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Monuments des Croisés par M. Rey

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    Château de Saône (Kalaat-Sahioun)

    Nous trouvons dans la forteresse des sires de Saône un des plus anciens spécimens de la fortification franque en Syrie. Ce château et celui de Karak n'ayant jamais appartenu à aucun des grands ordres militaires, peuvent donc, à juste titre, être considérés comme les deux types les plus importants de forteresses féodales élevées en Orient par les croisés.

    Château de Saône

    Château de Saône
    Figure 31 - Sources : Rey, Forteresses d'Orient

    Si, comme tout nous y engage, nous formons un troisième groupe de ces châteaux, les uns remontant à une date un peu antérieure, les autres contemporains des forteresses que nous avons déjà étudiées, nous devrons reconnaître, dès l'abord, la large part qu'il nous faudra attribuer ici à l'art byzantin, ce qui nous amènera à les rattacher comme principes généraux à l'école qui produisit Tortose et Athlit, en tenant compte toutefois des emprunts faits aux divers autres systèmes de fortifications.
    Sahioun fut au temps des croisades un des fiefs les plus importants de la principauté d'Antioche. La famille de Saône, qui le possédait, a fourni un chapitre aux Lignages d'outre-mer et nous voyons paraître les noms de plusieurs de ses membres dans les chartes du XIIe siècle (1) : ce sont, d'abord celui de Guillaume, dont la veuve Béatrix épousa Josselin II, comte d'Édesse; puis ceux de Garenton (2), de Roger, de Josselin (3) et de Mathieu de Saône, que nous voyons souscrire plusieurs actes des princes d'Antioche.
    Mais avant d'aller plus loin il faut esquisser sommairement l'assiette du château dont je vais tenter l'étude.
    Cette forteresse est construite sur l'un des contreforts du Djebel-Darious et couronne une crête que deux ravins resserrent et isolent presque en se réunissant.
    Vers l'est, en « A », se voyait une bourgade entourée de murailles, mais qui ne présente plus qu'un monceau de ruines. Un large fossé la séparait du château proprement dit, bâti sur le point culminant de la colline, dont l'extrémité occidentale est occupée par une enceinte inférieure « B », qui paraît avoir formé la baille ou basse-cour dans laquelle s'élevaient les dépendances du château. Le fossé dont je viens de parler, taillé dans le roc vif, est un des ouvrages les plus remarquables de ce genre, laissés en Syrie par les croisés. La pile du pont qui faisait communiquer la ville avec le château était ménagée dans la masse et apparaît aujourd'hui aux regards du voyageur étonné comme un gigantesque obélisque (figure 33).

    Château de Saône

    Château de Saône
    Figure 33 - Sources : Rey, Forteresses d'Orient

    Au fond du fossé, dont la largeur est de 15 à 18 mètres, une rangée de mangeoires taillées dans le roc, ainsi que les traces de toitures appuyées à la paroi du rocher, nous apprennent que les chevaux y étaient logés en temps de paix.
    Une partie de l'enceinte, plusieurs tours, un énorme donjon carré, des magasins et de vastes citernes, voilà ce qui subsiste encore de l'occupation chrétienne à Saône.
    Le donjon, les courtines et les tours sont construits avec des blocs d'assez grand appareil taillés à bossages. Nous trouvons ici des tourelles rondes et des tours carrées employées simultanément (figure 31). Les premières, d'un faible diamètre, massives depuis la base et n'ayant qu'un étage de défenses au niveau du chemin de ronde, sont identiques à celles qui furent élevées en France du XIe au XIIe siècle. Les secondes sont beaucoup plus considérables; leur largeur varie et elles mesurent de 15 à 20 mètres de côté; chacune d'elles possède un étage composé d'une vaste salle dont la voûte est à arêtes vives, pouvant tout à la fois concourir à la défense du château et servir de logement à la garnison. C'est dans l'épaisseur des murailles tournées vers l'intérieur de la place qu'ont été ménagés les escaliers conduisant aux plates-formes qui couronnent ces ouvrages.
    Il faut signaler ici une particularité que je n'ai observée en Syrie nulle part ailleurs qu'à Saône : c'est le peu de saillie des tours sur les courtines, avec lesquelles elles n'ont aucune communication directe, ce qui fait qu'en cas de surprise elles pouvaient devenir autant de forts isolés que l'assaillant se serait vu contraint d'assiéger successivement. Nous ne trouvons en France les premiers exemples de l'adoption de ce système que vers le milieu du XIIIe siècle.

