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Études réalisées sur les Templiers

1 - Historique de la maison du Temple du Masdéu

La présente édition est le fruit d’un travail de longue haleine, puisque cinq années auront été nécessaires pour réunir, transcrire et éditer les 1200 actes qui la constitue. Ce corpus diplomatique, exceptionnel par son ampleur, vient aujourd’hui témoigner de l’activité déployée par l’ordre du Temple dans les comtés nord-catalans : Roussillon, Vallespir et Conflent, ainsi que dans la vicomté languedocienne de Fenolhedès, au cours de cent quatrevingts années d’existence (1131-1312).

La richesse de cet ensemble documentaire ouvre de nombreuses perspectives à la recherche historique dans une multiplicité de matières : droit, religion, société, économie, seigneurie, pratiques administratives, urbanisme, anthroponymie, toponymie, etc.
Comme il m’était impossible de rendre compte de toutes ces thématiques dans cette introduction, j’ai choisi de focaliser l’essentiel de mon attention sur des points qui m’ont paru jusqu’alors négligés, ou à tout le moins sous-estimés, par l’historiographie, au risque de minimiser voire de passer sous silence des questions aussi fondamentales que la seigneurie rurale, thématique ayant récemment fait l’objet d’une thèse universitaire et de plusieurs publications.

Le cas échéant, des renvois bibliographiques viendront suppléer les nombreuses carences de cette présentation, qui se veut avant tout une incitation, ou plutôt une invitation à la découverte d’un univers documentaire dont de multiples facettes restent à explorer.


1. Les premiers pas. Le cadre géographique et historique
Lorsque les chevaliers de la milice du Temple de Salomon à Jérusalem foulent pour la première fois le sol du comté de Roussillon vers 1129, celui-ci se présente alors comme une étroite bande littorale, large d’une vingtaine de kilomètres, s’étirant sur une cinquantaine de kilomètres le long des rives de la Méditerranée, depuis l’étang de Salses-Leucate, au nord, jusqu’au Cap Cerbère, au sud (2).

Les limites de l’ancien pagus Russilionensis correspondent approximativement à celles de plaine alluviale formée par les bassins inférieurs de l’Agly, de la Tet et du Tech.

Au nord, la frontière avec la vicomté de Narbonne épouse les dernières saillies calcaires des Corbières avant de rejoindre la partie médiane de l’étang de Leucate au détroit du Malpas, ancien lieu de passage de l’antique via Domitia.

Au sud, se dresse le massif de l’Albera, excroissance orientale de la chaine pyrénéenne qui plonge ses racines schisteuses dans la mer en formant les anses de Collioure, Port-Vendres, Paulille et Banyuls-de-la-Marenda.
Depuis la côte rocheuse, le relief s’élève rapidement jusqu’aux 1256 mètres du Pic de Neulos avant de s’échancrer à l’ouest, au niveau des cols du Perthus et de Panissars, principaux lieux de franchissement des Pyrénées orientales en direction de la péninsule Ibérique.
Le col de Panissars correspond au point de convergence des antiques viae Domitia et Augusta, comme l’a démontré la mise au jour des monumentales fondations du trophée commémorant le succès de la campagne hispanique du général romain Pompée en 70 avant notre ère (3).
Les crètes du massif de l’Albera délimitent la frontière avec le comté d’Empúries, jumeau carolingien du comté de Roussillon (4).

À l’ouest, de part et d’autre de la « montagne sacrée des catalans », le majestueux Canigou, dont les plus hautes cimes culminent à près de 2900 mètres d’altitude, s’étendent deux anciens pagi carolingiens : le Vallespir, qui correspond à la haute et moyenne vallée du Tech, et le Conflent, formé, comme son nom le suggère, par la moyenne vallée de la Tet grossie de ses principaux affluents : la Rojà et le Cady, sur sa rive droite, la Casteillane, sur sa rive gauche.

L’union des pays de Roussillon, Vallespir et Conflent constituait le diocèse d’Elne, tandis qu’en amont d’Estagel la vallée de l’Agly formait la colonne vertébrale de la vicomté de Fenolhedès.

Le pagus Fenoliotensis doit peut être une part de son occitanité à son ancienne appartenance au comté carolingien de Razès. Il en va de même pour le Capcir, ce petit pays montagnard où l’Aude sourd du flanc oriental du massif du Carlit. Fenolhedès et Capcir relèvent d’ailleurs du diocèse métropolitain de Narbonne.

Tous ces petits pays pyrénéens, Roussillon excepté, se sont retrouvés unis sous l’autorité de la maison comtale de Barcelone au cours de la seconde décennie du XIIe siècle.
Par un heureux concours de circonstances, le comte Ramon Berenguer III hérita en effet successivement du comté de Besalú à la mort du dernier comte particulier, Bernat III, en 1111, puis, six ans plus tard, du comté de Cerdagne-Conflent, suite au décès du comte Bernat Guillem (5).
Anciennes dépendances de ces comtés, le Vallespir, le Conflent, le Fenolhedès et le Capcir relèvent dès lors directement du comte de Barcelone. Par le jeu des inféodations, Ramon Berenguer III, alors en lutte avec le vicomte de Béziers et Carcassonne, Bernard Aton Trencavel, pour imposer son autorité sur le Razès et le Carcassès, s’y constitue très vite un réseau de puissants alliés dans le milieu vicomtal (6).
Il se concilie ainsi l’amitié de son frère utérin, Aimeric, vicomte de Narbonne, en lui concédant le Fenolhedès et le Perapertusès (7), tandis qu’il inféode au vicomte de Fenolhedès Guillem Pere, puis à son fils et successeur Udalger, les châteaux de Fenouillet et de Sabarda ainsi que celui de Sant Esteve de Villerach, en Conflent (8).
Le comte de Barcelone inféode enfin le Vallespir à Guillem Udalger, vicomte de Castelnou, en 1124 (9).

Au début du XIIe siècle, le comté de Roussillon se présente comme une entité bicéphale.
Sa capitale politique, Perpignan, n’est encore qu’une grosse bourgade dont les maisons s’agglutinent sur la rive droite de la Têt autour de l’église paroissiale de Saint-Jean, sanctuaire roman consacré en 1025 (10).
Les deux premiers siècles d’existence de la ville sont très peu documentés et les conditions qui présidèrent à son développement demeurent par conséquent particulièrement obscures (11).
Il semble que le facteur primordial de sa première croissance économique ait été son érection en capitale comtale, probablement dès la fin du Xe siècle, consécutivement à la partition des comtés de Roussillon et d’Empúries.

À une quinzaine de kilomètres plus au sud, au sommet de l’oppidum de l’antique Illiberis dominant l’estuaire du Tech, dont le lit était plus septentrional que de nos jours, se dresse la cathédrale de Sainte-Eulalie d’Elne, siège diocésain depuis l’époque wisigothique (12).

En 1131, la charge épiscopale est assumée par un cadet de la puissante famille vicomtale de Castelnou, Udalger. Le pouvoir de ce lignage aristocratique du Vallespir alors en pleine expansion fait localement contrepoids à celui du comte de Roussillon Gaufred III (13).

La dynastie comtale de Roussillon a en effet bien du mal à s’imposer dans ses domaines.
Elle est notamment affaiblie par la récurrence des affrontements qui l’opposent à la maison aînée des comtes d’Empúries depuis près d’un siècle. Les motifs de cette discorde familiale sont liés à l’étroite imbrication des patrimoines stipulée par les dispositions testamentaires de Gaufred Ier en 991.
Celui-ci avait en effet partagé son patrimoine en léguant à chacun de ses fils des biens et des prérogatives sur les deux versants de l’Albera.
Plusieurs conventions et rancuras (document judiciaire énumérant les plaintes et revendications d’une partie) montrent que la domination des roca, rochers fortifiés caractéristiques de l’architecture militaire catalane au XIe siècle, contrôlant l’accès aux cols d’Espils (actuel col de Banyuls) et de la Massane, principaux lieux de franchissement de cette montagne frontalière, constituait l’enjeu principal de ces luttes de pouvoir (14).
Au début du XIIe siècle, le rapport de force semble favorable au comte d’Empúries, Hug II.
En 1111, le comte de Roussillon Girard Ier, dont les exploits accomplis au cours de la première croisade en Terre sainte en 1099 ont peut-être inspiré l’auteur de la fameuse chanson de Girard de Roussillon, jure fidélité au comte Hug (15).
Ce serment est assorti d’une convention de sécurité pour tous les biens situés dans les comtés de Peraladés, Empúries et Roussillon, notamment pour l’Église d’Elne et les abbayes de Sant Pere de Rodes, Santa María de Rosas et Sant Quirç de Colera.
L’acte mentionne expressément les châteaux de Salses, d’Ultrera et de Sant Cristau et la vicomté de Tatzó, pour le Roussillon ; la vicomté d’Empúries et les châteaux de Fonolleres, de Rocamaura, de Peralada, de Rocabertí et de Quermançó, pour l’Empordà (16).

Il est possible que les relations conflictuelles entrenues avec son voisin méridional aient déterminées Girard Ier à contracter en 1110 une alliance avec le puissant vicomte de Carcassonne et Béziers, Bernard Aton, en mariant son fils et futur héritier Gaufred avec la fille de Bernard Aton, Ermengarde Trencavelle (17).

Après le décès prématuré de Girard Ier, ses vassaux profitent de la minorité de son héritier, Gaufred III, pour contester son autorité (18).
Il semble toutefois que le jeune comte ait bénéficié du soutien du comte de Barcelone.
Le 17 août 1128, ayant fait prisonnier le comte d’Empúries, Ponç Hug Ier, qui s’était emparé indûment de biens appartenant à l’Église de Gérone, Ramon Berenguer III contraint celui-ci à faire la paix. Le comte d’Empúries s’engage alors à respecter le plaid qu’il avait fait avec le comte de Roussillon ainsi que la trêve qu’il lui avait donnée et qu’il avait enfreint par la suite (19).

Le comte de Barcelone cherchait sans doute à s’assurer ainsi l’amitié du jeune comte et, partant, à compléter son réseau d’alliance sur les marges méridionales des principautés languedociennes.

Cette situation politique conflictuelle et instable a sans doute largement contribué à alimenter le climat de violence et d’insécurité qui caractérise la société roussillonnaise pendant toute cette période. D’incessantes guerres privées, accompagnées de leur cortège de meurtres, rapines et déprédations en tout genre, opposent les différentes factions aristocratiques servies par leurs manades de chevaliers en quête de fiefs et de butin. Ces rivalités s’exercent bien souvent aux dépens des religieux et des paysans (20).

Pour assurer le contrôle des richesses, les sires font édifier des tours de guet, les guardias, et multiplient les point fortifiés - roca dans les zone montagneuses, mottes castrales dans la plaine - dont ils confient la garde à des castlans (21).
À partir de la seconde moitié du XIe siècle, ces fortifications rudimentaires prolifèrent et gangrènent le piémont pyrénénen et la plaine littorale. On ignore le nombre total de tours et de châteaux qui furent ainsi érigés au cours de la période de mise en place de la seigneurie banale.

Quoi qu’il en soit, il est évident que ce sont des enjeux économiques qui présidèrent aux choix d’implantation de ce nouveau maillage de lieux de pouvoirs. Là où la documentation le permet, on observe en effet que le tissu castral est d’autant plus resserré que l’environnement est prodigue de ressources abondantes. Le cas est flagrant dans la petite plaine de la Salanque, au nord-est du comté de Roussillon, où pullulent châteaux et milites (22).

Outre que l’agriculture y était favorisée par la présence de sols fertilisés par les dépôts limoneux de la Têt et de l’Agly, ce territoire, alors ourlé de vastes étendues lagunaires, offrait une multiplicité de ressources primordiales pour l’équilibre alimentaire des hommes et des animaux : produits de la pêche et de la chasse, sel et salicorne, riches pâturages pour les bovins (23).

La relative profusion d’actes antérieurs à 1200 se rapportant aux seigneuries de la Salanque témoigne à elle seule de l’intérêt suscité par la captation des richesses de cette portion du littoral roussillonnais. Cette abondance de titres anciens s’explique par la présence sur place d’un grand nombre d’établissements religieux : il apparaît que la plupart des monastères situés dans un rayon d’environ cent kilomètres y possédaient des salines, des terres et des pâturages d’hiver (24).

L’abbaye de Lagrasse acquiert même, entre 1095 et 1101, la totalité des droits sur la très fructueuse pêcherie de la Font Dame, résurgence karstique du massif des Corbières située au nord de Salses (25).

En 1134, assistant au synode célébré dans la cathédrale Saint-Just et Saint-Pasteur de Narbonne en présence d’Arnau, archevêque de Narbonne et légat du pape, l’évêque d’Elne expose, dans une réthorique larmoyante de circonstance, la situation décidément lamentable de son diocèse. Il raconte à l’assemblée de prélats comment les pirates sarrasins ont tué ou capturé et emporté sur leurs navires de nombreux fidèles de son diocèse et réclament pour la libération des captifs une rançon de cent vierges destinées à assouvir leurs pulsions charnelles, le tout avec la complicité de chevaliers locaux davantage enclin à exercer leurs talents militaires pour leur profit personnel que pour protéger leurs frères chrétiens (26).
L’évêque réclame ensuite l’aumône de ses collègues pour le rachat de dix otages.

Ainsi, s’il faut en croire le portrait désolant dressé par l’évêque Udalger de Castelnou, le comportement des milites roussillonnais était aux antipodes de l’idéal de chevalerie chrétienne prôné par les premiers missionnaires de l’ordre du Temple.
Quelle que soit la part de vérité de ce témoignage, d’autres sources confirment que, faute d’une autorité laïque suffisamment forte pour les faire appliquer, les Paix et Trêves instituées par l’Église n’avait pas réussi à juguler les pratiques malfaisantes d’une classe chevaleresque cupide et manifestement dénuée de scrupules moraux ou religieux s’adonnant volontier à l’exercice d’une violence arbitraire.
Cette situation contribua certainement à sensibiliser la majorité chrétienne de la population aux valeurs incarnées par les religieux de la nouvelle milice du Christ.

Notes. Historique de la maison du Temple du Masdéu
3. — Georges CASTELLVI, Josep Maria NOLLA, Isabel RODÀ, « Pompey’s trophies », dans La ciudad en el mundo romano, Actas del XIV Congreso Internacional de Arqueología Clásica , (Tarragona 1993), 1995, p. 93-96.
Id. « La identificación de los trofeos de Pompeyo en el Pirineo », Journal of Roman Archaeology 8, 1995, p. 5-18.
4. — Les comtés de Roussillon et d’Empúries furent administrés conjointement de 916 à 991 jusqu’à leur partition entre les deux fils du comte Gaufred Ier. Sur ce partage et ses conséquences politiques aux siècles suivants voir Stephen P. BENSCH, « La séparation des comtés d’Empúries et du Roussillon », Annales du Midi, tome 118, n° 255 (juillet-septembre 2006), p. 405-410.
5. — Santiago SOBREQUÉS, Els barons de Catalunya, Barcelona, 1957, p. 4 et 6.
6. — Sur la probabilité d’un conflit opposant le comte de Barcelone au vicomte de Carcassonne et Béziers dans les années 1107-1120 voir Hélène DÉBAX, La féodalité languedocienne XIe-XIIe siècles. Serments, hommages et fiefs dans le Languedoc des Trencavel, Toulouse, 2003, p. 82-83.
7. — Pierre de MARCA, Marca Hispanica sive limes hispanicus..., Paris, 1688, app. CCCXXIX. Le serment n’est pas daté.
8. — Francisco MIQUEL ROSSELL, Liber Feudorum Maior. Cartulario real que se conserva en el Archivo de la Corona de Aragón, Barcelona, 1945 et 1947, vol. II , n° 672 à 674.
9. — B. ALART, Cartulaire roussillonnais, paru dans la Semaine religieuse du diocèse de Perpignan, 1884, n° XCVII, p. 430.
10. — Sur les origines historiques de cet édifice voir Pierre PONSICH, « La cathédrale Saint-Jean de Perpignan », Etudes Roussillonnaises, t. 3 (1953), p. 137-214.
11. — Pour un état de la question voir Pierre PONSICH,« Perpinyà », Catalunya Romanica, XIV, El Rosselló,
Barcelona, 1993, p. 285-288 ; Id., « Perpinyà haut-médiévale. Naissance d’une cité comtale (Xe-XIIe siècles) », dans Louis ASSIER ANDRIEU et Raymond SALA (dir.), La ville et les pouvoirs.
Actes du Colloque duHuitième Centenaire de la Charte de Perpignan, 23/ 25 octobre 1997, Saint Estève, 2000, p. 69-72 ; Aymat CATAFAU, « La villa Perpiniani : son territoire et ses limites (Xe-XIIIe siècles) », dans Louis ASSIER ANDRIEU et Raymond SALA, (dir.), La ville et les pouvoirs..., p. 41-67.
12. — Pierre PONSICH, « Les débuts du christianisme et le haut Moyen Age en Roussillon », Archéologia n° 90, janvier 1976, p.9-12.
13. — Pour une synthèse récente et bien documentée sur les vicomtes de Castelnou voir Gabriel POISSON, Les vicomtes de Castelnou (XIe-XIVe siècles). Mémoire de maîtrise, Université de Toulouse-Le Mirail, septembre 2005.
14. — Stephen P. BENSCH, « La séparation... » art. cit. ; Pelayo NEGRE PASTELL, « Dos importantes documentos del Conde de Ampurias, Poncio I », Anales del Institudo de Estudios gerundenses, vol. XIV, Gérone,1960, p. 229-261.
15. — Sur la possible catalanité du héros de la chanson de Girard de Roussillon voir Martin AURELL, Les noces du comte Mariage et pouvoir en Catalogne (785-1213), Paris, Publications de la Sorbonne, 1995, p. 352-353.
16. — Archivo Ducal de Medinaceli, sección Antiguo condado de Ampurias, n° 15.
17. — Dom Luc d’ACHERY, Spicilegium sive collectio veterum aliquot scriptorum, t. III, p.461 ; Francisco MIQUEL ROSSELL, Liber Feudorum Maior, vol. II, n° 786. Voir l’arbre généalogique de la maison comtale de Roussillon proposé en annexes.
18. — Dans les années qui suivent le meurtre de Girard Ier en 1113, c’est son frère Arnau qui, affublé du titre comtal, semble avoir exercé le pouvoir en Roussillon. En 1116 Arnau, comte de Roussillon, et Pere, viguier de Perpignan, fondent un hôpital pour les pauvres, sur un terrain sis à l’ouest des murs de la cellera de l’église Saint-Jean de Perpignan et au sud des rives de la Tet, Marca Hispanica, app. CCCLVI. Cet unique document ne permet pas de déterminer si la titulature comtale revêtue par Arnau s’explique par le fait que celui-ci assumait la régence du comté durant la minorité de son neveu Gaufred, ou, comme on serait plutôt enclin à le croire, parcequ’il avait usurpé le pouvoir à son propre profit.
19. — « Hec est pacificacionis et concordie scriptura que est facta inter Raimundum, comitem Barchinonensem, et filium ejus Raimundum, et Poncium Ugonis, comitem Impuritanensem. (...) Et jam dictus Poncius comes convenit prefato comiti et filio ejus, quod placitum firmiter teneat quod fecit cum comite de Rosseion, et de trevaquam ei dedit, quod inde fregit, si recognoverit, jam dictus Poncius emendet comiti de Rosseion.
Et si non recognoverit eam fregisse, expiet se per unum militem de terra sua ad alterum militem comitis de Rosseion », Francisco MIQUEL ROSSELL, Liber Feudorum Maior...,vol. II, n° 523, p. 35-37.
20. — Aymat CATAFAU, « Contentiones fuerunt. Conflits et violences dans le Roussillon féodal (XIe-XIIe siècles) », dans Le Roussillon de la Marca Hispanica aux Pyrénées Orientales (VIIIe-XXe siècle), Perpignan, 1996, p. 221-249.
21. — Georges CASTELLVI, Les châteaux de l’ancien comté de Roussillon, du Bas Empire romain à l’union au Royaume d’Aragon.
Mémoire de maîtrise d’histoire de l’art et archéologie sous la direction de Jacques Bousquet, Université Paul Valéry, Montpellier III, 1982-1983.
André CONSTANT, « Châteaux et peuplement dans le massif des Albères et ses marges du IXe siècle au début du XIe siècle », Annales du Midi, tomes 109, n° 219-220 (juillet-décembre 1997), p. 443-466.
22. — En 1140, huit chevaliers du lieu de Torreilles passent une convention afin de régler la dispute qui les oppose à propos de la répartition des fiefs laissés vaccants par la mort de Guillem Gombau de Torreilles.
L’acte est souscrit par six seigneurs locaux : Ramon Berenguer de Canet, Berenguer de Guardia, viguier de Roussillon et bienfaiteur du Temple, auquel il donne un rente en sel prise dans ses salines de Torreilles en 1136, Guillem de Palol, Ramon de Saint-Laurent, Guillem de Saint-Laurent, et Josbert Riquin de Saint-Hippolyte, ADPO, 1B45.
Les seigneuries de la Salanque apparaissent particulièrement morcellées. À Torreilles comme à Saint-Hippolyte, ce phénomène s’est traduit par l’érection d’au moins trois châteaux distincts Il s’agissait en l’occurrence de mottes castrales. L’une d’elles est encore partiellement conservée à proximité de la chapelle de Notre-Dame de Juhègues, au nord-ouest de la commune de Torreilles, voir Georges CASTELLVI, op. cit.
23. — Sur l’exploitation du sel sur le littoral roussillonnais à l’époque médiévale voir Rodrigue TRÉTON, Sel et salines en Roussillon au Moyen Age, Mémoire de maîtrise, Université Paul Valéry Montpellier III, 1999.
24. — Voici la liste des établissements qui détiennent des droits et des biens-fonds dans les paroisses de Torreilles et de Saint-Hippolyte aux XIe et XIIe siècles : les monastères bénédictins de Saint-Genis des Fontaines (Roussillon), Saint-Michel de Cuxà (Conflent), Saint-Martin du Canigou (Conflent), Saint-Jacques de Joucou (Pays de Sault), Saint-Martin-de-Lès (Fenouillèdes), Saint-Hilaire (Razès), Sant Pere de Rodes (Empurdà), les cisterciens de Sainte-Marie de Granselve (Gascogne), Sainte-Marie de Fontfroide (Narbonnais) et Sainte-Marie de Villelongue (Carcassès), le prieuré augustinien d’Espira-de-l’Agly (Roussillon), les hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem de la commanderie de Bajoles (Roussillon), sans oublier les templiers du Masdéu.
25. — Elisabeth MAGNOU-NORTIER (éd.), Recueil des chartes de l’abbaye de La Grasse, t. I (779-1119), Paris CTHS, 1996, actes n° 148-150, 156, 160 et 163.
26. — Francisco MONSALVATJE Y FOSSAS, El obispado de Elna, t. I, (Noticias historicas, t. XXI), 1911, doc. XXXIV, p. 371-373: « (...) surrexit Udalgarius Elenensis episcopus, in presentia totius sinodi, ostendens miseriam et animi perturbationem et dolorem super se et filiis suae ecclesie, cupis perturbationis modum sic exponebat, dicens promodo piratae sarraceni illos captivabant, quomodo alios raptabant ad navas et alios trucidabant in conspectu suo et omnium christianorum qui ibi advenerant. Referebat iterum quomodo sarraceni querebant pro redemptione captivorum C adalecentulas virgines, ut haberent et tenerent et deflorarent eas nefario concubitu et cum eis delectarentur. Referebat iterum quomodo christiani milites consentientes pravis consiliis eorum, currebant et circuibant villas et domos et rapiebant puellas et traherant eas violenter ad naves, ut immolarent eas demoniis ut comiscerentur iter gentes perfidie, et discerent opera nequitie, et servirent eis. Referebat iterum quomodo matres earum sequebantur filias suas cum magno ploratu et femine ululatu. »


1 - Les origines de l’ordre du Temple

On le sait, la création de l’ordre du Temple est une conséquence directe du succès de la première croisade en Terre sainte couronné par la prise de Jérusalem, en 1099, et par la création consécutive des quatre États latins sur les territoires conquis aux dépens des Turcs et des Fatimides : le royaume de Jérusalem, la principauté d’Antioche, le comté de Tripoli et le comté d’Édesse.

L’ordre religieux-militaire naît vers 1120, lorsque quelques aristocrates francs regroupés autour d’Hugues de Payns et de Godefroy de Saint-Omer se séparent des chanoines augustins du Saint-Sépulcre auxquels ils s’étaient tout d’abord affiliés.
En plus de vouloir mener une vie religieuse en prononçant les trois voeux d’obéissance, de chasteté et de pauvreté, ces chevaliers souhaitent en effet combattre afin d’assurer la protection des nombreux pélerins qui affluent vers les lieux saints.
Les premiers moines-soldats cherchent alors à convaincre les autorités ecclésiastiques du bien-fondé de leur ordre, dont la vocation mixte, à la fois religieuse et militaire, s’avère totalement inédite pour l’Église chrétienne (27).

Au cours de cette phase primordiale, ils obtiennent le soutien déterminant de Bernard, abbé cistercien de Clairvaux, l’une des plus grandes figures intellectuelles de ce temps, qui rédige un « Éloge de la nouvelle milice » (28).

Le 13 janvier 1129, les prélats réunis au concile de Troyes reconnaissent officiellement la milice du Temple de Jérusalem et dotent l’ordre d’une règle inspirée de celle de saint Benoît.

Enfin, le 29 mars 1139, le pape Innocent II fulmine la bulle Omne datum optimum qui place directement l’ordre du Temple sous la tutelle et protection du Saint-Siège apostolique, lui conférant de ce fait une totale indépendance vis à vis des autorités temporelles (29).

Les premiers templiers s’élancent alors sur les routes de l’Occident chrétien afin de susciter des adhésions et de recueillir des donations en faveur de leur ordre. C’est ainsi que le chevalier provençal Hugues Rigaud, à qui incombait la tâche de parcourir les principautés méditerranéennes, commença son long périple missionnaire, itinérant sans relâche sur les routes de Provence, Languedoc, Catalogne et Aragon à la rencontre des princes, des prélats et du peuple (30).

Notes. Les origines de l’ordre du Temple
27. — Le caractère particulièrement original et novateur de l’expérience spirituelle templière constitue le principal axe thématique d’un ouvrage paru récemment : Simonetta CERRINI, La révolution des templiers. Une histoire perdue du XIIe siècle, Paris, 2007.
28. — Bernard DE CLAIRVAUX, OEuvres complètes, t. XXXI : Éloge de la nouvelle chevalerie, éd. et trad. Pierre-Yves EMERY, Paris, 1990.
29. — Pour une synthèse historique éclairée et éclairante tenant compte des dernières avancées de la recherche en ce qui concerne la genèse de la milice du Temple voir Alain DEMURGER, Les Templiers. Une chevalerie chrétienne au Moyen Âge, Paris, 2005, p. 15-66.
30. — Sur ces questions voyez notamment Alain DEMURGER, Les Templiers..., p. 71-72 ; Josep Maria SANS I TRAVÉ, Els templers catalans de la rosa a la creu, Lleida, 1996, p. 73-74; Dominic SELWOOD, Knigths of the Cloister. Templars and Hospitallers in Central-Southern Occitania 1100-1300, Woodbridge, 1999, p. 61-63 ; Damien CARRAZ, L'ordre du Temple dans la basse vallée du Rhône (1124-1312). Ordres militaires, croisades et sociétés méridionales, Presses universitaires de Lyon, 2005, p. 88.


1 - La réception de l’ordre du Temple dans le comté de Roussillon


Deux testaments roussillonnais inédits, autrefois compilés dans le cartulaire du chapitre de l’église cathédrale d’Elne, témoignent de la rapidité avec laquelle la nouvelle de la création de la chevalerie du Temple de Jérusalem se diffuse au sein des élites militaires du comté de Roussillon. Dans le premier, daté du 28 juillet 1128, soit environ six mois avant le concile de Troyes, Arnau Miró lègue deux vignes en indivis à l’Hôpital de Jérusalem et à la Milice, pour lesquelles sa fille, usufruitière de ces vignes, leur donnera le quart des fruits récoltés. Comme il tenait l’une de ces vignes en gage pour 8 sous de monnaie de Roussillon et deux hémines d’orge, le testateur créancier ordonne que son débiteur la rachète en payant ce prix aux deux ordres religieux (31).

De façon assez similaire, les dernières volontés de Pere Bernat d’Avalrí, rédigées le 24 mars 1131, stipulent des legs pieux en faveur des deux ordres incarnant l’idéal de croisade. En l’occurrence, cet aristocrate vassal de l’évêque d’Elne, lègue six marabotins, monnaie d’or arabe, à l’Hôpital de Jérusalem, et deux juments à la chevalerie de Jérusalem (32).

La précocité de ces premières donations faites à l’ordre du Temple s’explique en grande partie par la situation géographique de la plaine Roussillonnaise au XIIe siècle. Celle-ci, traversée du nord au sud par l’antique via Domitia, dont un tronçon permanent fut rebaptisé strata francescha à l’époque carolingienne, se trouvait de ce fait sur l’un des principaux itinéraires terrestres reliant le continent européen à la péninsule Ibérique (33).
C’est par conséquent cette route qu’empruntèrent les premiers missionnaires de la Milice partis à la rencontre des princes et des grands seigneurs temporels de leur temps. C’est d’ailleurs vraisemblablement au retour d’un séjour en Catalogne, que Robert de Craon, premier sénéchal du Temple (34), et Hugues Rigaud font étape en Roussillon le 3 octobre 1131 (35).

Ce jour là, Bernat Pere, vraisemblablement seigneur de Banyuls dels Aspres, donne aux deux représentants de la milice de Jérusalem un homme nommé Arnau de Contrast avec le mas éponyme où ce dernier réside dans la paroisse de Saint André de Banyuls, ainsi que deux champs situés dans la paroisse voisine de Sainte Marie de Brouilla.

Il serait erroné de considérer Arnau de Contrast comme un misérable serf que son seigneur donne par charité chrétienne au nouvel ordre religieux-militaire. On sait en effet que les tenanciers de mas disposaient généralement des meilleures exploitations agricoles et qu’ils constituaient de ce fait l’élite de la paysannerie catalane (36).
D’ailleurs Arnau de Contrast réapparaît d’ailleurs cinq ans plus tard ; il est alors qualifié de frère du Temple et assume la gestion des affaires de son ordre en Roussillon, une fois en l’absence d’Arnau de Bedos, puis deux fois conjointement avec ce dernier (37).
Il reçoit encore une donation en 1137 en compagnie de frère Pere Bernat et une autre en 1138 avec frère Pere Roger (38).
Frère Arnau n’est plus mentionné par la suite dans les actes roussillonnais. Nous savons cependant qu’il poursuivit sa carrière pendant plusieurs années au sein de l’ordre dans le Midi puisqu’on le retrouve en Provence au mois de décembre 1145 (39).
Il convient enfin de signaler cet acte du 1er juillet 1143 par lequel Ramon de Contrast et ses frères, Guillem Ponç, Guillem Bernat, Bernat, clerc, et Arnau approuvent la donation d’un mas situé dans la paroisse de Céret (40).

Il est peu probable que le dernier membre de cette fratrie, prénommé Arnau, soit le même personnage que celui qui avait été donné au Temple en 1131 ; il n’est en tout cas pas présenté comme tel dans l’acte. Nous avons plutôt affaire ici à des proches parents, probablement des neveux, du templier de Banyuls.
L’acte confirme en tout cas que ceux-ci appartenaient à une frange relativement aisée de la paysannerie, puisqu’ils percevaient des droits sur un mas et que l’un d’eux, Bernat, avait suivi des études et faisait carrière dans la cléricature.
L’exemple d’Arnau de Contrast est particulièment intéressant en ce qu’il témoigne du fait que dès l’origine l’aire sociale de recrutement des frères du Temple ne se limitait pas à la seule aristocratie militaire.

Le geste du seigneur de Banyuls est rapidement imité par d’autres membres de la petite ou moyenne aristocratie du voisinage, dont certains sont peut-être apparentés ou alliés à celuici, comme Pere Ramon de Brouilla, auteur de deux donations, l’une en 1135 et l’autre en 1144 (41).

Il apparaît ainsi que la Milice du Temple ne tarda pas à se constituer un réseau de fidèles au coeur de la plaine du Roussillon, obtenant de la générosité de petits seigneurs et chevaliers leurs premières concessions de terres dans les paroisses de Villemolaque, Nyls et
Brouilla. Il est par ailleurs intéressant de constater que toutes ces localités voisinent avec la principale voie terrestre reliant Perpignan au Col du Perthus, appelée caminum Franceschum dans un acte de 1144 (42).

De même que dans la région de Carcassonne, la nouvelle chevalerie rencontre dans ses premières années l’adhésion de femmes de la petite aristocratie (43).
Le 29 juin 1132, Sobirana confirme la donation faite par son mari, Berenguer Arnau, de possessions situées à Villemolaque44. Plus intéressant, un mois plus tard, c’est une autre femme de cette paroisse, Adelaida, qui se donne corps et âme à Dieu, à la milice du Temple et à ses chevaliers, pour servir Dieu sous l’autorité du maître du Temple, sans aucun bien matériel.
A cette occasion, Adelaida donne au Temple, en la main d’Hugues Rigaud, tout l’alleu qu’elle possède dans le lieu de Cirà, aux confins des paroisses de Sainte-Marie de Nyls et de Saint-Julien de Villemolaque (45).
Une clause stipule que les templiers doivent racheter cet alleu à Oliba de Candell, qui le tient en gage pour la somme de quatre livres d’argent (46).
La donation est ensuite approuvée par les trois fils de la bienfaitrice, Guillem Gauter, Ramon et Bernat, ainsi que par son gendre, Dalmau de Peyrestortes.
L’eschatocole porte les seings de seize témoins, parmi lesquels on distingue, outre Hugues Rigaud, trois confrères du Temple, à savoir Pere Bernat de Perpignan, Bernat de Peralada et Bernat Udalger, des seigneurs et de riches et influents habitants de Perpignan.
C’est donc en présence d’une véritable assemblée de notables locaux qu’eut lieu la cérémonie d’entrée dans l’ordre d’Adelaida, femme issue d’une famille de la petite aristocratie roussillonnaise dont la famille éprouvait manifestement quelques difficultés financières.

On voit qu’en dépit de sa vocation militaire, la chevalerie du Temple de Jérusalem ne faisait à ses débuts aucune discrimination quant au sexe de ses recrues. Le fait est d’autant plus remarquable qu’il s’agit en l’occurrence du plus ancien document rapportant une affiliation individuelle à l’ordre du Temple dans le diocèse d’Elne.
L’autre fait remarquable est que c’est très vraisemblablement sur les terres données par dame Adelaida que les templiers allaient fonder peu de temps après leur première maison en Roussillon : la commanderie du Masdéu.

