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Études réalisées sur les Templiers

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Commanderie de La Neuville-au-Temple

Département: Marne, Arrondissement: Châlons-en-Champagne, Canton: Suippes, Commune: Dampierre-au-Temple - 51
Si de nombreuses études historiques sur les ordres militaires ont été publiées dès la fin du XIXe siècle, leur archéologie est très récente et encore déconsidérée. Peu de fouilles de bâti de leurs maisons ayant été menées à ce jour, l'archéologie de leurs domaines est essentiellement une archéologie du paysage agraire basée sur l'étude de la fossilisation du terroir. En France, Anne-Marie Legras en a ouvert la voie en 1983 avec sa publication sur les commanderies des Templiers et Hospitaliers de Saintonge et d'Aunis. Elle pose la question de leur implantation par rapport aux agglomérations voisines et aux axes de circulation, de leur importance et de leurs vestiges. Depuis, la thèse de Michel Miguet sur les Templiers et les Hospitaliers en Normandie constitue un ouvrage de référence, particulièrement en matière de méthodologie. Hormis ces travaux très exhaustifs pour les régions concernées, beaucoup de choses restent à entreprendre ailleurs.

En Champagne, berceau de l'ordre du Temple en France, les seules références sont les monographies sur Chevru en Brie champenoise et Avalleur dans l'Aube ; les études historiques, elles-mêmes, sont anciennes. L'étude des implantations des ordres militaires dans cette région est d'autant plus urgente que les traces en sont de plus en plus ténues.

La commanderie de la Neuville-au-Temple-lez-Châlons qui passe pour avoir été la plus importante maison du Temple et de l'Hôpital en Champagne ne se manifeste plus que dans les noms des trois villages qui l'environnaient :
Dampierre-au-Temple, Saint-Étienne-au-Temple, et Saint-Hilaire-au-Temple.
Elle est également considérée comme l'une des plus anciennes fondations, voire comme la première, de l'ordre en France. Ces particularités conduisent à s'interroger sur l'importance du temporel d'un tel domaine et sur son insertion dans la région.

La Neuville était située à neuf kilomètres au nord-est de Châlons-en-Champagne, sur l'actuelle route départementale 208 entre Saint-Étienne et Dampierre-au-Temple, sur la rive gauche de la Vesle, petit affluent de l'Aisne. Bien que citée dans tous les ouvrages traitant des environs de Châlons-en-Champagne, ses fonds d'archives, hormis son cartulaire, n'ont jamais fait l'objet d'une publication. Cette étude est partie de la constatation de ces paradoxes et de la volonté de contribuer à l'archéologie des ordres militaires dans une région importante ; je remercie M. le professeur Léon Pressouyre pour l'intérêt et le soutien qu'il y a apportés.

La pauvreté d'études parues sur la Neuville ne reflète pas l'extrême richesse des sources écrites. Outre le cartulaire nous renseignant sur la période templière, le fonds de la commanderie de la Neuville-au-Temple renferme onze terriers du XVI au XVIIIe siècle, toute une série de titres généraux rédigés à partir du XIIe siècle, d'inventaires, de procès-verbaux de réparations, de comptes, et de titres de baux, ainsi qu'un ensemble de plans terriers établis au XVIIIe siècle. Les sources archéologiques sont beaucoup plus limitées puisqu'il ne reste plus rien en élévation. Le projet de prospection géophysique envisagé n'a pu être mis en oeuvre à cause de la multiplication de contraintes importantes qu'engendrait la configuration actuelle du site, occupé par des hangars agricoles, et le coût financier que cela induisait. L'étude menée s'est néanmoins révélée répondre à la précision de la carte archéologique de cette zone.

Il s'est agi d'éclaircir les connaissances sur l'un des premiers et plus importants domaines templiers et hospitaliers occidentaux, la Neuville-au-Temple, depuis sa fondation au XIIe siècle jusqu'à sa disparition au XVIIIe siècle, en s'attachant à trois axes de recherche : reconstituer l'historique du temporel de la commanderie ; s'interroger, en restreignant le champ géographique de l'étude à la seule maison mère, sur l'organisation des terres et leur articulation avec les différents éléments du paysage en pratiquant une archéologie du paysage ; et comprendre l'évolution du bâti et son adaptation fonctionnelle aux activités successives de la commanderie.

Constitution et évolution du domaine
L'étude des textes a permis de reconstituer l'historique du domaine tout au long de son existence. Les cent cinquante et un actes du cartulaire, datés de 1132 à 1306, éclairent la période templière. La seconde phase de la commanderie, qui débute par sa dévolution aux Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem en 1312, se révèle à travers l'étude des terriers et des titres de baux, alors que les dernières mentions directes de la commanderie se trouvent dans les actes de vente du domaine comme bien national à la fin du XVIIIe siècle.

Le domaine templier
Le premier acte du cartulaire, rédigé en 1132, quatre ans après l'arrivée de l'ordre en Occident, serait la charte épiscopale de fondation de la commanderie. Il est aussi le premier acte concernant des biens templiers dans la région de Châlons-sur-Marne et nous renseigne sur les premières possessions mais peu sur les modalités d'arrivée des Templiers. Les chartes suivantes consistent, pour une grande part, en titres de donation, d'échange ou de vente faites aux Templiers, et permettent de suivre l'expansion du temporel jusqu'au début du XIVe siècle.

La première organisation de l'ordre du Temple, créé en 1118-1119 en Terre sainte, se met en place en Occident à partir de Troyes, à l'initiative d'Hugues de Payns et à l'occasion de la tenue du concile de Troyes le 13 janvier 1129. Il est attesté qu'il y fonda immédiatement la première commanderie, mais on hésite à lui attribuer directement l'établissement de la Neuville-au-Temple-lez-Châlons en 1132 comme l'a affirmé Edouard de Barthélémy. Il est possible que les donations de 1132 faites aux Templiers de « la Novella-Villa » aient été encouragées par la tournée de propagande d'Hugues de Payns, mais aucune des chartes conservées ne le mentionne. La Neuville-lez-Châlons est certainement la deuxième commanderie créée après celle de Troyes.

L'acte de fondation de 1132 ne mentionne pas la toute première occupation des terres par les Templiers ; de plus, sa véracité est douteuse. Cette charte évoque l'exemption des dîmes faite par Erbert, évêque de Châlons, aux Templiers, et les nombreuses donations qu'ils ont reçues. Parmi les plus importantes, une dame leur donne « toute la terre où sont situés les bâtiments qu'ils occupent et 30 journées de terre libres de tout ban et justice ». Il s'agit de donations assez modestes émanant de seigneurs voisins : onze concernent des redevances, essentiellement en argent, trois des terres, une un moulin, et une autre une exemption de dîme. Les premières sont éparpillées autour de Châlons, notamment sur la rivière de la Coole, alors que les donations de terres sont proches de la « domui Templi Salomonis que est in Novella-Villa ». Il semble donc que l'installation soit antérieure à 1132. Ces premiers Templiers ne sont pas des personnages originaires du lieu qui se seraient faits frères du Temple avec leurs biens, puisque les terres ne leur appartenaient pas, mais plutôt des Templiers envoyés sur le terroir de « Dampierre-sur-Vesle » pour y fonder un établissement. Cette première charte, rédigée deux ans après la mort d'Erbert, est confirmée en 1134 par l'évêque Geoffroy dans une charte tout aussi douteuse. Il est probable qu'elles aient été écrites à posteriori pour affirmer la légitimité des possessions templières de la Neuville et leur reconnaissance par l'autorité épiscopale. Robert Fossier a mis en évidence ce « caractère approximatif » des documents attachés à la fondation des maisons des ordres militaires, avec très souvent des preuves d'implantations antérieures à la date retenue pour la fondation. Quoiqu'il en soit, les Templiers se sont installés à la Neuville-au-Temple entre 1129 et 1132 et les donations ont rapidement suivi, selon un clivage très net entre donations en nature, proches de la maison, et donations en redevances, plus éloignées. Elles n'ont été confirmées qu'en 1132 par deux actes peut-être faux mais très instructifs quant à l'énumération des premières donations, et formulant une interrogation sur la stratégie d'implantation de l'ordre à cet endroit précis.

La carte de Cassini mentionne, en 1759, la Neuville-au-Temple au sud-est de Dampierre-au-Temple, le long de la Vesle (fig. 1). La commanderie s'est installée sur ce site où l'on a relevé des traces d'occupation protohistorique (quelques tessons du Hallstatt et une nécropole de La Tène) et surtout gallo-romaine (un habitat du Ier siècle après J.-C.12), mais l'occupation est discontinue jusqu'au XIIe siècle.

L'implantation de la commanderie est plutôt à envisager en fonction des agglomérations et du paysage qui l'environnent. Suffisamment proche de Châlons pour profiter de ses débouchés industriels et commerciaux, elle s'est adroitement insérée dans l'alignement des villages longeant la Vesle, aux frontières de la zone d'influence de l'évêque de Châlons. Elle profite donc de l'isolement rural et des ressources naturelles, tout en s'octroyant des avantages urbains. Ses terres sont traversées par l'étroite vallée de la Vesle riche en grève et alluvions, qui, défrichée au Néolithique, constitue une couche arable épaisse, favorable à la culture et à l'élevage. La Neuville s'est installée à l'endroit précis où cette bande de terrain graveleux s'élargit, en aval de Saint-Étienne-au-Temple. Cette situation géographique particulièrement favorable comparativement aux savarts de Champagne allie toutes les prédilections des Templiers. Ils y ont trouvé une région peu peuplée, aux sols et ressources favorables, suffisamment éloignée des différentes communautés religieuses déjà présentes dans la province, et qui offre une bonne possibilité de recrutement parmi l'importante chevalerie laïque des environs de Châlons. Les Templiers ont choisi cet endroit pour y créer une préceptorie à partir de rien, ce qui corrobore l'appellation de « Novella-Villa ». Il convient cependant de faire attention à la réalité du terme de ville neuve. Si la nouveauté caractérise bien cette implantation, il ne semble pas qu'il en soit de même pour le qualificatif de ville. Michel Miguet définit la ville neuve comme « une agglomération » résultant d'une tentative de peuplement volontaire effectuée le plus souvent par deux seigneurs, liés par un contrat de paréage, À la Neuville, hormis les villages qui existaient déjà, il n'y a aucune trace de peuplement autour de la « domus templière ». Elle est issue d'un choix délibéré du site émanant d'une stratégie de conquête de la région. Son toponyme, quelque peu ambitieux, reflète bien la volonté des Templiers de réussir leur entreprise : l'implantation d'une grosse exploitation agricole qui ait tous les atouts pour entamer une ascension prometteuse et éveiller une générosité croissante.

À l'installation de la commanderie, favorisée par cette première série de donations spontanées, fait suite une longue phase d'expansion du domaine. Celle-ci ne s'est pas déroulée de manière uniforme ; suscitée par de nombreuses donations, elle a ralenti avec le temps. Les Templiers ont dû intervenir, d'abord en provoquant ces donations, puis en pratiquant des échanges et des achats pour obtenir les biens convoités. Les donations, à l'origine de la constitution du temporel foncier et financier de la Neuville, représentent une part essentielle de son expansion. Elles sont présentes tout au long de l'existence du domaine templier et constituent la part d'actes la plus importante : il y a quatre-vingt-dix donations sur toute la période, contre vingt-six achats et neuf échanges et donations avec contreparties.

Déterminantes par leur nombre, elles le sont aussi par leur nature. Il s'agit en grande partie de terres qui créent une emprise foncière immédiate à la commanderie, contrairement à Chevru pour laquelle les donations, moins importantes, sont constituées essentiellement de redevances.

Domaine du Temple de Chevru


Domaine du Temple de Chevru
Domaine du Temple de Chevru


Parmi les nombreuses donations faites aux Templiers de la Neuville, le seigneur de Bussy leur cède un emplacement entre Bouy et Ponreux pour y construire un moulin et un vivier à poissons, et Jean de Possesse leur donne, en 1165, l'hôpital de Possesse et ses dépendances, auxquelles s'ajoutent de multiples donations de seigneurs locaux.

Domaine du Temple de Possesse


Domaine du Temple de Possesse
Domaine du Temple de Possesse


En 1188, le seigneur de Mareuil, leur cède le village de Dampierre-sur-Vesle et ses appartenances. Les donations sont très diverses : terres, redevances, dîmes, droits ou personnes... Elles se différencient de celles effectuées un peu plus tard contre des conditions matérielles. Sur les quatre-vingt-dix donations, une trentaine a été faite dans les dix premières années d'existence de la commanderie ; ensuite, nous comptons deux à quatre donations par décennie, avec une légère recrudescence entre 1180 et 1239.

Les donations faites à la Neuville-au-Temple, nombreuses et variées, en constituent la principale source d'enrichissement mais ne suffisent pas. Au cours de la période de regain apparaît une nouvelle forme d'acquisition : l'échange et la donation avec contrepartie.

