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Monuments des Croisés par M. Rey

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    Défense des villes, Enceintes, murailles, tours

    Les enceintes élevées par les croisés autour des villes qu'ils possédaient en Terre Sainte sont aujourd'hui fort peu nombreuses. Ce n'est que dans les ruines des cités abandonnées à la fin des croisades et ne s'étant jamais relevées depuis, que des restes de quelque intérêt sont parvenus jusqu'à nous. Partout ailleurs, à Tripoli, à Beyrouth, à Acre, à Saïda, à Jaffa, etc., les murailles du moyen âge ont été exploitées pour fournir des matériaux de construction; de telle sorte qu'elles ont presque entièrement disparu, ou qu'il n'en subsiste plus que des vestiges méconnaissables.
    Les Latins semblent n'avoir attaché qu'une importance secondaire aux murailles des villes, dont les défenses sont incomparablement plus faibles que celles des châteaux. Dans ces derniers nous trouvons adoptées, dès le XIIe siècle, des dispositions défensives que nous ne verrons apparaître dans les enceintes qu'au milieu du siècle suivant.
    Nous avons dit plus haut que les premières villes dont les Francs se rendirent maîtres (Marès, Antioche, Edesse) avaient été fortifiées par des ingénieurs byzantins, et nous avons exposé sommairement, dans l'introduction, ce que Procope nous apprend au sujet de la fortification grecque du Bas-Empire (1). Il nous faudra donc rechercher l'influence exercée par ces enceintes sur le tracé des murailles élevées en Palestine par les Latins.

    L'étude de l'enceinte byzantine d'Antioche, qu'ils se bornèrent à réparer et à entretenir quand ils furent devenus possesseurs de cette ville, nous occupera d'abord; Ascalon, ensuite, nous fournira un autre exemple de lignes de défenses, selon toute apparence, d'origine byzantine, mais remaniées par les croisés, tandis que les murailles de Djebleh, de Tortose, de Giblet et de Césarée nous offriront des spécimens d'enceintes tracées et édifiées par les Francs de Syrie, pendant la durée du royaume latin.

    De même qu'en France, on parait avoir de bonne heure reconnu, en Terre Sainte, que le système de fortification usité au moyen âge ne se prêtait à des défenses trop étendues qu'en perdant une partie de sa force. On renonça donc aux vastes enceintes byzantines, qui faisaient d'Edesse et d'Antioche plutôt des camps retranchés que des villes fortifiées, et l'on s'attacha à réduire les cités à des proportions susceptibles d'une bonne défense.
    Le château servait de citadelle et protégeait la ville dont il faisait partie. Soit que, comme à Jérusalem, à Laodicée ou à Giblet, il s'élevât au point culminant, ou que, comme à Tortose, à Césarée ou à Sajette, il lût construit au bord de la mer, il était toujours bâti à un angle de la place et possédait des communications directes avec la campagne. La garnison pouvait, de la sorte, chercher un refuge dans ce réduit après la prise de la ville, et être, par les dehors, ravitaillée ou secourue.

    Djebleh, Tortose et Giblet étaient, ainsi que je l'ai déjà dit, entourées d'enceintes munies d'un fossé et flanquées de saillants barlongs d'un faible relief. Ces murailles étaient protégées contre les attaques de l'assaillant plutôt par leur force passive que par les moyens de résistance dont les avaient dotées les ingénieurs qui les élevèrent.
    Mais ce n'est qu'au milieu du XIIIe siècle que, transformé par l'expérience acquise durant les guerres continuelles dont la Syrie était alors le théâtre, l'art militaire franco-oriental produisit les murs de Césarée.
    Leur tracé, l'espacement régulier des tours, les bonnes dispositions défensives qu'elles présentent et que nous n'avons trouvées jusque-là que dans les forteresses, tout indique un grand progrès dans l'art de la défense des places.
    1. Procope, De AEdificiis, tome II, chapitre III.
    Sources : Rey (Emmanuel Guillaume), Etude sur les monuments de l'architecture militaire des croisés en Syrie et dans l'Ile de Chypre. Paris, Imprimerie Nationale M. DCCC. LXXI.

    Défense de la Ville d'Antioche

    La première ville importante que rencontrèrent les croisés à leur entrée en Syrie fut Antioche.
    Cité grande et illustre dès le temps des successeurs d'Alexandre, elle ne décrut pas lorsqu'elle devint la résidence préférée de plusieurs empereurs romains. Ses temples fameux au loin, ses oracles, ses jeux olympiques, ses fontaines et son bois de Daphné consacré aux amours d'Apollon, l'avaient rendue chère au paganisme.
    Une illustration bien différente attendait cette ville, quand dans ses murs les disciples de l'Evangile prirent pour la première fois le nom de chrétiens, et qu'elle reçut saint Pierre pour évêque.
    Peu après, le sang des martyrs la fit compter parmi les métropoles de l'Eglise naissante, et son siège patriarcal étendit sa juridiction sur vingt provinces et autant d'évêchés.
    La ville était située au pied des montagnes, dans une plaine fertile, de médiocre étendue, arrosée par l'Oronte.
    A peu de distance, au nord, se trouve un lac très-poissonneux, nommé le lac Blanc. Le port de Séleucie, voisin de l'embouchure du fleuve, étant l'échelle maritime de cette ville, concourait aussi à augmenter l'importance politique et commerciale d'Antioche, importance quelle sut conserver longtemps en dépit d'événements souvent désastreux pour elle.
    Aussi les princes qui étaient à la tête de l'armée chrétienne sentirent-ils, dès l'abord, de quelle utilité serait pour eux la possession d'Antioche. Elle leur servirait de base d'opération pour la campagne qu'ils allaient entreprendre, en leur assurant la soumission du pays.

    C'est ce que M. le comte Beugnot a remarqué fort judicieusement en ces termes (1) ; « Ils comprirent que la possession de la ville sainte dépendait pour eux de la conquête et de la possession assurée de la Syrie entière, et quand leurs soldats, à peine sortis de Constantinople, leur demandaient à grands cris de marcher droit sur Jérusalem, ils s'occupèrent d'établir deux principautés : celle d'Édesse et celle d'Antioche, qui devaient être dans leur idée et qui furent en effet, au nord-est, les remparts du royaume de Jérusalem. »

    Comme à Nicée, les guerriers francs allaient se heurter à Antioche contre une ville fortifiée par des ingénieurs grecs, et qu'une trahison récente venait de livrer aux musulmans.
    L'état de guerre permanent dans lequel se trouvait le Bas-Empire, toujours en lutte pour résister à l'invasion des barbares et a celle plus redoutable encore de l'islamisme, avait fait faire de rapides progrès à l'art de l'ingénieur militaire.

    Nicée, Marès, Édesse, Antioche, Diarbekir, Dara, Anazarbe et tant d'autres villes dont nous voyons encore les ruines, possèdent des murailles ou des châteaux élevés sous les règnes des empereurs Justinien, Constance, Anastase et Léon. Nous y voyons mis en oeuvre le système de fortification décrit par Procope.
    Le même auteur nous apprend que, Justinien ayant décidé la réédification d'Antioche, on en releva les murailles en modifiant le plan primitif, dont le tracé défectueux avait amené la prise et la destruction de la ville antique par Chosroès.

    Ce qui de nos jours subsiste encore de ces remparts concorde bien avec la description que cet auteur en donne au chapitre X de son livre De AEdificiis.

