1 - Historique de la maison du Temple du Masdéu
La présente édition est le fruit dun travail de longue haleine, puisque cinq années auront été nécessaires pour réunir, transcrire et éditer les 1200 actes qui la constitue. Ce corpus diplomatique, exceptionnel par son ampleur, vient aujourdhui témoigner de lactivité déployée par lordre du Temple dans les comtés nord-catalans : Roussillon, Vallespir et Conflent, ainsi que dans la vicomté languedocienne de Fenolhedès, au cours de cent quatrevingts années dexistence (1131-1312).La richesse de cet ensemble documentaire ouvre de nombreuses perspectives à la recherche historique dans une multiplicité de matières : droit, religion, société, économie, seigneurie, pratiques administratives, urbanisme, anthroponymie, toponymie, etc.
Comme il métait impossible de rendre compte de toutes ces thématiques dans cette introduction, jai choisi de focaliser lessentiel de mon attention sur des points qui mont paru jusqualors négligés, ou à tout le moins sous-estimés, par lhistoriographie, au risque de minimiser voire de passer sous silence des questions aussi fondamentales que la seigneurie rurale, thématique ayant récemment fait lobjet dune thèse universitaire et de plusieurs publications.
Le cas échéant, des renvois bibliographiques viendront suppléer les nombreuses carences de cette présentation, qui se veut avant tout une incitation, ou plutôt une invitation à la découverte dun univers documentaire dont de multiples facettes restent à explorer.
1. Les premiers pas. Le cadre géographique et historique
Lorsque les chevaliers de la milice du Temple de Salomon à Jérusalem foulent pour la première fois le sol du comté de Roussillon vers 1129, celui-ci se présente alors comme une étroite bande littorale, large dune vingtaine de kilomètres, sétirant sur une cinquantaine de kilomètres le long des rives de la Méditerranée, depuis létang de Salses-Leucate, au nord, jusquau Cap Cerbère, au sud (2).
Les limites de lancien pagus Russilionensis correspondent approximativement à celles de plaine alluviale formée par les bassins inférieurs de lAgly, de la Tet et du Tech.
Au nord, la frontière avec la vicomté de Narbonne épouse les dernières saillies calcaires des Corbières avant de rejoindre la partie médiane de létang de Leucate au détroit du Malpas, ancien lieu de passage de lantique via Domitia.
Au sud, se dresse le massif de lAlbera, excroissance orientale de la chaine pyrénéenne qui plonge ses racines schisteuses dans la mer en formant les anses de Collioure, Port-Vendres, Paulille et Banyuls-de-la-Marenda.
Depuis la côte rocheuse, le relief sélève rapidement jusquaux 1256 mètres du Pic de Neulos avant de séchancrer à louest, au niveau des cols du Perthus et de Panissars, principaux lieux de franchissement des Pyrénées orientales en direction de la péninsule Ibérique.
Le col de Panissars correspond au point de convergence des antiques viae Domitia et Augusta, comme la démontré la mise au jour des monumentales fondations du trophée commémorant le succès de la campagne hispanique du général romain Pompée en 70 avant notre ère (3).
Les crètes du massif de lAlbera délimitent la frontière avec le comté dEmpúries, jumeau carolingien du comté de Roussillon (4).
À louest, de part et dautre de la « montagne sacrée des catalans », le majestueux Canigou, dont les plus hautes cimes culminent à près de 2900 mètres daltitude, sétendent deux anciens pagi carolingiens : le Vallespir, qui correspond à la haute et moyenne vallée du Tech, et le Conflent, formé, comme son nom le suggère, par la moyenne vallée de la Tet grossie de ses principaux affluents : la Rojà et le Cady, sur sa rive droite, la Casteillane, sur sa rive gauche.
Lunion des pays de Roussillon, Vallespir et Conflent constituait le diocèse dElne, tandis quen amont dEstagel la vallée de lAgly formait la colonne vertébrale de la vicomté de Fenolhedès.
Le pagus Fenoliotensis doit peut être une part de son occitanité à son ancienne appartenance au comté carolingien de Razès. Il en va de même pour le Capcir, ce petit pays montagnard où lAude sourd du flanc oriental du massif du Carlit. Fenolhedès et Capcir relèvent dailleurs du diocèse métropolitain de Narbonne.
Tous ces petits pays pyrénéens, Roussillon excepté, se sont retrouvés unis sous lautorité de la maison comtale de Barcelone au cours de la seconde décennie du XIIe siècle.
Par un heureux concours de circonstances, le comte Ramon Berenguer III hérita en effet successivement du comté de Besalú à la mort du dernier comte particulier, Bernat III, en 1111, puis, six ans plus tard, du comté de Cerdagne-Conflent, suite au décès du comte Bernat Guillem (5).
Anciennes dépendances de ces comtés, le Vallespir, le Conflent, le Fenolhedès et le Capcir relèvent dès lors directement du comte de Barcelone. Par le jeu des inféodations, Ramon Berenguer III, alors en lutte avec le vicomte de Béziers et Carcassonne, Bernard Aton Trencavel, pour imposer son autorité sur le Razès et le Carcassès, sy constitue très vite un réseau de puissants alliés dans le milieu vicomtal (6).
Il se concilie ainsi lamitié de son frère utérin, Aimeric, vicomte de Narbonne, en lui concédant le Fenolhedès et le Perapertusès (7), tandis quil inféode au vicomte de Fenolhedès Guillem Pere, puis à son fils et successeur Udalger, les châteaux de Fenouillet et de Sabarda ainsi que celui de Sant Esteve de Villerach, en Conflent (8).
Le comte de Barcelone inféode enfin le Vallespir à Guillem Udalger, vicomte de Castelnou, en 1124 (9).
Au début du XIIe siècle, le comté de Roussillon se présente comme une entité bicéphale.
Sa capitale politique, Perpignan, nest encore quune grosse bourgade dont les maisons sagglutinent sur la rive droite de la Têt autour de léglise paroissiale de Saint-Jean, sanctuaire roman consacré en 1025 (10).
Les deux premiers siècles dexistence de la ville sont très peu documentés et les conditions qui présidèrent à son développement demeurent par conséquent particulièrement obscures (11).
Il semble que le facteur primordial de sa première croissance économique ait été son érection en capitale comtale, probablement dès la fin du Xe siècle, consécutivement à la partition des comtés de Roussillon et dEmpúries.
À une quinzaine de kilomètres plus au sud, au sommet de loppidum de lantique Illiberis dominant lestuaire du Tech, dont le lit était plus septentrional que de nos jours, se dresse la cathédrale de Sainte-Eulalie dElne, siège diocésain depuis lépoque wisigothique (12).
En 1131, la charge épiscopale est assumée par un cadet de la puissante famille vicomtale de Castelnou, Udalger. Le pouvoir de ce lignage aristocratique du Vallespir alors en pleine expansion fait localement contrepoids à celui du comte de Roussillon Gaufred III (13).
La dynastie comtale de Roussillon a en effet bien du mal à simposer dans ses domaines.
Elle est notamment affaiblie par la récurrence des affrontements qui lopposent à la maison aînée des comtes dEmpúries depuis près dun siècle. Les motifs de cette discorde familiale sont liés à létroite imbrication des patrimoines stipulée par les dispositions testamentaires de Gaufred Ier en 991.
Celui-ci avait en effet partagé son patrimoine en léguant à chacun de ses fils des biens et des prérogatives sur les deux versants de lAlbera.
Plusieurs conventions et rancuras (document judiciaire énumérant les plaintes et revendications dune partie) montrent que la domination des roca, rochers fortifiés caractéristiques de larchitecture militaire catalane au XIe siècle, contrôlant laccès aux cols dEspils (actuel col de Banyuls) et de la Massane, principaux lieux de franchissement de cette montagne frontalière, constituait lenjeu principal de ces luttes de pouvoir (14).
Au début du XIIe siècle, le rapport de force semble favorable au comte dEmpúries, Hug II.
En 1111, le comte de Roussillon Girard Ier, dont les exploits accomplis au cours de la première croisade en Terre sainte en 1099 ont peut-être inspiré lauteur de la fameuse chanson de Girard de Roussillon, jure fidélité au comte Hug (15).
Ce serment est assorti dune convention de sécurité pour tous les biens situés dans les comtés de Peraladés, Empúries et Roussillon, notamment pour lÉglise dElne et les abbayes de Sant Pere de Rodes, Santa María de Rosas et Sant Quirç de Colera.
Lacte mentionne expressément les châteaux de Salses, dUltrera et de Sant Cristau et la vicomté de Tatzó, pour le Roussillon ; la vicomté dEmpúries et les châteaux de Fonolleres, de Rocamaura, de Peralada, de Rocabertí et de Quermançó, pour lEmpordà (16).
Il est possible que les relations conflictuelles entrenues avec son voisin méridional aient déterminées Girard Ier à contracter en 1110 une alliance avec le puissant vicomte de Carcassonne et Béziers, Bernard Aton, en mariant son fils et futur héritier Gaufred avec la fille de Bernard Aton, Ermengarde Trencavelle (17).
Après le décès prématuré de Girard Ier, ses vassaux profitent de la minorité de son héritier, Gaufred III, pour contester son autorité (18).
Il semble toutefois que le jeune comte ait bénéficié du soutien du comte de Barcelone.
Le 17 août 1128, ayant fait prisonnier le comte dEmpúries, Ponç Hug Ier, qui sétait emparé indûment de biens appartenant à lÉglise de Gérone, Ramon Berenguer III contraint celui-ci à faire la paix. Le comte dEmpúries sengage alors à respecter le plaid quil avait fait avec le comte de Roussillon ainsi que la trêve quil lui avait donnée et quil avait enfreint par la suite (19).
Le comte de Barcelone cherchait sans doute à sassurer ainsi lamitié du jeune comte et, partant, à compléter son réseau dalliance sur les marges méridionales des principautés languedociennes.
Cette situation politique conflictuelle et instable a sans doute largement contribué à alimenter le climat de violence et dinsécurité qui caractérise la société roussillonnaise pendant toute cette période. Dincessantes guerres privées, accompagnées de leur cortège de meurtres, rapines et déprédations en tout genre, opposent les différentes factions aristocratiques servies par leurs manades de chevaliers en quête de fiefs et de butin. Ces rivalités sexercent bien souvent aux dépens des religieux et des paysans (20).
Pour assurer le contrôle des richesses, les sires font édifier des tours de guet, les guardias, et multiplient les point fortifiés - roca dans les zone montagneuses, mottes castrales dans la plaine - dont ils confient la garde à des castlans (21).
À partir de la seconde moitié du XIe siècle, ces fortifications rudimentaires prolifèrent et gangrènent le piémont pyrénénen et la plaine littorale. On ignore le nombre total de tours et de châteaux qui furent ainsi érigés au cours de la période de mise en place de la seigneurie banale.
Quoi quil en soit, il est évident que ce sont des enjeux économiques qui présidèrent aux choix dimplantation de ce nouveau maillage de lieux de pouvoirs. Là où la documentation le permet, on observe en effet que le tissu castral est dautant plus resserré que lenvironnement est prodigue de ressources abondantes. Le cas est flagrant dans la petite plaine de la Salanque, au nord-est du comté de Roussillon, où pullulent châteaux et milites (22).
Outre que lagriculture y était favorisée par la présence de sols fertilisés par les dépôts limoneux de la Têt et de lAgly, ce territoire, alors ourlé de vastes étendues lagunaires, offrait une multiplicité de ressources primordiales pour léquilibre alimentaire des hommes et des animaux : produits de la pêche et de la chasse, sel et salicorne, riches pâturages pour les bovins (23).
La relative profusion dactes antérieurs à 1200 se rapportant aux seigneuries de la Salanque témoigne à elle seule de lintérêt suscité par la captation des richesses de cette portion du littoral roussillonnais. Cette abondance de titres anciens sexplique par la présence sur place dun grand nombre détablissements religieux : il apparaît que la plupart des monastères situés dans un rayon denviron cent kilomètres y possédaient des salines, des terres et des pâturages dhiver (24).
Labbaye de Lagrasse acquiert même, entre 1095 et 1101, la totalité des droits sur la très fructueuse pêcherie de la Font Dame, résurgence karstique du massif des Corbières située au nord de Salses (25).
En 1134, assistant au synode célébré dans la cathédrale Saint-Just et Saint-Pasteur de Narbonne en présence dArnau, archevêque de Narbonne et légat du pape, lévêque dElne expose, dans une réthorique larmoyante de circonstance, la situation décidément lamentable de son diocèse. Il raconte à lassemblée de prélats comment les pirates sarrasins ont tué ou capturé et emporté sur leurs navires de nombreux fidèles de son diocèse et réclament pour la libération des captifs une rançon de cent vierges destinées à assouvir leurs pulsions charnelles, le tout avec la complicité de chevaliers locaux davantage enclin à exercer leurs talents militaires pour leur profit personnel que pour protéger leurs frères chrétiens (26).
Lévêque réclame ensuite laumône de ses collègues pour le rachat de dix otages.
Ainsi, sil faut en croire le portrait désolant dressé par lévêque Udalger de Castelnou, le comportement des milites roussillonnais était aux antipodes de lidéal de chevalerie chrétienne prôné par les premiers missionnaires de lordre du Temple.
Quelle que soit la part de vérité de ce témoignage, dautres sources confirment que, faute dune autorité laïque suffisamment forte pour les faire appliquer, les Paix et Trêves instituées par lÉglise navait pas réussi à juguler les pratiques malfaisantes dune classe chevaleresque cupide et manifestement dénuée de scrupules moraux ou religieux sadonnant volontier à lexercice dune violence arbitraire.
Cette situation contribua certainement à sensibiliser la majorité chrétienne de la population aux valeurs incarnées par les religieux de la nouvelle milice du Christ.
Notes. Historique de la maison du Temple du Masdéu
3. — Georges CASTELLVI, Josep Maria NOLLA, Isabel RODÀ, « Pompeys trophies », dans La ciudad en el mundo romano, Actas del XIV Congreso Internacional de Arqueología Clásica , (Tarragona 1993), 1995, p. 93-96.
Id. « La identificación de los trofeos de Pompeyo en el Pirineo », Journal of Roman Archaeology 8, 1995, p. 5-18.
4. — Les comtés de Roussillon et dEmpúries furent administrés conjointement de 916 à 991 jusquà leur partition entre les deux fils du comte Gaufred Ier. Sur ce partage et ses conséquences politiques aux siècles suivants voir Stephen P. BENSCH, « La séparation des comtés dEmpúries et du Roussillon », Annales du Midi, tome 118, n° 255 (juillet-septembre 2006), p. 405-410.
5. — Santiago SOBREQUÉS, Els barons de Catalunya, Barcelona, 1957, p. 4 et 6.
6. — Sur la probabilité dun conflit opposant le comte de Barcelone au vicomte de Carcassonne et Béziers dans les années 1107-1120 voir Hélène DÉBAX, La féodalité languedocienne XIe-XIIe siècles. Serments, hommages et fiefs dans le Languedoc des Trencavel, Toulouse, 2003, p. 82-83.
7. — Pierre de MARCA, Marca Hispanica sive limes hispanicus..., Paris, 1688, app. CCCXXIX. Le serment nest pas daté.
8. — Francisco MIQUEL ROSSELL, Liber Feudorum Maior. Cartulario real que se conserva en el Archivo de la Corona de Aragón, Barcelona, 1945 et 1947, vol. II , n° 672 à 674.
9. — B. ALART, Cartulaire roussillonnais, paru dans la Semaine religieuse du diocèse de Perpignan, 1884, n° XCVII, p. 430.
10. — Sur les origines historiques de cet édifice voir Pierre PONSICH, « La cathédrale Saint-Jean de Perpignan », Etudes Roussillonnaises, t. 3 (1953), p. 137-214.
11. — Pour un état de la question voir Pierre PONSICH,« Perpinyà », Catalunya Romanica, XIV, El Rosselló,
Barcelona, 1993, p. 285-288 ; Id., « Perpinyà haut-médiévale. Naissance dune cité comtale (Xe-XIIe siècles) », dans Louis ASSIER ANDRIEU et Raymond SALA (dir.), La ville et les pouvoirs.
Actes du Colloque duHuitième Centenaire de la Charte de Perpignan, 23/ 25 octobre 1997, Saint Estève, 2000, p. 69-72 ; Aymat CATAFAU, « La villa Perpiniani : son territoire et ses limites (Xe-XIIIe siècles) », dans Louis ASSIER ANDRIEU et Raymond SALA, (dir.), La ville et les pouvoirs..., p. 41-67.
12. — Pierre PONSICH, « Les débuts du christianisme et le haut Moyen Age en Roussillon », Archéologia n° 90, janvier 1976, p.9-12.
13. — Pour une synthèse récente et bien documentée sur les vicomtes de Castelnou voir Gabriel POISSON, Les vicomtes de Castelnou (XIe-XIVe siècles). Mémoire de maîtrise, Université de Toulouse-Le Mirail, septembre 2005.
14. — Stephen P. BENSCH, « La séparation... » art. cit. ; Pelayo NEGRE PASTELL, « Dos importantes documentos del Conde de Ampurias, Poncio I », Anales del Institudo de Estudios gerundenses, vol. XIV, Gérone,1960, p. 229-261.
15. — Sur la possible catalanité du héros de la chanson de Girard de Roussillon voir Martin AURELL, Les noces du comte Mariage et pouvoir en Catalogne (785-1213), Paris, Publications de la Sorbonne, 1995, p. 352-353.
16. — Archivo Ducal de Medinaceli, sección Antiguo condado de Ampurias, n° 15.
17. — Dom Luc dACHERY, Spicilegium sive collectio veterum aliquot scriptorum, t. III, p.461 ; Francisco MIQUEL ROSSELL, Liber Feudorum Maior, vol. II, n° 786. Voir larbre généalogique de la maison comtale de Roussillon proposé en annexes.
18. — Dans les années qui suivent le meurtre de Girard Ier en 1113, cest son frère Arnau qui, affublé du titre comtal, semble avoir exercé le pouvoir en Roussillon. En 1116 Arnau, comte de Roussillon, et Pere, viguier de Perpignan, fondent un hôpital pour les pauvres, sur un terrain sis à louest des murs de la cellera de léglise Saint-Jean de Perpignan et au sud des rives de la Tet, Marca Hispanica, app. CCCLVI. Cet unique document ne permet pas de déterminer si la titulature comtale revêtue par Arnau sexplique par le fait que celui-ci assumait la régence du comté durant la minorité de son neveu Gaufred, ou, comme on serait plutôt enclin à le croire, parcequil avait usurpé le pouvoir à son propre profit.
19. — « Hec est pacificacionis et concordie scriptura que est facta inter Raimundum, comitem Barchinonensem, et filium ejus Raimundum, et Poncium Ugonis, comitem Impuritanensem. (...) Et jam dictus Poncius comes convenit prefato comiti et filio ejus, quod placitum firmiter teneat quod fecit cum comite de Rosseion, et de trevaquam ei dedit, quod inde fregit, si recognoverit, jam dictus Poncius emendet comiti de Rosseion.
Et si non recognoverit eam fregisse, expiet se per unum militem de terra sua ad alterum militem comitis de Rosseion », Francisco MIQUEL ROSSELL, Liber Feudorum Maior...,vol. II, n° 523, p. 35-37.
20. — Aymat CATAFAU, « Contentiones fuerunt. Conflits et violences dans le Roussillon féodal (XIe-XIIe siècles) », dans Le Roussillon de la Marca Hispanica aux Pyrénées Orientales (VIIIe-XXe siècle), Perpignan, 1996, p. 221-249.
21. — Georges CASTELLVI, Les châteaux de lancien comté de Roussillon, du Bas Empire romain à lunion au Royaume dAragon.
Mémoire de maîtrise dhistoire de lart et archéologie sous la direction de Jacques Bousquet, Université Paul Valéry, Montpellier III, 1982-1983.
André CONSTANT, « Châteaux et peuplement dans le massif des Albères et ses marges du IXe siècle au début du XIe siècle », Annales du Midi, tomes 109, n° 219-220 (juillet-décembre 1997), p. 443-466.
22. — En 1140, huit chevaliers du lieu de Torreilles passent une convention afin de régler la dispute qui les oppose à propos de la répartition des fiefs laissés vaccants par la mort de Guillem Gombau de Torreilles.
Lacte est souscrit par six seigneurs locaux : Ramon Berenguer de Canet, Berenguer de Guardia, viguier de Roussillon et bienfaiteur du Temple, auquel il donne un rente en sel prise dans ses salines de Torreilles en 1136, Guillem de Palol, Ramon de Saint-Laurent, Guillem de Saint-Laurent, et Josbert Riquin de Saint-Hippolyte, ADPO, 1B45.
Les seigneuries de la Salanque apparaissent particulièrement morcellées. À Torreilles comme à Saint-Hippolyte, ce phénomène sest traduit par lérection dau moins trois châteaux distincts Il sagissait en loccurrence de mottes castrales. Lune delles est encore partiellement conservée à proximité de la chapelle de Notre-Dame de Juhègues, au nord-ouest de la commune de Torreilles, voir Georges CASTELLVI, op. cit.
23. — Sur lexploitation du sel sur le littoral roussillonnais à lépoque médiévale voir Rodrigue TRÉTON, Sel et salines en Roussillon au Moyen Age, Mémoire de maîtrise, Université Paul Valéry Montpellier III, 1999.
24. — Voici la liste des établissements qui détiennent des droits et des biens-fonds dans les paroisses de Torreilles et de Saint-Hippolyte aux XIe et XIIe siècles : les monastères bénédictins de Saint-Genis des Fontaines (Roussillon), Saint-Michel de Cuxà (Conflent), Saint-Martin du Canigou (Conflent), Saint-Jacques de Joucou (Pays de Sault), Saint-Martin-de-Lès (Fenouillèdes), Saint-Hilaire (Razès), Sant Pere de Rodes (Empurdà), les cisterciens de Sainte-Marie de Granselve (Gascogne), Sainte-Marie de Fontfroide (Narbonnais) et Sainte-Marie de Villelongue (Carcassès), le prieuré augustinien dEspira-de-lAgly (Roussillon), les hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem de la commanderie de Bajoles (Roussillon), sans oublier les templiers du Masdéu.
25. — Elisabeth MAGNOU-NORTIER (éd.), Recueil des chartes de labbaye de La Grasse, t. I (779-1119), Paris CTHS, 1996, actes n° 148-150, 156, 160 et 163.
26. — Francisco MONSALVATJE Y FOSSAS, El obispado de Elna, t. I, (Noticias historicas, t. XXI), 1911, doc. XXXIV, p. 371-373: « (...) surrexit Udalgarius Elenensis episcopus, in presentia totius sinodi, ostendens miseriam et animi perturbationem et dolorem super se et filiis suae ecclesie, cupis perturbationis modum sic exponebat, dicens promodo piratae sarraceni illos captivabant, quomodo alios raptabant ad navas et alios trucidabant in conspectu suo et omnium christianorum qui ibi advenerant. Referebat iterum quomodo sarraceni querebant pro redemptione captivorum C adalecentulas virgines, ut haberent et tenerent et deflorarent eas nefario concubitu et cum eis delectarentur. Referebat iterum quomodo christiani milites consentientes pravis consiliis eorum, currebant et circuibant villas et domos et rapiebant puellas et traherant eas violenter ad naves, ut immolarent eas demoniis ut comiscerentur iter gentes perfidie, et discerent opera nequitie, et servirent eis. Referebat iterum quomodo matres earum sequebantur filias suas cum magno ploratu et femine ululatu. »
1 - Les origines de lordre du Temple
On le sait, la création de lordre du Temple est une conséquence directe du succès de la première croisade en Terre sainte couronné par la prise de Jérusalem, en 1099, et par la création consécutive des quatre États latins sur les territoires conquis aux dépens des Turcs et des Fatimides : le royaume de Jérusalem, la principauté dAntioche, le comté de Tripoli et le comté dÉdesse.Lordre religieux-militaire naît vers 1120, lorsque quelques aristocrates francs regroupés autour dHugues de Payns et de Godefroy de Saint-Omer se séparent des chanoines augustins du Saint-Sépulcre auxquels ils sétaient tout dabord affiliés.
En plus de vouloir mener une vie religieuse en prononçant les trois voeux dobéissance, de chasteté et de pauvreté, ces chevaliers souhaitent en effet combattre afin dassurer la protection des nombreux pélerins qui affluent vers les lieux saints.
Les premiers moines-soldats cherchent alors à convaincre les autorités ecclésiastiques du bien-fondé de leur ordre, dont la vocation mixte, à la fois religieuse et militaire, savère totalement inédite pour lÉglise chrétienne (27).
Au cours de cette phase primordiale, ils obtiennent le soutien déterminant de Bernard, abbé cistercien de Clairvaux, lune des plus grandes figures intellectuelles de ce temps, qui rédige un « Éloge de la nouvelle milice » (28).
Le 13 janvier 1129, les prélats réunis au concile de Troyes reconnaissent officiellement la milice du Temple de Jérusalem et dotent lordre dune règle inspirée de celle de saint Benoît.
Enfin, le 29 mars 1139, le pape Innocent II fulmine la bulle Omne datum optimum qui place directement lordre du Temple sous la tutelle et protection du Saint-Siège apostolique, lui conférant de ce fait une totale indépendance vis à vis des autorités temporelles (29).
Les premiers templiers sélancent alors sur les routes de lOccident chrétien afin de susciter des adhésions et de recueillir des donations en faveur de leur ordre. Cest ainsi que le chevalier provençal Hugues Rigaud, à qui incombait la tâche de parcourir les principautés méditerranéennes, commença son long périple missionnaire, itinérant sans relâche sur les routes de Provence, Languedoc, Catalogne et Aragon à la rencontre des princes, des prélats et du peuple (30).
Notes. Les origines de lordre du Temple
27. — Le caractère particulièrement original et novateur de lexpérience spirituelle templière constitue le principal axe thématique dun ouvrage paru récemment : Simonetta CERRINI, La révolution des templiers. Une histoire perdue du XIIe siècle, Paris, 2007.
28. — Bernard DE CLAIRVAUX, OEuvres complètes, t. XXXI : Éloge de la nouvelle chevalerie, éd. et trad. Pierre-Yves EMERY, Paris, 1990.
29. — Pour une synthèse historique éclairée et éclairante tenant compte des dernières avancées de la recherche en ce qui concerne la genèse de la milice du Temple voir Alain DEMURGER, Les Templiers. Une chevalerie chrétienne au Moyen Âge, Paris, 2005, p. 15-66.
30. — Sur ces questions voyez notamment Alain DEMURGER, Les Templiers..., p. 71-72 ; Josep Maria SANS I TRAVÉ, Els templers catalans de la rosa a la creu, Lleida, 1996, p. 73-74; Dominic SELWOOD, Knigths of the Cloister. Templars and Hospitallers in Central-Southern Occitania 1100-1300, Woodbridge, 1999, p. 61-63 ; Damien CARRAZ, L'ordre du Temple dans la basse vallée du Rhône (1124-1312). Ordres militaires, croisades et sociétés méridionales, Presses universitaires de Lyon, 2005, p. 88.