Le cartulaire contient huit chartes mentionnant des échanges faits par les Templiers à partir de 1200 et une seule charte de donation avec contrepartie financière datée d'avril 1228. Rien ne permet d'affirmer que les frères aient sollicité cet acte, mais il est certain qu'il représente un avantage considérable pour eux car il concerne une de leurs seigneuries. L'unicité de ce type de donation à la Neuville est remarquable.

Cela se retrouve à Chevru, alors qu'en Normandie, 10 pour 100 des actes sont des donations rémunérées, et qu'à Douzens, dans le sud de la France, ce sont les plus importantes. Il semble qu'en Champagne, berceau de l'ordre du Temple, celui-ci n'a que rarement besoin de recourir à de telles pratiques qui émanent souvent d'une pression exercée sur les donataires. Les échanges sont également peu nombreux mais significatifs : les Templiers reçoivent au XIIIe siècle les dîmes et terres des abbayes de Saint-Vanne et de Montier-en-Argonne au finage de Noirlieu contre de petites rentes en céréales ; en 1299, ils échangent une terre de 15 journées contre une surface égale répartie en divers endroits, au milieu de pièces leur appartenant déjà, et un cens annuel. Ces exemples révèlent le déséquilibre entre les biens perçus par les Templiers et la contrepartie, ainsi que leur volonté de créer des domaines unitaires en supprimant les enclaves de leurs terres. Débutés dans les années 1200-1220, ces échanges s'intensifient sur la fin de la période templière mais demeurent marginaux et caractérisent le XIIIe siècle alors que les donations se font rares. Ces pratiques participent de la politique de regroupement des terres issues de donations, tout comme les achats qui apparaissent plus tardivement.

Les vingt-six achats exécutés par les Templiers représentent 20 pour 100 des actes du cartulaire, et apparaissent dans les années 1240. Dans les deux premières décennies, deux actes particuliers mentionnent ce que Victor Carrière appelait des ventes-parties, traitant à la fois d'une vente et d'une donation et concernant des parties d'un même objet, la part vendue y étant toujours supérieure à la part cédée. Ces chartes sont des actes intermédiaires entre le don par piété et la vente par profit, caractéristiques de la période de transition et de raréfaction des dons. De telles transactions peuvent être motivées par l'aura que continue d'avoir l'ordre, mais comment expliquer alors le ralentissement du nombre des donations, sinon que ces ventes-parties sont plutôt sollicitées par les Templiers eux-mêmes qui souhaitent toujours accroître et organiser leur temporel à moindres frais. Les autres achats sont traditionnels et touchent souvent des lieux où les frères ont déjà des biens. Leur premier achat, en 1232, concerne 100 journées de terres arables à Noirlieu, où ils ont déjà effectué des échanges.

Domaine du Temple de Noirlieu


Domaine du Temple de Noirlieu
Domaine du Temple de Noirlieu


L'expansion du temporel de la Neuville-au-Temple s'est échelonnée sur trois phases distinctes. Dans un premier temps, entre 1130 et 1240, les donations affluent de toute la région, constituant un réseau de possessions étendu mais désorganisé. Dès 1200 et jusqu'à la fin de leur existence, les Templiers commencent à structurer leurs domaines par quelques échanges. Puis quand les donations se raréfient, à partir de 1240, ils ont recours à l'achat pour parachever l'organisation de leurs terres en des domaines unitaires et cohérents. Ce développement foncier, comparable à celui des commanderies normandes, diffère totalement de celui de la commanderie de Chevru où les achats sont le moteur des donations.

La bulle du pape Innocent III dresse, en 1268, la liste des possessions de la commanderie, alors que son expansion n'est pas achevée. Outre le chef-lieu qui comprend :
Un moulin, la Neuville détient trois villages complets
Saint-Etienne, Dampierre et Saint-Hilaire avec leur seigneurie
Les maisons de Possesse et Noirlieu, onze moulins, vingt-deux maisons dont la moitié à Châlons, une multitude de redevances, dîmes, droits, terres, prés, bois et vignes.

Ces biens sont répartis dans plus de trente-cinq villages et villes du diocèse de Châlons et des diocèses voisins. Ce document exceptionnel nous donne une véritable vue photographique de l'étendue du temporel de la Neuville et permet de mieux appréhender le développement de ses domaines autour de Châlons un siècle seulement après sa fondation. La gestion d'un tel patrimoine, dispersé sur une région, nécessite une organisation sans faille.

Les chartes du cartulaire ne nous fournissent que des renseignements indirects sur le potentiel humain de la Neuville-au-Temple aux XIIe et XIIIe siècles. Dans le procès des Templiers plusieurs références sont faites qui permettent d'en considérer le peuplement et d'esquisser une idée du potentiel archéologique du site. La multitude de biens recensés pour cette seule commanderie ne doit pas nous leurrer sur le nombre des frères templiers et hospitaliers présents en Europe. Robert Fossier estime leur nombre à deux mille à la fin du XIIIe siècle pour tout le royaume, soit en moyenne trois personnes par commanderie, le commandeur étant assisté d'un ou deux frères, et parfois d'un chapelain. Le procès rapporte la déposition de plusieurs frères qui relatent leur réception dans l'ordre, dans la chapelle de la Neuville, en présence d'un prêtre et de plusieurs frères.

Ceux-ci sont au nombre de six dans les années 1270-1280, nombre supérieur à la moyenne émise ci-dessus. On assiste aussi à la réception dans la décennie 1290 d'un frère pour desservir la maison de Possesse. Les frères ne sont pas nombreux dans les membres, il n'y en a souvent qu'un, voire aucun. Le personnel exploitant qui gravite autour de la commanderie sans appartenir à l'ordre est beaucoup plus nombreux ; il se répartit les tâches agricoles et domestiques. Nous n'avons aucune notion de l'effectif de ces travailleurs qui ne sont pas mentionnés dans les chartes. Cependant, des familles entières de serfs sont données en aumône au Temple par les seigneurs voisins. Jusque dans les années 1150, les frères de la Neuville obtiennent ainsi plusieurs dizaines de personnes. D'autre part, à la fin du XIIIe siècle, d'humbles personnes se soumettent elles-mêmes à la servitude de la commanderie.

La Neuville possède ainsi des agriculteurs, mais aussi des artisans. Le peuplement de la Neuville semble avoir été important comparativement à celui d'autres commanderies, avec la présence systématique d'un chapelain et de plusieurs frères dans la maison mère et dans certains membres. Les effectifs très importants du personnel exploitant laissent envisager une exploitation intense qui, loin de ressembler à une production autarcique, se tourne vers l'économie régionale.

La fondation de la commanderie de la Neuville-au-Temple-lez-Châlons s'inscrit dans les prémices du processus de développement de l'ordre en Occident.

Installée au plus tard en 1132 sur des terres stratégiquement choisies, la petite exploitation agricole du début est devenue, en moins de cent ans, un domaine puissant alliant des atouts agricoles, industriels et commerciaux sur toute la région. Toute sa richesse est fondée sur un vaste élan de donations, émanant de seigneurs voisins comme de donateurs plus modestes, soutenu par les évêques de Châlons et les comtes de Champagne. Au cours de deux phases ultérieures, les Templiers ont échangé, puis acheté les biens qui leur manquaient afin de parachever l'unification de leur domaine.

Excellents gestionnaires, les Templiers l'ont été, aussi bien dans l'acquisition de leur temporel que dans l'exploitation de celui-ci, tout au long de leur existence, jusqu'au début du XIVe siècle. À partir de cette date, le domaine subit de multiples bouleversements modifiant en partie son mode de gestion.

Évolution du domaine à partir du XIVe siècle
Une rupture s'opère dans l'administration des biens de la Neuville-au-Temple et de toutes les commanderies du royaume dans la première décennie du XIVe siècle. Elle est provoquée par l'abolition de l'ordre du Temple par Philippe le Bel en 1306 et par le transfert de ses biens aux Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Le cartulaire s'achevant en 1306, il n'y a aucun texte jusqu'en 1334. Ensuite, apparaissent quelques sentences arbitrales et arrêts du Parlement, mais aucun texte d'activité immobilière ou économique, carence liée à l'apparition d'une grave crise née de la guerre et de la peste au milieu du XIVe siècle. Ce n'est que dans un second temps que les Hospitaliers entreprennent une réorganisation foncière de leurs nouvelles possessions, qui aboutit à une nouvelle méthode d'exploitation.

Le transfert des biens du Temple à l'Hôpital ne s'est pas fait immédiatement. Il y eut une période intermédiaire de gestion par des régisseurs nommés par Philippe le Bel pour administrer sur place les biens séquestrés. Nous n'avons pas plus de trace documentaire de la régie royale des biens de la Neuville que de sa chute ; l'inventaire dressé lors de l'arrestation ne nous est pas parvenu. Michel Miguet a montré que cette période correspond, en Normandie, à un quasi abandon des édifices et des récoltes pendant environ cinq ans. L'absence totale de texte à ce sujet à la Neuville-au-Temple corrobore pleinement cette idée de gestion peu scrupuleuse malgré les contrôles établis par Philippe le Bel.

Le 2 mai 1312, une administration plus stable débute avec l'attribution des biens du Temple à l'ordre de l'Hôpital, généralement à la maison la plus proche : la Neuville est confiée aux Hospitaliers de Saint-Amand. Cette augmentation soudaine du temporel des Hospitaliers ne s'est pas déroulée sans heurts. Outre la lourde somme que leur réclame le roi en dédommagement de la gestion qu'il a assumée (Alain Demurger), les biens récupérés sont souvent ruinés. L'apport des biens du Temple coûte donc à l'Hôpital une importante crise financière de plus de trente ans qui correspond à l'absence de texte relevée à la Neuville et à l'arrêt total des transactions immobilières. La commanderie semble plongée dans le marasme pendant presque trois décennies. Son temporel n'a d'ailleurs pas été absorbé par la commanderie hospitalière de Saint-Amand mais a continué de faire l'objet d'une administration totalement indépendante. Alors que les Hospitaliers font tout leur possible pour rétablir leur temporel, de nouveaux bouleversements ralentissent les tentatives de réorganisation de la Neuville.

Une grave crise naît de la coïncidence, au milieu du XIVe siècle, de deux facteurs particulièrement actifs en Champagne : la guerre de Cent Ans et l'épidémie de peste qui ont engendré pillages et jacqueries et participé à l'épuisement général de la région. Nous possédons des lettres patentes du roi Charles V accordant, en 1366, aux commandeurs de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem au prieuré de Champagne qu'ils puissent rentrer dans tous leurs biens perdus par le temps ou usurpés par les guerres. Les pertes des préceptories de Champagne sont suffisamment importantes pour que le roi de France intervienne en leur faveur. La Neuville a dû terriblement souffrir de ce climat d'insécurité du fait de la proximité de Châlons et des batailles. Cette période de crise correspond à la poursuite de la phase de sommeil de la commanderie, entamée dès la chute du Temple. Les Hospitaliers, malgré les difficultés qu'ils ont rencontrées après la prise de possession des biens templiers, ont rapidement tenté de rétablir le foncier de la commanderie, afin d'en extraire les bénéfices dont ils avaient besoin pour financer leurs combats en Orient. Leur premier achat intervient dès 1370. À la Neuville, l'expansion des domaines ne s'est pas achevée avec la disparition du Temple, contrairement à la Normandie. Les Hospitaliers ont prolongé, entre 1370 et 1766, la politique d'acquisition de leurs prédécesseurs, mais leurs apports sont minimes. Les signes de reprise d'activité de la commanderie, après les difficultés du XIVe siècle, sont avant tout d'ordre immobilier : achats et échanges de terres oeuvrant au comblement d'enclaves dans des lieux déjà conquis par les Templiers.

Dans les actes d'accensivement ou de vente apparaissent quelques mentions indirectes des pertes subies par la commanderie pendant les tourmentes. Le fief de Chanteraine qui était une part importante du temporel de la commanderie sous les Templiers est abandonné au début du XVe siècle par les Hospitaliers alors qu'il était déjà accensé.

Domaine du Temple de Chanteraine


Domaine du Temple de Chanteraine
Domaine du Temple de Chanteraine


Cependant, le 10 mars 1515, une certaine Catherine de Beaumont accepte de rendre le fief de Chanteraine au commandeur moyennant une indemnité de rachat. Cet acte qui atteste la perte du fief de Chanteraine pendant la guerre de Cent Ans illustre la tentative de rétablissement du temporel par les Hospitaliers. L'ordre s'efforce de recouvrer ses biens, même au moyen du rachat. L'instabilité et le manque de main-d'oeuvre issus de la crise ont obligé le commandeur à abandonner l'exploitation directe, de même qu'ils l'ont amené à céder des terres à censive perpétuelle. Aucun document ne fait référence à l'existence de friches, mais elles furent certainement de rigueur en Champagne comme en Normandie après 1450. Cela expliquerait l'abandon d'étendues considérables de terres labourables. N'ayant plus la possibilité de mettre en valeur ses biens l'Hôpital préfère les céder en contrepartie d'une faible rente. Certains biens ont été récupérés par les commandeurs successifs mais d'autres ont été perdus à jamais, par un processus progressif d'abandon.

