I. — Dépôts de fonds et d'objets précieux
Au moyen âge, même aux époques les plus troublées, l'inviolabilité des édifices religieux fut constamment reconnue en principe. Ils étaient l'objet d'un respect si profond et si universel que, surtout en temps de guerre, les populations s'empressaient d'y porter les objets les plus précieux pour les mettre à l'abri du vol et du pillage. Les grandes maisons des Templiers devaient d'autant mieux inspirer ce sentiment de confiance qu'on les savait construites par d'habiles ingénieurs et gardées par des chevaliers chez qui le caractère religieux s'alliait à une réputation militaire conquise sur les plus célèbres champs de bataille. Aussi les dépôts y affluaient-ils de toutes parts. Les rois eux-mêmes croyaient que leur argent, leurs joyaux et leurs titres y étaient plus en sûreté que dans leurs châteaux les mieux fortifiés. C'est ce que nous constatons surtout à Paris et à Londres.On verra plus loin que le trésor du roi de France lut placé pendant plus d'un siècle au Temple de Paris. Cela suffirait pour établir la réputation d'honnêteté, d'habileté et de sécurité qui s'attachait à cette puissante maison. Beaucoup d'autres faits non moins significatifs pourraient être rappelés ici. J'en citerai seulement un petit nombre.
Le premier nous sera fourni par le testament d'un bourgeois de Paris, le même sans doute qui a laissé son nom à une rue du vieux Paris. Au mois de juin 1220, Pierre Sarrasin, partant pour le pèlerinage de Saint-Jacques, régla l'emploi de sa fortune. Sur le capital que les Templiers de Paris devaient réaliser, 600 livres étaient affectées à l'abbaye de Saint-Victor, pour acheter des rentes de blé ; 100 livres étaient destinées à la mère du testateur ; tout le reste devait être gardé au Temple jusqu'à la majorité des héritiers.
Au commencement du règne de saint Louis, la livre qui servait de type pour les poids du royaume était conservée au Temple de Paris. Ce fut là que Guillaume, peseur de la vicomté de l'eau de Rouen, la vint chercher quand il fut chargé d'établir l'étalon de la livre de Rouen.
Une lettre de Grégoire IX, du 10 avril 1234, mentionne un dépôt d'argent que l'ancien prieur de Saint-Martin-des-Champs avait fait entre les mains des Templiers.
Ce fut au Temple de Paris que fut confié, en 1268, l'original d'un traité conclu entre saint Louis et les ambassadeurs de Henri III.
En 1261, le Temple de Paris prit en charge un dépôt d'une valeur exceptionnelle, qu'il garda plus de dix ans. Le roi d'Angleterre, menacé par les progrès de la révolte de ses barons, jugea prudent de faire sortir du royaume les joyaux de la couronne ; il les envoya en France, à la reine Marguerite, qui, après en avoir vérifié l'inventaire, les fit enfermer sous son contre-sceau dans deux coffres, qu'elle mit au Temple de Paris et dont les clefs restèrent entre les mains des envoyés du roi d'Angleterre (Rymer). Trois ans plus tard, Henri III autorisa sa femme, la reine Aliénor, Pierre, comte de Savoie, et Jean Mansel, trésorier d'York, à disposer dans l'intérêt de la couronne des joyaux gardés au Temple (Rymer). Ces joyaux durent alors servir de gage aux marchands qui fournirent les fonds dont Henri III avait besoin pour soutenir sa cause et celle de son fils aîné ; mais ils n'en restèrent pas moins au Temple, sous la garantie de la reine de France. Ce fut seulement en 1272 que Henri III en reprit possession et qu'il en donna une décharge qui contient un inventaire détaillé du trésor (Rymer).
Au parlement de la Pentecôte 1273, fut réglé l'emploi de l'argent provenant de la succession d'Aubert de Hangest, qui était déposé au Temple de Paris.
En 1296, Philippe le Bel s'appropria, pour les frais de la guerre déclarée au roi Edouard, des sommes considérables que Jean de Pontoise, évêque de Winchester, avait confiées à plusieurs établissements religieux de Paris et des environs ; il y avait au nom de ce prélat environ 26,000 livres tournois dans les abbayes de Saint-Denis, de Saint-Victor et de Sainte-Geneviève ; le Temple de Paris avait aussi ouvert au même personnage un compte sur lequel Philippe le Bel préleva 440 livres.
Le Temple de Londres, au cours du XIIIe siècle, n'était guère moins célèbre que celui de Paris. Jean sans Terre, en 1204 et 1205, y mit en garde les insignes et les joyaux de la couronne d'Angleterre (Rotuli). En 1206, il y fit déposer la chapelle de Hubert, archevêque de Cantorbéry (Rotuli). En 1214, un projet d'accord conclu entre Jean sans Terre et sa tante la reine Bérengère, qui devait rester secret, fut confié à la garde des Templiers (Rymer).
Le 16 mai 1220, Pandolfe, légat du Saint-Siège, ayant autorisé le vice-chancelier d'Angleterre à se rendre à Cantorbéry, l'invita à déposer pendant son absence le sceau royal dans la maison du Temple. La même année, Henri III chargea frère Adam Martel, maître des Templiers d'Angleterre, de garder une somme d'argent qui devait venir en déduction des 10,000 marcs qui avaient été promis au prince Louis, fils de Philippe-Auguste (Rotuli). Le 28 juin 1287, Henri de Stocton, pour parfaire la dot de 30,000 marcs promise à la soeur de l'impératrice, eut à payer aux procureurs de l'empereur 10,000 marcs d'argent qui étaient déposés au nouveau Temple de Londres (Rymer).
L'un des événements les plus marquants de l'histoire du nouveau Temple est le coup de main qui y fut accompli le 26 juin 1263 par Edouard, fils aîné du roi. Ce prince, d'accord avec des conseillers pervers, s'y rendit le soir et, malgré l'opposition des Templiers, il pénétra dans la trésorerie, y força plusieurs coffres et emporta près de 10,000 livres d'esterlins appartenant à beaucoup de marchands et de barons du royaume. Preuve évidente que le trésor du Temple de Londres était une caisse ouverte aux capitaux du commerce et de la noblesse. Il servait aussi aux gens d'église. En 1266, Fouques, archevêque de Dublin, devait rembourser, au Temple de Londres, à des marchands florentins, deux sommes d'argent, l'une de 100 livres de nouveaux esterlins, l'autre de 550 marcs, même monnaie.
Des commanderies d'un ordre secondaire recueillaient pareillement les dépôts des particuliers. C'est ce que nous voyons à Saint-Gilles, à Montpellier, à la Rochelle et à Sainte-Vaubourg en Normandie. Citons un exemple pour chacune de ces maisons.
Par un testament du 28 septembre 1211, Pierre Constant déclare que, pour rembourser une partie de la dot de sa femme, il faudra prendre 2,000 sous de Melgueil qui étaient à son nom dans la maison du Temple de Saint-Gilles.
Un autre testament, du 18 octobre 1254, celui de Raimond Brémond, renferme cette clause: "J'ordonne de rendre à ma fille Philippe tous les titres de tous mes domaines, quels qu'ils soient, et spécialement ceux que j'ai déposés dans la maison du Temple à Montpellier". En 1214, sur une somme de 820 marcs que le commandeur des Templiers de la Rochelle avait reçue en garde d'Ives de la Jaille, Jean sans Terre ordonna de prendre l'argent nécessaire pour la mise en liberté des otages du dit Ives, prisonnier du comte de la Marche (Rotuli).
Une pension de 2,750 livres, monnaie d'Angers, que le roi Henri II s'obligea en 1186 à servir à sa belle-fille Marguerite, soeur de Philippe Auguste, était payable entre les mains des Templiers, à la commanderie de Sainte-Vaubourg.
Les Templiers acceptaient même des dépôts dans les caisses dont ils se faisaient suivre en campagne pendant les expéditions dirigées contre les infidèles. C'est ainsi qu'en 1250, dans la campagne d'Egypte, ils avaient à bord d'une de leurs galées des fonds appartenant à des particuliers, qu'on les força de prêter pour parfaire le payement de la rançon de saint Louis. Le 7 et le 8 mai, on devait verser 200,000 livres, et les gens du roi s'aperçurent qu'ils ne pouvaient disposer que d'environ 170,000 livres. Le sire de Joinville proposa d'emprunter 30,000 livres aux Templiers ; mais le commandeur Etienne d'Otricourt souleva une difficulté ; il prétendait qu'on ne pouvait toucher aux fonds confiés à l'Ordre sans le commandement exprès des personnes à qui les fonds appartenaient. Heureusement le maréchal du Temple, tout en appuyant l'observation du commandeur, donna à entendre que, si les gens du roi voulaient prendre l'argent, ils ne trouveraient qu'un simulacre de résistance. Joinville se chargea de cette sorte de coup de main. Il faut le laisser raconter lui-même la façon dont il mena l'affaire, sans tenir compte de la résistance du trésorier, en commençant par ouvrir un coffre qui renfermait l'argent d'un sergent du roi, Nicolas de Choisi.
L'on commença à faire le paiement le samedi au matin, et y mist l'on au paiement faire le samedi et le dymanche toute jour jusques à la nuit, que on les paioit à la balance, et valoit chascune balance dix mille livres.
Quant ce vint le dymanche au vespre, les gens le roy qui fesoient le paiement mandèrent au roy que il lour failloit bien encore trente mille livres. Et avec le roy n'avoit que le roy de Sezile et le maréchal de France, le menistre de la Trinitei et moy ; et tuit li autre estoient au paiement faire. Lors dis-je au roy que il seroit bon que il envoiast querre le commandeour et le maréchal dou Temple, car li maistres estoit mors ; et que il lour requeist que il prestassent les trente mile livres pour délivrer son frère. Li roys les envoia querre, et me dist li roys que je lour deisse.
Quant je lour oy dit, frères Estiennes d'Otricourt, qui estoit commanderres dou Temple, me dist ainsi: "Sire de Joinville, cis consaus que vous donnés au roi n'est ne bons ne raisonnables ; car vous savés que nous recevons les commandes en tel manière que, par nos sairemens, nous ne les poons délivrer mais que à ceus qui les nous baillent". Assés y ot de dures paroles et de felonnesses entre moy et li. Et lors parla frères Renaus de Vichiers, qui estoit mareschaus dou Temple, et dist ainsi: "Sire, lessiés ester la tençon dou signour de Joinville et de nostre commandeour ; car, aussi comme nostre commanderres dit, nous ne pourriens riens baillier que nous ne fussiens parjure. Et de ce que li seneschaus vous loe que, se nous ne vous en voulons prester, que vous en preigniés, ne dit il pas mout grans merveilles, et vous en ferés vostre volentei ; et se vous en prenez dou nostre, nous avons bien tant dou vostre en Acre que vous nous desdomagerés bien".
Je dis au roy que je iroie, se il vouloit ; et il le me commenda. Je m'en alai en une des galies dou Temple, en la maistre galie ; et quant je vouz descendre en la sente de la galie, là où li trésors estoit, je demandai au commandeour dou Temple que il venist veoir ce que je penroie ; et il n'i deingna onques venir. Li mareschaus dist que il venroit veoir la force que je li feroie. Si tost comme je fu avalez là où li trésors estoit, je demandai au trésorier dou Temple, qui là estoit, que il me baillast les clez d'une huche qui estoit devant moy ; et il, qui me vit mègre et descharnei de la maladie, et en l'abil que je avoie estei en prison, dist que il ne m'en bail-Jeroit nulles. Et je regardai une coignie qui gisoit illec, si la levai et dis que je feroie la clef le roy. Quant li mareschaus vit ce, si me prist par le poig et me dist: "Sire, nous veons bien que c'est force que vous nous faites, et nous vous ferons baillier les clez". Lors commanda au trésorier que on les me baillast ; ce qu'il fist. Et quant li mareschaus ot dit au trésorier qui je estoie, il en fu mout esbahis. Je trouvai que celle huche que je ouvri estoit à Nichole de Choysi, un serjant le roy. Je getai hors ce d'argent que je y trouvai, et me alay seoir ou chief de nostre vessel qui m'avoit amenei. Et pris le mareschal de France et le lessai avec l'argent, et sur la galie mis le menistre de la Trinitei. Sus la galie li mareschaus tendoit l'argent au menistre, et li menistres le me bailloit ou vessel là où je estoie. Quant nous venimes vers la galie le roy, je commençai à huchier au roy: "Sire, sire, esgardés comment je sui garniz". Et li sainz hom me vit mout volentiers et mout liement. Nous baillâmes à ceus qui fesoient le paiement ce que j'avoie aporlei".
Il est donc surabondamment démontré que les maisons de l'ordre du Temple recevaient à titre de dépôt les capitaux des rois, des princes, des bourgeois et des marchands. Mais, comme des services du même genre étaient demandés à la plupart des établissements religieux(14), il faut pouvoir s'appuyer sur un ensemble de faits d'un ordre différent pour justifier le caractère de maisons de banque que je propose d'attribuer aux commanderies des Templiers. C'est cet ensemble de faits que je vais passer en revue, en les rattachant à des groupes d'opérations financières parfaitement déterminées:
Séquestres et consignations.
Prêts, avances et cautions.
Transmission d'argent et payements à distance.
Recouvrements et payements pour des clients auxquels étaient ouverts des comptes courants.
II. — Séquestres et consignations.
L'usage de confier aux Templiers des fonds qui devaient à un moment donné recevoir une affectation spéciale fut assez général en France et en Angleterre. On en trouve déjà des traces au XIIe siècle.En 1158, Henri II, roi d'Angleterre, et Louis VII, roi de France, réglèrent les conditions d'un mariage à conclure ultérieurement entre leurs jeunes enfants, Henri et Marguerite. Dans la dot de sa fille, Louis VII comprenait Gisors et deux autres châteaux ; mais il était entendu que ces places seraient gardées comme en séquestre par les Templiers (a Templariis tanquam in sequestro custodirentur) jusqu'au jour où le mariage serait effectivement conclu.
En 1201, les Templiers avaient dans leur caisse une somme de 5oo livres de Provins que Thibaud, comte de Champagne, avait léguée à Eustache de Conflans. Ils ne consentirent à la remettre au frère du légataire que sur un ordre de la comtesse Blanche, qui les garantit contre toute répétition et qui s'assura elle-même un recours sur le sénéchal Geoffroi de Joinville.
Jean sans Terre, en 1214, employa un moyen assez ingénieux pour s'assurer des partisans dans les provinces de l'ouest de France. Aux grands barons dont les principaux domaines étaient compris dans les conquêtes de Philippe Auguste et qui pouvaient être tentés de suivre la fortune du vainqueur, le roi d'Angleterre s'engageait à servir des pensions annuelles plus ou moins considérables ; mais les promesses d'un prince dont la parole n'était pas sûre et dont les ressources étaient à peu près épuisées n'auraient peut-être pas suffi pour exercer une influence décisive sur une noblesse disposée à se rallier à la cause du roi de France. En même temps qu'il promettait une pension, Jean faisait verser au trésor des Templiers de la Rochelle une somme suffisante pour en assurer le payement exact pendant un certain nombre d'années. C'est le procédé dont il usa vis-à-vis d'Alice, comtesse d'Angoulême ; il lui promit pour sa dot une pension de 5oo livres, monnaie de Poitiers, et, par une lettre du 6 septembre 1214, il ordonna de remettre au commandeur de la Rochelle une provision de 2,5oo livres sur laquelle seraient prises les cinq premières annuités de la pension (Ratuli).
La même année, le commandeur de la Rochelle encaissa une provision de 30,000 livres, représentant cinq annuités de la pension que Jean sans Terre avait promise à Raoul d'Exoudun, comte d'Eu, pour l'indemniser de la perte de sa terre de Normandie, confisquée par le roi de France Philippe Auguste (Rotuli).
Au mois de mars 1224 (nouveau style), Guillaume, comte de Vienne et de Mâcon, s'engagea à rendre la terre de Chénas au sire de Beaujeu, dès que celui-ci aurait consigné entre les mains de l'abbé de Cluny ou des Templiers 1,000 marcs d'argent dont il était débiteur(17).
En 1228, des sommes considérables durent être mises en dépôt au nouveau Temple de Londres, pour servir à l'achat des terres qui constitueraient la dot d'Isabelle d'Ecosse, femme de Roger le Bigot.
Henri III, roi d'Angleterre, ordonna, le 20 février 1248, de consigner au nouveau Temple de Londres le montant des pensions de 5oo et de 200 marcs qu'il devait payer à Thomas de Savoie et à Amédée, comte de Savoie(Rymer).
Le 12 juin 1259, Gui de Châtillon, comte de Saint-Paul, s'engagea à déposer au Temple de Paris, dans la quinzaine de la Saint-Jean, 1,240 livres parisis, et à la Toussaint, 1,000 livres de la même monnaie, qui étaient dues à Eustache de Milli, chevalier, sur le prix de la vente de la terre de Bec-querelle, vendue à Robert d'Artois.
Quand la comtesse de Leicester refusa de donner son consentement au traité conclu entre Henri III et saint Louis, parce qu'une clause lui en paraissait contraire à ses droits de douairière, le roi d'Angleterre ne trouva moyen de faire lever l'opposition qu'en s'engageant à déposer au Temple de Paris une somme de 15,000 marcs, qui devait y rester comme garantie des satisfactions à donner à la comtesse. Il fut convenu que les mandataires de Henri III pourraient la retirer sur la présentation dune lettre des évêques de Lincoln et de Londres portant que les réclamations de Simon de Montfort auraient été réglées.
