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Études réalisées sur les Templiers

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L'église de Brélévenez

Dèpartement: Côtes-d'Armor, Arrondissement: Lannion, Commune: Lannion - 22

Gravure de l'Académie Celtique
Brélévenez - Gravure de l'Académie Celtique

En parcourant récemment le littoral du département des Côtes d'Armor, j'ai examiné, près de Lannion, l'église très remarquable de Brélévenez, bâtie sur une hauteur qui domine cette ville et d'un effet des plus pittoresques. Une tradition généralement répandue en attribue l'édification aux Templiers.
Cette église, comme la grande majorité de celles qui nous restent de l'ancienne France, présente dans ses constructions le cachet d'époques différentes; on peut ici en remarquer au moins deux.

Eglise de Brélévenez

Brélévenez portail du XIIe siècle
Brélévenez portail du XIIe siècle

La presque totalité de l'édifice et surtout son portail, sont évidemment du XIIe siècle. La façade et la porte qui est au-dessous du clocher sont d'un temps plus récent et d'un style d'architecture qui annonce la fin du XIVe siècle.

L'église de Brélévenez est fort grande. Son portail latéral est en ogive, mais c'est l'ogive primitive très surbaissée, celle qui a suivi immédiatement le plein cintre roman. Ses arceaux sont ici encore accompagnés de ces moulures en zigzag, ornement très fréquent des arcades de l'architecture romane, et qui disparaît totalement dans nos édifices après la première moitié du XIIe siècle.

Ce portail est accompagné de trois piliers qui s'élèvent au-dessus en formé de clochetons pleins. Ces trois piliers, que nous avons remarqués dans d'autres édifices des Templiers, sont une allusion au nombre trinitaire. Nous avons déjà fait observer ailleurs combien le nombre trois était en recommandation chez les chevaliers du Temple. Il se retrouve dans tous les symboles, dans toutes les allégories de leur ordre, et il est appliqué à une multitude de dispositions de leur règle. Sur un de ces clochetons on lit cette courte inscription : Y. RIO. R. 1639 (Yves Riou, recteur, 1639), mais il est évident qu'elle n'indique là qu'une restauration.

Le style original domine partout dans l'église de Brélévenez ; seulement on voit derrière l'abside quelques petites fenêtres à cintre plein, mais qui sont accompagnées de moulures, ce qui ne se voit pas dans le plein cintre véritablement roman.

L'intérieur est vaste et spacieux, avec nef, deux bas-côtés et des chapelles latérales. Les bas-côtés et les chapelles sont voûtés en pierre; la nef est simplement en bois.
Les arcades de la nef et du chœur sont soutenues par de lourds piliers surmontés de chapiteaux écrasés avec des ornements en feuillage do goût le plus médiocre.

Eglise de Brélévenez

Eglise de Brélévenez, Nef et chœur
Eglise de Brélévenez, Nef et chœur

Nous représentons ici les principaux de ces chapiteaux.

Brélévenez Chapiteau

Brélévenez Chapiteau
Brélévenez Chapiteau

Ce que l'intérieur de Brélévenez offre de fort remarquable, est un grand bénitier de forme carrée, qui se trouve scellé dans une niche du mur à gauche en entrant. Quoique grand, il a fort peu de profondeur, et on lit sur son bord extérieur l'inscription latine, en grandes lettres., que nous avons exactement figurée ci-dessous : Ces lettres, gravées en creux et très distinctement encore, appartiennent visiblement à l'écriture lapidaire du XIIe siècle. Toutes sont majuscules, à l'exception de deux seulement qui sont onciales. Quoique parfaitement lisible, cette inscription présente de telles abréviations que l'intelligence peut en paraître difficile, les mots surtout n'en étant pas séparés. Voici cependant comment nous pensons qu'il faut la lire et l'expliquer.

Eglise de Brélévenez bénitier

mesure à blé
« Kemesur ablad — Mesurer à plat »

« Haec mensura bladi nunc quivitum »
Cette mesure à blé est maintenant celle des bourgeois, des habitants (sous-entendu de la ville), le mot bladi, en basse latinité, signifiant blé.

Ce bénitier était donc dans le principe une de ces mesures publiques placées au moyen-âge dans les marchés, pour la commodité des habitants des villes et des grosses bourgades. Le seigneur, ou, dans les villes municipales, les échevins et les notables, en fixaient la capacité, qui variait selon le temps et ne fut pas toujours la même. Voilà pourquoi le mot nunc se lit dans l'inscription dont il s'agit, pour exprimer que la mesure était celle adoptée pour le moment.