    Plan Défense de la ville d'Antioche. Plan XVII

    Plan XVII
    Pour les ordinateurs

    Nous avons donc sous les yeux un spécimen assez complet de l'art militaire byzantin, durant les dernières années du Ve siècle. Aussi, en étudiant avec quelque soin l'enceinte d'Antioche, y reconnaît-on facilement les réparations faites à la suite du tremblement de terre survenu en l'année 976. C'est également à cette époque qu'il faudrait, d'après l'historien arabe Ibn-Ferat, attribuer la citadelle dominant l'une des collines comprises dans l'enceinte, et formant le point culminant des défenses de cette ville. Comme on peut le voir par le plan, la ville moderne d'Antaki s'élève dans l'angle nord-ouest de l'enceinte et n'occupe qu'une partie bien restreinte de l'énorme espace qu'entourent les murailles et dans lequel quatre collines se trouvent comprises. Les restaurations faites à ces murailles au temps de la domination latine se retrouvent parfaitement, surtout à l'angle sud-est. La trop grande étendue de cette ligne de défense fut toujours une cause de faiblesse, qui amena rapidement la prise d'Antioche, quand elle n'eut pas une armée enfermée dans ses murs pour fournir un nombre de défenseurs proportionné au développement des remparts.

    Il y a trente-cinq ans environ, l'enceinte de cette ville était à peu près intacte. Combien nous devons regretter qu'un plan régulier n'en ait pas été levé alors !
    Malheureusement, pendant la domination égyptienne en Syrie, elle fut exploitée comme une véritable carrière pour la construction des immenses casernes qu'y fit alors élever Ibrahim-Pacha.

    C'est par la face nord, à partir de la porte du pont, que je commencerai l'étude des remparts. Cette porte (lettre du plan A) est encore intacte ainsi que le pont, qui parait remonter à l'époque romaine.

    Toute cette portion de l'enceinte est aujourd'hui fort dégradée : les tours qui sont encore debout ont été transformées en maisons particulières, et il reste peu de traces des courtines. Depuis l'angle nord-ouest, où le rempart s'infléchit brusquement au sud, jusqu'à la porte Saint-Georges, tours et murailles sont dérasées jusqu'au niveau du sol, de telle façon que le plan seul en est reconnaissable. Nous lisons, dans la description de Guillaume de Tyr (2), que cette porte était une des cinq principales entrées de la ville. Elle s'ouvre dans la face occidentale de l'enceinte, et les bases des deux tours qui la flanquaient sont assez bien conservées; en avant de cette partie des murs se trouve un ravin nommé Ouady-Zoïba, sur lequel était jeté un pont « B » dont les traces sont encore visibles et qui donnait accès à la porte Saint-Georges.

    Presque aussitôt la muraille s'élève rapidement le long du flanc de la montagne en couronnant l'escarpe du ravin. Sur la pente de la colline et dominant un peu la porte Saint-Georges, se trouve la base d'une énorme tour pentagonale « C », qui fut, je pense, une de ces maîtresses tours dont j'ai parlé plus haut et que les Byzantins désignaient sous le nom de QPOVPA.
    Une des planches du grand ouvrage de Cassas, publié en 1799, donne l'aspect que présentait cette partie des murs d'Antioche, à peu près intacte à cette époque. Je crois pouvoir garantir l'exactitude de ce dessin, parce que, d'une part, j'y trouve tout ce qui subsiste encore et que, de l'autre, le tracé du plan de cette portion des remparts coïncide parfaitement, avec la perspective que donne la planche d'après laquelle a été dessiné le bois ci-joint.

    Le sommet de la colline présente un mouvement de terrain assez doux, mais qui, cependant, suffit à déterminer le tracé de la muraille qui, à partir du haut de l'escarpement, s'infléchit au sud-sud-est jusqu'au château.
    Dans l'antiquité, cette colline était désignée sous le nom d'Iopolis. A cette époque, l'aqueduc qui amenait dans la ville les eaux de la fontaine de Daphné, et dont les restes sont parvenus jusqu'à nous, s'appelait Aquae Trajani (3).

    De ce coté les défenses sont assez bien conservées, et j'ai pu dessiner la coupe et le plan de l'une des tours demeurées debout. Elles sont toutes bâties sur le même plan carré, et ne présentent entre elles que des différences insignifiantes.
    Ces tours sont construites en pierres de taille, avec des cordons de briques régulièrement espacés; les portes sont à linteaux carrés avec arcs de décharge. Ainsi qu'on peut le voir par le plan et la coupe ci-joints, elles ont presque toutes trois étages de défenses.
    Au rez-de-chaussée, un couloir, sur lequel s'ouvre l'escalier montant à l'étage supérieur, conduit dans la salle, qui n'est éclairée que par des meurtrières percées dans ses murs. L'escalier occupe à peu près la moitié de la largeur de l'édifice. Il donnait accès en même temps au chemin de ronde des courtines par des portes s'ouvrant sur le palier supérieur. Cette partie de la tour était subdivisée en deux par un plancher, et formait de la sorte deux étages de défenses.
    Quant au couronnement, il n'en reste plus trace, et je crois pouvoir affirmer qu'il ne subsiste plus un créneau sur toute l'étendue des murs d'Antioche.
    L'épaisseur du rempart entre les tours est de 2 mètres environ.

    En beaucoup d'endroits le chemin de ronde existe encore, et l'on peut facilement constater qu'une partie de sa largeur est prise en encorbellement.
    Plusieurs poternes sont percées dans cette partie des remparts. Elles sont du reste signalées par le chroniqueur, qui nous apprend qu'elles permettaient aux assiégés de recevoir des approvisionnements qu'apportaient les montagnards.
    C'est indubitablement vers ce point que les croisés pénétrèrent dans dans la place, et nous devrons y chercher la tour des Deux-Soeurs, quand nous arriverons à cette partie de notre étude.

    Sur la troisième colline comprise dans le périmètre des murailles, et nommée dans l'antiquité mont Silpius, s'élève le château, qui affecte la forme d'un triangle allongé. Il a remplacé l'acropole antique, et Raimond d'Agiles le nomme Colax.
    Avant d'y arriver, en suivant le pied du rempart, on voit à l'intérieur de la ville un vaste réservoir circulaire « D ». Il est de construction antique, et, selon toute apparence, était jadis alimenté par un aqueduc souterrain amenant l'eau d'une source située dans les montagnes voisines.
    Aucun changement essentiel n'a été apporté aux dispositions du château durant la domination franque, ainsi qu'on en peut juger par le plan. Seulement en « r » on avait élevé des bâtiments dont il ne reste plus que des ruines, au milieu desquelles gisent des chapiteaux romans et des débris de nervures. Non loin, en « s », se voit l'orifice d'une citerne.
    Ce réduit tire toute sa force de sa position sur un rocher presque inaccessible, ses défenses étant plus que médiocres. Au sud et à l'ouest il est flanqué de tourelles rondes d'un très-faible diamètre et massives dans toute leur hauteur. On y pénétrait par une poterne qui se trouve encore à l'angle sud-ouest.
    Le continuateur de Tudebode en parle comme d'une forteresse inexpugnable, flanquée, dit-il, de quatorze tours.