Suivant les conventions arrêtées au mois d'août 1269 pour le mariage de Blanche d'Artois avec Henri, frère de Thibaud, roi de Navarre, le comte d'Artois, frère de la princesse, donnait 23,000 livres tournois, dont 20,000, déposées au Temple de Paris, devaient être remises à un parent de Blanche, en deux payements égaux, pour être employées en achat de terres ou de rentes au nom de la princesse.
Parmi les titres qui furent trouvés le 29 septembre 1282 à Edimbourg, dans le trésor du roi d'Ecosse, on remarqua un engagement pris par les grands d'Angleterre de déposer au Temple de Londres des sommes d'argent destinées sans doute à se ménager l'appui du roi d'Ecosse dans la lutte engagée contre Henri III.
Au commencement du règne de Philippe le Bel, Camus de Meulan, prévôt de Bourges, auquel on reprochait plusieurs méfaits, dut déposer au Temple une somme de 200 livres tournois. Le Parlement, dans la session de la Pentecôte 1290, l'autorisa à retirer la moitié de cette somme et déclara que le reste serait acquis au roi à titre d'amende (Olim).
Par les exemples qui viennent d'être rapportés, on voit que, pendant tout le cours du XIIIe siècle, en France et en Angleterre, les rois et les princes s'accordaient à reconnaître les trésors des Templiers comme des caisses où l'on pouvait, en toute sûreté, consigner des sommes destinées à des payements éventuels, prévus par des traités publics ou par des contrats d'intérêt privé.
III. — Prêts, avances et cautions.
Les capitaux affluaient donc dans les commanderies, et la richesse des Templiers étaient devenue proverbiale. Un poète du XIIIe siècle, Guillaume Anelier, voulant donner une idée des sacrifices que Philippe le Hardi était prêt à s'imposer pour délivrer Eustache de Beaumarchais, lui fait dire qu'il tenterait l'entreprise, dût-il y dépenser tout l'argent du Temple: "Qui enantz me costoria del Temple tot l'argen, Que si trayrai in Estacha del peryllos turmen".L'argent amassé dans les trésors du Temple restait-il improductif ?
Malgré le silence des textes, il est permis d'en douter. Le passage de Joinville qui a été cité plus haut nous montre qu'il y avait des coffres personnels et nominatifs, renfermant des dépôts particuliers, auxquels il n'était point permis de toucher sans le consentement exprès des déposants. Mais ce système d'immobilisation ne devait pas être le régime ordinaire des capitaux confiés aux trésoriers du Temple. Généralement les dépositaires avaient la faculté d'employer sous leur responsabilité les fonds dont ils étaient détenteurs. C'est ainsi qu'ils s'en servaient pour faire des prêts et des avances à des emprunteurs dont la solvabilité leur était connue. En voici un nombre suffisant d'exemples.
A la seconde croisade, ce furent les Templiers qui prêtèrent ou firent prêter au roi Louis VII une partie de l'argent dont il eut besoin en Terre-Sainte. Nous avons deux lettres du roi dans lesquelles il mande à Suger de rembourser aux Templiers les sommes qu'il leur avait empruntées ou que le grand maître de l'Ordre avait empruntées pour lui (Recueil des Historiens).
Le 20 mai 1202, nous voyons Jean sans Terre garantir le remboursement d'une somme de 500 livres, monnaie d'Angers, que son féal Etienne du Perche voulait emprunter aux Templiers(Rotuli).
En 1205, quatre marchands français, Raimond de Cahors, Elie, son frère, Guillaume Avarson et Imbert de Porchet devaient acquitter en Angleterre des droits s'élevant à 20 marcs d'argent, sans doute pour obtenir la licence de débarquer leurs marchandises. Le commandeur du Temple, Alain, fit l'avance de ces 20 marcs (Rotuli). Nous verrons plus loin (Raimond) les mêmes Raimond et Elie de Cahors engagés en France dans une autre affaire avec les Templiers.
Jean sans Terre eut souvent recours au crédit et aux capitaux des Templiers. Le 22 août 1213 il ordonna de payer au maître de l'Ordre en Angleterre 9 marcs d'argent comme remboursement du marc d'or que ledit maître lui avait fourni pour présenter à l'offrande le jour de son absolution (Rotuli).
En 1215 de grosses sommes furent avancées par les Templiers pour le passage des chevaliers Poitevins que le roi appelait à son secours en Angleterre ; Emeri de Sainte-Maure, maître du Temple de La Rochelle, avait à cet effet payé 1,100 marcs que Jean sans Terre ordonna de lui rembourser le 11 avril (Rotuli). Le 13 août suivant, le maître des Templiers de Poitou et de Gascogne fut invité à prêter 1,000 marcs pour les dépenses des chevaliers qui devaient passer en Angleterre (Rotuli). [Le crédit du roi Jean n'était pas alors très solide: pour obtenir des Templiers d'Angleterre un prêt de 1,100 marcs, et de ceux de Poitou un prêt de 2,000 marcs, il fut réduit à la nécessité d'offrir en garantie une quantité d'or qui représentait ces deux sommes d'argent (Rotuli)].
En 1216, la prospérité n'était pas encore revenue dans la maison royale. Le 9 juillet, Jean sans Terre se reconnaissait débiteur d'une somme de 200 marcs que le maître des Templiers d'Angleterre avait payée à sa décharge (Rotuli).
Les plus riches abbayes étaient parfois plongées dans un état de gêne et de dénuement qui les forçait à contracter des emprunts. Le monastère de Cluny eut à traverser une de ces crises au commencement du XIIIe siècle. Innocent III, dans les dernières années de son pontificat, était venu en aide à la puissante abbaye bourguignonne en lui faisant un prêt de 2,000 marcs d'argent. Elle n'était pas sortie d'embarras en 1216. Cette fois-ci elle eut recours au trésorier du Temple à Paris, qui lui prêta 1,000 marcs d'argent sous la caution de la comtesse de Champagne.
Baudouin II, empereur de Constantinople, dut engager, vers l'année 1240, la vraie croix, comme garantie d'une énorme somme d'argent qu'il avait empruntée des Templiers de Syrie.
Le 28 juin 1248, Henri III, roi d'Angleterre, invita le maître du Temple en France à payer 400 livres d'esterlins à Gaucher de Châtillon et s'obligea à en effectuer le remboursement en quatre annuités.
Le 30 avril 1249, Yolande, dame de Bourbon, se trouvant à Limassol dans l'île de Chypre, emprunta aux Templiers 3,750 livres tournois, qui devaient être remboursées à la prochaine foire de Lagny.
Le 16 novembre 1259, Gui de Châtillon, comte de Saint-Paul, reconnut avoir à payer, au mois de février suivant, une somme de 1,000 livres parisis, que le trésorier du Temple à Paris venait de solder à sa décharge à Eustache de Milli.
Eudes, comte de Nevers, mort en 1266, avait emprunté au Temple une somme de 3,000 besans, qui fut remboursée par ses exécuteurs testamentaires.
Geoffroi de Sergines, dont M. Servois a si complètement mis en lumière le dévouement aux intérêts de la Terre-Sainte, avait, lui et son fils, emprunté 3,000 livres tournois aux Templiers ; ils s'étaient engagés à payer une amende de 3,000 livres si le remboursement n'était pas effectué au terme fixé. Tous deux étaient morts sans avoir acquitté la dette, et Isabelle, veuve du fils, s'était remariée à Jean d'Arties. Celui-ci et sa femme, que les Templiers avaient cités devant le Parlement, furent condamnés par défaut à rembourser les 3,000 livres, la cour se réservant de statuer sur la question de l'amende et des dommages et intérêts.
Le 2 septembre 1274, Edouard Ier, roi d'Angleterre, pria Jean, de Tour, trésorier du Temple de Paris, de prêter à deux procureurs qu'il envoyait au Parlement, 200 ou 300 livres tournois, destinées au salaire des avocats dont l'intervention était nécessaire pour le règlement de ses affaires. [Ce même Jean de Tour, en 1281, prêta 1,578 livres parisis au comte d'Artois, qui, pour s'acquitter, lui assigna les revenus de la terre de Domfront]. Le 8 avril 1299, on remboursa au même trésorier un prêt de 340 livres tournois que les Templiers avaient fait à Sicard de Lastic, sénéchal de Carcassonne.
Il était tout naturel que les Templiers intervinssent pour obtenir la mise en liberté des prisonniers de guerre, dont ils avançaient ou garantissaient le payement de la rançon. Le 5 mai 1204, Jean sans Terre, jaloux de faire mettre en liberté un de ses fidèles serviteurs, Guillaume Brewer, le jeune, chargea le maître des Templiers en France de négocier le rachat de ce prisonnier et promit de rembourser au maître du Temple, en Angleterre, le montant de la rançon qu'il aurait fallu payer (Rotuli). [L'année suivante, ce furent deux prisonniers français, "Petrus de Arcanaca" et "Gaufridus de Moher", que les Templiers rachetèrent au roi d'Angleterre moyennant 140 marcs d'argent] (Rotilu). En 1206 ils eurent à payer la rançon de Gérard d'Athies, l'un des hommes de confiance du roi Jean, qui était tombé entre les mains de Philippe-Auguste (Rotuli).
Quelquefois le rôle des Templiers se bornait à garantir le payement de certaines dettes et l'acquit de certaines obligations.
Au mois d'août 1255, quand un traité fut conclu pour un mariage éventuel à faire contracter à Louis, fils aîné de saint Louis, et à Bérengère, fille du roi de Castille, et qu'il fut convenu que les parents de Bérengère, s'ils venaient à avoir un fils, devraient doter leur fille d'une somme de 30,000 marcs d'argent, le payement de cette somme fut garanti par les Templiers et par les Hospitaliers. [En 1259, saint Louis s'étant obligé à payer à Henri III la solde de 500 chevaliers pendant deux ans, on convint que l'exécution de cette clause du traité serait garantie par le Temple ou par l'Hôpital, ou même par les deux ordres réunis.
J'arrête ici la liste des prêts et des cautions demandés aux Templiers. Je passe à un autre emploi de l'argent dont ils avaient l'administration.
IV. — Transmission d'argent. — Payements à distance
Les établissements que les Templiers avaient fondés dans tous les pays de l'Europe et de l'Orient latin, les voyages que leurs compagnies, bien armées et solidement organisées, faisaient continuellement sur toutes les voies de terre et de mer, les mettaient dans d'excellentes conditions pour transporter au loin, avec la plus entière sécurité, de grosses sommes d'or et d'argent, comme aussi pour effectuer des payements sur les places étrangères au moyen de correspondances et de jeux d'écritures, sans avoir à déplacer les fonds.Lors de la deuxième croisade, ce fut aux Templiers que l'abbé Suger confia l'argent qu'il avait à faire passer au roi de France.
La pension de 2,760 livres, monnaie d'Angers, que Henri II, roi d'Angleterre, avait promise à sa belle-fille, Marguerite de France, par un traité du 11 mars 1186, était payable à la commanderie de Sainte-Vaubourg, près Rouen, d'où les arrérages devaient en être portés à Paris par les soins des Templiers et des Hospitaliers.
Jean sans Terre se servait habituellement des Templiers pour effectuer des encaissements et des versements d'argent de France en Angleterre ou d'Angleterre en France.
En 1206, quand il les pria de concourir à la délivrance de Gérard d'Athies, prisonnier de Philippe-Auguste, il les invita à payer à Paris 500 marcs, dont le remboursement devait être fait à l'échiquier à Londres.
En août 1218, il les charge de faire toucher au comte de Salisbury, en Flandre, une somme de 2,000 marcs (Rotuli). Le 22 juillet 1215, il ordonne de rembourser aux Templiers d'Angleterre 1,100 marcs qu'il avait empruntés en Poitou de frère Gérard Brochard (Rotuli).
Le 14 novembre 1215, à Rochester, il reçoit des mains d'un Templier, frère Roger, 26 livres 18 sous d'esterlins que frère Simon de Furnes avait déposés chez les moines de la Trinité de Cantorbéry (Rotuli).
Jean sans Terre recourait parfois à l'entremise des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, qui n'étaient pas étrangers aux opérations de banque. Le 29 octobre 1212, il fit payer à Londres, au maître de l'Hôpital 500 marcs dont il faisait présent au comte d'Auvergne.
Innocent III et Honorius III employaient aussi concurremment les Templiers et les Hospitaliers pour les envois d'argent en Terre-Sainte. Honorius III, dans une lettre du 1er juillet 1220, dit expressément que la charge de convoyer outre-mer le produit du vingtième qui se levait alors ne saurait peser uniquement sur les Templiers, mais qu'elle devait être supportée dans des proportions égales par les deux ordres. On s'adressait à eux parce qu'il n'y avait point d'intermédiaires aussi dignes de confiance. Les Templiers étaient le plus souvent mis en réquisition.
En 1208, Innocent III les chargea de faire passer au patriarche de Jérusalem et aux grands maîtres du Temple et de l'Hôpital une somme d'or valant 1,000 livres, monnaie de Provins.
Par une lettre du 24 juillet 1220, dans laquelle Honorius III rappelle les envois d'argent qu'il avait faits au légat Pélage, évêque d'Albano, nous voyons qu'il lui avait transmis par les Templiers une première fois 5,000 marcs encaissés au Temple à Paris, provenant du vingtième du royaume d'Angleterre, et une autre fois 6,000 onces d'or provenant du vingtième levé en France>.
Le 6 août de la même année, le pape reprochait en termes assez vifs au trésorier du Temple à Paris d'avoir, de son propre chef et sans ordre de la cour romaine, envoyé outre-mer, par des frères de son ordre, une somme de 13,000 marcs d'argent prise sur le produit du vingtième de l'Angleterre.
L'histoire de Henri III nous fournit plusieurs exemples de mouvements de fonds opérés par le moyen des Templiers. En 1224, c'est Alain, maître des Templiers en Angleterre, qui touche les arrérages de la pension assignée sur l'échiquier au vicomte de Thouars (Rotuli).
En 1228, un religieux, muni des pouvoirs de la cour de France, était allé réclamer à Henri III une indemnité pour les habitants de Saint-Emilion; il obtint 150 livres 30 sous d'esterlins ; mais comme il craignait de rapporter lui-même cette somme en France, le roi d'Angleterre offrit de la faire payer au Temple à Paris.
En 1235, Henri III, qui avait promis pour cinq ans une pension annuelle de 800 livres tournois au comte de la Marche, à raison de l'île d'Oléron, s'engagea à verser annuellement 200 livres d'esterlins au nouveau Temple de Londres, moyennant quoi le maître des Templiers d'Angleterre devait faire payer au Temple de Paris la somme de 800 livres tournois due au comte de la Marche.
Le 5 novembre 1257, les ambassadeurs de Henri III à la cour de Rome se firent prêter par des marchands florentins et siennois 540 marcs d'esterlins remboursables au mois de mai suivant au nouveau Temple de Londres.
Les Templiers concoururent largement aux envois d'argent que saint Louis fit en Terre-Sainte après son retour de la croisade. A la Saint-Jean de l'année 1262, ils transmirent 3,004 livres tournois à Geoffroi de Sergines.
En 1267, le trésorier du Temple à Paris eut à rembourser à des banquiers, sur les produits du centième levé en France, une somme de 3,000 livres tournois que Geoffroi de Sergines, avec la garantie du patriarche de Jérusalem, du maître du Temple et du maître de l'Hôpital, avait empruntée pour l'entretien de l'armée chrétienne en Palestine.
En 1266, le duc de Bourgogne envoya de France en Terre-Sainte, par l'intermédiaire des Templiers, une somme de 500 marcs d'esterlins à son fils Eudes, comte de Nevers.
A une date indéterminée, mais comprise entre les années 1272 et 1276, le pape Grégoire X emprunta à des marchands 15,000 marcs d'argent qui devaient être remboursés par le Temple de Paris.
J'hésite beaucoup à faire rentrer dans mon sujet l'emploi que les Templiers faisaient de leurs capitaux en fournissant des fonds aux petits tenanciers du voisinage des commanderies. Dans les archives d'une commanderie normande, celle de Saint-Etienne de Renneville, au diocèse d'Evreux, on rencontre par centaines des chartes du XIIIe siècle relatives aux rentes que des paysans, plus ou moins aisés, s'engageaient à servir aux Templiers comme équivalent des sommes qu'ils en avaient reçues. Mais ce genre de convention étant commun à beaucoup d'établissements religieux, il n'y a guère lieu de s'en prévaloir dans l'intérêt de la thèse que j'ai entrepris de développer.
V. — Recouvrements et payements
Recouvrements et payements pour des clients auxquels étaient ouvert des comptes courants.Ce qui achèvera de mettre en relief le rôle financier des Templiers, ce sera de suivre les opérations de trésorerie dont ils étaient chargés pour le compte et au profit des papes, des rois et des grands barons. Je vais examiner la nature de ces opérations, en prenant successivement chacun des comptes ouverts par les Templiers à leurs principaux clients. Je laisserai provisoirement de côté le compte du roi de France, qui fera l'objet d'un chapitre spécial.
Du moment que les Templiers faisaient des opérations de banque, il était naturel que le pape leur confiât le soin de recevoir, de garder et de remettre à qui de droit une bonne partie de l'argent levé au profit du Saint-Siège dans les différents pays de la chrétienté.
En 1212, maître Pierre Marc, sous-diacre, correcteur des lettres apostoliques, fut envoyé par Innocent III dans le midi de la France pour y recueillir les cens dus à l'Eglise romaine ; il devait mettre ses recettes entre les mains des maîtres des maisons du Temple de la Provence, de Montpellier, de Saint-Gilles et d'Arles, lesquels devaient les faire parvenir au trésorier du Temple à Paris.