Les Templiers établis à la commanderie de Brélévenez n'étaient pas, il est vrai, seigneurs de la ville de Lannion, mais ils y avaient de grands droits, immunités et privilèges ; la confiance que l'on avait en l'arbitrage de ces pieux guerriers leur avait sans doute fait donner le droit d'y fixer la capacité des mesures publiques. »
Permettez-moi de faire une remarque, ce texte n'est pas du tout écrit en latin.
Nous sommes en Bretagne, et donc, très logiquement, ce texte est écrit en breton.
(Et il en est malheureusement ainsi pour de nombreuses inscriptions)

Le 1er mot Kemesur, est constitué de [Ke], le cœur, que l'on retrouve dans les noms de lieux en [Ker]. Le [me], correspond à [men], la pierre.
La fin du mot [sur], est comme le mot sûr en français, il s'agit de vérifier, d'être sûr.

Nous retrouvons les mêmes syllabes dans le mot breton Kemeneur, qui désigne un tailleur, un « mesureur »
Ceci explique aussi la présence de la lettre [n] et le men dans Mensuration, que l'on ne retrouve pas dans mesurer (ces deux mots viennent aussi bien sûr du breton).

Quant à la suite « ablad », cela signifie tout simplement « à plat », et n'a strictement rien à voir avec le nom du blé.
Il est donc écrit ici, en breton : Kemesur ablad — Mesurer à plat
Ce qui n'est jamais que le mode d'emploi, en breton, de cette mesure à grain.
Rectification des erreurs par Alain-Pierre Jégou

Sur plusieurs vitraux du chœur on voyait peinte la croix de gueules des Templiers, entourée de l'orle ou cercle d'or, telle qu'elle se voyait d'ordinaire sur le « baculus ou abacus » ou bâton magistral, insigne spécial de la dignité de grand-maître du Temple. Sur d'autres de ces vitraux était représenté l'équilatéral ou delta sacré, au milieu d'une gloire. Ces précieuses verrières ont été enlevées dans des réparations faites récemment aux vitrages de l'église, mais quelques-unes ont été recueillies et sauvées de la destruction par M. de Pengaern, habitant de la ville de Lannion, amateur zélé d'archéologie, et qui s'occupe en ce moment d'un ouvrage fort intéressant sur l'histoire et les antiquités de cette ville.

Sous le chœur de l'église de Brélévenez est une crypte ou chapelle souterraine dans laquelle on voit un saint sépulcre environné d'une grille et accompagné de plusieurs statues; mais tous ces ouvrages sont modernes. M. Mérimée, dans son Rapport d'un voyage dans l'ouest de la France, dit qu'il n'a pu en retrouver la date; elle est pourtant bien clairement exprimée dans l'inscription que l'on voit sur une grande tombe plate faisant partie du pavé de cette chapelle; on y lit :

« Ci git noble discret mi (messire) Claude Legou, recteur de céans pandan 38 ans, par les soins duq.l a été fait ce sépulc. le grant autel, la sacris. et autres traveau. Décédé le 27 déc. 1700. p. di. p. lui (priez Dieu pour lui) »

Cette crypte et ses accessoires n'ont donc pu être faite que dans la dernières années du XVIIe siècle.

L'étymologie du nom de Brélévenez n'a aucun rapport ni avec l'église dont nous parlons, ni avec l'Ordre du Temple; elle est simplement relative à la localité sur laquelle est assis l'édifice, et elle signifie en celto-breton colline inculte, des mots « brelé » terrain inculte, en jachère, et venez on menez (1), colline, montagne, en général lieu « élévé » quelconque (Dom Lepeiletier, dictionnaire celto-breton).

Deux objets curieux d'antiquité ont été dernièrement retrouvés dans l'église de la commanderie de Brélévenez et mis à ma disposition, grâce à l'obligeance de M. Penguern qui en est possesseur. Le premier est une grande croix processionnelle en bois, revêtue d'une mince lame de cuivre chargée d'ornements relevés en bosse.

Cette croix est ce que l'on appelle une croit tréflée, parce que les extrémités de ses branches sont divisées en trois parties qui imitent les feuilles du trèfle. Sa longueur, depuis la brisure du bâton jusqu'à son extrémité supérieure, est d'un pied 6 pouces 3 lignes; la longueur totale du croisillon est d'un pied a pouces 5 lignes; l'épaisseur de chaque branche n'est que de 9 lignes.

Ses ornements se composent de feuillage et de avec quatre médaillons quadrilobés. Le Christ qui y était attaché, et qui, en raison de la place qu'il occupait, devait être fort petit, est malheureusement tombé et a été perdu. Au-dessus est cloué le cartouche déroulé sur lequel on voit les quatre initiales I. N. R. I. en capitales gothiques du XIIIe siècle.