Les commandeurs hospitaliers n'ont guère profité de répits puisque de nouveaux troubles apparaissent avant le milieu du XVIe siècle : les guerres étrangères menées par François Ier et les guerres de religion dans lesquelles les Hospitaliers sont étroitement impliqués. Nous avons deux témoignages des dommages subis par la Neuville.

Un procès-verbal dressé en octobre 1597 énumère les membres de Possesse, Bussy-le-Repos, Noirlieu, Charmont, Vroil et Vernancourt comme étant désertés à cause des guerres.

Le commandeur précise qu'il n'en a reçu aucun produit depuis quatre ans, ce qui a considérablement affecté le revenu de la maison mère.

Le terrier de 1659 décrit l'état des bâtiments après le passage des guerres : « Scavoir un enclos de murailles comprenant 14 danrées dans lequel il y a des bastiments lesquels sont en masures pour avoir esté ruinés par les guerres... Y avoir aussi une chapelle sur laquelle y avoit un closcher, laquelle chapelle et son closcher avoit esté pareillement ruiné et bruylés ».

Moulin de la Neuville : « il estoit ruyné quand le sieur commandeur a été pourvu de la commanderie ».

Ces guerres ont affecté les membres autant que la maison mère par la diminution de ses revenus et la démolition de ses bâtiments.

Ces facteurs générateurs d'insécurité et de dépeuplement ont incité les Hospitaliers à modifier la gestion de leurs exploitations par l'abandon progressif de l'exploitation en faire-valoir direct. Pour cela, ils adoptent différents types de baux dont les quantités respectives et la nature évoluent au cours de la période. Les accensements perpétuels caractérisent une première phase et une zone géographique éloignée de la maison mère. Ils sont passés dès la fin du XIIIe siècle sur les membres, et concernent des biens à remettre en état ou des biens devenus mutiles en raison de la conjoncture économique. Plus significatifs sont les baux signés pour un nombre d'années spécifique, ils apparaissent dès le milieu du XVe siècle sur les terres du chef-lieu autant que sur les membres. Ces baux, de courte, moyenne ou longue durée, ne sont pas signés au hasard, ils répondent d'une gestion précise du commandeur qui adapte chaque bail à la situation.

L'évolution de l'affermage du coeur de la commanderie reflète les événements survenus dans la région ou le royaume. La première phase, entre 1455 et 1474, est assez pauvre et atypique, avec seulement quatre baux de durée très variable ; elle correspond à la fin de la guerre de Cent Ans et à de nouvelles épidémies de peste dans les campagnes exsangues. C'est une amorce de l'affermage du coeur de la commanderie, alors que celui des membres est en cours d'achèvement. Entre 1535 et 1614, s'opère une véritable montée de l'affermage du chef-lieu, avec vingt-huit baux en majorité courts, signe que le commandeur souhaite conserver une surveillance sur ses biens.

La dernière période d'affermage débute en 1695 et ne s'achève qu'avec la Révolution. Elle comprend trente-deux baux dont la durée moyenne s'allonge. Cette phase ne correspond plus à des événements historiques, mais à l'habitude d'une nouvelle catégorie de commandeurs de se détacher du chef-lieu pour la vie urbaine. L'antériorité de l'affermage des membres sur celui du coeur de la préceptorie rend compte de la progression dans la gestion du temporel. L'affermage se poursuit jusqu'à la disparition de la commanderie en évoluant vers un nombre croissant de mises à ferme et vers une augmentation de la durée des baux. Le passage de baux à court terme des deux premières phases, à des baux à moyen terme, s'effectue à la fin du XVIIe siècle. La nature des biens affermés varie également au cours de ces deux siècles et demi. Les premières mises à ferme sont encore anecdotiques ; elles deviennent plus importantes dès le milieu du XVIe siècle. Un bail de 1556 concerne la censé de la Neuville, c'est-à-dire la demeure, les granges et étables, les cours, le jardin, les prés et les terres labourables dont les Bouchenots, le champ Margaine et l'Arbre à la Tombe. Un bail de 1665, fait pour neuf ans, concerne la même maison de la Neuville, avec les droits seigneuriaux de Saint-Étienne, le moulin de la Neuville, les chènevières, 100 journées de terres labourables, la censé de Chanteraine, le moulin de Saint-Hilaire, le champ Dame Marguerite et toutes les redevances en dépendant. L'affermage débute par quelques biens répartis autour de l'enclos et s'achève par la quasi-totalité de la préceptorie au milieu du XVIIe siècle. En parallèle, les loyers se convertissent au fur et à mesure en argent. Ces deux tendances sont caractéristiques d'une inclinaison des commandeurs de cette période à préférer recevoir des revenus sûrs et rémunérateurs, à devenir des rentiers des terres et droits qu'ils possèdent.

La prise de possession de la commanderie par l'ordre des Hospitaliers est suivie d'une phase pratiquement inerte en ce qui concerne l'accroissement du temporel. Au milieu du XVe siècle, dès les troubles internes à la commanderie éloignés, les commandeurs hospitaliers tentent de surmonter la crise engendrée par les guerres, les épidémies et le dépeuplement. À cette fin, ils modifient radicalement la politique de mise en valeur des terres issue des Templiers pour adopter l'affermage croissant des biens qui leur sont confiés. Les commandeurs hospitaliers n'ont toutefois jamais abandonné la stratégie élaborée par les Templiers visant à créer des domaines homogènes. Ces modifications se répercutent sur la dernière phase d'existence de la commanderie qui ne remplit plus les mêmes rôles.

La fin de l'existence de la commanderie
Au XVIIIe siècle, la commanderie subit plusieurs changements dont les derniers lui sont fatals. Dans un premier temps, alors qu'elle appartient encore à l'Hôpital, la préceptorie voit l'abandon progressif de ses fonctions. Plus grave est sa réquisition et la vente de la totalité de ses domaines comme biens nationaux à la Révolution.

Parallèlement à l'abandon de l'exploitation en faire-valoir direct des domaines, les commandeurs hospitaliers se sont, au cours du XVIIIe siècle, détachés des missions de la commanderie. Cela se traduit par la perte de sa fonction d'habitation seigneuriale, puis par la fermeture de sa chapelle.
Les premières mentions de l'abandon du logis apparaissent au XVIIIe siècle. Un bail du 4 décembre 1706 cite : « Jean Ferdinand de Ricard demeurant à Châlons en son Hostel de Malte » qui doit être l'ancienne maison templière des Hauts Degrés, rebaptisée, située aux alentours de l'actuelle rue Saint-Joseph (L. Grignon, Topographie historique de la ville de Châlons-sur-Marne, Châlons-sur-Marne, Martin, 1889, p. 322 à 326). Elle fut baillée dès 1595, mais dut être récupérée par un commandeur pour profiter du confort urbain. Les commandeurs deviennent des gestionnaires qui s'assimilent à l'aristocratie laïque, se détachant de plus en plus de la commanderie. Le dernier ne réside même plus dans la région : le terrier établi par Charles Picot de Dampierre en 1788-1789, dit que celui-ci est chef d'escadre des armées navales et qu'il demeure ordinairement à Brest.

Un bail de 1768 de la ferme de la Neuville atteste l'utilisation de la chapelle, mais un procès-verbal dressé en 1774, sous le commandeur Charles Picot de Dampierre, fait état de sa fermeture : « Interdite vu son mauvais estât de vétusté et de ruine et de son peu d'utilité n'étant chargée que d'une messe hebdomadaire qui devoit s'acquitter tous les vendredy ce qui auroit déterminer le sieur commandeur Etienne (...) de l'interdire et d'en transporter les messes en l'église paroissiale de Dampierre, dont le curé est rétribué par le fermier ». La fonction religieuse se transporte dans la paroisse voisine et le service n'est plus assuré par le chapelain de l'ordre. Les commandeurs évacuent la fonction religieuse de la maison mère prétextant la vétusté de la chapelle ; il est cependant étonnant qu'elle ait atteint un tel état de ruine en moins de six ans. Le fait qu'ils se déchargent depuis plusieurs décennies de la rémunération du chapelain prouve déjà un réel désintérêt des derniers commandeurs pour la mission religieuse de leur maison. L'abandon progressif de l'exploitation en faire-valoir direct par les commandeurs hospitaliers, devenant des rentiers du sol, les incite à délaisser les bâtiments et les fonctions de la commanderie. À l'heure de leur vente les édifices de commanderie ne sont plus que des bâtiments agricoles affermés.

A la fin du XVIIIe siècle, la Révolution française affecte définitivement l'ordre de Malte et ses maisons, entraînant, par un rapide processus, la disparition et la vente de toutes les commanderies. Le fonds d'archives de la Neuville fournit un bilan précis du domaine dans les dernières années de son existence et relate les ventes de tous les biens dont les administrateurs du Directoire dressent des inventaires. (Archives de la Marnes : série 53 H 9 pièce 9). Celui de 1792 répertorie les baux passés dans chaque lieu et donne une valeur d'environ 42.500 livres à la Neuville. En 1792, les frères de la Neuville possèdent encore des terres et des prés dans vingt-et-un finages différents, de nombreuses maisons, jardins et granges à Châlons et à Épernay, trois moulins à Châlons et aux environs de la Neuville, des vignes aux alentours d'Épernay et divers bois, garennes et chènevières dans plusieurs lieux. Ces documents sont précieux, ils représentent un état photographique du domaine dans ses derniers instants. Les ventes de ces différentes propriétés comme biens nationaux vont entraîner un morcellement du domaine entre plusieurs acheteurs.

En avril 1793, l'ensemble du chef-lieu est divisé et vendu en neuf lots, suite à une première tentative de vente non aboutie de la totalité des 787 journées. La principale vente est constituée des bâtiments de la commanderie, de la moitié de ses terres au terroir de la Neuville, de quelques pièces de bois, de garennes, et de pâturages. Le tout est vendu 65.000 livres à un marchand de laine de Châlons. L'autre moitié des terres est vendue en différents lots à des laboureurs des environs. Les biens situés à Châlons et dans les différents membres sont vendus entre novembre 1793 et septembre 1795 ; il s'agit essentiellement de petits lots de terres et de jardins de faible valeur.

Seule la ferme de Maucourt atteint le prix élevé de 350 000 livres pour 120 journées de terres et une fauchée de prés, ce qui semble disproportionné par rapport au prix de la Neuville. Ces ventes ont été rapides, elles ont intéressé les cultivateurs voisins qui ont profité de cette occasion pour renflouer leurs propres possessions. Ces ventes constituent les premières atteintes portées au parcellaire de la Neuville-au-Temple. Le morcellement amorcé se poursuit lors des différents partages successoraux, puis lors des remembrements du milieu du XXe siècle.

Très rares sont les dernières allusions à la vie de la commanderie, et quasi inexistantes les sources directes concernant les bâtiments après leur vente. La Neuville-au-Temple est citée dans le dénombrement de 1773, soit vingt ans avant sa vente, avec quinze habitants. Jean Chalette en parle, en 1845, comme d'un village ayant existé et affirme que l'enclos de commanderie a été détruit en 1789 alors que le village avait depuis longtemps disparu. (J. Chalette, Précis de la statistique générale de la Marne, dictionnaire des communes, Châlons-sur-Marne, Bonniez-Lambert, 1845, t. II, p. 106).

La question de l'existence d'un village à la Neuville-au-Temple est délicate. Les auteurs du XIXe siècle en mentionnent un, mais les archives infirment cette hypothèse. Il apparaît qu'il y a eu confusion, chez ces auteurs, entre les bâtiments de commanderie et la présence de fermiers y logeant après que les commandeurs aient déserté les lieux. Les plans terriers représentant précisément les villages de Dampierre, Saint-Hilaire, Saint-Étienne et le domaine de la Neuville, ils auraient présenté un tel bourg s'il avait existé. Nous sommes donc sûrs que l'enclos de commanderie avait déjà disparu en 1839, mais il est faux qu'il ait été détruit avant 1789 puisqu'il est mentionné sur les actes de vente de 1793. La destruction des bâtiments après leur désaffectation demeure très sombre et semble avoir été brutale, ayant eu lieu entre 1793 et 1839, peut-être volontairement.

Plan de la Neuville


Plan de la Neuville
Plan de la Neuville
Plan de la Neuville - Pour ordinateurs


Dans cette situation de disparition précoce et totale des témoins architecturaux, les vestiges archéologiques de la Neuville-au-Temple sont aujourd'hui très rares. La superposition du plan d'arpentage de 1751 et du plan d'occupation des sols a mis en évidence l'emplacement exact des anciens bâtiments sous les hangars actuels.