La même année, pareille destination fut donnée à 1,000 marcs d'argent, poids de Troyes, que Simon de Montfort, comte de Leicester, avait offerts au pape et qui furent payés par Elie et Raimond de Cahors (Voir plus haut), deux des négociants français que nous avons vus, en 1205, recourir au crédit des Templiers en Angleterre.
Honorius III invita son légat Pandolfe, le 18 août 1220, à envoyer d'Angleterre à Paris le produit du denier de Saint-Pierre et à le déposer chez les Templiers et chez les Hospitaliers.
Grégoire IX, pour avoir le moyen de mettre les Romains à la raison, se réserva les revenus ecclésiastiques dont jouissaient à l'étranger différent clerc de la ville de Rome. Le 9 décembre 1234, il écrivit aux archevêques de Cantorbéry et d'York pour ordonner que l'argent ainsi recueilli en Angleterre fût déposé au Temple de Paris. Ces ressources ne suffirent pas à remettre en équilibre les finances de la papauté. En 1240, Grégoire IX, pour éteindre ses dettes, tira d'Angleterre, d'Ecosse et d'Irlande beaucoup d'argent, qui fut envoyé au Temple de Paris et qui servit à payer les créanciers porteurs de lettres qui établissaient leurs droits.
Le même pape usa d'un expédient analogue pour acquitter une dette de 7,900 livres tournois que le comte de Montfort avait contractée dans l'intérêt de l'Eglise. Il autorisa la levée d'un subside spécial dans les provinces de Vienne, d'Arles, de Narbonne, d'Auch et de Bordeaux et dans les diocèses d'Albi, de Cahors, de Mende et de Rodez. L'argent fut déposé au Temple, à Paris, et l'affaire fut liquidée sous le pontificat d'Innocent IV.
Grégoire X fit mettre, en 1274, au nouveau Temple de Paris le produit du dixième des revenus des ordres de Cîteaux et de Prémontré, en France, qu'il s'était réservé en vue de sa participation personnelle à une prochaine croisade.
Le 18 avril 1285, Honorius IV donna, des ordres pour que le trésorier des Templiers à Paris versât entre les mains de certains marchands une somme de 2,000 gros tournois qu'il avait reçus en dépôt au nom personnel de Martin IV.
Ce fut surtout pour les besoins de la Terre-Sainte, toujours renaissants et jamais satisfaits, que la puissance et l'habileté financière des Templiers furent mis en réquisition. Ils ont été, à vrai dire, les banquiers de toutes les croisades ou tentatives de croisades qu'on vit se succéder sans interruption depuis la fin du XIIe siècle jusqu'à la suppression de l'ordre. Cela résulte clairement de plusieurs des faits que j'ai rapportés dans les chapitres précédents. D'autres particularités le mettront encore plus en évidence.
Henri II, roi d'Angleterre, antérieurement à l'année 1182, date de son testament, avait confié à la garde des Templiers et des Hospitaliers les capitaux qu'il réservait pour la défense du royaume de Jérusalem.
Lors de l'établissement de la dîme saladine, en 1188, il fut convenu qu'un Templier et un Hospitalier feraient partie de la commission chargée de lever la contribution dans chacune des paroisses des États de Henri II.
En 1201, Innocent III ayant décidé qu'on prendrait pour les besoins de la Terre-Sainte le cinquantième du revenu des abbayes de l'ordre de Prémontré, les abbés de Cuissi et du Mont-Saint-Martin furent chargés de veiller en France au recouvrement de l'imposition et d'en faire parvenir le montant au maître et aux frères des Templiers à Paris.
Un prêtre qui, à la suite de la troisième croisade, avait dérobé une relique de la vraie croix fut pris de remords ; pour mettre sa conscience en repos, il versa entre les mains des Templiers une somme qui lui parut représenter la valeur de la relique: "fratribus hoc solvit templi", [FRATIBUS HOC SOLVIT TEMPLI] comme porte l'inscription métrique peinte en 1214 autour d'un reliquaire de la cathédrale de Cologne, qui est passé dans le cabinet de M. Chalandon de Lyon.
Le 10 juillet 1208, Innocent III mit à la disposition du patriarche de Jérusalem et des maîtres du Temple et de l'Hôpital l'aumône de l'ordre de Cîteaux et le produit du quarantième que l'évêque de Paris avait déposé au Temple.
Les Templiers encaissèrent pareillement le vingtième qui fut levé sous le pontificat d'Honorius III, conformément à la décision du concile général de Latran. Ainsi, le 12 novembre 1216, l'abbé de Cluny fut invité à livrer à frère Aimard, trésorier du Temple à Paris, le vingtième des revenus de son ordre. Les évêques de Noyon et de Meaux firent porter au Temple à Paris, en 1219, le produit du vingtième levé les deux années précédentes Le 15 juin 1219, Honorius III invita frère Aimard à transmettre à l'évêque d'Albano l'argent du vingtième qu'il avait encaissé, et qui, suivant une lettre du 1er octobre 1219, était estimé à environ 16,000 marcs.
Les collecteurs du dixième sur les bénéfices ecclésiastiques du royaume de France qui fut levé au profit de saint Louis, à l'occasion de sa première croisade, firent leurs versements au trésor du Temple à Paris. Nous voyons notamment que les collecteurs du diocèse de Paris y déposèrent pendant les trois années de la levée de l'imposition des sommes qui s'élevèrent en total à 14,428 livres 10 sous 3 deniers tournois. Ceux du diocèse de Chartres livrèrent à frère Gilles, trésorier du Temple, 4,5oo livres tournois le 7 septembre 1247 et 1,550 livres tournois le 22 avril 1250 (Idem 61).
Le rachat des voeux des croisés, dans les Etats d'Alfonse, comte de Poitiers, devait arriver partie entre les mains du trésorier de Saint-Hilaire, partie entre celles des Templiers et des Hospitaliers. Alfonse, à qui le pape Innocent IV, par une lettre du 27 octobre 1248, avait donné une partie du produit du rachat des voeux (Idem 62), avait de ce chef, en 1250, une somme de 3,218 livres 13 sous 5 deniers à toucher sur le Temple.
Richard d'Angleterre, élu roi des Romains, avait affecté, par son testament, 8,000 marcs d'esterlins aux affaires de la Terre-Sainte. Grégoire X chargea Raimond de Noyers, son nonce en Angleterre, de demander la délivrance de ce legs au comte de Cornouaille, fils et héritier de Richard, et de déposer l'argent au nouveau Temple de Londres.
En 1281, le pape Martin IV enjoignit à l'abbé de Cîteaux de remettre fidèlement au Temple le produit du dixième levé sur les maisons cisterciennes du royaume de France, conformément à une décision du concile de Lyon.
La même année, l'archidiacre de Brie en l'église de Paris fut invité par le souverain pontife à faire porter au Temple, sur le compte de la Terre-Sainte, l'argent dû par les croisés qui, moyennant finance, s'étaient fait relever de leurs voeux (Lettre du même Martin IV, du 25 octobre 1281). A cette époque, la caisse du Temple renfermait des sommes très considérables provenant principalement de la levée du dixième. On y avait mis de côté plus de 100,000 livres tournois affectées aux frais de la croisade à laquelle le roi devait prendre part. Mais une révolte ayant éclaté dans les Etats Pontificaux, Martin IV décida que, moyennant l'adhésion préalable de Philippe le Hardi, on prélèverait sur ces fonds, à titre d'emprunt, une somme de 100,000 livres destinée à la solde des gens de guerre que le pape faisait recruter en France pour rétablir son autorité méconnue par les habitants de la Romagne. Nous avons les lettres qui furent expédiées à cet effet, le 13 décembre 1282, à l'adressé du roi et du trésorier du Temple (Lettre du même Martin IV, du 13 décembre 1282). L'emprunt dépassa même le chiffre indiqué par les lettres du 13 décembre 1282, s'il faut s'en rapporter à un mémoire postérieur d'environ vingt-cinq ans, dans lequel Philippe le Bel se prétendait créancier de 154,352 livres 7 sous 6 deniers tournois avancés par son père à Martin IV "pour le faict de Romaignole".
Un compte qui fut arrêté le 21 octobre 1283 nous apprend que, depuis la mort de saint Louis jusqu'à la Toussaint 1276, il avait été versé au Temple 75,740 livres 13 sous 4 deniers tournois sur l'ancien dixième, plus 26,744 livres 13 sous 9 deniers tournois provenant du vingtième, du centième, des legs, des rachats et de divers autres produits. Philippe le Hardi, qui disait avoir dépensé 216,276 livres 2 sous 6 deniers, avait reçu du Temple, entre autres sommes, 62,250 livres 12 sous 4 deniers tournois sur la moitié du dixième levé hors du royaume, et 23,838 livres 3 sous 4 deniers tournois sur les arrérages de l'ancien dixième concédé à saint Louis.
Le 29 mai 1297, Philippe le Bel s'engagea à tenir compte aux Templiers de 5,200 livres qu'il leur avait prises sur les fonds destinés à la croisade.
Il n'y a donc aucune exagération à dire que le trésor du Temple a été, pendant tout le XIIIe siècle, la caisse où se centralisaient et s'administraient les ressources financières destinées aux croisades et, aux différents besoins de la Terre-Sainte.
En dehors de la papauté et des croisades, il ne semble pas que les Templiers soient souvent intervenus dans le règlement des affaires temporelles de l'église. C'est à peine si nous devons citer la mission qu'ils remplirent, au commencement du XIIIe siècle, pendant les troubles qui agitèrent l'ordre de Grandmont: elle se borna à toucher des fonds qu'ils remirent entre les mains de maître Gui, archidiacre de Limoges, déjà chargé de la garde du trésor de Grandmont. — Les relations d'affaires que l'abbaye de Saint-Denis entretenait avec le Temple sont attestées par un compte des années 1229 et 1230 et surtout par trois articles d'un journal des années 1295 et 1296, où l'on voit des versements montant à 2,748 livres, faits au Temple par le commandeur de Saint-Denis au nom de l'abbé de Saint-Denis.
Nous sommes beaucoup plus complètement renseignés sur les rapports financiers des Templiers avec les princes, surtout avec ceux de la maison de France.
On verra dans le chapitre suivant que le trésor du Temple à Paris fut le centre de l'administration des finances de la royauté depuis Philippe Auguste jusqu'à Philippe le Bel. Les grands du royaume eurent tout avantage à profiter d'une organisation très régulière et très complète qui les déchargeait de beaucoup de soucis et simplifiait singulièrement l'administration de leur fortune. Les Templiers devinrent ainsi les banquiers de la reine Blanche, des frères ou des fils de saint Louis et de plusieurs autres personnages. Quelques exemples feront apprécier l'importance des affaires qu'ils avaient à conduire en cette qualité.
La reine Blanche.
Les revenus personnels de la mère de saint Louis étaient gérés par les Templiers. Nous possédons le compte qu'ils en rendirent au terme de la Chandeleur 1243 (n. st.),. De plus, les comptes de la fondation de l'abbaye de Maubuisson nous apprennent que la reine Blanche fit acquitter par l'intermédiaire des Templiers la plupart des dépenses qu'entraîna la construction de cette magnifique maison. Le total des sommes que le trésor du Temple fournit pour cet objet, depuis 1236 jusqu'en 1242, ne s'éleva pas à moins de 24,431 livres 15 sous 4 deniers.
Alfonse, comte de Poitiers.
Les textes surabondent pour prouver que les finances d'Alfonse étaient administrées par les Templiers. Nous en avons une série ininterrompue depuis 1245 jusqu'en 1269. Sur un compte de l'hôtel intitulé "Itinera, dona et hernesia", qui correspond à la période comprise entre la Chandeleur et l'Ascension 1245, la recette, montant à 4,358 livres 6 sous 11 deniers, se décompose en deux parties:
Recette venue du Temple, 3,229 livres 5 sous.
Recette non venue du Temple, 1,129 livres 23 deniers.
Des rouleaux qui contiennent les comptes du sénéchal de Poitou pour les termes de l'Ascension et de la Toussaint 1259 et ceux de l'entrepreneur de la monnaie de Poitiers montrent que les comptables s'acquittaient de leurs dettes en versant au Temple l'excédent des recettes sur les dépenses. La même observation peut se faire sur les comptes rendus par le sénéchal de Saintonge à l'Ascension et à la Toussaint 1261.
En 1265, on paya au Temple une portion du fouage levé dans l'Albigeois.
Le 2 octobre et le 13 novembre 1267, Alfonse ordonna de porter au Temple de Paris le produit du fouage qui lui avait été promis par la ville de Toulouse.
Le 1er mai 1268, le même prince enjoignit au sénéchal de Poitou d'apporter ou d'envoyer au Temple à Paris le plus d'argent qu'il pourrait se procurer.
Des comptes de la Chandeleur et de la Toussaint 1269 mentionnent des versements faits au Temple de Paris par le sénéchal de Rouergue et par celui d'Agenais et de Quercy.
Cette même année, Alfonse ordonna de porter au Temple à Paris l'argent provenant d'une finance imposée aux juifs des sénéchaussées d'Agenais et de Quercy.
Charles, comte d'Anjou.
Le 5 janvier 1254 (n. st.), ce prince donna à un chevalier, "Arnulfus de Cison", une rente de 60 livres parisis payable tous les ans au Temple de Paris, le lendemain des octaves de la Toussaint.
Au mois de septembre 1256, Marguerite, comtesse de Flandre, reconnut devoir à Charles, comte d'Anjou, une somme de 160,000 livres tournois, payable au Temple ou dans tout autre endroit de Paris que désignerait le créancier.
En vertu d'une sentence arbitrale prononcée par saint Louis en novembre 1256, Charles devait constituer à Béatrix, comtesse de Provence, une pension viagère de 6,000 livres tournois, payable annuellement en trois termes au Temple de Paris.
En 1277, pour indemniser Marie d'Antioche de l'abandon de ses droits à la couronne de Jérusalem, il assigna à cette princesse, sur les revenus du comté d'Anjou, une rente de 4,000 livres tournois qu'elle devait toucher annuellement à Paris dans la maison du Temple.
Robert, comte d'Artois, et ses héritiers.
Conformément à un engagement pris, en juin 1266, par Robert, comte d'Artois, Pernelle de Courtenai, dame de Sulli, avait à prendre sur le Temple une rente viagère de 2,000 livres.
La dot attribuée à Mahaud d'Artois en 1285, quand elle épousa Othon, comte de Bourgogne, consistait en 10,000 livres tournois que sa famille devait verser au Temple de Paris.
Sur un compte du bailli d'Artois, du terme de la Toussaint 1303, est inscrite une dépense de 6 sous "pour une lettrée qui ala as maistres dou Temple de mil et IIII livres XX sous, empêtrée par maistre Renaut de Louvres", procureur de madame d'Artois.
Robert de France, comte de Clermont.
Jean d'Escanteilli, auquel ce prince avait confié l'administration du bailliage de Charolais, s'acquittait de ses dettes en versant au Temple l'excédent de sa recette, en 1284 et 1285.
Le Journal du trésor du Temple mentionne en 1295 neuf encaissements faits au nom du comte de Clermont ou de son bailli.
Robert, comte de Nevers.
En 1280, le duc de Bourgogne s'obligea à payer annuellement au Temple une somme de 1,000 livres tournois imputable au compte de Robert, comte de Nevers.
Jeanne, reine de Navarre.
Le 12 février 1285, le trésorier du Temple solda entre les mains de Renaut de Nantouillet, chevalier, le prix d'une quantité de blé destiné à la reine de Navarre, belle-fille du roi Philippe le Hardi, dont le douaire avait été assis, au moins provisoirement, sur le trésor du Temple.
L'expérience des Templiers en matière de finances n'était pas seulement reconnue en France. Charles Ier, roi de Naples, choisit pour trésorier un Templier nommé frère Arnoul. Ce fut également à un Templier que l'administration des finances de la Catalogne fut confiée par Jacme Ier, roi d'Aragon, en 1220.
En Angleterre, les Templiers furent les banquiers de Jean sans Terre et de Henri III, comme ils étaient en France ceux de Philippe-Auguste et de saint Louis. On a déjà pu l'entrevoir d'après plusieurs des faits qui ont été rapportés au cours des quatre premiers chapitres de ce mémoire. Il reste à en donner des preuves encore plus décisives.
Le 8 septembre 1202, Jean sans Terre ordonne de verser au Temple de Londres les contributions qu'il invitait le clergé de la province de Cantorbéry à lui fournir (Rymer).
Le 6 octobre 1212, le même roi, sur les 10,000 marcs qu'il avait donnés à garder aux Templiers, prit une somme de 1,000 marcs pour l'envoyer à son neveu l'empereur Othon (Rotuli). L'année suivante, un subside beaucoup plus important fut accordé à l'empereur ; le montant en était consigné entre les mains des Templiers, qui furent avertis, le 28 janvier 1213, d'avoir à payer 8,500 marcs aux procureurs d'Othon et 500 marcs à un certain Simon Saphir, qui les avait avancés (Rymer).
Même après ce prélèvement, le roi d'Angleterre avait un actif considérable au trésor du Temple. Le 31 mai 1213, il en retira 10,000 marcs (Rotuli). Le 22 juin, il y pouvait encore disposer de 20,000 marcs, sur lesquels il donnait pouvoir à Jean, fils de Hugues, et à Fauques de Bréauté de se faire livrer ce qu'exigeraient les besoins de l'État (Rotuli). Le 5 octobre suivant, il se fit envoyer à Rochester 3,000 marcs imputables sur les mêmes fonds (Rotuli). Le 1er janvier 1214, maître Pandolfe, sous-diacre du pape, reçut 6,000 marcs à prendre également sur le compte du roi au Temple (Rotuli).