    Au delà de cette citadelle, la montagne ne présente plus qu'une arête escarpée plongeant rapidement dans le ravin dit des Portes-de-Fer. Dans cette partie la muraille suit le rocher; vers le fond du ravin elle est tracée en lignes à crémaillère.
    Le texte de Procope, relatif aux travaux que Justinien fit élever dans la gorge qui porte de nos jours le nom de Bab-el-Hadid, est la meilleure description que l'on puisse donner de ce site.
    « Deux montagnes escarpées dominent la ville : l'une se nomme l'Orocassiades, l'autre le mont Stauris. »
    « Elles sont séparées par un précipice au fond duquel coule, au temps des pluies, un torrent nommé l'Onopniètes, descendant des hauteurs voisines. Parfois il grossit subitement et cause des dégâts dans la ville en sortant de son lit. Pour parer à cet inconvénient, l'empereur Justinien fit élever d'une colline à l'autre une forte muraille, barrant ainsi le ravin de manière à ne laisser passer à la fois qu'une certaine quantité d'eau. Des ouvertures percées dans cette digue lui permettaient de s'écouler lentement, de telle sorte qu'elle cessa d'occasionier des ravages dans Antioche (4). »
    Sur l'escarpement oriental du torrent une autre muraille, également tracée en crémaillère, relie la jetée, presque encore intacte, aux travaux de défense qui existent sur la colline nommée autrefois mont Stauris.
    Au-delà de cette gorge l'enceinte reprend jusqu'à l'angle sud-ouest de la ville. Là une tourelle ronde « E », munie d'un talus à sa base, ainsi que plusieurs raccords dans les courtines, dénotent au premier coup d'oeil l'oeuvre d'ingénieurs occidentaux du XIIe siècle.
    A partir de ce point, la muraille s'infléchit au nord et est bâtie sur la déclivité de la montagne. De ce côté se voient plusieurs tours en saillies prismatiques sur les dehors de la place. Elles sont construites en pierres de taille de moyen appareil, et leurs voûtes intérieures sont en briques.
    Le rez-de-chaussée est occupé par une salle percée de meurtrières et s'ouvrent vers la place par une arcade en plein cintre. Elles n'ont pas d'escalier, et c'était par la banquette du rempart qu'on pénétrait dans l'étage supérieur présentant les mêmes dispositions défensives que le rez-de-chaussée.
    Cette partie des murs d'Antioche semble avoir été remaniée, probablement à la suite de tremblements de terre, et offre cette particularité que le chemin de ronde des courtines est établi sur des arcades supportées par des contreforts appliqués au rempart. Deux poternes « a » et « b » faisaient communiquer directement cette partie de la ville avec la campagne.
    A en juger par le nombre de poternes que nous voyons dans les murs d'Antioche, il y a lieu de penser qu'à l'époque où ils furent élevés les architectes byzantins ne considéraient pas, ainsi qu'on le fit généralement plus tard, durant tout le moyen âge, l'existence de nombreuses issues comme une cause de faiblesse pour les villes fortes dont elles formaient alors les points vulnérables.
    Il est vrai que l'énorme développement des murailles dont l'étude nous occupe rendant à peu près impossible l'investissement complet de la place, des communications faciles avec les dehors, vers les montagnes, présentaient certains avantages. Elles permettaient l'entrée des renforts ou des approvisionnements que pouvaient ramener les sorties opérées par la garnison, et facilitaient une issue aux espions ainsi qu'aux messagers porteurs de dépêches.

    C'est au bas de la colline nommée mont Stauris que se voit encore la porte de Saint-Paul (Bab-Boulos), tirant son nom, nous dit le chroniqueur (5), de ce qu'elle « restoit dessous le moustier de Saint Paul, qui est le pendant d'el tertre. »

    Une fontaine, qui porte le même nom, jaillit à quelques pas, et Guillaume de Tyr (6) dit que cette source, ainsi que le ruisseau qui coulait dans la ville, venait former un marais en avant de la porte du Chien, là où nous voyons aujourd'hui une prairie plantée de saules.

    Un amas de ruines, parmi lesquelles une baie en tiers point et des débris d'arcs ogives, se trouve en « E », un peu au-dessus de la fontaine ; ce sont les restes de la célèbre abbaye qui a donné son nom à cette entrée d'Antioche.

    De la porte Saint-Paul le mur et les tours sont assez bien conservés jusqu'à l'angle nord de la ville; mais à partir de ce point où le rempart tournait à l'ouest, on ne peut plus suivre que des monceaux de décombres, qui jalonnent le tracé de l'enceinte à travers les jardins.
    Les murailles antiques s'élevaient au bord même de l'Oronte; mais lorsque Justinien les fit remplacer par celles qui nous occupent en ce moment, il arriva, par suite du nouveau tracé adopté alors, que l'angle seul de la nouvelle cité, vers la porte du Pont, se trouva tangent au cours du fleuve. Procope nous apprend encore que, pour remédier à cet inconvénient, on creusa un canal de dérivation qui amenait l'eau de l'Oronte dans un fossé profond régnant en avant de la partie nord des murs de la ville. Mais fossés et canal paraissent s'être, à la longue, transformés en marais, sur lesquels il fallut établir des chaussées et des ponts, comme nous le voyons par le passage suivant du chroniqueur... « Ou costé devers bise a trois portes, qui toutes issent au flums; cele desus a non la porte del Chien : uns ponz est delez cle porte à quel en passe une paluz et une mareschieres qui sont delez mur; la seconde est orendroit apelée la porte le Duc; li flums est bien loing une mile de ces deux portes. La tierce a nom la porte del Pont parceque li pons est iluesques à que l'en passe le flum; quar entre la porte le Duc, qui est au milieu de ces trois, et ceste qui est dernière de ce coste s'aproche si li flums de la ville qui dès ilec il s'en cort tot costoiant les murs... (7) »

    Je n'ai pu me procurer qu'une seule iconographie d'Antioche (8) paraissant remonter au XIIIe siècle, et d'après laquelle la porte du Duc était toute voisine du point où le ruisseau qui traverse la ville, venant des Portes-de-Fer, passait sous le rempart. Or nous lisons, au XIVe chapitre de Guillaume de Tyr, que les eaux de la fontaine Saint-Paul et celles de l'Onopniètes venaient se perdre dans un marais en avant de la porte du Chien, tandis que Raimond d'Agiles dit que l'Oronte passait à une portée de trait de la porte du Duc.

    Il me reste maintenant à exposer brièvement ce que nous savons des positions occupées par les divers corps de l'armée chrétienne sous les murs d'Antioche.
    Les Latins, après avoir franchi l'Oronte au pont de Fer, vinrent camper sur la rive gauche du fleuve, dans les prairies qui s'étendent sous les murs de la ville.
    La gauche de leurs lignes s'arrêtait devant la porte Saint-Paul et la droite vers celle du Pont, bien que plus tard elles aient été portées jusqu'à la porte Saint-Georges. L'investissement demeura donc incomplet, puisque toute la partie des murailles située sur les montagnes ne fut point bloquée.
    Durant le cours du siège, des redoutes ou châtelets furent élevés par les Francs devant les portes principales pour arrêter les sorties.

    En avant de la porte Saint-Paul, c'est-à-dire à l'est de la ville, vinrent camper Tancrède, Roger, comte de Flandre, ainsi que Raimond, avec leurs gens, et en arrière d'eux se plaça le corps auxiliaire grec commandé par Tatice.
    Dans la prairie, à droite du camp des princes de Sicile, le duc Robert, le comte de Blois et le duc de Normandie dressèrent leurs tentes, qui s'étendaient jusqu'à l'angle nord-est de la place.
    Devant la porte du Chien et celle du Duc s'installèrent le comte de Toulouse et l'évêque du Puy. Le duc de Lorraine, enfin, occupait la droite des cantonnements, mais les nécessités du siège amenèrent l'établissement de postes jusque vers la porte Saint-Georges, à l'ouest de la ville.
    Daprès les auteurs arabes, les Latins établirent en avant de leur camp, vers la ville, un fossé de circonvallation.

    L'histoire de ce siège mémorable a été faite trop souvent pour que je pense devoir m'étendre sur ce sujet, et je me bornerai à traiter seulement l'épisode final qui amena la prise d'Antioche, et sur lequel mes recherches paraissent jeter quelques lumières nouvelles.
    Les auteurs qui ont écrit jusqu'à présent sur le siège d'Antioche se sont préoccupés de déterminer, approximativement du moins, la position de la tour des « Deux-Soeurs. » Malheureusement aucun de mes devanciers n'avait à sa disposition un plan topographique régulièrement levé des murailles de la ville et de ses environs.