Plan de la Neuville


Plan de la Neuville
Plan de la Neuville
Plan de la Neuville - Pour ordinateurs


Cette réoccupation contemporaine du site est notoire quant à sa continuité avec le Moyen Âge, elle pose cependant le problème de définition des méthodes d'étude archéologique du site. Les contraintes matérielles des sondages au godet lisse, première méthode retenue, et le coût d'une prospection électromagnétique qui n'aurait pas été exhaustive étant donnée l'emprise des constructions, ont conduit à se limiter pour le moment à cette étude de situation. On peut toutefois penser qu'une partie des anciennes élévations se trouve sous le champ labouré qui jouxte les hangars. L'enquête orale nous a appris que des morceaux de tuileaux remontent régulièrement dans les labours, ainsi que quelques fragments de craie, matériau largement répandu dans la région qui devait caractériser l'ensemble du bâti. Une monnaie de Charles de Gonzague aurait également été trouvée sur le site. L'unique témoin matériel de la Neuville est une mesure à grains retrouvée hors contexte archéologique, utilisée comme fonts baptismaux dans l'église de Dampierre-au-Temple. (J. Berland, Une ancienne mesure à grains de la commanderie de la Neuville-au-Temple, Châlons-sur-Marne, A. Robat, 1913).

Mesure à grains de La Neuville-au-Temple


Mesure à grains de La Neuville-au-Temple
Mesure à grains de La Neuville-au-Temple


Cette mesure en pierre, à double cuve ornée de croix de Malte, est aujourd'hui conservée au musée de Châlons. Si la prospection sommaire de la rivière s'est révélée vaine en ce qui concerne l'emplacement exact du moulin, cette méthode s'est révélée fructueuse à Chevru où les vestiges de la chaussée et de l'écluse du moulin de « Jaillart » sont apparus. La seule particularité relevée est l'abondance significative de tuiles dans un petit coude de la rivière, juste en contrebas du hangar et donc de l'ancien enclos. Cet endroit serait le meilleur emplacement pour un moulin au vu du débit de la rivière. Rien ne prouve cependant que les tuiles aient appartenu à ce moulin. Les témoins archéologiques de surface sont trop infimes pour faire l'objet d'une étude particulière. Ils permettent tout juste d'appréhender l'emplacement des élévations. Il faut espérer que les fondations de la construction actuelle et les hangars n'endommagent pas trop les vestiges du sous-sol.

La fondation de la commanderie de la Neuville-au-Temple-lez-Châlons est étroitement liée à l'histoire de l'intégration de l'ordre du Temple en Occident. Le schéma de cette commanderie précoce a persisté dans la création de la plupart des commanderies de l'arrière. Nées d'une politique volontariste d'installation menée par les frères du Temple et d'un élan de générosité de la population laïque et du clergé, elles ont rapidement prospéré. La phase ultérieure d'évolution et d'accroissement du temporel découle de la nécessité pour l'ordre de produire de grands rendements en corrélation avec la vie économique de la région. Elle privilégie toujours le regroupement des biens en domaines d'un seul tenant. Du fait de la grave crise des XIV et XVe siècles l'évolution quantitative du temporel s'arrête sous les Hospitaliers. Nous assistons parallèlement à l'adoption de l'affermage qui remplace l'exploitation en faire-valoir direct. La mise à bail des biens devient totale au XVIIe siècle, modifiant complètement le rôle de la commanderie jusqu'alors parfaitement défini. La Neuville, comme toutes les préceptories du royaume, devient une simple exploitation agricole que les commandeurs surveillent depuis la ville, la commanderie s'affirmant dans son rôle de « grosse ferme ». C'est au moment où elle exhibe le moins ses attributs seigneuriaux et religieux qu'elle est confisquée et vendue comme bien national, avant d'être démantelée à l'extrême fin du XVIIIe siècle. Sa fin est obscure, au point qu'elle a pu être confondue avec un village qui n'a jamais existé. Les rares témoins archéologiques perceptibles sans fouille du site sont beaucoup trop faibles pour éclairer cette période. Hormis quelques périodes restreintes qui demeurent mal connues, l'historique de la préceptorie de la Neuville-au-Temple est particulièrement favorisé par les sources écrites qui renseignent également précisément sur la nature et l'organisation des terres, servant efficacement l'archéologie du terroir.

L'organisation des terres : une archéologie du terroir
L'approche de l'évolution historique de la Neuville-au-Temple a mis en évidence l'étendue de ses possessions et leur éparpillement sur toute la région. Un tel temporel nécessite une organisation des terres raisonnée pour se maintenir et prospérer. Il s'agit de comprendre les rouages de l'organisation spatiale de la commanderie et de ses membres. À partir d'une vision d'ensemble de l'établissement, il convient de restreindre l'étude aux seules terres du chef-lieu lui-même afin de mettre en évidence les formes fossilisées qui nous en sont parvenues, ceci en utilisant les méthodes de l'archéologie du paysage.

Un chef-lieu rayonnant
Les textes sont extrêmement clairs sur le rôle rempli par la Neuville-au-Temple. Ils font une allusion directe au « chef-lieu de la Neuville-au-Temple ». Le terme de membre est plus récent, mais les textes sont assez explicites pour que nous puissions classer les nombreuses possessions de la Neuville dans cette catégorie.

Les possessions les plus proches de la maison de la Neuville sont celles de Dampierre, Saint-Hilaire et Saint-Étienne-au-Temple, leur continuité en fait un important domaine presque homogène. Les autres biens sont dispersés dans un rayon de soixante kilomètres, au-delà d'Épernay, de Vitry-le-François, et de Possesse. Au nord, ils se limitent à dix kilomètres jusqu'à Livry. Au XVIIIe siècle ces biens sont répartis dans cent douze villages différents. Leur implantation suit essentiellement les cours d'eau : la Vesle, la Marne, la Coole, la Moivre, la Saulx, l'Auve et la Tourbe. Elle est concentrée autour d'anciennes maisons qui ont été réunies à la Neuville : Maucourt, Possesse ou Noirlieu. Michel Miguet a établi un rapprochement entre l'organisation des terroirs des maisons d'ordres militaires et celles de Cîteaux « entourées d'un semis d'exploitations annexes, les granges ».

Le schéma d'implantation mis en évidence à la Neuville ressemble à celui de la commanderie de Sainte-Vaubourg dans la plaine de Caux, qui rayonnait également sur soixante kilomètres. Cette dispersion est représentative de l'ampleur de l'élan de générosité envers les Templiers. Ils ont bénéficié en majorité de biens bordant des rivières, avantage considérable. À l'égard de cette dispersion, la Neuville-au-Temple se situe entre deux types de commanderies définis par Robert Fossier. Elle ressemble au type polynucléaire d'une préceptorie comme Sommereux qui possède des biens dans un rayon de soixante-dix kilomètres. Mais, malgré son étendue, elle semble plutôt s'inscrire dans le groupe des « commanderies rassemblées » du type de Provins ou Barbonne. Elle est en effet assez éloignée des autres commanderies de la région, installée à « proximité immédiate d'un centre marchand actif », Châlons-sur-Marne, et son essaimage correspond à une « volonté de quadrillage » de la région. Ce schéma facilite l'intégration de maisons voisines, comme ce fut le cas de la commanderie de Maucourt.

Des événements historiques importants ont modifié le statut de la maison de Maucourt et entraîné son rattachement à la Neuville-au-Temple. Fondée en 1185 par les donations de Jean et Hugues de Possesse de terres, bois, prés, rivière, et surtout de la seigneurie de Maucourt, elle constitua une commanderie prospère. Maucourt perd son autonomie en 1544 à cause de la destruction de la ville de Vitry-en-Perthois par Charles Quint : François Ier intervient dans sa reconstruction en choisissant le site de plaine de la seigneurie de Maucourt et en réquisitionnant ses terres. Il y fait transporter les matériaux de l'ancienne ville pour rebâtir une agglomération au plan régulier, Vitry-le-François. Le titre et les biens persistants de la seigneurie de la commanderie de Maucourt sont réunis à celle de la Neuville. Le commandeur de la Neuville devient alors aussi celui de Maucourt, et la maison est désormais appelée commanderie de la Neuville-au-Temple et de Maucourt-lès-Vitry. Ce cas de rattachement est atypique. Il ne résulte pas d'une déficience de rendement, mais d'un événement historique, la guerre entre François Ier et Charles Quint.

L'organisation spatiale des terres de la Neuville-au-Temple s'est mise en place dès les premières donations, de façon d'abord un peu arbitraire, puis de manière raisonnée par l'intermédiaire des échanges et des achats. Cela a abouti à la création d'un grand ensemble morcelé en plusieurs petits domaines unitaires, les membres, dirigés par un chef-lieu. Ce schéma facilite la gestion de l'ensemble et limite les risques de catastrophe économique grâce à la diversification des ressources des membres sur lesquels rayonne le chef-lieu.

Les terres du chef-lieu de la Neuville
Pour des questions de continuité des terroirs, il est légitime de considérer les seigneuries de Dampierre, Saint-Étienne et Saint-Hilaire comme partie intégrante du chef-lieu. En réalité, celui-ci n'est constitué que des biens situés au lieu-dit de la Neuville-au-Temple.

Une lecture attentive des terriers et plans permet de définir le parcellaire de ce chef-lieu qui a fortement marqué le paysage médiéval et moderne. Cinq terriers sont particulièrement intéressants : le plus ancien date de 1547-1548 ; seul le dernier, de 1788-1790, est agrémenté de plans.
Nous possédons également un plan d'arpentage effectué en 1751.

Le plan de 1751 représente les contours de la seigneurie de la Neuville qui s'étend sur neuf kilomètres d'ouest en est, transversalement à la Vesle, et sur trois kilomètres du nord au sud. À l'ouest, la portion principale de terres est constituée par les Grands Travers, au nord desquels se trouve une bande de terre, les Petits Travers avec à l'ouest, l'Arbre à la Tombe. À l'est de la rivière, se trouve la vaste Contrée du Plantinot et, au nord de celle-ci, isolé, le champ Dame Margaine. Le domaine, qui totalise 363 hectares au milieu du XVIIIe siècle, est délimité au nord par les terres labourables de Dampierre, à l'est par celles de Cuperly, au sud par celles de Saint-Étienne et, à l'ouest par celles de La Veuve.

Les terriers nous fournissent plus de précisions sur le parcellaire lui-même. La parcelle sur laquelle étaient élevés les bâtiments de commanderie à l'ouest de la rivière, délimitée par le chemin de Dampierre à Saint-Étienne, le chemin du Moulin, le Grand Jardin derrière la grange au nord de la commanderie, et un autre jardin du côté de la rivière, faisait 14 danrées (mesure agraire). Ce Grand Jardin, d'environ 14 journées, était constitué de cultures, de bois, d'une chènevière et d'un pré. Il y a deux autres petites chènevières, l'une au sud de la chapelle, l'autre, plus grande, entre la maison, le moulin et la garenne du bois du Plantinot, au nord de la maison, le long de la rivière. Deux autres petites garennes sont enclavées dans les Grands Travers ; la plus proche de la maison s'appelle la garenne du Marché, l'autre, la garenne de la Crayère. Elles font respectivement 13 journées et 3 danrées. Le petit carré de bois, enclavé au sud des Travers, est la Remise de la Folie. Les prés de l'Étang, situés au centre du domaine entre la rivière et le Plantinot, et les prés situés au sud de ces derniers font chacun 8 journées. Ces douze parcelles constituent un vaste ensemble cohérent, avec deux enclaves. La distribution des parcelles par rapport à l'enclos des bâtiments de commanderie est à l'image de la constitution et de l'évolution du temporel. Les bâtiments ont été édifiés sur les premières terres possédées, lesquelles se sont, par la suite, accrues au fur et à mesure en direction des espaces libres, c'est-à-dire l'ouest et l'est - le nord et le sud étant occupés par les villages de Dampierre et Saint-Étienne.

La superficie et la distribution du terroir de la Neuville sont comparables à celles de la grange cistercienne de Champigny. Le parcellaire médiéval et moderne des terres de la seigneurie de la Neuville-au-Temple est homogène et assez simple. Il est révélateur de la manière dont il s'est constitué, signe du peu de modifications qu'il a subies depuis sa création. Ce domaine se prolonge sur les terroirs voisins de Saint-Étienne, Dampierre et Saint-Hilaire-au-Temple.