Le 21 novembre 1214, des pouvoirs furent donnés à Guillaume Cadel, maître des Templiers, pour recouvrer 1,400 livres d'esterlins que les bourgeois d'Ypres devaient à Jean sans Terre (Rotuli).
Le 2 septembre 1215, ce roi s'engageait à servir à sa belle-soeur la reine Bérengère une pension de 1,000 livres d'esterlins, qui était payable à Londres, dans la maison du nouveau Temple.
Nous avons à relever des particularités du même genre pour le règne de Henri III. Le 30 avril 1220, Pandolfe, évêque élu de Norwich, légat du Saint-Siège, ordonna au trésorier et au vice-chancelier du roi de porter au Temple de Londres tout l'argent qu'ils pouvaient avoir dans leurs mains. Vers cette époque, un des agents financiers de Henri III était frère Simon du Temple: en 1221, il gardait 1,000 marcs affectés au douaire de la reine Bérengère (Rotuli) ; le 3 août 1223, il recevait 200 livres destinées aux dépenses du roi (Rotuli) ; cette même année, il touchait la pension que Pierre Sarrasin, citoyen romain, prenait sur le domaine de Londres, en vertu d'une donation de Jean sans Terre.
En 1229 et en 1237, nous trouvons un autre nom de Templier, Hugues de Scocton, attaché au nouveau Temple de Londres; le 3 octobre 1229, Henri III lui fit remettre 500 marcs destinés à Ferrand, comte de Flandre5, et le 2 8 juin 1237, il eut à payer 10,000 marcs aux procureurs de l'empereur d'Allemagne (Rymer).
Ce fut au nouveau Temple de Londres que fut encaissée la contribution du quarantième que les Anglais accordèrent au roi en 1232 sur leur fortune mobilière (Rymer).
Dans un traité conclu le 20 mai 1269, il était stipulé que le roi de France donnerait au roi d'Angleterre la valeur du revenu de la terre d'Agenais et que les annuités s'en paieraient au Temple de Paris. La somme qui devait être ainsi remise tous les ans au roi d'Angleterre fut fixée, en 1261, à 3,720 livres 8 sous 6 deniers tournois (Rymer).
VI. Rapports financiers des Templiers avec les rois de France
Pendant plus d'un siècle, l'histoire du trésor du Temple à Paris est intimement liée à l'histoire des finances du royaume. Il serait fastidieux d'énumérer tous les textes relatifs à la part que prirent les Templiers à l'administration financière sous les règnes de Philippe-Auguste, de saint Louis, de Philippe le Hardi et de Philippe le Bel ; je me bornerai à produire les plus significatifs.Pour point de départ je prendrai le testament de Philippe-Auguste, auquel il faut demander les premiers mots de l'histoire de la plupart de nos institutions administratives. En partant pour la croisade, le roi ordonna que les deniers reçus pour lui pendant son absence seraient portés au Temple, que registre en serait tenu par un clerc nommé Adam et qu'on les enfermerait dans des coffres à plusieurs clefs, dont une serait gardée par les Templiers et les autres par les régents. Dans le compte des revenus du roi en 1202, le Temple est indiqué à chaque page comme le trésor central auquel arrivent les excédents de recette des prévôtés ou des bailliages et d'où sortent les fonds nécessaires pour solder les dépenses non acquittées par les fonctionnaires locaux. Frère Haimard y figure constamment comme chargé du service de la trésorerie. On trouvera dans le chapitre suivant la biographie de ce templier, qui fut l'un des ministres les plus actifs et les plus considérés de Philippe Auguste.
Le compte des revenus du roi pour le terme de la Toussaint 1217 mentionne le payement fait par le Temple d'une somme de 400 livres dont le cellérier de Paris avait eu besoin pour faire face aux dépenses de sa charge
Nous avons peu de renseignements sur les finances de Louis VIII. Du testament qu'il fit au mois de juin 1226 il semble résulter qu'il avait son trésor au Louvre. "Nous donnons, dit-il, à notre fils qui nous succédera, pour la défense du royaume, tout ce que nous avons dans notre tour de Paris, près de Saint-Thomas, en or, en argent et en espèces monnayées".
Sous le règne de saint Louis, le trésor royal est au Temple. Notre regretté et vénéré maître M. de Wailly, qui a le premier fait sortir du chaos l'histoire financière de la France au XIIIe siècle, avait d'abord supposé que le trésor du Temple était simplement une caisse de service, distincte de la caisse centrale ; c'est le système auquel s'est arrêté M. Boutaric. Mais un examen plus approfondi des documents contemporains amena M. de Wailly à changer d'avis et à considérer le Temple comme le véritable trésor royal. Il me semble impossible de ne pas adopter cette dernière opinion, qui est conforme à toutes les pièces authentiques de l'époque. Je vais indiquer celles qui sont les plus faciles à vérifier.
En 1227, le clergé de la province de Sens s'étant engagé à payer annuellement pendant quatre ans, pour l'entreprise de l'Albigeois, une somme de 1,500 livres parisis, il fut décidé que le payement s'en ferait en deux termes chaque année, à Paris, au Temple.
Thibaud de Chartres, Jean Poupin et Amauri Poulain tirèrent du Temple un notable parti de l'argent qui fut dépensé en 1231 dans la campagne de Bretagne.
En 1234, pendant une période d'environ quatre mois, le Temple fournit une somme de 23,504 livres 14 sous parisis pour les dépenses du roi. Sur le compte des prévôts du terme de l'Ascension 1234, nous voyons qu'on demanda au Temple les fonds nécessaires pour la garde des châteaux de Melun, de Nogent et de Montargis, pour l'atelier de Melun, pour les gages des forestiers de Paucourt et d'Orléans, pour les travaux que dirigeait le concierge de Saint-Germain-en-Laye.
Un compte royal de l'année 1238 mentionne des encaissements nombreux et considérables faits au nom du roi par le Temple, notamment les suivants: 1,000 livres, du maire de Beauvais ; 344 livres 6 sous 6 deniers, de la régale d'Orléans ; 2,487 livres, de la régale de Beauvais ; 800 livres, du comte de Bar ; 670 livres 12 sous 7 deniers, de la régale de Châlons ; 319 livres 11 sous, de la vente des garnisons de Champtoceaux
Du 11 mai au 19 septembre 1239, Guillaume de Bray, chargé de la dépense de l'hôtel du roi, retira du Temple, en trente-six payements successifs, la somme de 35,200 livres.
En 1210, s'il fallait en croire des lettres qui circulèrent en Angleterre et que Mathieu de Paris a recueillies, saint Louis, mécontent de l'attitude des Templiers à la bataille de Gaza, leur aurait retiré la garde de son trésor. Comme Lenain de Tillemont était déjà porté à le supposer, il est fort douteux que ce renseignement soit exact. On en pourra juger d'après les textes que nous allons analyser.
Le prix des carreaux que saint Louis fit acheter à Gênes en octobre 1247 devait être acquitté à Paris au Temple, ou bien à Aigues-Mortes, lors de l'embarquement des croisés. L'année suivante, c'est au Temple que le commissaire chargé de préparer l'embarquement et la traversée du roi prenait des fonds.
Saint Louis, quand il campait devant Damiette, procurait de l'argent à ses compagnons en remettant à des marchands de Sienne des lettres de change dont le montant était payable au Temple de Paris dans un délai de cinq mois.
Sur les tablettes du chambellan Jean Sarrasin on suit le mouvement des fonds entre le trésor du Temple et les différents services de la maison du roi. Ce mouvement portait sur des sommes très considérables. Pour une période de vingt et un mois, du 10 février 1266 au 8 novembre 1267, Jean Sarrasin reçut du Temple des sommes dont le total monta à 84,392 livres 1 sou 6 deniers.
Suivant un acte du 3 décembre 1259, le payement d'une somme de 15,000 marcs due par saint Louis à Henri III devait s'effectuer au Temple de Paris, deux mois après que la dette serait devenue exigible.
En 1261, le Temple fournissait l'argent nécessaire à la dépense de Philippe fils aine du roi.
Le 9 mars 1267 (n. st.), saint Louis prit à sa charge une somme de 4,400 livres tournois que devaient emprunter, pour les besoins de la Terre-Sainte le patriarche de Jérusalem, Geoffroi de Sergines et Erard de Valeri ; l'obligation du roi était consignée dans huit pièces différentes, véritables lettres de change, dont chacune représentait une coupure de 300, de 400, de 600, de 700 ou de 800 livres ; le remboursement devait en être fait au Temple à Paris, dans la quinzaine du jour où la lettre serait présentée.
En 1269 le Temple faisait face aux dépenses du comte de Nevers, de la reine Marguerite et des enfants du roi . Le 27 août de cette année, Edouard, fils aîné du roi d'Angleterre, auquel saint Louis avait avancé 70,000 livres tournois, promit de s'acquitter en versant au Temple de Paris des annuités de 10,000 livres assignées sur les produits du péage de Bordeaux.
Avant de quitter le règne de saint Louis, nous devons faire remarquer deux notables particularités de l'administration des finances royales au Temple: la première, c'est l'usage d'y faire siéger les officiers qui recevaient et vérifiaient les comptes ; la seconde, c'est l'extension du service des rentes que le roi créait à titre de dotation, de récompense ou d'indemnité, et qui pouvaient passer de main en main, soit par don, soit par vente, soit de toute autre manière.
Que les comptes aient été reçus au Temple sous les règnes de saint Louis, de Philippe le Hardi et de Philippe le Bel, c'est ce qui résulte clairement des textes suivants:
1° Charte de Jean de Nemours, en mai 1256: "In bursa domini régis Francie in compotis Ascensionis Domini in Templo Parisius".
2° Charte de saint Louis, en décembre 1269: "In compotis nostris Omnium sanctorum Parisius apud Templum".
3° Testament de Philippe le Hardi, en 1270, dans lequel sont désignés les conseillers: "propter scacarios et propter compotos Templi et alios compotos regni nostri faciendos".
4° Arrêt du Parlement rendu en 1272: "Parisius, in compotis Ascensionis apud Templum".
5° Compte ainsi intitulé: "Compotus Henrici de Campo Repulso clerici et Johannis de Atyes, custodis regalium Aurelianensium, factus apud Templum in compotis Candelose anno Domini M CC LXXX".
6° Une des compilations qui nous ont conservé des fragments du registre de Nicolas de Chartres mentionne, pour l'année 1283: "deux arrestz donnés es comptes de la Toussains au Temple".
L'un de ces arrêts, dont le texte nous est parvenu, se termine par une date ainsi conçue: "Datum Parisius, apud Templum, in compotis Omnium sanctorum, inter inquestas expeditas in parlamento quindene Pentecostes, anno Domini millesimo ducentesimo octogesimo tercio".
7° Lettre d'Edouard Ier, roi d'Angleterre, datée du 25 avril 1289: "Philippo, Dei gratia Francie régi, et discretis viris per eundem dominum regem assignatis ad compota regni Francie apud Templum Parisius audienda".
8° Charte de Gautier Bardin, bailli de Vermandois, datée de l'assise de Péronne, en novembre 1298: "de l'auctorité et de l'assentement de nos seigneurs et nos maistres tenans les contes à Paris au Temple, au terme de la feste de Tous sains, l'an de grâce M CC LXXXXIII"
Quant aux rentes assignées sur le Temple, il suffira d'indiquer un certain nombre d'actes relatifs à la constitution, à la suppression ou à la transmission de ces rentes: 1227. Philippe, comte de Boulogne, reçoit du roi une rente viagère de 6,000 livres tournois payable au Temple à Paris.
1256. Jean de Nemours cède à l'abbaye de Barbeaux une rente de 20 livres parisis sur la bourse du roi au Temple. Le roi approuve ce transport.
1259. Etienne de Mont-Saint-Jean reçoit de saint Louis une rente de 300 livres parisis sur le Temple de Paris, comme indemnité pour l'abandon du château de la Ferte-Alais.
En 1270, il vendit la moitié de cette rente à Jean Sarrasin, chambellan du roi.
1259. Saint Louis donne à Pierre de Fontaines, chevalier, 50 livres parisis de rente sur le Temple.
1260. Saint Louis donne à l'Hôtel-Dieu de Paris 10 livres parisis de rente sur le Temple.
1266. Agnès, dame de Bourbon, assigne à Robert, comte de Dreux, une rente de 200 livres sur le Temple.
1270. Saint Louis donne aux aveugles de Paris 30 livres parisis de rente sur le Temple.
1277. Philippe le Hardi donne à son frère Robert, comte de Clermont, une rente viagère de 4,000 livres tournois sur le Temple .
1281. Philippe le Hardi convertit en rente perpétuelle la rente viagère de 50 livres tournois que Guillaume Granche prenait sur le Temple.
1282. Pierre, comte d'Alençon, assigne à sa femme une partie de la rente de 2,000 livres parisis que saint Louis, son père, lui avait donnée sur le Temple.
1284. Philippe le Hardi assoit provisoirement sur le Temple de Paris une rente de 5,000 livres parisis pour le douaire de sa belle-fille Jeanne, reine de Navarre .
1286. Au douaire que Jeanne de Châtillon avait sur le domaine de Manves, Philippe le Bel substitue une rente viagère de 500 livres sur le Temple.
— La même dame, un peu auparavant (juillet 1286), avait vendu au roi le comté de Chartres, moyennant une rente de 3,000 livres tournois sur le trésor royal au Temple.
1287. Philippe le Bel assigne aux chapelains de la Sainte-Chapelle 10 livres tournois de rente sur le Temple.
1287. Philippe le Bel porte à 500 livres tournois la rente viagère de 300 livres que Philippe le Hardi avait constituée sur le Temple au profit de Ferri, duc de Lorraine.
1291. Jeanne, comtesse d'Alençon et de Blois, lègue à Blanche, fille du roi, 500 livres de rente sur le Temple .
1294. Marie, reine de France, donne aux Chartreux de Vauvert une rente de 30 livres parisis à prendre au Temple sur les rentes qui lui avaient été assignées en douaire .
1304. Philippe le Bel donne à Jean d'Oyselier, seigneur de Flagi, une rente de 50 livres tournois sur le trésor du Temple.
Après cette digression sur l'audition des comptes royaux au Temple et sur le service des rentes dans le même établissement, je reprends l'exposé des rapports financiers de la royauté française avec les Templiers au point où je l'avais laissé, c'est-à-dire à la mort de saint Louis.
Sous le règne de Philippe le Hardi, le trésor resta au Temple. La reine mère, Marguerite de Provence, parle, dans deux chartes, de 200 livres parisis de rente que son fils l'avait autorisée à aumôner et qui étaient payables soit au Temple, soit dans un autre lieu où le trésor royal serait déposé.
Philippe le Hardi, aussitôt après la mort de son père, avant de rentrer en France, prit deux mesures relatives au service de la trésorerie. Le 2 octobre 1270, il déclarait, dans un acte solennel, que l'argent non employé par Pierre de la Broce aux affaires du royaume serait déposé et gardé au Temple à Paris. Deux jours après, il prescrivait aux régents du royaume de faire acquitter au Temple les sommes ordonnancés par des lettres royales.
Le parlement de l'Ascension 1272 enjoignit à tous les baillis d'envoyer sans délai au Temple tout l'arriéré de leurs dettes.
— Par une lettre du 24 avril 1272, Philippe le Hardi certifia que, sur la présentation de cette lettre et d'une quittance du pape, une somme de 5,000 marcs serait payée par le trésorier du Temple à Paris.
En 1276, le Temple déboursa 7,300 livres 5 sous tournois pour les frais du voyage de l'infant d'Aragon , 2,724 livres 14 sous 6 deniers pour les dépenses de Robert de Clermont et 1,791 livres 14 sous 6 deniers pour celles des enfants du roi élevés au Louvre.
La même année, il fut chargé d'encaisser 4,000 livres tournois dues par l'entrepreneur de la monnaie de Paris et le montant des contributions imposées à des évêques, à des abbés et à des communes pour l'ost de Navarre.
L'établissement de la domination française en Navarre entraîna des dépenses de toute nature, que supporta le trésor du Temple. C'est de là que sortaient les grosses pensions données par le roi à Jean Nunez. On en tira l'argent nécessaire pour défrayer les députés que la ville de Pampelune envoya à la cour.
Le 17 février 1277 (n. st.), quand Philippe le Hardi donna pouvoir à Eustache de Beaumarchais, gouverneur de Navarre, d'emprunter 15,000 livres tournois, il s'engagea à les faire rendre par le Temple à Paris, dans la quinzaine qui suivrait la demande de remboursement.
Sur le vu d'une cédule du Temple, Gautier Bardin, bailli de Vermandois, reconnut, au mois de février 1277 (n. st.), que l'abbesse de Sainte-Elisabeth de Genlis avait acquitté les droits d'amortissement pour les acquêts faits par elle depuis trente ans dans la prévôté de Chauny.
Ce fut au Temple que, le 23 mai 1279, Edouard Ier, roi d'Angleterre, promit de payer une somme de 6,000 livres parisis pour le rachat du comté de Ponthieu.
Aux comptes royaux de l'Ascension et de la Toussaint 1282 furent portées des sommes considérables dont le payement avait été assigné sur le Temple et qui s'élevèrent à 69,400 livres tournois.