Au pays de la Trêve de Dieu, le nouvel ordre religieux-militaire né des idées de la réforme grégorienne et de l’esprit de Croisade a suscité un véritable engouement de la classe chevaleresque, signe que l’idéal porté par les templiers répondait aux aspirations des élites d’une société alors fortement militarisée.
L’une des manifestations les plus évidentes de ce succès d’estime est la généralisation de la pratique consistant à léguer aux religieux l’équipement du chevalier : monture, armes et harnachement (47).
Cette contribution à la fois matérielle et symbolique à la défense de la Terre sainte exprimait l’adhésion des représentants de la caste militaire à cette cause ; elle constituait aussi un moyen de bénéficier des récompenses spirituelles promises par la papauté à tous ceux qui venaient en aide aux pauvres soldats du Christ.
Le don de l’équipement militaire, pratique déjà répandue au sein de l’aristocratie bien avant l’apparition de l’ordre du Temple, s’effectuait généralement à l’occasion d’une entrée en confrérie ou d’un testament.
L’approche de la mort était l’occasion ultime donnée aux élites militaires d’annoncer publiquement leur intention de renonçer aux biens terrestres en se dépouillant des ornements matériels symbolisant leur appartenance à la caste des bellatores au profit d’ordres religieux partageant leurs valeurs martiales.

Notes. Réception de l’ordre du Temple dans le comté de Roussillon
31. — « Et pecias II de terra quas habeo ad Campum femad, que sunt vineas, dimitto ad Ospital de Jerusalem et ad ipsam Militiam. Et ad filia mea Elliardi dimitto laborationem de predictis vineis, ut ipsa det quartum de predictis vineis ad ipsum Ospital et ad ipsam Militiam. Et unam ex his vineis jam dictis habeo inpignore ipsam laborationem de Petro Pave, et si filius ejus exinde abstrahere voluerit, donet ipsum avere ad ipsum Ospital et ad ipsam Militiam. Et est ipsum avere solidos VIII Rossellos, et eiminas II ordei », ADPO, 12J25, acte n° 175.
32. — « Et Hospitali de Jherusalem dimitto VI maraubotinos ; et Cavalerie Jherusalem, duas equas », ADPO, 12J25, acte n° 177.
33 — Les premières donations faites à la milice du Temple concernent les principautés suivantes : Flandre, Champagne, Bourgogne, Provence, Languedoc, Aquitaine, Aragon et Catalogne.
Pour témoigner de cette rapide extension, on peut rappeler qu’au mois de mars 1128 la reine Teresa de Portugal avait légué par testament à la milice du Temple un château dans le territoire de Coimbra, voir Marquis A. d’ALBON, Cartulaire général de l’ordre du Temple, (1119 ?- 1150), Paris, 1913, doc. n° X et XI.
Plus près du Roussillon, la plus ancienne donation recopiée dans le cartulaire de la commanderie de Douzens, près de Carcassonne, est datée du 28
novembre 1129, Pierre GERARD et Élisabeth MAGNOU (éd.), Cartulaires des Templiers de Douzens, Paris, 1965, Cartulaire C, acte n° 11.
34. — Sur ce personnage qui deviendra ensuite le second grand maître du Temple, voir Alain DEMURGER, Les Templiers..., p. 97-98.
35. — Voir l’acte n° 8 : L’acte porte le millésime 1132, mais celui-ci ne coïncide avec l’année de règne indiqué que dans le cas d’une datation selon le calcul pisan : « Actum est hoc V° nonas octobris, anno ab incarnatione Domini M° C° XXX° II° , regnante Lodvico rege XXIII° anno. »
Il convient toutefois de noter que le sénéchal Robert et Hugues Rigaud apparaissent ensemble dans deux autres actes contemporains, l’un daté du 19 septembre 1132 (a. st.) est la donation faite à ces derniers par le comte d’Urgell Ermengol de son château de Barberà, qui deviendra ensuite le siège d’une importante commanderie : « Actum est hoc XIII kalendas octobris, anno dominice Incarnationis C tricesimo secundo post millesimum », Marquis A. d’ALBON, op. cit. acte n° XLVII, p. 36-37.
La formule de datation de cet acte ne porte que l’indication du millésime et ne permet donc pas de déterminer le mode de calcul employé. Cependant, la proximité de la date du 19 septembre avec celle du 3 octobre, d’une part, et le voisinage géographique des comtés d’Urgell et de Roussillon, d’autre part, font supposer que ces deux actes ont bien été passés à quinze jours d’intervalle, au cours d’une seule et même campagne menée par les deux responsables de la milice du Temple.
Cette campagne aurait ensuite conduit les deux hommes au Puy-en-Velay où ils assistent à un plaid à la fin du mois de décembre à en croire un acte daté de l’épiscopat de l’évêque du Puy, Humbert (1128-v. 1146), que le marquis d’ALBON propose de dater de l’année 1132, probablement en se basant sur le millésime des deux actes évoqués précédemment, op. cit., acte n° LII, p. 39-40.
Cette hypothèse a été reprise par les éditeurs des cartulaires de Douzens, Pierre GERARD et Élisabeth MAGNOU (éd.), Cartulaires des Templiers de Douzens, Cartulaire C, acte n° 10, p. 268-269. 1131 ou 1132 ?
Il est difficile de trancher avec certitude. Notons toutefois que Hugues Rigaud était à Barcelone le 14 juillet 1131 pour recevoir l’entrée en confrérie faite ab articulo mortis par le comte Ramon Berenguer III, voir Josep Maria SANS I TRAVÉ, Els templers catalans..., p. 74-77.
36. — Les hommes amansats, bien qu’assujettis à un régime servile, conservaient le contrôle de la production de leurs tenures héréditaires, voir Lluis TO FIGUERAS, « Le mas catalan du XIIe siècle : genèse et évolution d’une structure d’encadrement et d’asservissement de la paysannerie », Cahiers de Civilisation Médiévale, Poitiers, 1993, p. 151-177.
37. — Actes n° 13-15.
38. — Actes n° 17 et 18.
39. — Arnau de Constrast assiste le 3 décembre 1145, aux côtés du maître provincial Pere de Rovera, des frères Uc de Bourbouton, Berenguer de Gunyoles, un autre catalan, et de quatre templiers méridionaux, à la profession du seigneur provençal Nicolas de Bourbouton, fils d’Uc, voir Damien CARRAZ, « Mémoire lignagère et archives monastiques : les Bourbouton et la commanderie de Richerenches », dans Convaincre et persuader : communication et propagande aux XIIe et XIIIe siècles, Études réunies par Martin AURELL, Coll. Civilisation Médiévale, XVIII, Université de Poitiers - Centre d’Études Supérieures de Civilisation Médiévale, 2007, Pièce justificative n° II, p. 499.
40. — Acte n° 30.
41. — Actes n° 12 et 31.
42. — Acte n° 31. Voir la carte n° 1. Pour une approche historique de la question des anciens réseaux viaires en Roussillon et Conflent voir Jean-Pierre COMPS, « Stratae et stradae : les grands axes de circulation des Pyrénées-Orientales dans les textes médiévaux », Domitia, n° 3, décembre 2002, p. 127-155 ; « Via de Carles, via Conflentana, caminum Franceschum... et quelques autres. De la Têt à l’Albère, l’apport des textes médiévaux à la recherche de la voirie ancienne », dans Elne, ville et territoire, 2ème rencontres d’histoire et d’archéologie d’Elne, 1999. Société des Amis d’Illiberis, 2003, p. 61.
43. — En 1133, Laureta, épouse de Guilhem de Pinian, donne « aux chevaliers qui luttent vaillamment contre lesSarrasins » ses possessions de Douzens plus deux condamines à Blomac, voir Pierre GERARD et ÉlisabethMAGNOU (éd.), Cartulaires des Templiers de Douzens, Cartulaire A, n° 40.
44. — Acte n° 9.
45. Acte n° 10.
46 — La donation d’un bien engagé à charge pour le donataire de le libérer en remboursant le créancier était une pratique courante, voir les actes n° 66, 92, 93, 290.
47. — Sur la notion de chevalerie et l’importance du cheval dans la société aristocratique et au sein de l’ordre du Temple voir Alain DEMURGER, Les Templiers..., p. 189-192 ; sur ses différentes connotations sociales et matérielles au sein de l’aristocratie catalane voir Michel ZIMMERMAN, « Arme de guerre, emblème social ou capital mobilier ? Prolégomènes à une histoire du cheval dans la Catalogne médiévale (Xe-XIIe siècle) », dans Miscellània en homenatge al P. Agustí Altisent, Tarragona, 1991, p. 119-157.


1 - La fondation de la maison du Temple du Masdéu


Le succès rencontré auprès des milites s’est traduit par un nombre croissant de donations de mas, terres, vignes et autres biens immobiliers. Afin d’administrer ce patrimoine géographiquement dispersé, les premiers frères ne tardent pas à fonder une première maison qu’ils baptisent Masdéu. De manière significative, leur choix s’est porté sur une terrasse située sur la rive gauche du Reart, au coeur du territoire de leur première expansion, à environ un kilomètre de la via Francescha. La commanderie se trouve ainsi à une distance à peu près identique, une dizaine de kilomètres, de la cité épiscopale d’Elne, à l’est, et de la ville comtale de Perpignan, au nord. Aujourd’hui compris dans le territoire communal de Trouillas, le Masdéu est localisé dans les chartes du XIIe siècle près du lieu de Cirà, aux confins desparoisses de Villemolaque et de Nyls, à proximité du petit prieuré bénédictin de Sant Salvador de Cirà, filiale du monastère de Sant Salvador de Breda (48).

La domus Templi Mansi Dei est mentionnée pour la première fois le 24 mai 1136 dans la publication du testament d’Ermengau de So (49).
Pere de Santa Fe, Bernat de Millas et Pere Duran, ses exécuteurs testamentaires, rapportent que ce seigneur vraisemblablement apparenté au lignage titulaire du château d’Usson en Donezan avait demandé à ce que son corps soit porté au Masdéu si la mort le surprenait avant qu’il ne parte à Jérusalem pour rejoindre les rangs de la Milice. À en croire l’acte, sa dernière volonté fut exaucée (50).

Ce témoignage est pour nous riche d’enseignements. En premier lieu, il manifeste le succès rencontré par le nouvel ordre religieux-militaire auprès de l’aristocratie régionale. Cette ferveur précoce doit bien sûr être mise au crédit des frères chargés d’enrôler des nouveaux combattants pour la défense de la Terre sainte. En second lieu, cette clause nous apprend que la première maison roussillonnaise était déjà constituée et baptisée, ce qui en fait le plus ancien établissement de l’ordre militaire implanté dans les comtés catalans, autrement dit l’une des toutes premières fondations de la milice du Temple en Occident (51).

Mais l’information la plus surprenante est certainement l’élection de sépulture, puisqu’elle implique que le Masdéu disposait déjà d’un cimetière et aussi, par conséquent, d’une chapelle. Ceci signifie que dans les faits les templiers établis en Roussillon usaient déjà d’un droit de sépulture qui ne leur fut officiellement accordé que trois ans plus tard par le pape Innocent II, par la bulle Omne datum optimum fulminée le 29 mars 1139 (52).
Il faut toutefois attendre le mois d’octobre 1151 pour découvrir la première occurrence certaine d’un prêtre exerçant au Masdéu (53).
Cependant, deux actes d’octobre 1146 portent la souscription d’un frère chapelain que l’on peut raisonnablement supposer être celui du Masdéu (54).
La maison du Masdéu est à nouveau mentionnée dans un acte du 19 décembre 1138 (55).

Pour la rémission de leurs péchés, Guillem de Villemolaque et son épouse Orgolosa donnent à la « milice de Jérusalem du Temple de Salomon », en main de frère Arnau de Bedos, la dîme de tous les produits qu’ils prélèvent sur le champ dans lequel est édifié le mas du Temple, « lequel est appelé Masdéu par un grand nombre de personnes » (56).

L’énumération des confronts de ce champ indique que le Temple possédait déjà un pré attenant ainsi qu’une terre qui avait été donnée par le père de Guillem de Villemolaque, Bernat Guillem. Il est regrettable que l’acte portant cette première donation n’ait pas été conservé, car il nous aurait sans doute permis de mieux appréhender les circonstances qui présidèrent à la fondation de la commanderie roussillonnaise.

Notes - La fondation de la maison du Temple du Masdéu
48. — Voir ci-dessous le paragraphe consacré à cet établissement.
49. — Acte n° 14. Le testament est daté de 1137, mais l’année de règne ne coïncide avec le millésime que si celui-ci est exprimé selon un calcul pisan : « Quod est factum VIIII° kalendas junii, anno dominice Incarnationis M° C° XXX° VII° Christi incarnationis, XXVIII° Lodoyci regis. »
Cette datation est corroborée par le fait que le legs a été remis à Arnau de Contrast, lequel reçoit plusieurs donations faites au Temple en 1136-1138.
50. — « Corpus vero suum dedit milicie beate Marie que est in Jherusalem in honore Dei servicio congregata, ut esset ibi serviens Deo, si vitam ei Deus concessisset. Si autem ejus excessum in hac terra evenerit, jussit corpus suum defferri ad ipsum Mansum Dei, quem de ipsa Cavalleria est, ut est factum. »
51. — Probablement avec les commanderies de Douzens en Languedoc, et celles de Richerenches et de Roaix en Provence.
52. — Une situation similaire a été constatée pour la maison de Richerenches, qui dispose d’un chapelain dès 1138, voir Damien CARRAZ, L’ordre du Temple..., p. 92.
53. — Acte n° 47 : « Sig+num Arnaldi, presbiteri Mansi Domini. »
54. — Acte n° 39 : « Sig+num Raymundi, fratris capellani. »
55. — Acte n° 19.
56. — « (...) ipso campo, in quo est jam edificatus et constructus mansus supradicte militie Jherosolimitane, qui appellatur a multis Mansio Dei. »


1 - L’implantation des templiers dans la vicomté de Fenolhedès


Comme cela a été maintes fois observé, la propagation des idées neuves suit généralement les grands axes commerciaux que sont les routes et les vallées (57).

C’est d’ailleurs principalement en remontant les vallées des trois fleuves côtiers méditerranéens drainant la plaine du Roussillon que se diffuse le mouvement en faveur de la nouvelle milice : au sud, en remontant la vallée du Tech en direction du Vallespir ; au centre, en remontant la via Conflentana le long de la Tet depuis Perpignan en direction du Conflent et du Capcir ; et au nord, en remontant la vallée de l’Agly en direction du Fenolhedès (58).

À la différence du comté de Roussillon qui était contrôlé par une dynastie autonome dont le représentant était alors le comte Gaufred III, tous les pays situés en amont se trouvaient, comme nous l’avons dit, sous la domination des comtes de Barcelone. Mais cette dichotomie politique ne semble pas avoir constitué un obstacle pour les templiers qui ont très vite bénéficié du puissant soutien de la maison de Barcelone. On sait en effet avec quelle ferveur le comte Ramon Berenguer III, agonisant, avait accueilli la mission d’Hugues Rigaud en 1131, avant de prendre lui-même l’habit de la chevalerie du Temple (59).

En septembre 1141, le fils et successeur de ce dernier, Ramon Berenguer IV, comte de Barcelone et prince d’Aragon, donne au maître provincial de l’Ordre, Pere de Rovira, le mas dans lequel habite Pere de Sirach, ainsi que ce tenancier avec tous ses biens (60).

On suppose que ce mas se situait sur le territoire de Sirach, à proximité de Rià, la capitale carolingienne du comté de Conflent.
Mais l’expansion du Temple dans ce pagus pyrénéen s’est heurté à la forte emprise temporelle d’autres établissements religieux qui s’y était implantés au cours des siècles précédents. La plupart des seigneuries de la moyenne vallée de la Têt étaient déjà sous la coupe des abbayes bénédictines de Saint-Michel de Cuxà, Saint-Martin du Canigou et Sant-Pere de Camprodon et, dans une moindre mesure, du prieuré augustinien de Corneilla-de-Conflent et du prieuré de Sainte-Marie de Marcevol, affilié à l’ordre du Saint-Sépulcre en 1128. Nous allons voir que la situation était bien différente dans la vicomté voisine de Fenolhedès, puisque c’est là que se situe le second foyer d’expansion de l’ordre du Temple dans l’espace géographique documenté par les archives du Masdéu.

Nous avons déjà évoqué dans quelles circonstances le comte de Barcelone Ramon Berenguer III avait hérité cette terre du comte de Besalú, et comment il l’avait inféodée par la suite aux vicomtes de Narbonne et de Fenolhedès (61).

Sur le plan ecclésiastique, le Fenolhedès constituait un archidiaconé du diocèse de Narbonne. Les documents se rapportant à l’activité des templiers dans ce secteur géographique sont peu nombreux. Ils concernent essentiellement la formation du patrimoine dans le deuxième tiers du XIIe siècle. C’est la publication testamentaire d’Ermengau de So, déjà évoquée, qui contient la plus ancienne donation faite au Temple dans les limites de la vicomté de Fenolhedès.

En 1136, ce seigneur lègue aux templiers les alleux qu’il possède dans les villae de Borrad et de Centernac (Saint-Arnac) (62), comprises dans la paroisse de Saint-Esteve de Derch (63).

Ce legs inaugure une série de donations importantes effectuées par des membres de l’aristocratie régionale qui, au cours de la décennie suivante, devait permettre à l’ordre militaire de prendre pied dans cette région de moyenne montagne à vocation essentiellement pastorale. Le 3 octobre 1136, ce sont le vicomte de Tatzó, Bernat Berenguer, son épouse Jordana et leur fils Hug, qui donnent aux templiers ce qu’ils possèdent dans la villa de Prugnanes (64).

Six mois plus tard, c’est au tour de Pere Bernat de Castelnou, probablement un cadet du lignage des vicomtes de Vallespir, de donner à la milice du Temple, pour qu’elle le possède après sa mort, tout l’honneur que son frère (le vicomte Gausbert II ?) lui avait donné à Borrad et à Centernac, avec tout ce qu’il possède dans ces localités (65). Pour cette donation, Pere Bernat reçoit des templiers une « aumône » d’une centaine de sous (66).

Entre 1141 et 1173, ce sont le vicomte de Fenolhedès Udalger et ses fils, d’une part, et les membres de l’important lignage - vraisemblablement apparenté à celui des Fenouillet - des seigneurs de Sournia, d’autre part, qui apportent leur appui au Temple en lui donnant divers biens patrimoniaux situés dans les territoires de Corbons, Sournia, Rabouillet, Pézilla [de Conflent] et Prugnanes (67).

Par imitation et sans doute aussi pour complaire à leur seigneur, des vassaux du vicomte Udalger, tels que Arnau Pere de Pézilla et Guillem Seguer, suivent l’exemple de celui-ci en donnant à leur tour quelques unes de leurs possessions à la Milice (68).

Les templiers se sont très vite efforcés de renforcer leur présence dans cette région stratégique. En 1141, ils achètent une terre située sur le territoire de Corbons, dans la partie montagneuse de la paroisse de Sainte-Marie de Sournia (69).

Plus au nord, leur implantation à Centernac et à Prugnanes leur permet de se positionner à proximité de la principale voie commerciale reliant le Roussillon à la haute vallée de l’Aude et, par là, au Toulousain et à l’Albigeois, via le col de Saint-Louis et la ville marchande de Limoux. Moyennant le versement de fortes sommes d’argent, les templiers réussissent à conforter leur position. Ils focalisent surtout leur attention sur l’acquisition des droits seigneuriaux de la villa de Centernac. Pour ce faire, ils n’hésitent pas à recourir au système éprouvé de la reprise en fief (70).

Le 11 mars 1157 ou 1158, pour le prix de 1000 sous de monnaie barcelonaise, le seigneur Pere de Domanova, avec l’accord avec sa mère, dame Cerdana, vend aux frères Hug Gaufred et Bernat de Fenouillet, tout ce qu’il a et tout ce qui est tenu pour lui à Centernac. Le magnat du Conflent donne en plus aux templiers tout ce qu’il préleve, justement ou non, sur les biens ecclésiastiques de cette villa, autrement dit sur les clercs et leurs possessions. Les templiers inféodent immédiatement à Pere de Domanova tous ces droits, y compris la seigneurie des chevaliers qui y tenaient des fiefs pour lui, afin qu’il tienne le tout en viager pour le maître de la milice du Temple moyennant le paiement d’un cens annuel. Après sa mort, le fief reviendra à l’ordre militaire, dont les chevaliers de Centernac deviendront alors les vassaux directs (71).

Le contrat prévoit enfin qu’à la mort de ce seigneur les templiers héritent de ses armes et de son cheval ; et s’il n’a pas de cheval, de sa meilleure mule. L’acte est emprunt d’une très grande solennité puisque, outre le seing manuel du juge Pere, il porte les souscriptions d’une dizaine de personnages de haut rang. On y retrouve l’essentiel de l’élite aristocratique régionale : le vicomte de Fenolhedès Udalger, accompagné comme toujours de ses deux fils Pere et Arnau, les seigneurs Guillem de Paracols, Gaucelm du Vivier, Guillem d’Ille et Pere de Sirach, Ramon Amalví (72), Bernat, prieur de Marcevol, Ramon Cerdà, Bernat de Comes, Bernat Guillem, batlle du comte de Barcelone, Guillem de Cassagnes, et l’évêque d’Elne, Artau de Castelnou (73).

La reprise en fief apparaît ici pour les templiers comme un moyen intéressant de s’assurer à terme la mainmise sur d’importants droits seigneuriaux et sur les revenus qui en découlent. Ce procédé, auquel ils ne semblent pas avoir eu souvent recours puisqu’on n’en trouve pas d’autre exemple dans les archives du Masdéu, leur permet également de s’assurer la fidélité, ou tout au moins la neutralité immédiate des chevaliers tenants-fiefs qui sont les véritables détenteurs du pouvoir local. D’un autre côté, ce contrat permet au jeune seigneur d’empocher immédiatement une importante somme d’argent, sans pour autant perdre l’usufruit des droits aliénés, ni le contrôle de ses vassaux.

Pere de Domanova devait vivre encore pendant près de quarante longues années, au cours desquelles il devint un familier de la cour du roi d’Aragon Alfons II. Il apparaît pour la dernière fois dans un document du 2 janvier 1204 (74).

Entre temps, dans son testament rédigé à Tautavel au mois de janvier 1178, cet aristocrate avait renouvelé le legs de son cheval et de ses armes en y ajoutant les alleux qu’il possédait dans les villae et territoires de Prats [de Sournia], Pézilla et Pressillas (75).

Après le décès de Pere de Domanova, les templiers poursuivent leur politique de concentration des droits seigneuriaux en rachetant les fiefs de certains chevaliers de Centernac. Le 3 mars 1215, Ramon du Vivier, avec l’accord de ses trois frères, Bernat du Vivier, Arnau et Berenguer, donne à frère Balaguer, commandeur du Masdéu, et à frère Esteve, commandeur de Centernac, toute sa part, soit la moitié, de la dîme qu’il a dans les condamines des templiers à Borrad et dans tout l’honneur de la défunte Boneta, ainsi que dans toutes les vignes et terres de la réserve que les templiers exploitent à Centernac, Borrad et dans toute la paroisse de Saint-Esteve de Derch. Ramon précise qu’il avait hérité cette part de dîme de son père (76), et qu’il la tenait en fief pour feu Pere de Domanova, lequel avait légué ce fief à la milice du Temple. Pour la confirmation de cette donation, Ramon a reçu 100 sous de monnaie melgorienne (77).

Dans la foulée, le 11 octobre 1215, le chevalier Bernat du Vivier et dame Saurimunda, son épouse, reconnaissent à frère Balaguer que le mas de Ponç Eibri d’Enterrius avec tout ce qui en relève, est l’alleu de la milice du Temple. Ils cèdent au commandeur du Masdéu et à celui de Centernac, ainsi qu’à leurs successeurs, tout ce qu’ils étaient en droit d’exiger sur deux hommes du Temple, Bernat Eibri et son frère Ramon, fils de Ponç Eibri, ainsi que sur leurs descendants et leurs biens. Pour cette concession, Bernat du Vivier et Saurimunda reçoivent 100 sous de monnaie barcelonaise (78).

L’appui des principales familles aristocratiques possessionnées dans la vicomté de Fenolhedès s’est donc révélé primordial pour la réussite de l’implantation de l’ordre militaire dans cette partie du piémont pyrénéen. Outre les donations et les acquisistions rémunérées, cet accueil favorable s’est également manifesté assez rapidemment par l’affiliation au Temple de certains membres de ces lignages. Ainsi, Bernat de Fenouillet est mentionné comme frère du Temple de 1141 à 1156 ; les actes le présentent comme le premier administrateur de l’ordre en Fenolhedès (79).
Nous évoquerons un peu plus loin le cas du seigneur Arnau de Sournia et de son fils Hug.

Notes. L’implantation des templiers dans la vicomté de Fenolhedès
57. — On se rapportera par exemple aux constatations formulées par André Gouron à propos des vecteurs de la diffusion du consulat et du droit romain dans le Midi aux XIIe et XIIIe siècles, André GOURON, « Diffusion des consulats méridionaux et expansion du droit romain aux XIIe et XIIIe siècles », Bibliothèque de l’École des Chartes, CXXI, année 1963, p. 26-76.
58. — Pour plus de détails sur la formation du patrimoine de la commanderie du Masdéu on se reportera aux travaux suivants : Laure VERDON, La terre et les hommes en Roussillon aux XIIe et XIIIe siècles : structures seigneuriales, rente et société d’après les sources templières. Aix-en-Provence : Publications de l’Université de Provence, 2001, p.28 et suiv. ; Robert VINAS, L’ordre du Temple en Roussillon, Girona, 2001, p. 19 et suiv.
59. — Josep Maria SANS I TRAVÉ, Els templers catalans..., p. 74.
60. — Acte n° 37.
61. — On trouvera d’utiles informations sur l’histoire de la vicomté de Fenolhedès dans Laurent FONQUERNIE, La vicomté de Fenouillèdes du IXème au XIIIème siècle, Mémoire de D.E.A., Université de Toulouse-Le Mirail, 1997 ; et Pierre PONSICH, « Fenolleda », Antoni PLADEVALL i FONT (dir.), Catalunya romànica, XXV, El Vallespir, El Capcir, El Donasà, La Fenolleda, El Perapertusès, Enciclopèdia catalana, Barcelona, 1996, p. 284-290 ; Rodrigue TRÉTON, Les vicomtes de Fenouillet. Une dynastie artistocratique Pyrénéenne (vers 1000-1062), à paraître.
62. — La graphie actuelle « Saint-Arnac » est une aberration linguistique - il n’existe aucun saint portant ce nom dans les répertoires canoniques de l’Église catholique - attribuable à la plume béatificatrice de quelques scribes médiévaux transcrivant phonétiquement l’appellation « Centernac » d’origine antique attestée au XIIe siècle. On peut observer quelques stades de cette intéressante mutation toponymique au fil des actes conservés dans les archives templières : Senternach (1136, acte n° 14), Centernag (1137, acte n° 16), Centernac (1154 et 1157, actes n° 53, 61), Sanctus Arnachus (1215, 1265, 1268, 1270, actes n° 245, 248, 647-649, 718, 721, 748 et passim), Sanctus Ernacus (1256, acte n° 548), Sanctus Arnacus (1261, acte n° 598), Sent Arnach (1263, acte n° 624), Santernacum (1268, acte n° 706), Santernachum (1292, acte n° 1025).
63. — Acte n° 14.
64. — Acte n° 15. La vicomté de Tatzó correspond à la vicomté de Roussillon. Elle porte le nom d’un château aujourd’hui situé dans le hameau de Tatzó d’Avall, au nord de la commune d’Argelès. Pierre PONSICH a consacré une notice historique au lignage de Tatzó dans Catalunya Romanica, vol. XIV, El Rosselló, Barcelona, 1993, p. 37-38.
65. — Sur la difficile reconstitution généalogique de la famille vicomtale de Castelnou à cette époque voir Gabriel POISSON, Les vicomtes de Castelnou (XIe-XIVe siècles), op. cit., p.23-46.
66. — Acte n° 16.
67. — Actes n° 22, 26, 92 et 93.
68. — Acte n° 36 et 53. Arnau Pere de Pézilla était le seigneur de Pézilla-de-Conflent, que les textes médiévaux nomment plus logiquement Pézilla de Fenolhedès.
69. — Acte n° 24.
70. — Pour une description de cette pratique féodale d’entrée en dépendance dans le contexte languedocien voir Hélène DÉBAX, La féodalité languedocienne XIe-XIIe siècles. Serments, hommages et fiefs dans le Languedoc des Trencavel, Toulouse, 2003, p. 152-155.
71. — Parmi ces vassaux devaient figurer les cerdans Pere de Prullans et ses frères Bernat de Prullans et Guillem de Prullans, qui confirment cette transation.
72. — Il s’agit d’un influent bourgeois perpignanais proche des comtes de Roussillon.
73. — Acte n° 61.
74. — Ce jour là, dans la salle du château de Castelnou, Pere de Domanova reconnaît tenir en fief pour le vicomte Castelnou, Guillem V, les églises de Sant-Esteve d’Ille, Vinça, Ropidera, Espira-de-Conflent, Estoher, Seners, Mosset, Fullà, Nyer et la villa de Creu (commune de Matemale), ADPO, 1B57.
75. — Acte n° VI. Pressillas est une localité disparue qui se situait entre Prats de Sournia et Le Vivier.
76. — Il s’agit peut-être de Guillem du Vivier, témoin du testament d’Arnau de Fenolhet le 5 juillet 1173, voir l’acte n° 92.
77. — Acte n° 245.
78. — Acte n° 248.
79. — Actes n° 23, 24, 36, 53, 55, 61.


2 - Les effectifs


Les frères du Temple
La hiérarchie fonctionnelle mise en place au sein de la milice du Temple reproduisait les clivages et l’ordonnancement tripartite de la société féodale : milites, oratores et laboratores. Les activités exercées par les frères variaient en effet selon leur origine sociale et leur niveau d’éducation.

Les chevaliers
La caste militaire constituait par essence l’élite de la hiérarchie templière puisque c’est dans ses rangs que se recrutaient les combattants investis de la mission sacrée de défendre la chrétienté sur ses frontières avec le monde musulman. De ce fait, les manteaux blancs, vêtements distinctifs des frères chevaliers, ont toujours été en minorité dans les effectifs de la commanderie du Masdéu. Contrairement aux commanderies établies dans les puissants châteaux frontaliers du sud de la maîtrise de Catalogne et d’Aragon, la commanderie roussillonnaise et ses membres étaient éloignés du théâtre de la guerre et n’avaient par conséquent nullement besoin d’être protégées par une importante garnison armée.

Au sein des effectifs de la commanderie du Masdéu, les frères chevaliers étaient minoritaires. Leur nombre était variable, mais on en recense rarement plus de trois ou quatre mentionnés simultanément. Ceux-ci occupaient naturellement le sommet de l’échelle hiérarchique : le poste de commandeur du Masdéu leur était réservé. Quelques uns de ces responsables, tous recrutés dans les limites de la maîtrise provinciale, étaient issus de la haute et moyenne aristocratie, comme Guillem de Castelnou, Ramon de Canet, Ramon de Saguàrdia ou Guillem de Montgrí, tandis que d’autres provenaient de modestes lignages de milites castri.

C’est le cas, par exemple, de Guillem de Castelló, Pere d’Aiguaviva, Jaume de Vallcarca, Ramon d’Elne, Pere de Canohès et Guillem de Saint-Estève.

Les actes n’en faisant que très rarement état, l’origine sociale des frères est bien souvent assez malaisée à déterminer, d’autant qu’à cette époque le port d’un surnom topographique précédé d’une particule ne constituait pas nécessairement un critère d’appartenance au milieu aristocratique. A contrario, certains chevaliers n’étaient désignés que par un nom unique, comme l’infatigable frère Cabot, qui mena une carrière exemplaire d’administrateur au sein des maisons nord-catalanes.

Sans doute issu d’une famille de castlans du lieu de Tatzó d’Avall, siège de la vicomté de Roussillon (80), celui-ci fut successivement commandeur de Saint-Hippolyte (1216), de Palau-del-Vidre (1219), de Saint-Hippolyte (1222), de Perpignan (1229-1234), de Saint-Hippolyte (1244-1246), d’Aiguaviva del Gironès (1246) ; de Perpignan (1248-1250), de Palau-del-Vidre (1250), de Perpignan (1251-1252), et à nouveau de Saint-Hippolyte (1253-1257).

La lecture de la liste des responsables ayant occupé la charge de commandeur du Masdéu montre à l’évidence que cette fonction était réservée aux frères chevaliers (81).

Il apparaît par contre que cette ségrégration sociale n’affectait pas les maisons secondaires, puisque leur direction fut majoritairement exercée par des sergents, c’est à dire par des frères recrutés dans des milieux non aristocratique. En dehors de la fonction de commandeur, on trouve au XIIIe siècle des chevaliers exerçant des responsabilités administratives subalternes : sous-commandeur, camérier ou batlle forain.

Le recrutement des effectifs templiers, nous l’avons dit, était essentiellement régional ; et cette tendance s’est maintenue tout au long de la période d’activité de la Milice. Presque tous les chevaliers ayant exercé au sein de la commanderie du Masdéu étaient originaires de Catalogne. C’est le cas de trente et un des trente-sept commandeurs du Masdéu identifiés entre 1160 et 1312, dont un tiers provenait du Roussillon ou de comtés voisins : Empurdà, Gironès et Ripollès. Les six autres étaient originaires du Languedoc ou du royaume d’Aragon (82).

Nous ayons conservé les actes d’affiliation à l’ordre du Temple de deux aristocrates issus d’un même lignage du Fenolhedès : Arnau de Sournia et son fils Hug de Sournia. Arnau de Sournia souscrit en 1141 et 1142 deux donations du vicomte de Fenolhedès en faveur des templiers, dont celle par laquelle ce dernier cède ses droits sur Guillem Ramon de Corbons et sur toute sa postérité, ainsi que sur tout l’honneur que celui-ci avait donné aux templiers (83).

Moins de deux ans plus tard, le 1er mars 1143, il intègre l’ordre au moyen d’une traditio animae et corporis dont le dispositif est réduit à sa plus simple expression. Arnau de Sournia, dont la seule motivation exprimée à cette occasion est le désir d’accéder au paradis, se donne à Dieu, à sainte Marie et aux frères de la milice du Temple de Jérusalem, représentée pour l’occasion par le maître provincial, le catalan Pere de Rovira, et son assistant, le languedocien frère Hugues de Bessan.
En plus de sa personne, Arnau donne la dîme que Guillem Ramon de Corbons tenait pour lui dans le dîmaire de Corbons, ainsi qu’une migère d’huile qu’il prélevait à Pézilla-de-Conflent dans l’honneur des frères du Temple. Comme il avait donné auparavant cette dîme à son fils cadet Arnau, il donne à ce dernier un mas situé dans la villa de Sournia.