Terrier de 1788-1790 La Neuville


terrier de 1788-1790 La Neuville
Fig - 3 terrier
Terrier - Pour ordinateurs


À la fin du XVIIIe siècle, les terres de la seigneurie de Saint-Étienne sont constituées de quatre « lots » : les première et deuxième fermes d'échange issues de la cession au roi, en 1766, d'un terrain situé à Châlons contre ces deux terres sans bâtiment de 42 et 11 journées de superficie, le fief de Chanteraine de 124 journées, et la censé de la Cure de 46 journées. La seigneurie de Saint-Étienne totalise 223 journées, soit 89 hectares. Ce qui est quatre fois moins que les terres de la Neuville-au-Temple, mais qui en constitue un bon prolongement au sud-est. Le domaine s'étend également au nord-ouest sur les terroirs de Dampierre-au-Temple et de Saint-Hilaire-au-Temple, sur environ six kilomètres d'ouest en est et trois à quatre kilomètres du nord au sud pour chacune des deux seigneuries. Les terres de la commanderie à Dampierre-au-Temple sont regroupées au sein de la ferme de Montgravonne, divisée en douze parcelles de très petites dimensions. La commanderie possède en outre deux possessions dans la Grande Rue de Dampierre, deux au Bouchon de la Valette, une aux Ormes, au Prez Huyas, au Paradis, à la Grande Chènevière, au Noyer le Chat, à la Saulaye la Guide. Ce terroir comprend environ 9 journées, soit à peine 4 hectares. Il faut certainement revoir ce chiffre à la hausse car il est très inférieur aux 97 hectares du terroir de Saint-Hilaire. Sur ce dernier la commanderie possède la ferme de Vauprissière et Monbuzin composée de quatre pièces de terre : la pièce de Vauprissière de 134 journées, celle du Montbuzin de 22 journées, différenciée de la pièce Monbuzain de 8 journées, et le Chemin de Jésus de 18 journées. Il faut y ajouter neuf autres parcelles : deux à la Noue des Ponreux, une aux Aulnes, à la Gluyère, à la Medecent, au Moulin, à la Pièce du Temple, au Village et une dernière le long de la rivière.

Terrier de 1788-1790 La Neuville


terrier de 1788-1790 La Neuville
Fig - 4 terrier
Terrier - Pour ordinateurs


Ces quatre terroirs forment un domaine d'environ 558 hectares, ce qui est considérable pour le seul chef-lieu de commanderie sachant que le temporel complet, granges comprises, de Saint-Étienne-de-Renneville, plus importante commanderie de Normandie, était de 800 hectares. Ces terroirs sont extrêmement bien connus pour l'époque moderne et sont révélateurs, par leur configuration, de leur évolution à partir d'un noyau originel.

Les formes fossilisées
Les grands domaines médiévaux ont marqué les paysages dans lesquels ils s'inscrivaient par l'intermédiaire de leurs contours et de leurs parcellaires dont les formes ont persisté jusqu'à l'époque moderne. La Champagne a été fortement remembrée à partir de 1960, mais les photographies aériennes des années 1940-1950 restituent les terroirs avant remembrement. Par comparaison des documents modernes et contemporains, notamment des plans du cadastre napoléonien, et en se fondant sur les tracés peu évolutifs du paysage, il a été possible de mettre en évidence les formes fossilisées du terroir du chef-lieu de la Neuville-au-Temple. La persistance des formes s'observe d'abord à l'échelle des contours des domaines puis à celle du parcellaire lui-même et s'accompagne d'une continuité de la toponymie.

Paysage rural des alentours de Dampierre-au-Temple


paysage rural des alentours de Dampierre-au-Temple
(fig. 5) - Dampierre-au-Temple
Dampierre-au-Temple - Pour ordinateurs


L'étude attentive de la photographie aérienne de 1958 révèle les anciennes limites du domaine du chef-lieu de commanderie dans le paysage rural des alentours de Dampierre-au-Temple.

Les Grands et Petits Travers sont reconnaissables à l'ouest de la Vesle, avec leurs deux excroissances occidentales, ainsi que la Contrée du Plantinot à l'est. Ces limites sont matérialisées par les bordures de groupes de champs, et surtout par les anciens chemins.

Une partie de celles des anciennes seigneuries de Dampierre, au nord, et de Saint-Étienne, au sud, sont également visibles. Ces limites de domaines ont été reprises précisément dans le tracé des limites communales de Dampierre, Saint-Hilaire et Saint-Étienne-au-Temple. La commune actuelle de Dampierre-au-Temple est constituée de la réunion des anciennes terres des seigneuries de la Neuville et de Dampierrre. Seule l'excroissance de la Mortoise, à l'est de la seigneurie de Dampierre, a disparu. Au contraire, un morceau de la seigneurie de Saint-Étienne s'est greffé au sud-ouest de la commune de Dampierre, créant une excroissance au lieu-dit Belle Croix.

La ligne fictive de séparation entre les deux anciens terroirs est encore visible, matérialisée par les bordures de champs, au sud de la Tombelle et au nord du Haut des Garennes. De même, la commune de Saint-Hilaire-au-Temple a repris exactement les contours de l'ancienne seigneurie, de forme quadrangulaire, avec sa frontière orientale à l'aspect dentelé. Elle a seulement gagné un petit triangle de terre au nord des Petits Travers, à l'est de la rivière. Saint-Étienne-au-Temple est de forme plus irrégulière que les deux précédentes. Elle s'étend perpendiculairement à la Vesle en reprenant, elle aussi, les contours de l'ancienne seigneurie. Les Hâves de Pisseloup qui appartenaient jadis à la seigneurie forment à présent une enclave qui existait déjà, plus étroite, sur les plans de 1788-1790. L'unique gain de terrain est une petite superficie qui prolonge l'angle sud-ouest du lieu-dit la Finette. Les formes des anciens domaines du chef-lieu de commanderie de la Neuville nous sont parvenues pratiquement intactes.

Cette persistance des formes est l'aboutissement de plusieurs processus corrélés : l'invariabilité d'éléments géographiques tels que la rivière ou les microreliefs, la stabilité et la réutilisation des anciens chemins, le regroupement de parcelles en quartiers importants lors de la vente du domaine et surtout, le procédé de tracé des limites des communes sous l'Empire. Les géomètres qui ont dessiné les premiers plans cadastraux ont tout simplement repris comme limites des communes celles de l'ancien domaine de la Neuville qu'ils pouvaient encore lire dans le paysage. Ils n'ont pas cherché à créer de nouvelles formes alors qu'ils avaient à portée de main tous les éléments garants d'une bonne cohésion qui avait optimisé l'intégration des éléments géographiques, économiques et sociaux. Les contours de la commanderie se sont si bien insérés dans le paysage qu'ils en sont devenus un élément à part entière. Cette assimilation du terroir d'une commanderie par une commune est comparable à celle de Saint-Étienne-de-Renneville en Normandie dont les limites se retrouvent exactement dans la commune de Sainte-Colombe-la-Commanderie. La persistance des limites du domaine de la Neuville est le fait de la stabilité des éléments du paysage, de la continuité de l'entretien des bordures des champs, même si ceux-ci sont morcelés, et de la réutilisation de ces « marqueurs » pour l'établissement des limites communales. La mise en évidence de la survivance de ces formes anciennes dans le parcellaire contemporain est assez exceptionnelle et souligne tout l'intérêt de ce type d'archéologie du paysage.

La confrontation des plans cadastraux napoléoniens, témoins du parcellaire dans la première moitié du XIXe siècle, avec les plans des remembrements de 1963 et 1979 a permis de restituer l'évolution des parcellaires de Dampierre, Saint-Hilaire et Saint-Étienne-au-Temple au cours des deux remembrements qui n'ont pas eu la même incidence. Le premier a essentiellement consisté en l'affaiblissement de densité du parcellaire par le regroupement de parcelles voire de quartiers tels que le Mont Gravonne et les Épinettes à Dampierre-au-Temple. De même, à l'ouest de la rivière, les trois quartiers des Ormes, des Petits Travers et d'Au-dessus du Grand Jardin ont été réunis. À Saint-Hilaire-au-Temple, la zone orientale de la commune est remaniée en dix quartiers dont un très vaste nommé les Vignes. On note également quelques suppressions d'excroissances et inversions d'orientation des parcelles afin de constituer des quartiers plus homogènes et de faciliter leur desserte par les chemins déjà existants. Seul un nouveau chemin est créé qui délimite la Noue Gammont et le champ de la Quenouille à Dampierre, et la voie de chemin de fer reliant Châlons à Reims délimite à présent le Haut du Buisson Brandin. L'étroite bande de terrain le long de la Vesle a été très peu affectée par les remembrements de 1963, sans doute du fait de la nature de ses terres plantées d'arbres et en bordure de rivière ; le quartier de la Commanderie n'a pas bougé. Si ce premier remembrement a surtout consisté au regroupement des parcelles très étroites, le second, en 1979, a beaucoup plus radicalement bouleversé le parcellaire des trois communes. La zone orientale de Dampierre-au-Temple a fait l'objet d'un découpage très régulier en sept quartiers, totalement repensé pour le travail des engins agricoles modernes. La partie occidentale est plus préservée bien que traversée par l'autoroute A4 qui détermine les nouveaux quartiers agrandis des Ormes et des Grandes Noues où l'alignement des parcelles est à présent en épi par rapport à l'axe de l'autoroute. Ce deuxième remembrement a fait disparaître la grande majorité des formes parcellaires. La fossilisation la plus marquée était celle de la parcelle en L plantée d'arbres de la garenne du Marché qui était, selon l'enquête orale, encore visible il y a une dizaine d'années. Le remembrement de 1963 a modifié la structure parcellaire des trois communes sans vraiment la bouleverser, par le regroupement sans heurt de parcelles et de quartiers, et de nombreuses formes sont encore visibles sur les plans de remembrement. Au contraire, le second remembrement a été fait, en 1979, sur des bases totalement nouvelles effaçant presque toute forme fossilisée.

Les toponymes ont beaucoup mieux persisté que les formes parcellaires. La commune de Dampierre-au-Temple a conservé ceux de la Belle Croix, du Champ Marguenne, de la Tombelle, du Buisson Brandin, du Mont Gravonne, de la Voix Mortoise, du Haut des Garennes, du Plantinot et de la Folie. La Belle Croix était devenue la Croix lors des remembrements avant de reprendre son qualificatif d'origine, et le Bas des Garennes se retrouve sous la forme de Haut des Garennes sur le premier cadastre ; la Voix Mortoise est le résultat d'une dérive orthographique récente de la Voie Mortoise. À Saint-Hilaire-au-Temple, une dizaine de toponymes ont persisté : les Auches, Vau Prisiere, les Hauts Alleux, les Petits Travers, les Aulnes, la Pierre, les Champs d'Avize et Bourgogne. Trois toponymes sont plus récents : le Haut du Buisson Brandin, au sud-ouest de la commune, est un glissement de Dampierre à Saint-Hilaire; les Carelles est un toponyme qui existait à Saint-Étienne, mais qui en est trop éloigné pour s'expliquer par un glissement; quant au Chemin de Bouy, il existait sous la forme de Mont de Bouy dans la première moitié du XXe siècle. La commune de Saint-Étienne comporte encore un grand nombre de toponymes anciens. Certains ont perduré de façon continue et on les retrouve à toutes les époques : il s'agit du Terme des Bornes, du Verroir, de la Carelle, des Hâves de Dampierre, de Vavrelle, des Champs Henry, des Hivards, du Mont Verain issu de Vérin, des Tournants, des Franches Hâves, et de Colteres. Les autres ont été oubliés pendant un certain temps avant de retrouver leur usage récemment. Il s'agit de la Finette, du Mont de l'Arbre, des Hautes Tournières, des Maises, de la Haie Goblet, du Haut de Chanteraine, du Pré Durand, et du Bas de la Noue de Forêt. Tous les toponymes actuels de Saint-Étienne existaient déjà sur le cadastre napoléonien. La toponymie des trois communes issues des anciens domaines du chef-lieu de commanderie de la Neuville-au-Temple est d'origine moderne, voire souvent médiévale. Ce sont les noms de lieux utilisés sous les Templiers et les Hospitaliers qui, retranscrits sur le premier cadastre, ont perduré de façon exceptionnelle jusqu'à nos jours.

Les toponymes les plus significatifs, car éclairés par les textes, sont ceux du Mont de l'Arbre à Saint-Étienne et de la Belle Croix à Dampierre. Le terrier de 1788-1790 relate « qu'il y avait signes et fourches patibulaires au lieu appelé l'Arbre à la Tombe, que le tout a été détruit par les guerres (...). En ce même lieu, il y a deux ormes au milieu desquels, il y a une croix appelée la Belle Croix ». Il semble que les lieux-dits actuels du Mont de l'Arbre et de la Tombelle, adjacents, correspondent à cet ancien Arbre à la Tombe, et qu'il s'agisse du même lieu que la Belle Croix. On peut penser que le toponyme du Terme des Bornes est lui aussi issu d'aménagements faits par les frères, en l'occurrence la mise en place de bornes pour marquer les limites des domaines, cependant le Terme des Bornes ne se trouvait pas en périphérie du domaine. D'autres toponymes renseignent sur les caractéristiques juridiques ou agricoles des terres : ainsi les Hauts et Bas Alleux, les Franches Hâves, le Buisson Brandin, le Haut des Garennes, la Haie Goblet, le Pré Durand ou le Bas de la Noue de Forêt.