— Le Temple encaissait alors l'argent recueilli par le commissaire chargé d'exploiter pour le roi les mortes mains et les formariages.
Les tablettes de Pierre de Condé, qui se rapportent aux années 1282-1286, font voir que, sous le règne de Philippe le Hardi comme sous celui de saint Louis, le trésor du Temple fournissait la meilleure partie des fonds nécessaires pour la dépense de l'hôtel royal.
Cela résulte surtout de la dernière partie, dite "le tor de table", des tablettes que Pierre de Condé tenait sous la forme de journal et dont il suffit de transcrire ici quelques lignes pour montrer comment le préposé à la dépense de l'hôtel se procurait l'argent exigé par les besoins journaliers de sa charge:
Templum de termino Ascensionis octogesimo quarto.
Johannes de Castellario, per litteram factam Parisius, jovis ante Cineres (17 février 1284), 3,000 livres ad misias Candelosae praeteritae.
A Templo, per litteram factam die Cinerum (23 février 1284), 3,000 livres per Marcellum.
Item, Johannes de Castellario, per litteram factam Parisius, die sancti Maihyae (25 février 1284), 1,200 livres ad misias Candelosae prasteritae.
Item, a Templo, per litteram factam Parisius, die martis post Brandones (29 février 1284), 2,000 livres per Marcellum.
Item, a Templo, per litteram factam Parisius, dominica qua cantatur Reminiscere (5 mars 1284), 3,000 livres, per eumdem.
Item, a Templo, per litteram factam Parisius, lunae ante mediam quadragesimam (13 mars 1284), 3,000 livres.
Philippe le Bel introduisit de profondes modifications dans le service de la trésorerie royale ; mais le trésor du Temple continua à fonctionner dans les mêmes conditions que par le passé, au moins pendant les premières années du règne.
Le Temple fournit la somme de 28,160 livres 72 sous 1 denier parisis, à laquelle s'élevèrent les frais du sacre du nouveau roi.
Le compte des baillis de la Toussaint 1285 nous montre comment le Temple suppléait à l'insuffisance des caisses particulières, quand les comptables ne pouvaient pas équilibrer leurs dépenses avec leurs recettes ; comment aussi le trésorier du Temple faisait effectuer des payements en province par les baillis. Il y a également trace d'encaissements considérables faits par les Templiers.
Dans cet ordre d'idées, le document le plus instructif qui puisse être cité est un compte de la Chandeleur 1287 (février 1288, nouveau style), dont l'original nous a été conservé par Gaignières et qui prouve qu'à cette date l'administration des finances royales était encore à peu près entièrement entre les mains des Templiers. Nous les y voyons prendre part à toutes les opérations de trésorerie. Ainsi:
1° Ils fournissent aux baillis du roi les sommes nécessaires pour achever, quand il y a lieu, de faire face aux dépenses locales ;
2° Ils encaissent le produit de la taille des juifs d'Auvergne, de différentes sénéchaussées, du comté de Chartres, de celui de Champagne, des monnayages de Sommières et de Paris, du dixième levé pour les affaires du royaume d'Aragon ;
3° Ils recouvrent diverses sommes dues, léguées ou restituées au roi.
4° Ils alimentent la caisse où se réglaient les dépenses de l'hôtel du roi et des princes.
5° Ils acquittent une partie des rentes, des pensions, des gratifications et des gages dont les finances royales étaient grevées.
6° Ils avancent l'argent que le roi prêtait à sa grand'mère et à plusieurs barons .
7° Ils soldent les frais de diverses missions diplomatiques ou autres, telles que le voyage de Goubert de Helleville, chevalier, envoyé par Philippe le Bel, avec deux clercs et un arbalétrier, auprès du roi des Tartares ;
8° Ils subventionnent les partisans de la France dans le royaume de Navarre et payent les gens de guerre qui servaient dans ce pays ;
9° Ils remboursent les sommes prêtées par des banquiers italiens et celles que le roi, dans les moments critiques, obligeait ses sujets à lui prêter.
La caisse du Temple est souvent mentionnée dans les comptes de Cepperello Diotaiuti da Prato, banquier italien, receveur des deniers royaux en Auvergne pendant les années 1288 et 1289.
Le produit du dixième que Philippe le Bel fut autorisé en 1289 à lever sur les maisons de l'ordre de Cîteaux, et qui s'éleva à 81,000 livres tournois, fut tout entier versé au Temple ; l'argent d'un autre dixième imposé au même ordre fut livré partie à une compagnie de banquiers italiens, partie au Temple.
Le 29 septembre 1290, le roi ordonna au sénéchal de Carcassonne d'envoyer au Temple de Paris les sommes qu'il pourrait tirer de la taille des juifs.
— En 1291, la ville de Reims versa au Temple 1,546 livres 13 sous 4 deniers dont elle était restée redevable pour le sacre du roi.
Suivant une lettre adressée le 26 mai 1291 par le roi au sénéchal de Carcassonne et de Béziers, ce fut au Temple que dût être porté en 1291 l'argent du dixième. Il s'y trouvait alors 1,800 livres tournois pour la part à laquelle avait été imposé l'archevêque de Tours, récemment décédé.
Le compte de la Chandeleur 1293 (n. st.) indique les sommes que le Temple déboursa pour payer des missions accomplies à l'étranger par les mandataires du roi: un voyage fait en Espagne jusqu'à Séville, par Jean de la Ferté, archidiacre de Bruges, et deux voyages à Gênes de Robert, comte d'Artois.
Le 12 septembre 1303, les gens du roi mandent à l'évêque de Maguelonne d'envoyer le produit du dixième au Temple de Paris.
— Le 7 janvier 1304 (n. st.), le sénéchal de Poitou reçut un ordre pareil pour l'argent provenant des bénéfices ecclésiastiques dont les titulaires avaient quitté le royaume.
Des tablettes, dont les feuillets sont partagés entre la Bibliothèque nationale et la bibliothèque de Reims, prouvent que le Temple intervenait encore en 1303 et 1304 dans le règlement des dépenses de l'hôtel royal.
En janvier 1305 (n. st.), Philippe le Bel faisait payer par le Temple les gages des gens de guerre qui avaient servi dans les établies de Saint-Omer et de Calais.
Beaucoup d'entrées et de sorties de deniers sont portées au nom du Temple sur un compte des bailliages et des prévôtés de France de l'année 1305.
— C'est sur le Temple que furent prises les dépenses des maîtres de l'échiquier de Pâques 1305, qui montèrent à 521 livres 19 sous tournois.
— celles des enfants de la Sainte-Chapelle, depuis le 9 mai 1304 jusqu'au 26 juin 1305.
— celles de maître Denis de Sens, que le roi envoya successivement à Toulouse, à Cîteaux et dans la province de Reims ;
— celles de Jean de Saint-Germain, chargé des messageries et des menus frais de la Chambre des comptes.
— celles de frère Itier de Nanteuil, prieur des hospitaliers en France, qui, par ordre de Philippe le Bel et pour préparer l'élection du successeur de Benoît XI, séjourna à Pérouse du 3i janvier au 29 avril 1305.
— celles, enfin, d'un forestier préposé au transport d'engins fabriqués dans les forêts de Cuise, d'Ourscamp et de Beaulieu.
Le 20 septembre et le 4 octobre 1305, des ordres pressants furent expédiés en Poitou pour faire acheminer d'urgence sur le Temple de Paris tout l'argent provenant de la levée du dixième et des autres impositions.
Nous sommes arrivés à la veille de ce tragique et mystérieux événement, véritable coup d'Etat, qui supprima brusquement un riche et puissant ordre religieux, dont l'influence se faisait encore plus sentir dans le monde politique que dans l'Eglise. Philippe le Bel n'avait pas attendu jusque-là pour soustraire aux Templiers au moins une partie de l'administration de ses finances. Du temps de Philippe Auguste, de saint Louis et de Philippe le Hardi, le trésorier du Temple paraît avoir seul dirigé le service de la trésorerie royale. Philippe le Bel lui adjoignit des fonctionnaires civils dont il avait le choix et qui étaient particulièrement investis de sa confiance. Les trésoriers royaux du Temple figurent expressément dans plusieurs mandements de Philippe le Bel des années 1304, 1305 et 1306.
Une mesure plus radicale et plus hardie consista dans l'institution d'un second trésor placé au Louvre et relevant uniquement du roi. Nous ignorons jusqu'ici la date à laquelle il fut créé ; mais nous le voyons normalement fonctionner depuis 1290, sans qu'on puisse déterminer s'il y eut un partage régulier d'attributions entre le Temple et le Louvre, ou bien si, comme c'est assez vraisemblable, les versements étaient reçus et les payements effectués par l'un ou par l'autre trésor, suivant que le roi et ses ministres le trouvaient à propos. Cette dernière hypothèse semble confirmée par les textes les plus anciens que je puis citer sur l'organisation et le service du trésor du Louvre.
Le 7 janvier 1296 (n. st.), le Louvre reçut en prêt de Jean de Marie, bailli de Bourges, une somme de 1,000 livres, qui lui fut seulement rendue le 4 janvier 1299 (n. st.).
— Les trésoriers du roi au Louvre sont mentionnés deux fois, le 10 avril et le 11 mai 1296, dans le Journal du Temple qui sera inséré à la suite du présent mémoire.
— M. de Wailly a publié quelques morceaux du compte des trésoriers du Louvre pour le terme de la Saint-Jean 1296, et M. Julien Havet a donné en entier celui du terme de la Toussaint de la même année, qui est conservé en original au Musée Britannique.
En 1297, pour la guerre entreprise contre les Anglais, on trouva au trésor du Louvre environ 200,000 livres tournois.
— Cette année, le roi donna à Robert, comte de Boulogne, une rente de 1,000 livres à prendre sur le trésor du Louvre.
En 1298, les receveurs du Louvre donnèrent 16 livres à Jean de la Taille, commissaire député dans le ressort de la prévôté de Paris sur le fait des monnaies prohibées.
Le 8 avril 1299 (n. st.), le trésorier du Temple se fit rembourser par les trésoriers royaux du Louvre, l'abbé de Jouy et ses compagnons, 340 livres tournois dues pour un prêt fait à Sicard de Lastic, sénéchal de Carcassonne.
D'après le compte de la Toussaint 1299, ce fut le trésor du Louvre qui fournit l'argent nécessaire pour les travaux de Poissy (32,600 livres parisis) ;
— pour le passage en Angleterre de la reine Marguerite et pour l'accomplissement de nombreuses missions en France et à l'étranger: notamment celles de G. Bonnet, trésorier d'Angers, à l'échiquier de Normandie et en Champagne.
— de maître Pierre de Belleperche, à l'échiquier, aux jours de Champagne, en Angleterre et à Vaucouleurs.
— de maître Pierre de Flavigni, à la cour de Rome.
— de maître Jean de la Forêt, en Angleterre.
— de Jean de Rougemont, chevalier, à Rome, en compagnie d'un chevalier anglais.
— de maître Guillaume du Rieu (de Rivo), en Angleterre.
— de Mathieu, sire de Montmorency, à Neufchâteau en Lorraine, pour conférer avec les ambassadeurs allemands.
— de Jean de Montigni, près du duc de Bourgogne.
— et enfin de maître Pierre de Monci et maître Philippe le Convers, à la cour du roi d'Allemagne.
En 1302, le Louvre encaissa les finances levées dans les vicomtes de la Basse-Normandie pour l'ost de Flandre.
Un compte de l'année 1304-1305 mentionne des payements faits par le Louvre en 1301 à maître Pierre de Micourt, trésorier de la Sainte-Chapelle, à maître Gilles de Remin, qui avait été envoyé à Rome, en 1297, avec Gilles Aicelin, archevêque de Narbonne, J., archidiacre de Rouen, et Pierre Flote ; au même, pour le voyage qu'il fit à Cahors, à l'occasion de l'élection de l'évêque Raimond Pauchelli ; au même, pour les enquêtes qu'il alla faire à Toulouse, en 1301, avec le vidame d'Amiens et l'archidiacre d'Auge.
Philippe le Bel se servit donc concurremment du trésor du Temple et du trésor du Louvre à partir de l'année 1296. Nous verrons plus loin comment une partie du service de la trésorerie royale continua à fonctionner au Temple après la suppression de l'ordre et comment il fallut recourir à des transactions pour liquider les opérations financières auxquelles les Templiers avaient été employés pour le compte du roi.
VII Trésoriers du Temple de Paris
Le crédit et la prospérité du trésor du Temple à Paris ne pourraient pas s'expliquer, si l'établissement n'avait pas été dirigé par des administrateurs éminents, qui doivent certainement être comptés parmi les grands financiers du moyen âge. La liste que j'en ai pu dresser à partir de l'année 1202 ne semble point offrir de lacune. Elle s'ouvre par un nom qui tient une grande place dans l'histoire administrative de Philippe Auguste et sur lequel je ne craindrai pas de réunir des informations abondantes.Frère Haimard, dont l'origine ne nous est pas connue et qui semble avoir eu un moment le titre de commandeur des maisons du Temple en France, remplit la charge de trésorier du Temple à Paris depuis 1202 jusqu'en 1227. En cette qualité, il eut la haute main sur les finances royales pendant plus d'un quart de siècle.
D'après le compte général des revenus du roi en 1202, c'est frère Haimard qui encaisse l'argent dont chaque comptable était resté débiteur après avoir acquitté les dépenses auxquelles il devait faire face.
— En février 1203 (n. st.), Philippe Auguste mande à la comtesse de Champagne de payer à frère Haimard 250 livres en monnaie de Provins.
— Après la conquête de la Normandie, ce fut frère Haimard qui, au nom du roi, s'entendit avec les barons de la province pour régler le cours des monnaies dans les pays nouvellement réunis à la couronne et pour y ménager la substitution des deniers tournois aux deniers angevins.
— En 1209, il fut témoin de l'engagement que le comte d'Eu prit, pour lui et pour ses frères, de servir fidèlement Philippe Auguste.
— Innocent III le chargea, au mois de septembre 1212, de recevoir les sommes recueillies pour lui dans le midi de la France.
— Il présida les sessions de l'échiquier de Normandie à Pâques 1213 et à Pâques 1214.
— Guillaume, évêque élu de Meaux, eut une conférence, en 1214, avec frère Haimard sur l'association que son prédécesseur avait faite avec la comtesse de Champagne pour la fabrication de la monnaie.
— Frère Haimard dut, vers cette époque, faire un voyage en Italie, car il eut une entrevue avec Innocent III après le concile de Latran.
— En 1216, il prêta 1,000 marcs d'argent à l'abbaye de Cluny, sous la garantie de la comtesse de Champagne. Il n'avait guère à craindre de n'être pas remboursé ; car, le 12 novembre de cette année, Honorius III le chargeait de recevoir le produit du vingtième des revenus de l'ordre de Cluny.
— En juin 1217, Philippe Auguste enjoignit au maître des Templiers et à frère Haimard de supprimer des fossés dont se plaignaient les bourgeois de Péronne.
— En 1218 et 1219, trois arbitrages sont confiés à frère Haimard, le premier par les moines de Molême et les Templiers, le deuxième par le comte de Blois et la comtesse de Chartres, le troisième par Gui d'Auxerre et l'abbé de Saint-Denis.
— En 1219, c'est lui qui donne décharge aux comptables qui versaient les deniers royaux au Temple. Honorius III lui adressa plusieurs lettres le 15 juin 1219, le Ier juillet et le 6 août 1220.
— Au mois de mars 1221 (n. st.), frère Haimard figure à la cour du roi dans un acte très solennel relatif à une procédure engagée contre l'évêque de Paris au sujet du Clos Bruneau.
— En 1222, il garantit l'observation d'un engagement pris par Thibaud, comte de Champagne.
Ce qui montre la considération dont frère Haimard était entouré, c'est que Philippe Auguste le choisit, au mois de septembre 1222, pour l'un de ses trois exécuteurs testamentaires. Un semblable témoignage de confiance lui avait été donné en 1218 par la reine lngeburge, et à une époque indéterminée par Gautier, chambrier du roi. Il prend encore le titre de trésorier de la maison du Temple à Paris dans un acte du mois d'août 1227, par lequel il lève une hypothèque mise sur une maison de Troyes, comme garantie d'une dette de Foulques de Sens.
Sur le sceau de frère Haimard, dont deux exemplaires nous sont parvenus, on voit l'empreinte d'une pierre qui semble représenter un sujet mythologique, probablement un faune.
A frère Haimard succéda comme trésorier de la maison du Temple et comme dépositaire des deniers du roi, frère Jean de Milli. Le titre de trésorier du Temple lui est formellement attribué dans le procès-verbal de l'enquête à laquelle le poids de Rouen donna lieu en 1253. Il était en fonctions en 1228 et en 1234. Le 21 septembre 1228, Henri III, roi d'Angleterre, promit d'envoyer à Paris, à frère Jean de Milli, une somme d'argent destinée aux habitants de Saint-Emilion. Le bailli de Gisors, en 1234, fit entre les mains de frère Jean des versements constatés par les comptes du terme de l'Ascension.
