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Interrogatoires des Frères du Temple

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    2. — L'Institution des commissaires

    C'est en France que le drame des Templiers avait pris naissance et qu'il s'était développé ; les travaux de la Commission pontificale d'enquête pour la France allaient donc revêtir une importance exceptionnelle et contribuer puissamment pensait-on, à la découverte de la vérité. Aussi Mgr le Pape établit-il cette instance avec un soin particulier. Comme président, il désigna un haut prélat, Mgr Gilles Aycelin, archevêque de Narbonne (22), connu pour son intégrité ; Mgr Aycelin serait assisté de trois évêques, ceux de Bayeux, de Mende et de Limoges, de trois archidiacres, Maîtres Mathieu de Naples, notaire et archidiacre du Grand-Calet de Rouen, Jean de Mantoue, archidiacre de Trente, Jean de Montlaur, archidiacre de Maguelonne, et, enfin, du prévôt des églises d'Aix, Messire Guillaume Agami. Par la bulle Faciens misericordiam, en date du 12 août 1308, il assigna à la nouvelle Commission un programme difficile : les Commissaires auraient à évoquer devant eux, par citation péremptoire, tous témoins aptes à parler contradictoirement sur l'ordre des Templiers, soit en sa faveur, soit contre lui, à les interroger à la suite selon les formes dues, et à tenir procès-verbal de ces dépositions. La bulle ne précisait point quel serait le siège de la Commission, et disposait seulement qu'elle se réunit «  dans les limites de la province ecclésiastique de Sens  », où se trouvaient rassemblés la plupart des Templiers incarcérés ; mais chacun entendait bien qu'il s'agissait en fait de Paris, capitale de royaume, dont l'évêché relevait de la métropole sénonnaise.



    Teneur de la lettre du pape Clément.

    «  Faciens misericordiam  ». Notre-Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, nous ayant par Sa miséricorde érigé sur le faîte du pontificat suprême pour, en dépit de notre indignité, y assumer Sa délégation, nous devons tendre, par tous nos actes, à l'imitation des exemples qu'il nous a légués, dans toute la mesure de l'humaine fragilité. Aux premiers temps de notre accession à la charge suprême, avant même que nous ne vinssions à Lyon pour y recevoir les insignes de notre couronnement, et à plusieurs reprises par la suite, il nous fut secrètement insinué que le Maître, les précepteurs et autres frères de la Milice du Temple de Jérusalem, et l'ordre lui-même en son ensemble, institué pour la défense du patrimoine de Notre-Seigneur Jésus-Christ aux pays d'outre-mer, avaient chu dans les crimes épouvantables de l'apostasie, de l'idolâtrie, du vice immonde de Sodome et dans les hérésies de toute nature. Il nous paraissait incroyable et contraire à la vraisemblance que des hommes qu'on croyait assez pieux pour accepter au nom du Christ de répandre leur sang et de s'exposer continuellement aux périls de la mort, des hommes qui manifestaient dans leurs jeûnes et autres observances les signes de la dévotion, se fussent montrés assez oublieux de leur salut pour se comporter de la sorte ; instruits par les exemples de Notre-Seigneur et la doctrine des saints canons, nous refusâmes de prêter l'oreille à ces dénonciations.

    Notre très cher fils in Xto Philippe l'Illustre Roi de France avait été de son côté informé de ces forfaits ; il enquêta, autant qu'il lui fut possible, afin de nous en faire part très complètement (il ne faudrait point croire que ce fût par avarice; il n'a nullement l'intention de s'approprier quoi que ce soit des biens du Temple : il nous en a au contraire, avec une généreuse piété, abandonné l'administration, le gouvernement et la garde ; sa main y est absolument étrangère ; épris d'orthodoxie, il ne fait en cela que suivre les nobles exemples de ses pères). Cependant, les bruits hostiles aux Templiers ne cessaient de se propager ; un chevalier de l'ordre, qui était de haute noblesse et de grande réputation parmi ses frères, vint par-devant nous, sous la foi du serment, déposer que, lors de la réception des frères de l'ordre, on observe la coutume (nous devrions dire l'ignominie) suivante : à la requête de celui qui le reçoit, le postulant renie le Christ Jésus et crache sur la croix qu'on lui présente, en haine du Crucifié; l'un et l'autre commettent d'autres actes qui ne sont point licites ni ne conviennent à la décence. Après de tels aveux, il ne nous était plus possible de ne pas prêter l'oreille à tant et tant de rumeurs ; c'était là, pour nous, un devoir. Enfin, l'opinion, les rapports à nous présentés par le Roi, ainsi que par des ducs, comtes, barons et autres nobles, par le clergé et le peuple de France ou par leurs délégués, nous apprirent que le Maître, les précepteurs de l'ordre, l'ordre lui-même, étaient entachés de ces forfaits et de plusieurs autres ; les présomptions, confirmées par toutes sortes d'aveux et dépositions passés devant un grand nombre de prélats et l'Inquisiteur de France et mis par écrit pour nous être communiqués ainsi qu'à nos frères, nous paraissaient à ce point fondées, les rumeurs s'enflaient de telle sorte contre l'ordre aussi bien que contre ses membres, qu'il eût été désormais impossible de les récuser sans scandale ni pressant péril.