    Nous lisons, dans les auteurs contemporains, que vers les montagnes la place n'avait pu être investie, et que chaque jour les Syriens et les Arméniens ravitaillaient les défenseurs de la ville par des poternes situées dans cette partie de l'enceinte. Les difficultés du terrain semblaient défier toute attaque sérieuse de ce côté, et, par contre, les postes devaient être moins nombreux et se garder avec moins de vigilance, se croyant plus en sûreté.

    C'est donc là qu'il faut chercher les tours gardées par l'Arménien Firouz. Le texte de Guillaume de Tyr (secus portam Sancti Georgii) me semble avoir induit en erreur M. Poujoulat (9) et après lui M. Peyré (10), en leur faisant chercher la tour des « Deux-Soeurs » trop près de la porte Saint-Georges.

    De la lecture attentive de tous les chroniqueurs il résulte pour moi, à n'en pouvoir douter, que cette tour devait être à la partie supérieure de la ville. J'espère parvenir à démontrer victorieusement que c'est la tour « d », située à l'angle sud-ouest de la place et couronnant l'escarpement de la montagne, tel, de ce côté, que toutes les tours, malheureusement détruites il y a une trentaine d'années, se dominaient les unes les autres, et que le chemin de ronde des courtines, qui les reliait entre elles, était un escalier. On en peut juger par la belle planche de Cassas, dont j'ai déjà parlé, et qui fut dessinée alors que ces murs étaient encore debout.

    Chaque nuit, nous dit Guillaume de Tyr dans sa relation du siège d'Antioche (11), un officier, accompagné de porteurs de flambeaux, faisait une ronde d'inspection sur les remparts, visitant tous les postes pour s'assurer que le service n'était pas négligé. Or la position de cette tour au sommet de l'escarpe de la montagne et au point où l'enceinte s'infléchit au sud-est permettait à ceux qui l'occupaient de voir à droite et à gauche une grande étendue de murailles; de telle sorte qu'ils n'avaient point à craindre d'être surpris par la venue inopinée de l'officier chargé de la surveillance des remparts.

    Il y a encore une raison plus concluante pour ne pas chercher la tour des « Deux-Soeurs » trop près de la porte Saint-Georges : c'est que cette partie des murs s'élevait aux bords de l'Ouady-Zoïba, qui forme de ce côté un véritable précipice rendant toute approche impossible.
    Je vais donc essayer d'établir mon opinion par les textes des auteurs témoins de l'événement dont nous nous occupons et qui, en même temps, concordent parfaitement avec ce que j'ai relevé sur le terrain.

    Tudebode nous apprend que Firouz, après s'être engagé à livrer Antioche aux croisés, invita Bohémond à faire prendre ostensiblement les armes à ses troupes et à simuler une de ces courses si fréquentes que faisaient les Francs durant ce siège, dans le but d'approvisionner leur camp; puis à opérer brusquement son retour par les montagnes qui étaient à droite du camp, afin de se rapprocher pendant la nuit des murailles au sud de la ville.

    Il y a donc tout lieu de penser que le 2 juin 1098, en quittant le camp vers trois heures de l'après-midi, le prince de Tarente, après s'être avancé à l'ouest jusque vers le point où se voit de nos jours le village moderne de Beit-el-Ma, qui a remplacé l'antique Daphné, se sera engagé dans le ravin qui vient en ce lieu se réunir à la vallée de l'Oronte et y sera demeuré embusqué jusqu'à l'heure convenue. Il aura fait alors remonter ses gens vers les murs d'Antioche par l'une des gorges qui se trouvent sur la rive droite de ce vallon, et les y aura laissés cachés jusqu'à ce que les cinquante premiers combattants, s'étant approchés de la tour où commandait Firouz, aient pu pénétrer dans la ville par l'échelle attachée à l'un des créneaux de la courtine.

    Le nombre des sergents à pied qui accompagnaient Bohémond dans cette attaque était d'environ sept cents. Ce fut un interprète nommé Lambert qui s'approcha le premier du mur et qui, après l'échange d'un signal convenu à l'avance (12), adressa en grec la parole à Firouz (13).
    L'échelle ayant été hissée à l'aide d'une corde et attachée à l'un des merlons du parapet, Foulcher de Chartres monta le premier sur le rempart, où il fut bientôt suivi par ses compagnons.
    Ce qui établit d'une manière irréfutable que les Latins avaient réussi à s'approcher beaucoup des murailles de la ville, tout en demeurant cachés, c'est l'exclamation de Firouz à la vue du petit nombre des compagnons de Foulcher : « Micro Francos echome ! (14) »
    Soixante guerriers environ étaient déjà montés et occupaient les tours confiées à la garde de Firouz, massacrant tous ceux qu'ils rencontraient, quand, à la demande de ce dernier, un homme d'armes lombard redescendit et vint à Bohémond pour l'avertir qu'ils étaient déjà maîtres de trois tours et qu'il fallait se hâter d'amener du renfort (15).
    Un vent violent qui soufflait cette nuit empêcha les gardes des postes voisins d'entendre le bruit causé par ces divers événements; du reste, le silence le plus absolu était naturellement observé par les Francs.
    Plusieurs chefs avaient accompagné Bohémond, et, dès que celui-ci fut maître des premières tours, ils se hâtèrent de rentrer au camp pour diriger leurs troupes vers la porte du Pont.
    Le point du jour approchait, et, tous les compagnons du prince de Tarente se précipitant à l'envi, l'échelle se trouva tellement surchargée qu'elle entraîna le merlon auquel elle était accrochée, et sa chute causa la mort de plusieurs des assaillants.
    Les croisés cherchèrent alors à tâtons une poterne (16) qui était à la gauche de la tour des « Deux Soeurs », et, l'ayant enfoncée, tous pénétrèrent dans la ville (17). Ceux qui étaient sur les murailles se rendirent maîtres de dix tours sans un seul cri et sans que l'alarme eût été donnée dans Antioche.
    Guillaume de Tyr dit encore que ce furent ceux qui entrèrent par la poterne qui, massacrant tout devant eux, allèrent ouvrir la porte du Pont aux troupes restées dans le camp (18).
    Pendant ce temps l'aube avait paru et le prince de Tarente fit élever son étendard sur le sommet de la colline voisine du château.

    La tour « e » se trouve au point le plus élevé de cette partie des murs d'Antioche. Elle est en vue de toute la ville et en face du château, dont elle est séparée par un repli de terrain. Comme il est incontestable qu'elle était une des dix tours occupées par les compagnons de Bohémond, je pense que ce fut à son sommet que dut être déployée la bannière du prince.

    Les portes de la ville furent à peine ouvertes que les Latins se précipitèrent en foule et firent un grand carnage de la population musulmane d'Antioche. Néanmoins un grand nombre de Turcs eurent le temps de se réfugier dans la forteresse.
    Les princes chrétiens reconnurent bientôt que leur succès demeurerait incertain tant qu'ils ne s'en seraient pas rendus maîtres. Ils voulurent d'abord l'emporter de vive force; mais, dit Raimond d'Agiles, ils ne tardèrent point à juger que sa position inexpugnable rendait sa prise impossible autrement que par la famine.

    Si l'on se rappelle la situation de cette citadelle, d'après ce que j'en ai déjà dit dans la description générale donnée des fortifications d'Antioche, on saura qu'elle s'élève sur une montagne dominant la ville; de plus, elle est entourée, de toutes parts, d'escarpements, excepté vers l'occident, et là elle n'est séparée des montagnes voisines que par un petit vallon assez étroit où vient aboutir l'unique sentier qui la met en communication avec la cité.
    Les chefs se résolurent donc à former le blocus du château en barrant ce passage par un retranchement (19).