L’acte est souscrit par les quatre fils d’Arnau de Sournia : Guillem de Sournia, Berenguer, Arnau et Hug. Le seigneur du Fenolhedès quitte donc la vie séculière à un âge déjà avancé, après avoir partagé son patrimoine en ses quatre fils. Les autres témoins sont le vicomte de Fenolhedès Udalger, et des seigneurs du voisinage : Peire de Rasigueres et Guillem de Paracols (84).

Devenu templier, frère Arnau de Sournia exerça des responsabilités administratives. Il consacra les dernières années de sa vie, de 1147 à 1153, à diriger, de façon plus ou moins collégiale, la commanderie de Douzens, qui était alors le principal siège de l’ordre du Temple en Languedoc (85).

On l’a vu, le plus jeune fils d’Arnau de Sournia, Hug, avait assisté avec ses trois frères à la profession de son père le 1er mars 1143. Nous n’avons guère de précisions sur la vie civile de ce benjamin. Nous savons seulement qu’il demeurait en Fenolhedès, où son père lui avait légué en héritage une portion de ses droits de seigneuries sur les localités de Rabouillet et d’Aichoux ; qu’il s’était marié et qu’il avait une fille nommée Berenguera. On sait également qu’il entretenait des relations étroites avec sa fratrie, puisqu’on le retrouve, au mois de décembre 1179, assistant à l’entrée en religion de son neveu Guillem, donné au monastère de Saint-Martin du Canigou (86).

Neuf ans plus tard, le 24 mai 1188, Hug de Sournia quitte à son tour la vie séculaire en se vouant et en s’offrant à la fraternité de la milice du Temple. Il se donne à frère Pere de Colonge, qualifié à cette occasion de maître du Masdéu en Roussillon - magistro Mansi Dei in finibus Rossilionis-, avec tout ce qu’il possède dans les paroisses de Saint-Estève de Rabouillet et de Sainte-Eugénie d’Aichoux, soit un mas, le sixième des agriers, des quarts et de toutes les tenures de la villa de Rabouillet, et l’ensemble de ses autres droits, revenus et usages sur les hommes et les biens-fonds, et avec tout son droit de seigneurie. Sa fille Berenguera et ses neveux, Berenguer de Sournia, Arnau, archidiacre de Fenolhedès, et Guillem At, approuvent cette donation (87).

L’accord des héritiers et ayant-droits était naturellement destiné à garantir aux templiers la jouissance de cette portion démembrée du patrimoine lignager. Comme son père, Hug de Sournia a donc intégré tardivement les effectifs de l’ordre du Temple, il devait être veuf et avoir au moins 60 ans. Mais, à la différence de son géniteur, il disparaît aussitôt de la documentation. Ceci pourrait signifier que nous ayons là un exemple de professio ad succurendum, l’adhésion au Temple d’un homme arrivé à la fin de ses jours.

Les clercs
Le 29 mars 1139, le pape Innocent II fulminait la bulle Omne datum optimum, par laquelle il accordait entre autres choses aux templiers le droit d’avoir leurs propres prêtres, assurant ainsi à l’ordre son autonomie par rapport aux autorités ecclésiastiques séculières. Au sein de l’ordre du Temple, les frères chapelains et les clercs formaient une catégorie distincte, minoritaire en effectifs, dont la fonction essentielle était d’assurer les différents offices liturgiques dans les maisons pourvues d’une chapelle. Recrutés dans l’ordre après qu’ils aient été ordonnés prêtres, ces clercs entendaient les confessions de leur correligionnaires et dispensaient les sacrements.

La commanderie du Masdéu, on l’a vu, fut très vite dotée d’un lieu de culte et un premier frère chapelain est mentionné en 1146 (88).

À la fin du XIIIe siècle, des chapelles furent également édifiées dans les maisons de Perpignan et du Mas de la Garrigue.
En janvier 1310, l’interrogatoire des vingt-cinq templiers emprisonnés dans l’enceinte du Masdéu nous apprend que quatre d’entre eux étaient prêtres-chapelains : deux officiaient dans la chapelle Sainte-Marie du Masdéu, un dans l’église du Temple de Perpignan et le quatrième dans la chapelle du Mas de la Garrigue.
Il n’existe aucun indice attestant de l’existence de chapelles dans les autres maisons de l’ordre établies en Roussillon et Fenolhedès. On ignore ainsi de quelle manière les templiers chargés d’administrer ces commanderies subalternes remplissaient les devoirs spirituels que leur dictait leur règle. Disposaient-ils d’autels portatifs ? Suivaient-ils les offices dans les églises paroissiales ? La documentation n’apporte aucune réponse à ces questions.

Tout comme les chevaliers et les sergents, les frères chapelains qui officièrent dans les maisons roussillonnaises de la Milice étaient originaires de la province, tous catalans, semblet-il, la plupart roussillonnais. On remarque que deux frères nommés Berenguer de Palau exercèrent à un siècle d’intervalle la fonction de chapelain du Masdéu, le premier en 1180-1203, et le second de 1269 à 1285, avec toutefois une longue interruption entre 1273 et 1280, ce qui suggère qu’il dut, comme la plupart de ses collègues, exercer dans d’autres commanderies de la maîtrise provinciale avant de revenir en Roussillon. Ces deux prêtres homonymes étaient sans aucun doute apparentés et originaires du castrum de Palau [del Vidre], dont la seigneurie avait été léguée à l’ordre du Temple par le comte Girard II en 1172.

Ramon Sapte, le seul chapelain connu du Mas de la Garrigue, fut reçu dans l’ordre en 1297 et exerça jusqu’à l’arrestation des templiers roussillonnais vers la fin du mois de décembre 1307. Son nom suggère qu’il devait être originaire de Malloles, où une famille Sapte, bien attestée par la documentation dès la fin du XIIe siècle, figure parmi les hommes amansats (dépendants exploitant un mas) du Temple (89).

L’identification des autres chapelains ayant officié dans les commanderies roussillonnaises est plus aléatoire. Il convient toutefois d’évoquer le cas de Guillem d’Albesa, dont le surnom évoque une localité catalane, aujourd’hui située dans la comarca de la Noguera. Après avoir occupé le poste de chapelain du Masdéu pendant un courte période, il est attesté de 1202 à 1205, celui-ci fut affecté à la commanderie de Gardeny, plus proche de sa
patrie, où il exerça pendant tout le reste de sa carrière, soit de 1208 à 1237. John Alan Forey a souligné le caractère exceptionnel de la permanence de ce chapelain au sein d’une même commanderie. L’exemple de Bartomeu de la Torre, chapelain de Perpignan de 1281 à 1307 démontre cependant que les cas de longévité à un même poste n’était pas si rares. Ce prêtre était sans doute d’origine roussillonnaise puisque sa réception dans l’ordre eut lieu au Masdéu la veille de Noël de l’an 1280. Peut-être était-il natif de la petite localité de Latour-bas-Elne ?

Du fait de leur formation littéraire, les clercs étaient amenés à exercer des travaux d’écriture pour la communauté, les plus doués pouvant même assumer la fonction de scribe.
Le diacre du Masdéu, Arnau de Nyls, instrumenta ainsi des dizaines d’actes pour le compte des templiers roussillonnais entre 1177 et 1195. Mais comme John Alan Forey a pu l’observer dans les autres commanderies de la province de Catalogne et Aragon, la généralisation du
notariat public au siècle suivant mit un terme à cette pratique (90).

Les frères sergents
Les frères sergents constituaient le gros du contingent du Masdéu. En janvier 1310, parmi les vingt-cinq frères emprisonnés dans cette commanderie, on dénombrait pas moins de dix-huit sergents. Les archives du Masdéu n’ont pas conservé d’actes rapportant la réception d’un sergent dans l’ordre du Temple. Ceci est sans doute imputable au fait que la majorité d’entre eux étaient issus d’un milieu social modeste et que, par conséquent, leur profession n’était pas assortie d’une donation de biens fonciers. En admettant que l’affiliation d’un sergent ait donné lieu à la rédaction d’un acte, n’ayant pas valeur de titres de propriété, celui-ci avait bien peu de chances d’etre conservé. On en est réduit à supposer que la profession des frères
sergents devait s’accompagner de la remise d’une petite somme d’argent ou de quelques biens meubles.

Recrutés localement, les frères sergents étaient surtout issus de la paysannerie. Nombre d’entre eux étaient recrutés dans les familles de dépendants du Temple. Leurs noms évoquent souvent des localités où l’ordre était solidement implanté. Il n’est pas rare de retrouver des membres d’une même famille. C’est le cas par exemple de la famille Boer dont on trouve des représentants à Bages et à Villemolaque. Frère Guillem Boer est l’un des dix-sept templiers du Masdéu souscrivant la vente faite par le chevalier Pere de Castell à frère Pere de Malon, commandeur du Masdéu, de tout son castrum de Saint-Hippolyte le 31 mai 1236 (91).

Huit ans plus tard, au mois d’avril 1244, trois actes évoquent frère Pere Boer, commandeur du Mas de la Garrigue (92).
Quelques sergents, les plus instruits, étaient vraisemblablement issus de familles aisées de la paysannerie, voire de la bourgeoise. Mais la documentation n’éclaire malheureusement pas suffisamment ces questions importantes touchant à l’origine sociale et à la formation du personnel templier.

Nous l’avons dit, les frères sergents exerçaient des fonctions subalternes au sein de la commanderie du Masdéu. Les plus doués se voyait confier la direction des commanderies secondaires ou des postes administratifs importants, tel que celui de batlle forain. Chargé de suppléer les commandeurs du Masdéu et de ses maisons subalternes en leur absence, le batlle forain exerçait une fonction itinérante. Il disposait d’un pouvoir décisionnel qui lui permettait d’intervenir dans la gestion des biens de l’ordre dans l’ensemble de la batllie du Masdéu, c’est àdire dans la totalité des territoires soumis à juridiction de cet établissement : soit le diocèsed’Elne et la vicomté de Fenolhedès.

Les associés du Temple
À la périphérie des frères ayant prononcé leurs voeux, gravitait tout un univers composite de laïcs unis à l’ordre du Temple par des liens plus ou moins formels, le plus souvent pour des motifs spirituels, mais aussi, parfois, pour des raisons plus prosaïques. Il est de ce fait malaisé de distinguer de façon précise les différents statuts de ces associés (93).

Les spécialistes qui se sont penchés sur la question ont tenté d’en établir une classification, que le chartrier du Masdéu documente de façon très inégale (94).

Les fratres ad terminum
Les fratres ad terminum sont des chevaliers qui s’engagent à combattre pour le Temple pendant une durée déterminée. Il s’agit d’une catégorie que les sources de la commanderie roussillonnaises n’informent pas. On en trouve par contre de nombreux témoignages dans les archives d’autres maisons templières de Catalogne. Il subsiste ainsi un magnifique inventaire de fratres ad terminum, rédigé vers 1134, dressant la liste de vingt-sept magnats qui, à la suite du comte de Barcelone et du sénéchal Guillem Ramon de Montcada, ont promis de servir sous les ordres du maître du Temple pendant une année (95).

Les confrères
Les confrères ou fratres ad succurrendum sont des laïcs qui se donnent à l’ordre militaire par un acte écrit, dont une clause leur réserve la faculté d’en devenir profès s’ils expriment la volonté de renoncer à la vie séculière. En Roussillon, comme ailleurs, le statut de confrère du Temple apparaît comme une prérogative réservée aux membres de l’aristocratie (96).

Les contrats d’affiliation revêtent la forme d’une traditio animae et corporis assortie d’une élection de sépulture dans le cimetière du Masdéu, ou, si le décès survenait outre-mer, dans le cimetière d’une maison templière de Terre sainte. Les archives du Masdéu conservent plusieurs actes de ce type, dont la préservation est certainement imputable à leur fonction juridique de titres de propriété. Les entrées en confraternité étaient en effet généralement assorties d’une donation de biens patrimoniaux à l’établissement religieux.

Au mois d’avril 1143, Pere Bernat donne son corps, dans la vie et dans la mort, à la chevalerie de Jérusalem, ainsi que trois bordes et un jardin qu’il possède à Saint-Féliu d’Amont (97).

En contrepartie, les templiers du Masdéu s’engagent à transporter sa dépouille dans leur cimetière et lui garantissent une sépulture identique à celle de l’un de leurs frères (98).

Toutefois, si Pere Bernat manifeste un jour le désir de se donner personnellement, les templiers devront le reçevoir sans délai et lui donner la nourriture et l’habit comme à l’un des leurs ; ils prendront alors possession des deux bordes et du jardin dont il s’est réservé
l’usufruit. De même, les templiers auront l’alleu qu’il laisse en héritage à son fils Pere, si ce dernier décède sans postérité légitime (99).

En 1182, c’est le seigneur Berenguer de Bages qui demande à être reçu dans l’Ordre avec
son cheval, ses armes et les autres aumônes qu’il voudra leur faire (100).

Un an plus tard, c’est au tour du puissant aristocrate Ermengau du Vernet de s’affilier à la milice du Temple (101).
Pere Ramon de Buada fait de même en 1194 (102), imité par Guillem Jordà de Canet en 1202 ou 1203, ce dernier prévoyant de prendre l’habit dans le courant de l’année suivant sa donation (103).

On observe que les scribes du milieu du XIIe siècle emploient indifféremment les mots frater et confrater pour désigner les templiers (104). Par contre, à partir de la fin du siècle, les rédacteurs d’actes frottés de droit romain opèrent une distinction sémantique entre les deux vocables (105).

Il convient d’évoquer ici le cas particulier du vicomte de Fenolhedès, Peire, dont l’acte d’affiliation semble perdu, mais à propos duquel des détails particulièrement intéressants nous sont connus grâce aux pièces réunies dans le volumineux procès-verbal du recours en

cassation entamé en 1300 devant la cour pontificale par son petit-fils, le chevalier Peire de Fenouillet (106).

On y découvre tout d’abord une copie de la sentence de condamnation pour crime d’hérésie prononcée le 5 septembre 1262 par l’inquisiteur dans les provinces de Narbonne et d’Arles, frère Pons du Pouget, à l’encontre du vicomte de Fenolhedès, qui, précisons-le, était mort vingt ans auparavant, entre le 18 juillet et le 30 décembre 1243 (107).

Considérant qu’il a été prouvé que de son vivant celui-ci avait fréquenté et visité les hérétiques, qu’il les avait adoré selon leurs rites et avait écouté leurs sermons, et que, au cours de son agonie au sein de la commanderie du Masdéu, quatre d’entre eux étaient venus, deux par deux, l’hérétiquer, l’inquisiteur dominicain y prononce une sentence définitive contre le vicomte, reconnu, à titre posthume, croyant des hérétiques. Il ordonne par conséquent que les ossements du coupable, s’ils peuvent être identifiés, soient exhumés du cimetière des fidèles afin d’être brûlés (108).

Cette condamnation infamante devait s’avérer particulièrement lourde de conséquences pour les héritiers du vicomte, puisqu’elle avait pour principale conséquence d’entraîner la confiscation immédiate des biens du condamné au profit du roi de France (109).

Elle dut en tout cas peser bien lourd sur les épaules du petit-fils homonyme du condamné, qui n’eut de cesse au cours de sa longue existence de récupérer l’héritage et le titre vicomtal dont il avait été dépouillé dans sa prime jeunesse du fait de cette sentence inquisitoriale (110).

Les informations les plus détaillées concernant l’affiliation du vicomte Peire à la commanderie templière du Masdéu nous sont révélées par les positions présentées au Vatican en février et mars 1302 par Guillem Daví, procureur du chevalier Peire de Fenouillet, devant Jean, cardinal du titre de saint Marcelin et saint Pierre, commissaire député par le pape Boniface VIII (111).

Le juriste roussillonnais y expose notamment comment, à la fin de sa vie, le vicomte de Fenolhedès avait quitté son épouse Gueraua de Caudiès, avec le consentement de celle-ci, afin d’intégrer l’ordre de la milice du Temple. Il aurait ensuite reçu l’habit des mains des frères du Masdéu avant de finir ses jours en templier dans l’enceinte de cette commanderie. Il y aurait enfin reçu les sacrements, confessé ses péchés, communié et reçu l’extrême onction avant de mourir. Si l’on en croît Guillem Daví, dans son dernier testament, le vicomte Peire aurait élu sépulture dans le cimetière de Sainte-Marie de la maison du Temple et aurait fait plusieurs legs pieux aux frères Prêcheurs et à d’autres établissements religieux. Dans son argumentation, le clerc affirme que les privilèges, statuts, coutumes et la règle du Temple stipulent que celui qui entre dans l’Ordre et en revêt l’habit est aussitôt considéré comme profès et soumis à cette religion comme s’il y avait séjourné un an ou plus (112).

Il est particulièrement intriguant de constater que les archives du Masdéu n’ont conservé aucun document se rapportant au vicomte Peire, ni donation effectuée de son vivant, ni son acte d’entrée en confraternité non plus que son testament. La tentation est grande d’attribuer cette bien étrange lacune à la volonté des templiers d’effacer de leurs archives toutes traces compromettantes de leurs relations avec l’hérétique. Mais aussi séduisante que soit cette interprétation, rien ne permet d’affirmer que cette mémoire fut oblitérée délibérément consécutivement à la sentence d’exhumation, dont on ignore d’ailleurs si elle fut effectivement appliquée (113).

Mais on imagine volontiers dans ce cas le scandale provoqué par la profanation du cimetière de Sainte Marie du Masdéu et l’embarras des templiers du Masdéu ainsi convaincus de recèle d’hérétique !

Les sources judiciaires nous révèlent donc un peu de ce que taisent les sources diplomatiques. Les procès de la famille de Fenouillet sont particulièrement dignes d’intérêts car ils ont le mérite rare de mettre en évidence la complexité et l’ambiguïté des motivations qui dictaient les choix spirituels d’un aristocrate de haut rang, qui fut l’un des principaux protagonistes de la grave crise politico-religieuse ayant affecté le Midi languedocien dans la première moitié du XIIIe siècle (114).

Seigneur d’une contrée devenue le dernier camp retranché des ultimes défenseurs de la cause hérétique et le cadre d’une partie d’échec politique dont les enjeux le dépassaient certainement, le vicomte Peire n’a pas trouvé de meilleure solution pour sauver son âme que de confesser sa foi cathare en habit de templier. Malheureusement pour ses héritiers, l’institutionnalisation de l’Inquisition devait bientôt mettre un terme à cette forme de compromis.

La véracité des accusations affirmant que, vers la fin de l’année 1243, des parfaits cathares, qui allaient toujours par deux, se sont rendus à deux reprises au Masdéu afin d’y administrer le consolamentum au vicomte de Fenolhedès, ne semble pas devoir être remise en cause. On imagine mal, en effet, comment les templiers, qui avaient largement bénéficié des libéralités de son lignage depuis quatre générations, auraient pu interdire la pratique du rite cathare à leur puissant bienfaiteur. Relevant directement de l’autorité du pape, les religieux n’avaient pas à craindre les sanctions prescrites par les autorités temporelles à l’encontre des fauteurs d’hérésie (115).

D’autant qu’en 1199 le pape Innocent III, afin de favoriser le recrutement de nouveaux chevaliers au sein de la milice du Temple, avait garanti l’immunité aux chevaliers excommuniés qui s’engageraient dans l’ordre. Cette mesure suscita sans nul doute l’affiliation au Temple de bon nombre de seigneurs dont le patrimoine était menacéd’exposition en proie du fait de leur compromission avec la religion cathare (116).

De fait, le vicomte de Fenolhedès ne fut pas le seul magnat mort en habit de templier dans la commanderie du Masdéu à subir les foudres de l’Inquisition. Ce fut également le cas de Ponç III du Vernet, condamné à titre posthume en 1260 (117).

Dans son testament, dicté le 25 avril 1211 alors qu’il s’apprêtait à partir en pèlerinage au Saint-Sépulcre de Jérusalem, ce protecteur des faidits occitans réfugiés en Roussillon remet son corps et son âme à la milice du Temple, léguant à celle-ci l’intégralité de ses droits sur le castrum et le territoire de Saint-Hippolyte, ainsi que son équipement de chevalier : cheval, armes et haubert (118).

Un autre bienfaiteur de l’ordre du Temple, Arnau de Mudagons, vassal de Ponç du Vernet, fut également convaincu d’hérésie (119).

Attitude pragmatique davantage attribuable à une prise en compte des réalités socioéconomiques locales qu’à un esprit de tolérance spirituelle, la neutralité bienveillante dont les templiers firent preuve à l’égard des hérétiques a également été constatée dans le contexte de la croisade contre les Albigeois. En dépit des directives du Saint-Siège, la plupart des maisons méridionales des ordres militaires ont refusé de se compromettre dans cette guerre sainte engagée à l’intérieur même de la chrétienté (120).

Pour ces religieux, s’opposer catégoriquement aux zélateurs de la théorie des deux principes aurait signifié s’aliéner une proportion considérable de leur clientèle, et par voie de conséquent à se compromettre dans une opération particulièrement préjudiciable pour eux en terme d’image et de ressources financières.

Les donnés
La forme d’affiliation au Temple la plus largement documentée par les archives du Masdéu concerne la catégorie des donnés. Déjà attestée dans le cadre des monastères bénédictins dès l’époque carolingienne, la donation de soi apparaît comme une pratique sociale et spirituelle protéiforme. Les études consacrées à cet usage répandu dans la société chrétienne soulignent en effet la grande variabilité du statut de donné, ses contours imprécis et son caractère polyvalent, toujours singulier et équivoque (121).

Le donné -donatus- est une personne laïque qui, sans prononcer les voeux, se donne à un établissement religieux pour jouir, dans la vie comme dans la mort, des bénéfices spirituels de l’ordre auquel il se lie. La finalité déclarée de cette pratique étant l’obtention du privilège d’être enterré dans le cimetière de la communauté à laquelle le donné désire être associé. Tout comme pour l’entrée en confrérie, l’acte d’oblature adopte la forme d’une traditio animae et corporis ou d’un testament assorti de la transmission de biens patrimoniaux à la commanderie d’accueil.

Le plus ancien exemple d’auto-dédition au Masdéu concerne Ramon de Montesquieu. Il était le troisième fils de Guillem Bernat de Sant Cristau, chef d’un influent lignage aristocratique roussillonnais ayant adopté vers 1120 le nom du château de Montesquieu nouvellement édifié sur le piémont septentrional du massif de l’Albera (122).

Malade, Ramon de Montesquieu fait rédiger son testament le 4 septembre 1144. Il remet son corps et son âme à Sainte-Marie du Masdéu, entre les mains du maître provincial, Pere de Rovira, et de frère Bernat de Peralada. Il lègue au Temple divers biens immobiliers ainsi que son meilleur cheval, ses vêtements, 80 morabatins et besants et une étoffe de soie. Il lègue un cheval au Sépulcre du Seigneur, ordre de chanoines établis à Jérusalem, et un mulet et son harnachement à l’Hôpital de Jérusalem (123).

Ces dispositions expriment clairement l’engouement de ce cadet de l’aristocratie roussillonnaise, seigneur de Nyls, pour les ordres établis pour la défense de la Terre sainte et, par conséquent, son adhésion personnelle à l’esprit de croisade.

L’acte de donation de soi concernait aussi bien les hommes que les femmes. Il intervenait bien souvent au crépuscule de la vie, et sa formalisation juridique prenait alors place en tête du testament, dans la clause stipulant l’élection de sépulture. C’est le cas d’Ermessen Raffarda, épouse et mère de chevaliers établis dans le village de Théza, qui rédige son testament le 24 novembre 1215. Il apparaît que cette dame avait alors atteint un âge avancé, puisque qu’elle évoque son petit-fils Pere comme l’un de ses héritiers. Elle remet son âme et son corps pour être ensevelie dans le cimetière de Sainte-Marie du Masdéu, avec son lit garni de draps. Ermessen lègue aux frères de cette commanderie son honneur de Nyls, à charge pour ces derniers de le délivrer en remboursant la somme de 65 sous de monnaie barcelonaise pour laquelle celui-ci est engagé. Elle donne également aux templiers le droit etle dominium qu’elle a sur un champ que Guillem Bonet de Mosselons et son frère Ramon tiennent pour elle dans le territoire de Saint-Esteve de Vilarasa (124).

Pour un motif qui n’a pu être élucidé, le cartulaire du Masdéu contient également la copie de l’acte de donation de soi d’un seigneur occitan, Peire de Graulhet, à la maison du Temple de Vaour, en Albigeois. Daté de 1211, ce document présente la particularité d’être rédigé en langue romane (125).
Nous reviendrons ultérieurement sur la question de la présence de ce document forain dans les archives de la commanderie roussillonnaise.

La similitude des statuts de donné et de confrère apparaît clairement dans le testament de Pere de Llupia en date du 31 août 1214. Malade, ce seigneur remet son âme et son corps à Dieu et à Sainte-Marie du Masdéu. Il lègue aux templiers tous les droits qu’il tient pour eux et pour Bremon de Vilallonga sur un champ et une vigne situés dans le territoire de Malloles. Il demande à ce que les frères du Masdéu les reçoivent, lui et son fils Ramon, pour donnés, quand ils voudront prendre l’habit de cette maison (126).

Il institue ensuite son fils son héritier et le confie, ainsi que sa mère Maria Gautera, à la protection et tutelle des frères de la milice du
Temple, à condition que Maria leur fasse une oie de cens annuel sa vie durant (127).
Cet exemple montre qu’au début du XIIIe siècle certains scribes roussillonnais n’effectuaient aucune distinction sémantique entre les termes donatus et confrater, puisque dans les deux cas l’auteur de l’acte pouvait envisager de faire profession et de devenir un membre à part entière de l’ordre du Temple.

Son héritier étant trop jeune pour s’assumer et se défendre par ses propres moyens, Pere de Llupia avait donc jugé prudent de mettre sa famille à l’abris en confiant sa protection à l’ordre militaire, dont la mission d’assistance et de protection est ici clairement exprimée. Il faut dire que ce testament intervient dans un contexte politique particulièrement perturbé, notamment depuis la mort de Pere II à la bataille de Muret en 1213. Aux frontières du Roussillon, l’armée croisée dirigée par Simon de Montfort poursuivait alors sa guerre contre les seigneurs faidits, cette fraction insoumise de l’aristocratie languedocienne ouvertement soutenue par les magnats nord-catalans ; ceux-ci était en effet étroitement unis depuis longtemps par d’étroits liens de parenté et un inextricable réseau de fidélités.

Le climat d’incertitude qui régnait alors dans les comtés catalans explique sans doute les préoccupations exprimées le 29 mars 1214 dans le testament de Guillem de Montesquieu et leur similitude avec celles formulées quelques mois plus tard par Pere de Llupia. Guillem de Montesquieu remet son corps à la milice du Temple pour être enseveli dans le cimetière Sainte-Marie de la commanderie du Masdéu. Pour le salut de son âme, il lègue son cheval et ses armes au Masdéu, ainsi que tout ce qu’il possède dans le territoire de Sainte-Marie de Nyls. Il charge le commandeur et les frères du Masdéu de veiller à l’exécution de ses différents legs et dispositions et, surtout, d’assurer la protection de ses enfants, que les religieux entretiendront avec ses revenus patrimoniaux jusqu’à ce que son fils aîné, Bernat, atteigne l’âge de 25 ans et entre en possession de son héritage. Pour plus de sûreté, il nomme sept coadjuteurs qu’il charge d’assister les templiers, lesquels auront pouvoir de les révoquer.

Il enjoint enfin son seigneur Hug, comte d’Empúries, Nunó Sanç, seigneur de Roussillon et de Cerdagne, et Ponç de Vernet de protéger les templiers et leurs coadjuteurs. (128).

Le luxe de précautions déployé afin de garantir les chances de survie de sa postérité révèle la prégnance des préoccupations patrimoniales et lignagères qui s’emparent de l’esprit de l’aristocrate au moment ou celui-ci envisage l’éventualité de sa propre mort (129).

Guillem de Montesquieu n’a manifestement pas rédigé son testament sous la menace létale d’une maladie. Il n’est pas fait état d’une telle situation dans le préambule de l’acte, alors que les scribes n’omettaient alors jamais de le préciser au moyen de la formule detentus in egretitudine, comme dans le cas du testament de Pere de Llupia. On sait par ailleurs que Guillem de Montesquieu vécut au moins jusqu’en 1221 (130).

Ce sont donc d’autres motifs que la maladie qui le poussèrent à mettre par écrit ses dernières volontés. Compte-tenu des circonstances, on peut supposer que ce seigneur roussillonnais s’apprêtait à prendre part à une action militaire à l’issue incertaine.

En effet, les chevaliers n’attendaient pas toujours d’être malades ou agonisants pour dicter leurs dernières volontés et gratifier les templiers de leurs libéralités. D’autres circonstances, tels que le départ pour une expédition militaire ou pour un long pélerinage, pouvaient les amener à envisager la perspective d’un devenir aléatoire. Ce cas est parfaitement illustré par le testament de Bernat de Latour rédigé le 11 août 1229, alors que ce seigneur du Fenolhedès s’apprêtait à rejoindre l’armada réunie au port de Salou par Jaume Ier afin de conquérir le royaume musulman de Majorque (131).

Après avoir désigné le commandeur du Masdéu et Guillem de Niort ses exécuteurs testamentaires, Bernat de Latour lègue son corps au Masdéu, avec son cheval et ses armes de fer et de bois, ou la somme de 1000 sous de monnaie melgorienne, si cela convient davantage aux frères de cette maison. Cette alternative mérite d’être soulignée, outre qu’elle témoigne de la monétarisation de la société, elle met aussi en évidence la conscience de la part du testateur du fait que pour des convenances pratiques et gestionnaires les templiers du Masdéu pouvaient préférer recevoir un somme en numéraire plutôt qu’un équipement de chevalier plus ou moins usagé, qui pouvait s’avérer plus embarassant qu’autre chose dans une commanderie rurale éloignée du front. Il est ensuite précisé que ces dispositions avaient déjà fait l’objet de transactions antérieures, mais ces documents sont aujourd’hui perdus (132).

Ce testament a été rédigé à Perpignan, comme l’indiquent le nom du premier témoin, frère Pere, procureur de la milice du Temple de Perpignan, et le fait que l’acte a été instrumenté par le scribe Bernat Sapte, substitut du notaire perpignanais Pere de Riu.

Dans les chartes roussillonnaises de la première décennie du XIIIe siècle, le statut des individus qui entrent dans la familia de l’ordre militaire est définie par les substantifs donatus et conservus. Par commodité, nous avons traduit conservus par le terme englobant de serviteur, qui exprime ici l’exclusivité du lien personnel unissant le donné à la maison religieuse qui le reçoit dans sa confraternité spirituelle (133).

Le chartrier du Masdéu conserve dix actes de cette nature qui permettent de situer ce phénomène social dans une fourchette chronologique comprise entre 1200 et 1235 (134).

On peut donc supposer que la généralisation de cette pratique a quelque chose à voir avec le contexte politique et social difficile qui caractérise cette période troublée de l’histoire des comtés nord-catalans. Passé 1233, les donnés du Temple ne sont évoqués qu’une seule fois, et encore de façon très évasive (135).

Les quelques exemples suivants illustrent la souplesse de cet engagement spirituel contracté par des personnes laïques, susceptible de s’adapter aux attentes individuelles des donnés en fonction de leur situation socio-économique et familiale.

Le 14 mai 1202, Bernat Armiger se donne à la milice du Temple et à Pere Raül, commandeur du Masdéu, pour donné et serviteur dévoué. Il donne tout ce qu’il a sur le droit de mesurage du blé de toute la ville de Perpignan, ainsi que le quartum (redevance foncière proportionnelle en nature correspondant au quart de la récolte) qu’il perçoit sur une vigne tenue pour le Temple dans la paroisse de Sainte-Marie de Malloles. Par une clause
d’exclusivité, il s’engage à ne pas revenir sur son engagement en se mariant ou en ralliant un autre ordre ou établissement religieux. Bernat Armiger continuera à jouir de ces droits sa vie durant, tant qu’il restera dans le siècle. Et s’il désire entrer dans l’Ordre de son vivant, les templiers devront le reçevoir comme un de leurs frères, selon leur coutume et suivant les prescriptions du maître ; et si la mort le surprend dans le siècle, ils s’engagent à ensevelir son corps dans le cimetière Sainte-Marie du Masdéu, de sorte qu’il ait perpétuellement part à tous les biens spirituels de l’Ordre. À sa mort, les templiers posséderont tout ce qu’il leur donne, ainsi que tout ce qu’il leur léguera d’ici là (136).

Cet acte a été rédigé par le diacre Berenguer, qui a instrumenté 17 actes pour les templiers entre 1194 et 1213. Ce praticien expérimenté était
sans doute en poste dans une localité proche du Masdéu, puisqu’il instrumente également pour le prieuré voisin de Sant Salvador de Cirà en 1205 (137).

Le 26 mai 1204, le diacre Berenguer adapte et enrichit son formulaire afin de rédiger l’acte d’oblature de Palaçol Menestral de Palol, petite localité qui se situait à proximité de la cité d’Elne. Ce dernier se donne à frère Bernat de Gunyoles, commandeur du Masdéu, et à frère Pere Porcell, commandeur du Mas de la Garrigue, pour donné, dévoué et fidèle serviteur de la milice du Temple, et également pour homme propre et soliu (exclusif), avec toute sa progéniture et tous ses biens meubles et immeubles (138).

À titre récognitif de cette entrée en hommage, il remet aux templiers 50 sous de monnaie barcelonaise et un mas situé dans la villa de Palol. Il se réserve toutefois l’usufruit de ce mas, pour lequel il acquittera 12 deniers de cens à Noël. Si, au moment de sa mort, il a un ou plusieurs enfants naturels, il pourra en désigner un pour lui succéder dans ce mas ; par contre, s’il n’a aucun successeur vivant, le tout reviendra à la milice du Temple. De plus, s’il souhaite entrer dans l’Ordre, les templiers devront le recevoir comme l’un des leurs avec tous ses biens, et, s’il meurt dans le siècle, il recevra la sépulture d’un donné dans le cimetière de Sainte-Marie du Masdéu, avec 100 sous et son lit garni de draps ; et il aura part à tous les biens spirituels de l’Ordre. Il demande en outre que, de son vivant, les moines le protègent selon les bonnes coutumes du Temple.

Palaçol Menestral se fait à la fois donné et homme de corps. Il est particulièrement intéressant de constater ici la fusion en un même acte des deux procédures d’entrée en dépendance, l’une à caractère spirituel et l’autre d’ordre matériel (139).