Après frère Jean de Milli nous trouvons frère Gilles ou Gillon, dont l'exercice comme trésorier se place entre les années 1236 et 1250. Il figure sur le compte des prévôts et des baillis de France à la Chandeleur 1236 (n. st.), sur les comptes de la fondation de l'abbaye de Maubuisson, depuis 1236 jusqu'en 1241, et sur un compte royal de 1239. Frère Gilles fut pris comme arbitre en 1240 pour terminer un différend entre les juifs et le seigneur de Saint-Verain. Il reçut le produit du dixième levé à partir de l'année 1247 sur les églises de France pour subvenir aux dépenses de la croisade de saint Louis. Le 12 juillet 1250, il fut témoin de l'hommage que le seigneur de Chevreuse rendit à l'évêque de Paris. Vers la même époque, il eut à faire une enquête pour vérifier si de petits bois situés près des forêts "de Logyo et de Chomontois" pouvaient être vendus sans l'autorisation du roi. Il fut pris comme arbitre dans les débats auxquels donna lieu la succession d'Ameline d'Auxerre, femme de Guillaume Savore.
Il faut peut-être voir un trésorier adjoint dans ce frère Guillaume entre les mains duquel, en 1237, le maire et la commune de Crépy-en-Laonnois durent verser, dans la maison du Temple à Paris, une somme de 200 livres parisis.
Des textes du 15 février 1257 (n. st.), du 27 juin suivant et des années 1259 et 1261 donnent le titre de trésorier du Temple de Paris à frère Pierre Bouceau.
Le deuxième de ces textes mentionne en 1257 frère Bienvenu comme associé à frère Pierre Bouceau dans la charge de trésorier du Temple.
— Ce dernier nous montre le même Pierre assisté en 1261 par frère Nicolas.
Frère Hubert, trésorier du Temple à Paris, nous est connu par trois actes, deux des mois d'avril et novembre 1270, le troisième du mois de février 1272 (n. st.). Il est cité dans les procès-verbaux d'interrogatoire des Templiers, comme ayant pris part à la réception de deux frères, l'un en 1270, l'autre un peu plus tard. D'après ces témoignages, dont l'authenticité est irrécusable, il faut corriger une note du XVIe siècle consignée dans un registre du grand prieuré de France et ainsi conçue: "En l'an 1222, le 29 mars, trépassa frère Hubert, trésorier de la religion des Templiers, et fut enterré en l'église du Temple de Paris devant le crucifix, lequel trésorier fist faire la tour et les logis du Temple et aultres ediffices, comme il appert en l'épitaphe dessous sa tumbe".
La mort du trésorier Hubert ne saurait être de l'année 1222, puisqu'il était encore en fonctions au commencement de l'année 1272 ; mais il avait déjà un successeur en 1274, comme nous allons le voir dans un instant.
Il est bien possible que la date M CC LXXII, inscrite sur une dalle funéraire ait été prise pour M CC XXXII, et que la mort de frère Hubert doive être rapportée au 29 mars 1273 (n. st.). Cette date est importante à établir ; c'est elle, en effet, qui permet de fixer l'époque de la construction de cette tour du Temple à laquelle sont attachés tant de souvenirs de notre histoire. Le baron de Guilhermy, trompé par la fausse date qu'on assignait à la mort du trésorier frère Hubert, voyait dans la tour du Temple une construction du commencement du XIIIe siècle. Cet édifice avait dû être élevé vers les années 1265 ou 1270. Il est donc tout naturel de le voir appelé "Novum Templum Parisius" dans une lettre de Grégoire X, du 3i juillet 1274, dont les termes sont reproduits par Martin IV dans une lettre du 19 juin 1282.
Un passage du continuateur de Gérard de Frachet vient à l'appui de la date que je propose d'assigner à la tour du Temple. Il y est dit que la construction de la tour était due au trésorier Jean de Tour. Or frère Jean de Tour a été d'abord le lieutenant, puis le successeur de frère Hubert. On s'explique aisément que l'opinion publique lui ait fait honneur d'un édifice commencé à coup sûr pendant qu'il était trésorier adjoint et terminé vraisemblablement pendant qu'il était trésorier en titre. L'administration de Jean de Tour a d'ailleurs été fort longue, de 1274 à 1302, ou environ ; il nous en est parvenu beaucoup de monuments.
Jean de Tour était originaire ou du moins tirait son nom de la paroisse de Tour, aujourd'hui Saint-Prix, canton de Montmorency, sur le territoire de laquelle se trouvait la maison de "Rubelles", dépendance du domaine de "Cernay", membre de la commanderie de Louviers-Vaumion. Il paraît avoir été frère de Gautier de Rubelle. Il avait débuté par être trésorier adjoint, "subthesaurarius", et il assista en cette qualité, vers l'année 1270, à la réception d'un frère, dans la grande chapelle du Temple à Paris. Au mois de mai 1272, il est encore simplement appelé "frère Jahan, du trésor de la meson de la chevalerie du Temple de Paris". Mais à partir de l'année 1274, il a le titre de trésorier. Le 2 septembre de cette année, Edouard Ier, roi d'Angleterre, le pria de faire un prêt aux procureurs qu'il envoyait à Paris pour suivre ses affaires au Parlement.
En 1281 il avança de l'argent au comte d'Artois.
Au mois de février 1281 (n. st.), il avait entre les mains une lettre de l'official de Paris relative à une vente qu'un bourgeois de Paris avait consentie au profit de l'abbaye de Longpont.
Philippe le Hardi avait fait saisir les biens acquis par les Templiers depuis trente ans et non amortis ; la saisie fut levée le 7 juillet 1282, aussitôt que le trésorier frère Jean de Tour se fut porté garant du payement des droits d'amortissement qui pouvaient être dus au roi.
Vers l'année 1283, frère Jean de Tour adressa un rapport au pape sur l'état des fonds que le trésor du Temple avait encaissés pour les besoins de la Terre-Sainte.
— Le Ier mars 1284 (n— st.), il assista au jugement de la cour du roi qui débouta Charles d'Anjou de ses prétentions à la succession d'Alfonse, comte de Poitou.
— Il intervint en 1284 dans un acte de l'abbaye de Barbeaux, et le 28 juillet 1285 il donna une décharge générale à Renier Accorre, ce grand financier florentin sur lequel M. Bourquelot a composé une notice très complète.
A la date du mois de juillet 1293, nous avons une pièce émanée de "frère Jehan de Tour", trésorier de la maison de la chevalerie du Temple de Paris ; elle est rédigée en français, et c'est d'après elle que j'ai cru pouvoir adopter le nom de "Tour" pour rendre la dénomination de "Turno" que fournissent la plupart des textes latins. La forme de Tour est encore justifiée par deux chartes des années 1277 et 1282 et par les témoignages du continuateur de Guillaume de Frachet et de Guillaume de Nangis, qui s'accordent pour désigner le trésorier du Temple par les mots Johannes de Turo.
Une charte de Philippe le Bel, en février 1295 (n. st.), fut accordée à la requête du trésorier frère Jean de Tour.
— Un acte de la même année est revêtu du sceau de frère Jean, trésorier du Temple à Paris, sur lequel on distingue l'empreinte d'une pierre antique, accostée de deux tours et accompagnée de huit fleurs de lis.
— Le trésorier frère Jean de Tour, au nom duquel une quittance fut délivrée le 8 avril 1299, semble avoir conservé ses fonctions jusqu'en 1302. Cela me paraît résulter des termes dans lesquels il est rendu compte de réceptions de Templiers célébrées selon toute vraisemblance en 1300, en 1301 et en 1302.
Frère Jean de Tour mourut avant la suppression de l'ordre des Templiers. Sa sépulture ne fut pas respectée par les persécuteurs: telle était la rage dont ils étaient animés qu'ils voulurent solennellement réduire en cendres les restes mortels de l'ancien trésorier.
Un moment, vers l'année 1290, Jean de Tour avait eu pour lieutenant dans sa charge frère Nicolas le Flameng. Il eut pour successeur un homonyme, frère Jean de Tour qui, suivant ses propres interrogatoires, était né vers l'année 1251 et avait été reçu dans l'ordre vers l'année 1276, par son prédécesseur frère Jean de Tour. Je ne puis rien dire de la courte administration du dernier trésorier du Temple de Paris. C'est peut-être lui qui, sous le titre de "le trésorier du Temple", figure parmi les gens du roi qui siégèrent à l'échiquier de Pâques 1306 et qui publièrent le 23 avril de cette année une ordonnance sur les devoirs des baillis de Normandie. Au moment de l'arrestation des Templiers, frère Jean de Tour était avec les gens du roi à l'échiquier de la Saint-Michel 1307. Parmi les dépenses de cette session on remarque une somme de 40 livres tournois payée au sergent d'armes qui, avec une escorte de quatre sergents du Chatelet, amena de Rouen à Paris frère Jean de Tour, ci-devant trésorier du Temple.
L'administration du dernier trésorier du Temple de Paris donna naissance à une légende que nous a conservée le chroniqueur François Amadi et qui paraît dénuée de tout fondement. Suivant cette légende, Philippe le Bel aurait emprunté à la caisse du Temple une somme de 400,000 florins d'or ; le prêt ayant été fait à l'insu du grand maître Jacques de Molay, le trésorier aurait été chassé de l'ordre, et le roi, malgré de pressantes démarches, n'aurait pas réussi à lui faire obtenir son pardon et se serait vengé du grand maître en complotant avec le pape la ruine de l'ordre.
Le catalogue des dignitaires dont je viens de rétablir les états de service peut donc être ainsi provisoirement dressé:
1202-1227. Frère Haimard.
1228-1234. Frère Jean de Milli.
1236-1250. Frère Gilles ou Gillon.
1237. Frère Guillaume, probablement lieutenant du trésorier.
1257. Frère Bienvenu, concurremment avec le suivant:
1257-1261. Frère Pierre Bouceau.
1261. Frère Nicolas, assistant.
1270-1272. Frère Hubert.
Vers 1270. Frère Jean de Tour, premier du nom, sous-trésorier.
1274-1302. Frère Jean de Tour, premier du nom.
Vers 1290. Frère Nicolas le Flameng, lieutenant du trésorier.
1307. Frère Jean de Tour, second du nom.
Ce ne sont pas les seuls membres de l'ordre du Temple que la confiance des rois ait appelés à s'occuper de l'administration du royaume pendant le XIIIe siècle. On en pourrait assurément citer plusieurs autres. Je me borne à mentionner le flamand frère Arnoul de Wisemale, qui fut commandeur de la maison de Reims et qu'un obituaire contemporain qualifie de grand homme de la cour du roi de France. Il faut laissera d'autres le soin de rechercher la part qu'il a prise à différents actes du gouvernement de Philippe le Bel.
VIII — Journal du Trésor du Temple en 1295 et 1296
S'il pouvait rester des doutes sur le caractère et l'importance des opérations financières des Templiers, ils seraient levés par la lecture d'un document qui appartient à l'administration de l'avant-dernier trésorier et dont je n'ai point parlé jusqu'ici parce qu'il méritait d'être examiné à part et en détail.C'est un cahier de huit feuillets de parchemin, étroits et allongés (330 millimètres sur 115), que je remarquai, il y a une trentaine d'années, en mettant en ordre, sous la direction de M. de Wailly, des débris de toute nature provenus des archives de la Chambre des comptes et échus à la Bibliothèque nationale à la veille de la Révolution. Je le fis alors entrer dans la composition d'un recueil de fragments d'anciens comptes, aujourd'hui n° 9018 du fonds des manuscrits latins, dont il forme les feuillets 35-42.
Sur ces huit feuillets, dont le contenu sera textuellement reproduit à l'Appendice, on a consigné une série d'encaissements et de payements effectués depuis le 19 mars 1295 jusqu'au 4 juillet 1296. Le document est absolument dépourvu de titre ; mais c'est à coup sûr un registre tenu pendant dix-huit mois à un guichet du trésor du Temple. Les 222 articles dont il se compose sont tous rédigés sur un plan uniforme. Chacun d'eux commence par la date, suivie du nom du templier qui ce jour-là était de service à la caisse: frater Balduinus, frater Bertaudas, frater Johannes, frater Martinus, ou frater Renerus. Ce dernier nom nous est d'ailleurs connu comme étant celui d'un caissier du Temple: c'est entre les mains du Templier frère Renier que les trésoriers du roi au Louvre acquittèrent le 8 avril 1299, une dette de Sicard de Lastic, sénéchal de Carcassonne (1). Premier indice que notre document appartient à la comptabilité du Temple.
Après la date et le nom du caissier, sont énoncés les divers encaissements de la journée: montant du versement, nom du déposant, origine de l'argent déposé, nom de la personne au compte de laquelle la somme versée doit être portée, indication du registre sur lequel la recette a été constatée. Tels sont les renseignements que le Journal donne à peu près sur chacun des encaissements. La nature et le cours des deniers qui entrent dans le trésor sont souvent spécifiés en détail (2). Les versements faits au nom d'une quarantaine de commanderies tiennent une grande place dans le Journal: il n'en aurait pas fallu davantage pour autoriser l'attribution du document à l'ordre des Templiers.
A côté des recettes figurent, mais en petit nombre, quelques dépenses, ne montant jamais à des sommes considérables. Il devait y avoir un guichet spécial pour la sortie des deniers.
Le total de la recette de chaque journée, ou l'excédent delà recette sur la dépense, était immédiatement porté à une caisse centrale, opération qui est constatée par la formule "Solvit in turre". Cette tour était évidemment celle du Temple de Paris, la fameuse tour du trésorier Hubert, dont la soeur est mentionnée au Journal comme ayant reçu le 6 juillet 1295 une somme de 4 livres (3).
Le caractère que j'attribue au registre dont il y a des fragments dans le manuscrit latin 9018 est donc surabondamment démontré.
Ce qui frappe en parcourant ce registre, c'est le nombre et la condition des personnes qui font des versements, soit en leur nom, soit au nom de personnes qu'elles représentent. J'ai noté plus de soixante comptes qui sont expressément désignés par la formule super talem, comme ayant été crédités de sommes versées entre les mains du caissier, par exemple:
Dies dominica. Frater Johannes.
— De domino Montis Morenciaci, "per ejus capellanum", 253 libras 10 solidos, super regem, in libro Ascensionis XCV°.
Ce qui signifie: "Le dimanche 15 mai 1295, frère Jean a reçu du sire de Montmorenci, représenté par son chapelain, une somme de 253 livres 10 sous, qui a été mise à l'actif du roi, au livre ouvert pour le terme de l'Ascension".
Les parties dont les comptes sont ainsi mentionnés par la formule "super talem" peuvent se rattacher à cinq catégories bien distinctes:
1° Différents officiers de l'ordre du Temple, tels que le maître (4), le trésorier et les commandeurs des maisons qui dépendaient du Temple de Paris ou qui étaient avec lui en relations d'affaires ;
2° Différents dignitaires ecclésiastiques: le cardinal légat (5), l'abbé de Saint-Denis, le prieur de Villeneuve-Saint-Georges.
3° Le roi, les officiers de la maison royale, tel que l'aumônier, et surtout les fonctionnaires chargés de recueillir les deniers royaux: le prévôt de Paris, les baillis d'Auvergne, d'Orléans, de Senlis, de Sens, et de Vermandois; il n'y a aucune allusion aux baillis de Normandie, dont l'argent, réuni à Rouen lors des sessions de l'Echiquier, devait être versé soit à un autre guichet ou à la caisse centrale du Temple, soit au trésor du Louvre ; on peut aussi faire remarquer que, pour la période postérieure au 20 février 1296, nos fragments de Journal ne mentionnent aucun versement fait par les baillis royaux.
4° Les membres de la famille royale et leurs agents: le bailli de la reine, le comte de Clermont et le bailli de Clermont.
5° De grands feudataires et diverses personnes appartenant à la noblesse et à la bourgeoisie, que le registre mentionne sous les dénominations suivantes:
Dux Brebantie
Dominus Erardus de Monte Morenciaci
Magister Galterus
Dominus Gilo de Roissiaco
Girardus Biscoli
Guiardus de Latigniaco
Guillelmus Bourdon
Dominus Guillelmus de Malliaco Castro
Guillelmus de Roissiaco
Guillotus Bercherius
Relicta J. de Auribecco
J. de Braya, dictus Cuvier
Dominus J. de Haricuria
J. de Momeliant
Magister J. de Planci
Dominus J. Poucin
Johannes Minagerius
Lappus Pati
Lucas Renardi
Matheus de Malo Repastu
Petronilla de Cambio
Petrus de Moncuc
Petrus Rabost
Radulfus Messent
Dominus Robertus de Belvaco
Robertus Carpentarius
Robertus de Quarrello
Robertus de Villa nova
Executores Symonis Speciarii
Thomas de Ulmeyo
Villa Mesnilii.
La comptabilité du trésor du Temple était tenue avec une simplicité qui n'excluait pas un certain luxe d'écritures ; elle était organisée de façon à accuser toujours nettement l'actif et le passif de chacune des parties auxquelles des comptes étaient ouverts. De là, des registres spéciaux, tenus en même temps que le Journal, et sur lesquels étaient relevées, suivant la nature des opérations et groupées sous le nom des différents créanciers ou débiteurs, toutes les sommes que le caissier recevait ou payait pour le compte des clients de la maison. Aucun de ces registres ne nous est parvenu, aucun fragment n'en a encore été signalé ; mais l'existence en est attestée à chaque ligne du Journal dont je m'occupe en ce moment. C'est ainsi qu'on y peut distinguer une dizaine de registres ou de catégories de comptes, qu'il importe d'énumérer ici, en mentionnant les articles du Journal par lesquels ils sont connus. Pour chacun d'eux je citerai en note deux ou trois exemples.
"In magnisfralrum" (6). Articles 11, 25, 52, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 85, 133, 162, 163, 165, 166, 167, 168, 172, 189, 194, 203, 205, 212, 216, 219, 220, 221, 222.
Sous cette rubrique se rangeaient les gros revenus des commanderies.