    J'ai dit plus haut que les compagnons du prince de Tarente s'étaient rendus maîtres de dix tours, dont ils avaient massacré les défenseurs; or, il se trouve que, la tour « d » étant admise comme celle des « Deux-Soeurs », la onzième « f » est la dernière avant le château qui la domine, et auquel elle est reliée par le rempart. Cette tour est située sur la pente même de la hauteur que couronne la forteresse et devint, durant le temps que les musulmans furent encore maîtres du château, le théâtre d'actions héroïques où plusieurs croisés trouvèrent une mort glorieuse.
    Voici en quels termes Robert le Moine raconte le premier de ces épisodes :
    « Il y avait fort près du château et en contre-bas une tour dont Bohémond s'était déjà emparé et d'où il se disposait à diriger des attaques contre la forteresse, mais l'ennemi ayant repris courage se mit à accabler de traits et de projectiles ceux qui l'occupaient. Le lieu était étroit (c'était le chemin de ronde qui formait le théâtre du combat); de telle sorte que dans leurs attaques contre la tour les Turcs étaient obligés de s'avancer à la suite les uns des autres, le chemin ne permettant le passage qu'à un combattant à la fois. Dans cette lutte terrible Bohémond fut blessé d'une flèche à la cuisse, et, épuisé par la perte de son sang, il dut se retirer dans une autre tour voisine. Un des nôtres était resté dans la tour et, à la grande admiration de l'armée, soutint seul le choc des assaillants; puis, hérissé de traits et voyant qu'il n'y avait plus aucune chance de salut pour lui, il se précipita au milieu des Turcs, où il trouva une mort glorieuse. Son nom était Hugues le Forcenez; il était à la suite de Geoffroy de Montcayeux. »

    La possession de cette tour, témoin de la valeur de Hugues le Forceriez, paraît avoir été le sujet de nouveaux engagements, comme nous le lisons dans Albert d'Aix :
    « Une tour, entre autres, était restée sans gardes; elle s'élevait sur la montagne vers le point où les Francs avaient fait un retranchement en terre, afin d'arrêter les sorties des défenseurs du château.
    Quelques musulmans, ayant reconnu l'abandon de cette tour, l'occupèrent pendant la nuit, espérant avoir ainsi un moyen de prendre l'offensive contre la ville; mais les chrétiens qui étaient dans la tour voisine s'en aperçurent aussitôt. On vit alors Henri d'Hache, parent du duc Godefroi, s'armer rapidement et se précipiter vers cette tour, suivi de deux de ses proches, Françon et Sigmar, tous deux originaires de Mechel-sur-Meuse, pour tenter de déloger l'ennemi. Les Turcs se mirent alors en devoir de défendre la porte, et dans le combat Françon et Sigmar perdirent la vie; mais, de nouveaux renforts étant arrivés aux chrétiens, les musulmans furent enfin rejetés dans la citadelle. »
    Cette forteresse ne capitula qu'à la suite de la bataille d'Antioche.

    De l'aspect que présentent encore de nos jours les murailles d'Antioche, on peut facilement préjuger ce que dut y être la domination latine.
    Cette ville n'avait été possédée que cinquante ans environ par les musulmans, qui, durant un laps de temps aussi court, ne purent guère modifier, d'une manière bien notable, l'aspect de cette cité essentiellement byzantine.

    Nous avons déjà dit que, depuis sa réédification, les empereurs grecs y avaient élevé, en outre, un grand nombre d'églises dont plusieurs étaient, par leur magnificence, célèbres dans tout l'Orient, des palais, des thermes, des aqueducs, etc. etc. La transformation des églises en mosquées parait avoir été le changement le plus considérable amené par la conquête arabe, car, quant à la population, nous savons qu'elle comptait encore dans son sein une grande quantité de Grecs et de Syriens chrétiens.

    Antioche, devenue capitale de la principauté qui porta son nom, ne cessa pas dès lors d'être considérée comme la ville la plus importante de la Syrie, après Jérusalem. Ses princes comptaient parmi leurs vassaux les seigneurs de Saône, de Margat, de Mamendon, de Sourval, de Hazart, du Cerep, de Harrenc, de Soudïn, et une foule d'autres que nous voyons figurer dans les actes du temps.
    Leur cour, à l'exemple de celle d'un souverain, comportait toutes les grandes charges d'un Etat, car on y voyait un maréchal, un chancelier, un connétable, un sénéchal, des chambellans, des bouteillers, un vicomte et un trésorier d'Antioche. De plus cette ville était le siège d'un patriarche qui avait de nombreux suffragants.

    Si nous recherchons ce que disent de ces monuments les voyageurs de cette époque, nous saurons, par Wilbrand d'Oldenbourg, qu'au milieu de la ville s'élevait la basilique de l'apôtre saint Pierre, devenue église patriarcale, et qu'on y voyait le tombeau de l'empereur Frédéric Barberousse (20).
    Non loin de là, une église byzantine, en forme de rotonde, était dédiée à la Vierge et renfermait une image miraculeuse de Notre-Dame, en grande vénération parmi les Grecs.
    Vers l'extrémité orientale d'Antioche, le monastère de Saint-Paul se trouvait sur les premières pentes de la montagne, et l'on y remarquait surtout une petite crypte ornée de mosaïques à fond d'or où, d'après la tradition, saint Paul écrivit ses épîtres. Cette chapelle était très-révérée et avait devant ses portes les tombeaux de Burchard de Magdebourg, d'Oger, comte d'Oldenbourg, et de Wilbrand, comte d'Harlemont. C'est au pied de cette même colline que s'élevait l'église placée sous le vocable de l'évangéliste saint Luc, et dont les restes se voient encore dans le cimetière latin qui se trouve en ce lieu.
    Dans le flanc de la hauteur que couronne le château se voit une grotte, aujourd'hui changée en santon, mais qui alors était un oratoire, et où, suivant la tradition locale, sainte Marie-Madeleine se serait retirée pour faire pénitence.
    A la base de la montagne était la basilique de Saint-Jean-Chrysostome, et sur la troisième colline comprise dans l'enceinte d'Antioche, c'est-à-dire vers l'ouest, se trouvait l'église Sainte-Barbe.

    En outre, on comptait encore dans cette ville un grand nombre d'autres églises, dont les plus importantes étaient celles des Saints Côme et Damien, de Sainte-Mesme, de Saint-Siméon, etc. etc. Mentionnées par le Cartulaire du Saint-Sépulcre.
    Sources : Rey (Emmanuel Guillaume), Etude sur les monuments de l'architecture militaire des croisés en Syrie et dans l'Ile de Chypre. Paris, Imprimerie Nationale M. DCCC. LXXI.

    Notes

    1. Beugnot, Bibliothèque de l'Ecole des chartes, 3e série, tome V, page 32.
    2. Guillaume de Tyr, livre I, tome IV, chapitre XIII.
    3. Antiquitates Antiochenae, Otfried Muller, Mémoires de l'académie de Gottingue, 1834.
    4. Procopte, De AEdificiis, livre I, tome II, chapitre X.
    5. Guillaume de Tyr, livre I, tome IV, chapitre XIII.
    6. Guillaume de Tyr, livre I, tome IV, chapitre XIV.
    7. Guillaume de Tyr, livre I, tome IV, chapitre XIII.
    8. Cette iconographie est tirée du folio 98 du manuscrit n° 4939 du fonds latin de la Bibliothèque impériale.
    9. Correspondances d'Orient, tome VII, page 132.
    10. Histoire de la première croisade, chapitre XXXIV.
    11. Guillaume de Tyr, livre I, tome V, chapitre XXI.
    12. Le jet d'un certain nombre de cailloux.
    13. Tudebod, livre I, tome IV, chapitre XX.
    14. Orderic Vital, livre I, tome IX, chapitre IX.
    15. Tudebode, De Hieroiolymitano itinere, XVII.
    16. Cette poterne, qui est assez basse, existe encore et est parfaitement conservée à la gauche de la tour « d », que je considère comme ayant été la tour des Deux-Soeurs, et qui se trouve être la dixième à partir du château en se dirigeant vers l'angle sud-ouest de la ville.
    17. Guillaume de Tyr, livre I. tome V, chapitre XXII. — Tudebode, De Hieroiolymitano itinere, XVIII.
    18. Tudebode, abbreviatus, XXVII, Historiens Latins des Croisades tome IV.
    19. Roimond d'Agiles, collection Guizot. livre I. tome XX, page 268.
    20. Peregrinatores medii aevi quatuor, Edition Laurent, Leipsick, 1864, pages 172-173.