Les médaillons renferment les symboles des évangélistes et une Vierge. Celui qui est placé au-dessus de l'inscription I. N. R. I. nous offre un aigle au-dessous duquel on lit sur une bandelette les mots « S. Jan », écrits en lettres gothiques carrées.

Il est à remarquer que le nom de saint Jean est orthographié de la manière dont il se prononce dans l'idiome bas-breton, « saint Jane », ce qui prouve que cette croix est de fabrique bretonne. Si elle eût été faite en France, le nom de cet évangéliste eût été orthographié comme on le prononçait en France au moyen-âge, saint Jehan.

Dans le médaillon qui est près de l'extrémité du croisillon à droite est un bœuf ailé, et on lit au-dessous saint Luc, écrit sur une bandelette, également en caractères gothiques carrés.

Le médaillon opposé du côté gauche renferme un lion tenant sous ses pattes une bandelette qui porte le nom saint Marc, toujours eu mêmes caractères.

Enfin le médaillon du bas de la croix encadre l'image d'une Vierge assise tenant sur ses genoux un cartouche déroulé dont l'inscription est en partie effacée par la vétusté. Je n'y ai pu distinguer que les lettres Jau M...., qui probablement signifient « Jésus Mater ».

Toutes ces figures et les ornements qui les accompagnent sont d'un dessin très barbare, à l'exception pourtant des feuillages et des fleurs, qui ne sont pas de trop mauvais goût.

Le revers de la croix offre les mêmes ornements excepté qu'au point d'intersection des branches, c'est-à-dire sur le côté opposé à remplacement où était le Christ, on voit au milieu d'un grand cercle la croix pattée de l'Ordre du Temple.

De ce côté le médaillon du bas de la croix, c'est-à-dire celui opposé à la figure de la sainte Vierge, ne renferme plus rien, la figure qu'il encadrait s'étant détachée et perdue ; mais il n'y a pas de doute que c'était celle du quatrième évangéliste.

L'autre objet dont il nous reste à parler, et qui a aussi été trouvé à Brélévenez, est une décoration fort remarquable en, cuivre travaillé tout a jour, et qui, à ce qu'il paraît, se portait suspendue au cou par une triple chaîne.

Cette décoration consiste en un cercle de 2 pouces 7 ligues de diamètre dans lequel sont inscrits deux triangles équilatéraux enlacés l'un dans l'autre de manière à former une étoile à six pointes. Les angles rentrants extérieurs de cette étoile sont ornés dans le style gothique de manière à représenter des arceaux. Au centre de l'étoile on voit un second cercle de a pouces 4 lignes de diamètre, dans lequel est inscrite une grande croix fleurie.

Brélévenez Croix fleurie

Brélévenez Croix fleurie
Brélévenez Croix fleurie

Le revers de cette décoration, ou, si l'on veut, de ce médaillon, est tout pareil ; mais dans le cercle intérieur on voit, au lieu d'une croix, l'agneau de saint Jean, patron des Templiers, portant, comme à l'ordinaire, un petit drapeau ou banderole qui est ici surmontée de la croix pattée du Temple.

Brélévenez Agneau Dei

Brélévenez Agneau Dei
Brélévenez Agneau Dei

L'Agneau de saint Jean (Agnus Dei, qui tollis peccata mundi) est un symbole que nous avons fréquemment rencontré dans les monuments de l'ordre du Temple. Celui qu'on voit ici est d'un style extrêmement barbare, et en général tout le travail du médaillon est assez grossier.

Quant au triangle équilatéral, ce symbole est encore plus commun dans tout ce qui est relatif aux chevaliers du Temple. Cette figure, la plus parfaite de toutes celles de la géométrie, était chez eux l'emblème de la perfection divine et de l'harmonie de la nature ; elle était aussi une de leurs allusions trinitaires.

La décoration que nous venons de décrire, et qui doit avoir été faite dans le XIIIe siècle, n'étant pas la croix conventuelle que portaient tous les chevaliers, croix dont la forme est aujourd'hui bien connue, doit être un insigne particulier de quelque dignité de l'ordre ou de quelque fonction spéciale, peut-être celle de chapelain ou de prieur ecclésiastique (2).
1. Peut-être les antiquaires regretteront-ils un jour ma nombreuse collection de dessins de monuments de l'ancienne Bretagne, tous fidèlement exécutés d'après nature, et n'a pu être publiée et coure le risque d'être dispersée après ma mort ; mais la dépense d'une pareille publication est au-dessus de mes moyens.
2. Dans l'idiome breton le V se change très fréquemment en M, deux consonnes l'emploient Indifféremment l'une pour l'autre.

Sources : Par le chevalier de Fréminville. Mémoires de l'Académie Celtique, 5e volume in-8·, avec des planches, Paris 1807-1812.

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