Athârib.
181 — Près de là était Maloûniya (Ibn 'Abdarrahîm, cité par Van Berchem, Voyage, I, 250).
182 — Rey, Périples, 333.
183 — Il faut peut-être placer entre Lattakié et le Djabal 'Aqra le Territoire de Borchot, sur lequel le seigneur de Laitor donne le casal de Henadi (Delaborde, 26, Kohler, Revue de l'Orient Latin, VII, 151). (Il y a toutefois une Hnadi aujourd'hui juste à côté de Lattakié). Borchot pourrait-il se rapprocher du district de Boudjâdj au sud de l'Aqra. La question peut être liée à celle de Laitor vue ci-dessus. Dans le Dj. Aqra, on cite ensemble (Cartulaire des général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome I, 491), Casnapor, Colcas, Corconaï, Meunserac (ces deux derniers = Keurkené et Morselik ? A Morselik, il paraît y avoir des restes anciens). Le casal d'Acre (Cartulaire, tome I, 89), peut tirer son nom du Dj. 'Aqra. Joscelin reçoit au sud de cette route Bakfeta et Qaïqoûn, qu'on a vus près de Bakâs, puis Vaquer, Cofra, Seferie (Sefri, plus au nord) et Bequoqua (Coga ?).
184 — Alexandre, IV, 1087; Van Berchem, Voyage, I, 241-251.
185 — Van Berchem, Voyage; Kamâl ad-dîn (Aya Sofya) donne une liste des districts dépendant d'Antioche à une date ancienne; Ibn Chaddaâd, 85 v° , en la reproduisant, dit que celui d'al-Qourchiya fut conquis par Noûr ad-dîn; y a-t-il confusion ou s'agit-il d'une autre région ?
186 — La terminaison en iriyoûn (cas oblique : iriyîn) est fréquente dans la région du Nahr al-Kabîr; la forme la plus proche de Djamahiriyoûn est. Djibériyoûn, en aval du point de rencontre des chemins du Nahr al-Kabîr et du Nahr Zegharo, mais on n'y voit pas de ruines (toutefois un peu au nord est un lieu-dit Qal'a Siriani (?) et un peu au sud le Djabal al-Qal'a, ce qui paraît attester la présence d'ouvrages fortifiés anciens. Rey, Colonies Franques, 349, a vu quelques ruines en amont près de Safkoûn (près d'où est Daguiriyoûn). Peut-être aussi faut-il chercher dans le haut Nahr al-Kabîr ou entre celui-ci et Balâtonos. D'autre part, Ibn Chaddâd l'historien remplace Djamahiriyoûn par Fiha, ce sur quoi Dussaud signale une Qal'a Fillehîn, entre Çahyoûn et Balâtonos, où il veut voir une forme conciliatrice (151). Grégoire Dgha, 1813 et suivantes cite Garmir (La Rouge), qui peut être Djamahiriyoûn ou Balâtonos, celle-ci ayant été fondée par les Banou'l-Ahmar (Ahmar = rouge).
187 — Rey, Architectures militaires, 105 ; Van Berchem, Voyage, I, 267 ; Paul Deschamps, Le Château de Saône, dans Gazelle des Beaux-Arts, 1930 ; Paul Deschamps Le château de Saône et ses premiers seigneurs, dans Syria, 1935.
188 — Entre Balâtonos et Lattakié, la carte au 50.000e signale un Qal'a Bahalou ; près de Çahyoûn, on connaît les casaux de Tricaria (Daghiriyoûn ?) et Homedin (Rôhricht Regesta 473, 513, 523). Sur Balâtonos, Van Berchem, Voyage, I, 283 ; René Dussaud, 150.
189 — Le nom englobe les régions de Çafîtha au-dessus de Tortose (Abou Châma, Historiens des Croisades 353), Maçyâth (Zetterstéen, 240), et Bikisrâil ('Azîmî, 525).
190 — Rey, Architecture Militaires, 215, Col. 355 ; 'Imâd ad-dîn dans Abou Châma II, 127, Historiens des Croisades 357 ; Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome 224; Kohler Revue de l'Orient Latin, tome VII, 151; Michel le Syrien, an 1841 (1170); Rôhricht Regesta, 657 a; Yâqoût et Idrisi dans Le Strange, 459 ; René Dussaud, 136. Près de Djabala sont Herbin (Rôhricht Regesta, 657 a), Bessilis (Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome I, 89).
191 — René Dussaud, 135; on trouve aussi Boldo, Belna, Beauda (d'où Bearida d'un copiste) ; à côté, casal Saint-Gilles (Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome I, 266).
192 — Rôhricht Regesta, 347 ; Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome, 201.
193 — Rey, Architecture Militaires, 19-38 ; Van Berchem, Voyage, 292 et suivantes.
194 — Nouwaîrî, Bibliothèque Nationale, 1578, 64 r° .
195 — Acte de Saint-Jacques ; Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome II, 122, 127, 175, 71.