Les formes fossilisées du paysage sont de trois types : les contours des anciens domaines, leurs parcelles ou quartiers, et leurs toponymes que l'on peut considérer au même titre que les précédents bien qu'ils n'aient pas d'existence matérielle. Contrairement aux contours des anciens domaines du chef-lieu de la Neuville-au-Temple, toujours clairement inscrits dans le paysage actuel, les parcelles de ceux-ci ont peu subsisté. Si l'on peut toujours lire l'orientation d'origine des pièces de terre, les remembrements ont souvent bouleversé leur morphologie. Sur certains terroirs, seule la toponymie, dont le degré de persistance est assez exceptionnel à la Neuville, maintient le souvenir des anciens quartiers.

L'organisation rayonnante des possessions du chef-lieu de la Neuville a assuré de solides bases à la mise en place du parcellaire issu d'un terroir riche et varié, composé majoritairement de terres labourables, de prés, de bois et de jardins. Constitué de formes bien établies, le parcellaire a pu se fossiliser de différentes manières. La cohérence et l'unité des domaines ont participé à la stabilisation des contours, des toponymes et dans une moindre part du parcellaire. Ce dernier a été déstabilisé par une volonté de rupture avec les structures agraires anciennes trop vétustés pour satisfaire la nouvelle mécanisation de l'agriculture : les remembrements du milieu du XXe siècle. Ceux-ci ont, en effet, quasi totalement détruit l'ancien parcellaire hérité des formes médiévales ; elles s'y étaient maintenues jusqu'au début du XXe siècle.

L'adaptation fonctionnelle et l'évolution du bâti
La commanderie de la Neuville-au-Temple regroupe trois fonctions essentielles d'ordre seigneurial, religieux, et agricole. Celles-ci sont communes à la plupart des maisons templières et hospitalières d'Occident qui ont rarement eu besoin d'arborer un rôle et un aspect militaire. Elles nécessitent des bâtiments adaptés, composantes caractéristiques des préceptories occidentales. Ce cadre architectural connaît des variations selon les régions et les spécialisations des commanderies et évolue au gré des situations politiques et économiques, des volontés des commandeurs, et surtout des nécessités propres à l'exploitation des terres. L'étude de cette évolution renseigne aujourd'hui sur la santé de la commanderie au cours des différentes phases de son existence. L'enquête orale laisse penser que le recensement, sur toute la région, des anciens bâtiments de la commanderie encore en élévation se révélerait extrêmement décevant. Notre étude se concentre donc sur la fonctionnalité et l'évolution des bâtiments du chef-lieu de la Neuville en tant qu'exploitation de type seigneurial, établissement spirituel, et exploitation agricole.

Un modeste établissement de type seigneurial
Le commandeur de la Neuville-au-Temple est seigneur de basse, moyenne et haute justice sur les seigneuries de la Neuville, de Dampierre, de Saint-Hilaire et de Saint-Étienne-au-Temple. La seigneurie s'affirme visuellement dans le bâti de la commanderie et son environnement immédiat, notamment dans le logis et les multiples attributs liés à l'exercice de la justice. Cependant, le logis perd rapidement sa fonction primaire en devenant le logement des différents fermiers exploitants. Victime des événements comme le reste des bâtiments, il a connu au moins deux phases successives d'existence.

Les Templiers possédaient déjà des bâtiments à la Neuville, avant 1132, qui devaient être les premiers. Il convient de se demander s'il s'agissait déjà d'édifices élevés par les frères ou s'il s'agissait d'anciennes constructions dans lesquelles ils se sont installés provisoirement avant de construire la commanderie. Cette deuxième hypothèse serait la plus valable si l'on tient compte, d'une part, qu'ils venaient à peine d'arriver sur des terres qui ne leur appartenaient pas, et d'autre part, de la cohérence du bâti de la commanderie. La première véritable mention des édifices de commanderie date du terrier de 1547-1548 où il est dit que « au clos et circuit de laquelle, qui contient 14 danrées de terre, il y a maison, chapelle, cour, grange, étables, pressoir, colombier et autres édifices ». Cette maison est le logis seigneurial qui n'est peut-être déjà plus occupé par le commandeur, mais par les fermiers exploitant les terres. Un procès-verbal de réparations de 1688 mentionne la division du logis en trois habitations dont la première se situe du « costé de la chapelle, avec grenier et escurie ». Le terrier de 1718 décrit la cour de la commanderie comme « un enclos de murailles contenant une place où estoit autrefois le château de la Neuville et jardins d'iceluy aujourd'hui en chènevière ». Cette description unique ne nous permet pas d'envisager un logis templier colossal. Il faut se méfier du terme « château » qui peut s'appliquer à une simple demeure rurale. Toujours est-il que le logis le plus ancien que nous connaissions est modeste et qu'il a été divisé en trois logements pour les fermiers et abritent l'écurie et un grenier. Cette modeste résidence a subi des aléas qui ont entraîné sa destruction et sa reconstruction. Un procès-verbal de 1716 mentionne la perte de l'ancien logis incendié et son rétablissement par le commandeur, Jean-Ferdinand de Ricard : « Ledit commandeur nous auroit représenté et justifié par le procès-verbal dressé lors de sa prise de possession (...) que tous les bastiments de ladite Neuville où logent les fermiers éroient incendiez et lesdits lieux de la Neuville absolument détruits et abandonnés, ni restant que quelques pans de murailles calcinés (...) ni aux granges d'icelle qui éroient en totale ruine en force qu'il fut obligé pour y pouvoir faire loger lesdits fermiers (...) de faire bâtir aussitôt sa prise de possession le corps de logis dont il a fait faire les murailles, charpentes, couvertures, planchers, greniers, cheminées, fours, portes, fenêtres, et généralement tout ce qui compose ledit bâtiment qui est entièrement à neuf depuis les fondements : il consiste en une chambre basse à cheminée, dans une autre chambre aussi à cheminée avec un four dans icelle et une écurie à côté de la première dans laquelle est une montée pour aller dans un grenier étant au-dessus desdites trois pièces lequel grenier est fait de planches neufves bien grandes. Le logement joignant étant pour un autre fermier : il consiste de même que le premier en deux chambres basses, écuries et grenier, sur le tout, dans l'une desquelles chambres il y a un four et dans toutes les deux des cheminées, lequel corps de logis est couvert de thuilles creuses toutes neuves et en très bon état ». L'enquêteur confirme l'état des lieux : « avons trouvé que ledit chef-lieu de laditte commanderie est à présent fort logeable pour les fermiers », alors que l'endroit était absolument abandonné et où ne restoit autres choses que les vestiges anciens des bâtiments et des resserts de l'incendie étant survenu peu avant la mort dudit sieur commandeur de Hautefeuille. Le terrier de 1749 précise l'événement : « et puis dans laditte cour et en entrant dans icelle sur la droitte il y a un petit bâtiment nouvellement construit lequel sert d'écurie à l'un des fermiers, à l'égard d'un autre bâtiment qui étoit dans laditte cour du costé de la rivière et qui servoit de logement et commodités aux fermiers, il a été incendié en l'année 1699, feu M. l'ambassadeur d'Hautefeuille étant lors commandeur (...), et a pour principalle entrée sur ledit chemin une grande porte avec une petite, et une issue derrière du costé de la rivière ». Le nouveau logis rebâti après l'incendie de 1699 est totalement pensé et conçu pour le logement des fermiers, composé de deux habitations similaires qui reprennent le modèle des anciennes habitations avec une écurie et deux chambres à cheminée, dont l'une possède un four. Il ne semble cependant pas, ou peu, différer du premier logis qui n'avait pas été aménagé pour cette fonction à l'origine, mais qui avait été modifié tardivement. Nous ne connaissons pas la période de gloire du logis en tant que résidence seigneuriale, mais il frappe par la modestie de ses prétentions et n'affiche pas sa vocation seigneuriale qui semble marquer l'ensemble des bâtiments de commanderie. Les textes ne nous donnent qu'une idée des agencements secondaires apportés après modification de la fonction du logis devenu résidence agricole sous les Hospitaliers. Le logis a très tôt perdu son rôle de symbole du pouvoir seigneurial, alors que celui des attributs liés à la justice a mieux perduré.

La justice se rend sous un « vieux et ancien orme au milieu du tronc duquel est un faucon qui est enfermé par longueur des années ». Dans le cas de la condamnation à mort, celle-ci est effectuée au lieu-dit l'Arbre à la Tombe dont le nom évoque les signes de justice et les fourches patibulaires, détruites pendant les guerres. La prison se trouve dans le : « gros colombier, au milieu (de la grande cour) en forme de tour dessous lequel est la prison voûtée pour les prisonniers arrêtés dans les lieux dépendants de la commanderie ». Ce colombier est « construit de pierre de craye sur cailloutage couvert de thuilles plattes TM ».

Cette disposition n'est pas anodine, le colombier est un puissant symbole seigneurial présent dans de nombreuses commanderies. Ces descriptions datent toutes du XVIIIe siècle ; or une mention antérieure cite, en 1688, une « petite tour : au coing du costé de Saint-Étienne, convient y poser une porte fermant à clef affin d'y conserver les prisonniers ». Cette tour, du fait de son emplacement, ne peut être confondue avec le colombier qui existe déjà au XVe siècle. On peut se demander s'il y a eu déplacement de la prison de la petite tour vers le colombier entre les XVIIe et XVIIIe siècles, ou s'il y a eu simultanément deux prisons, ce qui se rencontre dans de nombreuses commanderies, notamment à Chevru.

Le logis semble avoir été une construction très modeste dès l'origine, sans doute semblable au bâtiment reconstruit après l'incendie de 1699, époque à laquelle il était déjà affecté au logement des fermiers de la commanderie. Il se démarquait du reste des bâtiments par sa fonction d'habitation, c'est certainement là sa caractéristique la plus seigneuriale. La fonction seigneuriale était surtout visible au travers des attributs et des instruments de justice répartis sur le terroir de la préceptorie. Les signes les plus forts étaient sans doute les fourches patibulaires élevées au milieu du champ du Mont de l'Arbre, et la prison installée sous le colombier à forte connotation seigneuriale.

Un petit établissement spirituel
La chapelle a perdu de son importance au fil du temps, avant d'être totalement désaffectée au XVIIIe siècle. Les textes sont assez explicites à son sujet, surtout les terriers et les procès-verbaux de réparations qui permettent de suivre son évolution sur plusieurs siècles et qui témoignent d'un petit édifice à usage très restreint.