    Sources : Rey (Emmanuel Guillaume), Etude sur les monuments de l'architecture militaire des croisés en Syrie et dans l'Ile de Chypre. Paris, Imprimerie Nationale M. DCCC. LXXI.

    Fortification de la ville de Tortose

    L'enceinte de Tortose reproduit en plus grand la forme du château. C'est un quart de cercle appuyé à la mer et d'un rayon moyen de 350 mètres environ. Elle consiste en une muraille de 2 mètres 50 d'épaisseur, construite en gros blocs taillés à bossage. Munie d'un fossé large et profond creusé dans le roc vif et rempli par la mer, elle se trouvait complètement à l'abri des travaux du mineur. Les saillants sont barlongs, mais leur relief sur la courtine est faible et les flanquements en sont de peu de valeur, comparés à ceux du château. Cependant, tout imparfaite qu'elle était, cette défense pouvait être considérée comme très-sérieuse au XIIe siècle, quand la sape formait le moyen d'attaque le plus redoutable de l'assiégeant, d'autant plus qu'à l'époque où furent élevés les murs de Tortose, on avait déjà généralement adopté l'usage d'établir en arrière de la courtine des plates-formes terrassées, destinées à servir d'aire pour l'établissement des grands engins, tels que pierrières, trébuchets ou mangonneaux, dont le tir parabolique lançait à une distance considérable des projectiles de pierre du poids de 100 à 150 kilogrammes (1).

    Au nord, le rempart se voit encore sur toute sa longueur et présente trois grands saillants. Bien que dérasé sur une partie de sa hauteur, il a conservé une élévation de plusieurs mètres au-dessus du sol. Son mode de construction était identique à celui du château, et il devait être couronné par un chemin de ronde muni d'un parapet crénelé semblable à ceux de cette forteresse.

    Vers l'est, la muraille n'existe plus que sur la moitié environ de son développement primitif, et, sur la plus grande partie des faces sud et sud-est, son tracé est seulement indiqué par le fossé, qui, bien qu'aux trois quarts comblé, est toujours reconnaissable.

    Cette enceinte paraît n'avoir été percée que de deux portes : l'une, restée presque intacte, est dans la face nord, tout près du château; et l'autre, dont on voyait quelques traces il y a peu d'années, s'ouvrait au sud vers Tripoli.

    Durant tout le moyen âge et jusqu'à l'invention de l'artillerie à feu, les portes étaient considérées comme les points vulnérables d'une place; aussi n'en laissait-on que le nombre strictement nécessaire.
    Celle qui se voit encore ici est assez bien conservée pour que l'on y retrouve facilement les divers détails de ses défenses et de son mode de clôture. Un pont en charpente qu'on pouvait enlever facilement en cas de siège, et dont on voit encore les encastrements, était jeté sur le fossé. A droite et à gauche, cette porte est protégée par deux grandes meurtrières ; elle est large de 3 mètres et était fermée comme celle de la forteresse par des vantaux ferrés et une herse (figure 53 et 54). Elle était également défendue par un mâchicoulis. L'étage supérieur de cet ouvrage, où étaient placés les treuils de la herse, est aujourd'hui fort endommagé. On peut cependant reconnaître qu'il était ouvert à la gorge. On y accédait par le chemin de ronde du rempart; ce qui, joint à la disposition des défenses et à l'installation qui paraît avoir été donnée ici aux manoeuvres des herses, devait lui donner une assez grande analogie avec la porte Saint-Lazare d'Avignon, élevée vers le milieu du XIVe siècle, et dont ce système de porte fut peut-être le prototype.

    On ne saurait dire si la ville fut en communication directe avec le château, et cependant il est probable que ce dernier possédait quelque poterne dans la partie de sa première enceinte disparue sous les maisons de la bourgade moderne de Tortose.
    Cette issue devait permettre, en cas de besoin, aux habitants de la ville et aux défenseurs du rempart de chercher un refuge dans la forteresse.

    Au point où le rempart vient aboutir à la mer, une grosse tour carrée, munie de talus de maçonnerie à sa base, formait l'angle de la ville. Bien que ses débris soient fort mutilés, il est facile d'y reconnaître les ruines d'un ouvrage analogue à celui dont on voit les restes au nord de la porte de Jérusalem, à Ascalon. Malheureusement ici encore nous devons déplorer la destruction récente d'un étage de cette tour que les siècles n'avaient pas entamé et qui fut démoli par les Egyptiens en 1840, pour réparer un petit fort qui s'élève près de là dans l'île de Rouad.
    Viollet-le-Duc, Architecture militaire, et Dictionnaire d'architecture, pages 224 et suivantes.
    Sources : Rey (Emmanuel Guillaume), Etude sur les monuments de l'architecture militaire des croisés en Syrie et dans l'Ile de Chypre. Paris, Imprimerie Nationale M. DCCC. LXXI.

    Défense de la ville de Ziblet ou Gibel (Djebleh)

    Au commencement de ce livre j'ai dit, en parlant du château de Margat, que la ville moderne de Djebleh avait remplacé l'antique Gabalum. On y voit encore un magnifique théâtre de l'époque romaine parvenu à peu près intact jusqu'à nous, et qui fut transformé en château au temps des croisades. On se borna alors à murer la plupart des ouvertures et à le flanquer de tours carrées massives appliquées aux angles et sur le pourtour. Seulement, comme ces constructions offraient moins de résistance que la maçonnerie antique, elles ont presque entièrement disparu pour fournir les matériaux des maisons modernes et de la mosquée du sultan Ibrahim.
    Pendant les croisades cette ville fut le siège d'un évêché (1) et j'ai décrit plus haut son port de Djebleh

    Quand je visitai Djebleh au mois de septembre 1859, il existait encore au sud-est de la ville, sur une assez grande longueur, des restes de l'enceinte élevée par les croisés. Elle était construite en gros blots taillés à bossage et les courtines étaient flanquées de saillants carrés ou barlongs, ce qui rendait ces murs de tous points semblables à ceux de Tortose. Bien que dérasée à 3 mètres du sol, cette portion d'enceinte présentait néanmoins un vif intérêt et pouvait servir de point de comparaison avec d'autres murailles de ville. Malheureusement en 1864 je constatai qu'il n'en restait plus trace.
    1. Familles d'Outre-Mer, Syrie Sainte, page 795
    Sources : Rey (Emmanuel Guillaume), Etude sur les monuments de l'architecture militaire des croisés en Syrie et dans l'Ile de Chypre. Paris, Imprimerie Nationale M. DCCC. LXXI.