Le statut social de Palaçol Menestral, homme soliu et tenancier de mas, était bien éloigné de celui du chevalier Berenguer de Céret et de son épouse Saurina qui s’offrent corps et âmes au Masdéu en 1233 (140).

Nous pouvons donc faire nôtre le constat suivant formulé par Elisabeth Magnou : « à chaque classe sociale correspond une manière de se donner, et la familia monastique offre les mêmes clivages que la société laïque. »

On rejoint donc les constatations déjà formulées à propos de la fonction sociale de l’oblature, pratique qui apparaît comme une sorte de contrat d’assistance garantissant la prise en charge de personnes qui, pour des raisons diverses : guerre, vieillesse, endettement, insécurité ou autre, ressentent la necessité de parer à une éventuelle précarisation de leur situation sociale. De fait, devenir donné du Temple conférait au laïc un statut juridique particulier et certains avantages spirituels et matériels. L’obtention de ces avantages était rémunéré soit par le versement immédiat d’une somme d’argent, soit par une promesse de don en nature, le paiement d’un cens récognitif garantissant la commémoration annuelle de l’engagement pris. Afin de s’assurer la mainmise définitive sur le patrimoine et les biens meubles promis par leurs familiers, les templiers exigeaient d’eux l’exclusivité du lien de dépendance, condition que l’on trouve clairement stipulée dans le dispositif juridique des actes d’oblature et d’entrée en hommage (141).

Les donnés étaient des bienfaiteurs de la milice du Temple. À ce titre, ils pouvaient être amenés à débourser des sommes importantes pour contribuer à l’accroissement de son patrimoine.
En 1218, les 250 sous dus pour un champ acquis par la commanderie du Masdéu à Villemolaque sont payés avec les deniers de Joan de Perpignan, donné de la milice du Temple (142).
Ce personnage nous est inconnu par ailleurs. Le document ne dit pas si l’intervention de ce mystérieux donat était motivée par la seule charité et la volonté d’apporter de cette manière son obole à l’ordre religieux. En fait, son geste pourrait tout aussi bien correspondre au remboursement d’une dette qu’il aurait contractée auprès des templiers, ou, au contraire, les templiers momentanément à cour de trésorerie auraient pu demander à ce fidèle
de leur avancer cette somme contre promesse de remboursement. Quoi qu’il en soit, cet acte montre que les aspects financiers constituaient l’un des facettes des activités déployées au sein du réseau de fidélité mis en place par les templiers.

À l’image du vassal vis à vis de son seigneur, certains donats s’engageaient sur le modeféodal à protéger et à défendre de tout leur pouvoir les templiers et leurs possessions (143).

Il apparaît que certains donnés résidaient dans les maisons de l’ordre, où ils mettaient leurs compétences au service de la communauté religieuse. La lecture de la liste des témoins d’un contrat rédigé en 1229 nous apprend ainsi l’existence d’un nommé Arnau, sous-diacre du Masdéu et donné. Son statut clérical laisse supposer que celui-ci exerçait des fonctions liturgiques dans la chapelle Sainte-Marie. On peut également envisager qu’il remplissait des tâches administratives, peut-être des travaux d’écriture et de comptabilité, entre les offices (144).

Un document montre que, dans certains cas particuliers, les donnés du Temple pouvaient même exercer un rôle actif et recevoir des donations au même titre que les responsables de l’ordre. Ainsi, le 17 janvier 1209, Guillem Jotbert de Bajoles et ses frères Pere, Joan et Ponç, du consentement de leur mère Germana, vendent au Masdéu et à Bernat Alacri, donné de la milice du Temple, une migère de bonne huile, mesure de Perpignan, que Guillem Bernat de Saint-Féliu d’Avall leur fait de cens annuel pour une vigne qu’il tient pour eux, plus cinq quartons et demi d’huile, mesure de Saint-Féliu, de cens annuel, que leur font plusieurs tenanciers le jour de Noël. Ils cèdent en outre tous les droits et dominia qu’ils ont sur cet honneur et tout ce qu’ils possèdent dans la villa de Saint-Féliu d’Avall et dans son territoire. Pour prix de cette vente, ils ont reçu 115 sous de monnaie barcelonaise (145).

Le nom de Bernat Alacri n’apparaît dans aucun autre document. Ce simple fait démontre à quel point notre connaissance du réseau de fidélité spirituelle tissé par les templiers reste tributaire des aléas ayant présidé à la conservation des archives. Il est bien évident que le nombre des donnés devait largement dépasser la dizaine d’individus dont les noms nous ont été conservés pour des raisons essentiellement patrimoniales.

On rappellera enfin que cette pratique était générale et concernait l’ensemble des établissements religieux. C’est le cas du prieuré bénédictin de Sant Salvador de Cirà, communauté établie dans le voisinage de la commanderie du Masdéu.

En 1199, dame Stella, mère de Ramon de Maureillas, se donne à l’église de Sant Salvador de Cirà, et aux frères et soeurs de cette communauté mixte, en main de son administrateur, le moine Ramon de Toulouges, afin de devenir soeur et donnée de cet établissement, selon la règle bénédictine, avec tous les biens qu’elle avait confiés à cette église. Elle donne également son mas et sa borde de Céret, avec leurs habitants, que tiennent pour elle Pere Porcell, de Céret, et son fils Bernat. Elle se réserve l’usufruit de la moitié de ce patrimoine (146).

On relève également la présence de donnés dans le prieuré de chanoines augustiniens de Sainte-Marie del Camp, fondé vers le milieu du XIe siècle dans la paroisse de Saint-Pierre de Passa (147).

Les dépendants

Les hommes propres et solius

C’est un fait connu, le nord-est de la Catalogne figure parmi les régions d’Occident où la servitude rurale, loin de décliner aux XIIe-XIIIe siècles, s’est renforcée et a duré jusqu’à la fin du Moyen Âge. Dans le cadre de leurs seigneuries, les templiers du Masdéu ont par conséquent été amené à recourir à ce système reposant sur les liens personnels.
La mise en valeur des principales exploitations rurales, mas et bordes en Roussillon, casals en Fenolhedès, était confiée à des paysans unis à leur seigneur par des liens de dépendance personnelle. La condition juridique de ces remençes variait selon les seigneuries. Leur liberté d’agir était soumise à des restrictions plus ou moins sèvères. Les hommes propres et solius étaient soumis à la juridiction exclusive de leurs seigneurs, sans aucune possibilité d’appel.
La condition de ces paysans dépendants était étroitement liée à celle de leurs exploitations, d’où l’usage adopté par les notaires de la seconde moitié du XIIIe siècle d’appliquer à ces hommes les épithètes amansatus, abordatus ou la locution homo de casalatico. Ces serfs chasés ne pouvaient abandonner leur exploitation qu’avec l’autorisation de leur seigneur.
En règle générale, ils obtenaient leur charte d’affranchissement moyennant le paiement d’une somme d’argent plus ou moins élevée (148).

L’acte suivant nous montre un couple de paysan entrant dans la dépendance de l’ordre du Temple après avoir s’être libéré de ses anciens seigneurs.
Le 13 octobre 1195, Pere Mascharó de Nyls et son épouse Alisen se donnent avec tous leurs enfants pour hommes propres et solius à la milice du Temple, à Jausbert de Serra, commandeur, et aux autres frères du Masdéu. Ils remettent aux templiers la charte d’affranchissement que leurs anciens seigneurs, Berenguer d’Orle et son épouse Garsen, leur ont octroyée. Ils versent aux templiers un droit d’entrée de 15 sous de monnaie barcelonaise et s’engagent à payer à la maison du Masdéu un cens annuel de 2 sous le jour de la Toussaint. L’acte revêt ensuite la forme d’une oblature puisque les deux époux élisent sépulture dans le cimetière de Sainte Marie du Masdéu. Pere Mascharó promet de léguer 100 sous de monnaie courante s’il a des enfant ; dans le cas contraire, il s’engage à laisser au Masdéu la moitié de tous ses biens. Son épouse promet pareillement de léguer toutes ses possessions si elle décède sans postérité après son mari.

Frère Jausbert de Serra reçoit le couple, avec toute sa postérité, pour hommes propres du Temple. Il promet de les aider, de les protéger et de les recevoir le jour de leur mort (149).

On constate à nouveau les difficultés éprouvées par les scribes issus du clergé roussillonnais qui s’efforçent d’adapter les premiers formulaires importés d’Italie aux pratiques coutumières. Dans sa recherche d’un vocabulaire exprimant la personnalité et l’exclusivité du lien contracté, le prêtre rédacteur a adopté la locution homo proprius et solidus, dont c’est d’ailleurs à ma connaissance la plus ancienne mention répertoriée dans les fonds roussillonnais. L’entrée en dépendance servile est manifeste, puisqu’elle donne lieu au paiement immédiat d’un droit d’entrée ou d’investiture, et d’un cens récognitif, mais elle est ensuite assortie d’une élection de sépulture dans le cimetière de la commanderie, ce qui l’apparente aux actes d’oblation évoqués auparavant. Il n’est pas indifférent de remarquer que ce couple habitait le village de Nyls, petite localité rurale proche de Masdéu dont les templiers s’efforçaient depuis une dizaine d’année de prendre le contrôle. Il est donc tout à fait envisageable que les templiers, lorgnant sur leurs possessions, aient incité Pere Mascharó et son épouse à entrer dans leur réseau de fidélité, en leur promettant en contrepartie leur service d’aide et d’assistance et, surtout, une place enviée dans leur cimetière, autrement dit la promesse d’une rédemption pour leurs âmes et un moyen d’accéder plus sûrement aux portes du Paradis grâce à leur association aux bénéfices spirituels de la communauté religieuse.

Voyons maintenant un autre acte particulièrement intéressant, qui a le grand mérite d’éclairer le fonctionnement de ces structures d’encadrement de la paysannerie. Son intérêt est d’autant plus grand qu’il est l’un des rares documents conservés éclairant le fonctionnement du système du casalage, l’équivalant languedocien de la masade, dans le Fenolhedès de la fin du XIIIe siècle.

Vers 1290, Bernarda, épouse de Joan Bernat de Centernac, vendit à Peire Consill, habitant du castrum de Lansac, le casalage d’en Eulayrer. Comme les terres et autres possessions relevant de ce casalage, réparties dans les territoires de Centernac et de Lesquerde, relevaient de la juridiction du Masdéu, Peire Consill en fit hommage au commandeur du Masdéu, frère Ramon de Saguàrdia.
Par la suite, Peire Consill maria sa fille Cecilia à un habitant de Centernac nommé Ponç Malras. Dans le contrat nupcial rédigé par Peire de Vilarasa, notaire public du Fenolhedès, Peire Consill constitue en dot à sa fille le casalage d’en Eulayrer, qu’il avait probablement acheté à cette fin.
Puis, le 12 novembre 1292, profitant du passage au castrum de Centernac de frère Ramon de Saguàrdia, les jeunes époux viennent trouver celui-ci afin de lui demander d’approuver leur contrat de mariage et, par conséquent, de leur accorder l’investiture de leur casalage. Le commandeur accepte et leur concède la faculté d’habiter dans le casalage, à condition qu’ils cultivent et fassent fructifier les possessions de cette exploitation rurale. Il est précisé que les époux jouiront des coutumes du castrum de Centernac aussi longtemps qu’ils vivront dans ce casalage.
Les époux font alors hommage au commandeur, devenant ainsi homme et femme de corps et de casalage du Masdéu.

Un clause prévoit que si Ponç Malras quittait ce casalage, il serait aussitôt délié de cet hommage. Ponç Malras et Cecilia promettent ensuite sous la foi du serment de payer aux templiers les redevances et de faire les services accoutumés dus pour ce casalage et pour toutes les possessions qui en relèvent. Ils remettent alors au commandeur la somme de 40 sous de monnaie tournoise, prix de cette investiture.
Enfin, le commandeur délie Pere Consill de l’hommage que celui-ci lui avait fait suite à l’achat de ce casalage (150).

Les esclaves
Nous savons que pour assurer les taches domestiques les templiers, comme bon nombre de seigneurs méridionaux, avaient recours aux esclaves.

En 1260, le commandeur du Masdéu, frère Guillem de Montgrí, achète plusieurs esclaves à un habitant de Borriana, dans le royaume de Valencia, pour le prix de 1200 sous de monnaie barcelonaise (151).

En 1297, c’est le commandeur de la maison du Temple de Perpignan, frère Jaume d’Ollers, qui achète un esclave sarrasin mis en vente sur le marché de la capitale de la couronne de Majorque (152).

L’implication des templiers roussillonnais dans le commerce d’esclaves est donc avérée.
Alimenté par les guerres et les razzias de la Reconquista et par l’activité des corsaires catalans en Méditerranée, le trafic d’esclaves trouvait ses principaux débouchés auprès des élites roussillonnaises, et notamment des dignitaires de son clergé, comme l’atteste le testament de l’évêque d’Elne, Bernat de Berga, qui, en 1259, dispose de six sarrasins et de deux néophytes (153).

Les documents de l’époque ne précisent pas quelle fonction était dévolue à ces malheureux captifs vendus aux enchères publiques sur la place de Perpignan (154).

On peut toutefois supposer qu’ils constituaient une main d’oeuvre appréciée, car bon marché, utilisée pour les travaux domestiques et agricoles155. Ils fournissaient sans aucun doute une partie des contingents nécessaires à la mise en valeur des terres exploitées en faire-valoir direct par les
templiers.

Les inventaires des commanderies catalanes et aragonaises réalisés au cours des années 1289-1299 montrent que chacun de ces établissements templiers possédait en moyenne une vingtaine d’esclaves, la commanderie de Gardeny en avait quarante-trois, celle de Miravet quarante-cinq, et celle de Monzón quarante-neuf (156).
On ne dispose malheureusement pas de telles données pour le Masdéu.

Notes. Effectifs
80. — Un dénommé Cabot de Tatzó souscrit le 26 octobre 1145 un accord entre Bernat Berenguer, vicomte de Tatzó, et le comte de Roussillon Gaufred III au sujet du lieu de Pujols, ADPO, 1B5.
81. — Voir ci-dessous la liste des effectifs templiers.
82. — Ce sont : Foulques de Montpezat, Guilhem de Londres et Raimond de Périgueux, pour le Languedoc, et Martín de Añesa, Pedro Jimenez et Guillem d’Alcala, pour l’Aragon.
83. — Actes n° 22 et 26.
84. — Acte n° 28.
85. — Actes n° 31 et I. Le 4 février 1153, Arnaldus de Surniano qui tenet mansionem de Dozencs , concède une terre située dans le territoire de ce castrum, voir Pierre GERARD et Élisabeth MAGNOU (éd.), Cartulaires des Templiers de Douzens, cart. A, n° 17 ; voir également les n° 2, 41, 50, 54, 55, 67, 76, 117, 140, 147, 183, 187, 199, 206 et 207. On retrouve à plusieurs reprises à ses côtés Bernat de Fenouillet, un autre templier du Fenolhedès auquel il était peut-être apparenté.
86. — ADPO, H144.
87. — Acte n° 139.
88. — Acte n° 39.
89. — Acte n° 240.
90. — John Alan, FOREY, The templars in the corona de Aragon, Oxford, 1973, p. 275.
91. — Acte n° 342.
92. — Actes n° 425-427.
93. — Damien CARRAZ, L’Ordre du Temple..., p. 288.
94. — Alain DEMURGER, Les templiers..., p. 124-128 ; Damien CARRAZ, L’Ordre du Temple..., p. 332-357.
95. — Marquis A. d’ALBON, Cartulaire général de I’ordre du Temple, 1119 ?- 1150, Paris, 1913, n° LXXII, p. 55.
96. — Alain DEMURGER, Les templiers..., p. 132.
97. — Il s’agit peut-être de Pere Bernat de Castelnou. Auteur d’une donation en faveur du Temple au mois de mars 1137, voir l’acte n° 16. Celui-ci appartenait à une branche secondaire issue de la famille vicomtale de Castelnou, détentrice de droits important sur la villa de Saint-Féliu. L’acte est d’ailleurs souscrit par les coseigneurs de Saint-Féliu d’Amont, Gausbert, vicomte de Castelnou, Udalger, vicomte de Fenouillèdes, et Pere Gausbert de Saint-Féliu, avec lesquels le donateur avait certainement des liens de parenté.
98. — « Et seniores de Manso Dei portent corpus meum, et sepeliant, et faciant pro me sicut pro uno de confratribus. »
99. — Acte n° 29.
100. — Acte n° 112.
101. — Acte n° 117.
102. — Acte n° 155. Dans cet acte le scribe emploie le terme de confraternitas, qui n’apparaît dans aucun autre document.
103. — « (...) tali scilicet conditione [quod a proxime venturo] festo Omnium sanctorum usque ad sequens festum Omnium sanctorum veniam ad ordinem domus Templi et habitum illius recipiam », acte n° 188.
104. — Voir par exemple les actes n° 35 et 45.
105. — En 1227, c’est aux « fratribus et confratribus » de la maison du Temple que Bernat de Toulouges confirme la donation d’un honneur situé dans la villa de Nyls, actes n° 299. La formule apparaît uniquement dans des actes rédigés par le scribe public de Perpignan, Pere de Riu, actes n° 302 et 314.
106. — Par chance, ce procès-verbal consigné dans un long rouleau de parchemin autrefois conservé dans les archives de l’Inquisition à Carcassonne a été intégralement recopié en 1669 par Gratian Capot, greffier du conseiller royal Jean de Doat, BnF, DOAT, vol. 33, fol. 1-188.
107. — Peire, vicomte de Fenolhedès, souscrit le 18 juillet 1243 l’accord à l’amiable réglant le conflit qui l’opposait au précepteur de l’hôpital d’Ille à propos d’une portion de dîme de la paroisse de Sainte-Marie de Saint-Féliu d’Amont, ADPO, Arch. hôp. Ille, 3B510. Il est décédé avant le 30 décembre 1243, date à laquelle Ponç du Vernet confirme à l’hôpital des pauvres d’Ille-sur-Tet, la vente que le défunt vicomte de Fenouillet - Petrus vicechomes Fenoleti qui fuit condam - avait faite à leur établissement des revenus de Saint-Féliu d’Amont, ADPO, Arch. hôp. Ille, 3B511.
108. — Acte n° XXV.
109. — L’inquisiteur Pons du Pouget a instruit à Carcassonne le procès posthume du vicomte Peire contre la bellefille de ce dernier Beatriu d’Urtx, tutrice des enfants et héritiers de son défunt mari, Hugues de Saissac. Mort prématurément et dans des circonstances inconnues entre le mois de juillet 1259 et le mois d’août 1261, ce dernier avait été persécuté par l’Inquisition.
Convaincu de crime d’hérésie, il avait obtenu l’immunité en contrepartie de la dénonciation de deux de ses vassaux, les chevaliers Bernat d’Alion et Bertran de Sauto, qui furent aussitôt condamnés et brûlés à Perpignan, le 2 septembre 1258. On présume que c’est dans ces circonstances obscures que le lignage perdit définitivement le titre vicomtal.
Mais force est de constater que nous ne savons pratiquement rien de la vie d’Hugues de Saissac, faute de documentation. Je n’ai en effet pu retrouver que trois actes le concernant : le 26 mars 1251, lors de la réunion des Corts de Barcelone, il fait partie des magnats qui font hommage à l’infant Pere après que le roi d’Aragon Jaume Ier ait désigné celui-ci héritier des comtés catalans, Jaime VILLANUEVA, Viage literario a las iglesias de España, tome XVII, Madrid, 1831, doc. LXII, p. 351-354 ; il souscrit un acte le 4 avril 1257 et un autre le 3 juillet 1259, dans lequel il porte le titre de vicomte de Fenolhedès, Histoire générale de Languedoc, t. VIII, pr. n° 477. Beatriu d’Urtx, se dit veuve d’Hugues de Saissac, vicomte de Fenolhedès, dans un acte du 2 août 1262, ADPO, Hôp. d’Ille, 3B521.
Au début de l’année 1264, elle dépose un recours au Parlement de Paris afin qu’on lui assigne 900 livres pour sa dot et son douaire sur les biens de son défunt mari, autrement dit sur la vicomté de Fenolhedès.
Mais les juges français la déboutent en arguant que la vicomté avait été confisquée en raison des crimes d’hérésie remontant à l’époque du vicomte Peire, et que par conséquent son fils ne pouvait légalement lui avoir assigné des rentes sur des biens qui ne lui appartenaient plus, voir BEUGNOT, Les Olims ou registre des arrêts rendus par la Cour du roi sous les règnes de Saint Louis, de Philippe le Hardi, de Philippe le Bel, de Louis le Hutin et de Philippe le Long (1254-1318), t. I, Paris, 1839, art. XII, p. 579-580.
Cet arrêt ne suffit pas à décourager la dame qui poursuivit ses renvendications jusqu’à sa mort survenue le 2 janvier 1299. On la découvre ainsi faisant état de sa qualité de veuve du vicomte de Fenolhedès dans un acte du 26 juin 1297, ADPO, Hôp. d’Ille, 3B535. Dans cette affairecompliquée, l’hérésie réelle ou présumée d’Hugues de Saissac semble n’avoir été qu’un prétexte.
L’Inquisition apparaît comme l’instrument de la liquidation politique de la vicomté de Fenolhedès souhaitée par le roi de France et consentie, au moins tacitement, par celui d’Aragon. Cette entente venait en effet opportunément sceller la conclusion du Traité de Corbeil, par lequel Louis IX et Jaume Ier réglait définitivement la délicate question la frontière entre leur deux royaumes. L’ex-vicomté de Fenolhedès ne fut plus dès lors qu’une simple viguerie de la sénéchaussée de Carcassonne.
110. — Peire de Fenouillet (vers 1250-1333) était le fils aîné et principal héritier d’Hugues de Saissac et de Beatriu d’Urtx. Le 19 septembre 1264, soit quelques mois après l’échec du recours intenté par sa mère au Parlement de Paris, le roi Jaume II d’Aragon constitue une rente au jeune Peire, pour que celui-ci en jouisse jusqu’à ce qu’il ait récupéré ses terres du Fenolhedès, ACA, reg. 13, fol. 222v.
On serait tenté de déduire de cet acte que Peire de Fenouillet s’était émancipé de la tutelle maternelle et qu’il avait atteint l’âge de la majorité légale qui était alors fixé à quatorze ans, comme on peut le lire dans les statuts de Paix et Trêves du diocèse d’Elne et de Cerdagne promulgués le 2 octobre 1217, voir Gener GONZALVO I BOU, « La pau i treva del Rosselló de l’any 1217 », Butlletí de la Societat Catalana d’Estudis Histórics, n° XV (2004), p. 70-73. Destiné à obtenir la réhabilitation de son ancêtre et, par voie de conséquent, à récupérer la vicomté de Fenolhedès, le recours en cassation intenté à Rome en 1300 par le persévérant chevalier Peire de Fenouillet échoua après dix années de procédure. Mais l’obstination de l’infortuné héritier finit par payer puisque qu’il réussit à récupérer un titre vicomtal de consolation, celui d’Ille, créé à son intention par le roi de Majorque Sanç le 27 octobre 1314, voir « Les vicomtes de Fenouillet et la vicomté d’Ille », Ruscino, n° 1 (mars 1911), p.113-117.
111.— Guillem Daví, clerc et juriste originaire de Torreilles, a débuté sa carrière dans son village natal où il est chanoine de l’église Saint-Julien en 1290. Il apparaît ensuite comme chanoine de la cathédrale de Valencia en 1306, puis devient procureur du roi de Majoque en 1316.
112. — « Item, quod tam de privilegiis quam de statuto, usu seu consuetudine et observantia religionis ordinis fratrum militie Templi etiam a tempore cujus contrarii non extat memoria, approbatis et observatis eo ipso quod qui religionem eandem seu ordinem ingreditur, et habitum assumit etiam prima die reputatur et censetur professus, et per inde est et censetur dicto ordini et religioni astrictus, ac si per annum et ultra ibidem stetisset, et expresse professus fuisset », acte n° LXXVI.
L’absence de période de probation avant la profession est effectivement conforme aux usages du Temple comme le confirme le témoignage des templiers du Masdéu interrogés sur ce point par la commission épiscopale en janvier 1310.
En réponse à l’article XXXV du questionnaire mis au point par le Saint-Siège, frère Jaume des Boix précise que la réception des frères se faisait en chapitre, portes clauses et à l’exclusion de personnes étrangères à l’Ordre : « Confessus est eciam quod ipsi fratres incontinenti post recepcionem suam habentur pro professis juxta morem et statuta ordinis supradicti. Addidit quoque quod ipse receptiones dictorum fratrum fiunt in capitulis, clausis januis, et exclusis extraneis, preter fratres », voir Jules MICHELET, Le procès des Templiers, vol. II, 1841, (réédition C.T.H.S., Paris, 1987), p. 467. Pour une description détaillée du rituel de réception dans l’ordre du Temple voir Alain DEMURGER, Les Templiers..., p. 134-137.
113. — On verra que la conservation des titres dans les archives du Masdéu était essentiellement motivée par des considérations de défense des droits patrimoniaux, et que dans cette logique gestionnaire la personnalité des donateurs importait peu. Les lacunes de la documentation que l’on constate dans les archives templières participent d’un déficit général des sources se rapportant à la vicomté de Fenolhedès dont les causalités restent à éludicer.
114. — Vassal du roi d’Aragon et du vicomte de Narbonne, allié des comtes de Foix et de Toulouse, le vicomte de Fenolhedès, est l’une des principales victimes de la croisade dirigée par le roi de France Louis VIII en 1226. Le 1er juin 1229, après trois ans de résistance, Peire de Fenouillet est contraint, avec sa mère Ava, de céder son château de Fenouillet et toute sa vicomté à Nunó Sanç, seigneur de Roussillon et Cerdagne, qui en avait reçu l’investiture des mains du roi de France en octobre 1226.
Le seigneur faidit conserve toutefois le reste de son patrimoine en Roussillon, Conflent, Vallespir et Capcir. Peire de Fenouillet n’en abandonne pas pour autant la lutte et il participe avec Olivier de Termes, Guillem de Niort et Bernat Hug de Serralongue à la chevauchée désespérée de Raimon Trencavel qui échoue le 10 septembre 1240 devant les murs de Carcassonne, Archives Nationales de France, J 1030, n° 73.
La mort de Nunó Sanç et le soutien de Jaume Ier lui permettent de récupérer la vicomté de Fenolhedès pour laquelle Peire fait hommage au vicomte de Narbonne Amalric le 8 novembre 1242, voir DEVIC et VAISSETE, Histoire générale de Languedoc, vol. VIII, pr. 356.
115. — En 1233, Jaume Ier avait statué contre les fauteurs d’hérésie, en ordonnant la destruction ou la commise des habitations de ceux qui accueillaient des hérétiques chez eux : « Statuimus ut domus recipientium haereticos scienter, si alodia fuerint, diruantur ; si feuda vel censualia suo domino applicentur », Pierre de MARCA, Marca Hispanica, app. DXI, art. IV, col. 1425.
116. — La question des relations entretenues par les templiers avec les partisans du catharisme a été explorée par Robert VINAS : Els templers al Rosselló, Lleida, 2002, p. 119-123.
117. — En 1260, ou peu de temps auparavant, frère Pere de Cadireta et frère Bernat des Bach, inquisiteurs dans les provinces de la Couronne d’Aragon, ayant prouvé que le défunt Ponç III du Vernet avait reçu les hérétiques, qu’il les avait aidés et adorés, et qu’il ne s’en était jamais confessé ni repenti, prononcérent la confiscation de tous ses biens. Par la suite, le 6 octobre 1260, Jaume 1er accorda sa grâce à Ponç IV du Vernet, fils et héritier de l’hérétique. Il lui restitua en pleine propriété de toutes les possessions confisquées par l’Inquisition en contrepartie d’une amende considérable fixée à 22000 sous de monnaie melgorienne, ADPO, 1B10.
118. — Acte n° 232.
119. — Le chevalier Arnau de Mudagons fut condamné post mortem pour crime d’hérésie par l’inquisiteur roussillonnais Ferrer, de l’ordre des frères Prêcheurs, qui prononça une sentence d’exhumation et de crémation des restes de ce seigneur le 30 mars 1243, soit quelques mois avant que le vicomte de Fenolhedès intègre le Masdéu, ACA, Real Cancillería, perg. 910 de Jaime Ier. L’hérétique Arnau de Mudagons (attesté de 1201 à 1218) et son épouse Mascarosa sont les auteurs d’une donation en faveur du prieuré de Sant Salvador de Cirà le 1er mai 1217, acte n° 257.
Il était probablement le fils d’Arnau de Mudagons (attesté de 1182 à 1184) et de Guillema Veguera, et le neveu de Jordà de Mudagons, auteurs en 1183 de la vente de l’étang de Caraig, sis près de Ponteilla, à frère Pere d’Aiguaviva, commandeur du Masdéu, acte n° 118.
Nous savons qu’Arnau de Mudagons père était déjà décédé le 3 août 1195, date à laquelle sa veuve confirme la vente précédente à frère Jausbert de Serra, commandeur du Masdéu, acte n° 163. Situé à environ deux kilomètres à l’ouest de Torreilles, Mudagons était un petit village de la plaine de la Salanque. Abandonné à la fin du Moyen Âge, il n’en subsiste plus aujourd’hui qu’un insignifiant pan de mur de l’église Saint-Sébastien.
Sur l’inquisiteur Ferrer, originaire de Villelongue de la Salanque, voir Walter L. WAKEFIELD, « Friar Ferrier, inquisitor », Heresis, n° 7 (1986), p. 33-41.
120. — Etienne DELARUELLE, « Templiers et Hospitaliers en Languedoc pendant la Croisade des Albigeois », Cahiers de Fanjeaux, 4, 1969, p. 315-334.
121. — José ORLANDIS ROVIRA, « Traditio animae et corporis: (la familiaritas en las Iglesias y Monasterios español en la alta Edad Media », Anuario de historia del derecho español, n° 24, 1954, p. 95-280 ; Élizabeth, MAGNOU-NORTIER, « Oblature, classe chevaleresque et servage dans les maisons méridionales du Temple au XIIe siècle », Annales du Midi, t. LXXIII (octobre 1961), p. 377-397 ; Charles de MIRAMON, Les « Donnés » au Moyen Age : Une forme de vie religieuse laïque, v. 1180-v. 1500, Paris, 1999 ; Lluis TO FIGUERAS, « Els remences i el desenvolupament de les viles catalanes a l’entorn de 1200 », dans Louis ASSIER ANDRIEU et Raymond SALA (dir.), La ville et les pouvoirs. Op. cit. , p. 13. Cet auteur appuie sa réflexion sur des documents extraits du chartrier du Masdéu.
122. — Le 10 avril 1084, Guillem Bernat de Sant Cristau jure fidélité au comte de Roussillon Guislabert, son beaufrère, pour le château qui venait d’être édifié à Vilanova (nom originel de Montesquieu) : « (...) de tuo op[p]ido vel castello vel forteda, qui nuper est situs in Villa nova (...)»,Francisco MIQUEL ROSSELL, Liber Feudorum Maior, vol. II, n° 720. Les archives du Masdéu conservent de nombreux actes perpétuant le souvenir de cet important lignage de bienfaiteurs de l’ordre du Temple.
123. — Acte n° 32.
124. — Acte n° 249.
125. — Acte n° 231.
126. — « (...) in tali pacto quod, quandocumque hora ego (et) Raymundus filius meus voluerimus accipere habitum ejusdem domus, fratres illius loci recipiant nos pro donatis cum aliis nostris rebus, exceptis illis que aliis subtus dimitto », acte n° 242.
127. — « Et dimitto eum et matrem ejus in potestate Dei et milicie Templi et fratrum ejus loci, ut illi sint tutores et defensores ac gubernatores eorum et omnium rerum suarum dum vixerint, et in tali modo quod uxor mea dicta faciat annuatim censum unam anserem milicie in omni vita sua. »
128. — Acte n° 241.
129. — On retrouve le même souci exprimé en 1219 dans le testament de Berenguer Siffre de Malloles qui confie son fils Ramon aux templiers « ut detis ei in domo Dei panem et aquam tanquam donato vestro », acte n° 268.
130. — Le 15 avril 1221, Guillem de Montesquieu, Ermessen, son épouse, et Bernat, leur fils, donnent et confirment à Sainte-Marie de Fontclara et à frère Arnau, prieur, le legs que leur a fait le défunt Bernat Mauro, de Banyuls, de deux moulins sis dans le casal des moulins neufs, dans la paroisse de Saint-Esteve de Nidoleres, au lieu-dit moulins neufs de Banyuls, ADPO, H27. Un acte du 30 avril 1223 nous apprend qu’il était alors décédé, acte n° 289.
131. — La flotte de Jaume Ier quitta le port de Salou, près de Tarragone, le 5 septembre 1229. L’évènement historique majeur que constitue la conquête de la principale île de l’archipel des Baléares a récemment fait l’objet d’une remarquable synthèse documentaire et iconographique : Agnès et Robert VINAS, La conquête de Majorque, Perpignan, 2004.
132. — « In primis relinquo corpus meum domui militie (Templi) Mansi Dei, cum meo equo et armis ferreis et ligneis, vel mille solidos malgoriensium bone monete, quocumque istorum elegerint fratres Mansi Dei, sicut continetur in instrumentis inter me et ipsos factis», BnF, Coll. Doat, vol. 40, fol. 232v-235. Je tiens à remercier M. Jean-Claude SOULASSOL qui a porté ce document à ma connaissance, voir l’acte n° XIVbis.
133. — Niermeyer, s’appuyant sur la documentation angevine, définit simplement conservus par « serf du même maître », J. F. NIERMEYER, Mediae Latinitatis Lexicon Minus, abrevationes et index fontium, Leiden, 1976, (réed. 1993).
134. — Actes n° 186, 193, 222, 242, 247, 249, 271, 303, 320, 323.
135. — En 1268, le contrat de location des pâturages de Camps en Razès évoque de façon générale les serviteurs et les donnés du Masdéu parmi les personnes autorisées à accéder aux pacages, acte n° 722.
136. — « (...) ego Bernardus Armiger, bona ac spontanea voluntate ductus, et bona fine, sine omni enganno, et pro remissione peccatorum meorum dono, laudo et firmiter concedo, et jure perfecte ac vere donationis cum hanc presenti carta in perpetuum valitura in presenti affirmo et trado, sine omni contradictu alicujus viventis persone, domino Deo, et beate Marie, et domui milicie Templi, et tibi fratri Petro Radulfi, preceptori Mansi Dei, et omnibus successoribus tuis, et omnibus fratribus, presentibus et futuris, totius predicte milicie Templi, me ipsum per donatum et per devotum conservum Dei, et beate Marie, et eidem milicie (...) », acte n° 186.
137. — Acte n° 196.
138. — « (...) ego Palaçol Menestral de Palaciolo, bona ac spontanea voluntate ductus et pie devotionis affectu et bona et firma ac tuta fide, sine enganno et sine omni malo ingenio et sine omni retentu et contradicto alicujus ordinis et alicujus religionis et alicujus domini et dominorum et domine, dono, laudo firmiterque concedo Domino omnipotenti Deo et beate Marie et domui milicie Templi et nominatim domui Mansi Dei et tibi fratri
Bernardo de Ceguinolis, preceptori Mansi Dei predicti, et tibi fratri Petro Porcelli, preceptori domus milicie de Garriga, et omnibus successoribus vestris et omnibus fratribus ejusdem milicie, presentibus et futuris, et jure perfecte ac vere donacionis cum hac presenti carta imperpetuum valitura corporaliter et manualiter trado et offero me ipsum per donatum et per devotum conservum et per fidelem servitorem et per hominem proprium et solidum et omnem progeniem que ex me egressa sive egressura est, et omnes res meas mobiles et inmobiles (...) », acte n° 193
139. — En 1209, un contrat similaire est établi pour Guillem Besser de Saint-Hippolyte, qui se donne « per donatum et proprium hominem et solidum » avec tous ses biens, acte n° 222.
140. — « (...) offerimus corpus nostrum et animam per donatos et conservos omnipotenti Deo et gloriose Virginis Marie domui milicie Templi Mansi Dei », acte n° 323.
141. — « (...) promitto vobis et dicte domui, bona fide, quod ab hac presenti die inantea de predicta donatione et hominatico me nec mea non extraham, nec ad alium ordinem nec ab aliud dominium sive potestatem non transfferam nec submittam absque vestro conscilio, set decetero ero vobis et dicte domui bonus homo et fidelis et rectus et utilius in omnibus et proprius ac solidus », acte n° 222.
142. — C’est ce que précise la clause suivante, que le diacre Arnau a ajoutée in extremis à la suite des souscriptions : « Et est certum quod jam dicta hec empcio fuit facta de denariis Johannis de Perpiniano, donati milicie Templi », acte n° 264.
143. — C’est le cas de Jaume, fils de Pere Andreu de Bages, qui se donne au Temple en 1220 : « (...) promittens vobis me bonus ac fidelis in omnibus in perpetuum esse, et vos et vestros et omnia ubique vestra custodire ac proibere ad omnem meum posse omni vita mea », acte n° 271.
144. — Actes n° 304 et 305.
145. — Acte n° 217.
146. — Acte n° X.
147. — En 1212, deux donnés de ce prieuré roussillonnais, Arnau Picain et Pere Donat (dont le surnom exprime ici sans équivoque le statut de l’individu), souscrivent l’échange contracté entre leur établissement et la commanderie du Masdéu, acte n° 238. Pour une histoire de cet établissement voir Pierre PONSICH, « Le Monestir del Camp », Congrès archéologique de France, CXIIe session tenue dans le Roussillon en 1954 par la Société Française d’archéologie, Paris, Orléans, 1955, p. 315-333.
148. — Sur cette forme particulière de servitude réelle dont les origines en Catalogne remontent à la seconde moitié du XIe siècle mais qui prend véritablement son essor au cours de la seconde moitié du XIIe siècle voir Paul H. FREEDMAN, The origins of peasant servitude in Medieval Catalonia, Cambridge University Press, 1991 ; Id., « Servitude in Roussillon », La servitude dans les pays de la Méditerranée occidentale chrétienne, Mélanges de l’École Française de Rome, Moyen Age, 2000, t. 112-2, p. 867-882 ; Lluis TO FIGUERAS, « Le mas catalan du XIIe s. : genèse et évolution d’une structure d’encadrement et d’asservissement de la paysannerie », Cahiers de Civilisation Médiévale, Poitiers, 1993, p. 151-177 ; Id. « Els remences i el desenvolupament de les viles catalanes a l’entorn de 1200 », dans Louis ASSIER ANDRIEU et Raymond SALA (dir.), La ville et les pouvoirs, Actes du Colloque du Huitième Centenaire de la Charte de Perpignan, 23/ 25 octobre 1997, Saint Estève, 2000, p. 131-156.
149. — Acte n° 164.
150. — Acte n° 1025.
151. — Acte n° XXIV.
152. — Acte n° LXXIV.
153. — Acte n° XXII. Les néophytes sont des nouveaux convertis à la religion catholique.
154. — Jean-Auguste BRUTAILS, Etude sur l’esclavage en Roussillon, Paris, 1886.
155. — Un cas exemplaire de l’importance de l’usage des esclaves dans le cadre d’un grand domaine monastique est celui de l’abbaye cistercienne de Poblet qui, d’après le compte-rendu de la visite de l’abbé de Fontfroide effectuée en 1316, comptait 92 religieux, 53 convers et... 63 esclaves ! François GRÈZES-RUEFF, « L’abbaye de Fontfroide...», note 55, p. 276.
156. — Joaquim MIRET I SANS, « Inventaris de les cases del Temple de la Corona d’Aragó en 1289 », BRABLB, VI (1911). Sur la question de l’esclavage dans les maisons du Temple de la Couronne d’Aragon voir Josep Maria SANS I TRAVÉ, « Els templers catalans, proprietaris d’esclaus », dans De l’esclavitud a la libertat. Esclaus i lliberts a l’Etat Mitjana. Actes del colloqui internacional, Barcelona, 27-29 de maig de 1999, Barcelone, 2000, p. 309-324.