1 - La réception de lordre du Temple dans le comté de Roussillon
Deux testaments roussillonnais inédits, autrefois compilés dans le cartulaire du chapitre de léglise cathédrale dElne, témoignent de la rapidité avec laquelle la nouvelle de la création de la chevalerie du Temple de Jérusalem se diffuse au sein des élites militaires du comté de Roussillon. Dans le premier, daté du 28 juillet 1128, soit environ six mois avant le concile de Troyes, Arnau Miró lègue deux vignes en indivis à lHôpital de Jérusalem et à la Milice, pour lesquelles sa fille, usufruitière de ces vignes, leur donnera le quart des fruits récoltés. Comme il tenait lune de ces vignes en gage pour 8 sous de monnaie de Roussillon et deux hémines dorge, le testateur créancier ordonne que son débiteur la rachète en payant ce prix aux deux ordres religieux (31).
De façon assez similaire, les dernières volontés de Pere Bernat dAvalrí, rédigées le 24 mars 1131, stipulent des legs pieux en faveur des deux ordres incarnant lidéal de croisade. En loccurrence, cet aristocrate vassal de lévêque dElne, lègue six marabotins, monnaie dor arabe, à lHôpital de Jérusalem, et deux juments à la chevalerie de Jérusalem (32).
La précocité de ces premières donations faites à lordre du Temple sexplique en grande partie par la situation géographique de la plaine Roussillonnaise au XIIe siècle. Celle-ci, traversée du nord au sud par lantique via Domitia, dont un tronçon permanent fut rebaptisé strata francescha à lépoque carolingienne, se trouvait de ce fait sur lun des principaux itinéraires terrestres reliant le continent européen à la péninsule Ibérique (33).
Cest par conséquent cette route quempruntèrent les premiers missionnaires de la Milice partis à la rencontre des princes et des grands seigneurs temporels de leur temps. Cest dailleurs vraisemblablement au retour dun séjour en Catalogne, que Robert de Craon, premier sénéchal du Temple (34), et Hugues Rigaud font étape en Roussillon le 3 octobre 1131 (35).
Ce jour là, Bernat Pere, vraisemblablement seigneur de Banyuls dels Aspres, donne aux deux représentants de la milice de Jérusalem un homme nommé Arnau de Contrast avec le mas éponyme où ce dernier réside dans la paroisse de Saint André de Banyuls, ainsi que deux champs situés dans la paroisse voisine de Sainte Marie de Brouilla.
Il serait erroné de considérer Arnau de Contrast comme un misérable serf que son seigneur donne par charité chrétienne au nouvel ordre religieux-militaire. On sait en effet que les tenanciers de mas disposaient généralement des meilleures exploitations agricoles et quils constituaient de ce fait lélite de la paysannerie catalane (36).
Dailleurs Arnau de Contrast réapparaît dailleurs cinq ans plus tard ; il est alors qualifié de frère du Temple et assume la gestion des affaires de son ordre en Roussillon, une fois en labsence dArnau de Bedos, puis deux fois conjointement avec ce dernier (37).
Il reçoit encore une donation en 1137 en compagnie de frère Pere Bernat et une autre en 1138 avec frère Pere Roger (38).
Frère Arnau nest plus mentionné par la suite dans les actes roussillonnais. Nous savons cependant quil poursuivit sa carrière pendant plusieurs années au sein de lordre dans le Midi puisquon le retrouve en Provence au mois de décembre 1145 (39).
Il convient enfin de signaler cet acte du 1er juillet 1143 par lequel Ramon de Contrast et ses frères, Guillem Ponç, Guillem Bernat, Bernat, clerc, et Arnau approuvent la donation dun mas situé dans la paroisse de Céret (40).
Il est peu probable que le dernier membre de cette fratrie, prénommé Arnau, soit le même personnage que celui qui avait été donné au Temple en 1131 ; il nest en tout cas pas présenté comme tel dans lacte. Nous avons plutôt affaire ici à des proches parents, probablement des neveux, du templier de Banyuls.
Lacte confirme en tout cas que ceux-ci appartenaient à une frange relativement aisée de la paysannerie, puisquils percevaient des droits sur un mas et que lun deux, Bernat, avait suivi des études et faisait carrière dans la cléricature.
Lexemple dArnau de Contrast est particulièment intéressant en ce quil témoigne du fait que dès lorigine laire sociale de recrutement des frères du Temple ne se limitait pas à la seule aristocratie militaire.
Le geste du seigneur de Banyuls est rapidement imité par dautres membres de la petite ou moyenne aristocratie du voisinage, dont certains sont peut-être apparentés ou alliés à celuici, comme Pere Ramon de Brouilla, auteur de deux donations, lune en 1135 et lautre en 1144 (41).
Il apparaît ainsi que la Milice du Temple ne tarda pas à se constituer un réseau de fidèles au coeur de la plaine du Roussillon, obtenant de la générosité de petits seigneurs et chevaliers leurs premières concessions de terres dans les paroisses de Villemolaque, Nyls et
Brouilla. Il est par ailleurs intéressant de constater que toutes ces localités voisinent avec la principale voie terrestre reliant Perpignan au Col du Perthus, appelée caminum Franceschum dans un acte de 1144 (42).
De même que dans la région de Carcassonne, la nouvelle chevalerie rencontre dans ses premières années ladhésion de femmes de la petite aristocratie (43).
Le 29 juin 1132, Sobirana confirme la donation faite par son mari, Berenguer Arnau, de possessions situées à Villemolaque44. Plus intéressant, un mois plus tard, cest une autre femme de cette paroisse, Adelaida, qui se donne corps et âme à Dieu, à la milice du Temple et à ses chevaliers, pour servir Dieu sous lautorité du maître du Temple, sans aucun bien matériel.
A cette occasion, Adelaida donne au Temple, en la main dHugues Rigaud, tout lalleu quelle possède dans le lieu de Cirà, aux confins des paroisses de Sainte-Marie de Nyls et de Saint-Julien de Villemolaque (45).
Une clause stipule que les templiers doivent racheter cet alleu à Oliba de Candell, qui le tient en gage pour la somme de quatre livres dargent (46).
La donation est ensuite approuvée par les trois fils de la bienfaitrice, Guillem Gauter, Ramon et Bernat, ainsi que par son gendre, Dalmau de Peyrestortes.
Leschatocole porte les seings de seize témoins, parmi lesquels on distingue, outre Hugues Rigaud, trois confrères du Temple, à savoir Pere Bernat de Perpignan, Bernat de Peralada et Bernat Udalger, des seigneurs et de riches et influents habitants de Perpignan.
Cest donc en présence dune véritable assemblée de notables locaux queut lieu la cérémonie dentrée dans lordre dAdelaida, femme issue dune famille de la petite aristocratie roussillonnaise dont la famille éprouvait manifestement quelques difficultés financières.
On voit quen dépit de sa vocation militaire, la chevalerie du Temple de Jérusalem ne faisait à ses débuts aucune discrimination quant au sexe de ses recrues. Le fait est dautant plus remarquable quil sagit en loccurrence du plus ancien document rapportant une affiliation individuelle à lordre du Temple dans le diocèse dElne.
Lautre fait remarquable est que cest très vraisemblablement sur les terres données par dame Adelaida que les templiers allaient fonder peu de temps après leur première maison en Roussillon : la commanderie du Masdéu.
Au pays de la Trêve de Dieu, le nouvel ordre religieux-militaire né des idées de la réforme grégorienne et de lesprit de Croisade a suscité un véritable engouement de la classe chevaleresque, signe que lidéal porté par les templiers répondait aux aspirations des élites dune société alors fortement militarisée.
Lune des manifestations les plus évidentes de ce succès destime est la généralisation de la pratique consistant à léguer aux religieux léquipement du chevalier : monture, armes et harnachement (47).
Cette contribution à la fois matérielle et symbolique à la défense de la Terre sainte exprimait ladhésion des représentants de la caste militaire à cette cause ; elle constituait aussi un moyen de bénéficier des récompenses spirituelles promises par la papauté à tous ceux qui venaient en aide aux pauvres soldats du Christ.
Le don de léquipement militaire, pratique déjà répandue au sein de laristocratie bien avant lapparition de lordre du Temple, seffectuait généralement à loccasion dune entrée en confrérie ou dun testament.
Lapproche de la mort était loccasion ultime donnée aux élites militaires dannoncer publiquement leur intention de renonçer aux biens terrestres en se dépouillant des ornements matériels symbolisant leur appartenance à la caste des bellatores au profit dordres religieux partageant leurs valeurs martiales.
Notes. Réception de lordre du Temple dans le comté de Roussillon
31. — « Et pecias II de terra quas habeo ad Campum femad, que sunt vineas, dimitto ad Ospital de Jerusalem et ad ipsam Militiam. Et ad filia mea Elliardi dimitto laborationem de predictis vineis, ut ipsa det quartum de predictis vineis ad ipsum Ospital et ad ipsam Militiam. Et unam ex his vineis jam dictis habeo inpignore ipsam laborationem de Petro Pave, et si filius ejus exinde abstrahere voluerit, donet ipsum avere ad ipsum Ospital et ad ipsam Militiam. Et est ipsum avere solidos VIII Rossellos, et eiminas II ordei », ADPO, 12J25, acte n° 175.
32. — « Et Hospitali de Jherusalem dimitto VI maraubotinos ; et Cavalerie Jherusalem, duas equas », ADPO, 12J25, acte n° 177.
33 — Les premières donations faites à la milice du Temple concernent les principautés suivantes : Flandre, Champagne, Bourgogne, Provence, Languedoc, Aquitaine, Aragon et Catalogne.
Pour témoigner de cette rapide extension, on peut rappeler quau mois de mars 1128 la reine Teresa de Portugal avait légué par testament à la milice du Temple un château dans le territoire de Coimbra, voir Marquis A. dALBON, Cartulaire général de lordre du Temple, (1119 ?- 1150), Paris, 1913, doc. n° X et XI.
Plus près du Roussillon, la plus ancienne donation recopiée dans le cartulaire de la commanderie de Douzens, près de Carcassonne, est datée du 28
novembre 1129, Pierre GERARD et Élisabeth MAGNOU (éd.), Cartulaires des Templiers de Douzens, Paris, 1965, Cartulaire C, acte n° 11.
34. — Sur ce personnage qui deviendra ensuite le second grand maître du Temple, voir Alain DEMURGER, Les Templiers..., p. 97-98.
35. — Voir lacte n° 8 : Lacte porte le millésime 1132, mais celui-ci ne coïncide avec lannée de règne indiqué que dans le cas dune datation selon le calcul pisan : « Actum est hoc V° nonas octobris, anno ab incarnatione Domini M° C° XXX° II° , regnante Lodvico rege XXIII° anno. »
Il convient toutefois de noter que le sénéchal Robert et Hugues Rigaud apparaissent ensemble dans deux autres actes contemporains, lun daté du 19 septembre 1132 (a. st.) est la donation faite à ces derniers par le comte dUrgell Ermengol de son château de Barberà, qui deviendra ensuite le siège dune importante commanderie : « Actum est hoc XIII kalendas octobris, anno dominice Incarnationis C tricesimo secundo post millesimum », Marquis A. dALBON, op. cit. acte n° XLVII, p. 36-37.
La formule de datation de cet acte ne porte que lindication du millésime et ne permet donc pas de déterminer le mode de calcul employé. Cependant, la proximité de la date du 19 septembre avec celle du 3 octobre, dune part, et le voisinage géographique des comtés dUrgell et de Roussillon, dautre part, font supposer que ces deux actes ont bien été passés à quinze jours dintervalle, au cours dune seule et même campagne menée par les deux responsables de la milice du Temple.
Cette campagne aurait ensuite conduit les deux hommes au Puy-en-Velay où ils assistent à un plaid à la fin du mois de décembre à en croire un acte daté de lépiscopat de lévêque du Puy, Humbert (1128-v. 1146), que le marquis dALBON propose de dater de lannée 1132, probablement en se basant sur le millésime des deux actes évoqués précédemment, op. cit., acte n° LII, p. 39-40.
Cette hypothèse a été reprise par les éditeurs des cartulaires de Douzens, Pierre GERARD et Élisabeth MAGNOU (éd.), Cartulaires des Templiers de Douzens, Cartulaire C, acte n° 10, p. 268-269. 1131 ou 1132 ?
Il est difficile de trancher avec certitude. Notons toutefois que Hugues Rigaud était à Barcelone le 14 juillet 1131 pour recevoir lentrée en confrérie faite ab articulo mortis par le comte Ramon Berenguer III, voir Josep Maria SANS I TRAVÉ, Els templers catalans..., p. 74-77.
36. — Les hommes amansats, bien quassujettis à un régime servile, conservaient le contrôle de la production de leurs tenures héréditaires, voir Lluis TO FIGUERAS, « Le mas catalan du XIIe siècle : genèse et évolution dune structure dencadrement et dasservissement de la paysannerie », Cahiers de Civilisation Médiévale, Poitiers, 1993, p. 151-177.
37. — Actes n° 13-15.
38. — Actes n° 17 et 18.
39. — Arnau de Constrast assiste le 3 décembre 1145, aux côtés du maître provincial Pere de Rovera, des frères Uc de Bourbouton, Berenguer de Gunyoles, un autre catalan, et de quatre templiers méridionaux, à la profession du seigneur provençal Nicolas de Bourbouton, fils dUc, voir Damien CARRAZ, « Mémoire lignagère et archives monastiques : les Bourbouton et la commanderie de Richerenches », dans Convaincre et persuader : communication et propagande aux XIIe et XIIIe siècles, Études réunies par Martin AURELL, Coll. Civilisation Médiévale, XVIII, Université de Poitiers - Centre dÉtudes Supérieures de Civilisation Médiévale, 2007, Pièce justificative n° II, p. 499.
40. — Acte n° 30.
41. — Actes n° 12 et 31.
42. — Acte n° 31. Voir la carte n° 1. Pour une approche historique de la question des anciens réseaux viaires en Roussillon et Conflent voir Jean-Pierre COMPS, « Stratae et stradae : les grands axes de circulation des Pyrénées-Orientales dans les textes médiévaux », Domitia, n° 3, décembre 2002, p. 127-155 ; « Via de Carles, via Conflentana, caminum Franceschum... et quelques autres. De la Têt à lAlbère, lapport des textes médiévaux à la recherche de la voirie ancienne », dans Elne, ville et territoire, 2ème rencontres dhistoire et darchéologie dElne, 1999. Société des Amis dIlliberis, 2003, p. 61.
43. — En 1133, Laureta, épouse de Guilhem de Pinian, donne « aux chevaliers qui luttent vaillamment contre lesSarrasins » ses possessions de Douzens plus deux condamines à Blomac, voir Pierre GERARD et ÉlisabethMAGNOU (éd.), Cartulaires des Templiers de Douzens, Cartulaire A, n° 40.
44. — Acte n° 9.
45. Acte n° 10.
46 — La donation dun bien engagé à charge pour le donataire de le libérer en remboursant le créancier était une pratique courante, voir les actes n° 66, 92, 93, 290.
47. — Sur la notion de chevalerie et limportance du cheval dans la société aristocratique et au sein de lordre du Temple voir Alain DEMURGER, Les Templiers..., p. 189-192 ; sur ses différentes connotations sociales et matérielles au sein de laristocratie catalane voir Michel ZIMMERMAN, « Arme de guerre, emblème social ou capital mobilier ? Prolégomènes à une histoire du cheval dans la Catalogne médiévale (Xe-XIIe siècle) », dans Miscellània en homenatge al P. Agustí Altisent, Tarragona, 1991, p. 119-157.
1 - La fondation de la maison du Temple du Masdéu
Le succès rencontré auprès des milites sest traduit par un nombre croissant de donations de mas, terres, vignes et autres biens immobiliers. Afin dadministrer ce patrimoine géographiquement dispersé, les premiers frères ne tardent pas à fonder une première maison quils baptisent Masdéu. De manière significative, leur choix sest porté sur une terrasse située sur la rive gauche du Reart, au coeur du territoire de leur première expansion, à environ un kilomètre de la via Francescha. La commanderie se trouve ainsi à une distance à peu près identique, une dizaine de kilomètres, de la cité épiscopale dElne, à lest, et de la ville comtale de Perpignan, au nord. Aujourdhui compris dans le territoire communal de Trouillas, le Masdéu est localisé dans les chartes du XIIe siècle près du lieu de Cirà, aux confins desparoisses de Villemolaque et de Nyls, à proximité du petit prieuré bénédictin de Sant Salvador de Cirà, filiale du monastère de Sant Salvador de Breda (48).
La domus Templi Mansi Dei est mentionnée pour la première fois le 24 mai 1136 dans la publication du testament dErmengau de So (49).
Pere de Santa Fe, Bernat de Millas et Pere Duran, ses exécuteurs testamentaires, rapportent que ce seigneur vraisemblablement apparenté au lignage titulaire du château dUsson en Donezan avait demandé à ce que son corps soit porté au Masdéu si la mort le surprenait avant quil ne parte à Jérusalem pour rejoindre les rangs de la Milice. À en croire lacte, sa dernière volonté fut exaucée (50).
Ce témoignage est pour nous riche denseignements. En premier lieu, il manifeste le succès rencontré par le nouvel ordre religieux-militaire auprès de laristocratie régionale. Cette ferveur précoce doit bien sûr être mise au crédit des frères chargés denrôler des nouveaux combattants pour la défense de la Terre sainte. En second lieu, cette clause nous apprend que la première maison roussillonnaise était déjà constituée et baptisée, ce qui en fait le plus ancien établissement de lordre militaire implanté dans les comtés catalans, autrement dit lune des toutes premières fondations de la milice du Temple en Occident (51).
Mais linformation la plus surprenante est certainement lélection de sépulture, puisquelle implique que le Masdéu disposait déjà dun cimetière et aussi, par conséquent, dune chapelle. Ceci signifie que dans les faits les templiers établis en Roussillon usaient déjà dun droit de sépulture qui ne leur fut officiellement accordé que trois ans plus tard par le pape Innocent II, par la bulle Omne datum optimum fulminée le 29 mars 1139 (52).
Il faut toutefois attendre le mois doctobre 1151 pour découvrir la première occurrence certaine dun prêtre exerçant au Masdéu (53).
Cependant, deux actes doctobre 1146 portent la souscription dun frère chapelain que lon peut raisonnablement supposer être celui du Masdéu (54).
La maison du Masdéu est à nouveau mentionnée dans un acte du 19 décembre 1138 (55).
Pour la rémission de leurs péchés, Guillem de Villemolaque et son épouse Orgolosa donnent à la « milice de Jérusalem du Temple de Salomon », en main de frère Arnau de Bedos, la dîme de tous les produits quils prélèvent sur le champ dans lequel est édifié le mas du Temple, « lequel est appelé Masdéu par un grand nombre de personnes » (56).
Lénumération des confronts de ce champ indique que le Temple possédait déjà un pré attenant ainsi quune terre qui avait été donnée par le père de Guillem de Villemolaque, Bernat Guillem. Il est regrettable que lacte portant cette première donation nait pas été conservé, car il nous aurait sans doute permis de mieux appréhender les circonstances qui présidèrent à la fondation de la commanderie roussillonnaise.
Notes - La fondation de la maison du Temple du Masdéu
48. — Voir ci-dessous le paragraphe consacré à cet établissement.
49. — Acte n° 14. Le testament est daté de 1137, mais lannée de règne ne coïncide avec le millésime que si celui-ci est exprimé selon un calcul pisan : « Quod est factum VIIII° kalendas junii, anno dominice Incarnationis M° C° XXX° VII° Christi incarnationis, XXVIII° Lodoyci regis. »
Cette datation est corroborée par le fait que le legs a été remis à Arnau de Contrast, lequel reçoit plusieurs donations faites au Temple en 1136-1138.
50. — « Corpus vero suum dedit milicie beate Marie que est in Jherusalem in honore Dei servicio congregata, ut esset ibi serviens Deo, si vitam ei Deus concessisset. Si autem ejus excessum in hac terra evenerit, jussit corpus suum defferri ad ipsum Mansum Dei, quem de ipsa Cavalleria est, ut est factum. »
51. — Probablement avec les commanderies de Douzens en Languedoc, et celles de Richerenches et de Roaix en Provence.
52. — Une situation similaire a été constatée pour la maison de Richerenches, qui dispose dun chapelain dès 1138, voir Damien CARRAZ, Lordre du Temple..., p. 92.
53. — Acte n° 47 : « Sig+num Arnaldi, presbiteri Mansi Domini. »
54. — Acte n° 39 : « Sig+num Raymundi, fratris capellani. »
55. — Acte n° 19.
56. — « (...) ipso campo, in quo est jam edificatus et constructus mansus supradicte militie Jherosolimitane, qui appellatur a multis Mansio Dei. »
1 - Limplantation des templiers dans la vicomté de Fenolhedès
Comme cela a été maintes fois observé, la propagation des idées neuves suit généralement les grands axes commerciaux que sont les routes et les vallées (57).
Cest dailleurs principalement en remontant les vallées des trois fleuves côtiers méditerranéens drainant la plaine du Roussillon que se diffuse le mouvement en faveur de la nouvelle milice : au sud, en remontant la vallée du Tech en direction du Vallespir ; au centre, en remontant la via Conflentana le long de la Tet depuis Perpignan en direction du Conflent et du Capcir ; et au nord, en remontant la vallée de lAgly en direction du Fenolhedès (58).
À la différence du comté de Roussillon qui était contrôlé par une dynastie autonome dont le représentant était alors le comte Gaufred III, tous les pays situés en amont se trouvaient, comme nous lavons dit, sous la domination des comtes de Barcelone. Mais cette dichotomie politique ne semble pas avoir constitué un obstacle pour les templiers qui ont très vite bénéficié du puissant soutien de la maison de Barcelone. On sait en effet avec quelle ferveur le comte Ramon Berenguer III, agonisant, avait accueilli la mission dHugues Rigaud en 1131, avant de prendre lui-même lhabit de la chevalerie du Temple (59).
En septembre 1141, le fils et successeur de ce dernier, Ramon Berenguer IV, comte de Barcelone et prince dAragon, donne au maître provincial de lOrdre, Pere de Rovira, le mas dans lequel habite Pere de Sirach, ainsi que ce tenancier avec tous ses biens (60).
On suppose que ce mas se situait sur le territoire de Sirach, à proximité de Rià, la capitale carolingienne du comté de Conflent.
Mais lexpansion du Temple dans ce pagus pyrénéen sest heurté à la forte emprise temporelle dautres établissements religieux qui sy était implantés au cours des siècles précédents. La plupart des seigneuries de la moyenne vallée de la Têt étaient déjà sous la coupe des abbayes bénédictines de Saint-Michel de Cuxà, Saint-Martin du Canigou et Sant-Pere de Camprodon et, dans une moindre mesure, du prieuré augustinien de Corneilla-de-Conflent et du prieuré de Sainte-Marie de Marcevol, affilié à lordre du Saint-Sépulcre en 1128. Nous allons voir que la situation était bien différente dans la vicomté voisine de Fenolhedès, puisque cest là que se situe le second foyer dexpansion de lordre du Temple dans lespace géographique documenté par les archives du Masdéu.
Nous avons déjà évoqué dans quelles circonstances le comte de Barcelone Ramon Berenguer III avait hérité cette terre du comte de Besalú, et comment il lavait inféodée par la suite aux vicomtes de Narbonne et de Fenolhedès (61).
Sur le plan ecclésiastique, le Fenolhedès constituait un archidiaconé du diocèse de Narbonne. Les documents se rapportant à lactivité des templiers dans ce secteur géographique sont peu nombreux. Ils concernent essentiellement la formation du patrimoine dans le deuxième tiers du XIIe siècle. Cest la publication testamentaire dErmengau de So, déjà évoquée, qui contient la plus ancienne donation faite au Temple dans les limites de la vicomté de Fenolhedès.
En 1136, ce seigneur lègue aux templiers les alleux quil possède dans les villae de Borrad et de Centernac (Saint-Arnac) (62), comprises dans la paroisse de Saint-Esteve de Derch (63).
Ce legs inaugure une série de donations importantes effectuées par des membres de laristocratie régionale qui, au cours de la décennie suivante, devait permettre à lordre militaire de prendre pied dans cette région de moyenne montagne à vocation essentiellement pastorale. Le 3 octobre 1136, ce sont le vicomte de Tatzó, Bernat Berenguer, son épouse Jordana et leur fils Hug, qui donnent aux templiers ce quils possèdent dans la villa de Prugnanes (64).
Six mois plus tard, cest au tour de Pere Bernat de Castelnou, probablement un cadet du lignage des vicomtes de Vallespir, de donner à la milice du Temple, pour quelle le possède après sa mort, tout lhonneur que son frère (le vicomte Gausbert II ?) lui avait donné à Borrad et à Centernac, avec tout ce quil possède dans ces localités (65). Pour cette donation, Pere Bernat reçoit des templiers une « aumône » dune centaine de sous (66).
Entre 1141 et 1173, ce sont le vicomte de Fenolhedès Udalger et ses fils, dune part, et les membres de limportant lignage - vraisemblablement apparenté à celui des Fenouillet - des seigneurs de Sournia, dautre part, qui apportent leur appui au Temple en lui donnant divers biens patrimoniaux situés dans les territoires de Corbons, Sournia, Rabouillet, Pézilla [de Conflent] et Prugnanes (67).
Par imitation et sans doute aussi pour complaire à leur seigneur, des vassaux du vicomte Udalger, tels que Arnau Pere de Pézilla et Guillem Seguer, suivent lexemple de celui-ci en donnant à leur tour quelques unes de leurs possessions à la Milice (68).
Les templiers se sont très vite efforcés de renforcer leur présence dans cette région stratégique. En 1141, ils achètent une terre située sur le territoire de Corbons, dans la partie montagneuse de la paroisse de Sainte-Marie de Sournia (69).
Plus au nord, leur implantation à Centernac et à Prugnanes leur permet de se positionner à proximité de la principale voie commerciale reliant le Roussillon à la haute vallée de lAude et, par là, au Toulousain et à lAlbigeois, via le col de Saint-Louis et la ville marchande de Limoux. Moyennant le versement de fortes sommes dargent, les templiers réussissent à conforter leur position. Ils focalisent surtout leur attention sur lacquisition des droits seigneuriaux de la villa de Centernac. Pour ce faire, ils nhésitent pas à recourir au système éprouvé de la reprise en fief (70).
Le 11 mars 1157 ou 1158, pour le prix de 1000 sous de monnaie barcelonaise, le seigneur Pere de Domanova, avec laccord avec sa mère, dame Cerdana, vend aux frères Hug Gaufred et Bernat de Fenouillet, tout ce quil a et tout ce qui est tenu pour lui à Centernac. Le magnat du Conflent donne en plus aux templiers tout ce quil préleve, justement ou non, sur les biens ecclésiastiques de cette villa, autrement dit sur les clercs et leurs possessions. Les templiers inféodent immédiatement à Pere de Domanova tous ces droits, y compris la seigneurie des chevaliers qui y tenaient des fiefs pour lui, afin quil tienne le tout en viager pour le maître de la milice du Temple moyennant le paiement dun cens annuel. Après sa mort, le fief reviendra à lordre militaire, dont les chevaliers de Centernac deviendront alors les vassaux directs (71).