"In parvis fratrum" (7). Articles 18, 37, 52, 62, 63, 67, 74, 92, 100, 105, 107, 109, 144, 151, 156, 164, 165, 171, 186, 197, 210, 216, 222.
Cette dénomination s'applique à des sommes accidentellement reçues pour le compte des Templiers et qui avaient parfois une affectation spéciale.
"In libro piloso" (8). Articles 18, 49, 81, 91, 127, 132, 136, 184, 192, 202, 205.
Toutes les sommes inscrites au Livre pelu, à l'exception d'une seule (article 91), avaient été encaissées au nom du commandeur de Lagny-le-Sec: "super preceptorem Latigniaci Sicci".
"In libro" (9). Articles 33, 122 et 133. Ces trois articles se rapportent à des versements effectués au nom du prévôt de Paris et du bailli de Vermandois.
"In magno libro" (10). Articles 9, 22, 25, 32, 33, 37, 38, 43, 47, 58, 139, 156. Le dernier de ces articles vise le compte du maître de l'ordre des Templiers ; deux, les N° 25 et 139, le compte du bailli d'Auvergne ; tous les autres, les comptes de Robert de France, comte de Clermont, et ceux du bailli de ce prince.
"In veteri libro" (11). Articles 78, 101, 119, 172, 178, 180, 197 et 198, articles qui peuvent tous avoir trait aux finances particulières des Templiers.
"In parvo libro veteri" (12). Articles 51, 84, 91, 94, 109, 112, 125 et 202. En renvoyant au Petit livre vieux, qui semble avoir été surtout relatif à la fortune des Templiers, les rédacteurs ont distingué des inscriptions faites, les unes dans la première partie (in parvo libro veteri, in prima parte, articles 26 et 206), les autres à la fin du registre (in parvo libro veteri, in fine, articles 11 et 157).
"In parvo libro novo" (13). Le Petit livre neuf était peut-être aussi un registre spécialement consacré aux revenus des Templiers. Les articles du Journal qui renvoient à ce registre désignent toujours le feuillet ou le chapitre contenant l'inscription à laquelle le renvoi s'appliquait. Voici, en chiffres romains, le relevé des feuillets ou chapitres du Petit livre neuf, suivi de l'indication en chiffres arabes des articles du Journal où se trouve la mention de chaque feuillet ou chapitre.
III. Article: 16.
IIII. Article: 131
VI. Article: 128.
VII. Article: 198.
IX. Articles: 17 et 41.
X. Article: 23.
XII. Article: 40.
XIII. Articles: 39, 112, 134, 135 et 193.
XIIII. Articles: 65, 90, 110, 126 et 131.
XV. Articles: 19 et 115.
XVI. Articles: 2, 23 et 114.
XVII. Articles: 66, 104, 109 et 196.
XVIII. Articles: 33, 50 et 53.
XIX. Articles: 126, 158 et 201.
XX. Articles: 64, 80, 84, 99, 111, 112, 124, 158, 219 et 222.
XXI. Articles: 106, 176 et 214.
Les inscriptions devaient être disposées dans le Petit livre neuf de façon à présenter dans un même paragraphe ce qui concernait une même créance. Ainsi sous le n° XIIII on trouvait le relevé de quatre versements faits le 4 juillet, le 15 septembre, le 5 et le 26 novembre 1296, sur les produits de la terre de "Basiliacum" (articles 65, 90, 110 et 126 du Journal).
De même, sous le n° XVI, trois versements faits le 20 mars, le 2 mai et le 9 novembre 1295, au nom de la veuve d'Adam Troterel (articles 2, 23 et 114 du Journal).
Enfin, sous le n° XVIII, quatre versements faits le 16 mai, le 9 et le 16 juin 1295, par Renier le Flameng (articles 33, 50 et 53 du Journal).
Il y avait une série particulière de numéros pour la seconde partie du Petit livre neuf: In parvo libro novo, in secunda parte (14).
Voici quels sont ceux de ces numéros auxquels renvoient différents articles du Journal.
II. Article: 39.
IIII. Article: 26.
VI. Articles: 20, 52, 67 et 213.
VII. Articles: 51, 52, 71, 102, 103, 200 et 215.
XVII. Article: 177.
XXIIII. Articles: 165 et 222.
In parvis ad vad (15). Le dernier mot de cette rubrique est toujours en abrégé dans les fragments du Journal que nous avons recueillis ; je ne sais s'il doit être lu "ad vadimonia", et si le compte ainsi désigné était un relevé de sommes versées pour acquitter des engagements d'une assez minime importance. Ce compte est cité aux articles 14, 48, 87, 118, 126, 147, 156, 157, 179, 185, 187, 190, 199 et 207 du Journal. L'article 173 porte in parvis ad vad novis.
In libro ad debetur (16). Ce registre est très fréquemment cité dans le Journal, avec renvoi aux feuillets ou aux chapitres dont il se composait:
III. Article 121.
XLIIII. Articles: 117.
L. Article: 129.
LII. Article: 23.
LII. Articles: 3 et 158.
LXIII. Article: 135.
LXVIII. Articles: 21, 119, 127 et 145.
LXIX. Articles: 11, 66 et 146.
LXX. Article: 127.
LXXI. Articles: 88, 127, 132 et 146.
LXXII. Article: 29.
LXXIIII. Article: 89.
LXXVI. Articles: 63 et 72.
LXXVIII. Article: 127.
LXXIX. Article: 2.
LXXX. Articles: 1, 64, 65, 66 et 124.
LXXXI. Articles: 113 et 143.
LXXXII. Articles: 4, 16, 31, 45, 48, 76, 79, 82, 116, 137, 175, 216 et probablement 218.
LXXXIII. Articles: 27, 53, 63, 81, 93, 120, 121, 130, 145, 149, 157, 162, 167, 178, 181, 182, 204 et 209.
LXXXIIII. Articles: 95, 135, 161 et 170.
LXXXV. Article: 150.
LXXXVI. Article: 185.
LXXXIX. Articles: 150, 152, 153, 183, 191 et 197.
XC. Article: 154.
XCIII. Articles: 174, 179, 180, 192 et 222.
XCIIII. Articles: 102, 188 et 205.
XCVII. Article: 151.
CI. Article: 169.
CVII. Articles: 141, 157 et 170.
Une seule fois le Journal (article 42) renvoie en termes vagues au "Liber ad debetur".
Ad debemus. Nous avons seulement sept mentions de comptes désignés par la simple formule ad debemus (17): articles 69, 65, 74, 78, 83, 137 et 168. Partout ailleurs les mots "ad debemus" sont suivis de l'indication d'un des trois termes de payement employés dans la comptabilité du Temple comme dans celle du roi (18), la Chandeleur, l'Ascension et la Toussaint. Le Journal mentionne des encaissements portés:
Ad dehemus Ascensionis XCIIII (19). Articles 12, 28, 30, 48 et 60.
Ad dehemus Omnium sanctorum XCIIII (20). Articles 2, 10, 55 et 118.
Ad dehemus Candelose XCIIII (1295, n. st.), (21). Articles 7, 38, 46 et 48.
Ad dehemus Ascensionis XCV (22). Articles 32, 34, 35, 36, 52, 62, 74, 75, 77, 92, 93, 95, 97, 175 et 176. Plusieurs de ces articles portent simplement ad dehemus Ascensionis, sans désignation de millésime.
Ad dehemus Omnium sanctorum XCV (23). Articles 112, 135, 136, 140, 147, 155, 156, 157, 183, 190, 195, 202, 208 et 217.
Addebemus Candelose XCV (1296, n. st.), (24). Article 159.
L'imputation de tous ces encaissements, sauf une exception (25), est toujours faite au compte d'un terme échu depuis plus ou moins longtemps.
Ainsi, les encaissements portés au compte de l'Ascension 1294 vont du 7 avril au 26 juin 1295
Ceux de la Toussaint 1294, du 20 mars au 17 novembre 1296
Ceux de la Chandeleur 1295, du 29 mars au 7 juin 1295
Ceux de l'Ascension 1295, du 15 mai 1295 au 23 février 1296
Ceux de la Toussaint 1295, du 2 novembre 1296 au 28 juin 1296. Probablement les recettes de cette nature correspondaient à des créances dont le recouvrement était en souffrance.
Un ou plusieurs registres devaient être ouverts pour établir la situation du trésor du Temple par rapport au roi et aux comptables royaux. Tel était peut-être celui que nous avons vu, un peu plus haut, qualifié de Liber, sans aucune épithète (26). Tels étaient assurément ceux qui figurent dans les articles suivants, parfois sous la dénomination de Liber régis, le plus souvent sous celle de "Liber Ascensionis", ou de "Liber Omnium sanctorum":
30. De Theophania la Connime, per dominum Bernardum, 17 livres, 15 sols, 6 deniers, super prepositum Parisiensem, in libro Ascensionis.
— De preposito Allodiorum Petro Grison, 20 livres, super ballivum regine, in libro régis nonagesirno.
32. De domino Montis Morenciaci, per ejus capellanum, 253 livres, 10 sous, super regem, in libro Ascensionis XCV°.
35. De ballivo Ambianensi, pro una pecia auri inventa, ponderis quatuor denariorum et oboli auri, 13 sous, 6 deniers, super regem, in libro régis Ascensionis.
41. De domino Radulfo de Bruilliaco, milite, 33 livres, 15 sous, 3 deniers, super regem, in libro Ascensionis.
108. De Hersende la Moriere, per J. ejus filium, 100 sous ; et pro Roberto de Furno 6 livres, super ballivum Silvanectensem, Omnium sanctorum XCV.
— De heredibus Manasseri de Gonnessia, per Fouquaudum dictum Regem, 40 sous, super prepositum Parisiensem, in libro Omnium sanctorum.
110. De prepositura Vasquemolini, per prepositum Sancti Martini in Bosco, 26 livres, 13 sous, 4 deniers, super ballivum Viromandie, in libro Omnium sanctorum.
112. De Jobanne de Santre, 30 livres, super ballivum Aurelianensem, in libro Omnium sanctorum.
119. De Guillelmo Boutemie, 7 livres, 10 sous, per ballivum Aurelianensem, in libro Omnium sanctorum.
160. De ballivo Viromandie. . . 33 livres, 3 sous, 3 deniers, in libro Ascensionis XCV.
174. De ballivo Viromandie, 600 livres, in libro regis Ascensionis XCV.
Sources: Léopold Delisle. Mémoires de l'Institut national de France, Académie des inscriptions et belles-lettres. Mémoire sur les opérations financières des Templiers. Paris 1889. BNF
Notes
1 — Original conservé à la Bibliothèque nationale, collection Clairambault, vol. 107, p. 8349.2 — Sans parler des parisis et des tournois ordinaires, le Journal mentionne les espèces suivantes:
I° — Les doubles parisis: parisienses duplices ; par doubles, articles 62, 63, 119, 130, 134, 135, 145, 165, 168, 172, 175, 219, 220, 221 ;
II° — Les deniers d'argent de six deniers: "denarii argenti de sex denuriis", articles 220 et 221;
III° — Les petits tournois d'argent: "petiz t. argenti", article 67 ;
IV° — Les deniers tournois d'argent: "denarii turonemes argenti", articles 6, 18, 32, 33, 38, 48, 52, 58, 62, 65, 67, 68, 81, 119, 131, 134, 135, 145, 165, 168, 171, 172 , 215, 219, 220 et 221 ;
V° — Les doubles tournois: "turonenses duplices, t. doubles", articles 119, 131, 145, 165, 168, 220 et 221;
VI° — Les eslerlins: "sterlingi", articles 18, 32, 33,38, 48, 52, 63, 65, 67, 68, 81, 131, 145, 165, 168, 215 et 220 ; sterlingi adcapellum, article 194;
VII° — Les deniers d'or de 20 sous: "denarii auri", article 175 ; "denarii auri de XX solidis", articles 219 et 221 ;
VIII° — Les florins d'or "floreni auri", articles 38, 48, 58, 63, 131, 172, 221.
Le texte du Journal donne le rapport de chacune de ces espèces avec le denier parisis.
3 — "Pro sorore thesaurarii Huberti, IIII libras". Article 67.
— Par l'article 172 du compte de la Chandeleur 1288 (n. st.), nous savons que la soeur du trésorier Hubert s'appelait "Alipdis" et qu'elle avait à prendre sur le trésor royal une pension annuelle de 12 livres.
4 — La petite table ajoutée à la suite du Journal permettra de trouver aisément les articles auxquels renvoie mon analyse de ce précieux document.
5 — "Super procurationes legati". Article 165.
— "Super pictancias cardinalis".
Article 186.
— Il s'agit probablement de Béraud, évêque d'Albano.
6 — "11. De Petro, clerico Bernardi Catel de Duaco, et pro ipso Bernardo, 328 livres, super preceptorem Viromandie, in magnis fratrum, XCV°".
"220. De preceptore Viromandie, per Guillelmum de ïornaco, civem Parisiensem, 200 livres 40 sous, in magnis fratrum.
— De preceptore Ponlivi, 2,000 livres p, ibidem.
— De preceptore Atrebatensi, 120 livres 40 sous, ibidem".
7 — "67. De preceptore Foncium, 276 livres, in parvis fratrum".
— "74. De Johanne Luppo, 180 livres tournois, super preceptorem Rupelle, in parvis fratrum".
— "92. De pellibus et agniculis venditis per fratrem Johannem nostrum, 16 livres, 10 sous, super preceptorem Stampensem, in parvis fratrum".
— "165. De preceptore Remensi, 10 livres, super procurationes legati, in parvis fratrum".
8 — "18. De preceptore Yvriaci, pro lanis de Bosco Scutorum, 66 livres, 6 sous, super preceptorem Latigniacci, in libro piloso".
— "91. De preceptore Bellividere, 32 livres, in libro piloso".
9 — "33. De preposito Braii Eustachio, 140 livres, super ballivum Viromandie, in libro".
— "122. De domino Fontaneti, per Guillelmum clericum, 10 livres, 13 sous, 4 deniers, super prepositum Parisiensem, in libro".
10 — "9. De ballivo Clarimontis, per J. clericum, 140 livres, in magno libro".
— "25. De domina Blancha de Cabilone et Beraudo de Marcuel, per Oslruguetum, 200 livres, super ballivum Alvernie, in magno libro".
— "156. De domino Guillelmo de Loisi, milite, per capellanum, 100 libras turon, super magistrum Templi, in magno libro".
11 — "78. De magistro Gaufrido de Templo, per magistrum Clementem, nepotem suum, 800 livres, in veteri libro".
— "119. De Gaufrido Ferperio, per preceptorem Bellividere, 32 livres, in veteri libro".
12 — "11. De fratre Roberto carpentario, 60 sous, in parvo libro veteri, in fine".
— "202. De Petro Giffardi, 20 livres, super Robertum carpentarium, in parvo libro veteri".
— "206. De Petro de Malo Repastu, per preceptorem Mali Repastus, 10 livres, in parvo libro veteri, in prima parte".
13 — "16. De Johanne Pocheron, 19 livres, in parvo libro novo, III°".
— "23. De relicta Ade Troterel, per fratrem Robertum de Furno, 6 livres, 16 sous, super thesaurarium nostrum, in parvo libro novo, XVI°".
— "64. De preceptore Normannie, 1,600 livres, tournois, in parvo libro novo, XX°".
— "80. De fratre Odone carpentario, 50 livres, super molendina que fuerunt Andree Poscheron, in parvo libro novo, XX°".
— "84. De preceptore Mali Repastus, 42 livres, super preceptorem Parisiensem, in parvo libro novo, XX°".
— "193. De Petro Maillart, per fratrem Petrum de Puteolis, 20 livres, in parvo libro novo, XIII°".
14 -"39. De XIII doliis vini de Buverennes venditis, 42 livres, super executores Symonis Speciarii, in parvo libro novo, II°, in secunda parte".
— "51. De abbatissa Montis Martirum, per firmarium de Gastineto, 49 livres, 11 sous, 2 deniers, super elemosinarium régis,in parvo libro novo, in secunda parte, VII°".
— "177. De boscis doraus Mali Repasti venditis per preceptorem, 30 livres, super dictam domum, in parvo libro novo, XVII°, in secunda parte".
15 — "14. De Johanne.Boucel, 24 livres, in parvis ad vad".
"48. De fratribus Sancte Crucis, 4 livres, in parvis ad vad".
"87. De preceptore Montis Suessionensis, per Gerricum, 147 livres, in parvis ad vad".
"157. De domino J. curato Sancti Andrée de Kala, 16 livres, in parvis ad vad".
"199. De thesaurariis de Lupara, 270 livres, super Guillelmum Bourdon, in parvis ad vad".
16 — "3. De Petro la Truie, 8 livres, super Robertum de Villanova, in libro ad debetur, LIII°".
"42. De Bertaudo de Hala, 60 livres, in libro ad debetur".
"88. De abbate Beati Germani de Pratis, per capellanum, 100 livres, tournois, in libro ad debetur, LXXI°."
"89. De Ingerranno de Marrigni, 40 livres, in iibro ad debetur, LXXIIII°."
"178. De abbate Beati Dyonisii, per preceptorem, 608 livres, in libro ad debetur, LXXXIII°."
"216. De Hugone Candelario, 180 libras, 51 sol, 8 deniers, super dominum Robertum de Belvaco, in parvis fratrum, et 97 libras 8 sol. 4 deniers, in libro ad debetur, LXXXII°."
17 — "59. De heredibus Michaelis Nancre, per Philippum de Mariau, 51 livres, 5 sous, ad debemus".