3 - L’organisation administrative


L’organisation de l’ordre du Temple s’est rapidement hiérarchisée. Elle repose sur trois niveaux : le gouvernement central, les provinces et les commanderies. Ce dispositif administratif permet à l’ordre militaire de se procurer le personnel et les moyens matériels nécessaire à l’accomplissement de sa mission. L’originalité de ce système consiste en la sujétion des commanderies aux autorités provinciales, lesquelles répondent pour leur part au
gouvernement central établit à Jérusalem (157).

Le siège central de l’ordre, d’abord établi à Jérusalem, est transféré à Acre en 1187, puis à Limassol, capitale du royaume de Chypre en 1291. La direction est assurée par le grand maître qui prend ses décisions de manière collégiale, avec le conseil des principaux dignitaires de l’ordre : le sénéchal ou maréchal, le commandeur de la cité Jérusalem chargé de la trésorerie, le sous-maréchal, le drapier, et le turcoplier notamment (158).

L’une des responsabilités du grand maître est de désigner les responsables chargés d’administrer les différents territoires de l’ordre en Orient et en Occident. La maîtrise de Provence et d’Espagne regroupe ainsi sous l’autorité d’un maître provincial l’ensemble des établissements fondés dans les principautés du Midi et dans la partie orientale de la péninsule Ibérique. Celle-ci est déjà constitué en 1143, date à partir de laquelle le catalan Pere de Rovira s’intitule « maître dans les parties de Provence et d’Espagne ». Le maître avait sous sa responsabilité l’ensemble des maisons situées dans les principautés de Provence, Languedoc, Catalogne et Aragon.
En 1238, suite à une réorganisation administrative, la maîtrise primitive est divisée en deux pour former les provinces de Provence, d’une part, et de Catalogne-Aragon, d’autre part. Le maître provincial préside chaque année un chapitre réunissant les commandeurs de toutes les maisons soumises à sa juridiction.

La province
L’une des responsabilités du grand maître est de désigner les responsables chargés d’administrer les différents territoires de l’ordre en Orient et en Occident. La maîtrise de Provence et d’Espagne regroupe ainsi sous l’autorité d’un maître provincial l’ensemble des établissements fondés dans les principautés du Midi et dans la partie orientale de la péninsule Ibérique. Celle-ci est déjà constitué en 1143, date à partir de laquelle le catalan Pere de Rovira s’intitule « maître dans les parties de Provence et d’Espagne ». Le maître avait sous sa responsabilité l’ensemble des maisons situées dans les principautés de Provence, Languedoc, Catalogne et Aragon.

En 1238, suite à une réorganisation administrative, la maîtrise primitive est divisée en deux pour former les provinces de Provence, d’une part, et de Catalogne-Aragon, d’autre part. Le maître provincial préside chaque année un chapitre réunissant les commandeurs de toutes les maisons soumises à sa juridiction.

Les maisons ou commanderies
Au sein de la province de Catalogne-Aragon, on distingue deux catégories de commanderies templières : celles à vocation militaire, d’une part, et celles à vocation économique, d’autre part (159). La première catégorie n’est pas représentée au nord des Pyrénées.

On ne trouve ces garnisons de chevaliers du Temple qu’en Terre sainte et sur le front de la Reconquista dans la péninsule Ibérique. La seconde catégorie, la plus largement répandue, est constituée par les maisons dont la finalité était d’administrer le temporel de l’Ordre afin de
financer l’effort de croisade en approvisionnant les deux fronts en montures, en vivres et en argent. Les activités déployées au sein de ces établissements variaient selon qu’il s’agissait de commanderies rurales ou de commanderies urbaines, de maisons chèvetaines ou de maisons secondaires.

La commanderie du Masdéu
La commanderie rurale du Masdéu est le premier établissement de l’ordre du Temple a avoir été établi dans les limites du diocèse d’Elne. La domus templi Mansi Dei, fondée dès 1136 au coeur de la campagne roussillonnaise, était tout d’abord un lieu consacré à la vie spirituelle. C’est là que résidait la communauté des frères ayant fait profession et ayant juré d’obéir à la règle de l’Ordre rédigée à l’occasion du concile de Troyes en 1129.
Le Masdéu était par conséquent constitué d’un ensemble de bâtiments conventuels organisés autour de la chapelle et de son cimetière consacrés à Sainte-Marie (160). La vocation religieuse des templiers est clairement évoquée dans les donations pieuses effectuées par les laïcs. Bien souvent, ceuxci demandent aux frères d’intercéder en leur faveur auprès de Dieu et de ses saints par l’entremise de leurs prières et par la célébration de messes (161). Le souci de l’au-delà, autrement dit du repos des âmes, est en effet le motif le plus souvent évoqué par les bienfaiteurs de l’Ordre pour expliquer leurs aumônes (162). Le désir d’être associé aux bénéfices spirituels dont jouissent les templiers se manifeste également par l’élection de sépulture à leurs côtés dans le cimetière du Masdéu. Celle-ci s’accompagne traditionnellement de la donation du lit du défunt, et de la célébration d’un repas funèbre sept jours plus tard (163).

D’autre part, à l’image des autres grandes commanderies rurales établies par les templiers dans les royaumes et principautés de l’Occident chrétien, le Masdéu se présentait comme le centre d’une exploitation agro-pastorale, avec ses différents espaces fonctionnels : celliers, écurie, étable, poulailler, pressoir... L’ensemble étant cerné de bonne terres arables, et aussi, car nous sommes en pays méditerranéen, de vignes et d’olivettes.

La commanderie du Masdéu était également un centre administratif dont le ressort correspondait à un espace géographique de plus de 3000 kilomètres carrés coïncidant avec les bassins versants de l’Agly, de la Têt et du Tech, soit l’espace recouvert par l’actuel département des Pyrénées-Orientales, Cerdagne exceptée (164).

Les possessions soumises à sa juridiction dépendaient par conséquent du diocèse d’Elne, excepté celles situées en Fenolhedès et Capcir, qui relevaient alors du diocèse métropolitain de Narbonne (165).

Plus que l’unité politique, qui ne se réalisa qu’en 1172 avec la mort de Girard II et l’intégration du comté de Roussillon à la Couronne d’Aragon ; mieux qu’une unité diocésaine aux contours imparfaits ; c’est donc la cohésion géographique des territoires réunis autour des trois fleuves côtiers pyrénéens, qui, pour des raisons d’ordre essentiellement économique, a dessiné les contours du territoire soumis à l’autorité administrative du commandeur du Masdéu. La cartographie du patrimoine de la baillie du Masdéu à la fin du XIIIe siècle fait clairement apparaître cette unité (166).

La seigneurie templière
La question de la constitution et de la structure du temporel de l’ordre du Temple dans les comtés nord-catalans ayant déjà donné lieu à d’importants développements dans des travaux récent, je me bornerai ici à évoquer quelques unes des caractéristiques de ce long processus d’accumulation de terres et de droits de seigneurie (167).

La constitution du patrimoine
Il convient d’emblée de signaler que les archives de la commanderie du Masdéu présentent un déficit documentaire manifeste en ce qui concerne les années 1130-1180, période primordiale pour la constitution du patrimoine de l’ordre militaire (168).

Il suffit pour s’en convaincre de comparer les chiffres suivants : alors que le nombre de documents couvrant cette période dans les archives de l’établissement roussillonnais s’élève à près de 110, la maison voisine de Douzens, en Carcassès, dont la genèse temporelle est amplement documentée grâce à la conservation exceptionnelle de trois cartulaires du XIIe siècle, en dénombre près de 330, soit le triple (169).

Ceci dit, la documentation disponible nous permet tout de même de suivre les principales étapes de l’implantation de la milice du Temple dans le diocèse d’Elne.

Le patrimoine foncier
S’il est vrai qu’au cours des premières années les templiers ont bénéficié des libéralités d’aristocrates, de chevaliers ou de riches paysans alleutiers, force est de constater que le nombre et l’importance de ces donations à titre gratuit s’est rapidemment amenuisé. Aussi, pour étoffer leur temporel, les pauvres chevaliers du Christ ont eu besoin de recourir aux acquisitions rémunérées. Celles-ci pouvaient revêtir la forme classique du contrat de vente (170).

Mais ces acquisitions étaient le plus souvent maquillées en aumônes pieuses, présentées comme des actions généreuses et spontanées par des scribes ecclésiastiques enclin à exalter le souvenir des vertus chrétiennes des bienfaiteurs de l’ordre militaire. En contrepartie de la « donation », qui était bien souvent aussi une renonciation - « carta donationis sive diffinitionis » écrivent les clercs - les templiers remettaient à leur bienfaiteur une contrepartie en nature ou en numéraire qualifiée de charité -caritas-, ou d’aumône, -elemosina- (171).

Il s’agit là d’un procédé, le contre-don, très répandu au XIIe siècle. Bien que cela reste toujours difficile à démontrer, il est admis que la valeur de l’aumône remise par le bénéficiaire du don était généralement inférieure à celle du bien donné, ce fait justifiant l’emploi d’un formulaire distinct de celui de la vente. Ainsi, le 4 juillet 1141, moyennant une aumône de 30 morabatins, Bernat Adalbert de Capmany et ses fils, Ponç et Bernat, cèdent aux templiers toutes les dîmes, baillies et autres droits et possessions qu’ils ont dans l’alleu de la Milice dans les territoires de Cirà, Villemolaque, Passa, Tresserre, Candell, Nyls et Trouillas (172).

La somme est conséquente, mais comme il nous est impossible d’évaluer la valeur réelle des droits cédés par le seigneur empurdanais, on ne peut faire la part de ce qui a été réellement donné aux frères. Quoi qu’il en soit de leur sincérité, il est certain que les templiers ont amplement bénéficié de ces gestes de charités (173).
Nous reviendrons plus en détail sur les aspects diplomatiques de ces contrats dans la seconde partie de cette introduction.

Une chose est certaine, c’est que la plupart de ces donations rémunérées n’avaient rien de spontané. Lorsque l’on gratte un peu le verni des formules diplomatiques, celui-ci se craquèle facilement, et l’on s’aperçoit bien vite que ces actes ne font que formaliser des transactions ardemment sollicitées par des templiers affairés à la constitution de seigneuries homogènes. Si le principe de cette politique patrimoniale est simple : acquérir la totalité des droits sur un domaine déterminé ; sa mise en oeuvre est par contre rendue particulièrement délicate par le morcellement considérable des droits grevant la terre.

Cet obstacle ne paraît pas avoir découragé les administrateurs du Masdéu qui, à force de persévérance et de ténacité, ont réussi à constituer des domaines cohérents (174).

Pour parvenir à leurs fins, les religieux étaient parfois amenés à réaliser des opérations immobilières relativement complexes, ce dont témoigne une charte assez curieuse dans laquelle sont consignées ensemble trois transactions foncières effectuées le 19 février 1148.

Les deux premières sont des donations rémunérées de trois pièces de terre contiguës situées dans la paroisse Saint-Pierre de Passa. Les auteurs de ces libéralités sont trois membres d’une famille d’alleutier, Gausbert Gutmar, son frère Ramon Gutmar et son épouse Maria, qui reçoivent une aumône de 70 sous de monnaie Rosselle, d’une part, et Bernat de Passa, chanoine d’Elne, qui reçoit 40 sous, d’autre part. La personnalité de ce second donateur suffit à expliquer pourquoi l’acte est souscrit par l’évêque d’Elne et deux hauts dignitaires du chapitre de Sainte-Eulalie, l’archidiacre Berenguer de Canet et Guillem de Bages (175).

Intervient alors la transaction primordiale enregistrée dans ce document puisque, aussitôt ces terres acquises, le commandeur du Masdéu les échange avec le prieur de Sainte-Marie del Camp, établissement d’obédience augustinienne établi, précisément, dans la paroisse de Passa.
En contrepartie, le prieur lui remet un champ situé « prope cellulam vestram », autrement dit à proximité immédiate des bâtiments de la commanderie du Masdéu.
Les confronts indiquent que ce champ était délimité au nord et au sud par des possessions templières, et à l’est « in via que vadit ad Cavalleriam ad Pontellanum », soit le chemin conduisant du Masdéu à la localité voisine de Ponteilla (176).

Afin d’obtenir ce champ convoité pour des raisons évidentes, il a donc fallu que les templiers répondent aux attentes des chanoines qui, pour des raisons analogues, lorgnaient sur des parcelles de terres situées près de leur prieuré. Mais comme ceux-ci n’avaient vraisemblablement pas les moyens de convaincre les ayants-droits de ces terrains, ce sont les templiers qui s’en sont chargé, en déboursant tout de même 110 sous d’aumône !

Ces opérations bien ciblées et opportunistes visaient à profiter de circonstances favorables, comme la gêne financière d’un lignage ou les problèmes administratifs d’un établissement religieux, pour accroître le temporel de l’Ordre et le rendre plus homogène afin d’en améliorer la rentabilité. Intervenues entre 1180 et 1220, les acquisitions des seigneuries Nyls et de Saint-Hippolyte, bien documentées par des dossiers compilés dans le cartulaire du Masdéu, illustre l’opiniâtreté des templiers et leur capacité à poursuivre une politique foncière cohérente sur le long terme.

Dans la seconde moitié du XIIIe siècle, grâce à leurs importantes ressources financières, les templiers sont capables de débourser d’énormes sommes d’argent afin d’acquérir des seigneuries entières. Deux achats spectaculaires, ceux de la seigneurie d’Orle et du prieuré de Sant Salvador de Cirà réalisés à deux ans d’intervalle, témoignent à l’évidence de la prospérité des maisons templières roussillonnaises au commencement des années 1270.

Les maisons subalternes
À partir des dernières décennies du XIIe siècle et au cours du siècle suivant, afin de faire face à l’accroissement considérable de leur patrimoine, les templiers fondent successivement plusieurs établissements secondaires, qui, comme leur maison mère, sont tous qualifiés de domus Templi. Il s’agissait de faciliter et d’améliorer la gestion d’un patrimoine de plus en plus considérable, comprenant des possessions plus ou moins éparpillées, dont certaines situées dans de lointaines vallées pyrénéennes ou sur des plateaux culminant à plus de 1000 mètres d’altitude, à plus de soixante kilomètres du Masdéu.

La direction de ces membres ou maisons secondaires est confiée à des commandeurs de rang subalterne, que les scribes qualifient généralement de preceptor ou, plus rarement, de comendator, voire procurator. Ces frères administrateurs étaient généralement recrutés dans la catégorie des frères sergents et étaient placés sous l’autorité directe du commandeur du Masdéu, qui conserva tout au long de la période la direction des affaires de l’ordre du Temple dans le diocèse d’Elne et dans la vicomté de Fenolhedès.

Au total, dix maisons secondaires furent soumises à l’autorité du commandeur du Masdéu, formant ce qu’il est convenu d’appeler la baillie du Masdéu. Voici la liste de ces maisons établie en respectant l’ordre chronologique dans lequel leurs commandeurs apparaissent pour la première fois dans la documentation :
Palau (1187), le Mas de la Garrigue, au sud de la paroisse de Perpignan (1197)
Perpignan (1209)
Centernac (1214)
Saint-Hippolyte (1216)
Bages (1227)
Corbons (1261)
Orle (1264)
Prugnanes (1268) et
Argelès (1273).
Les maisons de Bages et d’Argelès ne sont attestées qu’à une seule reprise et leur existence paraît avoir été éphémère.

Il est possible de classer ces établissements en trois catégories en tenant compte de leur type d’implantation. Le Mas de la Garrigue est la seule maison rurale a avoir été implantée en rase campagne comme le Masdéu.
Cette similitude est d’ailleurs mise en évidence par l’emploi commun du terme mansus, vocable usuel désignant un centre d’exploitation rurale, pour caractériser ces commanderies.

Les autres maisons ont été établie dans des lieux habités d’importance et de statut variables : il peut s’agir de modestes habitats de moyenne montagne, comme la villa de Corbons et les castra de Centernac et de Prugnanes en Fenolhedès ; ou de gros bourgs fortifiés de la plaine roussillonnaise comme Palau, Saint-Hippolyte, Orle, Bages ou Argelès, tous également qualifiés de castrum
Il convient enfin de distinguer la commanderie urbaine de Perpignan vraisemblablement créée à la fin du XIIe siècle. Comme nous le verrons, ce dernier établissement était appelé à jouer un rôle prépondérant dans les affaires administratives de l’ordre.

Les templiers n’ont pas fondé de maison en Vallespir et en Conflent où, hormis l’obtention de pasquiers et de droits relativement conséquent à Villefranche-de-Conflent et dans la paroisse de Sant Pere de la Serra (Belpuig), leur présence se borne à la perception de cens sur quelques masades ou bordes éparpillés dans ces vastes étendues montagneuses.
Comme cela a déjà été dit, cette situation peut s’expliquer par la présence préalable dans ces contrées de plusieurs établissements religieux importants ayant capté une grande partie des réserves patrimoniales de ces territoires avant l’arrivée des templiers.

Notes Organisation
157. — Pour une description des principales caractéristiques inistitutionnelles des commanderies des ordres militaires voir Jonathan RILEY-SMITH, « The Origins of the Commandery in the Temple and the Hospital », dans Anthony LUTTREL et Léon PRESSOUYRE (dir.), La Commanderie, institution des ordres militaires dans l’Occident médiéval. (Actes du premier colloque international de Sainte-Eulalie de Cernon, 13-1 octobre 2000), Paris, 2002, p. 11.
158. — Sur les modalités de fonctionnement du gouverment central de l’ordre du Temple et les attributions des principaux dignitaires voir Alain DEMURGER, Les Templiers..., p.142-157.
159. — John Alan FOREY, The templars..., p. 263.
160. — Faute de documents et de fouilles archéologiques, nous ne disposons malheureusement d’aucune description permettant de connaître la disposition des bâtiments à l’intérieur de la commanderie à l’époque templière. Celleci fut considérablement modifiée par les hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem à la fin du Moyen-Âge et à l’époque moderne. Les descriptions faites à l’occasion des visites prieurales au XVIIIe siècle évoquent un ensemble fortifié de plan rectangulaire, délimité par une courtine cantonnée de tours et bordé d’un fossé que l’on franchissait par le moyen d’un pont-levis. À l’angle nord-est se dressait la tour principale, dite Torre de l’Infern, dont la base formait un rectangle de 6 * 8 mètres et dont la hauteur devait approcher les 14 mètres. La commanderie subit de nouvelles transformations à la fin du XIXe siècle avec la construction d’une opulente résidence privée de style néogothique. L’ensemble a été en grande partie détruit lors de l’explosion d’un dépôt de munitions allemand en 1944 ; seule subsiste dans son intégralité architecturale la chapelle édifiée au milieu du XIIe siècle. Relevant du domaine privé, la préservation de ce monument historique semble menacée à terme. Pour une description architecturale détaillée de la commanderie du Masdéu voir Joan FUGUET I SANS, L’arquitectura dels Templers a Catalunya, Barcelona, 1995, p.336-342, et en dernier lieu Rodrigue TRETON, « Aperçus topographiques de la commanderie du Masdéu en Roussillon », Archéologie du Midi Médiéval, tome 28. 2011, p. 271-295.
161. — Dans son testament rédigé au mois de janvier 1173, le seigneur Bernat de Laroque donne aux templiers tout ce qu’il a dans la villa de Palau et leur mande d’entretenir perpétuellement un prêtre qui célèbre des messes pour le salut de son âme : « Et mando et rogo et injungo domui milicie Templi quod omni tempore, quamdiu hoc seculum duraverit, teneant et procurent unum sacerdotem qui celebret missas remedio anime mee », acte n° 90.
162. — Le 3 octobre 1131, Bernat Pere argumente son geste en faveur de l’Ordre de la manière suivante : « Hoc donum facio pro remissione anime mee et anime et patris ac matris mee et omnium parentum meorum, ut dominus noster Jhesus Christus dimitat nobis omnia peccata nostra, et pro anima uxoris mee Saure », acte n° 8.
163. — C’est ce que demande Gaufred de Céret dans son testament du 12 août 1232 : « In primis reddo domino Deo et Beate Marie Mansi Dei et omnibus fratris animam meam et corpus meum ad sepeliendum in cimiterio ejusdem ecclesie, et ibi eligo sepulturam meam, cum lecto meo pannis munito. Et ad diem septimum post mortem meam fiat refectio honorifice ibi », acte n° 366. Le repas funèbre est une tradition qui se perpétue au moins depuis l’Antiquité grecque.
164. — L’administration des possessions de l’ordre du Temple en Cerdagne releva tout d’abord de la commanderie de Palau, près de Barcelone, puis, à partir de 1236-1239, de celle de Puig-reig en Berguedà, voir Josep Maria SANS I TRAVÉ, Els templers catalans..., p. 267-270 ; Rosa SERRA I ROTES, « Els Templers al Berguedà », L’Erol, 15 (1986), p. 18-23.
165. — Ces territoires furent affectés au diocèse d’Alet lors de la création de cet évêché par le pape Jean XXII le 18 février 1318.
166. — Voir la carte du patrimoine de la commanderie du Masdéu.
167. — Cet aspect de l’histoire des templiers roussillonnais a déjà donné lieu à d’importants développements, voir Laure VERDON, « Les templiers en Roussillon : formation et mise en valeur de leur patrimoine foncier », dans Les templiers en pays catalan, Perpignan, 1998, p. 39-57 ; Id., La terre et les hommes en Roussillon aux XIIe et XIIIe siècles : structures seigneuriales, rente et société d’après les sources templières. Aix-en-Provence, 2001, p. 28-42.
168. — Nous reviendrons plus en détail sur cette question dans la seconde partie de cette introduction consacrée à la présentation des sources.
169. — Pierre GÉRARD et Élisabeth MAGNOU (éd.), Cartulaires des Templiers de Douzens, Op. cit..
170. — Pour les premières ventes faites aux templiers voir les actes n° 24 (1141), 27 (1142) et 35 (1146).
171. — Pour les premiers exemples de l’emploi de ce vocabulaire subterfuge voir les actes n° 16 (1137), 25 (1141), 31 (1144), 41 (1148). La formule surgit encore épisodiquement sous la plume de scribes ruraux jusqu’aux alentours de 1240, actes n° 342 (1236), 407 (1242) et n° 432 (1244).
172. — Acte n° 25.
173. — Alain DEMURGER, Les Templiers..., p. 278.
174. — Sur ce processus de regroupement voir Laure VERDON, La terre et les hommes..., p. 36-42
175. — Le 21 décembre 1149, Guillem de Bages souscrit avec le titre de sacriste l’acte de consécration de l’église de Saint-Vincent de Baho, ADPO, 12J24, acte n°162.
176. — Acte n° 41.


4 - La seigneurie templière


La question de la constitution et de la structure du temporel de l’ordre du Temple dans les comtés nord-catalans ayant déjà donné lieu à d’importants développements dans des travaux récent, je me bornerai ici à évoquer quelques unes des caractéristiques de ce long processus d’accumulation de terres et de droits de seigneurie (167).

La constitution du patrimoine
Il convient d’emblée de signaler que les archives de la commanderie du Masdéu présentent un déficit documentaire manifeste en ce qui concerne les années 1130-1180, période primordiale pour la constitution du patrimoine de l’ordre militaire (168).

Il suffit pour s’en convaincre de comparer les chiffres suivants : alors que le nombre de documents couvrant cette période dans les archives de l’établissement roussillonnais s’élève à près de 110, la maison voisine de Douzens, en Carcassès, dont la genèse temporelle est amplement documentée grâce à la conservation exceptionnelle de trois cartulaires du XIIe siècle, en dénombre près de 330, soit le triple (169).

Ceci dit, la documentation disponible nous permet tout de même de suivre les principales étapes de l’implantation de la milice du Temple dans le diocèse d’Elne.

Le patrimoine foncier
S’il est vrai qu’au cours des premières années les templiers ont bénéficié des libéralités d’aristocrates, de chevaliers ou de riches paysans alleutiers, force est de constater que le nombre et l’importance de ces donations à titre gratuit s’est rapidemment amenuisé. Aussi, pour étoffer leur temporel, les pauvres chevaliers du Christ ont eu besoin de recourir aux acquisitions rémunérées. Celles-ci pouvaient revêtir la forme classique du contrat de vente (170).

Mais ces acquisitions étaient le plus souvent maquillées en aumônes pieuses, présentées comme des actions généreuses et spontanées par des scribes ecclésiastiques enclin à exalter le souvenir des vertus chrétiennes des bienfaiteurs de l’ordre militaire. En contrepartie de la « donation », qui était bien souvent aussi une renonciation - « carta donationis sive diffinitionis » écrivent les clercs - les templiers remettaient à leur bienfaiteur une contrepartie en nature ou en numéraire qualifiée de charité -caritas-, ou d’aumône, -elemosina- (171).

Il s’agit là d’un procédé, le contre-don, très répandu au XIIe siècle. Bien que cela reste toujours difficile à démontrer, il est admis que la valeur de l’aumône remise par le bénéficiaire du don était généralement inférieure à celle du bien donné, ce fait justifiant l’emploi d’un formulaire distinct de celui de la vente. Ainsi, le 4 juillet 1141, moyennant une aumône de 30 morabatins, Bernat Adalbert de Capmany et ses fils, Ponç et Bernat, cèdent aux templiers toutes les dîmes, baillies et autres droits et possessions qu’ils ont dans l’alleu de la Milice dans les territoires de Cirà, Villemolaque, Passa, Tresserre, Candell, Nyls et Trouillas (172).

La somme est conséquente, mais comme il nous est impossible d’évaluer la valeur réelle des droits cédés par le seigneur empurdanais, on ne peut faire la part de ce qui a été réellement donné aux frères. Quoi qu’il en soit de leur sincérité, il est certain que les templiers ont amplement bénéficié de ces gestes de charités (173).
Nous reviendrons plus en détail sur les aspects diplomatiques de ces contrats dans la seconde partie de cette introduction.

Une chose est certaine, c’est que la plupart de ces donations rémunérées n’avaient rien de spontané. Lorsque l’on gratte un peu le verni des formules diplomatiques, celui-ci se craquèle facilement, et l’on s’aperçoit bien vite que ces actes ne font que formaliser des transactions ardemment sollicitées par des templiers affairés à la constitution de seigneuries homogènes. Si le principe de cette politique patrimoniale est simple : acquérir la totalité des droits sur un domaine déterminé ; sa mise en oeuvre est par contre rendue particulièrement délicate par le morcellement considérable des droits grevant la terre.

Cet obstacle ne paraît pas avoir découragé les administrateurs du Masdéu qui, à force de persévérance et de ténacité, ont réussi à constituer des domaines cohérents (174).

Pour parvenir à leurs fins, les religieux étaient parfois amenés à réaliser des opérations immobilières relativement complexes, ce dont témoigne une charte assez curieuse dans laquelle sont consignées ensemble trois transactions foncières effectuées le 19 février 1148.

Les deux premières sont des donations rémunérées de trois pièces de terre contiguës situées dans la paroisse Saint-Pierre de Passa. Les auteurs de ces libéralités sont trois membres d’une famille d’alleutier, Gausbert Gutmar, son frère Ramon Gutmar et son épouse Maria, qui reçoivent une aumône de 70 sous de monnaie Rosselle, d’une part, et Bernat de Passa, chanoine d’Elne, qui reçoit 40 sous, d’autre part. La personnalité de ce second donateur suffit à expliquer pourquoi l’acte est souscrit par l’évêque d’Elne et deux hauts dignitaires du chapitre de Sainte-Eulalie, l’archidiacre Berenguer de Canet et Guillem de Bages (175).

Intervient alors la transaction primordiale enregistrée dans ce document puisque, aussitôt ces terres acquises, le commandeur du Masdéu les échange avec le prieur de Sainte-Marie del Camp, établissement d’obédience augustinienne établi, précisément, dans la paroisse de Passa.
En contrepartie, le prieur lui remet un champ situé « prope cellulam vestram », autrement dit à proximité immédiate des bâtiments de la commanderie du Masdéu.
Les confronts indiquent que ce champ était délimité au nord et au sud par des possessions templières, et à l’est « in via que vadit ad Cavalleriam ad Pontellanum », soit le chemin conduisant du Masdéu à la localité voisine de Ponteilla (176).

Afin d’obtenir ce champ convoité pour des raisons évidentes, il a donc fallu que les templiers répondent aux attentes des chanoines qui, pour des raisons analogues, lorgnaient sur des parcelles de terres situées près de leur prieuré. Mais comme ceux-ci n’avaient vraisemblablement pas les moyens de convaincre les ayants-droits de ces terrains, ce sont les templiers qui s’en sont chargé, en déboursant tout de même 110 sous d’aumône !

Ces opérations bien ciblées et opportunistes visaient à profiter de circonstances favorables, comme la gêne financière d’un lignage ou les problèmes administratifs d’un établissement religieux, pour accroître le temporel de l’Ordre et le rendre plus homogène afin d’en améliorer la rentabilité. Intervenues entre 1180 et 1220, les acquisitions des seigneuries Nyls et de Saint-Hippolyte, bien documentées par des dossiers compilés dans le cartulaire du Masdéu, illustre l’opiniâtreté des templiers et leur capacité à poursuivre une politique foncière cohérente sur le long terme.

Dans la seconde moitié du XIIIe siècle, grâce à leurs importantes ressources financières, les templiers sont capables de débourser d’énormes sommes d’argent afin d’acquérir des seigneuries entières. Deux achats spectaculaires, ceux de la seigneurie d’Orle et du prieuré de Sant Salvador de Cirà réalisés à deux ans d’intervalle, témoignent à l’évidence de la prospérité des maisons templières roussillonnaises au commencement des années 1270.