Le contrat prévoit enfin quà la mort de ce seigneur les templiers héritent de ses armes et de son cheval ; et sil na pas de cheval, de sa meilleure mule. Lacte est emprunt dune très grande solennité puisque, outre le seing manuel du juge Pere, il porte les souscriptions dune dizaine de personnages de haut rang. On y retrouve lessentiel de lélite aristocratique régionale : le vicomte de Fenolhedès Udalger, accompagné comme toujours de ses deux fils Pere et Arnau, les seigneurs Guillem de Paracols, Gaucelm du Vivier, Guillem dIlle et Pere de Sirach, Ramon Amalví (72), Bernat, prieur de Marcevol, Ramon Cerdà, Bernat de Comes, Bernat Guillem, batlle du comte de Barcelone, Guillem de Cassagnes, et lévêque dElne, Artau de Castelnou (73).
La reprise en fief apparaît ici pour les templiers comme un moyen intéressant de sassurer à terme la mainmise sur dimportants droits seigneuriaux et sur les revenus qui en découlent. Ce procédé, auquel ils ne semblent pas avoir eu souvent recours puisquon nen trouve pas dautre exemple dans les archives du Masdéu, leur permet également de sassurer la fidélité, ou tout au moins la neutralité immédiate des chevaliers tenants-fiefs qui sont les véritables détenteurs du pouvoir local. Dun autre côté, ce contrat permet au jeune seigneur dempocher immédiatement une importante somme dargent, sans pour autant perdre lusufruit des droits aliénés, ni le contrôle de ses vassaux.
Pere de Domanova devait vivre encore pendant près de quarante longues années, au cours desquelles il devint un familier de la cour du roi dAragon Alfons II. Il apparaît pour la dernière fois dans un document du 2 janvier 1204 (74).
Entre temps, dans son testament rédigé à Tautavel au mois de janvier 1178, cet aristocrate avait renouvelé le legs de son cheval et de ses armes en y ajoutant les alleux quil possédait dans les villae et territoires de Prats [de Sournia], Pézilla et Pressillas (75).
Après le décès de Pere de Domanova, les templiers poursuivent leur politique de concentration des droits seigneuriaux en rachetant les fiefs de certains chevaliers de Centernac. Le 3 mars 1215, Ramon du Vivier, avec laccord de ses trois frères, Bernat du Vivier, Arnau et Berenguer, donne à frère Balaguer, commandeur du Masdéu, et à frère Esteve, commandeur de Centernac, toute sa part, soit la moitié, de la dîme quil a dans les condamines des templiers à Borrad et dans tout lhonneur de la défunte Boneta, ainsi que dans toutes les vignes et terres de la réserve que les templiers exploitent à Centernac, Borrad et dans toute la paroisse de Saint-Esteve de Derch. Ramon précise quil avait hérité cette part de dîme de son père (76), et quil la tenait en fief pour feu Pere de Domanova, lequel avait légué ce fief à la milice du Temple. Pour la confirmation de cette donation, Ramon a reçu 100 sous de monnaie melgorienne (77).
Dans la foulée, le 11 octobre 1215, le chevalier Bernat du Vivier et dame Saurimunda, son épouse, reconnaissent à frère Balaguer que le mas de Ponç Eibri dEnterrius avec tout ce qui en relève, est lalleu de la milice du Temple. Ils cèdent au commandeur du Masdéu et à celui de Centernac, ainsi quà leurs successeurs, tout ce quils étaient en droit dexiger sur deux hommes du Temple, Bernat Eibri et son frère Ramon, fils de Ponç Eibri, ainsi que sur leurs descendants et leurs biens. Pour cette concession, Bernat du Vivier et Saurimunda reçoivent 100 sous de monnaie barcelonaise (78).
Lappui des principales familles aristocratiques possessionnées dans la vicomté de Fenolhedès sest donc révélé primordial pour la réussite de limplantation de lordre militaire dans cette partie du piémont pyrénéen. Outre les donations et les acquisistions rémunérées, cet accueil favorable sest également manifesté assez rapidemment par laffiliation au Temple de certains membres de ces lignages. Ainsi, Bernat de Fenouillet est mentionné comme frère du Temple de 1141 à 1156 ; les actes le présentent comme le premier administrateur de lordre en Fenolhedès (79).
Nous évoquerons un peu plus loin le cas du seigneur Arnau de Sournia et de son fils Hug.
Notes. Limplantation des templiers dans la vicomté de Fenolhedès
57. — On se rapportera par exemple aux constatations formulées par André Gouron à propos des vecteurs de la diffusion du consulat et du droit romain dans le Midi aux XIIe et XIIIe siècles, André GOURON, « Diffusion des consulats méridionaux et expansion du droit romain aux XIIe et XIIIe siècles », Bibliothèque de lÉcole des Chartes, CXXI, année 1963, p. 26-76.
58. — Pour plus de détails sur la formation du patrimoine de la commanderie du Masdéu on se reportera aux travaux suivants : Laure VERDON, La terre et les hommes en Roussillon aux XIIe et XIIIe siècles : structures seigneuriales, rente et société daprès les sources templières. Aix-en-Provence : Publications de lUniversité de Provence, 2001, p.28 et suiv. ; Robert VINAS, Lordre du Temple en Roussillon, Girona, 2001, p. 19 et suiv.
59. — Josep Maria SANS I TRAVÉ, Els templers catalans..., p. 74.
60. — Acte n° 37.
61. — On trouvera dutiles informations sur lhistoire de la vicomté de Fenolhedès dans Laurent FONQUERNIE, La vicomté de Fenouillèdes du IXème au XIIIème siècle, Mémoire de D.E.A., Université de Toulouse-Le Mirail, 1997 ; et Pierre PONSICH, « Fenolleda », Antoni PLADEVALL i FONT (dir.), Catalunya romànica, XXV, El Vallespir, El Capcir, El Donasà, La Fenolleda, El Perapertusès, Enciclopèdia catalana, Barcelona, 1996, p. 284-290 ; Rodrigue TRÉTON, Les vicomtes de Fenouillet. Une dynastie artistocratique Pyrénéenne (vers 1000-1062), à paraître.
62. — La graphie actuelle « Saint-Arnac » est une aberration linguistique - il nexiste aucun saint portant ce nom dans les répertoires canoniques de lÉglise catholique - attribuable à la plume béatificatrice de quelques scribes médiévaux transcrivant phonétiquement lappellation « Centernac » dorigine antique attestée au XIIe siècle. On peut observer quelques stades de cette intéressante mutation toponymique au fil des actes conservés dans les archives templières : Senternach (1136, acte n° 14), Centernag (1137, acte n° 16), Centernac (1154 et 1157, actes n° 53, 61), Sanctus Arnachus (1215, 1265, 1268, 1270, actes n° 245, 248, 647-649, 718, 721, 748 et passim), Sanctus Ernacus (1256, acte n° 548), Sanctus Arnacus (1261, acte n° 598), Sent Arnach (1263, acte n° 624), Santernacum (1268, acte n° 706), Santernachum (1292, acte n° 1025).
63. — Acte n° 14.
64. — Acte n° 15. La vicomté de Tatzó correspond à la vicomté de Roussillon. Elle porte le nom dun château aujourdhui situé dans le hameau de Tatzó dAvall, au nord de la commune dArgelès. Pierre PONSICH a consacré une notice historique au lignage de Tatzó dans Catalunya Romanica, vol. XIV, El Rosselló, Barcelona, 1993, p. 37-38.
65. — Sur la difficile reconstitution généalogique de la famille vicomtale de Castelnou à cette époque voir Gabriel POISSON, Les vicomtes de Castelnou (XIe-XIVe siècles), op. cit., p.23-46.
66. — Acte n° 16.
67. — Actes n° 22, 26, 92 et 93.
68. — Acte n° 36 et 53. Arnau Pere de Pézilla était le seigneur de Pézilla-de-Conflent, que les textes médiévaux nomment plus logiquement Pézilla de Fenolhedès.
69. — Acte n° 24.
70. — Pour une description de cette pratique féodale dentrée en dépendance dans le contexte languedocien voir Hélène DÉBAX, La féodalité languedocienne XIe-XIIe siècles. Serments, hommages et fiefs dans le Languedoc des Trencavel, Toulouse, 2003, p. 152-155.
71. — Parmi ces vassaux devaient figurer les cerdans Pere de Prullans et ses frères Bernat de Prullans et Guillem de Prullans, qui confirment cette transation.
72. — Il sagit dun influent bourgeois perpignanais proche des comtes de Roussillon.
73. — Acte n° 61.
74. — Ce jour là, dans la salle du château de Castelnou, Pere de Domanova reconnaît tenir en fief pour le vicomte Castelnou, Guillem V, les églises de Sant-Esteve dIlle, Vinça, Ropidera, Espira-de-Conflent, Estoher, Seners, Mosset, Fullà, Nyer et la villa de Creu (commune de Matemale), ADPO, 1B57.
75. — Acte n° VI. Pressillas est une localité disparue qui se situait entre Prats de Sournia et Le Vivier.
76. — Il sagit peut-être de Guillem du Vivier, témoin du testament dArnau de Fenolhet le 5 juillet 1173, voir lacte n° 92.
77. — Acte n° 245.
78. — Acte n° 248.
79. — Actes n° 23, 24, 36, 53, 55, 61.
2 - Les effectifs
Les frères du Temple
La hiérarchie fonctionnelle mise en place au sein de la milice du Temple reproduisait les clivages et lordonnancement tripartite de la société féodale : milites, oratores et laboratores. Les activités exercées par les frères variaient en effet selon leur origine sociale et leur niveau déducation.
Les chevaliers
La caste militaire constituait par essence lélite de la hiérarchie templière puisque cest dans ses rangs que se recrutaient les combattants investis de la mission sacrée de défendre la chrétienté sur ses frontières avec le monde musulman. De ce fait, les manteaux blancs, vêtements distinctifs des frères chevaliers, ont toujours été en minorité dans les effectifs de la commanderie du Masdéu. Contrairement aux commanderies établies dans les puissants châteaux frontaliers du sud de la maîtrise de Catalogne et dAragon, la commanderie roussillonnaise et ses membres étaient éloignés du théâtre de la guerre et navaient par conséquent nullement besoin dêtre protégées par une importante garnison armée.
Au sein des effectifs de la commanderie du Masdéu, les frères chevaliers étaient minoritaires. Leur nombre était variable, mais on en recense rarement plus de trois ou quatre mentionnés simultanément. Ceux-ci occupaient naturellement le sommet de léchelle hiérarchique : le poste de commandeur du Masdéu leur était réservé. Quelques uns de ces responsables, tous recrutés dans les limites de la maîtrise provinciale, étaient issus de la haute et moyenne aristocratie, comme Guillem de Castelnou, Ramon de Canet, Ramon de Saguàrdia ou Guillem de Montgrí, tandis que dautres provenaient de modestes lignages de milites castri.
Cest le cas, par exemple, de Guillem de Castelló, Pere dAiguaviva, Jaume de Vallcarca, Ramon dElne, Pere de Canohès et Guillem de Saint-Estève.
Les actes nen faisant que très rarement état, lorigine sociale des frères est bien souvent assez malaisée à déterminer, dautant quà cette époque le port dun surnom topographique précédé dune particule ne constituait pas nécessairement un critère dappartenance au milieu aristocratique. A contrario, certains chevaliers nétaient désignés que par un nom unique, comme linfatigable frère Cabot, qui mena une carrière exemplaire dadministrateur au sein des maisons nord-catalanes.
Sans doute issu dune famille de castlans du lieu de Tatzó dAvall, siège de la vicomté de Roussillon (80), celui-ci fut successivement commandeur de Saint-Hippolyte (1216), de Palau-del-Vidre (1219), de Saint-Hippolyte (1222), de Perpignan (1229-1234), de Saint-Hippolyte (1244-1246), dAiguaviva del Gironès (1246) ; de Perpignan (1248-1250), de Palau-del-Vidre (1250), de Perpignan (1251-1252), et à nouveau de Saint-Hippolyte (1253-1257).
La lecture de la liste des responsables ayant occupé la charge de commandeur du Masdéu montre à lévidence que cette fonction était réservée aux frères chevaliers (81).
Il apparaît par contre que cette ségrégration sociale naffectait pas les maisons secondaires, puisque leur direction fut majoritairement exercée par des sergents, cest à dire par des frères recrutés dans des milieux non aristocratique. En dehors de la fonction de commandeur, on trouve au XIIIe siècle des chevaliers exerçant des responsabilités administratives subalternes : sous-commandeur, camérier ou batlle forain.
Le recrutement des effectifs templiers, nous lavons dit, était essentiellement régional ; et cette tendance sest maintenue tout au long de la période dactivité de la Milice. Presque tous les chevaliers ayant exercé au sein de la commanderie du Masdéu étaient originaires de Catalogne. Cest le cas de trente et un des trente-sept commandeurs du Masdéu identifiés entre 1160 et 1312, dont un tiers provenait du Roussillon ou de comtés voisins : Empurdà, Gironès et Ripollès. Les six autres étaient originaires du Languedoc ou du royaume dAragon (82).
Nous ayons conservé les actes daffiliation à lordre du Temple de deux aristocrates issus dun même lignage du Fenolhedès : Arnau de Sournia et son fils Hug de Sournia. Arnau de Sournia souscrit en 1141 et 1142 deux donations du vicomte de Fenolhedès en faveur des templiers, dont celle par laquelle ce dernier cède ses droits sur Guillem Ramon de Corbons et sur toute sa postérité, ainsi que sur tout lhonneur que celui-ci avait donné aux templiers (83).
Moins de deux ans plus tard, le 1er mars 1143, il intègre lordre au moyen dune traditio animae et corporis dont le dispositif est réduit à sa plus simple expression. Arnau de Sournia, dont la seule motivation exprimée à cette occasion est le désir daccéder au paradis, se donne à Dieu, à sainte Marie et aux frères de la milice du Temple de Jérusalem, représentée pour loccasion par le maître provincial, le catalan Pere de Rovira, et son assistant, le languedocien frère Hugues de Bessan.
En plus de sa personne, Arnau donne la dîme que Guillem Ramon de Corbons tenait pour lui dans le dîmaire de Corbons, ainsi quune migère dhuile quil prélevait à Pézilla-de-Conflent dans lhonneur des frères du Temple. Comme il avait donné auparavant cette dîme à son fils cadet Arnau, il donne à ce dernier un mas situé dans la villa de Sournia.
Lacte est souscrit par les quatre fils dArnau de Sournia : Guillem de Sournia, Berenguer, Arnau et Hug. Le seigneur du Fenolhedès quitte donc la vie séculière à un âge déjà avancé, après avoir partagé son patrimoine en ses quatre fils. Les autres témoins sont le vicomte de Fenolhedès Udalger, et des seigneurs du voisinage : Peire de Rasigueres et Guillem de Paracols (84).
Devenu templier, frère Arnau de Sournia exerça des responsabilités administratives. Il consacra les dernières années de sa vie, de 1147 à 1153, à diriger, de façon plus ou moins collégiale, la commanderie de Douzens, qui était alors le principal siège de lordre du Temple en Languedoc (85).
On la vu, le plus jeune fils dArnau de Sournia, Hug, avait assisté avec ses trois frères à la profession de son père le 1er mars 1143. Nous navons guère de précisions sur la vie civile de ce benjamin. Nous savons seulement quil demeurait en Fenolhedès, où son père lui avait légué en héritage une portion de ses droits de seigneuries sur les localités de Rabouillet et dAichoux ; quil sétait marié et quil avait une fille nommée Berenguera. On sait également quil entretenait des relations étroites avec sa fratrie, puisquon le retrouve, au mois de décembre 1179, assistant à lentrée en religion de son neveu Guillem, donné au monastère de Saint-Martin du Canigou (86).
Neuf ans plus tard, le 24 mai 1188, Hug de Sournia quitte à son tour la vie séculaire en se vouant et en soffrant à la fraternité de la milice du Temple. Il se donne à frère Pere de Colonge, qualifié à cette occasion de maître du Masdéu en Roussillon - magistro Mansi Dei in finibus Rossilionis-, avec tout ce quil possède dans les paroisses de Saint-Estève de Rabouillet et de Sainte-Eugénie dAichoux, soit un mas, le sixième des agriers, des quarts et de toutes les tenures de la villa de Rabouillet, et lensemble de ses autres droits, revenus et usages sur les hommes et les biens-fonds, et avec tout son droit de seigneurie. Sa fille Berenguera et ses neveux, Berenguer de Sournia, Arnau, archidiacre de Fenolhedès, et Guillem At, approuvent cette donation (87).
Laccord des héritiers et ayant-droits était naturellement destiné à garantir aux templiers la jouissance de cette portion démembrée du patrimoine lignager. Comme son père, Hug de Sournia a donc intégré tardivement les effectifs de lordre du Temple, il devait être veuf et avoir au moins 60 ans. Mais, à la différence de son géniteur, il disparaît aussitôt de la documentation. Ceci pourrait signifier que nous ayons là un exemple de professio ad succurendum, ladhésion au Temple dun homme arrivé à la fin de ses jours.
Les clercs
Le 29 mars 1139, le pape Innocent II fulminait la bulle Omne datum optimum, par laquelle il accordait entre autres choses aux templiers le droit davoir leurs propres prêtres, assurant ainsi à lordre son autonomie par rapport aux autorités ecclésiastiques séculières. Au sein de lordre du Temple, les frères chapelains et les clercs formaient une catégorie distincte, minoritaire en effectifs, dont la fonction essentielle était dassurer les différents offices liturgiques dans les maisons pourvues dune chapelle. Recrutés dans lordre après quils aient été ordonnés prêtres, ces clercs entendaient les confessions de leur correligionnaires et dispensaient les sacrements.
La commanderie du Masdéu, on la vu, fut très vite dotée dun lieu de culte et un premier frère chapelain est mentionné en 1146 (88).
À la fin du XIIIe siècle, des chapelles furent également édifiées dans les maisons de Perpignan et du Mas de la Garrigue.
En janvier 1310, linterrogatoire des vingt-cinq templiers emprisonnés dans lenceinte du Masdéu nous apprend que quatre dentre eux étaient prêtres-chapelains : deux officiaient dans la chapelle Sainte-Marie du Masdéu, un dans léglise du Temple de Perpignan et le quatrième dans la chapelle du Mas de la Garrigue.
Il nexiste aucun indice attestant de lexistence de chapelles dans les autres maisons de lordre établies en Roussillon et Fenolhedès. On ignore ainsi de quelle manière les templiers chargés dadministrer ces commanderies subalternes remplissaient les devoirs spirituels que leur dictait leur règle. Disposaient-ils dautels portatifs ? Suivaient-ils les offices dans les églises paroissiales ? La documentation napporte aucune réponse à ces questions.
Tout comme les chevaliers et les sergents, les frères chapelains qui officièrent dans les maisons roussillonnaises de la Milice étaient originaires de la province, tous catalans, semblet-il, la plupart roussillonnais. On remarque que deux frères nommés Berenguer de Palau exercèrent à un siècle dintervalle la fonction de chapelain du Masdéu, le premier en 1180-1203, et le second de 1269 à 1285, avec toutefois une longue interruption entre 1273 et 1280, ce qui suggère quil dut, comme la plupart de ses collègues, exercer dans dautres commanderies de la maîtrise provinciale avant de revenir en Roussillon. Ces deux prêtres homonymes étaient sans aucun doute apparentés et originaires du castrum de Palau [del Vidre], dont la seigneurie avait été léguée à lordre du Temple par le comte Girard II en 1172.
Ramon Sapte, le seul chapelain connu du Mas de la Garrigue, fut reçu dans lordre en 1297 et exerça jusquà larrestation des templiers roussillonnais vers la fin du mois de décembre 1307. Son nom suggère quil devait être originaire de Malloles, où une famille Sapte, bien attestée par la documentation dès la fin du XIIe siècle, figure parmi les hommes amansats (dépendants exploitant un mas) du Temple (89).
Lidentification des autres chapelains ayant officié dans les commanderies roussillonnaises est plus aléatoire. Il convient toutefois dévoquer le cas de Guillem dAlbesa, dont le surnom évoque une localité catalane, aujourdhui située dans la comarca de la Noguera. Après avoir occupé le poste de chapelain du Masdéu pendant un courte période, il est attesté de 1202 à 1205, celui-ci fut affecté à la commanderie de Gardeny, plus proche de sa
patrie, où il exerça pendant tout le reste de sa carrière, soit de 1208 à 1237. John Alan Forey a souligné le caractère exceptionnel de la permanence de ce chapelain au sein dune même commanderie. Lexemple de Bartomeu de la Torre, chapelain de Perpignan de 1281 à 1307 démontre cependant que les cas de longévité à un même poste nétait pas si rares. Ce prêtre était sans doute dorigine roussillonnaise puisque sa réception dans lordre eut lieu au Masdéu la veille de Noël de lan 1280. Peut-être était-il natif de la petite localité de Latour-bas-Elne ?
Du fait de leur formation littéraire, les clercs étaient amenés à exercer des travaux décriture pour la communauté, les plus doués pouvant même assumer la fonction de scribe.
Le diacre du Masdéu, Arnau de Nyls, instrumenta ainsi des dizaines dactes pour le compte des templiers roussillonnais entre 1177 et 1195. Mais comme John Alan Forey a pu lobserver dans les autres commanderies de la province de Catalogne et Aragon, la généralisation du
notariat public au siècle suivant mit un terme à cette pratique (90).
Les frères sergents
Les frères sergents constituaient le gros du contingent du Masdéu. En janvier 1310, parmi les vingt-cinq frères emprisonnés dans cette commanderie, on dénombrait pas moins de dix-huit sergents. Les archives du Masdéu nont pas conservé dactes rapportant la réception dun sergent dans lordre du Temple. Ceci est sans doute imputable au fait que la majorité dentre eux étaient issus dun milieu social modeste et que, par conséquent, leur profession nétait pas assortie dune donation de biens fonciers. En admettant que laffiliation dun sergent ait donné lieu à la rédaction dun acte, nayant pas valeur de titres de propriété, celui-ci avait bien peu de chances detre conservé. On en est réduit à supposer que la profession des frères
sergents devait saccompagner de la remise dune petite somme dargent ou de quelques biens meubles.
Recrutés localement, les frères sergents étaient surtout issus de la paysannerie. Nombre dentre eux étaient recrutés dans les familles de dépendants du Temple. Leurs noms évoquent souvent des localités où lordre était solidement implanté. Il nest pas rare de retrouver des membres dune même famille. Cest le cas par exemple de la famille Boer dont on trouve des représentants à Bages et à Villemolaque. Frère Guillem Boer est lun des dix-sept templiers du Masdéu souscrivant la vente faite par le chevalier Pere de Castell à frère Pere de Malon, commandeur du Masdéu, de tout son castrum de Saint-Hippolyte le 31 mai 1236 (91).
Huit ans plus tard, au mois davril 1244, trois actes évoquent frère Pere Boer, commandeur du Mas de la Garrigue (92).
Quelques sergents, les plus instruits, étaient vraisemblablement issus de familles aisées de la paysannerie, voire de la bourgeoise. Mais la documentation néclaire malheureusement pas suffisamment ces questions importantes touchant à lorigine sociale et à la formation du personnel templier.
Nous lavons dit, les frères sergents exerçaient des fonctions subalternes au sein de la commanderie du Masdéu. Les plus doués se voyait confier la direction des commanderies secondaires ou des postes administratifs importants, tel que celui de batlle forain. Chargé de suppléer les commandeurs du Masdéu et de ses maisons subalternes en leur absence, le batlle forain exerçait une fonction itinérante. Il disposait dun pouvoir décisionnel qui lui permettait dintervenir dans la gestion des biens de lordre dans lensemble de la batllie du Masdéu, cest àdire dans la totalité des territoires soumis à juridiction de cet établissement : soit le diocèsedElne et la vicomté de Fenolhedès.
Les associés du Temple
À la périphérie des frères ayant prononcé leurs voeux, gravitait tout un univers composite de laïcs unis à lordre du Temple par des liens plus ou moins formels, le plus souvent pour des motifs spirituels, mais aussi, parfois, pour des raisons plus prosaïques. Il est de ce fait malaisé de distinguer de façon précise les différents statuts de ces associés (93).
Les spécialistes qui se sont penchés sur la question ont tenté den établir une classification, que le chartrier du Masdéu documente de façon très inégale (94).
Les fratres ad terminum
Les fratres ad terminum sont des chevaliers qui sengagent à combattre pour le Temple pendant une durée déterminée. Il sagit dune catégorie que les sources de la commanderie roussillonnaises ninforment pas. On en trouve par contre de nombreux témoignages dans les archives dautres maisons templières de Catalogne. Il subsiste ainsi un magnifique inventaire de fratres ad terminum, rédigé vers 1134, dressant la liste de vingt-sept magnats qui, à la suite du comte de Barcelone et du sénéchal Guillem Ramon de Montcada, ont promis de servir sous les ordres du maître du Temple pendant une année (95).
Les confrères
Les confrères ou fratres ad succurrendum sont des laïcs qui se donnent à lordre militaire par un acte écrit, dont une clause leur réserve la faculté den devenir profès sils expriment la volonté de renoncer à la vie séculière. En Roussillon, comme ailleurs, le statut de confrère du Temple apparaît comme une prérogative réservée aux membres de laristocratie (96).
Les contrats daffiliation revêtent la forme dune traditio animae et corporis assortie dune élection de sépulture dans le cimetière du Masdéu, ou, si le décès survenait outre-mer, dans le cimetière dune maison templière de Terre sainte. Les archives du Masdéu conservent plusieurs actes de ce type, dont la préservation est certainement imputable à leur fonction juridique de titres de propriété. Les entrées en confraternité étaient en effet généralement assorties dune donation de biens patrimoniaux à létablissement religieux.
Au mois davril 1143, Pere Bernat donne son corps, dans la vie et dans la mort, à la chevalerie de Jérusalem, ainsi que trois bordes et un jardin quil possède à Saint-Féliu dAmont (97).
En contrepartie, les templiers du Masdéu sengagent à transporter sa dépouille dans leur cimetière et lui garantissent une sépulture identique à celle de lun de leurs frères (98).
Toutefois, si Pere Bernat manifeste un jour le désir de se donner personnellement, les templiers devront le reçevoir sans délai et lui donner la nourriture et lhabit comme à lun des leurs ; ils prendront alors possession des deux bordes et du jardin dont il sest réservé
lusufruit. De même, les templiers auront lalleu quil laisse en héritage à son fils Pere, si ce dernier décède sans postérité légitime (99).
En 1182, cest le seigneur Berenguer de Bages qui demande à être reçu dans lOrdre avec
son cheval, ses armes et les autres aumônes quil voudra leur faire (100).
Un an plus tard, cest au tour du puissant aristocrate Ermengau du Vernet de saffilier à la milice du Temple (101).
Pere Ramon de Buada fait de même en 1194 (102), imité par Guillem Jordà de Canet en 1202 ou 1203, ce dernier prévoyant de prendre lhabit dans le courant de lannée suivant sa donation (103).
On observe que les scribes du milieu du XIIe siècle emploient indifféremment les mots frater et confrater pour désigner les templiers (104). Par contre, à partir de la fin du siècle, les rédacteurs dactes frottés de droit romain opèrent une distinction sémantique entre les deux vocables (105).