    Château de Saône

    Château de Saône
    Figure 34 - Sources : Rey, Forteresses d'Orient

    Les chemins de ronde qui terminent les remparts ont environ le tiers de leur largeur pris en encorbellement suivant l'usage byzantin. Au sommet des créneaux se voient encore les traces d'encastrement des volets, destinés à protéger les défenseurs, mais les merlons ne sont point ici percés de meurtrières.
    La coupe de la tour « A » fera mieux comprendre ces divers détails; à sa base est l'une des trois portes donnant accès dans le château. Elles étaient munies de herses et de mâchicoulis, et leur mode de clôture présente une grande analogie avec les entrées de la ville et de la forteresse de Tortose. Les tours ont à leur base un talus qui, comme le reste de l'édifice, est lui-même composé de blocs taillés à bossages.

    Château de Saône

    Château de Saône
    Figure 35 - Sources : Rey, Forteresses d'Orient

    Quant au donjon, c'est une tour carrée, mesurant 36 mètres de côté; il ne diffère des autres que par ses proportions considérables et se compose à chaque étage d'une vaste salle. Le rez-de-chaussée, dans lequel on pénètre par une poterne à linteau carré avec arc de décharge et que fermaient jadis une herse et un vantail, paraît avoir servi de magasin; il ne recevait de jour que par deux archères percées à lest sur le fossé.
    Les quatre travées formant la voûte de cette salle retombent au centre sur un pilier carré, réservé en majeure partie dans la masse du rocher.
    Dans cette pièce se trouvent encore des boulets de pierre assez grossièrement arrondis qui semblent avoir été des projectiles de balistes.
    Un escalier s'ouvrant dans l'épaisseur du mur nord conduit à l'étage supérieur, consistant en une salle de tous points semblable à celle que je viens de décrire, à cela près que ses murs sont percés de plusieurs archères et que l'élévation de la voûte est moindre qu'au rez-de-chaussée.
    Sous la banquette qui règne le long du parapet crénelé de la plateforme, deux grandes meurtrières se voient sur chaque face de ce donjon; seulement ici les niches, au lieu d'être ogivales, sont voûtées en arc de cercle très-surbaissé : c'est le seul exemple intact de cette disposition que j'aie constaté dans les divers monuments militaires laissés par les Francs en Syrie.
    Sous tout cet ensemble de construction s'étendent de vastes magasins, et dans la cour vers le nord, en « B », deux grandes citernes taillées dans le roc et voûtées en ogive avec regards de distance en distance donnant de l'air et de la lumière.
    A la naissance des voûtes règne une série de corbeaux qui paraissent avoir eu pour objet de permettre l'établissement d'un plancher destiné à faciliter les réparations dont ces réservoirs auraient pu avoir besoin.
    Un escalier descend jusqu'au fond de ces citernes, si bien conservées que, lorsque je les visitai à la fin de l'été 1864, elles contenaient dans toute leur étendue plus d'un mètre d'eau.
    Au centre du plateau, en « C », existaient d'autres édifices qui malheureusement ont disparu pour faire place à une petite ville arabe élevée dans ces murs, après la prise de la forteresse par Salah-ed-din. Une mosquée avec un minaret carré, et une salle de bains nous montrant les traces d'une belle ornementation sarrasine, sont encore debout au milieu des décombres, qui les entourent de toutes parts.
    Quelques pans de murs semblent remonter à une époque antérieure à la domination franque et pourraient bien avoir fait partie d'un petit fort byzantin.
    A l'ouest on trouve les vestiges d'un fossé analogue À celui que j'ai décrit au commencement de cette étude, mais il a été presque entièrement comblé. L'escarpe, encore visible, porte les fondations d'une grande muraille et d'une tour.
    Comme je l'ai dit plus haut, la pointe occidentale de la montagne était occupée par une enceinte inférieure terminée en losange, et devait renfermer les dépendances du château. On y voit encore, au milieu de maisons ruinées, les restes d'une petite chapelle. Les murailles, reconstruites en grande partie à des époques différentes, ne conservent plus que quelques fragments du temps des croisades; mais la tour (figure 32) dans laquelle s'ouvre la porte de cette avancée, indubitablement contemporaine des croisades, est demeurée intacte, et dans la voûte se voient encore les scellements des ferrures, des contrepoids, de la herse qui la fermait jadis.