La première mention de la chapelle date du terrier de 1547-1548 qui relate qu'elle est située dans l'enclos de commanderie avec les autres édifices. C'est le cas le plus fréquent, mais parfois, plus tardivement, la chapelle est déplacée à l'extérieur de l'enclos, conséquence du désintérêt croissant des commandeurs pour la fonction spirituelle. De même que pour le logis seigneurial, aucun texte ne nous renseigne sur la date d'élévation de cet édifice. Très tôt, dès 1139, le Temple a obtenu, d'Innocent II, l'autorisation d'élever des chapelles privées à l'usage de ses frères (R. Pernoud, Les Templiers, Paris, P.U.F., 1974, p. 37), privilège renouvelé en 1145. La construction de la chapelle de la Neuville doit vraisemblablement remonter à ce XIIe siècle, moment où la ferveur religieuse de l'ordre est la plus forte. Cette chapelle est située « dans la cour du costé du levant, dédiée sous l'invocation de saint Jean-Baptiste ». Elle est donc élevée du côté de la rivière, alors que le logis est le long du chemin, à l'ouest de l'enclos. Le terrier de 1683 dit qu'elle est « couverte de thuilles plattes sans clochers ni cloches pour avoir esté ladite chapelle brûlée pendant la guerre et autres bâtiments attenants à icelle ». Le clocher ne semble jamais avoir été rétabli, toujours est-il qu'en 1688, l'enquêteur l'a « trouvé en estât tant de massonnerie et charpenterie que construite. Les vittres faites et posées à neuf avec des châssis en dehors pour empêcher la rupture ; icelle chapelle blanchie en dedans la porte bien fermant à clef depuis peu ». Cette chapelle entièrement rénovée a dû subir l'incendie de 1699 comme le reste des bâtiments. Elle est cependant entièrement restaurée en 1716, et le visiteur rapporte : « Au dessus dudit autel, nous avons vu encore vitres en plomb noeuf et en bon état, et ainsi que deux autres vitres de même étant aux deux côtés de ladite chapelle que ledit commandeur nous a dit avoir fait entièrement rétablir. Laquelle chapelle nous avons trouvé bien blanche et parée à neuf entièrement (...). Couverte de thuilles plattes dont il a fait entièrement rétablir la couverture qui nous a paru être en bon état, qu'il a fait rempierrer les pilliers boutants de laditte chapelle que nous avons vu avoir été massonnés avec de la pierre de taille posées simens et être en bon état, qu'il a fait rétablir la voûte de ladite chapelle et icelle entièrement parée de platteaux de bricques qu'il a fait exaucer la porte d'entrée d'icelle, rétablir et ferrer la porte de bois, enduire de mortier les murailles du dedans et les blanchir, mettre des barreaux de fer à une des fenêtres du côté de la campagne (...) de sorte que rien ne manque à laditte chapelle ». Cette réfection du XVIIIe siècle paraît avoir été complète et de haute qualité, ce qui traduit l'intérêt que portait encore le commandeur à la fonction religieuse. Quel sens faut-il alors donner aux mots des enquêteurs de 1718 et 1749 qui citent une chapelle « n'ayant que le seul choeur et l'autel où se fait actuellement le service divin » ? Cela signifie-t-il que la chapelle est amputée de sa nef ? En ce cas, pourquoi le précédent procès-verbal ne l'a-t-il pas mentionné deux ans auparavant ? La dernière citation de la chapelle, dans le terrier de 1788-179078, en est le testament : « le tout fermé de murailles dans l'enceinte desquelles était la chapelle de la ditte commanderie tombée en ruines, la desserte de laquelle se fait en l'église de Dampierre par le curé dudit lieu ». Il faut retenir que la chapelle de la Neuville était édifiée à l'est de l'enclos, le long de l'enceinte qu'elle interrompt. L'installation de barreaux à la fenêtre donnant sur l'extérieur montre que, sans s'être fortifiée, la Neuville se protégeait des intrusions, du moins au XVIIIe siècle. Rien ne permet de dire si son chevet était orienté, mais c'est fort probable. Nous n'avons non plus aucune indication sur son plan et ses dimensions. Tout porte à croire qu'elle ne différait guère des nombreuses petites chapelles templières et hospitalières à plan rectangulaire et à chevet plat ou semi-circulaire éclairé par trois petites baies. L'unique mention de son ornementation date de la visite de 1716 et concerne la voûte : « entièrement parée de platteaux de bricques ». On ne sait si les murs étaient agrémentés de corniches ou de faux-joints, éléments de décor fréquents dans ce type d'édifice. Le mobilier de culte est à peu près le même à la fin du XVIIe siècle et à la fin du siècle suivant : « sur l'autel en marbre sacré est une toile cirée, deux gradins de bois peint, une croix de cuivre avec son Christ, et deux chandeliers. Un tableau tout neuf dans un cadre de bois peint en marbre, ledit tableau représentant le baptême de notre seigneur dans le Jourdain ». L'enquêteur précise : « au bas duquel tableau sont les armes dudit commandeur de Ricard qui nous a dit avoir fait faire depuis peu ledit tableau ainsi qu'un devant d'autel doré au milieu duquel est une croix de Malte, lequel devant d'autel est dans un cadre de menuiserie fait à neuf avec le marchepied aussi de menuiserie et un prie-Dieu de même ». Hormis ce modeste mobilier, « seule y est en icelle chapelle une armoire où sont conservés les ornements de laditte chapelle aussy ferment à clef aussy depuis peu » et qui contient, en 1726, « un calice d'argent avec sa patène de même, avec du doré avec les armes du commandeur de Ricard, lequel les a acheté car lors de sa prise de possession il n'a trouvé qu'un très petit calice, de même que deux barettes d'étain avec ses armes, un beau missel romain couvert de veau noir ayant la tranche dorée, avec une petite clochette qu'il a aussi donnés à ladite chapelle », ainsi que trois nappes d'autel, une aube et sa ceinture, quatre chasubles, deux voiles de calice, trois purificatoires, deux coussinets, les canons et les évangiles et encore un bénitier. Le décor mobilier de la chapelle se résume à ces objets de culte et au tableau représentant son saint patron.

La fonction religieuse se manifeste aussi, dans certaines préceptories, par la présence d'un cimetière privé accolé à la chapelle. Un registre d'état civil atteste l'absence de cimetière à la Neuville : « en l'an de grâce 1767, le 20 juin, louis Vitry fermier de la Neuville-au-Temple, décédé d'hier âgé d'environ 62 ans après avoir reçu les derniers sacrements a été inhumé dans le cimetière de la paroisse (...). Signé Casquini curé de Dampierre et de Saint-Hilaire ». (Registre conservé à la mairie de Dampierre-au-Temple.) Selon le schéma traditionnel, le seul élément religieux du bâti de la Neu-ville-au-Temple est sa chapelle. Malgré sa grande sobriété architecturale et ornementale, ce petit édifice est essentiel à la vie de la commanderie et des communautés qui gravitent autour et remplit une fonction quasi paroissiale ; cela ne pose pas de problème du fait que le commandeur est décimateur des paroisses voisines. Son fonctionnement est d'ailleurs tributaire de la paroisse et du curé de Dampierre-au-Temple pour les inhumations, voire la messe à la fin de la période, alors que la fonction religieuse abandonne le site de la Neuville pour Dampierre par souci de rentabilité face à une chapelle trop vétuste.

Cette chapelle devait ressembler à celles de Dampierre et de Saint-Hilaire qui bien que remaniées ont gardé un caractère, semble-t-il, assez similaire à celui du petit édifice médiéval et moderne que nous apercevons dans les textes. Son architecture comme son ornementation étaient très modestes, réduites à leur plus simple expression. Il s'agit cependant d'un édifice à la construction soignée, qui est régulièrement entretenu de même que son mobilier. Jusqu'au milieu du XVIIIe siècle, la chapelle demeure un élément primordial de la préceptorie, plus que le logis.

Une importante exploitation agricole
La production agricole est la troisième fonction caractéristique des commanderies occidentales, et non la moindre. Il s'agit de comprendre l'impact d'une telle production sur les bâtiments du chef-lieu de commanderie : il est de deux ordres. D'une part, les constructions de ferme sont regroupées pour l'essentiel dans la cour de la maison, d'autre part, des bâtiments spécifiques sont disséminés à des endroits stratégiques du terroir : les moulins. L'importance de ces édifices est représentative de la taille du domaine auquel ils se rapportent et leur connaissance est une étape essentielle de la recherche archéologique.

Les édifices du chef-lieu de la Neuville sont élevés au sein d'une cour délimitée par une clôture sur laquelle nous n'avons que peu de renseignements. Les terriers mentionnent « un enclos de murailles contenant 14 danrées » ou encore « qu'une muraille de clôture de ladite cour détoure la longueur d'icelle qu'il a fait couvrir de thuilles creuses en grés ». Il faut imaginer un simple mur marquant la propriété : la Neuville comme la majorité des commanderies du nord de la France n'a jamais dû avoir de système défensif. L'accès se fait par « la principale entrée en ladite cour sur le Grand chemin consistante en une grande et une petite porte », soit une porte pour les attelages et une porte pour les piétons. Cela dénote une recherche de fonctionnalité en même temps qu'une volonté de surveiller les entrées. Il existe également une entrée secondaire pour faciliter la desserte de la rivière et du moulin : « la porte qui va à l'abreuvoir du côté de la rivière ». Cette clôture est représentée quadrangulaire sur le plan de 1751 (fig. 2), mais aucun texte ne confirme cette idée. Les mêmes documents décrivent une disposition périphérique des bâtiments le long de la clôture avec un seul élément au centre de la cour : il doit s'agir du gros colombier-prison. Quelques éléments de description des bâtiments confortent l'hypothèse de l'organisation périphérique des édifices. Le terrier de 1683 dit que « du costé de Dampierre et attenant le Grand chemin il y a aussi une bergerie et une estable ». Celui de 1718 mentionne « qu'en entrant est à gauche et régnant sur le Grand chemin un bâtiment » (...) et une grande grange au bout et d'un costé à l'autre de ladite cour du costé du couchant.
De même, la chapelle est « située dans la cour du côté du levant » et le commandeur a fait « mettre des barreaux de fer à une des fenêtres du côté de la campagne » : elle est donc appuyée sur la clôture de la commanderie comme les autres bâtiments. La Neuville a adopté le schéma général des commanderies occidentales comme de la plupart des édifices à vocation agricole : une cour délimitée par un mur de pierre contre lequel s'appuient tous les bâtiments. Ce plan allie la fonctionnalité d'un agencement régulier à la sécurité d'un espace clos.

Là culture céréalière occupe une place importante à la Neuville-au-Temple. Une première mention fait allusion à plusieurs granges dans la cour, ce qui est intéressant car l'importance de ces bâtiments reflète le volume de la production et donc les dimensions du domaine. Le procès-verbal du 31 janvier 1688 décrit la grange principale : « la charpente qu'ils ont trouvé estre de 20 toises et 64 pieds de large bastie en travées et pilliers de bois (...). Lesquelles travées ont de largeur 2 toises et commencé la visitte par la première travée joignant le pignon du côté de Châlons, lequel pignon nous avons trouvé bon et valable avec la première et deuxième travée en bon estât ». La grange avec ses 40 mètres sur 20, soit 800 mètres carrés, est considérable pour une grange de l'Hôpital. Elle est équivalente aux grandes granges templières normandes de Brettemare ou d'Ivry-le-Temple de 790 à 830 mètres carrés de superficie. Michel Miguet à établi leurs similitudes de superficie avec les vastes granges cisterciennes, réputées pour leurs capacités de stockage. Notre édifice ferait donc partie des plus grandes granges des maisons d'ordres militaires, ce qui corrobore l'hypothèse que la Neuville serait l'une des plus importantes préceptories d'Occident. L'enquêteur poursuit sa visite par « la troisième et la quatrième travée : convient y mettre à neuf deux pilliers de hauteur de 24 pieds (...). Comme encore autres lesdites deux travées y poser deus pannes (...) longueur de 20 pouces sans discontinuer ni toucher à la charpente. Dans la cinquième travée convient aussi y mettre deux, pour soutenir les chevrons (...). La sixième travée est trouvée bonne. La huitième et neuvième se trouve la charpente de ladite grange en bon et suffisant estât (...). Le pignon du costé de la rivière se trouvant bon (...). Et qu'il convient refaire à neuf les deux grandes portes de ladite grange. Les trois portes de la grange estimées y compris les matériaux la somme de 4 livres ». La grange est couverte d'une charpente à pannes et chevrons qui s'élève à 8 mètres environ. D'après la description, l'accès s'y ferait par le pignon ouest, par une grande porte à deux battants pour les charrettes, et une petite pour les piétons. L'accès par le pignon est le cas de figure le plus courant dans ces vastes granges à plan rectangulaire, ainsi que leur division en trois vaisseaux attestée par la présence de piliers de bois, de même qu'à la grange de Chevru qui est structurellement identique avec ses neuf travées et ses portes à battants. L'importance de la surface de la grange de la Neuville est confirmée en 1716, après sa reconstruction suite à l'incendie de 1699 : elle est « d'une prodigieuse étendue qui tient tout un côté de la cour dont il a fait rétablir à noeuf entièrement de part et d'autre, la couverture étant de thuilles creuses et ainsi que la charpente d'icelle à laquelle nous avons reconnu que l'on avait presque partout des pannes et chevrons (...), que les trois pilliers bouttants qui soutiennent le grand pignon de pierre d'icelle ont été rétablis par ledit commandeur et couverts de thuilles plattes posées à chaux, qu'il a fait faire une grande étendue de murailles noeuves à laditte grange, deux grandes portes cochères noeuves avec leurs guichets pour entrer dans les deux aires de ladite grange, et qu'au bout d'icelle, attendu sa grande longueur, il a fait construire à noeuf dans icelle une muraille de séparation pour faire une écurie à loger les bestiaux de ses fermiers, à laquelle écurie, il a aussi fait faire une porte cochère avec les ferrures nécessaires ». Les piliers-boutants apparaissent pour soutenir les pignons qui sont très hauts. Hormis ce détail, il est intéressant de constater que le commandeur a jugé bon de diviser la grange pour faire une écurie. La totalité de la capacité de la grange n'est plus utilisée, ce qui laisse penser que les moissons ont diminué, bien que les deux aires de battage témoignent d'une activité intense. Sur les différentes granges du chef-lieu de la Neuville, c'est la seule qui soit consacrée au stockage et au battage des céréales, mais elle est très importante, comparable aux plus grosses granges templières et cisterciennes. La superficie de cette grange confirme l'importance de la commanderie, mais son amputation au début du XVIIIe siècle reflète la baisse de sa production majeure.