Il convient dévoquer ici le cas particulier du vicomte de Fenolhedès, Peire, dont lacte daffiliation semble perdu, mais à propos duquel des détails particulièrement intéressants nous sont connus grâce aux pièces réunies dans le volumineux procès-verbal du recours en
cassation entamé en 1300 devant la cour pontificale par son petit-fils, le chevalier Peire de Fenouillet (106).
On y découvre tout dabord une copie de la sentence de condamnation pour crime dhérésie prononcée le 5 septembre 1262 par linquisiteur dans les provinces de Narbonne et dArles, frère Pons du Pouget, à lencontre du vicomte de Fenolhedès, qui, précisons-le, était mort vingt ans auparavant, entre le 18 juillet et le 30 décembre 1243 (107).
Considérant quil a été prouvé que de son vivant celui-ci avait fréquenté et visité les hérétiques, quil les avait adoré selon leurs rites et avait écouté leurs sermons, et que, au cours de son agonie au sein de la commanderie du Masdéu, quatre dentre eux étaient venus, deux par deux, lhérétiquer, linquisiteur dominicain y prononce une sentence définitive contre le vicomte, reconnu, à titre posthume, croyant des hérétiques. Il ordonne par conséquent que les ossements du coupable, sils peuvent être identifiés, soient exhumés du cimetière des fidèles afin dêtre brûlés (108).
Cette condamnation infamante devait savérer particulièrement lourde de conséquences pour les héritiers du vicomte, puisquelle avait pour principale conséquence dentraîner la confiscation immédiate des biens du condamné au profit du roi de France (109).
Elle dut en tout cas peser bien lourd sur les épaules du petit-fils homonyme du condamné, qui neut de cesse au cours de sa longue existence de récupérer lhéritage et le titre vicomtal dont il avait été dépouillé dans sa prime jeunesse du fait de cette sentence inquisitoriale (110).
Les informations les plus détaillées concernant laffiliation du vicomte Peire à la commanderie templière du Masdéu nous sont révélées par les positions présentées au Vatican en février et mars 1302 par Guillem Daví, procureur du chevalier Peire de Fenouillet, devant Jean, cardinal du titre de saint Marcelin et saint Pierre, commissaire député par le pape Boniface VIII (111).
Le juriste roussillonnais y expose notamment comment, à la fin de sa vie, le vicomte de Fenolhedès avait quitté son épouse Gueraua de Caudiès, avec le consentement de celle-ci, afin dintégrer lordre de la milice du Temple. Il aurait ensuite reçu lhabit des mains des frères du Masdéu avant de finir ses jours en templier dans lenceinte de cette commanderie. Il y aurait enfin reçu les sacrements, confessé ses péchés, communié et reçu lextrême onction avant de mourir. Si lon en croît Guillem Daví, dans son dernier testament, le vicomte Peire aurait élu sépulture dans le cimetière de Sainte-Marie de la maison du Temple et aurait fait plusieurs legs pieux aux frères Prêcheurs et à dautres établissements religieux. Dans son argumentation, le clerc affirme que les privilèges, statuts, coutumes et la règle du Temple stipulent que celui qui entre dans lOrdre et en revêt lhabit est aussitôt considéré comme profès et soumis à cette religion comme sil y avait séjourné un an ou plus (112).
Il est particulièrement intriguant de constater que les archives du Masdéu nont conservé aucun document se rapportant au vicomte Peire, ni donation effectuée de son vivant, ni son acte dentrée en confraternité non plus que son testament. La tentation est grande dattribuer cette bien étrange lacune à la volonté des templiers deffacer de leurs archives toutes traces compromettantes de leurs relations avec lhérétique. Mais aussi séduisante que soit cette interprétation, rien ne permet daffirmer que cette mémoire fut oblitérée délibérément consécutivement à la sentence dexhumation, dont on ignore dailleurs si elle fut effectivement appliquée (113).
Mais on imagine volontiers dans ce cas le scandale provoqué par la profanation du cimetière de Sainte Marie du Masdéu et lembarras des templiers du Masdéu ainsi convaincus de recèle dhérétique !
Les sources judiciaires nous révèlent donc un peu de ce que taisent les sources diplomatiques. Les procès de la famille de Fenouillet sont particulièrement dignes dintérêts car ils ont le mérite rare de mettre en évidence la complexité et lambiguïté des motivations qui dictaient les choix spirituels dun aristocrate de haut rang, qui fut lun des principaux protagonistes de la grave crise politico-religieuse ayant affecté le Midi languedocien dans la première moitié du XIIIe siècle (114).
Seigneur dune contrée devenue le dernier camp retranché des ultimes défenseurs de la cause hérétique et le cadre dune partie déchec politique dont les enjeux le dépassaient certainement, le vicomte Peire na pas trouvé de meilleure solution pour sauver son âme que de confesser sa foi cathare en habit de templier. Malheureusement pour ses héritiers, linstitutionnalisation de lInquisition devait bientôt mettre un terme à cette forme de compromis.
La véracité des accusations affirmant que, vers la fin de lannée 1243, des parfaits cathares, qui allaient toujours par deux, se sont rendus à deux reprises au Masdéu afin dy administrer le consolamentum au vicomte de Fenolhedès, ne semble pas devoir être remise en cause. On imagine mal, en effet, comment les templiers, qui avaient largement bénéficié des libéralités de son lignage depuis quatre générations, auraient pu interdire la pratique du rite cathare à leur puissant bienfaiteur. Relevant directement de lautorité du pape, les religieux navaient pas à craindre les sanctions prescrites par les autorités temporelles à lencontre des fauteurs dhérésie (115).
Dautant quen 1199 le pape Innocent III, afin de favoriser le recrutement de nouveaux chevaliers au sein de la milice du Temple, avait garanti limmunité aux chevaliers excommuniés qui sengageraient dans lordre. Cette mesure suscita sans nul doute laffiliation au Temple de bon nombre de seigneurs dont le patrimoine était menacédexposition en proie du fait de leur compromission avec la religion cathare (116).
De fait, le vicomte de Fenolhedès ne fut pas le seul magnat mort en habit de templier dans la commanderie du Masdéu à subir les foudres de lInquisition. Ce fut également le cas de Ponç III du Vernet, condamné à titre posthume en 1260 (117).
Dans son testament, dicté le 25 avril 1211 alors quil sapprêtait à partir en pèlerinage au Saint-Sépulcre de Jérusalem, ce protecteur des faidits occitans réfugiés en Roussillon remet son corps et son âme à la milice du Temple, léguant à celle-ci lintégralité de ses droits sur le castrum et le territoire de Saint-Hippolyte, ainsi que son équipement de chevalier : cheval, armes et haubert (118).
Un autre bienfaiteur de lordre du Temple, Arnau de Mudagons, vassal de Ponç du Vernet, fut également convaincu dhérésie (119).
Attitude pragmatique davantage attribuable à une prise en compte des réalités socioéconomiques locales quà un esprit de tolérance spirituelle, la neutralité bienveillante dont les templiers firent preuve à légard des hérétiques a également été constatée dans le contexte de la croisade contre les Albigeois. En dépit des directives du Saint-Siège, la plupart des maisons méridionales des ordres militaires ont refusé de se compromettre dans cette guerre sainte engagée à lintérieur même de la chrétienté (120).
Pour ces religieux, sopposer catégoriquement aux zélateurs de la théorie des deux principes aurait signifié saliéner une proportion considérable de leur clientèle, et par voie de conséquent à se compromettre dans une opération particulièrement préjudiciable pour eux en terme dimage et de ressources financières.
Les donnés
La forme daffiliation au Temple la plus largement documentée par les archives du Masdéu concerne la catégorie des donnés. Déjà attestée dans le cadre des monastères bénédictins dès lépoque carolingienne, la donation de soi apparaît comme une pratique sociale et spirituelle protéiforme. Les études consacrées à cet usage répandu dans la société chrétienne soulignent en effet la grande variabilité du statut de donné, ses contours imprécis et son caractère polyvalent, toujours singulier et équivoque (121).
Le donné -donatus- est une personne laïque qui, sans prononcer les voeux, se donne à un établissement religieux pour jouir, dans la vie comme dans la mort, des bénéfices spirituels de lordre auquel il se lie. La finalité déclarée de cette pratique étant lobtention du privilège dêtre enterré dans le cimetière de la communauté à laquelle le donné désire être associé. Tout comme pour lentrée en confrérie, lacte doblature adopte la forme dune traditio animae et corporis ou dun testament assorti de la transmission de biens patrimoniaux à la commanderie daccueil.
Le plus ancien exemple dauto-dédition au Masdéu concerne Ramon de Montesquieu. Il était le troisième fils de Guillem Bernat de Sant Cristau, chef dun influent lignage aristocratique roussillonnais ayant adopté vers 1120 le nom du château de Montesquieu nouvellement édifié sur le piémont septentrional du massif de lAlbera (122).
Malade, Ramon de Montesquieu fait rédiger son testament le 4 septembre 1144. Il remet son corps et son âme à Sainte-Marie du Masdéu, entre les mains du maître provincial, Pere de Rovira, et de frère Bernat de Peralada. Il lègue au Temple divers biens immobiliers ainsi que son meilleur cheval, ses vêtements, 80 morabatins et besants et une étoffe de soie. Il lègue un cheval au Sépulcre du Seigneur, ordre de chanoines établis à Jérusalem, et un mulet et son harnachement à lHôpital de Jérusalem (123).
Ces dispositions expriment clairement lengouement de ce cadet de laristocratie roussillonnaise, seigneur de Nyls, pour les ordres établis pour la défense de la Terre sainte et, par conséquent, son adhésion personnelle à lesprit de croisade.
Lacte de donation de soi concernait aussi bien les hommes que les femmes. Il intervenait bien souvent au crépuscule de la vie, et sa formalisation juridique prenait alors place en tête du testament, dans la clause stipulant lélection de sépulture. Cest le cas dErmessen Raffarda, épouse et mère de chevaliers établis dans le village de Théza, qui rédige son testament le 24 novembre 1215. Il apparaît que cette dame avait alors atteint un âge avancé, puisque quelle évoque son petit-fils Pere comme lun de ses héritiers. Elle remet son âme et son corps pour être ensevelie dans le cimetière de Sainte-Marie du Masdéu, avec son lit garni de draps. Ermessen lègue aux frères de cette commanderie son honneur de Nyls, à charge pour ces derniers de le délivrer en remboursant la somme de 65 sous de monnaie barcelonaise pour laquelle celui-ci est engagé. Elle donne également aux templiers le droit etle dominium quelle a sur un champ que Guillem Bonet de Mosselons et son frère Ramon tiennent pour elle dans le territoire de Saint-Esteve de Vilarasa (124).
Pour un motif qui na pu être élucidé, le cartulaire du Masdéu contient également la copie de lacte de donation de soi dun seigneur occitan, Peire de Graulhet, à la maison du Temple de Vaour, en Albigeois. Daté de 1211, ce document présente la particularité dêtre rédigé en langue romane (125).
Nous reviendrons ultérieurement sur la question de la présence de ce document forain dans les archives de la commanderie roussillonnaise.
La similitude des statuts de donné et de confrère apparaît clairement dans le testament de Pere de Llupia en date du 31 août 1214. Malade, ce seigneur remet son âme et son corps à Dieu et à Sainte-Marie du Masdéu. Il lègue aux templiers tous les droits quil tient pour eux et pour Bremon de Vilallonga sur un champ et une vigne situés dans le territoire de Malloles. Il demande à ce que les frères du Masdéu les reçoivent, lui et son fils Ramon, pour donnés, quand ils voudront prendre lhabit de cette maison (126).
Il institue ensuite son fils son héritier et le confie, ainsi que sa mère Maria Gautera, à la protection et tutelle des frères de la milice du
Temple, à condition que Maria leur fasse une oie de cens annuel sa vie durant (127).
Cet exemple montre quau début du XIIIe siècle certains scribes roussillonnais neffectuaient aucune distinction sémantique entre les termes donatus et confrater, puisque dans les deux cas lauteur de lacte pouvait envisager de faire profession et de devenir un membre à part entière de lordre du Temple.
Son héritier étant trop jeune pour sassumer et se défendre par ses propres moyens, Pere de Llupia avait donc jugé prudent de mettre sa famille à labris en confiant sa protection à lordre militaire, dont la mission dassistance et de protection est ici clairement exprimée. Il faut dire que ce testament intervient dans un contexte politique particulièrement perturbé, notamment depuis la mort de Pere II à la bataille de Muret en 1213. Aux frontières du Roussillon, larmée croisée dirigée par Simon de Montfort poursuivait alors sa guerre contre les seigneurs faidits, cette fraction insoumise de laristocratie languedocienne ouvertement soutenue par les magnats nord-catalans ; ceux-ci était en effet étroitement unis depuis longtemps par détroits liens de parenté et un inextricable réseau de fidélités.
Le climat dincertitude qui régnait alors dans les comtés catalans explique sans doute les préoccupations exprimées le 29 mars 1214 dans le testament de Guillem de Montesquieu et leur similitude avec celles formulées quelques mois plus tard par Pere de Llupia. Guillem de Montesquieu remet son corps à la milice du Temple pour être enseveli dans le cimetière Sainte-Marie de la commanderie du Masdéu. Pour le salut de son âme, il lègue son cheval et ses armes au Masdéu, ainsi que tout ce quil possède dans le territoire de Sainte-Marie de Nyls. Il charge le commandeur et les frères du Masdéu de veiller à lexécution de ses différents legs et dispositions et, surtout, dassurer la protection de ses enfants, que les religieux entretiendront avec ses revenus patrimoniaux jusquà ce que son fils aîné, Bernat, atteigne lâge de 25 ans et entre en possession de son héritage. Pour plus de sûreté, il nomme sept coadjuteurs quil charge dassister les templiers, lesquels auront pouvoir de les révoquer.
Il enjoint enfin son seigneur Hug, comte dEmpúries, Nunó Sanç, seigneur de Roussillon et de Cerdagne, et Ponç de Vernet de protéger les templiers et leurs coadjuteurs. (128).
Le luxe de précautions déployé afin de garantir les chances de survie de sa postérité révèle la prégnance des préoccupations patrimoniales et lignagères qui semparent de lesprit de laristocrate au moment ou celui-ci envisage léventualité de sa propre mort (129).
Guillem de Montesquieu na manifestement pas rédigé son testament sous la menace létale dune maladie. Il nest pas fait état dune telle situation dans le préambule de lacte, alors que les scribes nomettaient alors jamais de le préciser au moyen de la formule detentus in egretitudine, comme dans le cas du testament de Pere de Llupia. On sait par ailleurs que Guillem de Montesquieu vécut au moins jusquen 1221 (130).
Ce sont donc dautres motifs que la maladie qui le poussèrent à mettre par écrit ses dernières volontés. Compte-tenu des circonstances, on peut supposer que ce seigneur roussillonnais sapprêtait à prendre part à une action militaire à lissue incertaine.
En effet, les chevaliers nattendaient pas toujours dêtre malades ou agonisants pour dicter leurs dernières volontés et gratifier les templiers de leurs libéralités. Dautres circonstances, tels que le départ pour une expédition militaire ou pour un long pélerinage, pouvaient les amener à envisager la perspective dun devenir aléatoire. Ce cas est parfaitement illustré par le testament de Bernat de Latour rédigé le 11 août 1229, alors que ce seigneur du Fenolhedès sapprêtait à rejoindre larmada réunie au port de Salou par Jaume Ier afin de conquérir le royaume musulman de Majorque (131).
Après avoir désigné le commandeur du Masdéu et Guillem de Niort ses exécuteurs testamentaires, Bernat de Latour lègue son corps au Masdéu, avec son cheval et ses armes de fer et de bois, ou la somme de 1000 sous de monnaie melgorienne, si cela convient davantage aux frères de cette maison. Cette alternative mérite dêtre soulignée, outre quelle témoigne de la monétarisation de la société, elle met aussi en évidence la conscience de la part du testateur du fait que pour des convenances pratiques et gestionnaires les templiers du Masdéu pouvaient préférer recevoir un somme en numéraire plutôt quun équipement de chevalier plus ou moins usagé, qui pouvait savérer plus embarassant quautre chose dans une commanderie rurale éloignée du front. Il est ensuite précisé que ces dispositions avaient déjà fait lobjet de transactions antérieures, mais ces documents sont aujourdhui perdus (132).
Ce testament a été rédigé à Perpignan, comme lindiquent le nom du premier témoin, frère Pere, procureur de la milice du Temple de Perpignan, et le fait que lacte a été instrumenté par le scribe Bernat Sapte, substitut du notaire perpignanais Pere de Riu.
Dans les chartes roussillonnaises de la première décennie du XIIIe siècle, le statut des individus qui entrent dans la familia de lordre militaire est définie par les substantifs donatus et conservus. Par commodité, nous avons traduit conservus par le terme englobant de serviteur, qui exprime ici lexclusivité du lien personnel unissant le donné à la maison religieuse qui le reçoit dans sa confraternité spirituelle (133).
Le chartrier du Masdéu conserve dix actes de cette nature qui permettent de situer ce phénomène social dans une fourchette chronologique comprise entre 1200 et 1235 (134).
On peut donc supposer que la généralisation de cette pratique a quelque chose à voir avec le contexte politique et social difficile qui caractérise cette période troublée de lhistoire des comtés nord-catalans. Passé 1233, les donnés du Temple ne sont évoqués quune seule fois, et encore de façon très évasive (135).
Les quelques exemples suivants illustrent la souplesse de cet engagement spirituel contracté par des personnes laïques, susceptible de sadapter aux attentes individuelles des donnés en fonction de leur situation socio-économique et familiale.
Le 14 mai 1202, Bernat Armiger se donne à la milice du Temple et à Pere Raül, commandeur du Masdéu, pour donné et serviteur dévoué. Il donne tout ce quil a sur le droit de mesurage du blé de toute la ville de Perpignan, ainsi que le quartum (redevance foncière proportionnelle en nature correspondant au quart de la récolte) quil perçoit sur une vigne tenue pour le Temple dans la paroisse de Sainte-Marie de Malloles. Par une clause
dexclusivité, il sengage à ne pas revenir sur son engagement en se mariant ou en ralliant un autre ordre ou établissement religieux. Bernat Armiger continuera à jouir de ces droits sa vie durant, tant quil restera dans le siècle. Et sil désire entrer dans lOrdre de son vivant, les templiers devront le reçevoir comme un de leurs frères, selon leur coutume et suivant les prescriptions du maître ; et si la mort le surprend dans le siècle, ils sengagent à ensevelir son corps dans le cimetière Sainte-Marie du Masdéu, de sorte quil ait perpétuellement part à tous les biens spirituels de lOrdre. À sa mort, les templiers posséderont tout ce quil leur donne, ainsi que tout ce quil leur léguera dici là (136).
Cet acte a été rédigé par le diacre Berenguer, qui a instrumenté 17 actes pour les templiers entre 1194 et 1213. Ce praticien expérimenté était
sans doute en poste dans une localité proche du Masdéu, puisquil instrumente également pour le prieuré voisin de Sant Salvador de Cirà en 1205 (137).
Le 26 mai 1204, le diacre Berenguer adapte et enrichit son formulaire afin de rédiger lacte doblature de Palaçol Menestral de Palol, petite localité qui se situait à proximité de la cité dElne. Ce dernier se donne à frère Bernat de Gunyoles, commandeur du Masdéu, et à frère Pere Porcell, commandeur du Mas de la Garrigue, pour donné, dévoué et fidèle serviteur de la milice du Temple, et également pour homme propre et soliu (exclusif), avec toute sa progéniture et tous ses biens meubles et immeubles (138).
À titre récognitif de cette entrée en hommage, il remet aux templiers 50 sous de monnaie barcelonaise et un mas situé dans la villa de Palol. Il se réserve toutefois lusufruit de ce mas, pour lequel il acquittera 12 deniers de cens à Noël. Si, au moment de sa mort, il a un ou plusieurs enfants naturels, il pourra en désigner un pour lui succéder dans ce mas ; par contre, sil na aucun successeur vivant, le tout reviendra à la milice du Temple. De plus, sil souhaite entrer dans lOrdre, les templiers devront le recevoir comme lun des leurs avec tous ses biens, et, sil meurt dans le siècle, il recevra la sépulture dun donné dans le cimetière de Sainte-Marie du Masdéu, avec 100 sous et son lit garni de draps ; et il aura part à tous les biens spirituels de lOrdre. Il demande en outre que, de son vivant, les moines le protègent selon les bonnes coutumes du Temple.
Palaçol Menestral se fait à la fois donné et homme de corps. Il est particulièrement intéressant de constater ici la fusion en un même acte des deux procédures dentrée en dépendance, lune à caractère spirituel et lautre dordre matériel (139).
Le statut social de Palaçol Menestral, homme soliu et tenancier de mas, était bien éloigné de celui du chevalier Berenguer de Céret et de son épouse Saurina qui soffrent corps et âmes au Masdéu en 1233 (140).
Nous pouvons donc faire nôtre le constat suivant formulé par Elisabeth Magnou : « à chaque classe sociale correspond une manière de se donner, et la familia monastique offre les mêmes clivages que la société laïque. »
On rejoint donc les constatations déjà formulées à propos de la fonction sociale de loblature, pratique qui apparaît comme une sorte de contrat dassistance garantissant la prise en charge de personnes qui, pour des raisons diverses : guerre, vieillesse, endettement, insécurité ou autre, ressentent la necessité de parer à une éventuelle précarisation de leur situation sociale. De fait, devenir donné du Temple conférait au laïc un statut juridique particulier et certains avantages spirituels et matériels. Lobtention de ces avantages était rémunéré soit par le versement immédiat dune somme dargent, soit par une promesse de don en nature, le paiement dun cens récognitif garantissant la commémoration annuelle de lengagement pris. Afin de sassurer la mainmise définitive sur le patrimoine et les biens meubles promis par leurs familiers, les templiers exigeaient deux lexclusivité du lien de dépendance, condition que lon trouve clairement stipulée dans le dispositif juridique des actes doblature et dentrée en hommage (141).
Les donnés étaient des bienfaiteurs de la milice du Temple. À ce titre, ils pouvaient être amenés à débourser des sommes importantes pour contribuer à laccroissement de son patrimoine.
En 1218, les 250 sous dus pour un champ acquis par la commanderie du Masdéu à Villemolaque sont payés avec les deniers de Joan de Perpignan, donné de la milice du Temple (142).
Ce personnage nous est inconnu par ailleurs. Le document ne dit pas si lintervention de ce mystérieux donat était motivée par la seule charité et la volonté dapporter de cette manière son obole à lordre religieux. En fait, son geste pourrait tout aussi bien correspondre au remboursement dune dette quil aurait contractée auprès des templiers, ou, au contraire, les templiers momentanément à cour de trésorerie auraient pu demander à ce fidèle
de leur avancer cette somme contre promesse de remboursement. Quoi quil en soit, cet acte montre que les aspects financiers constituaient lun des facettes des activités déployées au sein du réseau de fidélité mis en place par les templiers.
À limage du vassal vis à vis de son seigneur, certains donats sengageaient sur le modeféodal à protéger et à défendre de tout leur pouvoir les templiers et leurs possessions (143).
Il apparaît que certains donnés résidaient dans les maisons de lordre, où ils mettaient leurs compétences au service de la communauté religieuse. La lecture de la liste des témoins dun contrat rédigé en 1229 nous apprend ainsi lexistence dun nommé Arnau, sous-diacre du Masdéu et donné. Son statut clérical laisse supposer que celui-ci exerçait des fonctions liturgiques dans la chapelle Sainte-Marie. On peut également envisager quil remplissait des tâches administratives, peut-être des travaux décriture et de comptabilité, entre les offices (144).
Un document montre que, dans certains cas particuliers, les donnés du Temple pouvaient même exercer un rôle actif et recevoir des donations au même titre que les responsables de lordre. Ainsi, le 17 janvier 1209, Guillem Jotbert de Bajoles et ses frères Pere, Joan et Ponç, du consentement de leur mère Germana, vendent au Masdéu et à Bernat Alacri, donné de la milice du Temple, une migère de bonne huile, mesure de Perpignan, que Guillem Bernat de Saint-Féliu dAvall leur fait de cens annuel pour une vigne quil tient pour eux, plus cinq quartons et demi dhuile, mesure de Saint-Féliu, de cens annuel, que leur font plusieurs tenanciers le jour de Noël. Ils cèdent en outre tous les droits et dominia quils ont sur cet honneur et tout ce quils possèdent dans la villa de Saint-Féliu dAvall et dans son territoire. Pour prix de cette vente, ils ont reçu 115 sous de monnaie barcelonaise (145).
Le nom de Bernat Alacri napparaît dans aucun autre document. Ce simple fait démontre à quel point notre connaissance du réseau de fidélité spirituelle tissé par les templiers reste tributaire des aléas ayant présidé à la conservation des archives. Il est bien évident que le nombre des donnés devait largement dépasser la dizaine dindividus dont les noms nous ont été conservés pour des raisons essentiellement patrimoniales.
On rappellera enfin que cette pratique était générale et concernait lensemble des établissements religieux. Cest le cas du prieuré bénédictin de Sant Salvador de Cirà, communauté établie dans le voisinage de la commanderie du Masdéu.
En 1199, dame Stella, mère de Ramon de Maureillas, se donne à léglise de Sant Salvador de Cirà, et aux frères et soeurs de cette communauté mixte, en main de son administrateur, le moine Ramon de Toulouges, afin de devenir soeur et donnée de cet établissement, selon la règle bénédictine, avec tous les biens quelle avait confiés à cette église. Elle donne également son mas et sa borde de Céret, avec leurs habitants, que tiennent pour elle Pere Porcell, de Céret, et son fils Bernat. Elle se réserve lusufruit de la moitié de ce patrimoine (146).
On relève également la présence de donnés dans le prieuré de chanoines augustiniens de Sainte-Marie del Camp, fondé vers le milieu du XIe siècle dans la paroisse de Saint-Pierre de Passa (147).
Les dépendants
Les hommes propres et solius
Cest un fait connu, le nord-est de la Catalogne figure parmi les régions dOccident où la servitude rurale, loin de décliner aux XIIe-XIIIe siècles, sest renforcée et a duré jusquà la fin du Moyen Âge. Dans le cadre de leurs seigneuries, les templiers du Masdéu ont par conséquent été amené à recourir à ce système reposant sur les liens personnels.
La mise en valeur des principales exploitations rurales, mas et bordes en Roussillon, casals en Fenolhedès, était confiée à des paysans unis à leur seigneur par des liens de dépendance personnelle. La condition juridique de ces remençes variait selon les seigneuries. Leur liberté dagir était soumise à des restrictions plus ou moins sèvères. Les hommes propres et solius étaient soumis à la juridiction exclusive de leurs seigneurs, sans aucune possibilité dappel.
La condition de ces paysans dépendants était étroitement liée à celle de leurs exploitations, doù lusage adopté par les notaires de la seconde moitié du XIIIe siècle dappliquer à ces hommes les épithètes amansatus, abordatus ou la locution homo de casalatico. Ces serfs chasés ne pouvaient abandonner leur exploitation quavec lautorisation de leur seigneur.