    Défense et fortification de la ville de Gibelet (Djebaïl - Byblos)

    Sur les ruines de l'antique Byblos, la ville sacrée des Phéniciens, s'élève aujourd'hui une bourgade arabe nommée Djebaïl, que domine, comme je l'ai dit plus haut, un vieux château franc du XIIe siècle. Ce village est entouré de restes des remparts construits au temps de la domination latine; mais l'enceinte est trop vaste pour le petit nombre des habitants, et une grande partie est occupée par des jardins. Au milieu, une vieille cathédrale gothique (1), élevée par les croisés, sert encore aujourd'hui, sous le nom d'église Saint-Jean, aux chrétiens catholiques qui forment la majeure partie de la population de Djebaïl.

    Il est souvent fait mention de cette ville par les historiens des guerres saintes, qui l'appellent Giblet. Ayant été enlevée aux Sarrasins eu 1109 par Hugues de Lambriac, qui en devint seigneur, les membres de cette famille prirent dès lors le nom de Giblet (2).
    Comme place maritime et ville épiscopale dépendant du comte de Tripoli, elle joua un rôle assez important pendant la durée du royaume de Jérusalem.

    Son port, assez vaste, est formé d'une baie déterminée par deux pointes du rivage et par deux jetées, aux extrémités desquelles se voient encore les traces des tours qui jadis défendaient la passe.

    Sans être aussi considérables que celles de Tortose, les murailles de Djebaïl nous fourniront cependant le sujet de quelques observations intéressantes. Le plan général de la ville, bâtie en amphithéâtre, forme un vaste trapèze d'une longueur de 300 mètres sur une largeur moyenne de 250. Sur trois de ses côtés, Giblet était munie de remparts; le quatrième était appuyé à la mer.

    Comme à Tortose, cette enceinte consistait en une muraille flanquée de saillants carrés; mais, au point de vue de la construction, elle est bien inférieure à la précédente. Elle était bâtie en pierres de moyen appareil, avec des fûts de colonnes antiques engagés transversalement dans l'épaisseur des murs. Une porte qui s'ouvrait au nord, sur la route de Tripoli, est aujourd'hui murée; la seconde entrée de la ville était percée dans la muraille orientale, sous le commandement du château.

    Malheureusement cette enceinte ne pourra nous donner que le plan de la Giblet des croisades, car sur presque tout son pourtour l'oeuvre des Francs n'a conservé qu'une élévation de quelques mètres et est surmontée de constructions relativement très-modernes.

    D'après ce que nous apprennent les historiens des croisades, on ne saurait attribuer aux murailles dont nous étudions les restes une date antérieure aux premières années du XIIIe siècle, attendu que, comme je l'ai déjà dit, en 1190, à la nouvelle de la croisade de l'empereur Frédéric Barberousse, Saladin fit démanteler le château de Giblet et raser les murailles de cette ville, ainsi que les châteaux de la Liche (Laodicée) et de Barut.

    Ce ne fut qu'en 1197 ou 1199 que Gui de Giblet (3) put rentrer en possession de la ville dont il portait le nom. Par leur caractère et la nature des matériaux employés, les débris de l'enceinte semblent plutôt contemporains de cette époque que de la construction du château, auquel je crois pouvoir assigner comme date la première moitié du XIIIe siècle.

    Giblet demeura au pouvoir des Francs jusqu'au mois d'août 1266; elle fut assiégée alors par l'émir Nadjyby (4) lieutenant du sultan Malek-ed-Daher-Bybars, en Syrie. Ses défenseurs, serrés de près et convaincus qu'une plus longue résistance serait sans espoir, profitèrent d'une nuit orageuse pour évacuer la ville et se retirer à Tripoli.
    1. Les églises de Terre Sainte, par M. de Vogüé, pages 374-375.
    2. Familles d'Outre-Mer, les seigneurs de Giblet, page 316.
    3. Familles d'Outre-Mer, les seigneurs de Giblet, page 316.
    4. Auteur anonyme de la vie de Bybars.

    Sources : Rey (Emmanuel Guillaume), Etude sur les monuments de l'architecture militaire des croisés en Syrie et dans l'Ile de Chypre. Paris, Imprimerie Nationale M. DCCC. LXXI.

    Défenses et fortifications de la ville de Césarée

    Par suite de sa position entre Acre et Japhe, Césarée avait, comme point stratégique, une grande importance militaire. Aussi, durant la première moitié du XIIIe siècle, fut-elle plusieurs fois le théâtre de luttes acharnées entre les chrétiens et les musulmans.
    Saladin, s'en étant rendu maître en 1187, fit démanteler son château et ses murs.

    Restaurée par Gautier d'Avesne (1) en 1218, cette forteresse fut dans la même année enlevée aux Génois (2), qui la défendaient, par le sultan Malek-Mohaddam. Reprise par les Francs (3) dix ans plus tard, elle retomba de nouveau au pouvoir des musulmans, qui la ruinèrent derechef. Enfin, au mois de mars 1251, saint Louis vint s'installer à Césarée, où il demeura jusqu'au mois de mars de l'année suivante, occupé à fortifier cette cité, dont les tours et les murs avaient été renversés par les Sarrasins, nous dit Joinville.

    Le plan général de cette enceinte, dont on voit encore les ruines, présente à peu près, comme celui de Giblet, la forme d'un trapèze appuyé à la mer (plan XXII). Du nord au sud, la ville mesurait environ 500 mètres sur une largeur moyenne de 250 à 300. La partie du rempart qui forme l'escarpe du fossé, revêtue de talus, est demeurée intacte, et son tracé est encore presque partout très-reconnaissable.

    Sur trois côtés, tours, courtines et portes semblent avoir été élevées simultanément, tant il y a d'homogénéité dans le plan et dans la construction. Toutes les tours sont barlongues, régulièrement espacées et revêtues à leur base, ainsi que les courtines, de grands talus de maçonnerie les arcs-boutants contre l'effet des tremblements de terre.

    Quand je visitai ces ruines, au printemps de l'année 1858, bien que tours et murailles fussent presque partout dérasées au niveau du sol de la ville, on voyait encore les restes de trois tours au nord, de dix à l'est et de quatre vers le sud. De ce côté, une porte « A », assez bien conservée, entre la seconde et la troisième tour, était alors la seule qui restât au milieu de ces ruines, qui chaque jour disparaissent, exploitées pour fournir des matériaux aux constructions modernes de Ramleh et de Jaffa (plan XXII).

    Vers la mer il ne subsiste plus que les arasements des murailles. Là une échancrure du rivage « B », s'enfonçant entre deux pointes de rochers à fleur d'eau, formait autrefois le port. Au temps des croisades, une petite jetée, construite avec des pierres enlevées aux édifices antiques de la ville d'Hérode, fut ajoutée à la pointe nord. Sur le promontoire qui s'étend au sud était bâti le château. Selon toute apparence, il a remplacé, après bien des siècles, la tour dite de Straton, qui parait s'être élevée en ce lieu (4).

    Cette forteresse, dont le principal ouvrage semble avoir été un gros donjon carré « C », ne présente plus qu'un amas de ruines bouleversées. Mais, par le peu qui en reste, on peut reconnaître facilement qu'elle dut avoir quelque analogie avec le château maritime de Saïda. Un nombre énorme de fûts de colonnes antiques était engagé dans les murs de ce réduit. Une coupure dans le rocher, comblée aujourd'hui par les décombres et par le sable, l'isolait de la terre ferme.

    En face du château se voient les ruines de la cathédrale « D » : c'était une grande église, à trois nefs terminées en abside, semblable à celle que nous trouvons encore à Naplouse et à Sébaste. Trois des contres-forts de la façade sont toujours debout. Au-dessous régnait une crypte voûtée en plein cintre, intacte quand je la visitai.