L’acquisition de la villa d’Orle
Les débuts de l’implantation templière dans la villa d’Orle semblent remonter à l’année 1190, avec l’acquisition du mas d’Arnau de na Lis consécutivement au legs testamentaire du seigneur Berenguer d’Orle (177).
Le patrimoine des religieux s’y étoffe ensuite progressivement, au gré des opportunités, notamment par le jeu des entrées en hommage de capmas, chefs de
famille à la tête d’exploitation agricoles (178).
L’apparition d’un preceptor domus Templi de Orulo en 1264 indique que le temporel de l’Ordre y était devenu suffisamment important pour justifier la création d’une commanderie (179).
De fait, le capbreu inventoriant les revenus des maisons templières de Catalogne rédigé cette même année nous enseigne que le total des revenus annuels du castrum d’Orle s’élevait alors à 210 sous, 25 poules, 27 hémines d’orge, 4 hémines de froment et 60 charges de raisins provenant de la collecte des censives et de la portion de dîme dite « del Vezcotal ». D’autre part, l’exploitation d’un important domaine agricole en faire-valoir direct - propria laboratio - leur rapportait 200 hémines de froment et d’orge (180).

C’est donc en toute connaissance de cause que les frères du Masdéu se sont portés acquéreur de la seigneurie d’Orle mise en vente par le chevalier Bernat d’Oms.

Le 13 juin 1271, frère Arnau de Castelnou, maître du Temple en Aragon et Catalogne, et frère Ramon Desbac, commandeur du Masdéu, achètent à ce seigneur tous les droits et possessions que son oncle, le défunt Bernat d’Orle, avait dans la villa et le castrum d’Orle et dans la paroisse de Saint-Esteve d’Orle, avec toute la dîme de cette paroisse, ainsi que tout le droit que le défunt Gauceran d’Urtx avait sur cette dîme.
Pour prix de cet seigneurie, les templiers déboursent la somme considérable de 22.500 sous de monnaie couronnée de Barcelone.
Une clause dégage le vendeur de toute responsabilité dans l’éventualité où l’évêque d’Elne engagerait une action à l’encontre de la maison du Masdéu à propos de cette dîme. Il est ensuite précisé que pour cette dîme, les templiers du Masdéu devront donner au chapelain desservant l’église d’Orle cinq masmudines d’or de cens annuel le jour de la fête des saints Pierre et Félix.
Le commandeur et la communauté du Masdéu s’engagent à défendre Bernat d’Oms ainsi que tous ses biens, devant la justice ou autrement, dans l’éventualité où le chapelain engagerait une poursuite à son encontre à propos de la dîme ou du cens.
La vente est approuvée par Alamanda et Agnès, respectivement épouse et soeur de Bernat d’Oms (181).
Un second acte portant confirmation de cette vente est établi deux jours plus tard (182).
C’est vraisemblablement à l’occasion de cette importante transaction que certaines pièces du chartrier de la famille des seigneurs d’Orle éditées dans ce corpus intégrèrent les archives du Masdéu (183).

Une semaine plus tard, le commandeur du Masdéu se faisait confirmer la possession de la dîme d’Orle par l’évêque d’Elne, Berenguer de Cantallops, moyennant le débours de 250 sous de monnaie couronnée de Barcelone. À cette occasion, l’évêque réserve les droits de mutation dus à son Église au cas où les templiers vendraient cette dîme, ainsi que la perception du droit de synode accoutumé (184). Cet exemple donne la bonne mesure de la célérité dont faisaient généralement preuve les administrateurs templiers dans le suivi de leurs
affaires.

L’acquisition de la seigneurie du castrum d’Orle est peut-être à l’origine d’un sérieux litige ayant opposé le maître provincial, Arnau de Castelnou (185), d’une part, à l’infant Jaume, d’autre part, à propos des prérogatives judiciaires que les templiers, en vertu d’anciens privilèges royaux, prétendaient exercer sur leurs hommes et femmes, dans les localités situées en Roussillon, Vallespir, Cerdagne et Conflent.

L’héritier de la couronne de Majorque revendiquait en effet l’exercice de la justice dans toutes les seigneuries contrôlées par l’ordre militaire. La juridiction du castrum de Palau [del Vidre] léguée aux templiers par le comte Girard II en 1172 ne faisait par contre l’objet d’aucune contestation. Il est vrai que le jeune prince aurait difficilement pu contester la validité de cette donation, puisque celle-ci était consignée dans le même testament qui avait permi à son arrière grand-père d’hériter du comté de Roussillon. L’infant prétendait que les templiers n’avaient d’autre prérogative dans leurs seigneuries que celle du droit de fatiga de dix jours, et encore, uniquement sur leurs hommes propres.

Le terme juridique fatiga désigne le délai pendant lequel le seigneur peut, une fois qu’il en a été informé, préparer la défense des personnes de sa juridiction poursuivies par la justice royale. En vertu de cette prérogative accordée par Jaume Ier à la commanderie du Masdéu en 1254, les officiers royaux ne pouvaient pénétrer et intervenir dans les castra et autres lieux appartenant au Temple pour punir les violations du droit ou pour obtenir par contrainte le remboursement des dettes contractées par les templiers ou par leurs hommes, à l’exception des cas où ces derniers refuseraient de répondre à leurs accusateurs devant la justice dans un délai de dix jours consécutif à la notification d’une plainte à leur encontre pour crime ou pour dette (186).

La sentence arbitrale prononcée le 8 décembre 1271 par Gerau, abbé de Saint-Paul de Narbonne, et Jaspert de Boutenac, abbé de Sant Feliu de Girona (187), met un terme à la querelle juridictionelle. Après avoir enquêté sur les usages communs en vigueur dans les terres de Roussillon, Vallespir, Cerdagne et Conflent, ainsi que sur les libertés accordées par le roi aux villes et aux hommes de ces contrées, après examen des privilèges et audition des parties, les arbitres statuent que les templiers auront désormais toute la juridiction et les justices civiles et criminelles sur les territoires et les habitants de Saint-Hippolyte, Orle, Nyls et Terrats, excepté le mère empire sur les crimes de sang et la juridiction de paix et trêve, qui ressortissent de l’autorité royale.
Les arbitres ordonnent en outre que les hommes du roi qui commettront des délits dans les juridictions attribuées au Temple ne soient admis à comparaître que devant la cour royale. Les batlles en charge de ces juridictions qui appréhenderont ces déliquants seront tenus de les traduire aussitôt devant la cour. De même, les hommes du Temple suspectés d’avoir fauté contre le roi, l’infant, leurs officiers ou domestiques, devront en répondre devant cette même cour. Les hommes de Perpignan, chrétiens ou juifs, qui soutiendront un procès contre les hommes du Temple devant une cour relevant de la juridiction des templiers ne seront pas tenus de payer les frais de procédure, de même que les hommes du Temple qui auront à plaider devant la cour du batlle de Perpignan.

Les hommes du Temple qui, en raison d’un emprunt ou d’un contrat concernant le Temple, directement ou indirectement, seront obligés envers des chrétiens ou des juifs de Perpignan, devront plaider devant la cour de Perpignan.

Enfin, les arbitres déclarent que le roi a toute juridiction sur les hommes du Temple ne résidant pas dans les localités nommées ci-dessus,
exception faite des juridictions réelles et féodales qui relèvent du Temple (188).

Les templiers renforcent par la suite leur contrôle sur la seigneurie d’Orle en procédant à une importante restructuration de leur temporel et en rachetant divers droits aliénés. Ainsi, le 29 septembre 1275, frère Ramon Desbac, commandeur du Masdéu, et frère Pere de Camprodon, commandeur de la maison du Temple de Perpignan, échangent avec Pere Roig, jurisconsulte de Camprodon, habitant de Perpignan, tout ce qu’ils possèdent dans la villa et le territoire de Sainte-Marie de Toulouges, excepté la dîme qu’ils reçoivent des revenus du roi, pour les possessions que Pere Roig avait achetées au monastère de Sant Pere de Camprodon dans les territoires de Sainte-Marie de Malloles et de Saint-Esteve d’Orle.
Cette importante transaction fut ratifiée par frère Pere de Montcada, maître de la milice du Temple en Aragon et Catalogne le 6 septembre 1276 (189). Puis, le 19 août 1278, les templiers rachètent pour 750 sous de monnaie couronnée de Barcelone le fief que Jausbert du Soler, fils du défunt chevalier Guillem du Soler, tenait pour eux dans la seigneurie d’Orle.
Ce fief était constitué d’un mas, de deux maisons, dont une située sur la place du village, de trois celliers, d’une cour, de trois champs, de quatre faixes de terre et de douze vignes, dont une située dans la paroisse de Sainte-Marie de Toulouges (190).
On peut supposer qu’un pressant besoin d’argent avait contraint ce vassal à se séparer de ce fief, car il en avait déjà acensé les revenus quelque temps auparavant au chapelain de l’église Saint-Esteve d’Orle (191).

L’acquisition du prieuré Sant Salvador de Cirà
Les origines du prieuré de Sant Salvador de Cirà sont méconnues. Une curieuse tradition avance que cette petite communauté bénédictine aurait été fondée en 1139 par les moines de l’abbaye cistercienne de l’Ardorel (192).
Cette assertion semble toutefois difficilement conciliable avec les informations que nous délivrent les documents conservés dans les archives du
Masdéu. La logique voudrait en effet que l’établissement fondateur du prieuré placé sous l’invocation du saint Sauveur soit tout simplement le monastère bénédictin de Sant Salvador de Breda, établi dans le diocèse de Gérone.

Un acte du 29 décembre 1229 établit clairement cette filiation. La situation économique du prieuré de Sant Salvador de Cirà était alors plutôt
lamentable. Les religieux de cette petite communauté étaient en effet grevés de plusieurs dettes en raison de dépenses excessives et des divers dommages qu’elle avait eu à subir en raison de la guerre qui affectait le Roussillon depuis plusieurs années (193).
N’ayant pas trouvé d’autre moyen de se procurer la somme nécessaire pour rembourser leurs usuriers, Bernat, abbé de Sant Salvador de Breda, Guillem des Plas, moine et administrateur de Sant Salvador de Cirà, vendent pour 150 sous de monnaie melgorienne à frère Pere de Malon, commandeur du Masdéu, une vigne située dans la paroisse de Saint-Julien de Villemolaque.

Dans son testament du 4 septembre 1144, le seigneur Ramon de Montesquieu fait un legs de 20 sous à « Sanctum Salvatorem de Manso Dei » (194).
Cette mention ne doit pas être comprise comme l’expression d’un lien de dépendance de Sant Salvador envers la commanderie templière, mais plutôt comme l’indication d’un rapport de proximité géographique.
L’église de Sant Salvador se dressait en effet à quelques centaines de mètres à l’est du Masdéu, sur la rive gauche du Reart (195).
En 1151, l’administration de Sant Salvador était assurée par le prêtre de la paroisse voisine de Villemolaque (196).
Créations contemporaines, la maison templière et le prieuré partageaient des terres en indivis, comme cela apparaît dans un acte du 2 février 1153, par lequel Arnau de Nyls vend et restitue à l’église Sant Salvador et à la maison du Temple un champ situé dans la paroisse de Saint-Julien de Villemolaque (197).

Dans le cartulaire du Masdéu, le dossier concernant ce prieuré mixte est constitué de sept actes (198). Il est introduit par la copie de l’acte le plus récent, qui est la vente de Sant Salvador de Cirà et de son modeste patrimoine roussillonnais faite aux templiers par les bénédictins de Sant Salvador de Breda en 1273, pour le prix de 12.000 sous de monnaie melgorienne (199).
Les six titres recopiés à la suite sont des munimina du prieuré. Il s’agit de donations, achats et acapte effectués au cours des années 1186-1217. Ces titres concernent les moulins de Nidoleres, des terres situées à Trouillas, la dîme de deux vignes situées dans la paroisse de Saint-Julien de Villemolaque, et un homme de Toulouges et sa postérité.

L’acquisition du patrimoine du prieuré de Cirà précède de quelques années la rédaction du cartulaire, ceci explique certainement pourquoi ce dossier a été recopié au début du codex.

Les sommes colossales déboursées, 22.500 sous pour la seigneurie d’Orle et 12.000 sous pour l’ensemble du patrimoine du prieuré de Sant Salvador de Cirà, donnent la mesure des ambitions temporelles des templiers du Masdéu, dont le commandeur était alors frère Ramon Desbac (200).

Au final, les templiers du Masdéu ont réussi à accumuler un patrimoine considérable.
L’inventaire des biens de la commanderie du Masdéu réalisé en 1264 détaille la structure de ce temporel à cette date (201).
Celui-ci était alors constitué d’une multitude de mas, bordes, maisons, celliers, champs, vignes, oliviers, garrigues et autres biens fonciers dispersés dans près de cent localités différentes, essentiellement dans le comté du Roussillon et dans la vicomté de Fenolhedès.
Comme nous l’avons vu, les frères de la Milice avaient également acquis des droits justiciers. Le descriptif des biens et revenus de la commanderie du Masdéu en 1264 s’achève par un état des castra et villae relevant de la juridiction du Temple.

L’ordre militaire possédait alors l’intégralité des droits de seigneurie des castra de Palau, Orle, Nyls, Terrats et de Centernac. Dans le castrum de Saint-Hippolyte, dont ils partageaient les droits en coseigneurie, les frères du Masdéu détenaient l’entière seigneurie juridictionnelle sur tous leurs dépendants et le tiers sur les « hommes communs » ; tous les autres droits juridictionnels de ce bourg fortifié de la Salanque étaient tenus pour elle. Ils possédaient également la moitié de la seigneurie du castrum de Villemolaque ; la seigneurie sur tous leurs dépendants habitant dans le castrum de Bages ; la seigneurie du castrum de Lesquerde (202) ; la moitié de laseigneurie du lieu de Prugnanes et le septième de celle de Malloles.

On constate que l’inventaire de 1264 ne fait pas état de la seigneurie des trente et un hommes du Temple dans le bourg de Thuir, à propos desquels Pere de Malon, commandeur du Masdéu, avait transigé avec Nunó Sanç, seigneur de Roussillon, en 1237 (203).
Ceci pourrait signifier qu’entre ces deux dates les templiers avaient cédé leurs droits au roi Jaume Ier, seigneur de cet important castrum.

L’exploitation du patrimoine
Afin de rentabiliser et de faire fructifier au mieux leur patrimoine et d’en tirer un maximum de profits, les templiers n’ont eu de cesse de diversifier leurs activité, n’hésitant pas, le cas échéant, à entreprendre des opérations de mise en valeur complexes impliquant des opérations foncières et des investissement à moyen voire à long terme.

Assèchement des étangs
Une grande entreprise templière de la fin du XIIe siècle : l’assèchement des étangs.
Le dossier liminaire du cartulaire du Masdéu est en quelque sorte délimité par deux concessions se rapportant au droit d’assécher l’étang de Bages faites aux templiers par les rois Alfons II et Pere II, respectivement en 1195 et en 1205.
Cet agencement n’est certainement pas le fruit du hasard.
Il témoigne manifestement de la volonté du cartulariste de mettre en valeur l’action que ces actes documentent, soit rien de moins que la plus importante opération d’assèchement d’étangs entreprise dans la plaine du Roussillon à l’époque médiévale.

Il s’agit d’un projet ambitieux dont l’origine remonte probablement au mois de février 1182, date de la cession faite aux frères du Masdéu par le seigneur Berenguer de Bages et son épouse Saurimonda de leurs droits sur les étangs de Bages et de Bajoles (204).
S’ils n’ont pas été les précurseurs, les templiers ont été localement les principaux promoteurs de ce type de mise en valeur. Outre les étangs de Bages et de Bajoles, ils ont également procédé au cours des deux dernières décennies du XIIe siècle à l’assainissement de l’étang Sabadel et de l’étang de Caraig, situés dans les paroisses voisines de Sainte-Marie de Nyls et de Saint-Esteve de Ponteilla (205).

Toutes ces entreprises apparaissent déjà en cours en 1183-1184. Avec une superficie approximative de 125 hectares, l’étang de Bages s’impose comme le plus étendu de tous les étangs asséchés par les templiers. Il était par conséquent le mieux à même de symboliser l’ensemble de cette phase de conquête des milieux humides. Au Moyen Âge, à défaut d’être une réelle prouesse technologique, le drainage des étangs constituait un authentique exploit juridico-financier car, une fois dédommagés tous les ayants-droits de l’étang, il fallait ensuite négocier avec les propriétaires des terrains situés en aval le droit de passage des eaux pour le canal d’exhaure. Ces travaux d’excavation impliquaient nécessairement la mobilisation d’une main d’oeuvre importante. On ignore malheureusement dans quelles conditions s’effectuèrent ces travaux et quelle main d’oeuvre fut employée pour leur réalisation.

On peut imaginer que la réussite de ces opérations d’assèchement, dont la finalité était de dégager de nouveaux espaces pour l’agriculture et l’élevage, impressionna fortement les contemporains et contribua du même coup à accroître localement le prestige du Temple.

L’exploitation des ressources naturelles
Contrastant avec les efforts spectaculaires déployés dans le domaine agricole, la documentation nous procure l’impression que le rôle des templiers du Masdéu dans la mise en valeur des ressources naturelles présentes dans les Pyrénées catalanes fut somme toute assez limité.

Contrairement à ce qui a pu être observé en Provence, force est de constater que l’implication de l’ordre religieux-militaire dans l’exploitation des salines aménagées aux abords des lagunes saumâtres - dont le nombre et la superficie étaient alors beaucoup plus importants que de nos jours - se résume à bien peu de choses (206).
Il semble qu’en la matière les templiers établis dans le diocèse d’Elne se soient contentés d’obtenir de la générosité de seigneurs bienfaiteurs quelques rentes en sel, afin de se procurer les quantités de cette denrée indispensable nécessaires pour couvrir leurs besoins domestiques et, surtout, ceux de leur bétail.
Dès 1136, on voit le seigneur Berenguer de Guardia et son épouse Jordana gratifier la milice du Temple d’une rente équivalent à une journée de récolte dans leurs salines de Torreilles (207).
Il s’agit du seul document évoquant cette rente dont on ignore si elle fut effectivement perçue de manière perpétuelle comme le souhaitaient les donateurs (208).

En 1202 ou 1203, à l’occasion de son affiliation au Masdéu, le chevalier Guillem Jordà de Canet donne au Temple l’honneur qu’il a dans le castrum de Théza, plus deux mas qui lui rapportent chaque année quarante charges de sel (209).

On sait également qu’à une date indéterminée, vraisemblablement dans le dernier tiers du XIIe siècle, Gausbert de Pézilla légua en indivis aux templiers et aux hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem un important patrimoine situé dans la paroisse de Saint-Hippolyte : mas, bordes, celliers, champs, jardins, oliviers ainsi que quelques salines et rompudes, terres nouvellement défrichées, à condition que sa veuve, prénommée Gallarda, en conserve l’usufruit (210).

Il est très possible que la généreuse donation du seigneur de Pézilla ait suscité la politique de rachat d’une partie importante du temporel et des droits de seigneurie de Saint-Hippolyte réalisée par les templiers au cours des premières décennies du XIIIe siècle. Cette politique patrimoniale
aboutit dès 1216 à la fondation d’une nouvelle commanderie filiale du Masdéu dans ce castrum (211).

La perception des rentes en sel était naturellement assujettie à l’existence des salines sur lesquelles elles étaient prélevées. Les salines du Roussillon se présentaient comme des petites exploitations familiales mises en valeur dans les mêmes conditions que des terres agricoles par des emphytéotes qui reversaient une part de la récolte au détenteur de la directe (212).

La pérennité de ces salines dépendait de la combinaison aléatoire d’une multitude de facteurs variables : climat, évolution de la salinité des sols, assèchement des lagunes, rentabilité face à la concurrence accrue du sel importé de Languedoc ou d’Ibiza, etc.

L’estimation des revenus de la commanderie du Masdéu effectuée en 1264 montre bien le caractère temporaire et incertain de telles rentes, puisqu’il ne fait état d’aucune entrée en sel dans les items se rapportant aux localités de Saint-Hippolyte, Torreilles et Théza.
Par contre, il nous apprend qu’à cette date les templiers recevaient dix charges de sel à Saint-Laurent de la Salanque.
Curieusement, le total général des revenus en sel perçu chaque année dans l’ensemble de la baillie du Masdéu fait état de trente-trois charges, mais on ne trouve nul part indiqué l’origine des vingt-trois charges additionnelles (213).

Toutefois, si l’on se fonde sur deux reconnaissances effectuées en 1278 et en 1282, on peut supposer que cette quantité de sel provenait de censives payées par des tenanciers de Saint-Hippolyte (214).
L’une de ces reconnaissances nous apprend en outre que les templiers et les hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem se partageaient le quart du sel récolté dans la moitié des salines situées au lieu-dit Tremes ayges, dont ils avaient cédé le dominium à Pere Esteve, un homme amansat du Masdéu (215).

Comme il s’agissait de redevances proportionnelles, leur montant variait d’une récolte à l’autre, ceci explique peut-être pourquoi l’apport des revenus en sel fournis par la seigneurie de Saint-Hippolyte n’a été reporté que dans l’estimation totale des revenus de la batllie du Masdéu.

Les archives du Masdéu ne recèlent aucun indice d’activité templière en rapport avec la pêche ou avec le milieu maritime (216).
Quant à la pratique de la chasse, la règle de l’ordre l’interdisait formellement, sauf pour le lion ! Comme leurs homologues aragonais, les templiers roussillonnais semblent avoir observé cette prescription (217).

Nous savons en tout cas qu’ils affermaient à des tiers l’exercice de cette prérogative seigneuriale dans leurs domaines : en 1264, l’accensement du droit de chasse aux lapins dans les territoires de Perpignan, du Mas de la Garrigue et de Palau rapportait 120 sous à la commanderie du Masdéu (218).

Pour terminer ce bref tour d’horizon, il convient de signaler que, à la différence des cisterciens, les templiers ne semblent pas avoir cherché à tirer parti de l’exploitation des très riches gisements de fer du massif du Canigou (219).
Ils se sont davantage intéressés au contrôle de certaines industries de transformation des matières premières, comme les tuileries et les fours à chaux. On sait qu’à une date inconnue, probablement aux alentours de 1200, le seigneur Pere de Llauro donna aux templiers un four à chaux avec son bûcher situé au lieu-dit Forn del Toró (220).

Aujourd’hui encore, au sud du village de Llauro, le lieu-dit la Calcina perpétue le souvenir de l’exploitation des gisements de calcaire présents à proximité et du développement en ce lieu d’une industrie de transformation spécialisée dans la production de chaux, ingrédient indispensable à l’élaboration du ciment utilisé en maçonnerie (221).
La donation fut confirmée en 1232 ou 1233 par Ramon de Llauro, le frère du donateur (222).
On ignore malheureusement de quelle façon les religieux exploitaient ce four à chaux et à quelles fins.

L’élevage
À l’instar des frères cisterciens et de leurs homologues hospitaliers, les templiers du Masdéu ont su exploiter de façon pragmatique la diversité des ressources naturelles disponibles dans la partie orientale des Pyrénées afin d’y déployer une importante activité pastorale (223).

Il faut dire qu’à l’arrivée des premiers frères de la Milice dans la plaine littorale du Roussillon, celle-ci et son hinterland montagneux offraient encore d’importantes réserves d’espaces peu ou pas exploités. Des dizaines de milliers d’hectares de garrigues et d’herbages ayant échappé à la grande phase d’expansion bénédictine des Xe et XIe siècles demeuraient dans les réserves patrimoniales des lignages aristocratiques (224).

C’est dans ces immenses stocks d’incultum que les magnats allaient puiser largement au XIIe siècle afin de prodiguer leurs pieuses aumônes aux ordres issus de la Réforme grégorienne.

À l’ouest d’une étroite bande littorale - n’excédant guère les dix kilomètres dans sa plus grande largeur - aux sols fertilisés par des dépôts réguliers d’alluvions fluviatiles, et de part et d’autre des vallées orientées de l’Agly, de la Têt et du Tech, petits fleuves côtiers dont les rives limoneuses constituent autant de fertiles oasis - ce sont les riberals, finages de terres irriguées ou se développe une agriculture intensive particulièrement féconde -, le paysage de la plaine roussillonnaise est essentiellement constitué de terrasses quaternaires aux sols argilosiliceux
ou calcaires, que la terminologie locale qualifie respectivement d’aspres et de crests (225).

Ces grandes étendues de terres maigres, caillouteuses et arides, et par conséquent impropres à l’agriculture, constituent le domaine des garrigues. À l’époque médiévale, ces espaces naturels de pelouses et de végétation basse et buissonnante, caractéristiques des paysages méditerranéens, constituaient un saltus naturellement dévolu à la dépaissance des troupeaux (226).

Au nord de l’Agly et à l’ouest d’une zone approximativement délimitée par les villages de Salses, Saint-Hippolyte et Rivesaltes, de vastes étendues de garrigues s’étendent jusqu’au piémont du massif des Corbières, c’est là le domaine que les moines cisterciens des abbayes de Grandselve et de Cadouin, bientôt relayés par ceux de Fontfroide et de Villelongue de Carcassès, colonisent à partir du milieu du XIIe siècle en y implantant deux de leurs principales fondations roussillonnaises : la grange de Vespeilles est établie à l’extrémité occidentale de la paroisse de Saint-Esteve de Salses vers 1183 ; le prieuré du Mas de la Garrigue et son église Sainte-Marie s’élèvent aux confins orientaux de la paroisse de Saint-Martin de Tura en 1195, date à laquelle cet établissement abrite déjà une petite communauté de cinq frères (227).

Quelques kilomètres plus à l’est, dans la plaine de la Salanque, entre les cours inférieurs de la Têt et de l’Agly, les Cisterciens créent les granges de Canomals (c.1206-1208) et de Mudagons (c.1195-1204) afin de mener leur bétail dans les herbages et les prairies inondables situées entre Bonpas et Torreilles (228).

Plus ancienne, la grange de Pujols (c. 1157), située au nord-est d’Argelès et à proximité du cordon littoral, avait la même vocation de pâturage d’hiver. De part sa situation, elle offrait aux troupeaux de l’abbaye de Fontfroide une grande diversité d’herbes et les apports nutritionnels de la végétation halophyte (229).

Entre les vallées de la Têt et du Tech, au coeur d’un espace géographique dont l’axe de symétrie suivrait approximativement le cours intermittent du Reart, depuis Villemolaque jusqu’à la limite méridionale du territoire de Perpignan, les anciennes dépressions nivoéoliennes formaient au XIIe siècle un petit archipel d’étangs peu profonds. Ces cuvettes aux dimensions inégales, dont on a vu que certaines furent asséchées par les templiers autour de
1180-1190, sont dominées par des terrasses présentant un faciès d’autant plus tourmenté que l’on approche des premiers contreforts du massif du Canigou.

C’est là le noyau central du domaine foncier acquis par les templiers dans le comté de Roussillon.
C’est selon toute vraisemblance dans ce vaste domaine constitué au XIIe siècle que les moines-soldats ont constituer leurs premiers troupeaux. Cependant, la documentation, dissimulatrice, ne nous permet pas de savoir à partir de quel moment et selon quelles modalités les pauvres chevaliers
du Christ ont entrepris de developper un élevage spéculatif dans les comtés nord-catalans (230).

D’une manière plus générale, on sait que dans leurs commanderies de la péninsule Ibérique les frères de la Milice se sont spécialisés dans un élevage essentiellement axé sur les ovins et les caprins (231).
Pour ce faire, ils ont recherché et obtenu très tôt le soutien des autorités, qui leur ont accordé d’importants privilèges garantissant la protection de leurs troupeaux ou les exonérant des péages et autres taxes perçus sur le bétail transhumant. Les rois d’Aragon et de Castille ont également octroyé aux ordres militaires des libertés de pâturage étendues à l’ensemble de leurs domaines (232).

C’est ainsi que le 27 novembre 1143, à l’occasion du concile célébré dans la cité de Gérone sous l’autorité du légat du pape, le cardinal-diacre Gui, le comte de Barcelone et seigneur du royaume d’Aragon, Ramon Berenguer IV, concède aux templiers de nombreuses possessions, dont les châteaux de Monzón, Montgai, Chalamera, Barberà, Remolins, l’honneur de Llop Sanchez de Belchite et tout ce qu’il a dans le château de Corbins. Il leur accorde en outre le dixième de tous les droits, cens et usages de toutes ses terres et de celles qu’il pourra acquérir, plus le cinquième des terres qui seront conquises sur les Sarrasins.

Le comte exempte également les religieux des leudes et des péages prélevés dans les terres placées sous sa domination. La motivation de ces considérables libéralités est clairement exprimée par le prince qui souhaite que les templiers s’investissent désormais dans la défense de l’Église d’Occident en Espagne contre les Sarrasins, comme ils le font pour l’Église d’Orient à Jérusalem (233).

Cet évènement marque un tournant fondamental dans l’histoire de l’ordre religieux-militaire, puisqu’il officialise son entrée en lice sur le second front de la croisade, celui de la Reconquista de la péninsule Ibérique (234).

Ramon Berenguer IV avait pour ce faire sollicité et obtenu préalablement l’accord unanime du second grand maître de la milice du Temple, Robert de Craon, et de tout son couvent, au cours d’une réunion du chapitre général à Jérusalem.
L’importance solennelle du concile de Gérone se devine à travers l’imposante délégation de responsables templiers assistant à cet évènement : l’acte mentionne les frères Evrard des Barres, maître du Temple en France, Pere de Rovira, maître en Provence et dans les parties d’Espagne, Eudes de Saint-Omer, les occitans Ug de Bessan et Peire d’Arzac, le catalan Berenguer de Gunyoles et enfin Arnau de Sournia, dont a vu qu’il était originaire de la vicomté de Fenolhedès.

Déjà, le 15 avril 1134, afin d’inciter les chevaliers du Temple à participer à leur lutte contre les Maures établis à la frontière méridionale de la Catalogne, Oleguer, archevêque de Tarragone, et Ramon Berenguer IV, comte de Barcelone, au cours d’une assemblée réunissant de nombreux ecclésiastiques et magnats catalans, avaient placés sous la Paix de Dieu les templiers souhaitant résider et combattre dans les comtés catalans, ainsi que toutes leurs
possessions (235).

Au sein de la Couronne d’Aragon, la protection des biens des ordres militaires prend un caractère véritablement institutionnel à partir des constitutions de Paix et Trêve promulguées par le roi Alfons II aux assemblées de Perpignan et de Fondarella dans le courant de l’année 1173 (236).
Ces statuts, qui sont à l’origine des Corts et du droit constitutionnel catalanoaragonais, puisent leur origine dans un important mouvement populaire et religieux ayant affecté un grand nombre de principautés du centre et du sud de la Gaule aux alentours de l’an Mil237. La Paix et la Trêve de Dieu étaient originellement destinées à limiter et à encadrer les violences et exactions commises par les aristocrates et leurs mesnies de milites. Mais ce « programme de sécurité publique » fut progressivement transformé et instrumentalisé à leur profit par les souverains de la maison de Barcelone, qui y trouvèrent le moyen de renforcer leur autorité et, partant, d’imposer de nouveaux impôts destinés à financer leur politique : le
bovatge et le monedatge (238).

Comme chacun le sait, il faut toujours prendre garde de ne pas considérer les règles normatives comme l’expression d’une réalité vécue, d’autant plus quand les autorités en place ne sont pas en mesure de faire appliquer les déclarations de principe jurées lors des assemblées de Paix, voire quand elles ne les enfreignent pas elles-mêmes. Ainsi, en dépit des prescriptions de l’article V des statuts de Paix et Trêve de 1173, les imposants troupeaux des ordres religieux continuent à être victime des rapines de seigneurs brigands (239).

Il va sans dire que de telles exactions commises ou commanditées par des membres de l’élite aristocratique ne pouvaient qu’inciter les responsables templiers à solliciter le soutien des comtes-rois et de leur pouvoir coercitif pour assurer la protection de leur bétail. Voici un bon exemple de ces protections royales accordées au cours de périodes particulièrement troublées. Le 10 janvier 1208, Pere II, ordonne à tous ses officiers et sujets du royaume d’Aragon de respecter les possessions, troupeaux et les droits de l’ordre du Temple, de les protéger et de les assister, sous peine d’encourir une amende de 1000 pièces d’or (240).

Au XIIIe siècle, les comtes-rois renouvellent et étendent les privilèges accordés au Temple. Le 9 juillet 1233, au siège de Borriana, Jaume Ier, en récompense des nombreux services qu’ils ont rendu à la Couronne, affranchit définitivement tous les hommes de la milice du Temple, quelle que soit leur confession, du paiement de toutes exactions royales, dont les droits d’herbatge (herbaticum) et de carnalatge (carnaticum), anciennes taxes publiques prélevées pour le droit de dépaissance et pour le débit de viande (241).

Nantis de tous ces privilèges et de la protection des princes de la maison de Barcelone, les templiers disposaient donc d’importants atouts politiques et économiques favorisant leur investissement dans l’élevage et le commerce du bétail. Il semble que dans le diocèse d’Elne, comme dans de nombreuses autres provinces méridionales, ils ne tardèrent pas à en tirer profit (242).

Les premiers indices d’une activité pastorale apparaissent très tôt et revêtent la forme d’aumônes en bétail, le plus souvent effectuées à l’occasion de legs testamentaires. Le 24 mai 1136, outre d’importants biens-fonds, le seigneur Ermengau de So lègue ainsi à la Milice tous ses biens meubles : blé, vin, boeufs, vaches et équipements (243).

De la même manière, en juillet 1172, le chevalier Bernat de Brouilla lègue aux religieux ses chevaux, son mulet, ses boeufs et ses moutons (244).
Si cette pratique manifeste l’intérêt précoce que les templiers établis dans les comtés nord-catalans ont portés à l’acquisition de bétail, il faut cependant attendre les dernières décennies du XIIe siècle pour trouver des documents témoignant de façon plus ou moins explicite de la volonté des frères du Masdéu de se spécialiser dans cette activité

Dans les chartes de la commanderie du Masdéu, chevaux, juments, poulains, roncins et mules apparaissent le plus souvent comme des marchandises faisant office de monnaie d’échange dans des ventes ou dans des donations rémunérées. Cette pratique caractérise essentiellement les transactions passées entre les templiers et les membres de la classe chevaleresque (245).
Elle se rapporte à une facette méconnue de l’économie roussillonnaise, car très peu documenté par les chartes des XIIe et XIIIe siècles : l’élevage et le commerce des équidés (246).

Si l’on connaît bien l’usage, répandu dans les rangs de l’aristocratie et de la classe équestre, consistant à léguer ses armes et ses montures aux ordres religieux-militaires; il est par contre bien difficile d’apprécier l’importance du rôle joué localement par les religieux du Masdéu en matière de production équine. Il semble toutefois assuré que les frères élevaient eux-mêmes ces animaux (247).