"65. De abbate Ferrariarum, 156 livres, 10 sols, ad debemus".
"168. De Vincentio de Joiaco, per fratrem Garnerum de Compendio, 40 livres, ad debemus".
18 — Dissertation de M. de Wailly, dans le Recueil des Historiens, t. XXI, p. LIII.
19 — "28. De Guioto Cavassone, per Girardum, 600 livres, tournois, ad debemus Ascensionis XCIIII".
"30. De Guioto Cavessone, per Girardinum, 25 livres, tournois ad debemus Ascensionis XCIIII".
"48. De Guioto Cavassone, per Gerardinum, 1,000 livres, tournois, ad debemus Ascensionis XCIIII".
20 — "2. De Dionysio de Sancto Justo, 15 livres, super Guillotum Bercherium de Scanssiaco, ad debemus Omnium sanctorum XCIIII".
"10. De fratre Petro Super villam, 160 livres, ad debemus Omnium sanctorum XCIIII. De Stephano Haudri, 420 livres, ibidem, IIII".
21 -"38. de Philippo le Begue, per preceptorem nostrum fratrem Guidonem, 70 livres, ad debemus Candelose XCIIII".
"46. De Philippo le Begue, 80 livres, ad debemus Candelose".
22 — "32. De Galtero le Begue, 33 livres, 7 sous, ad debemus Ascensionis".
"34. De Stephano de Marchieres, 4 livres, ad debemus Ascensionis".
"75. De domino Hugone de Petra Lata. 30 livres, tournois, super Girardum Biscoli et Lappo Peti, ad debemus Ascensionis XCV".
"176. De domino Stephano Draperio, 10 livres, ad debemus Ascensionis XCV".
23 — "112. De domino Johanne de Acon, per dominum Martinum capellanum et magistrum J., 833 livres, 6 sous, 8 deniers, tournois, ad debemus Omnium sanctorum XCV".
"136. De preposito Gressuum G., 57 livres, ad debemus Omnium sanctorum".
"190. De thesaurariis régis apud Lupparam, 838 livres, 6 sous, 10 deniers, tournois, ad debemus Omnium sanctorum XCV°".
"217. De comite Sancti Pauli....., 102 livres, 10 sous, ad debemus Omnium sanctorum XCV°".
24 — "159. De Jacobo Genciani, 18 livres, 18 sous, 6 deniers, tournois, super ducem Brebancie, ad debemus Candelose XCV°".
25 — L'article 159 du Journal, daté du 17 janvier 1296 (n. st.), dont le texte est cité dans la note précédente, renvoie "ad debemus Candelose XCV", c'est-à-dire à la Chandeleur qui devait échoir seize jours plus tard.
26 — Articles 33, 122 et 133 du Journal.
Sources: Léopold Delisle. Mémoires de l'Institut national de France, Académie des inscriptions et belles-lettres. Mémoire sur les opérations financières des Templiers. Paris 1889. BNF
IX — Balances des comptes du roi au trésor du Temple
Liquidation finale
Le document qui vient d'être analysé nous fait connaître le détail des opérations qui s'effectuaient journellement dans un bureau de la trésorerie du Temple; mais il ne nous renseigne ni sur l'ensemble et les résultats généraux des opérations, ni sur la nature et le taux des rémunérations par lesquelles le roi et les parties intéressées reconnaissaient les services des Templiers. Je n'ai a peu près rien trouvé qui fasse entrevoir comment les Templiers s'indemnisaient des peines qu'ils prenaient pour encaisser et pour payer, pour garder l'argent et pour tenir une comptabilité exacte et compliquée, de la responsabilité qu'ils encouraient et des avances souvent fort considérables qui leur étaient demandées par leurs clients. Les privilèges très étendus et très variés dont ils jouissaient de longue date n'étaient assurément pas considérés comme un salaire suffisant (1).Des remises leur étaient sans doute accordées, et, sous une forme ou sous une autre, ils devaient toucher des intérêts pour des sommes dont ils restaient souvent longtemps à découvert. Mais sur toutes ces questions nous sommes réduits à des conjectures. C'est à peine si nous avons à relever sur un compte de la Chandeleur 1288 (n. st.) une allusion à une pension de 600 livres allouée au trésorier duTemple (2), et, sur un résumé des opérations financières des années 1290-1293 (3), la mention de sommes que les Templiers réclamaient au roi pour coûts payés à des marchands, c'est-à-dire évidemment à des banquiers:
Et pro denariis datis mercatoribus 1,190 livres. (Chandeleur 1290.) Et. 2,000 livres debitis thesaurario de quinque terminis transactis de summa de 4,400 livres pro custibus mercatoribus solutis. (Ascension 1291.)
Et 2,000 livres pro custibus solutis mercatoribus pro summa de 4,400 livres, per quinque termines. (Toussaint 1291.)
Memoria quod petentur a rege pro quinque terminis preteritis 2,000 livres p, et pro isto termino 400 livres. (Chandeleur 1292.)
Item 4,400 livres p. que nous paiemes por le roy a certeines personnes.
Quant à la façon dont la balance s'établissait entre les recettes et les dépenses, nous possédons des états de situation qui, pour une période de près de dix ans, nous montrent dans quelle proportion le Temple était créancier ou débiteur du roi à chacun des trois termes de l'année où s'arrêtaient les comptes royaux, la Chandeleur, l'Ascension et la Toussaint.
Ces états de situation, dont il n'a pas encore été fait usage et qui jetteront beaucoup de lumière sur l'histoire financière du règne de Philippe le Bel, nous offrent le résumé des recettes et des dépenses effectuées au nom du roi ; chacun d'eux, se termine par une ligne indiquant la somme dont le Temple était redevable au roi, ou le roi au Temple.
Ce qui nous est parvenu de ces précieux documents nous est arrivé par deux voies différentes. Les états de situation pour quatre termes des années 1286 et 1287 sont consignés sur un débris de rouleau de parchemin conservé à la Bibliothèque nationale (4). Ceux de seize termes des années 1288-1296 se trouvent en copie à la bibliothèque de Rouen, dans le n° 5870 du fonds de Leber; ils sont compris dans les extraits des archives de la Chambre des comptes que nous devons à Menant, auditeur et doyen en la Chambre des comptes, décédé le 8 avril 1699, extraits dont un inventaire abrégé a été récemment dressé et publié par M. Omont (5).
Voici, d'après ces états de situation, comment la balance s'établit pour chacun des termes dont l'arrêté de comptes nous est connu:
Dû par le Roi au Temple
Année 1286, Ascension: 101,845 livres 7 sous 6 deniers
Année 1286, Toussaint: 51,886 livres 8 sous 5 deniers
Année 1287, Chandeleur: 26,884 livres 16 sous 9 deniers
Année 1287, Ascension: 26,844 livres 16 sous 9 deniers
Dû par le Temple au Roi
Année 1288, Toussaint: 129,770 livres 13 sous 1 denier
Année 1289, Chandeleur: 36,987 livres 8 sous 5 deniers
Année 1289, Ascention: 13,300 livres 61 sous 2 deniers
Année 1289, Toussaint: 36,956 livres 2 sous 9 deniers
Dû par le Roi au Temple
Année 1290, Chandeleur: 53,707 livres 4 sous 6 deniers
Année 1290, Ascension: 37,114 livres 14 sous 10 deniers
Année 1290, Toussaint: 80,10 livres 10 sous 11 deniers
Année 1291, Chandeleur: 28,261 livres 18 sous 11 deniers
Année 1291, Assension: 23,404 livres 5 sous 8 deniers
Dû par le Temple au Roi
Année 1291, Toussaint: 140,928 livres 3 sous 2 deniers
Année 1292, Chandeleur: 77,460 livres 2 sous
Année 1292, Ascension: 88,193 livres 11 sous
Année 1292, Toussaint: 102,312 livres 13 sous 6 deniers
Dû par le Roi au Temple
Année 1293, Chandeleur: 20,193 livres 14 sous 1 denier
Dû par le Temple au Roi
Année 1294, Toussaint: 28,854 livres 9 sous 4 deniers
Année 1295, Chandeleur: 23,370 livres 4 sous 3 deniers
Il est regrettable que les états de situation pour les termes qui ont précédé la suppression de l'ordre des Templiers ne nous aient pas été transmis. Ils nous auraient aidé à résoudre une question très intéressante, celle de savoir ce que devint le trésor et comment furent réglés les droits des parties qui avaient des comptes ouverts au Temple.
Les mesures qui furent prises pour assurer aux Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem la dévolution de la fortune des Templiers ne s'appliquèrent pas rigoureusement aux biens meubles.
Philippe le Bel dut mettre la main sur le trésor, ou du moins en donner l'administration à des gens investis de sa confiance. Nous savons que le 5 novembre 1307, l'archidiacre de Vendôme alla de Paris à Longpont demander à Philippe, le Bel dans quelles conditions et à quel endroit le trésor royal devrait désormais être gardé (6). Ce qui est certain, c'est que le trésor du Temple continua pendant plusieurs années à être une caisse de l'État.
En décembre 1309, Philippe le Bel assigne aux. héritiers de Geoffroi de Merain, l'un des anciens trente-neuf bourgeois de Gand fidèles au roi de France, 100 livres parisis de rente à toucher provisoirement à Paris, sur le trésor royal déposé au Temple (7). Les biens de feu Jean de Chevry, débiteur des banquiers Biche et Mouche, ayant été vendus au profit du roi, créancier desdits banquiers pour des sommes considérables, le produit de la vente, montant à 240 livres parisis, fut versé au Temple de Paris, dans le trésor royal, le 18 juillet 1311 (8).
— Une ordonnance de Philippe le Bel, du 19 janvier 1314, régla les attributions respectives du trésor du Temple et du trésor du Louvre. Le premier, administré par Gui Florent et par maître Geoffroi de Briençon, devait payer jusqu'à concurrence d'environ 177,500 livres tournois les dépenses de la maison du roi, les dépenses du Parlement et de la Chambre des comptes, les frais de correspondance et les rentes désignées sous la dénomination de Fiefs et aumônes ; il encaissait les recettes des bailliages ou sénéchaussées de la Normandie, de Toulouse, du Rouergue, du Quercy, du Périgord, de la Saintonge, de l'Auvergne et du Limousin. Tous les autres produits allaient au trésor du Louvre, confié à Guillaume du Bois et à Baudouin de Roy, et chargé de liquider les dettes, de solder les travaux publics et de payer les soudoyers de Flandre (9).
— En janvier 1315, le roi Louis X approuva les comptes de la gestion d'Enguerran de Marigny, auquel Philippe le Bel avait donné la charge de ses trésors du Temple et du Louvre (10).
Philippe le Bel, tout en faisant gérer au grand jour par ses propres agents le trésor du Temple à Paris, accréditait le bruit qu'il n'avait eu aucun intérêt personnel à l'arrestation des Templiers, et qu'il avait voulu rester étranger à l'administration de leurs biens. Il fut assez habile et assez heureux pour faire adopter à la chancellerie pontificale une phrase qui consacrait officiellement cette manière d'envisager les événements, et qui fut insérée dans plusieurs circulaires du 8 et du 12 août 1308. Elle est ainsi conçue:
Carissimus in Christo fîlius noster Philippus rex Francorum illustris, cui eadem fuerant facinora nunciata, non tipo avaritie, cum de bonis Templariorum nichil sibi vendicare vel appropriare intendat, immo ea per deputandos a nobis gubernanda, custodienda et conservanda liberaliter ac devote dimiserit, manum suam totaliter amovendo (11).
Ce qui est incontestable, c'est que le roi prit une part directe et active à l'administration des biens des Templiers. Ainsi, Othon de Granson avait à prendre sur le Temple une rente viagère de 2,000 livres tournois payable à Paris ou à Lyon ; en 1308, après l'arrestation des membres de l'ordre, ce fut Philippe le Bel qui, d'accord avec le pape, ordonna que l'équivalent de cette rente serait assigné audit Othon sur des biens appartenant aux Templiers dans les diocèses de Langres, de Sens et de Troyes (12).
Il y a plus.
Philippe le Bel, dans un des entretiens qu'il eut à Poitiers avec Clément V, reconnut avoir mis la main sur les biens des Templiers, mais simplement pour en prévenir la dissipation et sans avoir l'intention de s'en emparer ; il donna même des ordres pour que l'administration desdits biens fût remise à des commissions ecclésiastiques. Mais cet ordre n'était pas encore complètement exécuté au commencement de l'année 1309.
Le 5 janvier 1309, Clément V prenait des mesures pour que toute la fortune des Templiers fût administrée par des commissions ecclésiastiques (13).
La décision du pape ne pouvait point s'appliquer au trésor de Paris, qui était devenu, comme nous l'avons vu, un organe du gouvernement royal ; mais la transformation s'en était faite sans qu'il eût été procédé légalement à la liquidation des opérations engagées sous l'administration de frère Jean de Tour, dernier trésorier du Temple.
— Philippe le Bel prétendit même que ses anciens comptes n'avaient pas été réglés, et qu'il restait créancier de l'ordre pour des sommes considérables, dont le chiffre ne pouvait pas d'ailleurs être fixé par des écritures authentiques. Il semble donc qu'on eût cessé de tenir les états de situation avec la rigueur que nous avons constatée pour la période comprise entre les années 1286 et 1295.
Peut-être aussi, et c'est là, je crois, l'hypothèse la plus vraisemblable, une main intéressée avait-elle supprimé les états de situation, avec d'autres pièces de comptabilité. Toujours est-il qu'il fut impossible de procéder à une liquidation régulière et qu'une transaction fut imposée aux hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, substitués aux droits et aux charges des Templiers.
Pour se décharger de toute responsabilité, les religieux de Saint-Jean s'obligèrent, le 21 mars 1313, à payer 200,000 livres tournois au roi ; mais l'affaire ne fut pas même complètement terminée du vivant de Philippe le Bel.
Une seconde transaction, conclue le 14 février 1313, donna lieu à un procès qui fut jugé au Parlement le 11 octobre 1317. Ce fut seulement sous le règne de Philippe le Long que les officiers royaux s'entendirent définitivement avec les Hospitaliers sur la part qui devait revenir au roi dans la liquidation de la fortune mobilière des Templiers (14).
J'espère avoir mis hors de contestation l'importance du rôle financier des Templiers, surtout en France, pendant toute la durée du XIIIe siècle. On ne saurait méconnaître ni la part qu'ils prirent alors au développement de la fortune publique, ni le concours qu'ils prêtèrent aux rois de France pour fonder et affermir l'ordre dans les finances de l'État. L'éclat de leurs prouesses militaires a peut-être éclipsé les services civils qu'ils ont rendus à la société européenne ; mais de tels services ne devront pas être oubliés, quand il s'agira de porter un jugement équitable et définitif sur un ordre de chevalerie qui, après s'être illustré par de si glorieux exploits et une si sage administration, fut emporté par une si lamentable catastrophe.
Sources: Léopold Delisle. Mémoires de l'Institut national de France, Académie des inscriptions et belles-lettres. Mémoire sur les opérations financières des Templiers. Paris 1889. BNF
Notes
1 — En dehors des privilèges généraux et perpétuels accordés par les rois et les princes, les Templiers obtenaient parfois des exemptions spéciales en vue d'opération commerciales auxquelles ils se livraient. Il y a dans les rôles de Jean sans Terre plusieurs actes relatifs aux nefs sur lesquelles ils transportaient en franchise du sel et du vin.2 — $ 202 du compte de la Chandeleur 1288 (n.-st.) publié à l'Appendice, n°XXVII
3 — Résumé des comptes ouverts au roi par le trésor du Temple, publié à l'Appendice, n° XXV.
4 — Ms latin 9018, fol. 25 et 26.
5 — Bulletin de la Société de l'Histoire de Paris, année 1887, p. 48.
6 — "Idem archidiaconus Vindocinensis, pro expensis suis eundo de Parisius ad regem apud Longum Pontem, pro sciendo qualiter et in quo loco thésaurus régis poneretur, et pro pluribusaliis tangentibus officium dicti thesauri, per septem dies, eundo, stando et redeundo Parisius, 16 livres, 7 sous, 8 deniers tounois. fortium, videlicet a die dominica post Omnes sanctos usque ad diem sabbati sequentis". Extraits du Journal du trésor royal, du 13 octobre 1307 au 31 juillet 1309, dans le recueil de Menant, à la bibliothèque de Rouen, fonds Leber, n° 5870, t. III, fol. 3.
7 — "Concedenles eisdem heredibus et suis heredibus ut dictum redditum apud Templum in thesauro nostro, vel alibi ubi thésaurus reponetur predictus, ad festum Candelose habeant....." Charte de Philippe le Bel, dans le registre 41 du Trésor des chartes, pièce 168.
8 — "Document publié d'après le registre 46 du Trésor des chartes, pièce 89.
9 — Ordonnance publiée par M. Boutaric, dans les Notices et extraits des manuscrits.
10 — Lettre de Louis X publiée dans la Bibliothèque de l'Ecole des chartes, Ie série, t. III, p. 14.
11 — Regestum Clémentis papae V, éd. des Bénédictins, année III, p. 284 et 285, n° 3402 ; p. 363, n° 3584, p. 387, n° 3626.
12 — Regestum Clementis papae V, année IV, p. 213 a 216, n° 4404.
13 — Ibid, année IV, p. 434 et 439, n° 5011 et 5018.
Sources: Léopold Delisle. Mémoires de l'Institut national de France, Académie des inscriptions et belles-lettres. Mémoire sur les opérations financières des Templiers. Paris 1889. BNF
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