En règle générale, ils obtenaient leur charte daffranchissement moyennant le paiement dune somme dargent plus ou moins élevée (148).
Lacte suivant nous montre un couple de paysan entrant dans la dépendance de lordre du Temple après avoir sêtre libéré de ses anciens seigneurs.
Le 13 octobre 1195, Pere Mascharó de Nyls et son épouse Alisen se donnent avec tous leurs enfants pour hommes propres et solius à la milice du Temple, à Jausbert de Serra, commandeur, et aux autres frères du Masdéu. Ils remettent aux templiers la charte daffranchissement que leurs anciens seigneurs, Berenguer dOrle et son épouse Garsen, leur ont octroyée. Ils versent aux templiers un droit dentrée de 15 sous de monnaie barcelonaise et sengagent à payer à la maison du Masdéu un cens annuel de 2 sous le jour de la Toussaint. Lacte revêt ensuite la forme dune oblature puisque les deux époux élisent sépulture dans le cimetière de Sainte Marie du Masdéu. Pere Mascharó promet de léguer 100 sous de monnaie courante sil a des enfant ; dans le cas contraire, il sengage à laisser au Masdéu la moitié de tous ses biens. Son épouse promet pareillement de léguer toutes ses possessions si elle décède sans postérité après son mari.
Frère Jausbert de Serra reçoit le couple, avec toute sa postérité, pour hommes propres du Temple. Il promet de les aider, de les protéger et de les recevoir le jour de leur mort (149).
On constate à nouveau les difficultés éprouvées par les scribes issus du clergé roussillonnais qui sefforçent dadapter les premiers formulaires importés dItalie aux pratiques coutumières. Dans sa recherche dun vocabulaire exprimant la personnalité et lexclusivité du lien contracté, le prêtre rédacteur a adopté la locution homo proprius et solidus, dont cest dailleurs à ma connaissance la plus ancienne mention répertoriée dans les fonds roussillonnais. Lentrée en dépendance servile est manifeste, puisquelle donne lieu au paiement immédiat dun droit dentrée ou dinvestiture, et dun cens récognitif, mais elle est ensuite assortie dune élection de sépulture dans le cimetière de la commanderie, ce qui lapparente aux actes doblation évoqués auparavant. Il nest pas indifférent de remarquer que ce couple habitait le village de Nyls, petite localité rurale proche de Masdéu dont les templiers sefforçaient depuis une dizaine dannée de prendre le contrôle. Il est donc tout à fait envisageable que les templiers, lorgnant sur leurs possessions, aient incité Pere Mascharó et son épouse à entrer dans leur réseau de fidélité, en leur promettant en contrepartie leur service daide et dassistance et, surtout, une place enviée dans leur cimetière, autrement dit la promesse dune rédemption pour leurs âmes et un moyen daccéder plus sûrement aux portes du Paradis grâce à leur association aux bénéfices spirituels de la communauté religieuse.
Voyons maintenant un autre acte particulièrement intéressant, qui a le grand mérite déclairer le fonctionnement de ces structures dencadrement de la paysannerie. Son intérêt est dautant plus grand quil est lun des rares documents conservés éclairant le fonctionnement du système du casalage, léquivalant languedocien de la masade, dans le Fenolhedès de la fin du XIIIe siècle.
Vers 1290, Bernarda, épouse de Joan Bernat de Centernac, vendit à Peire Consill, habitant du castrum de Lansac, le casalage den Eulayrer. Comme les terres et autres possessions relevant de ce casalage, réparties dans les territoires de Centernac et de Lesquerde, relevaient de la juridiction du Masdéu, Peire Consill en fit hommage au commandeur du Masdéu, frère Ramon de Saguàrdia.
Par la suite, Peire Consill maria sa fille Cecilia à un habitant de Centernac nommé Ponç Malras. Dans le contrat nupcial rédigé par Peire de Vilarasa, notaire public du Fenolhedès, Peire Consill constitue en dot à sa fille le casalage den Eulayrer, quil avait probablement acheté à cette fin.
Puis, le 12 novembre 1292, profitant du passage au castrum de Centernac de frère Ramon de Saguàrdia, les jeunes époux viennent trouver celui-ci afin de lui demander dapprouver leur contrat de mariage et, par conséquent, de leur accorder linvestiture de leur casalage. Le commandeur accepte et leur concède la faculté dhabiter dans le casalage, à condition quils cultivent et fassent fructifier les possessions de cette exploitation rurale. Il est précisé que les époux jouiront des coutumes du castrum de Centernac aussi longtemps quils vivront dans ce casalage.
Les époux font alors hommage au commandeur, devenant ainsi homme et femme de corps et de casalage du Masdéu.
Un clause prévoit que si Ponç Malras quittait ce casalage, il serait aussitôt délié de cet hommage. Ponç Malras et Cecilia promettent ensuite sous la foi du serment de payer aux templiers les redevances et de faire les services accoutumés dus pour ce casalage et pour toutes les possessions qui en relèvent. Ils remettent alors au commandeur la somme de 40 sous de monnaie tournoise, prix de cette investiture.
Enfin, le commandeur délie Pere Consill de lhommage que celui-ci lui avait fait suite à lachat de ce casalage (150).
Les esclaves
Nous savons que pour assurer les taches domestiques les templiers, comme bon nombre de seigneurs méridionaux, avaient recours aux esclaves.
En 1260, le commandeur du Masdéu, frère Guillem de Montgrí, achète plusieurs esclaves à un habitant de Borriana, dans le royaume de Valencia, pour le prix de 1200 sous de monnaie barcelonaise (151).
En 1297, cest le commandeur de la maison du Temple de Perpignan, frère Jaume dOllers, qui achète un esclave sarrasin mis en vente sur le marché de la capitale de la couronne de Majorque (152).
Limplication des templiers roussillonnais dans le commerce desclaves est donc avérée.
Alimenté par les guerres et les razzias de la Reconquista et par lactivité des corsaires catalans en Méditerranée, le trafic desclaves trouvait ses principaux débouchés auprès des élites roussillonnaises, et notamment des dignitaires de son clergé, comme latteste le testament de lévêque dElne, Bernat de Berga, qui, en 1259, dispose de six sarrasins et de deux néophytes (153).
Les documents de lépoque ne précisent pas quelle fonction était dévolue à ces malheureux captifs vendus aux enchères publiques sur la place de Perpignan (154).
On peut toutefois supposer quils constituaient une main doeuvre appréciée, car bon marché, utilisée pour les travaux domestiques et agricoles155. Ils fournissaient sans aucun doute une partie des contingents nécessaires à la mise en valeur des terres exploitées en faire-valoir direct par les
templiers.
Les inventaires des commanderies catalanes et aragonaises réalisés au cours des années 1289-1299 montrent que chacun de ces établissements templiers possédait en moyenne une vingtaine desclaves, la commanderie de Gardeny en avait quarante-trois, celle de Miravet quarante-cinq, et celle de Monzón quarante-neuf (156).
On ne dispose malheureusement pas de telles données pour le Masdéu.
Notes. Effectifs
80. — Un dénommé Cabot de Tatzó souscrit le 26 octobre 1145 un accord entre Bernat Berenguer, vicomte de Tatzó, et le comte de Roussillon Gaufred III au sujet du lieu de Pujols, ADPO, 1B5.
81. — Voir ci-dessous la liste des effectifs templiers.
82. — Ce sont : Foulques de Montpezat, Guilhem de Londres et Raimond de Périgueux, pour le Languedoc, et Martín de Añesa, Pedro Jimenez et Guillem dAlcala, pour lAragon.
83. — Actes n° 22 et 26.
84. — Acte n° 28.
85. — Actes n° 31 et I. Le 4 février 1153, Arnaldus de Surniano qui tenet mansionem de Dozencs , concède une terre située dans le territoire de ce castrum, voir Pierre GERARD et Élisabeth MAGNOU (éd.), Cartulaires des Templiers de Douzens, cart. A, n° 17 ; voir également les n° 2, 41, 50, 54, 55, 67, 76, 117, 140, 147, 183, 187, 199, 206 et 207. On retrouve à plusieurs reprises à ses côtés Bernat de Fenouillet, un autre templier du Fenolhedès auquel il était peut-être apparenté.
86. — ADPO, H144.
87. — Acte n° 139.
88. — Acte n° 39.
89. — Acte n° 240.
90. — John Alan, FOREY, The templars in the corona de Aragon, Oxford, 1973, p. 275.
91. — Acte n° 342.
92. — Actes n° 425-427.
93. — Damien CARRAZ, LOrdre du Temple..., p. 288.
94. — Alain DEMURGER, Les templiers..., p. 124-128 ; Damien CARRAZ, LOrdre du Temple..., p. 332-357.
95. — Marquis A. dALBON, Cartulaire général de Iordre du Temple, 1119 ?- 1150, Paris, 1913, n° LXXII, p. 55.
96. — Alain DEMURGER, Les templiers..., p. 132.
97. — Il sagit peut-être de Pere Bernat de Castelnou. Auteur dune donation en faveur du Temple au mois de mars 1137, voir lacte n° 16. Celui-ci appartenait à une branche secondaire issue de la famille vicomtale de Castelnou, détentrice de droits important sur la villa de Saint-Féliu. Lacte est dailleurs souscrit par les coseigneurs de Saint-Féliu dAmont, Gausbert, vicomte de Castelnou, Udalger, vicomte de Fenouillèdes, et Pere Gausbert de Saint-Féliu, avec lesquels le donateur avait certainement des liens de parenté.
98. — « Et seniores de Manso Dei portent corpus meum, et sepeliant, et faciant pro me sicut pro uno de confratribus. »
99. — Acte n° 29.
100. — Acte n° 112.
101. — Acte n° 117.
102. — Acte n° 155. Dans cet acte le scribe emploie le terme de confraternitas, qui napparaît dans aucun autre document.
103. — « (...) tali scilicet conditione [quod a proxime venturo] festo Omnium sanctorum usque ad sequens festum Omnium sanctorum veniam ad ordinem domus Templi et habitum illius recipiam », acte n° 188.
104. — Voir par exemple les actes n° 35 et 45.
105. — En 1227, cest aux « fratribus et confratribus » de la maison du Temple que Bernat de Toulouges confirme la donation dun honneur situé dans la villa de Nyls, actes n° 299. La formule apparaît uniquement dans des actes rédigés par le scribe public de Perpignan, Pere de Riu, actes n° 302 et 314.
106. — Par chance, ce procès-verbal consigné dans un long rouleau de parchemin autrefois conservé dans les archives de lInquisition à Carcassonne a été intégralement recopié en 1669 par Gratian Capot, greffier du conseiller royal Jean de Doat, BnF, DOAT, vol. 33, fol. 1-188.
107. — Peire, vicomte de Fenolhedès, souscrit le 18 juillet 1243 laccord à lamiable réglant le conflit qui lopposait au précepteur de lhôpital dIlle à propos dune portion de dîme de la paroisse de Sainte-Marie de Saint-Féliu dAmont, ADPO, Arch. hôp. Ille, 3B510. Il est décédé avant le 30 décembre 1243, date à laquelle Ponç du Vernet confirme à lhôpital des pauvres dIlle-sur-Tet, la vente que le défunt vicomte de Fenouillet - Petrus vicechomes Fenoleti qui fuit condam - avait faite à leur établissement des revenus de Saint-Féliu dAmont, ADPO, Arch. hôp. Ille, 3B511.
108. — Acte n° XXV.
109. — Linquisiteur Pons du Pouget a instruit à Carcassonne le procès posthume du vicomte Peire contre la bellefille de ce dernier Beatriu dUrtx, tutrice des enfants et héritiers de son défunt mari, Hugues de Saissac. Mort prématurément et dans des circonstances inconnues entre le mois de juillet 1259 et le mois daoût 1261, ce dernier avait été persécuté par lInquisition.
Convaincu de crime dhérésie, il avait obtenu limmunité en contrepartie de la dénonciation de deux de ses vassaux, les chevaliers Bernat dAlion et Bertran de Sauto, qui furent aussitôt condamnés et brûlés à Perpignan, le 2 septembre 1258. On présume que cest dans ces circonstances obscures que le lignage perdit définitivement le titre vicomtal.
Mais force est de constater que nous ne savons pratiquement rien de la vie dHugues de Saissac, faute de documentation. Je nai en effet pu retrouver que trois actes le concernant : le 26 mars 1251, lors de la réunion des Corts de Barcelone, il fait partie des magnats qui font hommage à linfant Pere après que le roi dAragon Jaume Ier ait désigné celui-ci héritier des comtés catalans, Jaime VILLANUEVA, Viage literario a las iglesias de España, tome XVII, Madrid, 1831, doc. LXII, p. 351-354 ; il souscrit un acte le 4 avril 1257 et un autre le 3 juillet 1259, dans lequel il porte le titre de vicomte de Fenolhedès, Histoire générale de Languedoc, t. VIII, pr. n° 477. Beatriu dUrtx, se dit veuve dHugues de Saissac, vicomte de Fenolhedès, dans un acte du 2 août 1262, ADPO, Hôp. dIlle, 3B521.
Au début de lannée 1264, elle dépose un recours au Parlement de Paris afin quon lui assigne 900 livres pour sa dot et son douaire sur les biens de son défunt mari, autrement dit sur la vicomté de Fenolhedès.
Mais les juges français la déboutent en arguant que la vicomté avait été confisquée en raison des crimes dhérésie remontant à lépoque du vicomte Peire, et que par conséquent son fils ne pouvait légalement lui avoir assigné des rentes sur des biens qui ne lui appartenaient plus, voir BEUGNOT, Les Olims ou registre des arrêts rendus par la Cour du roi sous les règnes de Saint Louis, de Philippe le Hardi, de Philippe le Bel, de Louis le Hutin et de Philippe le Long (1254-1318), t. I, Paris, 1839, art. XII, p. 579-580.
Cet arrêt ne suffit pas à décourager la dame qui poursuivit ses renvendications jusquà sa mort survenue le 2 janvier 1299. On la découvre ainsi faisant état de sa qualité de veuve du vicomte de Fenolhedès dans un acte du 26 juin 1297, ADPO, Hôp. dIlle, 3B535. Dans cette affairecompliquée, lhérésie réelle ou présumée dHugues de Saissac semble navoir été quun prétexte.
LInquisition apparaît comme linstrument de la liquidation politique de la vicomté de Fenolhedès souhaitée par le roi de France et consentie, au moins tacitement, par celui dAragon. Cette entente venait en effet opportunément sceller la conclusion du Traité de Corbeil, par lequel Louis IX et Jaume Ier réglait définitivement la délicate question la frontière entre leur deux royaumes. Lex-vicomté de Fenolhedès ne fut plus dès lors quune simple viguerie de la sénéchaussée de Carcassonne.
110. — Peire de Fenouillet (vers 1250-1333) était le fils aîné et principal héritier dHugues de Saissac et de Beatriu dUrtx. Le 19 septembre 1264, soit quelques mois après léchec du recours intenté par sa mère au Parlement de Paris, le roi Jaume II dAragon constitue une rente au jeune Peire, pour que celui-ci en jouisse jusquà ce quil ait récupéré ses terres du Fenolhedès, ACA, reg. 13, fol. 222v.
On serait tenté de déduire de cet acte que Peire de Fenouillet sétait émancipé de la tutelle maternelle et quil avait atteint lâge de la majorité légale qui était alors fixé à quatorze ans, comme on peut le lire dans les statuts de Paix et Trêves du diocèse dElne et de Cerdagne promulgués le 2 octobre 1217, voir Gener GONZALVO I BOU, « La pau i treva del Rosselló de lany 1217 », Butlletí de la Societat Catalana dEstudis Histórics, n° XV (2004), p. 70-73. Destiné à obtenir la réhabilitation de son ancêtre et, par voie de conséquent, à récupérer la vicomté de Fenolhedès, le recours en cassation intenté à Rome en 1300 par le persévérant chevalier Peire de Fenouillet échoua après dix années de procédure. Mais lobstination de linfortuné héritier finit par payer puisque quil réussit à récupérer un titre vicomtal de consolation, celui dIlle, créé à son intention par le roi de Majorque Sanç le 27 octobre 1314, voir « Les vicomtes de Fenouillet et la vicomté dIlle », Ruscino, n° 1 (mars 1911), p.113-117.
111.— Guillem Daví, clerc et juriste originaire de Torreilles, a débuté sa carrière dans son village natal où il est chanoine de léglise Saint-Julien en 1290. Il apparaît ensuite comme chanoine de la cathédrale de Valencia en 1306, puis devient procureur du roi de Majoque en 1316.
112. — « Item, quod tam de privilegiis quam de statuto, usu seu consuetudine et observantia religionis ordinis fratrum militie Templi etiam a tempore cujus contrarii non extat memoria, approbatis et observatis eo ipso quod qui religionem eandem seu ordinem ingreditur, et habitum assumit etiam prima die reputatur et censetur professus, et per inde est et censetur dicto ordini et religioni astrictus, ac si per annum et ultra ibidem stetisset, et expresse professus fuisset », acte n° LXXVI.
Labsence de période de probation avant la profession est effectivement conforme aux usages du Temple comme le confirme le témoignage des templiers du Masdéu interrogés sur ce point par la commission épiscopale en janvier 1310.
En réponse à larticle XXXV du questionnaire mis au point par le Saint-Siège, frère Jaume des Boix précise que la réception des frères se faisait en chapitre, portes clauses et à lexclusion de personnes étrangères à lOrdre : « Confessus est eciam quod ipsi fratres incontinenti post recepcionem suam habentur pro professis juxta morem et statuta ordinis supradicti. Addidit quoque quod ipse receptiones dictorum fratrum fiunt in capitulis, clausis januis, et exclusis extraneis, preter fratres », voir Jules MICHELET, Le procès des Templiers, vol. II, 1841, (réédition C.T.H.S., Paris, 1987), p. 467. Pour une description détaillée du rituel de réception dans lordre du Temple voir Alain DEMURGER, Les Templiers..., p. 134-137.
113. — On verra que la conservation des titres dans les archives du Masdéu était essentiellement motivée par des considérations de défense des droits patrimoniaux, et que dans cette logique gestionnaire la personnalité des donateurs importait peu. Les lacunes de la documentation que lon constate dans les archives templières participent dun déficit général des sources se rapportant à la vicomté de Fenolhedès dont les causalités restent à éludicer.
114. — Vassal du roi dAragon et du vicomte de Narbonne, allié des comtes de Foix et de Toulouse, le vicomte de Fenolhedès, est lune des principales victimes de la croisade dirigée par le roi de France Louis VIII en 1226. Le 1er juin 1229, après trois ans de résistance, Peire de Fenouillet est contraint, avec sa mère Ava, de céder son château de Fenouillet et toute sa vicomté à Nunó Sanç, seigneur de Roussillon et Cerdagne, qui en avait reçu linvestiture des mains du roi de France en octobre 1226.
Le seigneur faidit conserve toutefois le reste de son patrimoine en Roussillon, Conflent, Vallespir et Capcir. Peire de Fenouillet nen abandonne pas pour autant la lutte et il participe avec Olivier de Termes, Guillem de Niort et Bernat Hug de Serralongue à la chevauchée désespérée de Raimon Trencavel qui échoue le 10 septembre 1240 devant les murs de Carcassonne, Archives Nationales de France, J 1030, n° 73.
La mort de Nunó Sanç et le soutien de Jaume Ier lui permettent de récupérer la vicomté de Fenolhedès pour laquelle Peire fait hommage au vicomte de Narbonne Amalric le 8 novembre 1242, voir DEVIC et VAISSETE, Histoire générale de Languedoc, vol. VIII, pr. 356.
115. — En 1233, Jaume Ier avait statué contre les fauteurs dhérésie, en ordonnant la destruction ou la commise des habitations de ceux qui accueillaient des hérétiques chez eux : « Statuimus ut domus recipientium haereticos scienter, si alodia fuerint, diruantur ; si feuda vel censualia suo domino applicentur », Pierre de MARCA, Marca Hispanica, app. DXI, art. IV, col. 1425.
116. — La question des relations entretenues par les templiers avec les partisans du catharisme a été explorée par Robert VINAS : Els templers al Rosselló, Lleida, 2002, p. 119-123.
117. — En 1260, ou peu de temps auparavant, frère Pere de Cadireta et frère Bernat des Bach, inquisiteurs dans les provinces de la Couronne dAragon, ayant prouvé que le défunt Ponç III du Vernet avait reçu les hérétiques, quil les avait aidés et adorés, et quil ne sen était jamais confessé ni repenti, prononcérent la confiscation de tous ses biens. Par la suite, le 6 octobre 1260, Jaume 1er accorda sa grâce à Ponç IV du Vernet, fils et héritier de lhérétique. Il lui restitua en pleine propriété de toutes les possessions confisquées par lInquisition en contrepartie dune amende considérable fixée à 22000 sous de monnaie melgorienne, ADPO, 1B10.
118. — Acte n° 232.
119. — Le chevalier Arnau de Mudagons fut condamné post mortem pour crime dhérésie par linquisiteur roussillonnais Ferrer, de lordre des frères Prêcheurs, qui prononça une sentence dexhumation et de crémation des restes de ce seigneur le 30 mars 1243, soit quelques mois avant que le vicomte de Fenolhedès intègre le Masdéu, ACA, Real Cancillería, perg. 910 de Jaime Ier. Lhérétique Arnau de Mudagons (attesté de 1201 à 1218) et son épouse Mascarosa sont les auteurs dune donation en faveur du prieuré de Sant Salvador de Cirà le 1er mai 1217, acte n° 257.
Il était probablement le fils dArnau de Mudagons (attesté de 1182 à 1184) et de Guillema Veguera, et le neveu de Jordà de Mudagons, auteurs en 1183 de la vente de létang de Caraig, sis près de Ponteilla, à frère Pere dAiguaviva, commandeur du Masdéu, acte n° 118.
Nous savons quArnau de Mudagons père était déjà décédé le 3 août 1195, date à laquelle sa veuve confirme la vente précédente à frère Jausbert de Serra, commandeur du Masdéu, acte n° 163. Situé à environ deux kilomètres à louest de Torreilles, Mudagons était un petit village de la plaine de la Salanque. Abandonné à la fin du Moyen Âge, il nen subsiste plus aujourdhui quun insignifiant pan de mur de léglise Saint-Sébastien.
Sur linquisiteur Ferrer, originaire de Villelongue de la Salanque, voir Walter L. WAKEFIELD, « Friar Ferrier, inquisitor », Heresis, n° 7 (1986), p. 33-41.
120. — Etienne DELARUELLE, « Templiers et Hospitaliers en Languedoc pendant la Croisade des Albigeois », Cahiers de Fanjeaux, 4, 1969, p. 315-334.
121. — José ORLANDIS ROVIRA, « Traditio animae et corporis: (la familiaritas en las Iglesias y Monasterios español en la alta Edad Media », Anuario de historia del derecho español, n° 24, 1954, p. 95-280 ; Élizabeth, MAGNOU-NORTIER, « Oblature, classe chevaleresque et servage dans les maisons méridionales du Temple au XIIe siècle », Annales du Midi, t. LXXIII (octobre 1961), p. 377-397 ; Charles de MIRAMON, Les « Donnés » au Moyen Age : Une forme de vie religieuse laïque, v. 1180-v. 1500, Paris, 1999 ; Lluis TO FIGUERAS, « Els remences i el desenvolupament de les viles catalanes a lentorn de 1200 », dans Louis ASSIER ANDRIEU et Raymond SALA (dir.), La ville et les pouvoirs. Op. cit. , p. 13. Cet auteur appuie sa réflexion sur des documents extraits du chartrier du Masdéu.
122. — Le 10 avril 1084, Guillem Bernat de Sant Cristau jure fidélité au comte de Roussillon Guislabert, son beaufrère, pour le château qui venait dêtre édifié à Vilanova (nom originel de Montesquieu) : « (...) de tuo op[p]ido vel castello vel forteda, qui nuper est situs in Villa nova (...)»,Francisco MIQUEL ROSSELL, Liber Feudorum Maior, vol. II, n° 720. Les archives du Masdéu conservent de nombreux actes perpétuant le souvenir de cet important lignage de bienfaiteurs de lordre du Temple.
123. — Acte n° 32.
124. — Acte n° 249.
125. — Acte n° 231.
126. — « (...) in tali pacto quod, quandocumque hora ego (et) Raymundus filius meus voluerimus accipere habitum ejusdem domus, fratres illius loci recipiant nos pro donatis cum aliis nostris rebus, exceptis illis que aliis subtus dimitto », acte n° 242.
127. — « Et dimitto eum et matrem ejus in potestate Dei et milicie Templi et fratrum ejus loci, ut illi sint tutores et defensores ac gubernatores eorum et omnium rerum suarum dum vixerint, et in tali modo quod uxor mea dicta faciat annuatim censum unam anserem milicie in omni vita sua. »
128. — Acte n° 241.
129. — On retrouve le même souci exprimé en 1219 dans le testament de Berenguer Siffre de Malloles qui confie son fils Ramon aux templiers « ut detis ei in domo Dei panem et aquam tanquam donato vestro », acte n° 268.
130. — Le 15 avril 1221, Guillem de Montesquieu, Ermessen, son épouse, et Bernat, leur fils, donnent et confirment à Sainte-Marie de Fontclara et à frère Arnau, prieur, le legs que leur a fait le défunt Bernat Mauro, de Banyuls, de deux moulins sis dans le casal des moulins neufs, dans la paroisse de Saint-Esteve de Nidoleres, au lieu-dit moulins neufs de Banyuls, ADPO, H27. Un acte du 30 avril 1223 nous apprend quil était alors décédé, acte n° 289.
131. — La flotte de Jaume Ier quitta le port de Salou, près de Tarragone, le 5 septembre 1229. Lévènement historique majeur que constitue la conquête de la principale île de larchipel des Baléares a récemment fait lobjet dune remarquable synthèse documentaire et iconographique : Agnès et Robert VINAS, La conquête de Majorque, Perpignan, 2004.
132. — « In primis relinquo corpus meum domui militie (Templi) Mansi Dei, cum meo equo et armis ferreis et ligneis, vel mille solidos malgoriensium bone monete, quocumque istorum elegerint fratres Mansi Dei, sicut continetur in instrumentis inter me et ipsos factis», BnF, Coll. Doat, vol. 40, fol. 232v-235. Je tiens à remercier M. Jean-Claude SOULASSOL qui a porté ce document à ma connaissance, voir lacte n° XIVbis.
133. — Niermeyer, sappuyant sur la documentation angevine, définit simplement conservus par « serf du même maître », J. F. NIERMEYER, Mediae Latinitatis Lexicon Minus, abrevationes et index fontium, Leiden, 1976, (réed. 1993).
134. — Actes n° 186, 193, 222, 242, 247, 249, 271, 303, 320, 323.
135. — En 1268, le contrat de location des pâturages de Camps en Razès évoque de façon générale les serviteurs et les donnés du Masdéu parmi les personnes autorisées à accéder aux pacages, acte n° 722.