    «  Nos Illius cujus vices...  » C'est pourquoi Nous, suivant les pas de Celui qui, malgré notre indignité, nous a délégué sur cette terre, nous avons décidé de procéder à une enquête, et avons déjà interrogé soixante-douze prêtres, chevaliers, et autres frères de l'ordre réputés ; ils ont prêté serment de nous dire la pleine et entière vérité ; de ces interrogatoires, auxquels assistaient plusieurs de nos frères, instrument authentique a été dressé en notre présence, que nous avons fait lire en consistoire public, chacun des témoins se le voyant exposé dans sa langue : ils déclarèrent persister dans leurs dépositions et en approuver les procès-verbaux. Après quoi, désireux d'enquêter par nous-même avec le Maître et les principaux dignitaires de l'ordre, nous avons requis à se présenter devant nous, à Poitiers, le Maître lui-même, et les précepteurs de France, d'Outre-Mer, de Normandie, d'Aquitaine et de Poitou. Mais plusieurs d'entre eux étaient alors trop malades pour entreprendre un voyage à cheval à cette fin ; comme nous tenions absolument à connaître par eux toute la vérité et à savoir si leurs aveux et dépositions passés devant l'Inquisiteur de France, en présence de notaires et de prud'hommes, étaient vraiment exacts (les instruments nous en avaient été présentés par l'Inquisiteur en personne), nous avons confié à nos chers fils Bérenger, cardinal-prêtre du titre des Saints Nérée et Achillée, Etienne, cardinal-prêtre du titre de Saint-Cyriace-in-Thermis, et Landolph, cardinal-diacre de Saint-Ange, dont la sagesse et la fidélité nous étaient assurées, la mission d'enquêter avec le Maître et les précepteurs, tant contre les personnes en général que contre l'ordre lui-même, et de nous en remettre l'instrument public ; ils étaient autorisés à leur accorder, s'ils le demandaient avec une humble piété, l'absolution canonique qu'ils avaient encourue au cas où leurs aveux s'avéreraient exacts.

    Ces cardinaux, donc, allèrent exposer personnellement au Maître et aux dignitaires le motif de leur venue ; tous les Templiers de France se trouvant ainsi que leurs biens confiés à notre garde, ils leur enjoignirent de déposer sans crainte, avec une entière et pure liberté. Le Maître et les précepteurs de France, d'Outre-Mer, de Normandie, d'Aquitaine et de Poitou, par-devant les trois cardinaux, quatre notaires publics et un grand nombre de prud'hommes, prêtèrent serment sur les Saints Evangiles, et, sans la moindre pression ni menace, un par un, reconnurent entre autres le reniement du Christ et le crachat sur la croix ; certains d'entre eux avouèrent qu'ils avaient reçu, selon le même cérémonial, un grand nombre de frères. Quelques-uns enfin passèrent d'autres aveux si effroyables et inconvenants que nous préférons les taire, soucieux de ne pas augmenter ici leur honte. Ils assurèrent d'autre part que leurs précédentes dépositions par-devant l'Inquisiteur étaient exactes. Ces nouvelles déclarations leur furent incontinent lues, exposées à chacun dans sa propre langue. Ils déclarèrent y persister et les approuver, puis, à genoux et battant leur coulpe (23), tout en larmes, demandèrent humblement et avec ferveur la levée de l'excommunication.

    L'Eglise ne ferme pas son giron à qui retourne à elle : les cardinaux leur accordèrent donc, en vertu de notre autorité, l'absolution canonique. Puis ils revinrent nous présenter les procès-verbaux authentiques de toutes ces dépositions et nous faire leur rapport ; nous en déduisîmes que le Maître et les frères avaient commis de graves délits, les uns, d'ailleurs, en plus grand nombre, les autres en moins grande quantité.

    Comme l'ordre est répandu dans toutes les parties du monde et que nous ne pouvons personnellement procéder à l'enquête, nous vous prions donc par la présente lettre apostolique de vous rendre dans les cité, diocèse et province de Sens, d'évoquer par édit citatoire tous ceux qui seront à évoquer, et d'enquêter sur le questionnaire que nous vous transmettons inclus en notre bulle, ainsi que sur tout autre que votre sagesse estimera expédient. Cette enquête, vous nous la remettrez dans sa forme authentique et revêtue de vos sceaux. S'il s'en trouvait, parmi les témoins requis, dont on eût, par prière ou à prix d'argent, de faveur, de menace, de haine ou de passion, empêché le témoignage, si les partisans et défenseurs des frères de l'ordre, requis par vous à témoigner, ne se présentaient pas, vous décréteriez d'arrestation ceux qui auraient tenté d'entraver le cours de votre enquête, et feriez s'il en était besoin appel au bras séculier. Si vous n'étiez pas tous en mesure de procéder à l'affaire, qu'il y en ait au moins huit, sept, six, cinq, quatre, ou trois d'entre vous pour la poursuivre ensemble.

    Donné à Poitiers, le 2 des ides d'août (24), de notre pontificat la troisième année.

    Après une année entière où la cause n'avait pas avancé d'un pouce, l'enquête ainsi décrétée s'ouvrit enfin, le 8 août 1309, par la citation de tous les témoins éventuels à comparoir en la salle du palais épiscopal de Paris, le premier jour non férié après la Saint-Martin d'hiver, à l'heure de Prime. Le lendemain même, les hérauts, dûment choisis et assermentés, portaient à tous les carrefours de France l'injonction pontificale, et spécialement aux provinces ecclésiastiques de Sens, Reims, Rouen, Tours, Lyon, Bourges, ainsi qu'aux évêques du Puy et de Viviers et aux provinces de Bordeaux, Narbonne et Auch. Où qu'ils se trouvassent, les Templiers incarcérés qui acceptaient de défendre leur ordre devaient être extraits de leurs geôles et amenés sous bonne garde à Paris pour y être interrogés par la Commission d'enquête.


    Sources : Le Procès des Templiers, traduit, présenté et annoté par Raymond Oursel. Club du meilleur livre. Tournon 15 janvier 1955. Exemplaire nº 4402

    L'Appel des défenseurs



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