La création de prés et de prairies constituait un objectif avoué de l’ambitieuse entreprise d’assèchement des étangs de la plaine roussillonnaise menée par les templiers à la fin du XIIe siècle. Les opérations de drainage avaient en effet pour but de libérer de nouveaux espaces pastoraux destinés à l’élevage des équins et des bovins, comme cela est clairement exprimé, au mois avril 1195, dans l’acte par lequel Alfons II accorde au maître du Temple en Provence et en Espagne, frère Pons de Rigaud, le droit d’assécher l’étang de Bages.
Le roi d’Aragon y cède en effet aux templiers la dîme de tous les fruits de l’étang et le droit perpétuel de faire paître leurs boeufs et leurs juments de trait sur le pré de l’étang (248).
On trouve d’autres indices mettant en relation les étangs et l’élevage du gros bétail dans les actes se rapportant à l’acquisition de l’étang de Caraig et de terres riveraines de celui-ci. Au mois de juin 1183, pour prix de cet étang, frère Pere d’Aiguaviva remet à Arnau de Mudagons et aux siens la somme de 2000 sous de monnaie melgorienne, un cheval d’une valeur de 250 sous et une paire de boeufs (249).

En 1186 et 1188, en contrepartie de champs situés en aval de cet étang de la paroisse de Sainte-Marie de Nyls, c’est un boeuf que les religieux remettent aux vendeurs (250).

On voit donc que les templiers élevaient des animaux de trait qu’ils employaient dans le cadre de la mise en valeur de leurs réserves agricoles. Mais les proportions de cet élevage de gros bétail dépassaient ce strict cadre utilitaire, puisqu’à certaines occasions les religieux n’hésitaient pas à utiliser une partie de leur cheptel comme monnaie d’échange pour acquérir de nouvelles terres.

Dans la plaine du Roussillon, l’expression la plus manifeste et la plus représentative de l’importance accordée par les templiers à l’activité pastorale est la création du Mas de la Garrigue, dont le premier commandeur, Pere Porcell, est mentionné en 1197 (251).

Cet établissement implanté à la limite méridionale de la paroisse Saint-Jean de Perpignan, sur la rive gauche du Reart, est le premier à avoir été fondé par la commanderie du Masdéu. En effet, le Mas de la Garrigue, maison rurale dont le nom révèle l’origine monastique, est déjà mentionné le 15 mars 1158.

À cette date, moyennant une compensation de 80 sous de Roussillon et de deux poules de cens annuel à percevoir sur un tenancier de Saint-Féliu
d’Avall, Pere de Saint-Féliu et ses frères renoncent à un champ situé dans le territoire que le comte Gaufred avait donné au Temple « ad Mansum Garrige » (252).

Ceci implique que cette maison rurale se dressait déjà au centre de l’important domaine foncier d’origine fiscale que le comte de Roussillon Gaufred III et son fils Girard avaient cédé à la Milice en trois donations effectuées au cours des années 1149-1155 (253).

La vocation pastorale du Mas de la Garrigue apparaît de façon patente dans un acte du mois de novembre 1277 par lequel frère Ramon Desbac, commandeur du Masdéu, vend à Guillem Tolsà, pareur de Perpignan, toute la production annuelle de laine des moutons et de tous les ovins du Mas de la Garrigue du Temple, pour le prix de 177 sous et 6 deniers de monnaie barcelonaise.
Une clause précise que l’acheteur devait prendre possession de la marchandise au terme de six mois, soit vers la mi-mai, ce qui indique que c’est à cette période que l’on devait pratiquer la tonte des troupeaux dans la grange templière (254).
Le prix de chaque balle de laine étant fixé dans l’acte à 2 sous moins une picte, la production du Mas de la Garrigue était donc estimée cette année là à 90 balles de laine (255).
Nous ignorons malheureusement quelle quantité de toisons pouvait contenir une balle de laine à cette époque.

Il est par conséquent impossible d’estimer le cheptel du Mas de la Garrigue à partir de cette seule donnée. Il convient d’observer que le prix obtenu pour cette vente de laine dépasse largement le total des revenus en numéraire de toute la baillie du Mas de la Garrigue indiqués dans l’inventaire de 1264 (256).

L’élevage constituait probablement aussi la principale vocation économique des petites commanderies fondées par les templiers dans la vicomté de Fenolhedès à Corbons, Centernac et Prugnanes. Mais les documents relatifs à ces membres languedociens du Masdéu sont peu nombreux et ne fournissent qu’une information très limitée à ce sujet.

Dès 1142, le vicomte Udalger concède aux frères de la Milice le bois de Mata Perusta, délimité par la route menant d’Arsa au Pla Llouby, en amont de Rabouillet, avec les droits de leude, de forestage et de glandée qui y sont prélevés (257).
La perception du droit de glandée témoigne de l’existence d’un élevage de porcs dans cette région montagneuse (258).

L’activité pastorale des templiers en relation avec leurs maisons du Fenolhedès est surtout attestée par un contrat de location particulièrement intéressant instrumenté le 7 novembre 1268. Moyennant un loyer de 100 sous de monnaie tournoise, les damoiseaux Arnau de Soulatge et Peire de Cucugnan louent au frère chevalier Ramon Desbac, commandeur du Masdéu, les pâturages qu’ils ont dans le territoire du castrum de Camps-sur-l’Agly, pour que les templiers y fassent pâturer leur bétail, de quelque espèce qu’il soit, ainsi que celui de leurs serviteurs, de leurs donnés ou d’autres personnes étrangères, du moment que ces animaux relèvent de leur cabane. À défaut de bétail propre, le commandeur du Masdéu est également autorisé à louer ces herbages à d’autres personnes.

Les deux seigneurs du Pérapertusès accordent en outre aux religieux la faculté de prendre du bois dans leur bois de Peyrosa pour l’usage de leurs bergers, de leur maison de Prugnanes et des habitants de ce village. Ils se réservent la juridiction et tous les autres usages de ces pâturages, ainsi que la faculté pour leurs hommes de Camps d’y faire paître leur bétail, à condition de ne pas le laisser passer la nuit dehors, saufs leurs boeufs et leurs vaches qui pourront y pernocter durant l’été.
Arnau de Soulatge et Peire de Cucugnan accordent en outre au commandeur du Masdéu la faculté pour son bétail d’accéder depuis ces pâturages à trois
abreuvoirs rigoureusement localisés, à condition de ne pas occasionner de dégâts aux propriétés avoisinantes ; dans le cas contraire, les préjudices devaient être dédommagés suivant l’estimation de l’un des pâtres de ce bétail et d’un bon homme de Camps, sans payer de droit de ban (259).

La location de ces herbages situés sur les pentes du Pech de Bugarach, dans l’ancien comté de Razès, s’explique par leur voisinage immédiat avec le territoire de Prugnanes, villa que le vicomte Arnau de Fenouillet avait léguée en indivis aux templiers et aux hospitaliers dans ses testaments de juillet et septembre 1173, à condition que ceux-ci remboursent 300 sous dus au seigneur Bernat Sesmon d’Albedun, qui la tenait en gage (260).

L’acquisition de pâturages dans les montagnes du Conflent au cours de la décennie 1180-1190 indique une importante extension de l’activité pastorale des templiers du Masdéu durant cette période.
C’est très probablement en 1181 que Bernat, abbé de Cuxà (261), donna les pâturages de Querençà et les tasques perçues en ce lieu à frère Berenguer d’Avinyó, maître de la milice du Temple (262), et à frère Ramon de Canet, commandeur du Masdéu (263).

Cet acte n’a pas été conservé, mais son existence nous est révélée par la confirmation qui en fut faite, le 16 janvier 1253, par le roi d’Aragon Jaume Ier (264).

Le 16 juin 1186, c’est le seigneur Guillem Bernat de Paracols, qui, avec l’accord de dame Blanca de Conat, son épouse, donne à frère Pere d’Aiguaviva, commandeur du Masdéu, un cortal et une tenure situés dans son honneur des Molleres de Martiach, aux confins de la villa d’Urbanya, sur le versant oriental du Madres (265).

Il s’engage à ce qu’aucun autre cortal ne soit édifié dans les limites de la tenure qu’il leur donne, jusqu’à la limite du cortal de l’Hôpital de Jérusalem. Le seigneur de Paracols concède en plus aux templiers les droits de dépaissance et les droits d’usage dans tous ses honneurs et par tous les pacages placés sous sa domination (266).

Dans les Pyrénées de l’Est, les années 1175-1185 sont caractérisées par la conquête des ports et des calms par les troupeaux des nouveaux ordres religieux, cisterciens, hospitaliers et templiers, qui se spécialisent dans un élevage spéculatif (267).
Il s’agit-là d’une tendance forte qu’il faut sans doute mettre en relation avec la croissance du marché qui accompagne alors la première expansion urbaine (268).
De manière significative, les données archéologiques et palynologiques se rapportant aux montagnes de Cerdagne indiquent une intensification de la
déforestation au cours des XIe-XIIIe siècles. Ce processus est notamment caractérisé par des écobuages considérables destinés à créer de nouveaux herbages pour les troupeaux, ouvrant la voie à l’installation de nouvelles cabanes dans les étages sommitaux situés entre 2200 et 2400 mètres d’altitude (269).

La prise de contrôle des pacages du Haut Vallespir et du Conflent paraît avoir constitué un motif de concurrence et de tension entre templiers et cisterciens. C’est du moins ce que suggère une lettre du roi Alfons II, datée de Saragosse, par laquelle il informe les frères de la Milice qu’il a confirmé la donation du lieu de Rojà, depuis la combe de Pausa Guillem jusqu’à Campmagre, faite au monastère de Fontfroide par Arnau Joffre de Llers le 1er décembre 1177.

L’importance des enjeux économiques transparaît à travers l’interdiction formelle faite par le comte-roi à tous les laïcs et ecclésiastiques de pénétrer dans ces pâturages sans l’accord des moines de Fontfroide (270).

Les pasquiers de Rojà se situent sur le versant occidental de la ligne de partage des eaux délimitant le Vallespir et le Conflent, entre le Pic du Canigou, au nord, et le Roc Colom, au sud.
À une altitude moyenne de 2300 mètres, la ligne de crète reliant le Pla Guillem à Campmagre constituait un lieu de passage fréquenté par les troupeaux transitant entre les deux anciens comtés carolingiens.
On comprend par conséquent l’intérêt stratégique que représentait le contrôle des pacages situés de part et d’autre de cette limite naturelle.

Ceci nous amène à envisager la question de la transhumance du cheptel des templiers du Masdéu depuis la plaine littorale du Roussillon jusqu’aux montagnes de Vallespir, Conflent, Capcir et Fenolhedès (271).

Les relations de déplacements saisonniers de troupeaux sont rarissimes dans les documents roussillonnais antérieurs au XIVe siècle. L’existence d’une
petite transhumance ascendante vers le massif du Canigou est toutefois attestée dans un plaid tenu dans le monastère de Sainte-Marie d’Arles le 20 janvier 1090 (272).

On sait également que dès les années 1120 le comte de Barcelone percevait des droits sur le bétail transhumant depuis la plaine de Roussillon jusqu’en Cerdagne et en Capcir. Ainsi, en septembre 1126, Ramon Berenguer III inféode à Pere d’Avalri et à son fils Gausbert la moitié des droits de pasquiers perçus en Conflent, depuis Ternère jusqu’à Formiguère, sur tous les ovins montant à l’estive (273).

Quatre ans plus tard, ce même comte restitue à l’Eglise d’Urgell tous les agneaux que ses batlles avaient saisis injustement à Villefranche de Conflent alors que le troupeau de la Cathédrale s’en revenait de la plaine de Roussillon. Il se réserve néanmoins son droit de pasquier sur le bétail venant de Roussillon et son droit de penturatge consistant au prélèvement d’un fromage sur cinq produit dans les estives d’Aiguatebia (274).

Les templiers, du fait notamment de l’ampleur et de la dispersion de leur patrimoine s’étageant depuis le littoral jusqu’aux plus hautes cimes des massifs du Canigou et du Madres, disposaient d’évidentes facilités pour organiser le parcours saisonnier de leurs troupeaux.

Deux documents semblent témoigner de la mise en place d’un cheminement de cette nature en relation avec une probable relance de la politique pastorale des templiers du Masdéu après la longue période de troubles et de violences ayant affecté les comtés catalans au cours du

premier tiers du XIIIe siècle. En 1232 ou 1233, Ramon de Llauro donne à frère Rostain, commandeur du Masdéu, un cortal avec son pasquier situé dans la paroisse de Saint-Martin de Llauro, pour servir aux chèvres et brebis de la cabane du Masdéu (275).

Pour prix de cette concession, ce seigneur reçoit un roncin. Par la suite, frère Pere de Malon, successeur de frère Rostain, remet en plus à Ramon de Llauro un poulain qui lui avait été promis (276).

À une altitude moyenne d’environ 300 mètres et distant d’une quinzaine de kilomètres de la commanderie du Masdéu, le territoire de Llauro est implanté sur les premiers contreforts orientaux du massif du Canigou. Il constitue de ce fait une étape à proximité du principal itinéraire de transhumance reliant la plaine du Roussillon aux pacages du Haut Vallespir et du Conflent (277).

C’est d’ailleurs l’un des principaux pâturages desservis par ce cami ramader que Jaume Ier concède à frère Joan de Pelancà, administrateur de la cabane du Masdéu, le 23 octobre 1245. Moyennant le paiement d’un droit d’entrée de 500 sous de monnaie melgorienne et d’un cens annuel de 50 sous, les templiers acquièrent ainsi l’usage des vastes pasquiers situés dans la partie septentrionale de la montagne de la paroisse des saintes Juste et Ruffine de Prats, qui devaient plus tard prendre le nom de Comalada (278).
On aura remarqué que ces deux documents ont en commun d’évoquer la cabane des chèvres et des ovins du Masdéu.

L’apparition au sein de la commanderie d’un responsable d’abord appelé administrateur, puis gardien de la cabane des ovins du Masdéu (279), dont la fonction était spécialement consacrée à l’élevage, dénote bien l’importance que les templiers établis dans le diocèse d’Elne accordaient à ce secteur d’activité.

À la fin du XIIIe siècle, les pasquiers possédés par la commanderie du Masdéu dans les Pyrénées de l’Est suffisaient amplement aux besoins de leur propre cheptel, à tel point que les templiers étaient en mesure de concéder une partie de leurs herbages à d’autres éleveurs.

Un établissement emphytéotique recopié dans le Llibre de la creu nous renseigne sur la manière dont ils procédaient. Le 8 février 1280, frère Pere de Camprodon, commandeur de la maison du Temple de Perpignan, procureur et économe de la maison du Masdéu, baille à Ponç d’Urbanya, de Llugols, et à Guillem Pagà, chapelain de l’église de Sainte Marguerite de Nabilles, un cortal et une tenure de l’honneur du Temple situé aux Molleres de Martiach, dans le territoire de la villa d’Urbanya, moyennant 3 sous et 9 deniers de monnaie couronnée de Barcelone de cens annuel payable le jour de la Saint Michel de septembre (280).

Le contrat prévoyait en outre que les successeurs de Guillem Pagà investis de l’office de chapelain de l’église Sainte-Marguerite donnent au Masdéu 12 sous et 6 deniers de foriscape. Enfin, une clause réservait aux templiers la possibilité de mettre et de faire pâturer dans ce lieu le bétail de parceria quand ils le voudraient (281).

Dans leur portion des pâturages de Martiach, sur le versant oriental du Madres, les templiers avaient donc recours au contrat de parceria, « bail à cheptel, contracté devant un notaire, par lequel un bailleur confie un lot d’animaux à un preneur.
L’entretien est à la charge du preneur. Le bailleur reçoit annuellement et au terme du contrat une partie préalablement fixée du lot, du croît et des fruits » (282).
Cet acte est le seul que nous ayons retrouvé dans le chartrier du Masdéu à faire état de cette nouvelle forme de rente qui se développe précisément à cette époque dans les Pyrénées.

Nous manquons hélas de données quantitatives précises pour apprécier à sa juste mesure l’importance de l’activité pastorale déployée par les templiers du Masdéu (283).

Les faits évoqués précédemment indiquent que dans la seconde moitié du XIIIe siècle le cheptel de la commanderie du Masdéu devait avoir pris des proportions assez considérables. Un témoignage particulièrement éloquent de l’importance de l’élevage à cette période d’apogée démographique nous est fourni par une lettre des procureurs royaux adressée le 13 mai 1309 à Pere Roig, batlle de Prats, par laquelle ils lui notifient que le roi de Majorque a fixé à 3000 le nombre de têtes de bétail, hormis les agneaux agés de moins d’un an qui ne sont pas pris en compte, que les fermiers des pasquiers royaux de la Vall de Prats peuvent faire entrer dans les pâturages du Tech, et à 4000 celui qu’ils peuvent faire entrer dans les pâturages que le Temple a dans cette vallée (284).

Il convient d’observer que cette missive a été rédigée plus d’un an après l’arrestation des templiers du Roussillon. Ces derniers se trouvaient alors emprisonnés dans l’enceinte de la commanderie du Masdéu dans l’attente de leur interrogatoire par la commission diocésaine, qui eut lieu au mois de janvier 1310. Les pâturages templiers, auxquels les procureurs du roi de Majorque donnent ici le nom, inconnu par ailleurs, de Vyocoles, correspondent sans aucun doute aux vacants de la Comalada, situés sur le versant méridional du Canigou. Il s’agit de ce vaste espace pastoral localisé dans la montagne de Prats que le roi d’Aragon Jaume Ier avait concédé aux frères du Masdéu en 1245 (285).

Le plafond de 4000 bêtes adultes évoqué en 1309 nous donne une idée de la capacité maximale d’accueil - telle qu’elle était estimée à cette date - des pâturages dont les templiers avaient jusqu’alors loué l’usage aux comtes-rois. Cependant, comme le précise la dernière clause ajoutée in extremis à la suite de la formule de datation, la quantité notifiée au batlle royal de Prats ne tient pas compte du bétail de l’Ordre, dont on suppose qu’il était alors placé sous séquestre de l’administration royale. D’autre part, nous avons vu que les pasquiers du Haut Vallespir n’étaient pas les seuls à être utilisés par les frères du Masdéu dans les estives pyrénéennes. À considérer tous ces éléments, il ne semble pas exagéré d’envisager que, à l’instar des grands établissements religieux contemporains spécialisés dans l’élevage ovin et caprin, le cheptel déployé dans l’ensemble de la batllie du Masdéu ait pu approcher, voire excéder le chiffre de 1500 têtes.

Considéré au prisme des pièces conservées dans les chartriers d’établissements religieux ou de familles aristocratiques, autrement dit dans des archives organisées avec la finalité d’établir les droits sur la terre et les hommes, l’élevage apparaît comme une activité bien marginale. Cette particularité archivistique explique en grande partie pourquoi l’importance de ce secteur fondamental de l’économie régionale demeure très largement sous-estimée par l’historiographie (286).

Pourtant, quand ils sont conservés, les protocoles notariés de la seconde moitié du XIIIe siècle viennent heureusement corriger cette très préjudiciable anamorphose inhérente à la structure de la documentation médiévale. Les registres des notaires de Perpignan - dans une proportion nettement inférieure à ceux de Puigcerdà - recèlent des minutes très instructives se rapportant à l’élevage et au commerce du bétail. Les minutes
perpignanaises présentent notamment l’intérêt de mettre en lumière l’implication des bouchers de la ville dans ce domaine (287).

Ce sont les minutes des notaires perpignanais qui nous fournissent les rares témoignages documentés d’une implication directe des frères du Temple dans le commerce de bétail. On découvre ainsi Ramon de Fuilla de Conflent s’engager, en 1272, à donner à Sainte-Marie du Masdéu et à frère Pere de Camprodon, lieutenant du commandeur dans la baillie du Masdéu, trente bonnes brebis ou 124 sous, à sa convenance, avant la prochaine fête de la Saint-Michel de septembre (288).

La minute ne précise toutefois pas s’il s’agissait là d’une donation gratuite ou, plus vraisemblablement, du résultat d’une transaction de type parceria, dont les termes nous sont inconnus. Ce sont également les minutes d’un notaire public perpignanais qui nous ont conservé la vente déjà évoquée des 90 balles de laine produites au Mas de la Garrigue en 1277.

L’élevage de cochons dans les réserves templières n’est guère documenté. Seul le capbreu de 1264 fait directement allusion à cette activité. L’alinea consacré au Mas de la Garrigue rapporte en effet une dépense annuelle de 60 hémines d’orge pour le salaire et la nourriture des familiers et pour l’alimentation des porcs (289).

Par ailleurs, on sait que les religieux, à l’instar des autres seigneurs fonciers, exigeaient des censives en jambons de leurs hommes amansats (290).

Toujours grâce à l’inventaire de 1264, nous savons qu’à cette date les templiers recevaient annuellement 80 pernas et neuf porcs du mois de mars, dont sept dans la seule seigneurie de Terrats. Le même document nous informe sur le nombre de volailles que leur rapportaient les censives payées par les tenanciers : 364 poules, 50 oies et 115 oeufs.

On signalera pour finir la pratique répandue de l’élevage des pigeons dans les campagnes nord-catalanes où le colombier est une composante traditionnelle du paysage rural (291).

On peut évoquer par exemple cet acte du 25 juin 1148, par lequel Arnau de Nyls, son épouse Estefania, et leurs fils Guillem Jordà et Bernat de Sant Gil cèdent aux « chevaliers du Christ » un pigeonnier situé dans le territoire de Villemolaque, avec deux logements qui sont à l’intérieur de celui-ci (292).

On remarque également cet intéressant contrat passé suite à l’édification d’un colombier par un tenancier de Terrats. Le 26 juin 1274, frère Pere de Camprodon, lieutenant du commandeur de la maison du Masdéu, confirme à Ramon Celera la possession du pigeonnier, avec sa cour, que celui-ci a construit dans un champ qu’il tient pour le Temple dans la paroisse de Saint-Julien de Terrats, au lieu-dit al Camp de la Creu. Pour la partie du champ où se tient le pigeonnier, le tenancier devra désormais payer 1 obole de monnaie melgorienne de cens annuel le jour de Noël. Pour prix de cette concession, frère Perede Camprodon reconnaît avoir reçu 6 sous 3 deniers de monnaie couronnée de Barcelone (293).

On l’aura compris, l’élevage constituait une activité économique particulièrement importante au sein des campagnes des Pyrénées catalanes contrôlées par les templiers du Masdéu. Il constituait la principale activité de la grange templière du Mas de la Garrigue, en Roussillon, et vraisemblablement aussi des maisons secondaires de Corbons, Centernac et Prugnanes, en Fenolhedès. Comme l’ordre cistercien, l’ordre du Temple s’est spécialisé dans l’élevage des ovins et des caprins aux alentours des années 1170-1180 avec, sans doute, la finalité d’alimenter en viande, en cuir et en bonne laine les marchés perpignanais. Le développement de la politique pastorale des frères du Masdéu doit par conséquent être mis en relation avec la forte croissance économique et démographique que connaît la ville de Perpignan au cours de cette période.