    L'enceinte qui doit faire le principal objet de cette étude remonte donc à l'année 1251, époque à laquelle le roi saint Louis lit relever les murailles de Césarée.
    Nous nous trouvons en face d'une oeuvre bien supérieure aux enceintes que nous avons vues jusqu'à présent. Un grand progrès a été accompli; ce ne sont plus les tourelles carrées d'Ascalon, ni les saillants barlongs faisant corps avec l'enceinte, de Djebleh, de Tortose ou de Giblet. Ici des tours très-saillantes sur la courtine fournissaient des flanquements sérieux.
    Elles sont toutes construites sur le même modèle et séparées les unes des autres par une distance qui ne dépasse guère 40 mètres. Leur forme est barlongue, mesurant 11 mètres de long et 9 en largeur. Chacune d'elles renferme au rez-de-chaussée, et s'ouvrant au niveau du terre-plein de la ville, une salle percée de meurtrières qui permettaient aux défenseurs de prendre d'écharpe un ennemi qui serait parvenu dans le fossé. D'après le peu qui en reste, les voûtes de ces salles paraissent avoir été composées de deux travées appuyées sur un arc doubleau.

    La tour « E », la moins endommagée de toutes et dont nous donnons ici la vue et le plan (figure 55), était munie d'une poterne communiquant avec le fossé par un petit escalier placé sous le commandement des défenses supérieures de la tour. Les talus qui garnissent la base de toute cette enceinte ne sont point massifs. Le plan incliné en pierres de taille est supporté par une voûte en quart de cercle, formant au pied du rempart une galerie de contre-mine où le jour pénétrait par de grandes fentes semblables à des archères s'ouvrant à la partie supérieure du talus. C'est le premier exemple que nous trouvions, en Syrie, de mesures prises, dans une enceinte de ville, pour mettre l'assiégé à même d'exécuter des travaux de contre-approche.

    Il est positif que l'art du mineur fit de grands progrès durant les croisades, et qu'au commencement du XIIIe siècle il était déjà très-avancé. La galerie dont nous nous occupons permettait aux assiégés de contre-miner sûrement les travaux d'un ennemi qui aurait tenté d'atteindre les murs de la ville en passant sous le niveau du fond du fossé, par une galerie en tunnel taillée dans le roc. En France, nous voyons à la base de la chemise du donjon de Coucy, élevée en 1225, une galerie de contre-mine semblable, également ménagée sous le talus dont elle est revêtue.

    Quant à l'élévation et au couronnement des tours et des courtines qui les reliaient, nous en sommes réduits à des conjectures; car l'ouvrage que nous avons reproduit, bien que le mieux conservé, ainsi que nous l'avons dit, ne s'élève plus au-dessus de la naissance des voûtes de la salle du rez-de-chaussée (figure 56).
    Les matériaux qui ont servi à la construction des murs de Césarée sont généralement de petite dimension ; les tours et les murailles sont bâties en pierres de très-petit appareil ; les talus de la face sud sont composés de pierres noires fort dures qui me paraissent d'origine volcanique.
    Malelc-ed-Daher-Bybars s'empara de Césarée par surprise en 1265, et après la prise d'Acre le sultan Khalil-el-Aschraf en mina complètement les murailles, dans la crainte que cette ville ne devienne un point de débarquement pour les Francs, en cas d'une nouvelle croisade.

    De l'étude que nous venons de faire des enceintes de plusieurs villes fortifiées par les Francs établis en Syrie, il résulte que les ingénieurs latins qui élevèrent ces murailles prirent pour types, tout en les modifiant, les enceintes byzantines et arabes. Au commencement des croisades, elles les frappèrent d'admiration; mais ils ne tardèrent pas à les surpasser, après les avoir imitées.

    Ce furent les Arméniens qui semblent particulièrement avoir été leurs initiateurs (5) aux méthodes d'art militaire qui depuis l'antiquité s'étaient perpétuées chez les Grecs.

    Ils s'attachèrent, tout en conservant la hauteur des courtines, à augmenter la largeur et la profondeur des fossés. Malgré les inconvénients qu'ils présentaient au point de vue de la défense, les croisés adoptèrent généralement comme mode de flanquement les saillants barlongs dont nous trouvons tant d'exemples dans la fortification byzantine, notamment aux châteaux d'Edesse et de Marès. Enfin nous les voyons élever près des portes des villes et commandant les approches de la place, comme à Ascalon et à Tortose, des ouvrages copiés sur les maîtresses tours byzantines et qui seront l'origine des bastilles.

    Peut-être devons-nous chercher, dans les relations continuelles qui existaient alors entre la Syrie et les provinces méridionales de la France et de l'Italie, l'explication d'un fait étrange qui se produisit surtout en Provence, du XIIe au XIVe siècle : pendant que dans les provinces du nord et du centre la tour ronde avait prévalu partout, nous voyons les défenses rectangulaires adoptées dans les enceintes de beaucoup de villes du Midi.

    M. Viollet-le-Duc (5), dans son dictionnaire, constate à plusieurs reprises l'influence des monuments byzantins de la Syrie sur l'art religieux de la Provence, du Languedoc, etc.
    A cette époque, un grand nombre de familles d'origine génoise, dauphinoise, provençale et languedocienne, entre autres celles des Lambriac, d'Agot, d'Alman, Porcelet, de Puy-Laurens, etc., comptaient de leurs membres établis en Terre Sainte. Ils y possédaient des fiefs considérables et prirent une part importante aux événements qui eurent alors la Palestine pour théâtre.

    Il n'y aurait donc point lieu de s'étonner que les seigneurs provençaux et languedociens eussent rapporté dans leur pays et répandu autour d'eux les notions d'art militaire qu'ils avaient acquises en Orient, où cet art s'était développé si rapidement sous l'influence gréco-arabe. Nous pouvons en juger par les forteresses élevées en Terre Sainte par les Francs, qui mettent en lumière une grande intelligence militaire.

    Selon toute apparence, c'est sous l'influence de ces traditions que nous voyons se produire à la fin du XIIIe siècle le tracé des murailles de Cahors et l'enceinte de Monpazier puis au siècle suivant celles de la plupart des villes du comtat Venaissin, parmi lesquelles nous citerons notamment Avignon.
    Nous y retrouvons au palais des papes, ainsi qu'à l'archevêché de la ville de Narbonne, élevés tous deux pendant le XIVe siècle, des défenses d'importation évidemment orientale : je veux parler des mâchicoulis défendant les courtines et qui se composent d'une série d'arcs en tiers-point supportant le crénelage et laissant entre eux et la muraille un espace vide permettant de jeter sur l'assaillant des projectiles de grandes dimensions, telles que des pièces de bois.

    Dans la description que j'ai déjà donnée du Krak des Chevaliers, j'ai signalé l'emploi de ce système dans un ouvrage qui ne saurait être postérieur au milieu du XIIIe siècle.
    1. Continuateur de Guillaume de Tyr, livre I, tome XXXI, chapitre XIIII.
    2. Continuateur de Guillaume de Tyr, livre I, tome XXXII, chapitre V.
    3. Continuateur de Guillaume de Tyr, livre I, tome XXXII, chapitre XXV.
    4. Guérin, Ora Palestinae.
    4. Guillaume de Tyr, livre I, tome XIII, Siège de Tyr.
    5. Viollet-le-Duc, Dictionnaire d'architecture tome VII, pages 417-493.
    6. On peut encore citer, parmi les monuments militaires dans lesquels on reconnaît cette influence, les châteaux de Riom, les murs de Blaye (Gironde), ainsi que les châteaux de Pommiers et de Rozan, qui ont été décrits par M. Léo Drouyn, dans l'ouvrage intitulé La Guyenne militaire.

    Sources : Rey (Emmanuel Guillaume), Etude sur les monuments de l'architecture militaire des croisés en Syrie et dans l'Ile de Chypre. Paris, Imprimerie Nationale M. DCCC. LXXI.

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