136. — « (...) ego Bernardus Armiger, bona ac spontanea voluntate ductus, et bona fine, sine omni enganno, et pro remissione peccatorum meorum dono, laudo et firmiter concedo, et jure perfecte ac vere donationis cum hanc presenti carta in perpetuum valitura in presenti affirmo et trado, sine omni contradictu alicujus viventis persone, domino Deo, et beate Marie, et domui milicie Templi, et tibi fratri Petro Radulfi, preceptori Mansi Dei, et omnibus successoribus tuis, et omnibus fratribus, presentibus et futuris, totius predicte milicie Templi, me ipsum per donatum et per devotum conservum Dei, et beate Marie, et eidem milicie (...) », acte n° 186.
137. — Acte n° 196.
138. — « (...) ego Palaçol Menestral de Palaciolo, bona ac spontanea voluntate ductus et pie devotionis affectu et bona et firma ac tuta fide, sine enganno et sine omni malo ingenio et sine omni retentu et contradicto alicujus ordinis et alicujus religionis et alicujus domini et dominorum et domine, dono, laudo firmiterque concedo Domino omnipotenti Deo et beate Marie et domui milicie Templi et nominatim domui Mansi Dei et tibi fratri
Bernardo de Ceguinolis, preceptori Mansi Dei predicti, et tibi fratri Petro Porcelli, preceptori domus milicie de Garriga, et omnibus successoribus vestris et omnibus fratribus ejusdem milicie, presentibus et futuris, et jure perfecte ac vere donacionis cum hac presenti carta imperpetuum valitura corporaliter et manualiter trado et offero me ipsum per donatum et per devotum conservum et per fidelem servitorem et per hominem proprium et solidum et omnem progeniem que ex me egressa sive egressura est, et omnes res meas mobiles et inmobiles (...) », acte n° 193
139. — En 1209, un contrat similaire est établi pour Guillem Besser de Saint-Hippolyte, qui se donne « per donatum et proprium hominem et solidum » avec tous ses biens, acte n° 222.
140. — « (...) offerimus corpus nostrum et animam per donatos et conservos omnipotenti Deo et gloriose Virginis Marie domui milicie Templi Mansi Dei », acte n° 323.
141. — « (...) promitto vobis et dicte domui, bona fide, quod ab hac presenti die inantea de predicta donatione et hominatico me nec mea non extraham, nec ad alium ordinem nec ab aliud dominium sive potestatem non transfferam nec submittam absque vestro conscilio, set decetero ero vobis et dicte domui bonus homo et fidelis et rectus et utilius in omnibus et proprius ac solidus », acte n° 222.
142. — Cest ce que précise la clause suivante, que le diacre Arnau a ajoutée in extremis à la suite des souscriptions : « Et est certum quod jam dicta hec empcio fuit facta de denariis Johannis de Perpiniano, donati milicie Templi », acte n° 264.
143. — Cest le cas de Jaume, fils de Pere Andreu de Bages, qui se donne au Temple en 1220 : « (...) promittens vobis me bonus ac fidelis in omnibus in perpetuum esse, et vos et vestros et omnia ubique vestra custodire ac proibere ad omnem meum posse omni vita mea », acte n° 271.
144. — Actes n° 304 et 305.
145. — Acte n° 217.
146. — Acte n° X.
147. — En 1212, deux donnés de ce prieuré roussillonnais, Arnau Picain et Pere Donat (dont le surnom exprime ici sans équivoque le statut de lindividu), souscrivent léchange contracté entre leur établissement et la commanderie du Masdéu, acte n° 238. Pour une histoire de cet établissement voir Pierre PONSICH, « Le Monestir del Camp », Congrès archéologique de France, CXIIe session tenue dans le Roussillon en 1954 par la Société Française darchéologie, Paris, Orléans, 1955, p. 315-333.
148. — Sur cette forme particulière de servitude réelle dont les origines en Catalogne remontent à la seconde moitié du XIe siècle mais qui prend véritablement son essor au cours de la seconde moitié du XIIe siècle voir Paul H. FREEDMAN, The origins of peasant servitude in Medieval Catalonia, Cambridge University Press, 1991 ; Id., « Servitude in Roussillon », La servitude dans les pays de la Méditerranée occidentale chrétienne, Mélanges de lÉcole Française de Rome, Moyen Age, 2000, t. 112-2, p. 867-882 ; Lluis TO FIGUERAS, « Le mas catalan du XIIe s. : genèse et évolution dune structure dencadrement et dasservissement de la paysannerie », Cahiers de Civilisation Médiévale, Poitiers, 1993, p. 151-177 ; Id. « Els remences i el desenvolupament de les viles catalanes a lentorn de 1200 », dans Louis ASSIER ANDRIEU et Raymond SALA (dir.), La ville et les pouvoirs, Actes du Colloque du Huitième Centenaire de la Charte de Perpignan, 23/ 25 octobre 1997, Saint Estève, 2000, p. 131-156.
149. — Acte n° 164.
150. — Acte n° 1025.
151. — Acte n° XXIV.
152. — Acte n° LXXIV.
153. — Acte n° XXII. Les néophytes sont des nouveaux convertis à la religion catholique.
154. — Jean-Auguste BRUTAILS, Etude sur lesclavage en Roussillon, Paris, 1886.
155. — Un cas exemplaire de limportance de lusage des esclaves dans le cadre dun grand domaine monastique est celui de labbaye cistercienne de Poblet qui, daprès le compte-rendu de la visite de labbé de Fontfroide effectuée en 1316, comptait 92 religieux, 53 convers et... 63 esclaves ! François GRÈZES-RUEFF, « Labbaye de Fontfroide...», note 55, p. 276.
156. — Joaquim MIRET I SANS, « Inventaris de les cases del Temple de la Corona dAragó en 1289 », BRABLB, VI (1911). Sur la question de lesclavage dans les maisons du Temple de la Couronne dAragon voir Josep Maria SANS I TRAVÉ, « Els templers catalans, proprietaris desclaus », dans De lesclavitud a la libertat. Esclaus i lliberts a lEtat Mitjana. Actes del colloqui internacional, Barcelona, 27-29 de maig de 1999, Barcelone, 2000, p. 309-324.
3 - Lorganisation administrative
Lorganisation de lordre du Temple sest rapidement hiérarchisée. Elle repose sur trois niveaux : le gouvernement central, les provinces et les commanderies. Ce dispositif administratif permet à lordre militaire de se procurer le personnel et les moyens matériels nécessaire à laccomplissement de sa mission. Loriginalité de ce système consiste en la sujétion des commanderies aux autorités provinciales, lesquelles répondent pour leur part au
gouvernement central établit à Jérusalem (157).
Le siège central de lordre, dabord établi à Jérusalem, est transféré à Acre en 1187, puis à Limassol, capitale du royaume de Chypre en 1291. La direction est assurée par le grand maître qui prend ses décisions de manière collégiale, avec le conseil des principaux dignitaires de lordre : le sénéchal ou maréchal, le commandeur de la cité Jérusalem chargé de la trésorerie, le sous-maréchal, le drapier, et le turcoplier notamment (158).
Lune des responsabilités du grand maître est de désigner les responsables chargés dadministrer les différents territoires de lordre en Orient et en Occident. La maîtrise de Provence et dEspagne regroupe ainsi sous lautorité dun maître provincial lensemble des établissements fondés dans les principautés du Midi et dans la partie orientale de la péninsule Ibérique. Celle-ci est déjà constitué en 1143, date à partir de laquelle le catalan Pere de Rovira sintitule « maître dans les parties de Provence et dEspagne ». Le maître avait sous sa responsabilité lensemble des maisons situées dans les principautés de Provence, Languedoc, Catalogne et Aragon.
En 1238, suite à une réorganisation administrative, la maîtrise primitive est divisée en deux pour former les provinces de Provence, dune part, et de Catalogne-Aragon, dautre part. Le maître provincial préside chaque année un chapitre réunissant les commandeurs de toutes les maisons soumises à sa juridiction.
La province
Lune des responsabilités du grand maître est de désigner les responsables chargés dadministrer les différents territoires de lordre en Orient et en Occident. La maîtrise de Provence et dEspagne regroupe ainsi sous lautorité dun maître provincial lensemble des établissements fondés dans les principautés du Midi et dans la partie orientale de la péninsule Ibérique. Celle-ci est déjà constitué en 1143, date à partir de laquelle le catalan Pere de Rovira sintitule « maître dans les parties de Provence et dEspagne ». Le maître avait sous sa responsabilité lensemble des maisons situées dans les principautés de Provence, Languedoc, Catalogne et Aragon.
En 1238, suite à une réorganisation administrative, la maîtrise primitive est divisée en deux pour former les provinces de Provence, dune part, et de Catalogne-Aragon, dautre part. Le maître provincial préside chaque année un chapitre réunissant les commandeurs de toutes les maisons soumises à sa juridiction.
Les maisons ou commanderies
Au sein de la province de Catalogne-Aragon, on distingue deux catégories de commanderies templières : celles à vocation militaire, dune part, et celles à vocation économique, dautre part (159). La première catégorie nest pas représentée au nord des Pyrénées.
On ne trouve ces garnisons de chevaliers du Temple quen Terre sainte et sur le front de la Reconquista dans la péninsule Ibérique. La seconde catégorie, la plus largement répandue, est constituée par les maisons dont la finalité était dadministrer le temporel de lOrdre afin de
financer leffort de croisade en approvisionnant les deux fronts en montures, en vivres et en argent. Les activités déployées au sein de ces établissements variaient selon quil sagissait de commanderies rurales ou de commanderies urbaines, de maisons chèvetaines ou de maisons secondaires.
La commanderie du Masdéu
La commanderie rurale du Masdéu est le premier établissement de lordre du Temple a avoir été établi dans les limites du diocèse dElne. La domus templi Mansi Dei, fondée dès 1136 au coeur de la campagne roussillonnaise, était tout dabord un lieu consacré à la vie spirituelle. Cest là que résidait la communauté des frères ayant fait profession et ayant juré dobéir à la règle de lOrdre rédigée à loccasion du concile de Troyes en 1129.
Le Masdéu était par conséquent constitué dun ensemble de bâtiments conventuels organisés autour de la chapelle et de son cimetière consacrés à Sainte-Marie (160). La vocation religieuse des templiers est clairement évoquée dans les donations pieuses effectuées par les laïcs. Bien souvent, ceuxci demandent aux frères dintercéder en leur faveur auprès de Dieu et de ses saints par lentremise de leurs prières et par la célébration de messes (161). Le souci de lau-delà, autrement dit du repos des âmes, est en effet le motif le plus souvent évoqué par les bienfaiteurs de lOrdre pour expliquer leurs aumônes (162). Le désir dêtre associé aux bénéfices spirituels dont jouissent les templiers se manifeste également par lélection de sépulture à leurs côtés dans le cimetière du Masdéu. Celle-ci saccompagne traditionnellement de la donation du lit du défunt, et de la célébration dun repas funèbre sept jours plus tard (163).
Dautre part, à limage des autres grandes commanderies rurales établies par les templiers dans les royaumes et principautés de lOccident chrétien, le Masdéu se présentait comme le centre dune exploitation agro-pastorale, avec ses différents espaces fonctionnels : celliers, écurie, étable, poulailler, pressoir... Lensemble étant cerné de bonne terres arables, et aussi, car nous sommes en pays méditerranéen, de vignes et dolivettes.
La commanderie du Masdéu était également un centre administratif dont le ressort correspondait à un espace géographique de plus de 3000 kilomètres carrés coïncidant avec les bassins versants de lAgly, de la Têt et du Tech, soit lespace recouvert par lactuel département des Pyrénées-Orientales, Cerdagne exceptée (164).
Les possessions soumises à sa juridiction dépendaient par conséquent du diocèse dElne, excepté celles situées en Fenolhedès et Capcir, qui relevaient alors du diocèse métropolitain de Narbonne (165).
Plus que lunité politique, qui ne se réalisa quen 1172 avec la mort de Girard II et lintégration du comté de Roussillon à la Couronne dAragon ; mieux quune unité diocésaine aux contours imparfaits ; cest donc la cohésion géographique des territoires réunis autour des trois fleuves côtiers pyrénéens, qui, pour des raisons dordre essentiellement économique, a dessiné les contours du territoire soumis à lautorité administrative du commandeur du Masdéu. La cartographie du patrimoine de la baillie du Masdéu à la fin du XIIIe siècle fait clairement apparaître cette unité (166).
La seigneurie templière
La question de la constitution et de la structure du temporel de lordre du Temple dans les comtés nord-catalans ayant déjà donné lieu à dimportants développements dans des travaux récent, je me bornerai ici à évoquer quelques unes des caractéristiques de ce long processus daccumulation de terres et de droits de seigneurie (167).
La constitution du patrimoine
Il convient demblée de signaler que les archives de la commanderie du Masdéu présentent un déficit documentaire manifeste en ce qui concerne les années 1130-1180, période primordiale pour la constitution du patrimoine de lordre militaire (168).
Il suffit pour sen convaincre de comparer les chiffres suivants : alors que le nombre de documents couvrant cette période dans les archives de létablissement roussillonnais sélève à près de 110, la maison voisine de Douzens, en Carcassès, dont la genèse temporelle est amplement documentée grâce à la conservation exceptionnelle de trois cartulaires du XIIe siècle, en dénombre près de 330, soit le triple (169).
Ceci dit, la documentation disponible nous permet tout de même de suivre les principales étapes de limplantation de la milice du Temple dans le diocèse dElne.
Le patrimoine foncier
Sil est vrai quau cours des premières années les templiers ont bénéficié des libéralités daristocrates, de chevaliers ou de riches paysans alleutiers, force est de constater que le nombre et limportance de ces donations à titre gratuit sest rapidemment amenuisé. Aussi, pour étoffer leur temporel, les pauvres chevaliers du Christ ont eu besoin de recourir aux acquisitions rémunérées. Celles-ci pouvaient revêtir la forme classique du contrat de vente (170).
Mais ces acquisitions étaient le plus souvent maquillées en aumônes pieuses, présentées comme des actions généreuses et spontanées par des scribes ecclésiastiques enclin à exalter le souvenir des vertus chrétiennes des bienfaiteurs de lordre militaire. En contrepartie de la « donation », qui était bien souvent aussi une renonciation - « carta donationis sive diffinitionis » écrivent les clercs - les templiers remettaient à leur bienfaiteur une contrepartie en nature ou en numéraire qualifiée de charité -caritas-, ou daumône, -elemosina- (171).
Il sagit là dun procédé, le contre-don, très répandu au XIIe siècle. Bien que cela reste toujours difficile à démontrer, il est admis que la valeur de laumône remise par le bénéficiaire du don était généralement inférieure à celle du bien donné, ce fait justifiant lemploi dun formulaire distinct de celui de la vente. Ainsi, le 4 juillet 1141, moyennant une aumône de 30 morabatins, Bernat Adalbert de Capmany et ses fils, Ponç et Bernat, cèdent aux templiers toutes les dîmes, baillies et autres droits et possessions quils ont dans lalleu de la Milice dans les territoires de Cirà, Villemolaque, Passa, Tresserre, Candell, Nyls et Trouillas (172).
La somme est conséquente, mais comme il nous est impossible dévaluer la valeur réelle des droits cédés par le seigneur empurdanais, on ne peut faire la part de ce qui a été réellement donné aux frères. Quoi quil en soit de leur sincérité, il est certain que les templiers ont amplement bénéficié de ces gestes de charités (173).
Nous reviendrons plus en détail sur les aspects diplomatiques de ces contrats dans la seconde partie de cette introduction.
Une chose est certaine, cest que la plupart de ces donations rémunérées navaient rien de spontané. Lorsque lon gratte un peu le verni des formules diplomatiques, celui-ci se craquèle facilement, et lon saperçoit bien vite que ces actes ne font que formaliser des transactions ardemment sollicitées par des templiers affairés à la constitution de seigneuries homogènes. Si le principe de cette politique patrimoniale est simple : acquérir la totalité des droits sur un domaine déterminé ; sa mise en oeuvre est par contre rendue particulièrement délicate par le morcellement considérable des droits grevant la terre.
Cet obstacle ne paraît pas avoir découragé les administrateurs du Masdéu qui, à force de persévérance et de ténacité, ont réussi à constituer des domaines cohérents (174).
Pour parvenir à leurs fins, les religieux étaient parfois amenés à réaliser des opérations immobilières relativement complexes, ce dont témoigne une charte assez curieuse dans laquelle sont consignées ensemble trois transactions foncières effectuées le 19 février 1148.
Les deux premières sont des donations rémunérées de trois pièces de terre contiguës situées dans la paroisse Saint-Pierre de Passa. Les auteurs de ces libéralités sont trois membres dune famille dalleutier, Gausbert Gutmar, son frère Ramon Gutmar et son épouse Maria, qui reçoivent une aumône de 70 sous de monnaie Rosselle, dune part, et Bernat de Passa, chanoine dElne, qui reçoit 40 sous, dautre part. La personnalité de ce second donateur suffit à expliquer pourquoi lacte est souscrit par lévêque dElne et deux hauts dignitaires du chapitre de Sainte-Eulalie, larchidiacre Berenguer de Canet et Guillem de Bages (175).
Intervient alors la transaction primordiale enregistrée dans ce document puisque, aussitôt ces terres acquises, le commandeur du Masdéu les échange avec le prieur de Sainte-Marie del Camp, établissement dobédience augustinienne établi, précisément, dans la paroisse de Passa.
En contrepartie, le prieur lui remet un champ situé « prope cellulam vestram », autrement dit à proximité immédiate des bâtiments de la commanderie du Masdéu.
Les confronts indiquent que ce champ était délimité au nord et au sud par des possessions templières, et à lest « in via que vadit ad Cavalleriam ad Pontellanum », soit le chemin conduisant du Masdéu à la localité voisine de Ponteilla (176).
Afin dobtenir ce champ convoité pour des raisons évidentes, il a donc fallu que les templiers répondent aux attentes des chanoines qui, pour des raisons analogues, lorgnaient sur des parcelles de terres situées près de leur prieuré. Mais comme ceux-ci navaient vraisemblablement pas les moyens de convaincre les ayants-droits de ces terrains, ce sont les templiers qui sen sont chargé, en déboursant tout de même 110 sous daumône !
Ces opérations bien ciblées et opportunistes visaient à profiter de circonstances favorables, comme la gêne financière dun lignage ou les problèmes administratifs dun établissement religieux, pour accroître le temporel de lOrdre et le rendre plus homogène afin den améliorer la rentabilité. Intervenues entre 1180 et 1220, les acquisitions des seigneuries Nyls et de Saint-Hippolyte, bien documentées par des dossiers compilés dans le cartulaire du Masdéu, illustre lopiniâtreté des templiers et leur capacité à poursuivre une politique foncière cohérente sur le long terme.
Dans la seconde moitié du XIIIe siècle, grâce à leurs importantes ressources financières, les templiers sont capables de débourser dénormes sommes dargent afin dacquérir des seigneuries entières. Deux achats spectaculaires, ceux de la seigneurie dOrle et du prieuré de Sant Salvador de Cirà réalisés à deux ans dintervalle, témoignent à lévidence de la prospérité des maisons templières roussillonnaises au commencement des années 1270.
Les maisons subalternes
À partir des dernières décennies du XIIe siècle et au cours du siècle suivant, afin de faire face à laccroissement considérable de leur patrimoine, les templiers fondent successivement plusieurs établissements secondaires, qui, comme leur maison mère, sont tous qualifiés de domus Templi. Il sagissait de faciliter et daméliorer la gestion dun patrimoine de plus en plus considérable, comprenant des possessions plus ou moins éparpillées, dont certaines situées dans de lointaines vallées pyrénéennes ou sur des plateaux culminant à plus de 1000 mètres daltitude, à plus de soixante kilomètres du Masdéu.
La direction de ces membres ou maisons secondaires est confiée à des commandeurs de rang subalterne, que les scribes qualifient généralement de preceptor ou, plus rarement, de comendator, voire procurator. Ces frères administrateurs étaient généralement recrutés dans la catégorie des frères sergents et étaient placés sous lautorité directe du commandeur du Masdéu, qui conserva tout au long de la période la direction des affaires de lordre du Temple dans le diocèse dElne et dans la vicomté de Fenolhedès.
Au total, dix maisons secondaires furent soumises à lautorité du commandeur du Masdéu, formant ce quil est convenu dappeler la baillie du Masdéu. Voici la liste de ces maisons établie en respectant lordre chronologique dans lequel leurs commandeurs apparaissent pour la première fois dans la documentation :
Palau (1187), le Mas de la Garrigue, au sud de la paroisse de Perpignan (1197)
Perpignan (1209)
Centernac (1214)
Saint-Hippolyte (1216)
Bages (1227)
Corbons (1261)
Orle (1264)
Prugnanes (1268) et
Argelès (1273).
Les maisons de Bages et dArgelès ne sont attestées quà une seule reprise et leur existence paraît avoir été éphémère.
Il est possible de classer ces établissements en trois catégories en tenant compte de leur type dimplantation. Le Mas de la Garrigue est la seule maison rurale a avoir été implantée en rase campagne comme le Masdéu.
Cette similitude est dailleurs mise en évidence par lemploi commun du terme mansus, vocable usuel désignant un centre dexploitation rurale, pour caractériser ces commanderies.
Les autres maisons ont été établie dans des lieux habités dimportance et de statut variables : il peut sagir de modestes habitats de moyenne montagne, comme la villa de Corbons et les castra de Centernac et de Prugnanes en Fenolhedès ; ou de gros bourgs fortifiés de la plaine roussillonnaise comme Palau, Saint-Hippolyte, Orle, Bages ou Argelès, tous également qualifiés de castrum
Il convient enfin de distinguer la commanderie urbaine de Perpignan vraisemblablement créée à la fin du XIIe siècle. Comme nous le verrons, ce dernier établissement était appelé à jouer un rôle prépondérant dans les affaires administratives de lordre.
Les templiers nont pas fondé de maison en Vallespir et en Conflent où, hormis lobtention de pasquiers et de droits relativement conséquent à Villefranche-de-Conflent et dans la paroisse de Sant Pere de la Serra (Belpuig), leur présence se borne à la perception de cens sur quelques masades ou bordes éparpillés dans ces vastes étendues montagneuses.
Comme cela a déjà été dit, cette situation peut sexpliquer par la présence préalable dans ces contrées de plusieurs établissements religieux importants ayant capté une grande partie des réserves patrimoniales de ces territoires avant larrivée des templiers.
Notes Organisation
157. — Pour une description des principales caractéristiques inistitutionnelles des commanderies des ordres militaires voir Jonathan RILEY-SMITH, « The Origins of the Commandery in the Temple and the Hospital », dans Anthony LUTTREL et Léon PRESSOUYRE (dir.), La Commanderie, institution des ordres militaires dans lOccident médiéval. (Actes du premier colloque international de Sainte-Eulalie de Cernon, 13-1 octobre 2000), Paris, 2002, p. 11.
158. — Sur les modalités de fonctionnement du gouverment central de lordre du Temple et les attributions des principaux dignitaires voir Alain DEMURGER, Les Templiers..., p.142-157.
159. — John Alan FOREY, The templars..., p. 263.
160. — Faute de documents et de fouilles archéologiques, nous ne disposons malheureusement daucune description permettant de connaître la disposition des bâtiments à lintérieur de la commanderie à lépoque templière. Celleci fut considérablement modifiée par les hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem à la fin du Moyen-Âge et à lépoque moderne. Les descriptions faites à loccasion des visites prieurales au XVIIIe siècle évoquent un ensemble fortifié de plan rectangulaire, délimité par une courtine cantonnée de tours et bordé dun fossé que lon franchissait par le moyen dun pont-levis. À langle nord-est se dressait la tour principale, dite Torre de lInfern, dont la base formait un rectangle de 6 * 8 mètres et dont la hauteur devait approcher les 14 mètres. La commanderie subit de nouvelles transformations à la fin du XIXe siècle avec la construction dune opulente résidence privée de style néogothique. Lensemble a été en grande partie détruit lors de lexplosion dun dépôt de munitions allemand en 1944 ; seule subsiste dans son intégralité architecturale la chapelle édifiée au milieu du XIIe siècle. Relevant du domaine privé, la préservation de ce monument historique semble menacée à terme. Pour une description architecturale détaillée de la commanderie du Masdéu voir Joan FUGUET I SANS, Larquitectura dels Templers a Catalunya, Barcelona, 1995, p.336-342, et en dernier lieu Rodrigue TRETON, « Aperçus topographiques de la commanderie du Masdéu en Roussillon », Archéologie du Midi Médiéval, tome 28. 2011, p. 271-295.
161. — Dans son testament rédigé au mois de janvier 1173, le seigneur Bernat de Laroque donne aux templiers tout ce quil a dans la villa de Palau et leur mande dentretenir perpétuellement un prêtre qui célèbre des messes pour le salut de son âme : « Et mando et rogo et injungo domui milicie Templi quod omni tempore, quamdiu hoc seculum duraverit, teneant et procurent unum sacerdotem qui celebret missas remedio anime mee », acte n° 90.
162. — Le 3 octobre 1131, Bernat Pere argumente son geste en faveur de lOrdre de la manière suivante : « Hoc donum facio pro remissione anime mee et anime et patris ac matris mee et omnium parentum meorum, ut dominus noster Jhesus Christus dimitat nobis omnia peccata nostra, et pro anima uxoris mee Saure », acte n° 8.
163. — Cest ce que demande Gaufred de Céret dans son testament du 12 août 1232 : « In primis reddo domino Deo et Beate Marie Mansi Dei et omnibus fratris animam meam et corpus meum ad sepeliendum in cimiterio ejusdem ecclesie, et ibi eligo sepulturam meam, cum lecto meo pannis munito. Et ad diem septimum post mortem meam fiat refectio honorifice ibi », acte n° 366. Le repas funèbre est une tradition qui se perpétue au moins depuis lAntiquité grecque.
164. — Ladministration des possessions de lordre du Temple en Cerdagne releva tout dabord de la commanderie de Palau, près de Barcelone, puis, à partir de 1236-1239, de celle de Puig-reig en Berguedà, voir Josep Maria SANS I TRAVÉ, Els templers catalans..., p. 267-270 ; Rosa SERRA I ROTES, « Els Templers al Berguedà », LErol, 15 (1986), p. 18-23.
165. — Ces territoires furent affectés au diocèse dAlet lors de la création de cet évêché par le pape Jean XXII le 18 février 1318.
166. — Voir la carte du patrimoine de la commanderie du Masdéu.
167. — Cet aspect de lhistoire des templiers roussillonnais a déjà donné lieu à dimportants développements, voir Laure VERDON, « Les templiers en Roussillon : formation et mise en valeur de leur patrimoine foncier », dans Les templiers en pays catalan, Perpignan, 1998, p. 39-57 ; Id., La terre et les hommes en Roussillon aux XIIe et XIIIe siècles : structures seigneuriales, rente et société daprès les sources templières. Aix-en-Provence, 2001, p. 28-42.
168. — Nous reviendrons plus en détail sur cette question dans la seconde partie de cette introduction consacrée à la présentation des sources.
169. — Pierre GÉRARD et Élisabeth MAGNOU (éd.), Cartulaires des Templiers de Douzens, Op. cit..
170. — Pour les premières ventes faites aux templiers voir les actes n° 24 (1141), 27 (1142) et 35 (1146).