Notes la seigneurie templière
167. Cet aspect de l’histoire des templiers roussillonnais a déjà donné lieu à d’importants développements, voir Laure VERDON, « Les templiers en Roussillon : formation et mise en valeur de leur patrimoine foncier », dans Les templiers en pays catalan, Perpignan, 1998, p. 39-57 ; Id., La terre et les hommes en Roussillon aux XIIe et XIIIe siècles : structures seigneuriales, rente et société d’après les sources templières. Aix-en-Provence, 2001, p. 28-42.
168. — Nous reviendrons plus en détail sur cette question dans la seconde partie de cette introduction consacrée à la présentation des sources.
169. — Pierre GÉRARD et Élisabeth MAGNOU (éd.), Cartulaires des Templiers de Douzens, Op. cit..
170. — Pour les premières ventes faites aux templiers voir les actes n° 24 (1141), 27 (1142) et 35 (1146).
171. — Pour les premiers exemples de l’emploi de ce vocabulaire subterfuge voir les actes n° 16 (1137), 25 (1141), 31 (1144), 41 (1148). La formule surgit encore épisodiquement sous la plume de scribes ruraux jusqu’aux alentours de 1240, actes n° 342 (1236), 407 (1242) et n° 432 (1244).
172. — Acte n° 25.
173. — Alain DEMURGER, Les Templiers..., p. 278.
174. — Sur ce processus de regroupement voir Laure VERDON, La terre et les hommes..., p. 36-42
175. — Le 21 décembre 1149, Guillem de Bages souscrit avec le titre de sacriste l’acte de consécration de l’église de Saint-Vincent de Baho, ADPO, 12J24, acte n°162.
176. — Acte n° 41.
177. — Actes n° 146, 423, 533. Cette masade avait aussi des dépendances dans les paroisses voisines de Sainte-Marie de Toulouges et de Sainte-Eugénie.
178. — Actes n° 228, 236.
179. — Acte n° XXVI.
180. — Acte n° XXIX.
181. — Acte n° 823.
182. — Acte n° 824.
183. — Les actes n° 71, 142, 149, 151, 202, 265, 316, 359 et 553 sont vraisemblablement les munimina, les titres de propriétés remis aux templiers par Bernat d’Oms. Comme de nombreuses chartes de cette nature, ces pièces rapportées ont été significativement extraites du fonds de la commanderie du Masdéu par l’archiviste Bernard ALART au XIXe siècle qui, par un processus inverse, les a utilisées pour reconstituer des petits chartriers seigneuriaux réunis dans les liasses de la série 1B des Archives départementales des Pyrénées-Orientales. La liasse regroupant les pièces de la famille d’Orle porte la cote 1B63.
184. — Acte n° 825.
185. — Arnau de Castelnou, maître du Temple en Catalogne et Aragon de mars 1267 à février 1278, était le fils du vicomte de Castelnou Guillem V et de Ramona de Creixell.
186. — « (...) quod unquam decetero aliquo tempore aliqui baiuli, vicarii, saiones vel alii officiales nostri vel nostrorum, non intrent vel intrare debeant aliqua castra, villas vel loca ad dictum Mansum Dei pertinentia, pro aliquibus injuriis vel debitis per comendatores, fratres vel homines dicti Mansi Dei vel castrorum, villarum et locorum ad ipsum Mansum Dei pertinentium factis seu contractis, compellendis, distringendis, pignorandis vel puniendis, nisi prius comendatores et homines predicti, infra decem dies continue numerandos post exponitam seu exponitas eis querelas, noluerint conquerentibus de ipsis justicie facere complementum », acte n° 536.
187. — Jaspert de Boutenac était le fils de Berenguer de Boutenac, aristocrate d’origine languedocienne ayant hérité de la seigneurie de Requesens, et de Saurina de Castelnou, fille du vicomte de Castelnou Guillem V. Il était par conséquent le neveu d’Arnau de Castelnou. Il suivit une formation de juriste à Bologne juste avant son élection à l’abbatiat de Girona, siège qu’il occupa de 1265 à 1272. Devenu sacriste de la cathédrale de Girona en 1273, il fut élu évêque de Valencia en décembre 1276 et assuma cette charge jusqu’à sa mort survenue le 3 avril 1288. Jaspert de Boutenac fut également un conseiller très apprécié du roi Pere III qui lui confia en 1284 une très délicate ambassade de paix auprès du roi de France Philippe III.
188. — Acte n° 847.
189. — Acte n° 887.
190. — Acte n° 908.
191. — Acte n° 901.
192. — « En 1139 y aurait été fondé une abbaye cistercienne par des moines issus de l’abbaye de l’Ardorel (Tarn) elle-même fille de Cadouin (Dordogne). Mais cette soeur roussillonnaise de Valmagne ne serait restée que neuf ans dans le giron de sa mère », Brigitte et Gilles DELLUC, « Que reste-t-il des abbayes-filles de Cadouin ? », Cadouin, 6e colloque, 1999, p. 61.
193. — Il est vraisemblablement fait allusion ici à des guerres privées opposant différents groupes aristocratiques dans un contexte d’affaiblissement de l’autorité des comtes-rois. Faute de sources, les protagonistes, les raisons et les circonstances de ces troubles qui affectèrent les comtés nord-catalans au cours des premières décennies du XIIIe siècle sont particulièrement difficile à cerner. On sait toutefois qu’au cours des années 1220 une guerre opposa Nunó, seigneur des comtés de Roussillon et de Cerdagne, à Guillem de Montcada, et qu’une autre opposa le comte d’Empúries au vicomte de Rocabertí.
194. — Acte n° 32.
195. — En 1747, à une petite distance des bornes qui servaient à fixer les limites de l’enclos du Masdéu, entre l’orient et le midi, on remarquait des vestiges et presque tous les fondements d’un ancien édifice portant le nom de Sant Salvador. Les vestiges de l’édifice ont disparu, mais le toponyme subsiste encore et figure sur la carte IGN, voir Joseph GIBRAT, « Note sur l’église de Saint-Sauveur de Sira (1212) », Revue Historique et Littéraire du diocèse de Perpignan, n° 11, novembre 1925, p.159-160.
196. — Le 1er octobre 1151, Arnau de Nyls vend au Temple une vigne située dans le communal de Segur, dans la paroisse de Sainte-Marie de Nyls, avec l’accord d’Arnau de Rocafort, de Ponç de Rocha et de « Guilelmi, presbiteri de Villa Mulacha, dispensatoris domus Sancti Salvatoris », acte n° 47.
197. — Acte n° 48.
198. — Dans une charte de déguerpissement de 1198, il est en effet question des frères et des soeurs de Sant Salvador : « (...) evacuamus domino Deo et domui Sancti Salvatoris et tibi Raymundo de Tulugiis, ministri ejusdem domus, et omnibus successoribus tuis, et omnibus fratribus et sororibus ejusdem domus (...) », voir l’acte n° 174.
199. — Acte n° 870.
200. — À titre comparatif, le prix des opulentes seigneuries de Millas et Torreilles vendues par le comte d’Empúries à l’infant de Majorque en 1271, s’élève respectivement à 40.000 et 30.000 sous de monnaie melgorienne, soit 50.000 et 37.500 sous de monnaie barcelonaise. Le taux de change que l’on peut établir d’après les chartes était alors de 5 deniers de Barcelone pour 4 derniers de Melgueil, ADPO, 1B51.
201. — Acte n° XXIX.
202. — Il ne subsiste curieusement aucun document se rapportant à cette domination.
203. — Acte n° XVII.
204. — Actes n° 111 et 112. L’assèchement des étangs de la plaine roussillonnaise a suscité l’intérêt de nombreux historiens : Jean-Auguste BRUTAILS, Etude sur la condition des populations rurales du Roussillon au Moyen Age, Paris, 1891, p. 2-5 ; Sylvie CAUCANAS, « Assèchements en Roussillon », Histoire et Archéologie des terres catalanes au Moyen Age, Presses Universitaires de Perpignan, 1995, p. 269-278 ; Robert VINAS, Els templers al Rosselló, Lleida, 2002, p. 61-67 ; Laure VERDON, La terre et les hommes ...., p. 106-108 ; Carole PUIG, Les campagnes roussillonnaises au Moyen-Age : dynamiques agricoles et paysagères entre le XIIe et la première moitié du XIVe, thèse de doctorat, Université de Toulouse-le-Mirail, avril 2003, vol. 2, p. 364-369 et 386-395. En Languedoc, les templiers acquièrent l’étang de Pézenas en 1157 et procèdent à son assèchement vers la fin du XIIe siècle ou au début du XIIIe, voir Jean-Loup ABBÉ, À la conquête des étangs, l’aménagement de l’espace en Languedoc méditerranéen (XIIe-XVe siècle), Toulouse, 2006, p. 97-98.
205. — Actes n° 118 à 122. Certains de ces assèchements furent temporaires. Les étangs situés dans la paroisse de Sainte-Marie de Nyls sont ainsi mentionnés en confront dans un acte du 25 septembre 1260 : Bernat Dalmau et son frère Arnau Dalmau, habitants de Nyls, prennent à labour pour une récolte annuelle de F. Celera de Villemolaque, habitant de Perpignan, quatre champs, dont deux se situaient en amont de l’étang de Sabadel et un autre en amont de l’étang Gros, ADPO, 3E1/1, fol. 5.
206. — Les templiers des commanderies de Saint-Gilles et d’Arles acquirent plusieurs salines dans le delta du Rhône, Damien CARRAZ, L’ordre du Temple..., p. 240.
207. — Acte n° 13. Berenguer de Guardia exerça la fonction de viguier des comtes de Roussillon de 1139 à 1174. Sur ce personnage comme sur l’histoire du sel voir Rodrigue TRÉTON, Sel et salines.., notamment p. 39-41.
208. — L’acte a été retranscrit vers 1290-1300 à la suite du noyau originel du cartulaire du Masdéu rédigé dix ans auparavant, mais nous n’avons pas les moyens de savoir si ce fait manifeste que ce droit était encore effectivement perçu à cette date, ou si, au contraire, il exprime la revendication d’un droit depuis longtemps oublié et dont le souvenir aurait été ressuscité à la faveur de l’exhumation du titre égaré dans l’imposant chartrier de l’institution.
209. — Acte n° 188.
210. — Acte n° 89. Il s’agit d’un mémoire non daté que sa forme et son contenu récapitulatif apparentent aux censiers ou capbreus. Assez curieusement, on ne retrouve aucune trace du testament de Gausbert de Pézilla parmi les nombreuses pièces du dossier relatif à la seigneurie de Saint-Hippolyte compilées dans le cartulaire du Masdéu, pas plus d’ailleurs que de dispositions postérieures se rapportant à son exécution. Ces salines se situaient au nord du castrum, à proximité du lieu-dit Conangle désignant l’estuaire de l’Agly, qui se jetait alors dans l’étang de Salses-Leucate, sur ce point voir Rémi MARICHAL, Isabelle REBE et Rodrigue TRÉTON, « La transformation du milieu géomorphologique de la plaine du Roussillon et ses conséquences sur son occupation. Premiers résultats », dans La dynamique des paysages protohistoriques, antiques, médiévaux et modernes, Actes des XVIIe rencontre internationales d’archéologie et d’histoire d’Antibes, 19-21 octobre 1996, Sophia Antipolis, 1997, p.271-284.
211. — Dont témoigne la souscription de frère Cabot, s’intitulant commandeur de Saint-Hippolyte, voir l’acte n° XIII.
212. — A Saint-Laurent de la Salanque, vingt-neuf tenanciers reconnaissent tenir des salines pour le roi de Majorque en 1292. Chacun devait verser à un seigneur-roi particulièrement exigeant le tiers de tout le sel récolté, Rodrigue TRÉTON, Sel et salines..., p. 58.
213. — Acte n° XXIX.
214. — Actes n° 906 et XLVIII.
215. — L’origine de cette seigneurie indivise des deux ordres militaires remontait probablement au legs effectué un siècle auparavant par Gausbert de Pézilla.
216. — Une donation du comte Girard II en faveur des cisterciens du monastère de Fontfroide nous apprend par contre que ces religieux tiraient profit de la pêche en mer. Le 14 mars 1166, le comte de Roussillon concède à Vidal, abbé, et aux moines de Sainte-Marie de Fontfroide, la faculté d’avoir des pêcheurs en mer, de transporter des vivres par mer, le tout sans payer de redevance, BnF, coll. Doat, vol. 59, fol. 47-49.
217. — John Alan FOREY, The templars in the Corona of Aragón, p. 239.
218. — Acte n° XXIX.
219. — Le 6 janvier 1203, le roi d’Aragon, Pere II, vend pour 10000 sous barcelonais à l’abbé Bernat et aux moines de Sainte-Marie de Fontfroide sa villa d’Escaro située dans le comté de Conflent, avec les terres dominicales, les hommes, femmes, cens, agriers, corvées, usages, quêtes, réquisitions, droits d’usages, arbres, droits de boisage, bois, prés, pâturages, rives, droits d’herbages, monetatge, bovatge, droits sur les fromages d’estive, droits de dépaissance, avec toutes prérogatives seigneuriales et l’entière juridiction, ainsi que toutes les mines et minerais d’or, d’argent, de cuivre, de fer où autres métaux, et tous les trésors, découverts et à découvrir ; avec la haute justice sur les meurtres commis sur le territoire de cette villa ; à la réserve toutefois de la juridiction sur les hommes étrangers qui séjourneraient à Escaro en raison de l’exploitation des mines, ADPO, 1B8. Sur l’activité métallurgique des Cisterciens voir Robert FOSSIER « L’activité métallurgique d’une abbaye cistercienne : Clairvaux », Revue d’histoire de la sidérurgie, II, 1961, p. 7-14 ; Charles HIGOUNET, « Essai sur les granges cisterciennes », dans L’économie cistercienne. Géographie, mutations : du Moyen Age aux temps modernes, (Actes des troisièmes journées internationales d’Histoire de l’abbaye de Flaran 3, 16-18 septembre 1981), Auch, 1983, p. 175-176.
220. — Pere de Llauro apparaît dans deux actes, l’un de 1197 et l’autre de 1224, Marca Hispanica, app. CCCCLXXXIX et ADPO, 3J369.
221. — On ne sait si les chaufourniers s’approvisionnaient en calcaire sur place où s’ils faisaient venir celui-ci des gisements voisins de Calmeilles ou du Col de Fortou, où l’on retrouve significativement le toponyme La Calcina.
222. — Acte n° 322.
223. — Sur les abbayes cisterciennes et leur implication dans l’élevage à l’est les Pyrénées voir Agustí ALTISENT, Diplomatari de Santa Maria de Poblet, t. I : Anys 960-1177, Barcelone, 1993 ; F. UDINA I MARTORELL, (éd.), El « Llibre Blanc » de Santes Creus (cartulario del siglo XII), Barcelone, 1947 ; Manuel RIU, Formacion de las zonas de pastos veraniegos del monasterio de Santes Creus en el Pirineo durante el siglo XII », Boletin del archivo bibliogràfico, 14 (1961), p. 137-153 ; François GRÈZES-RUEFF, « L’abbaye de Fontfroide et son domaine foncier au XIIe-XIIIe siècles», Annales du Midi, t. XXXIX, n° 133, Toulouse, 1977, p. 253-280 ; Christine RENDU, La montagne d’Enveig. Une estive pyrénéenne sur la longue durée, Perpignan, 2003, p. 437-444.
224. — Établis dans les vallées ou sur les contreforts de la montagne du Canigou, les monastères de Sainte-Marie d’Arles, de Saint-Michel de Cuxà ou de Saint-Martin du Canigou disposaient d’importants troupeaux dont on ne peut malheureusement apprécier l’importance. Un mémoire particulièrement édifiant rédigé du temps de l’abbé de Saint-Martin du Canigou Pere d’Espira (1212-1230) décrit les nombreuses exactions en tous genres commises par un bandit de la pire espèce, originaire du lieu de Vernet en Conflent, à l’encontre des troupeaux et des gens de ce monastère. On apprend ainsi qu’en dépit de ses promesses, le brigand récidiviste, nommé Ponç de Vernet (à ne pas confondre avec le grand seigneur roussillonnais du même nom), pilla plusieurs cortals situés dans les pâturages de Conflent, Capcir et Cerdagne, y dérobant tout ce qu’il y trouvait : bétail, fromage, vêtements, rançonnant les pasteurs et les habitants des petites communautés montagnardes. Le bétail dérobé était constitué de boeufs, de porcs et surtout de moutons. Il s’empara ainsi une fois de 150 têtes qui estivaient dans les cortals d’Err en Cerdagne, et une autre fois, à Vernet, il vola plus de 600 têtes appartenant au moines de Saint-Martin de Canigou, voir D.M.J. HENRY, Histoire de Roussillon, t. I, (1835) Preuves, n° III, p. 498 ; Charles-Emmanuel BROUSSE, « Une grande erreur de la petite histoire », Études Roussillonnaises, 4 (1952), p. 235-236. Pour une histoire de l’expansion patrimoniale du monastère de Saint-Michel de Cuxà voir Ramon d’ABADAL I DE VINYALS, « Com neix i com creix un gran monestir pirinenc abans de l’any mil : Eixalade-Cuixà », Analecta Montserratensia, 8, 1954-1955, p. 125-337 ; Pierre PONSICH, «Le domaine foncier de Saint-Michel de Cuxa aux IXe, Xe et XIe siècles», Études roussillonnaises, 1-2 (1952), p. 67-100.
225. — Lluís BASSEDA, Toponymie Historique de Catalunya nord, Prades, 1990, p. 127.
226. — Aline DURAND, Les paysages médiévaux du Languedoc (Xe-XIIe siècles), Toulouse, PUM (coll. Tempus), 1998, p. 360.
227. — BnF, coll. Doat, vol. 70, fol. 260 et vol. 59, fol. 96-98. Comme nous le verrons plus loin, l’établissement de ces granges dans la plaine doit être mis en relation avec la mise en place d’un vaste dispositif de transhumance par les Cisterciens qui se spécialisent alors dans un élevage spéculatif. En 1177, Ermessenda de Millas, du consentement de Pere de Domanova son mari, avait concédé au monastère de Fontfroide la faculté de faire paître son troupeau dans les pâturages de Tautavel, non loin de Vespeilles, Archives départementales de l’Aude, H 211, fol. 104.
228. — Le prieuré du Mas de la Garrigue et les granges de Vespeilles et de Mudagons ont été établis sur des terres données aux cisterciens par Ermengau II de Vernet (1146 - + 1196). Ce personnage, qui fut également un bienfaiteur des templiers, était l’un des plus puissants seigneurs roussillonnais. Sa domination s’étendait sur toute la partie septentrionale du comté de Roussillon, où il détenait en tout ou en partie les seigneuries de Vernet, Millas, Tautavel, Vingrau, Salses, Garrieux, Saint-Hippolyte, Torreilles et Ortolanes.
229. — En 1301, plusieurs témoins interrogés à propos des limites du comté de Roussillon et de la vicomté de Narbonne évoquent les troupeaux de moutons, de chèvres ou de vaches que les éleveurs des environs, et notamment ceux de Saint-Laurent de la Salanque, menaient paître dans les herbages qu’ils louaient aux seigneurs de l’île de Leucate, Archives nationales de France, J893, n° 27.
230. — Dans la basse vallée du Rhône, autour des commanderies d’Arles et de Saint-Gilles, les contre-dons en laine remis par les templiers semblent indiquer que ceux-ci avaient développé cette activité quasiment dès leur installation, soit autour de 1140, voir Damien CARRAZ, L’ordre du Temple..., p. 236. On ne trouve aucune trace de cette pratique dans les chartes de la commanderie du Masdéu.
231. — Marie-Claude GERBET, « Les Ordres Militaires et l’élevage dans l’Espagne médiévale », dans Miguel Angel LADERO QUESAFA, (coord.), Estudios en memoria del profesor don Claudio Sánchez-Albornoz, coll. « La España Medieval », t. V, Madrid, 1986, vol.1, p. 440 ; Philippe JOSSERAND, Église et pouvoir dans la Péninsule Ibérique. Les ordres militaires dans le royaume de Castille (1252-1369), Casa de Velázquez, Madrid, 2004, p. 369-370.
232. — Marie-Claude GERBET, « Les Ordres Militaires et l’élevage...», p. 430-434.
233. — Acte n° I : « (...) ad defensione occidentalem Ecclesiam que est in Hispaniis, ad deprimendam et debellandam et expellendam gentem Maurorum, ad exaltandam sancte Christianitatis fidem et religionem, ad exemplum milicie Templi Salamonis in Jherusalem, que orientalem defendit Ecclesiam in subjectione et obediencia illius, secundum regulam et ejusdem milicie instituta beate obediencie miliciam constituere decrevi (...) »
234. — John Alan FOREY, The templars..., p. 22-24 ; Josep Maria SANS i TRAVÉ, Els templers catalans..., p. 90-94.
235. — Marquis d’ALBON, Cartulaire général de I’ordre du Temple..., n° LXXI, p. 55-56. Sur cette constitution voir Josep Maria SANS I TRAVÉ, Els templers catalans..., p.85-87.
236. — Gener GONZALVO I BOU (éd.), Les constitucions de Pau i Treva de Catalunya (segles XI-XIII), col. Textos jurídics catalans, Lleis i costums, 2/3. Barcelona, 1994, doc 14 et 15, art. V : « Immunitates quoque Templi et Hospitalis Iherosolimitani necnon et aliorum locorum venerabilium, set in ipsos venerabiles fratres Templi et Hospitalis, et aliorum locorum venerabilium, cum omnibus rebus suis, sub eadem pacis deffensione et interminacione, pariter cum clericis et ecclesiis constituo. » Pour la réhabilitation historiographique de la paix et trêve de Perpignan comme une réactivation des statuts de Toulouges (1062-1066) et pour la démonstration logique de son antériorité par rapport à celle de Fondarella (Fontaldara), voir Thomas N. BISSON, « Une paix peu connue pour le Roussillon (A. D. 1173) », dans Droit privé et institutions régionales : Etudes historiques offertes à Jean Yver, Paris, 1976, p. 69-76.
237. — Sur les possibles origines auvergnates de la Paix de Dieu voir Christian LAURANSON-ROSAZ, « La Paix populaire dans les Montagnes d’Auvergne », Maisons de Dieu et hommes d’Église, Saint-Étienne, CERCOR, 1992, p.289-333.
238. — Gener GONZALVO I BOU, Les constitucions de Pau i Treva de Catalunya..., p. XXIV-XXV.
239. — L’exemple le plus spectaculaire à cet égard est certainement celui du fils du comte d’Urgell, le futur Ermengol VIII, contraint le 6 juillet 1184 de payer 1000 morabatins en compensation des 2000 brebis volées à la commanderie de Gardeny : «(...) et sunt apreciate due oves de illis, unum morabetinum », Ramon SAROBE i HUESCA, Col.lecció diplomàtica de la Casa del Temple de Gardeny (1070-1200), vol. II, Barcelona, Fundació Noguera, 1998, doc. n° 452. En 1201, les évêques de Saragosse et de Tarazona sont chargés d’enquêter sur une plainte déposée par des templiers pour le vol de 1000 brebis et chèvres, John Alan FOREY, The templars..., p. 238.
240. — Acte n° 208.
241. — Acte n° 327.
242. — C’est également le cas en Provence, voir Damien CARRAZ, L’ordre du Temple..., p. 235-237.
243. — Acte n° 14.
244. — Acte n° 87.
245. — Le 7 août 1201, en contrepartie de sa renonciation à un domaine situé dans la paroisse de Palau [del Vidre], les templiers remettent à Ponç Bernat de Vilaclara 600 sous de monnaie barcelonaise, un poulain âgé d’un an et un fief constitué de trois rompudes (terres nouvellement défrichées), acte n° 185. Le cheval peut également être utilisé comme moyen de paiement à l’occasion d’une vente : en 1161, Arnau de Bages et les siens vendent aux frères du Masdéu trois parcelles de terre situées à Bages et à Brouilla moyennant un cheval d’une valeur de 150 sous de monnaie roussillonnaise, acte n° 67.
246. — Un article particulièrement stimulant a récemment mis en lumière l’importance de la Catalogne et du comté de Roussillon en tant que centre de production équine à la fin du Moyen Âge : Anthony PINTO, « Le commerce des chevaux et des mules entre la France et les pays catalans (XIVe-XVe siècle) », Histoire & Sociétés Rurales, volume 23 (2005/1), p. 117-136.
247. — C’était le cas de leurs coreligionnaires établis dans le Larzac, voir Antoine-Régis CARCENAC, Les templiers du Larzac, Nîmes, 1994, p.131-139.
248. — Acte n° 161.
249. — Acte n° 118.
250. — Actes n° 128 et 140.
251. — « Petro Porcelli, commandatori Manso de Garriga », acte n° 169. Il convient de bien distinguer la maison templière du Mas de la Garrigue, implantée au sud de la paroisse de Saint-Jean de Perpignan, du prieuré cistercien éponyme fondé par l’abbaye de Sainte-Marie de Villelongue dans la paroisse de Saint-Martin de Tura, entre Rivesaltes et Salses. À la fin du Moyen Âge, afin de ne pas confondre ces deux établissements, les notaires et les greffiers des administrations publiques prirent l’habitude de les distinguer en leur affectant un épithète correspondant au nom de la rivière dont elles étaient respectivement riveraines. C’est ainsi que l’ancienne commanderie templière, devenue hospitalière en 1315, fut appelée Mas de la Garrigue sur Reart, tandis que la grange cistercienne prit le nom de Mas de la Garrigue sur l’Agly.
252. — Acte n° 62.
253. — Actes n° 45, 50, 58.
254. — Un mémoire en forme de plainte présenté vers 1306 aux rois de Majorque et d’Aragon précise également que la tonte de la laine avait lieu au mois de mai, voir Gui ROMESTAN, « Draperie roussillonnaise et draperie languedocienne dans la première moitié du XIVe siècle », dans XLIIe congrès de la Fédération historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon, Montpellier, 1970, p. 36.
255. — Acte n° XLII.
256. — Acte n° XXIX. Le capbreu de 1264 ne décrit que la partie agricole de cette maison templière qui était alors constituée de 27 champs et vignes exploités en faire-valoir direct. Malheureusement, l’inventaire ne contient aucune indication sur le saltus, autrement dit les garrigues et les bois qui, aux abords du Reart, constituaient le reste du domaine du Mas de la Garrigue.
257. — Acte n° 26.
258. — J. F. NIERMEYER, Mediae Latinitatis Lexicon Minus, abrevationes et index fontium, Leiden, 1976, (réed. 1993), p. 470, s. v. glandaticus.
259. — Acte n° 722.
260. — Actes n° 92 et 93. Les templiers y avaient déjà bénéficié d’une donation du vicomte de Tatzó, Bernat Berenguer, en 1136, acte n° 15.
261. — Bernat II, abbé de Saint-Michel de Cuxà : 1181-1188.
262. — Berenguer d’Avinyó, maître de la milice du Temple en Provence et Espagne : avril 1181-mars 1183.
263. — Ramon de Canet, commandeur du Masdéu : 1165-1168, 1172-1181, janv. 1191.
264. — Acte n° 531.
265. — Le cortal désignait originellement un enclos, généralement délimité par un mur de pierres sèches, dans lequel on parquait le bétail pendant la nuit. On trouve mention de cortals couverts dans les pasquiers de Prats de Mollo en 1305, il s’agit donc dans ce cas de véritables bergeries, ADPO, 1B375, fol. 43v. Ce regroupement nocturne destiné à protéger le cheptel d’éventuels prédateurs avait également l’intérêt de faciliter la récolte du fumier, ce précieux engrais naturel, comme l’atteste cette clause d’un contrat emphytéotique passé le 19 février 1284, par lequel le seigneur Bernat de Montesquieu concède à un habitant de Perpignan tous les pâturages du territoire du castrum de Saint-Estève et de Saint-Mamet : « (...) et quod omnem fimum quod feceritis in dictis cortalibus et infra dictos terminos per totum tempus dicti accapiti possitis inde abstrahere et de ipso facere omnes vestras voluntates », ADPO, 3E1/14, fol. 4. On trouve un essai de répertoire des lieux-dits formés avec ce vocable et un relevé de ses plus anciennes mentions dans les documents nord-catalans dans Annie de POUS, « Matériaux pour servir à l’étude de l’architecture de pierres sèches et les grandes voies de transhumance », Conflent, n°41 (1967), p. 223-225. Un article récent consacré à la fonction du cortal au sein des espaces communautaires pyrénéens éclaire les différentes réalités économiques et sociales recouvertes par ce vocable, voir Elisabeth BILLE, Marc CONESA et Roland VIADER, « L’appropriation des espaces communautaires dans l’est des Pyrénées médiévales et modernes : enquête sur les cortals », Actes du colloque de Clermont-Ferrand (mars 2004), Les Espaces collectifs dans les campagnes, XIe-XXIe siècle, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2007, p. 177-194.
266. — Le capbreu de 1264 nous apprend que les templiers tiraient également des revenus de deux bordes situées sur le versant occidental de cette montagne, dans la paroisse de Villeneuve de Capcir, acte n° XXIX.
267. — Le 13 septembre 1175, Guillem Bernat de Paracols, son épouse Blanca, et sa soeur Berenguera donnent au monastère de Santa Maria de Poblet et à l’abbé Hug tous les ports, pâturages, bocages et eaux qu’ils ont dans la vallée de Maurà, à Subira, Roda et Angoustrine, de sorte que le bétail de l’abbaye pourra y paître librement sans payer aucun droit, et ils prennent ces troupeaux sous leur garde. Les 14 et 15 septembre suivant, ce sont les seigneurs Pere de Domanova et son épouse Ermessen de Millas, et Ramon d’Enveig qui, à leur tour, vendent au monastère catalan leur part de ces mêmes pâturages, avec réserve des droits d’usage des habitants d’Angoustrine et d’Enveig, B. ALART, Privilèges et titres..., p. 58-59. En octobre 1176, à Digne, le roi Alfons II concède au monastère de Santa Maria de Poblet les pâturages du port de Peguera, que les moines avaient achetés aux chevaliers Pere de Berga et Guillem de Berguedà, ainsi que les ports de Roda, Lanos et de la Vall de Mérens en amont d’Angoustrine, qu’ils avaient achetés à Pere de Domanova, Guillem Bernat de Paracols et aux seigneurs de Lanos, AHN, Clero, carp. 2025, n° 5. En 1178-1179, c’est au tour de l’abbaye de Santes Creus d’acquérir auprès des mêmes seigneurs de Cerdagne les calms et pacages du Lanos et du Carlit, B. ALART, Privilèges et titres..., p. 63-64.
268. — C’est par exemple le cas de Perpignan, Antoni RIERA I MELIS, « Perpinyà, 1025-1285, crecimiento económico, diversificacíon social y expansión urbana », dans David ABULAFIA et Blanca GARÍ (dir.), En las costas de Mediterraneo occidental. Las ciudades de la Peninsula Iberica y el reino de Mallorca y el comercio mediterráneo en la Edad Media, Barcelona, 1997, p. 8-9.
269. — Bernard DAVASSE, Didier GALOP et Christine RENDU, « Paysages du Néolithique à nos jours dans les Pyrénées de l’Est d’après l’écologie historique et l’archéologie pastorale », dans La dynamique des paysages protohistoriques, antiques, médiévaux et modernes, Actes des XVIIe rencontre internationales d’archéologie et d’histoire d’Antibes, 19-21 octobre 1996, Sophia Antipolis, 1997, p. 592-594 ; Christine RENDU, La montagne d’Enveig. Une estive pyrénéenne..., p. 434-437.
270. — « Ildefonsus, Dei gracia rex Aragonum, comes Barchinone et marchio Provincie, fratribus Milicie et omnibus ad quoscumque hec iste pervenerint, salutem. Notum sit vobis nos confirmasse et donasse imperpetuum domino Deo et Sancte Marie Fonte Frigidi Rojanum, quod est combam de Pausa Guilelmi usque in Campum magnum, sicut Arnaldus Joffredi eidem monasterio et fratribus donavit pro salute anime sue. Mandamus igitur ne aliquis ausus sit aliquid ibi facere contra voluntatem fratrum illorum [quem] totos ipsos pasturales deffendimus et contradicimus omni persona, tam layce quam ecclesiastice, exceptis fratribus predictis qui ut supradictum est nostra donacione et A. Joffredi adquisierit. Teste Cesarauguste episcopo et Artallo apud Cesarauguste », copie du 28 juillet 1421, Registre 22 de la Procuration Royale, ADPO, 1B219, fol. 120v. La date de la donation d’Arnau Joffre de Llers à Fontfroide nous est connue par une analyse effectuée en 1595 par le notaire Francesc Puignau, ADPO, 3E3/699, fol. 87. Alfons II avait lui-même concédé les pasquiers de Rojà, situés sur la commune de Py en Conflent, au monastère de Fontfroide le 1er juin 1177 ; et avait aussitôt ordonné au batlle de Prats de ne laisser passer aucun troupeau dans ces pâturages sans l’accord des cisterciens. À deux reprises, aux mois d’août et de septembre 1182, Alfons II confirme à l’abbaye de Fontfroide la donation faite en 1154 par Arnau de Llers, père d’Arnau Joffre, de la Costa de Garavera, autre grand espace pastoral situé au sud des pasquiers de Rojà.
271. — La pratique de la transhumance dans les comtés nord-catalans à l’époque médiévale n’a pas encore fait l’objet d’une étude de synthèse. Une approche essentiellement basée sur l’archéologique et la lexicographique a été entreprise par Annie DE POUS à travers l’étude et le recensement des aménagements et constructions en pierres sèches liés à l’activité pastorale : DE POUS, Annie, « L’architecture de pierres sèches et les grands chemins de transhumance pyrénéens », Conflent, n° 20 (1964), p. 55-58; n° 21 (1964), p. 103-114 ; n° 30 (1965), p. 251-256 ; Id. « Matériaux pour servir à l’Etude de l’Architecture de pierres sèches et les grandes voies de transhumance », Conflent, n°41 (1967), p. 212-225. On trouve une très bonne synthèse relative à cette pratique dans le Languedoc voisin dans Aline DURAND, Les paysages médiévaux du Languedoc (Xe-XIIe siècles), Toulouse, 1998, p. 362-364. Cet auteur y explique l’essor de la transhumance aux Xe-XIIe siècle par une conjonction de facteurs climatiques et anthropiques ayant entraîné une raréfaction des possibilités de pâturage en plaine et dans les moyennes vallées fluviatiles : temps plus doux et plus aride, raréfaction des boisements mésophiles en relation avec l’extension des zones de culture. Ce changement est notamment marqué par un élargissement du rayon de migration qui était limité à une vingtaine de kilomètres à l’époque carolingienne pour les troupeaux des abbayes bénédictines d’Aniane et de Gélone.
272. — Bernat, comte de Besalú, assisté du vicomte de Castelnou et de nombreux seigneurs, y juge une grave querelle opposant l’abbé d’Arles, Gitard, au seigneur de Corsavy, Ramon Matfré. Ce dernier reconnaît ses torts et renonce aux nombreuses réquisitions forcées qu’il avait extorquées sur les biens de l’église Saint-Martin de Corsavy ainsi que dans les quarante-trois celliers situés dans son cimetière, sur les dîmes, prémices et offrandes des fidèles, sur les dîmes des vaches et des ovins de l’abbaye qui se rendaient dans ses pâturages depuis le Vallespir et le Roussillon, sur les droits de pacages et sur bien d’autres choses encore : « (...) de decimis de suis vaccis et suis ovibus quae veniunt ad ipsas calmas de Valle Asperi et de Rossilione », Marca Hispanica, app. CCCIV.
273. — « Et dono vobis medietatem de paschuariis de omnibus ovibus que ascendunt ad paschua, de Terranera ubique usque ad Fromigeriam ». ADPO, 1B350, fol. 36 ; B. ALART, Cartulaire roussillonnais, Sem. rel., 1884, n° CI, p. 516.
274. — « (...) relinquo agnos videlicet quos bajuli mei vi abstulerant in Villafrancha redeuntibus ovibus de Rossillo ; (...) pascua ovium de Rossello que ibi venient stare in estate, et penturage de ovibus beate Marie et de aliis ibidem venientibus et de una quaque scilicet pentura quinque caseos », voir Cebrià BARAUT, « Els documents, desl anys 1101-1150, de l’arxiu Capitular de la Seu d’Urgell », Urgellia: Anuari d’estudis histórics dels antics comtats de Cerdanya, Urgell i Pallars, d’Andorra i la Vall d’Aran, n° 9, 1988-1989, doc. n° 1410, d’après Archives capitulaires de la Seu d’Urgell, n° 897.
275. — « (...) unum cortalem cum suo pascherio ad officium caprarum sive ovium cabanee domus predicte. »
276. — Acte n° 322.
277. — Un document de 1520 précise les grandes étapes de cet itinéraire au départ de Pollestres, soit à proximité du Masdéu et du Mas de la Garrigue : « Les troupeaux de monsieur de Vallgornera sont partis de Pollestres, sont allés sur Terrats et de là au Col de Prunet (comm. de Prunet et Belpuig), ensuite au Col de Porta (où se dresse encore la tour de Batera, commune de Corsavy), ensuite au Pla de Rode (commune de Corsavy), ensuite à la Comelade (commune de Prats de Mollo), ensuite a les Estables (commune de Prats de Mollo), ensuite à la devèse de la Roja (commune de Py) », ADPO, 1B422.
278. — Acte n° XVIII. Après la suppression de l’ordre du Temple, ces pâturages intégrèrent le patrimoine de l’ordre de l’Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem qui en conserva la seigneurie jusqu’à la confiscation des biens ecclésiastiques en 1792. Devenue bien national, la « terre dite los pasquiers de dalt nommée Comalade », située dans la commune de Prats de Mollo (commune du Tech depuis 1862) et « provenant de l’ordre de Malte », fit l’objet d’une estimation le 20 juillet 1806, ADPO, 1Qp. Nous devons ces renseignements à l’amabilité de M. Serge Roca, agent des ADPO, que nous tenons à remercier ici.
279. — On relève au milieu du XIIIe siècle quelques mentions d’un frère intitulé « custos cabane ovium domus Mansi Dei », ou plus simplement « custodis ovium », actes n° 512, 569, 646.
280. — Il s’agit de l’honneur qui avait été donné à la milice du Temple par Guillem Bernat de Paracols et son épouse Blanca le 16 juin 1186, acte n° 130
281. — « (...) salvo etiam et retento quod dicta domus Mansi (Dei) possit in predictis que vobis damus immitere et depascere et tenere bestiarium ipsius de parceria sua quandocumque sibi placuerit », acte n° 929.
282. — Marc CONESA et alii, « Essai de modélisation d’une source notariale. Les contrats de parcerias et leur dynamiques (Cerdagne, Pyrénées de l’est, XIIIe-XVIIIe siècle) », RTP MoDyS Rencontre de Doctorants (Lyon, 8 et 9 novembre 2006), http://isa.univ-tours.fr/modys/download/rd06_conesa.pdf, 2007, p. 94 ; Christine RENDU, La montagne d’Enveig. Une estive pyrénéenne dans la longue durée, Canet, 2003, p. 447. La parceria nordcatalane équivaut à la gasailhe occitane, voir par exemple Jean Jacques MELIET, Philippe ROUCH, « La "gazailhe", indicateur socio-économique en region d’élevage : l’exemple de la Ballongue », Annales du Midi, n° 165 (1984), p. 5-30.
283. — Les auteurs qui se sont penché sur la question de l’élevage dans le cadre des maisons templières déplorent tous la rareté des données quantitatives, ainsi Marie-Claude GERBET, « Les Ordres Militaires et l’élevage...», p. 436 ; Damien CARRAZ, L’ordre du Temple..., p. 236. J’ai déjà évoqué précédemment l’affaire des 2000 brebis dérobées à la commanderie de Gardeny par le comte d’Urgell. Dans les maîtrises méridionales, les précieux inventaires de commanderies rédigés dans les dernières décennies de l’existence de l’ordre du Temple fournissent des indications plus précises. Ainsi, en 1289, la commanderie de Miravet disposait d’un cheptel constitué de 1380 ovins et caprins, 35 vaches, 29 boeufs ainsi que des mules, chevaux et roncins ; celle de Monzón possédait 1061 ovins et caprins et 182 porcs ; celle de Cantavieja, 400 brebis, 41 béliers, 211 moutons et 340 chèvres et celle d’Horta, 1060 chèvres, voir Joaquim MIRET i SANS, « Inventaris de les cases del Temple de la Corona d’Aragó en 1289 », BRABLB, VI (1911), p. 66-69. Un inventaire des possessions de la maison de Peniscola en 1301 fait état de 700 brebis, 50 béliers, 106 moutons et 200 chèvres, voir John Alan FOREY, The templars..., p. 238. En 1308, le cheptel de la commanderie de Sainte-Eulalie du Larzac comprenait 1725 ovins, 160 caprins, 120 bovins et 24 porcins, voir Arlette HIGOUNET-NADAL, « L’inventaire des biens de la commanderie du Temple de Sainte-Eulalie du Larzac en 1308 », Annales du Midi, Langue et littérature d’oc et histoire médiévale 1889-1989, Toulouse 1989, p. 254 ; Antoine-Régis CARCENAC, « L’élevage dans le Rouergue méridional au temps des Templiers », Annales du Midi, t. 104, n° 195 (1991), p. 293-306. Le cheptel des plus importantes commanderies rurales avoisinaient donc les 1500 têtes. Dans le domaine de l’élevage, les templiers n’avait donc pas à rougir de la comparaison avec les cisterciens, puisque les inventaires établis à l’occasion de la visite de l’abbé de Fontfroide en 1316 mentionnent que la puissante abbaye de Poblet possédait 2215 brebis, 1500 chèvres, 172 porcs, 40 chevaux et 111 boeufs, voir François GRÈZES-RUEFF, « L’abbaye de Fontfroide et son domaine foncier au XIIe-XIIIe siècles », Annales du Midi, t. XXXIX, n° 133, Toulouse, 1977, p. 277. Plus à l’ouest, les abbayes cisterciennes nord-pyrénéennes de Boulbonne (en 1189) et de Bonnefont (en 1233) ont des troupeaux à peu près similaires, soit respectivement de 1500 et 1400 têtes, voir Bernardette BARRIÈRE, « L’économie cistercienne dans le sud-ouest de la France », dans L’économie cistercienne. Géographie-Mutations du Moyen Âge aux Temps Modernes, Flaran 3 (1981), Auch, 1983, p. 83.
284. — « De nos en P. de Bardol en P. Matfre, procuradors del mout aut senyor rey de Mayorches, al amat en Ramon Reig, batle de Prats, saluts. Fem vos saber qu’en G. Sala es vengut davant nos e a soplegat al senyor rey que fos sa merce que cantitat sabuda deges entrar en la pastura del Tec per so quels homes de la dita Val no sien grenyats (sic pro greujats) per aquels qui an comprada la dita pastura de nos ; per que us dien de part del dit senyor rey que nos quels digats que els no y deien metre cor MMM besties de maiors, menis dels ayels, los quals ayels entenem que sien ab las mares ; e [d’a(n)y..] diem vos que puscats pendre sagrament dels pastors per so que siatz serts si ni aura mes oltre la cantitat ; e[ncara] mes vos diem que nos que venem las pastura quel Temple a en la Val de Prats, que a nom a Vyocoles, en laqual deu metre qua tre milia besties meyns dels ayels, los quals entenem ab lurs mares, e si ni avia mes dels nombres damont dit fets los ne gitar. Dat a Perpenya dimarts a tretze dies de maig en l’ayn de mil i tresens nou, e en aquest bestiar no entenem aquels del Temple », copie clause et validée le 12 juin 1355 par Eximen Martí, notaire public de la ville et de la vall de Prats, ADPO, Llibre Vert de Prats, fol. 32.
285. — Acte n° XVIII.
286. — Il suffit de lire les paragraphes faméliques consacrés à la question dans une sous-partie de la récente thèse de doctorat de Carole Puig, significativement intitulée : « Peux-t-on parler d’un élevage d’ovins et de caprins ? », pour se convaincre des errements que ce vide documentaire est susceptible de causer en matière d’interprétation historique, voir Carole PUIG, Les campagnes roussillonnaises..., p. 429-431.
287. — On citera par exemple ce contrat passé le 30 décembre 1283 par lequel, moyennant le prix de 11 sous 3 deniers de Barcelone, Guillem de Garrieux, habitant de Perpignan, vend à F(errer) Servarie, boucher, le droit de dépaissance d’un bosquet situé dans les territoires de Malloles et de Saint-Assiscle, sur la rive droite de la Têt, pour une durée de trois ans. Il y est notamment stipulé que le preneur pourra y mettre 200 moutons chaque année de la fête de la Toussaint jusqu’à la mi-mars, ADPO, 3E1/12, fol. 37v. Mais le rayon d’activité des professionnels chargés d’assurer l’approvisionnement en viande de la capitale du Roussillon ne se cantonnait pas uniquement à la proche banlieue de cette ville, comme le montre ce contrat de parceria du 19 mai 1286, par lequel Pere de So habitant du lieu d’Anglars dans la paroisse de Saint-Romain de Real, en Capcir, reconnaît que Ferrer Bartomeu, macellarius habitant de Perpignan, possède la moitié indivise d’une vache, d’une génisse et d’un veau, qu’il promet de garder pendant cinq ans. Il promet de lui rendre la moitié de ce bétail et la moitié de la progéniture qui en proviendra. L’éleveur reconnaît en outre que le boucher lui a prêté 14 sous de monnaie melgorienne, manuel d’Arnau Miró, scribe public de Perpignan, ADPO, 3E1/16, fol. 35. Pour une première évaluation de la richesse des protocoles de Puigcerdà comme source pour l’étude des pratiques pastorales voir E. BILLE, M. CONESA, C. RENDU, S. BOSOM, « L’élevage du moyen âge à l’époque moderne au prisme des contrats de parceria. Le chantier histoire : retour sur une expérience originale », Ceretania, 2005, n° 4, p. 265-277.
288. — Acte n° XXXIV.
289. — Acte n° XXIX.
290. — Actes n° 64, 89, 192, 240, 831, 905, 950, 977, VII.
291. — Actes n° 59 (Palau), 220 (Perpignan), 422 (Palau), 533 (Orle), 930 (Villefranche-de-Conflent), XX (Saint-Laurent-de-la-Salanque et Estagel). On trouve également les lieux-dits Camp del Colomer à Perpignan (actes n° 405, 406, 760 et 761) et mas de Colomer à Coustouges (acten n° VII).
292. — Acte n° 42.
293. — Acte n° 875.


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