    Château de Saône

    Château de Saône
    Figure 32 - Sources : Rey, Forteresses d'Orient

    C'est dans cette enceinte qu'à une époque relativement peu éloignée de nous s'éleva un village. Sa position et les murailles dont il était environné en faisaient pour les Ansariés une place qu'ils considéraient comme imprenable. Ils essayèrent d'y résister aux troupes égyptiennes et, comme à Karak, les bombes vinrent anéantir dans la forteresse de Saône maints restes d'un grand intérêt qu'avait jusqu'alors épargnés la faux du temps.
    Le passage suivant de Ibn-el-Atyr, relatif à la prise de Saône par Salah-ed-din, me parait devoir trouver ici sa place (4) :
    « Salah-ed-din partit de Laodicée le 37 de djoumadi premier (1187) et gagna la citadelle de Saône. Elle était sur le prolongement d'une montagne et entourée d'une vallée profonde et si étroite en certains endroits, que les pierres lancées par les machines de l'autre côté de la vallée pouvaient atteindre la forteresse, qui était adossée du côté du nord à la montagne. On avait creusé un fossé dont on ne pouvait apercevoir le fond et l'on avait pratiqué cinq enceintes. Salah-ed-din approcha par ce côté de la citadelle, dressa ses machines et fit battre la place. Il ordonna à son fils Dhaher, son lieutenant à Alep, de prendre position au-dessus de la partie la plus étroite de la vallée et d'y dresser ses machines pour battre aussi la forteresse de ce côté. Dhaher avait avec lui ses guerriers d'Alep, qui s'étaient rendus fameux par leur bravoure; ils ne cessèrent de lancer des traits, des flèches et de faire jouer tous les autres instruments de guerre. La plus grande partie de ceux qui étaient dans la forteresse en sortirent pour montrer leur force et leur agilité. Les musulmans gravirent la montagne à travers les rochers et se portèrent sur un point de l'enceinte que les Francs avaient négligé de garder; ils se rendirent maîtres de ce premier mur, puis ils attaquèrent successivement le second et le troisième mur et s'en emparèrent; ils trouvèrent des boeufs, des chevaux et des vivres qui tombèrent entre leurs mains.
    « Les Francs durent, alors, se retirer dans le réduit du château dont les musulmans entreprirent aussitôt le siège. Bientôt le gouverneur de la place demanda à se rendre, et Salah-ed-din exigea qu'il fût payé une rançon pour chaque homme de la garnison."
    Pour comprendre ce que l'historien arabe veut dire en parlant des cinq enceintes de ce château, il faut, je crois, tenir compte de l'exagération des Orientaux, qui pour exalter leur victoire semblent avoir considéré chaque ouvrage comme autant de lignes de défense.
    Après sa prise par les musulmans, Saône devint la capitale d'une petite principauté arabe composée de Famieh, Kafartab, Antioche, Balatnous et Lattakieh.

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    Notes Saône

    1. Familles d'Outre-Mer, page 591.
    2. Cartulaire du Saint-Sépulcre, n° 88, 89, pages 171, 177.
    3. Codice Diplomatico, tome I, n° 49, page 50.
    4. Extrait des Historiens Arabes, publiés par M. de Slane.

    Sources : Rey (Emmanuel Guillaume), Etude sur les monuments de l'architecture militaire des croisés en Syrie et dans l'Ile de Chypre. Paris, Imprimerie Nationale M. DCCC. LXXI.

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