171. — Pour les premiers exemples de lemploi de ce vocabulaire subterfuge voir les actes n° 16 (1137), 25 (1141), 31 (1144), 41 (1148). La formule surgit encore épisodiquement sous la plume de scribes ruraux jusquaux alentours de 1240, actes n° 342 (1236), 407 (1242) et n° 432 (1244).
172. — Acte n° 25.
173. — Alain DEMURGER, Les Templiers..., p. 278.
174. — Sur ce processus de regroupement voir Laure VERDON, La terre et les hommes..., p. 36-42
175. — Le 21 décembre 1149, Guillem de Bages souscrit avec le titre de sacriste lacte de consécration de léglise de Saint-Vincent de Baho, ADPO, 12J24, acte n°162.
176. — Acte n° 41.
4 - La seigneurie templière
La question de la constitution et de la structure du temporel de lordre du Temple dans les comtés nord-catalans ayant déjà donné lieu à dimportants développements dans des travaux récent, je me bornerai ici à évoquer quelques unes des caractéristiques de ce long processus daccumulation de terres et de droits de seigneurie (167).
La constitution du patrimoine
Il convient demblée de signaler que les archives de la commanderie du Masdéu présentent un déficit documentaire manifeste en ce qui concerne les années 1130-1180, période primordiale pour la constitution du patrimoine de lordre militaire (168).
Il suffit pour sen convaincre de comparer les chiffres suivants : alors que le nombre de documents couvrant cette période dans les archives de létablissement roussillonnais sélève à près de 110, la maison voisine de Douzens, en Carcassès, dont la genèse temporelle est amplement documentée grâce à la conservation exceptionnelle de trois cartulaires du XIIe siècle, en dénombre près de 330, soit le triple (169).
Ceci dit, la documentation disponible nous permet tout de même de suivre les principales étapes de limplantation de la milice du Temple dans le diocèse dElne.
Le patrimoine foncier
Sil est vrai quau cours des premières années les templiers ont bénéficié des libéralités daristocrates, de chevaliers ou de riches paysans alleutiers, force est de constater que le nombre et limportance de ces donations à titre gratuit sest rapidemment amenuisé. Aussi, pour étoffer leur temporel, les pauvres chevaliers du Christ ont eu besoin de recourir aux acquisitions rémunérées. Celles-ci pouvaient revêtir la forme classique du contrat de vente (170).
Mais ces acquisitions étaient le plus souvent maquillées en aumônes pieuses, présentées comme des actions généreuses et spontanées par des scribes ecclésiastiques enclin à exalter le souvenir des vertus chrétiennes des bienfaiteurs de lordre militaire. En contrepartie de la « donation », qui était bien souvent aussi une renonciation - « carta donationis sive diffinitionis » écrivent les clercs - les templiers remettaient à leur bienfaiteur une contrepartie en nature ou en numéraire qualifiée de charité -caritas-, ou daumône, -elemosina- (171).
Il sagit là dun procédé, le contre-don, très répandu au XIIe siècle. Bien que cela reste toujours difficile à démontrer, il est admis que la valeur de laumône remise par le bénéficiaire du don était généralement inférieure à celle du bien donné, ce fait justifiant lemploi dun formulaire distinct de celui de la vente. Ainsi, le 4 juillet 1141, moyennant une aumône de 30 morabatins, Bernat Adalbert de Capmany et ses fils, Ponç et Bernat, cèdent aux templiers toutes les dîmes, baillies et autres droits et possessions quils ont dans lalleu de la Milice dans les territoires de Cirà, Villemolaque, Passa, Tresserre, Candell, Nyls et Trouillas (172).
La somme est conséquente, mais comme il nous est impossible dévaluer la valeur réelle des droits cédés par le seigneur empurdanais, on ne peut faire la part de ce qui a été réellement donné aux frères. Quoi quil en soit de leur sincérité, il est certain que les templiers ont amplement bénéficié de ces gestes de charités (173).
Nous reviendrons plus en détail sur les aspects diplomatiques de ces contrats dans la seconde partie de cette introduction.
Une chose est certaine, cest que la plupart de ces donations rémunérées navaient rien de spontané. Lorsque lon gratte un peu le verni des formules diplomatiques, celui-ci se craquèle facilement, et lon saperçoit bien vite que ces actes ne font que formaliser des transactions ardemment sollicitées par des templiers affairés à la constitution de seigneuries homogènes. Si le principe de cette politique patrimoniale est simple : acquérir la totalité des droits sur un domaine déterminé ; sa mise en oeuvre est par contre rendue particulièrement délicate par le morcellement considérable des droits grevant la terre.
Cet obstacle ne paraît pas avoir découragé les administrateurs du Masdéu qui, à force de persévérance et de ténacité, ont réussi à constituer des domaines cohérents (174).
Pour parvenir à leurs fins, les religieux étaient parfois amenés à réaliser des opérations immobilières relativement complexes, ce dont témoigne une charte assez curieuse dans laquelle sont consignées ensemble trois transactions foncières effectuées le 19 février 1148.
Les deux premières sont des donations rémunérées de trois pièces de terre contiguës situées dans la paroisse Saint-Pierre de Passa. Les auteurs de ces libéralités sont trois membres dune famille dalleutier, Gausbert Gutmar, son frère Ramon Gutmar et son épouse Maria, qui reçoivent une aumône de 70 sous de monnaie Rosselle, dune part, et Bernat de Passa, chanoine dElne, qui reçoit 40 sous, dautre part. La personnalité de ce second donateur suffit à expliquer pourquoi lacte est souscrit par lévêque dElne et deux hauts dignitaires du chapitre de Sainte-Eulalie, larchidiacre Berenguer de Canet et Guillem de Bages (175).
Intervient alors la transaction primordiale enregistrée dans ce document puisque, aussitôt ces terres acquises, le commandeur du Masdéu les échange avec le prieur de Sainte-Marie del Camp, établissement dobédience augustinienne établi, précisément, dans la paroisse de Passa.
En contrepartie, le prieur lui remet un champ situé « prope cellulam vestram », autrement dit à proximité immédiate des bâtiments de la commanderie du Masdéu.
Les confronts indiquent que ce champ était délimité au nord et au sud par des possessions templières, et à lest « in via que vadit ad Cavalleriam ad Pontellanum », soit le chemin conduisant du Masdéu à la localité voisine de Ponteilla (176).
Afin dobtenir ce champ convoité pour des raisons évidentes, il a donc fallu que les templiers répondent aux attentes des chanoines qui, pour des raisons analogues, lorgnaient sur des parcelles de terres situées près de leur prieuré. Mais comme ceux-ci navaient vraisemblablement pas les moyens de convaincre les ayants-droits de ces terrains, ce sont les templiers qui sen sont chargé, en déboursant tout de même 110 sous daumône !
Ces opérations bien ciblées et opportunistes visaient à profiter de circonstances favorables, comme la gêne financière dun lignage ou les problèmes administratifs dun établissement religieux, pour accroître le temporel de lOrdre et le rendre plus homogène afin den améliorer la rentabilité. Intervenues entre 1180 et 1220, les acquisitions des seigneuries Nyls et de Saint-Hippolyte, bien documentées par des dossiers compilés dans le cartulaire du Masdéu, illustre lopiniâtreté des templiers et leur capacité à poursuivre une politique foncière cohérente sur le long terme.
Dans la seconde moitié du XIIIe siècle, grâce à leurs importantes ressources financières, les templiers sont capables de débourser dénormes sommes dargent afin dacquérir des seigneuries entières. Deux achats spectaculaires, ceux de la seigneurie dOrle et du prieuré de Sant Salvador de Cirà réalisés à deux ans dintervalle, témoignent à lévidence de la prospérité des maisons templières roussillonnaises au commencement des années 1270.
Lacquisition de la villa dOrle
Les débuts de limplantation templière dans la villa dOrle semblent remonter à lannée 1190, avec lacquisition du mas dArnau de na Lis consécutivement au legs testamentaire du seigneur Berenguer dOrle (177).
Le patrimoine des religieux sy étoffe ensuite progressivement, au gré des opportunités, notamment par le jeu des entrées en hommage de capmas, chefs de
famille à la tête dexploitation agricoles (178).
Lapparition dun preceptor domus Templi de Orulo en 1264 indique que le temporel de lOrdre y était devenu suffisamment important pour justifier la création dune commanderie (179).
De fait, le capbreu inventoriant les revenus des maisons templières de Catalogne rédigé cette même année nous enseigne que le total des revenus annuels du castrum dOrle sélevait alors à 210 sous, 25 poules, 27 hémines dorge, 4 hémines de froment et 60 charges de raisins provenant de la collecte des censives et de la portion de dîme dite « del Vezcotal ». Dautre part, lexploitation dun important domaine agricole en faire-valoir direct - propria laboratio - leur rapportait 200 hémines de froment et dorge (180).
Cest donc en toute connaissance de cause que les frères du Masdéu se sont portés acquéreur de la seigneurie dOrle mise en vente par le chevalier Bernat dOms.
Le 13 juin 1271, frère Arnau de Castelnou, maître du Temple en Aragon et Catalogne, et frère Ramon Desbac, commandeur du Masdéu, achètent à ce seigneur tous les droits et possessions que son oncle, le défunt Bernat dOrle, avait dans la villa et le castrum dOrle et dans la paroisse de Saint-Esteve dOrle, avec toute la dîme de cette paroisse, ainsi que tout le droit que le défunt Gauceran dUrtx avait sur cette dîme.
Pour prix de cet seigneurie, les templiers déboursent la somme considérable de 22.500 sous de monnaie couronnée de Barcelone.
Une clause dégage le vendeur de toute responsabilité dans léventualité où lévêque dElne engagerait une action à lencontre de la maison du Masdéu à propos de cette dîme. Il est ensuite précisé que pour cette dîme, les templiers du Masdéu devront donner au chapelain desservant léglise dOrle cinq masmudines dor de cens annuel le jour de la fête des saints Pierre et Félix.
Le commandeur et la communauté du Masdéu sengagent à défendre Bernat dOms ainsi que tous ses biens, devant la justice ou autrement, dans léventualité où le chapelain engagerait une poursuite à son encontre à propos de la dîme ou du cens.
La vente est approuvée par Alamanda et Agnès, respectivement épouse et soeur de Bernat dOms (181).
Un second acte portant confirmation de cette vente est établi deux jours plus tard (182).
Cest vraisemblablement à loccasion de cette importante transaction que certaines pièces du chartrier de la famille des seigneurs dOrle éditées dans ce corpus intégrèrent les archives du Masdéu (183).
Une semaine plus tard, le commandeur du Masdéu se faisait confirmer la possession de la dîme dOrle par lévêque dElne, Berenguer de Cantallops, moyennant le débours de 250 sous de monnaie couronnée de Barcelone. À cette occasion, lévêque réserve les droits de mutation dus à son Église au cas où les templiers vendraient cette dîme, ainsi que la perception du droit de synode accoutumé (184). Cet exemple donne la bonne mesure de la célérité dont faisaient généralement preuve les administrateurs templiers dans le suivi de leurs
affaires.
Lacquisition de la seigneurie du castrum dOrle est peut-être à lorigine dun sérieux litige ayant opposé le maître provincial, Arnau de Castelnou (185), dune part, à linfant Jaume, dautre part, à propos des prérogatives judiciaires que les templiers, en vertu danciens privilèges royaux, prétendaient exercer sur leurs hommes et femmes, dans les localités situées en Roussillon, Vallespir, Cerdagne et Conflent.
Lhéritier de la couronne de Majorque revendiquait en effet lexercice de la justice dans toutes les seigneuries contrôlées par lordre militaire. La juridiction du castrum de Palau [del Vidre] léguée aux templiers par le comte Girard II en 1172 ne faisait par contre lobjet daucune contestation. Il est vrai que le jeune prince aurait difficilement pu contester la validité de cette donation, puisque celle-ci était consignée dans le même testament qui avait permi à son arrière grand-père dhériter du comté de Roussillon. Linfant prétendait que les templiers navaient dautre prérogative dans leurs seigneuries que celle du droit de fatiga de dix jours, et encore, uniquement sur leurs hommes propres.
Le terme juridique fatiga désigne le délai pendant lequel le seigneur peut, une fois quil en a été informé, préparer la défense des personnes de sa juridiction poursuivies par la justice royale. En vertu de cette prérogative accordée par Jaume Ier à la commanderie du Masdéu en 1254, les officiers royaux ne pouvaient pénétrer et intervenir dans les castra et autres lieux appartenant au Temple pour punir les violations du droit ou pour obtenir par contrainte le remboursement des dettes contractées par les templiers ou par leurs hommes, à lexception des cas où ces derniers refuseraient de répondre à leurs accusateurs devant la justice dans un délai de dix jours consécutif à la notification dune plainte à leur encontre pour crime ou pour dette (186).
La sentence arbitrale prononcée le 8 décembre 1271 par Gerau, abbé de Saint-Paul de Narbonne, et Jaspert de Boutenac, abbé de Sant Feliu de Girona (187), met un terme à la querelle juridictionelle. Après avoir enquêté sur les usages communs en vigueur dans les terres de Roussillon, Vallespir, Cerdagne et Conflent, ainsi que sur les libertés accordées par le roi aux villes et aux hommes de ces contrées, après examen des privilèges et audition des parties, les arbitres statuent que les templiers auront désormais toute la juridiction et les justices civiles et criminelles sur les territoires et les habitants de Saint-Hippolyte, Orle, Nyls et Terrats, excepté le mère empire sur les crimes de sang et la juridiction de paix et trêve, qui ressortissent de lautorité royale.
Les arbitres ordonnent en outre que les hommes du roi qui commettront des délits dans les juridictions attribuées au Temple ne soient admis à comparaître que devant la cour royale. Les batlles en charge de ces juridictions qui appréhenderont ces déliquants seront tenus de les traduire aussitôt devant la cour. De même, les hommes du Temple suspectés davoir fauté contre le roi, linfant, leurs officiers ou domestiques, devront en répondre devant cette même cour. Les hommes de Perpignan, chrétiens ou juifs, qui soutiendront un procès contre les hommes du Temple devant une cour relevant de la juridiction des templiers ne seront pas tenus de payer les frais de procédure, de même que les hommes du Temple qui auront à plaider devant la cour du batlle de Perpignan.
Les hommes du Temple qui, en raison dun emprunt ou dun contrat concernant le Temple, directement ou indirectement, seront obligés envers des chrétiens ou des juifs de Perpignan, devront plaider devant la cour de Perpignan.
Enfin, les arbitres déclarent que le roi a toute juridiction sur les hommes du Temple ne résidant pas dans les localités nommées ci-dessus,
exception faite des juridictions réelles et féodales qui relèvent du Temple (188).
Les templiers renforcent par la suite leur contrôle sur la seigneurie dOrle en procédant à une importante restructuration de leur temporel et en rachetant divers droits aliénés. Ainsi, le 29 septembre 1275, frère Ramon Desbac, commandeur du Masdéu, et frère Pere de Camprodon, commandeur de la maison du Temple de Perpignan, échangent avec Pere Roig, jurisconsulte de Camprodon, habitant de Perpignan, tout ce quils possèdent dans la villa et le territoire de Sainte-Marie de Toulouges, excepté la dîme quils reçoivent des revenus du roi, pour les possessions que Pere Roig avait achetées au monastère de Sant Pere de Camprodon dans les territoires de Sainte-Marie de Malloles et de Saint-Esteve dOrle.
Cette importante transaction fut ratifiée par frère Pere de Montcada, maître de la milice du Temple en Aragon et Catalogne le 6 septembre 1276 (189). Puis, le 19 août 1278, les templiers rachètent pour 750 sous de monnaie couronnée de Barcelone le fief que Jausbert du Soler, fils du défunt chevalier Guillem du Soler, tenait pour eux dans la seigneurie dOrle.
Ce fief était constitué dun mas, de deux maisons, dont une située sur la place du village, de trois celliers, dune cour, de trois champs, de quatre faixes de terre et de douze vignes, dont une située dans la paroisse de Sainte-Marie de Toulouges (190).
On peut supposer quun pressant besoin dargent avait contraint ce vassal à se séparer de ce fief, car il en avait déjà acensé les revenus quelque temps auparavant au chapelain de léglise Saint-Esteve dOrle (191).
Lacquisition du prieuré Sant Salvador de Cirà
Les origines du prieuré de Sant Salvador de Cirà sont méconnues. Une curieuse tradition avance que cette petite communauté bénédictine aurait été fondée en 1139 par les moines de labbaye cistercienne de lArdorel (192).
Cette assertion semble toutefois difficilement conciliable avec les informations que nous délivrent les documents conservés dans les archives du
Masdéu. La logique voudrait en effet que létablissement fondateur du prieuré placé sous linvocation du saint Sauveur soit tout simplement le monastère bénédictin de Sant Salvador de Breda, établi dans le diocèse de Gérone.
Un acte du 29 décembre 1229 établit clairement cette filiation. La situation économique du prieuré de Sant Salvador de Cirà était alors plutôt
lamentable. Les religieux de cette petite communauté étaient en effet grevés de plusieurs dettes en raison de dépenses excessives et des divers dommages quelle avait eu à subir en raison de la guerre qui affectait le Roussillon depuis plusieurs années (193).
Nayant pas trouvé dautre moyen de se procurer la somme nécessaire pour rembourser leurs usuriers, Bernat, abbé de Sant Salvador de Breda, Guillem des Plas, moine et administrateur de Sant Salvador de Cirà, vendent pour 150 sous de monnaie melgorienne à frère Pere de Malon, commandeur du Masdéu, une vigne située dans la paroisse de Saint-Julien de Villemolaque.
Dans son testament du 4 septembre 1144, le seigneur Ramon de Montesquieu fait un legs de 20 sous à « Sanctum Salvatorem de Manso Dei » (194).
Cette mention ne doit pas être comprise comme lexpression dun lien de dépendance de Sant Salvador envers la commanderie templière, mais plutôt comme lindication dun rapport de proximité géographique.
Léglise de Sant Salvador se dressait en effet à quelques centaines de mètres à lest du Masdéu, sur la rive gauche du Reart (195).
En 1151, ladministration de Sant Salvador était assurée par le prêtre de la paroisse voisine de Villemolaque (196).
Créations contemporaines, la maison templière et le prieuré partageaient des terres en indivis, comme cela apparaît dans un acte du 2 février 1153, par lequel Arnau de Nyls vend et restitue à léglise Sant Salvador et à la maison du Temple un champ situé dans la paroisse de Saint-Julien de Villemolaque (197).
Dans le cartulaire du Masdéu, le dossier concernant ce prieuré mixte est constitué de sept actes (198). Il est introduit par la copie de lacte le plus récent, qui est la vente de Sant Salvador de Cirà et de son modeste patrimoine roussillonnais faite aux templiers par les bénédictins de Sant Salvador de Breda en 1273, pour le prix de 12.000 sous de monnaie melgorienne (199).
Les six titres recopiés à la suite sont des munimina du prieuré. Il sagit de donations, achats et acapte effectués au cours des années 1186-1217. Ces titres concernent les moulins de Nidoleres, des terres situées à Trouillas, la dîme de deux vignes situées dans la paroisse de Saint-Julien de Villemolaque, et un homme de Toulouges et sa postérité.
Lacquisition du patrimoine du prieuré de Cirà précède de quelques années la rédaction du cartulaire, ceci explique certainement pourquoi ce dossier a été recopié au début du codex.
Les sommes colossales déboursées, 22.500 sous pour la seigneurie dOrle et 12.000 sous pour lensemble du patrimoine du prieuré de Sant Salvador de Cirà, donnent la mesure des ambitions temporelles des templiers du Masdéu, dont le commandeur était alors frère Ramon Desbac (200).
Au final, les templiers du Masdéu ont réussi à accumuler un patrimoine considérable.
Linventaire des biens de la commanderie du Masdéu réalisé en 1264 détaille la structure de ce temporel à cette date (201).
Celui-ci était alors constitué dune multitude de mas, bordes, maisons, celliers, champs, vignes, oliviers, garrigues et autres biens fonciers dispersés dans près de cent localités différentes, essentiellement dans le comté du Roussillon et dans la vicomté de Fenolhedès.
Comme nous lavons vu, les frères de la Milice avaient également acquis des droits justiciers. Le descriptif des biens et revenus de la commanderie du Masdéu en 1264 sachève par un état des castra et villae relevant de la juridiction du Temple.
Lordre militaire possédait alors lintégralité des droits de seigneurie des castra de Palau, Orle, Nyls, Terrats et de Centernac. Dans le castrum de Saint-Hippolyte, dont ils partageaient les droits en coseigneurie, les frères du Masdéu détenaient lentière seigneurie juridictionnelle sur tous leurs dépendants et le tiers sur les « hommes communs » ; tous les autres droits juridictionnels de ce bourg fortifié de la Salanque étaient tenus pour elle. Ils possédaient également la moitié de la seigneurie du castrum de Villemolaque ; la seigneurie sur tous leurs dépendants habitant dans le castrum de Bages ; la seigneurie du castrum de Lesquerde (202) ; la moitié de laseigneurie du lieu de Prugnanes et le septième de celle de Malloles.
On constate que linventaire de 1264 ne fait pas état de la seigneurie des trente et un hommes du Temple dans le bourg de Thuir, à propos desquels Pere de Malon, commandeur du Masdéu, avait transigé avec Nunó Sanç, seigneur de Roussillon, en 1237 (203).
Ceci pourrait signifier quentre ces deux dates les templiers avaient cédé leurs droits au roi Jaume Ier, seigneur de cet important castrum.
Lexploitation du patrimoine
Afin de rentabiliser et de faire fructifier au mieux leur patrimoine et den tirer un maximum de profits, les templiers nont eu de cesse de diversifier leurs activité, nhésitant pas, le cas échéant, à entreprendre des opérations de mise en valeur complexes impliquant des opérations foncières et des investissement à moyen voire à long terme.
Assèchement des étangs
Une grande entreprise templière de la fin du XIIe siècle : lassèchement des étangs.
Le dossier liminaire du cartulaire du Masdéu est en quelque sorte délimité par deux concessions se rapportant au droit dassécher létang de Bages faites aux templiers par les rois Alfons II et Pere II, respectivement en 1195 et en 1205.
Cet agencement nest certainement pas le fruit du hasard.
Il témoigne manifestement de la volonté du cartulariste de mettre en valeur laction que ces actes documentent, soit rien de moins que la plus importante opération dassèchement détangs entreprise dans la plaine du Roussillon à lépoque médiévale.
Il sagit dun projet ambitieux dont lorigine remonte probablement au mois de février 1182, date de la cession faite aux frères du Masdéu par le seigneur Berenguer de Bages et son épouse Saurimonda de leurs droits sur les étangs de Bages et de Bajoles (204).
Sils nont pas été les précurseurs, les templiers ont été localement les principaux promoteurs de ce type de mise en valeur. Outre les étangs de Bages et de Bajoles, ils ont également procédé au cours des deux dernières décennies du XIIe siècle à lassainissement de létang Sabadel et de létang de Caraig, situés dans les paroisses voisines de Sainte-Marie de Nyls et de Saint-Esteve de Ponteilla (205).
Toutes ces entreprises apparaissent déjà en cours en 1183-1184. Avec une superficie approximative de 125 hectares, létang de Bages simpose comme le plus étendu de tous les étangs asséchés par les templiers. Il était par conséquent le mieux à même de symboliser lensemble de cette phase de conquête des milieux humides. Au Moyen Âge, à défaut dêtre une réelle prouesse technologique, le drainage des étangs constituait un authentique exploit juridico-financier car, une fois dédommagés tous les ayants-droits de létang, il fallait ensuite négocier avec les propriétaires des terrains situés en aval le droit de passage des eaux pour le canal dexhaure. Ces travaux dexcavation impliquaient nécessairement la mobilisation dune main doeuvre importante. On ignore malheureusement dans quelles conditions seffectuèrent ces travaux et quelle main doeuvre fut employée pour leur réalisation.
On peut imaginer que la réussite de ces opérations dassèchement, dont la finalité était de dégager de nouveaux espaces pour lagriculture et lélevage, impressionna fortement les contemporains et contribua du même coup à accroître localement le prestige du Temple.
Lexploitation des ressources naturelles
Contrastant avec les efforts spectaculaires déployés dans le domaine agricole, la documentation nous procure limpression que le rôle des templiers du Masdéu dans la mise en valeur des ressources naturelles présentes dans les Pyrénées catalanes fut somme toute assez limité.
Contrairement à ce qui a pu être observé en Provence, force est de constater que limplication de lordre religieux-militaire dans lexploitation des salines aménagées aux abords des lagunes saumâtres - dont le nombre et la superficie étaient alors beaucoup plus importants que de nos jours - se résume à bien peu de choses (206).
Il semble quen la matière les templiers établis dans le diocèse dElne se soient contentés dobtenir de la générosité de seigneurs bienfaiteurs quelques rentes en sel, afin de se procurer les quantités de cette denrée indispensable nécessaires pour couvrir leurs besoins domestiques et, surtout, ceux de leur bétail.
Dès 1136, on voit le seigneur Berenguer de Guardia et son épouse Jordana gratifier la milice du Temple dune rente équivalent à une journée de récolte dans leurs salines de Torreilles (207).
Il sagit du seul document évoquant cette rente dont on ignore si elle fut effectivement perçue de manière perpétuelle comme le souhaitaient les donateurs (208).
En 1202 ou 1203, à loccasion de son affiliation au Masdéu, le chevalier Guillem Jordà de Canet donne au Temple lhonneur quil a dans le castrum de Théza, plus deux mas qui lui rapportent chaque année quarante charges de sel (209).
On sait également quà une date indéterminée, vraisemblablement dans le dernier tiers du XIIe siècle, Gausbert de Pézilla légua en indivis aux templiers et aux hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem un important patrimoine situé dans la paroisse de Saint-Hippolyte : mas, bordes, celliers, champs, jardins, oliviers ainsi que quelques salines et rompudes, terres nouvellement défrichées, à condition que sa veuve, prénommée Gallarda, en conserve lusufruit (210).
Il est très possible que la généreuse donation du seigneur de Pézilla ait suscité la politique de rachat dune partie importante du temporel et des droits de seigneurie de Saint-Hippolyte réalisée par les templiers au cours des premières décennies du XIIIe siècle. Cette politique patrimoniale
aboutit dès 1216 à la fondation dune nouvelle commanderie filiale du Masdéu dans ce castrum (211).
La perception des rentes en sel était naturellement assujettie à lexistence des salines sur lesquelles elles étaient prélevées. Les salines du Roussillon se présentaient comme des petites exploitations familiales mises en valeur dans les mêmes conditions que des terres agricoles par des emphytéotes qui reversaient une part de la récolte au détenteur de la directe (212).
La pérennité de ces salines dépendait de la combinaison aléatoire dune multitude de facteurs variables : climat, évolution de la salinité des sols, assèchement des lagunes, rentabilité face à la concurrence accrue du sel importé de Languedoc ou dIbiza, etc.
Lestimation des revenus de la commanderie du Masdéu effectuée en 1264 montre bien le caractère temporaire et incertain de telles rentes, puisquil ne fait état daucune entrée en sel dans les items se rapportant aux localités de Saint-Hippolyte, Torreilles et Théza.
Par contre, il nous apprend quà cette date les templiers recevaient dix charges de sel à Saint-Laurent de la Salanque.