196 — Kamâl, 599 ; Abou'l-Féda, I, 47 r° ; Albert d'Aix, 685.
197 — Il nomme encore près Bikisrâil Neni, Nenenta, Hala (?), plus loin Guerræ, Baldania, Gipsum. Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome I, 491 connaît une terre de Gereneis. Un casal Burion ou Busson est dans la montagne de Djabala (Rôhricht, 76, 605 a).
198 — Ecrit Malavans dans Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome I, 491 ; corriger en conséquence René Dussaud. 150.
199 — Anne Comnène, II 87 ; Cedrenos II, 496 ; Nouwaîrî, 64 r° ; 'Azîmî en 424 dit que les Byzantins prirent Hiçn Banî'l-Ahmar (= Balâtonos), Hiçn Bani'l-Chanâdj, et Hiçn Banî'I-Kâchih, non identifiées ; le constructeur de Manîqa s'appelait Naçr ibn Mousrâf ar-Rawâdifî, mais peut avoir fait partie des tribus précitées.
200 — Nous adoptons cette orthographe, qui rend le mieux compte des formes Maçyad et Maçyaf ; cf. Van Berchem, Epigraphie des Assassins, page 9.
201 — En suivant la ligne Qadmoûs-al-Kahf, on atteindrait Tortose en passant par Khawâbî (latin Coïble) ; près de là, sur le chemin de Maraqiya, la carte cite une Qal'at al-Douaz.
202 — René Dussaud, 142 ; ne pas confondre Qolaï'ât (latin Coliat) près 'Arqa.
203 — Mouslim ibn Qoraïch y porte, ses trésors en 1085 (Kamâl, Bibliothèque Nationale, 1666. 107 r° ).
204 — Zetterstéen, 240.
205 — Ousâma, cité par René Dussaud, 146, qui propose Kharayb, juste à côté d'Abou Qobaïs, sans aucune raison autre que la ressemblance phonétique.
206 — Zetterstéen, ibid.; Kamâl, 678 ; Ibn al-Fourât, 93 v° ; René Dussaud, 147.
207 — Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome I, 328.
208 — René Dussaud propose de placer à Loqbé, au nord de Maçyâth, le Lacoba de Cart. I, 266 ; mais l'acte le place entre Bâsarfoût (Djabal Banî Oulaïm) et Totomata, inconnu ; hypothèse pour hypothèse, puisqu'il s'agit d'une donation à l'Hôpital de territoires perdus à reconquérir, on pourrait penser à Hiçn al-Qoubba, que Roger occupa, à l'est de Hamâh. Une prophétie Ismaïlienne cite une forteresse de Kamough (Dussaud, 144).
209 — Les archives de l'Hôpital, propriétaire de Marqab, nous font connaître, sous leur forme francisée, dans le Djabal Bahra, les villages de Anedesin (près de Manîqa et non de Khawâbî comme le dit Dussaud, 129, cf. Cartulaire, n° 201) Belusa (Blouzi), Cordia (Gordi), et Archamia, au sud-est de Marqab (Cartulaire, tome I, 313) ; Astalori (Cart. I, 417) ; Albot, Talaore, Brahim « dit Casteilum », Besenen, Matron, Soebe, (Rôhricht Regesta, 568 ; on note Aseïbe — ruines, Dussaud, 131 —, Bessateïn, Albus, au sud de Marqab, ou Talaryeri, Hobok, Beraiën, Berzaïn au nord-est de Manîqa) ; le Casal Blanc est à trouver près de Houreîsoûn (Cartulaire 201); Bolféris (Rôhricht Regesta, 347) est près de la rivière de 'Ollaïqa; Qorvaïs ne peut être que proche de Marqab, comme Tiro, que la carte note à l'est de Banyas; Goselbie (Rôhricht Regesta, 617 a) ; Jobar (Rôhricht Regesta, 971) sur le cours d'eau du même nom ; Ibin Rôhricht Regesta, 644 a) est Oubeïn près Bânfâs; Noortha, Suyjac, Corrosia (Rôhricht Regesta, 651 c) ; Museraf est-il Moucherif au nord de Manîqa et garde-t-il le souvenir du fondateur de Manîqa, Ibn Masraf ou Mousaraf (Nouwaîrî, B. N., 1578, 64 r° ; Cedrenos, II, 490). Les autres lieux cités par Dussaud pages 129-130 sont situés dans des domaines de l'Hôpital et des Mazoir, mais non dépendants de Marqab.

Sources : Claude Cahen, La Syrie du Nord à l'Epoque des Croisades et la Principauté Franque d'Antioche. Editeur Librairie Orientaliste Paul Geuthner. Paris 1940. Syrie du Nord

Retour

Haut-page

Licence Creative Commons
Les Templiers et Les Croisades de Jack Bocar est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas de Modification 4.0 International.
Fondé(e) sur une oeuvre à http://www.templiers.net/.
Les autorisations au-delà du champ de cette licence peuvent être obtenues à http://www.templiers.net/.