Une multitude de constructions secondaires participe aussi à la vie de la commanderie. Dans la cour, des bâtiments abritent récoltes, outils, et animaux. L'enquêteur rapporte, en 1674, qu'il « convient couvrir entièrement le hangar et l'escurie appelée la bergerie de thuilles neufves, réparer la charpente du côté de la cour de deux cottes, et fournir beaucoup de lattes, contre-lattes, thuilles, ciment et faire à neuf de murailles deux cottes ». Cette description ne nous renseigne pas vraiment sur la fonction de ces deux édifices qui semblent modestes et mal entretenus. Nous supposons que le hangar est destiné aux outils agricoles pour lesquels aucun inventaire n'est connu ; quant à « la bergerie », il n'est pas précisé à quel type de bétail elle servait. La visite de 1688 souligne qu'elle est située entre la grande grange et le hangar, celui-ci nécessitant encore de nouvelles réparations, alors que la bergerie a été « réparée tout à neuf tant en massonnerie que couverture ». Ce document mentionne une deuxième écurie dans le logis des fermiers. Plus tard, en 1716, sont cités un grand poulailler et un abreuvoir aménagé hors de l'enclos, le long de la Veste. Le terrier de 1659 rapporte que « l'on dit aussi que cy devant y avoit un pressoir mais qu'il a été démoli ». Ce sont là tous les bâtiments à vocation agricole présents dans l'enceinte du chef-lieu de commanderie. En dehors de l'enclos, il y a une grange assez importante, nommée la grange des Dîmes, dans le village de Saint-Étienne, dont la première mention date de 1612. En 1688, cette grange, pleine de grains, nécessite quelques réparations de couverture mais « tout le reste de la charpente et massonnerie se trouve en bon et suffisant estât ». Le visiteur de 1716 cite une grange dite des Dix-neuf Jours située à Saint-Étienne qui « a été rebâtie depuis peu à neuf », il semble qu'il s'agisse de la même grange. Plus tard, en 1753, l'enquêteur parle à nouveau de la grange des Dîmes en expliquant que le commandeur « a dit avoir fait rétablir une partie du pignon du midy et des gouttières devant, l'un des battants de la grande porte, et réparer l'autre, qu'il a fait mettre deux traits à la charpente ». Seule la visite suivante, celle de 1774, nous apprend qu'elle comporte deux accès, une grande et une petite porte. Il se trouve aussi, à Saint-Étienne, une petite maison « assez proche laditte grange qui fait coin », elle est « entièrement ruyneuse réservée à la couverture qui se soustient et n'est pas nécessaire d'en faire rapport en détail puisqu'elle se trouve en très mauvais estât » relate le visiteur de 1688. Le suivant, en 1716, explique que cette maison est « occupée par le maréchal du lieu, consistant en une boutique et grenier au-dessus. Laquelle est entièrement couverte de thuilles creuses qui a été entièrement rétablie par ledit seigneur commandeur ». Cette maison consiste en une chambre, un cabinet, une petite écurie et une « cave dessous voûtée en craie ». En 1774, elle a disparu : « Le commandeur a répondu que lorsqu'il a pris possession cette maison n'estoit plus, qu'il ne savoit pas si elle avoit été détruitte par M. le Bègue, M. de Custine, ou par la vénérable Langue, qui en surplus ne pouvoit être que d'un revenu très modique si on en juge par l'emplacement exposé à des inondations qui ont pu côser sa destruction ». Cette réflexion est intéressante dans la mesure où l'on y perçoit la politique de recherche de rentabilité à tout prix de l'ordre de Malte. La maison n'était plus assez rémunératrice, il est très probable qu'elle ait été volontairement détruite. Cette petite habitation devait être assez représentative de toutes les maisons de village que possédait la commanderie de la Neuville-au-Temple dans le diocèse et au-delà. Ces nombreux petits édifices secondaires nécessaires à l'exploitation semblent remonter à la période templière et perdurent jusqu'à la fin de la commanderie. Quelques dépendances sont décentrées dans les villages voisins, telles que les moulins qui sont des annexes importantes de la commanderie.

La Neuville-au-Temple possède de nombreux moulins à eau, signe d'un développement industriel et d'une puissance économique exemplaires : moulins à foulon, dont le fonctionnement s'est arrêté avec l'extinction de l'industrie drapière, et surtout moulins à moudre le blé, dont l'utilisation a perduré au moins jusqu'à la vente de la commanderie. Les moulins à blé font l'objet de longs descriptifs qui permettent d'en suivre l'évolution au cours de la période moderne. Ces moulins sont de vraies entités, dépendantes de la commanderie, mais possédant diverses constructions fonctionnelles. Le plus important des moulins, par son emplacement géographique et certainement par son rendement, est celui du chef-lieu, situé au-dessus dudit chef-lieu de la commanderie montant audit Saint-Étienne, sur le Huant de ladite rivière. En 1674 ce moulin est en très mauvais état, il nécessite d'importantes réparations de maçonnerie, de charpente et de toiture. En 1688, il semble en meilleur état bien que quelques réparations s'imposent à nouveau. Il dispose d'un « comble en bon et suffisant estât, y convient seulement poser un seuil (...) du côté du pont ». Le moulage se fait par l'activation de « la meulle du voilant » et de « la meulle du gisant. Icelle bien moullante et tournante fait la farine », système complété du « roix en bon estât avec l'arbre et la roue, icelle roue travaillant malle on remarqué qu'il en conviendra faire une neufve avant le commancement de l'hiver prochain ». Ce moulin est agrémenté d'un « seul bâtiment avec une chambre à feu, une écurie attenante, un grenier au-dessus et un jardin derrière ». Le sol de la chambre est en terre battue tout comme le logis des fermiers à la commanderie. Le moulin en lui-même a été entièrement détruit puis rétabli par le commandeur avant 1716, « il a fait garnir de planches tous les côtés dudit moulin » ainsi qu'il « a fait faire à noeuf le bassinage ». Ce moulin muni d'un logement et de toutes ses fonctionnalités est totalement en bois avec une toiture en tuiles creuses. Le fait de sa destruction pour être reconstruit est exceptionnel à cause du coût élevé de ces opérations. Michel Miguet a relevé la remarquable continuité de ces bâtiments favorisée par un entretien régulier et soigné, qui explique la persistance du mode de fonctionnement de ces structures sur plus d'un demi-millénaire. Les moulins que la Neuville possède dans ses alentours sont structurellement complètement identiques à celui du chef-lieu. Le moulin de Saint-Étienne donné aux Templiers par le châtelain de Vitry aux alentours de 1134, n'existe plus au XVIIe siècle. Il n'en est fait allusion dans aucun document de la période moderne, et nous ne savons rien de sa disparition. Le moulin de Ponreux est décrit comme « un seul bâtiment qui contient un moulin, une chambre à four, une écurie derrière » destinée aux chevaux et aux vaches. Ce schéma est très proche de celui du moulin de la Neuville, tout comme l'est celui de Saint-Hilaire. Celui-ci, situé dans le village même, le long de la rue chaussée, est constitué d'un « bâtiment couvert de thuilles courbes contenant le logement d'un meunier avec un moulage garny ». La seule différence notoire avec le moulin du chef-lieu est son matériau de construction, ses parois sont faites de torchis, et celles de son logement, de pierre. Bâtis sur le même modèle, ils allient fonctionnalité et recherche de rendement. Ces quatre moulins à eau entourant le chef-lieu attestent, une fois de plus, la forte dominance de la seigneurie de la Neuville-au-Temple sur ses quatre terroirs de la Neuville, de Dampierre, de Saint-Hilaire et de Saint-Étienne-au-Temple. Le chef-lieu de commanderie de la Neuville-au-Temple est caractéristique du schéma architectural des commanderies d'Occident dicté par les trois fonctions seigneuriale, religieuse et agricole à chacune desquelles correspondent un ou plusieurs édifices adaptés. Ces édifices sont essentiellement regroupés autour d'une cour clôturée d'un mur, affirmant la propriété seigneuriale et le statut particulier du chef-lieu. On y trouve des composantes essentielles : le logis, la chapelle et la grange céréalière autour desquelles s'articulent des édifices secondaires participant au confort et à l'exploitation agricole. Ce bâti a peu varié et les travaux effectués sont de l'ordre de l'entretien. Seul l'incendie de 1699 a beaucoup affecté l'ensemble de l'enclos, nécessitant la reconstruction de tous les bâtiments, laquelle a respecté l'ancien agencement de la commanderie. Cette continuité architecturale, empreinte de statisme, est assez significative du bon fonctionnement de ce modèle. Elle se retrouve dans les éléments excentrés de la commanderie, les moulins, qui sont eux aussi des structures majeures de l'exploitation situées sur des points stratégiques du terroir. Cette relative sérénité dans l'évolution du bâti de la Neuville contraste avec la brutale et inexpliquée disparition des bâtiments après leur vente.

La commanderie de la Neuville-au-Temple est née au plus tard en 1132, date à laquelle les Templiers semblent déjà installés sur ce site qu'ils ont probablement choisi. Ils y ont ensuite mené une politique d'acquisition afin de former un grand domaine productif qui avait pratiquement atteint ses limites géographiques maximales quand le Temple fut supprimé et que ses biens furent dévolus aux Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem en 1312, en l'occurrence à la commanderie hospitalière de Saint-Amand-sur-Fion. Cette période, début de nombreux troubles, fut aussi sombre pour la commanderie que pour la région. Les Hospitaliers ont réussi à rétablir la rentabilité de cette préceptorie, au milieu du XVIe siècle seulement, après avoir affermé tous les biens du domaine trop lourds à gérer et s'être détachés progressivement des fonctions seigneuriales et religieuses. Si bien qu'en 1793-1795, lors de sa vente comme bien national, la Neuville n'était plus qu'une exploitation agricole morcelée entre de nombreux bailleurs. À aucun moment, la Neuville n'a dû avoir le statut de bourg, même si un nombreux personnel agricole résidait dans sa périphérie. Elle était par contre un chef-lieu regroupant de très nombreux membres répartis sur tout le diocèse de Châlons et au-delà, sources de revenus abondants et variés, grâce à une gestion optimale des ressources naturelles.

La question de la disparition des bâtiments après leur vente demeure obscure. En ce qui concerne les terres, la persistance parfaite des contours médiévaux de la commanderie a pu être mise en évidence grâce aux documents cartographiques du XVIIe siècle, aux cadastres napoléoniens et aux photographies aériennes des années 1950. Nous en retrouvons des témoins importants dans la toponymie et dans les contours des communes actuelles de Dampierre, Saint-Étienne et Saint-Hilaire-au-Temple qui ont adopté les anciens tracés du domaine de la Neuville, jadis étendu sur ces trois villages. Certaines parcelles se sont particulièrement conservées. Cette persistance des terroirs médi&eaceacute;vaux et modernes, exceptionnelle pour la région qui a été fortement remembrée dans les années 1960 et 1970, est due à la situation géographique du site. L'étroite vallée de la Vesle et les chemins joignant les différents finages ont dicté et maintenu les formes de nombreuses parcelles.

Les traces archéologiques du bâti de la commanderie sont très ténues, voire effacées, mais les textes renseignent bien sur la disposition et l'évolution des bâtiments étroitement liées à la vie de la préceptorie. Celle-ci regroupe en effet logis et attributs seigneuriaux, lieu de culte, et bâtiments agricoles autour d'une unique cour murée donnant à la fois sur la rivière, les champs, les jardins et garennes de la commanderie. La disparition totale des structures bâties et la fragilité extrême des quelques terroirs persistant autour de l'ancienne Neuville-au-Temple, montrent à quel point il est urgent de se pencher sur l'étude des maisons des ordres militaires.

La commanderie de la Neuville-au-Temple se distingue justement par le contraste entre le peu de vestiges matériels qu'elle a laissé et l'abondance des sources écrites la concernant. Le mode d'expansion de son temporel est semblable à celui de la majorité des maisons d'ordres militaires. Elle est représentative de ces commanderies de l'arrière qui sont plus des unités de production, étroitement insérées dans l'économie régionale, que des établissements conventuels et des forteresses comme on l'a longtemps cru. Le cas de la Neuville est particulièrement intéressant du fait de sa place dans l'histoire du développement de l'ordre en Occident et de l'importance de son domaine agricole dont témoigne l'étude des bâtiments. Elle demeure cependant marquée de paradoxes qu'il a été difficile d'éclaircir sans une prospection approfondie du site : on comprend encore mal les phases de perte de ses fonctions seigneuriales et religieuses et de destruction de ses bâtiments ; on comprend mal également l'écart qui existe entre l'importance du domaine et de ses structures bâties et le caractère assez peu marqué de la seigneurie.
Sources : Hélène MAIGRET - La commanderie de Neuville-au-Temple (Marne). Étude du temporel et perspectives archéologiques. - Bulletin Archéologique du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques et Moyen-âge, Renaissance, Temps Modernes - N· 27 année 1999.

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