Curieusement, le total général des revenus en sel perçu chaque année dans lensemble de la baillie du Masdéu fait état de trente-trois charges, mais on ne trouve nul part indiqué lorigine des vingt-trois charges additionnelles (213).
Toutefois, si lon se fonde sur deux reconnaissances effectuées en 1278 et en 1282, on peut supposer que cette quantité de sel provenait de censives payées par des tenanciers de Saint-Hippolyte (214).
Lune de ces reconnaissances nous apprend en outre que les templiers et les hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem se partageaient le quart du sel récolté dans la moitié des salines situées au lieu-dit Tremes ayges, dont ils avaient cédé le dominium à Pere Esteve, un homme amansat du Masdéu (215).
Comme il sagissait de redevances proportionnelles, leur montant variait dune récolte à lautre, ceci explique peut-être pourquoi lapport des revenus en sel fournis par la seigneurie de Saint-Hippolyte na été reporté que dans lestimation totale des revenus de la batllie du Masdéu.
Les archives du Masdéu ne recèlent aucun indice dactivité templière en rapport avec la pêche ou avec le milieu maritime (216).
Quant à la pratique de la chasse, la règle de lordre linterdisait formellement, sauf pour le lion ! Comme leurs homologues aragonais, les templiers roussillonnais semblent avoir observé cette prescription (217).
Nous savons en tout cas quils affermaient à des tiers lexercice de cette prérogative seigneuriale dans leurs domaines : en 1264, laccensement du droit de chasse aux lapins dans les territoires de Perpignan, du Mas de la Garrigue et de Palau rapportait 120 sous à la commanderie du Masdéu (218).
Pour terminer ce bref tour dhorizon, il convient de signaler que, à la différence des cisterciens, les templiers ne semblent pas avoir cherché à tirer parti de lexploitation des très riches gisements de fer du massif du Canigou (219).
Ils se sont davantage intéressés au contrôle de certaines industries de transformation des matières premières, comme les tuileries et les fours à chaux. On sait quà une date inconnue, probablement aux alentours de 1200, le seigneur Pere de Llauro donna aux templiers un four à chaux avec son bûcher situé au lieu-dit Forn del Toró (220).
Aujourdhui encore, au sud du village de Llauro, le lieu-dit la Calcina perpétue le souvenir de lexploitation des gisements de calcaire présents à proximité et du développement en ce lieu dune industrie de transformation spécialisée dans la production de chaux, ingrédient indispensable à lélaboration du ciment utilisé en maçonnerie (221).
La donation fut confirmée en 1232 ou 1233 par Ramon de Llauro, le frère du donateur (222).
On ignore malheureusement de quelle façon les religieux exploitaient ce four à chaux et à quelles fins.
Lélevage
À linstar des frères cisterciens et de leurs homologues hospitaliers, les templiers du Masdéu ont su exploiter de façon pragmatique la diversité des ressources naturelles disponibles dans la partie orientale des Pyrénées afin dy déployer une importante activité pastorale (223).
Il faut dire quà larrivée des premiers frères de la Milice dans la plaine littorale du Roussillon, celle-ci et son hinterland montagneux offraient encore dimportantes réserves despaces peu ou pas exploités. Des dizaines de milliers dhectares de garrigues et dherbages ayant échappé à la grande phase dexpansion bénédictine des Xe et XIe siècles demeuraient dans les réserves patrimoniales des lignages aristocratiques (224).
Cest dans ces immenses stocks dincultum que les magnats allaient puiser largement au XIIe siècle afin de prodiguer leurs pieuses aumônes aux ordres issus de la Réforme grégorienne.
À louest dune étroite bande littorale - nexcédant guère les dix kilomètres dans sa plus grande largeur - aux sols fertilisés par des dépôts réguliers dalluvions fluviatiles, et de part et dautre des vallées orientées de lAgly, de la Têt et du Tech, petits fleuves côtiers dont les rives limoneuses constituent autant de fertiles oasis - ce sont les riberals, finages de terres irriguées ou se développe une agriculture intensive particulièrement féconde -, le paysage de la plaine roussillonnaise est essentiellement constitué de terrasses quaternaires aux sols argilosiliceux
ou calcaires, que la terminologie locale qualifie respectivement daspres et de crests (225).
Ces grandes étendues de terres maigres, caillouteuses et arides, et par conséquent impropres à lagriculture, constituent le domaine des garrigues. À lépoque médiévale, ces espaces naturels de pelouses et de végétation basse et buissonnante, caractéristiques des paysages méditerranéens, constituaient un saltus naturellement dévolu à la dépaissance des troupeaux (226).
Au nord de lAgly et à louest dune zone approximativement délimitée par les villages de Salses, Saint-Hippolyte et Rivesaltes, de vastes étendues de garrigues sétendent jusquau piémont du massif des Corbières, cest là le domaine que les moines cisterciens des abbayes de Grandselve et de Cadouin, bientôt relayés par ceux de Fontfroide et de Villelongue de Carcassès, colonisent à partir du milieu du XIIe siècle en y implantant deux de leurs principales fondations roussillonnaises : la grange de Vespeilles est établie à lextrémité occidentale de la paroisse de Saint-Esteve de Salses vers 1183 ; le prieuré du Mas de la Garrigue et son église Sainte-Marie sélèvent aux confins orientaux de la paroisse de Saint-Martin de Tura en 1195, date à laquelle cet établissement abrite déjà une petite communauté de cinq frères (227).
Quelques kilomètres plus à lest, dans la plaine de la Salanque, entre les cours inférieurs de la Têt et de lAgly, les Cisterciens créent les granges de Canomals (c.1206-1208) et de Mudagons (c.1195-1204) afin de mener leur bétail dans les herbages et les prairies inondables situées entre Bonpas et Torreilles (228).
Plus ancienne, la grange de Pujols (c. 1157), située au nord-est dArgelès et à proximité du cordon littoral, avait la même vocation de pâturage dhiver. De part sa situation, elle offrait aux troupeaux de labbaye de Fontfroide une grande diversité dherbes et les apports nutritionnels de la végétation halophyte (229).
Entre les vallées de la Têt et du Tech, au coeur dun espace géographique dont laxe de symétrie suivrait approximativement le cours intermittent du Reart, depuis Villemolaque jusquà la limite méridionale du territoire de Perpignan, les anciennes dépressions nivoéoliennes formaient au XIIe siècle un petit archipel détangs peu profonds. Ces cuvettes aux dimensions inégales, dont on a vu que certaines furent asséchées par les templiers autour de
1180-1190, sont dominées par des terrasses présentant un faciès dautant plus tourmenté que lon approche des premiers contreforts du massif du Canigou.
Cest là le noyau central du domaine foncier acquis par les templiers dans le comté de Roussillon.
Cest selon toute vraisemblance dans ce vaste domaine constitué au XIIe siècle que les moines-soldats ont constituer leurs premiers troupeaux. Cependant, la documentation, dissimulatrice, ne nous permet pas de savoir à partir de quel moment et selon quelles modalités les pauvres chevaliers
du Christ ont entrepris de developper un élevage spéculatif dans les comtés nord-catalans (230).
Dune manière plus générale, on sait que dans leurs commanderies de la péninsule Ibérique les frères de la Milice se sont spécialisés dans un élevage essentiellement axé sur les ovins et les caprins (231).
Pour ce faire, ils ont recherché et obtenu très tôt le soutien des autorités, qui leur ont accordé dimportants privilèges garantissant la protection de leurs troupeaux ou les exonérant des péages et autres taxes perçus sur le bétail transhumant. Les rois dAragon et de Castille ont également octroyé aux ordres militaires des libertés de pâturage étendues à lensemble de leurs domaines (232).
Cest ainsi que le 27 novembre 1143, à loccasion du concile célébré dans la cité de Gérone sous lautorité du légat du pape, le cardinal-diacre Gui, le comte de Barcelone et seigneur du royaume dAragon, Ramon Berenguer IV, concède aux templiers de nombreuses possessions, dont les châteaux de Monzón, Montgai, Chalamera, Barberà, Remolins, lhonneur de Llop Sanchez de Belchite et tout ce quil a dans le château de Corbins. Il leur accorde en outre le dixième de tous les droits, cens et usages de toutes ses terres et de celles quil pourra acquérir, plus le cinquième des terres qui seront conquises sur les Sarrasins.
Le comte exempte également les religieux des leudes et des péages prélevés dans les terres placées sous sa domination. La motivation de ces considérables libéralités est clairement exprimée par le prince qui souhaite que les templiers sinvestissent désormais dans la défense de lÉglise dOccident en Espagne contre les Sarrasins, comme ils le font pour lÉglise dOrient à Jérusalem (233).
Cet évènement marque un tournant fondamental dans lhistoire de lordre religieux-militaire, puisquil officialise son entrée en lice sur le second front de la croisade, celui de la Reconquista de la péninsule Ibérique (234).
Ramon Berenguer IV avait pour ce faire sollicité et obtenu préalablement laccord unanime du second grand maître de la milice du Temple, Robert de Craon, et de tout son couvent, au cours dune réunion du chapitre général à Jérusalem.
Limportance solennelle du concile de Gérone se devine à travers limposante délégation de responsables templiers assistant à cet évènement : lacte mentionne les frères Evrard des Barres, maître du Temple en France, Pere de Rovira, maître en Provence et dans les parties dEspagne, Eudes de Saint-Omer, les occitans Ug de Bessan et Peire dArzac, le catalan Berenguer de Gunyoles et enfin Arnau de Sournia, dont a vu quil était originaire de la vicomté de Fenolhedès.
Déjà, le 15 avril 1134, afin dinciter les chevaliers du Temple à participer à leur lutte contre les Maures établis à la frontière méridionale de la Catalogne, Oleguer, archevêque de Tarragone, et Ramon Berenguer IV, comte de Barcelone, au cours dune assemblée réunissant de nombreux ecclésiastiques et magnats catalans, avaient placés sous la Paix de Dieu les templiers souhaitant résider et combattre dans les comtés catalans, ainsi que toutes leurs
possessions (235).
Au sein de la Couronne dAragon, la protection des biens des ordres militaires prend un caractère véritablement institutionnel à partir des constitutions de Paix et Trêve promulguées par le roi Alfons II aux assemblées de Perpignan et de Fondarella dans le courant de lannée 1173 (236).
Ces statuts, qui sont à lorigine des Corts et du droit constitutionnel catalanoaragonais, puisent leur origine dans un important mouvement populaire et religieux ayant affecté un grand nombre de principautés du centre et du sud de la Gaule aux alentours de lan Mil237. La Paix et la Trêve de Dieu étaient originellement destinées à limiter et à encadrer les violences et exactions commises par les aristocrates et leurs mesnies de milites. Mais ce « programme de sécurité publique » fut progressivement transformé et instrumentalisé à leur profit par les souverains de la maison de Barcelone, qui y trouvèrent le moyen de renforcer leur autorité et, partant, dimposer de nouveaux impôts destinés à financer leur politique : le
bovatge et le monedatge (238).
Comme chacun le sait, il faut toujours prendre garde de ne pas considérer les règles normatives comme lexpression dune réalité vécue, dautant plus quand les autorités en place ne sont pas en mesure de faire appliquer les déclarations de principe jurées lors des assemblées de Paix, voire quand elles ne les enfreignent pas elles-mêmes. Ainsi, en dépit des prescriptions de larticle V des statuts de Paix et Trêve de 1173, les imposants troupeaux des ordres religieux continuent à être victime des rapines de seigneurs brigands (239).
Il va sans dire que de telles exactions commises ou commanditées par des membres de lélite aristocratique ne pouvaient quinciter les responsables templiers à solliciter le soutien des comtes-rois et de leur pouvoir coercitif pour assurer la protection de leur bétail. Voici un bon exemple de ces protections royales accordées au cours de périodes particulièrement troublées. Le 10 janvier 1208, Pere II, ordonne à tous ses officiers et sujets du royaume dAragon de respecter les possessions, troupeaux et les droits de lordre du Temple, de les protéger et de les assister, sous peine dencourir une amende de 1000 pièces dor (240).
Au XIIIe siècle, les comtes-rois renouvellent et étendent les privilèges accordés au Temple. Le 9 juillet 1233, au siège de Borriana, Jaume Ier, en récompense des nombreux services quils ont rendu à la Couronne, affranchit définitivement tous les hommes de la milice du Temple, quelle que soit leur confession, du paiement de toutes exactions royales, dont les droits dherbatge (herbaticum) et de carnalatge (carnaticum), anciennes taxes publiques prélevées pour le droit de dépaissance et pour le débit de viande (241).
Nantis de tous ces privilèges et de la protection des princes de la maison de Barcelone, les templiers disposaient donc dimportants atouts politiques et économiques favorisant leur investissement dans lélevage et le commerce du bétail. Il semble que dans le diocèse dElne, comme dans de nombreuses autres provinces méridionales, ils ne tardèrent pas à en tirer profit (242).
Les premiers indices dune activité pastorale apparaissent très tôt et revêtent la forme daumônes en bétail, le plus souvent effectuées à loccasion de legs testamentaires. Le 24 mai 1136, outre dimportants biens-fonds, le seigneur Ermengau de So lègue ainsi à la Milice tous ses biens meubles : blé, vin, boeufs, vaches et équipements (243).
De la même manière, en juillet 1172, le chevalier Bernat de Brouilla lègue aux religieux ses chevaux, son mulet, ses boeufs et ses moutons (244).
Si cette pratique manifeste lintérêt précoce que les templiers établis dans les comtés nord-catalans ont portés à lacquisition de bétail, il faut cependant attendre les dernières décennies du XIIe siècle pour trouver des documents témoignant de façon plus ou moins explicite de la volonté des frères du Masdéu de se spécialiser dans cette activité
Dans les chartes de la commanderie du Masdéu, chevaux, juments, poulains, roncins et mules apparaissent le plus souvent comme des marchandises faisant office de monnaie déchange dans des ventes ou dans des donations rémunérées. Cette pratique caractérise essentiellement les transactions passées entre les templiers et les membres de la classe chevaleresque (245).
Elle se rapporte à une facette méconnue de léconomie roussillonnaise, car très peu documenté par les chartes des XIIe et XIIIe siècles : lélevage et le commerce des équidés (246).
Si lon connaît bien lusage, répandu dans les rangs de laristocratie et de la classe équestre, consistant à léguer ses armes et ses montures aux ordres religieux-militaires; il est par contre bien difficile dapprécier limportance du rôle joué localement par les religieux du Masdéu en matière de production équine. Il semble toutefois assuré que les frères élevaient eux-mêmes ces animaux (247).
La création de prés et de prairies constituait un objectif avoué de lambitieuse entreprise dassèchement des étangs de la plaine roussillonnaise menée par les templiers à la fin du XIIe siècle. Les opérations de drainage avaient en effet pour but de libérer de nouveaux espaces pastoraux destinés à lélevage des équins et des bovins, comme cela est clairement exprimé, au mois avril 1195, dans lacte par lequel Alfons II accorde au maître du Temple en Provence et en Espagne, frère Pons de Rigaud, le droit dassécher létang de Bages.
Le roi dAragon y cède en effet aux templiers la dîme de tous les fruits de létang et le droit perpétuel de faire paître leurs boeufs et leurs juments de trait sur le pré de létang (248).
On trouve dautres indices mettant en relation les étangs et lélevage du gros bétail dans les actes se rapportant à lacquisition de létang de Caraig et de terres riveraines de celui-ci. Au mois de juin 1183, pour prix de cet étang, frère Pere dAiguaviva remet à Arnau de Mudagons et aux siens la somme de 2000 sous de monnaie melgorienne, un cheval dune valeur de 250 sous et une paire de boeufs (249).
En 1186 et 1188, en contrepartie de champs situés en aval de cet étang de la paroisse de Sainte-Marie de Nyls, cest un boeuf que les religieux remettent aux vendeurs (250).
On voit donc que les templiers élevaient des animaux de trait quils employaient dans le cadre de la mise en valeur de leurs réserves agricoles. Mais les proportions de cet élevage de gros bétail dépassaient ce strict cadre utilitaire, puisquà certaines occasions les religieux nhésitaient pas à utiliser une partie de leur cheptel comme monnaie déchange pour acquérir de nouvelles terres.
Dans la plaine du Roussillon, lexpression la plus manifeste et la plus représentative de limportance accordée par les templiers à lactivité pastorale est la création du Mas de la Garrigue, dont le premier commandeur, Pere Porcell, est mentionné en 1197 (251).
Cet établissement implanté à la limite méridionale de la paroisse Saint-Jean de Perpignan, sur la rive gauche du Reart, est le premier à avoir été fondé par la commanderie du Masdéu. En effet, le Mas de la Garrigue, maison rurale dont le nom révèle lorigine monastique, est déjà mentionné le 15 mars 1158.
À cette date, moyennant une compensation de 80 sous de Roussillon et de deux poules de cens annuel à percevoir sur un tenancier de Saint-Féliu
dAvall, Pere de Saint-Féliu et ses frères renoncent à un champ situé dans le territoire que le comte Gaufred avait donné au Temple « ad Mansum Garrige » (252).
Ceci implique que cette maison rurale se dressait déjà au centre de limportant domaine foncier dorigine fiscale que le comte de Roussillon Gaufred III et son fils Girard avaient cédé à la Milice en trois donations effectuées au cours des années 1149-1155 (253).
La vocation pastorale du Mas de la Garrigue apparaît de façon patente dans un acte du mois de novembre 1277 par lequel frère Ramon Desbac, commandeur du Masdéu, vend à Guillem Tolsà, pareur de Perpignan, toute la production annuelle de laine des moutons et de tous les ovins du Mas de la Garrigue du Temple, pour le prix de 177 sous et 6 deniers de monnaie barcelonaise.
Une clause précise que lacheteur devait prendre possession de la marchandise au terme de six mois, soit vers la mi-mai, ce qui indique que cest à cette période que lon devait pratiquer la tonte des troupeaux dans la grange templière (254).
Le prix de chaque balle de laine étant fixé dans lacte à 2 sous moins une picte, la production du Mas de la Garrigue était donc estimée cette année là à 90 balles de laine (255).
Nous ignorons malheureusement quelle quantité de toisons pouvait contenir une balle de laine à cette époque.
Il est par conséquent impossible destimer le cheptel du Mas de la Garrigue à partir de cette seule donnée. Il convient dobserver que le prix obtenu pour cette vente de laine dépasse largement le total des revenus en numéraire de toute la baillie du Mas de la Garrigue indiqués dans linventaire de 1264 (256).
Lélevage constituait probablement aussi la principale vocation économique des petites commanderies fondées par les templiers dans la vicomté de Fenolhedès à Corbons, Centernac et Prugnanes. Mais les documents relatifs à ces membres languedociens du Masdéu sont peu nombreux et ne fournissent quune information très limitée à ce sujet.
Dès 1142, le vicomte Udalger concède aux frères de la Milice le bois de Mata Perusta, délimité par la route menant dArsa au Pla Llouby, en amont de Rabouillet, avec les droits de leude, de forestage et de glandée qui y sont prélevés (257).
La perception du droit de glandée témoigne de lexistence dun élevage de porcs dans cette région montagneuse (258).
Lactivité pastorale des templiers en relation avec leurs maisons du Fenolhedès est surtout attestée par un contrat de location particulièrement intéressant instrumenté le 7 novembre 1268. Moyennant un loyer de 100 sous de monnaie tournoise, les damoiseaux Arnau de Soulatge et Peire de Cucugnan louent au frère chevalier Ramon Desbac, commandeur du Masdéu, les pâturages quils ont dans le territoire du castrum de Camps-sur-lAgly, pour que les templiers y fassent pâturer leur bétail, de quelque espèce quil soit, ainsi que celui de leurs serviteurs, de leurs donnés ou dautres personnes étrangères, du moment que ces animaux relèvent de leur cabane. À défaut de bétail propre, le commandeur du Masdéu est également autorisé à louer ces herbages à dautres personnes.
Les deux seigneurs du Pérapertusès accordent en outre aux religieux la faculté de prendre du bois dans leur bois de Peyrosa pour lusage de leurs bergers, de leur maison de Prugnanes et des habitants de ce village. Ils se réservent la juridiction et tous les autres usages de ces pâturages, ainsi que la faculté pour leurs hommes de Camps dy faire paître leur bétail, à condition de ne pas le laisser passer la nuit dehors, saufs leurs boeufs et leurs vaches qui pourront y pernocter durant lété.
Arnau de Soulatge et Peire de Cucugnan accordent en outre au commandeur du Masdéu la faculté pour son bétail daccéder depuis ces pâturages à trois
abreuvoirs rigoureusement localisés, à condition de ne pas occasionner de dégâts aux propriétés avoisinantes ; dans le cas contraire, les préjudices devaient être dédommagés suivant lestimation de lun des pâtres de ce bétail et dun bon homme de Camps, sans payer de droit de ban (259).
La location de ces herbages situés sur les pentes du Pech de Bugarach, dans lancien comté de Razès, sexplique par leur voisinage immédiat avec le territoire de Prugnanes, villa que le vicomte Arnau de Fenouillet avait léguée en indivis aux templiers et aux hospitaliers dans ses testaments de juillet et septembre 1173, à condition que ceux-ci remboursent 300 sous dus au seigneur Bernat Sesmon dAlbedun, qui la tenait en gage (260).
Lacquisition de pâturages dans les montagnes du Conflent au cours de la décennie 1180-1190 indique une importante extension de lactivité pastorale des templiers du Masdéu durant cette période.
Cest très probablement en 1181 que Bernat, abbé de Cuxà (261), donna les pâturages de Querençà et les tasques perçues en ce lieu à frère Berenguer dAvinyó, maître de la milice du Temple (262), et à frère Ramon de Canet, commandeur du Masdéu (263).
Cet acte na pas été conservé, mais son existence nous est révélée par la confirmation qui en fut faite, le 16 janvier 1253, par le roi dAragon Jaume Ier (264).
Le 16 juin 1186, cest le seigneur Guillem Bernat de Paracols, qui, avec laccord de dame Blanca de Conat, son épouse, donne à frère Pere dAiguaviva, commandeur du Masdéu, un cortal et une tenure situés dans son honneur des Molleres de Martiach, aux confins de la villa dUrbanya, sur le versant oriental du Madres (265).
Il sengage à ce quaucun autre cortal ne soit édifié dans les limites de la tenure quil leur donne, jusquà la limite du cortal de lHôpital de Jérusalem. Le seigneur de Paracols concède en plus aux templiers les droits de dépaissance et les droits dusage dans tous ses honneurs et par tous les pacages placés sous sa domination (266).
Dans les Pyrénées de lEst, les années 1175-1185 sont caractérisées par la conquête des ports et des calms par les troupeaux des nouveaux ordres religieux, cisterciens, hospitaliers et templiers, qui se spécialisent dans un élevage spéculatif (267).
Il sagit-là dune tendance forte quil faut sans doute mettre en relation avec la croissance du marché qui accompagne alors la première expansion urbaine (268).
De manière significative, les données archéologiques et palynologiques se rapportant aux montagnes de Cerdagne indiquent une intensification de la
déforestation au cours des XIe-XIIIe siècles. Ce processus est notamment caractérisé par des écobuages considérables destinés à créer de nouveaux herbages pour les troupeaux, ouvrant la voie à linstallation de nouvelles cabanes dans les étages sommitaux situés entre 2200 et 2400 mètres daltitude (269).
La prise de contrôle des pacages du Haut Vallespir et du Conflent paraît avoir constitué un motif de concurrence et de tension entre templiers et cisterciens. Cest du moins ce que suggère une lettre du roi Alfons II, datée de Saragosse, par laquelle il informe les frères de la Milice quil a confirmé la donation du lieu de Rojà, depuis la combe de Pausa Guillem jusquà Campmagre, faite au monastère de Fontfroide par Arnau Joffre de Llers le 1er décembre 1177.
Limportance des enjeux économiques transparaît à travers linterdiction formelle faite par le comte-roi à tous les laïcs et ecclésiastiques de pénétrer dans ces pâturages sans laccord des moines de Fontfroide (270).
Les pasquiers de Rojà se situent sur le versant occidental de la ligne de partage des eaux délimitant le Vallespir et le Conflent, entre le Pic du Canigou, au nord, et le Roc Colom, au sud.
À une altitude moyenne de 2300 mètres, la ligne de crète reliant le Pla Guillem à Campmagre constituait un lieu de passage fréquenté par les troupeaux transitant entre les deux anciens comtés carolingiens.
On comprend par conséquent lintérêt stratégique que représentait le contrôle des pacages situés de part et dautre de cette limite naturelle.
Ceci nous amène à envisager la question de la transhumance du cheptel des templiers du Masdéu depuis la plaine littorale du Roussillon jusquaux montagnes de Vallespir, Conflent, Capcir et Fenolhedès (271).
Les relations de déplacements saisonniers de troupeaux sont rarissimes dans les documents roussillonnais antérieurs au XIVe siècle. Lexistence dune
petite transhumance ascendante vers le massif du Canigou est toutefois attestée dans un plaid tenu dans le monastère de Sainte-Marie dArles le 20 janvier 1090 (272).
On sait également que dès les années 1120 le comte de Barcelone percevait des droits sur le bétail transhumant depuis la plaine de Roussillon jusquen Cerdagne et en Capcir. Ainsi, en septembre 1126, Ramon Berenguer III inféode à Pere dAvalri et à son fils Gausbert la moitié des droits de pasquiers perçus en Conflent, depuis Ternère jusquà Formiguère, sur tous les ovins montant à lestive (273).
Quatre ans plus tard, ce même comte restitue à lEglise dUrgell tous les agneaux que ses batlles avaient saisis injustement à Villefranche de Conflent alors que le troupeau de la Cathédrale sen revenait de la plaine de Roussillon. Il se réserve néanmoins son droit de pasquier sur le bétail venant de Roussillon et son droit de penturatge consistant au prélèvement dun fromage sur cinq produit dans les estives dAiguatebia (274).
Les templiers, du fait notamment de lampleur et de la dispersion de leur patrimoine sétageant depuis le littoral jusquaux plus hautes cimes des massifs du Canigou et du Madres, disposaient dévidentes facilités pour organiser le parcours saisonnier de leurs troupeaux.
Deux documents semblent témoigner de la mise en place dun cheminement de cette nature en relation avec une probable relance de la politique pastorale des templiers du Masdéu après la longue période de troubles et de violences ayant affecté les comtés catalans au cours du
premier tiers du XIIIe siècle. En 1232 ou 1233, Ramon de Llauro donne à frère Rostain, commandeur du Masdéu, un cortal avec son pasquier situé dans la paroisse de Saint-Martin de Llauro, pour servir aux chèvres et brebis de la cabane du Masdéu (275).
Pour prix de cette concession, ce seigneur reçoit un roncin. Par la suite, frère Pere de Malon, successeur de frère Rostain, remet en plus à Ramon de Llauro un poulain qui lui avait été promis (276).
À une altitude moyenne denviron 300 mètres et distant dune quinzaine de kilomètres de la commanderie du Masdéu, le territoire de Llauro est implanté sur les premiers contreforts orientaux du massif du Canigou. Il constitue de ce fait une étape à proximité du principal itinéraire de transhumance reliant la plaine du Roussillon aux pacages du Haut Vallespir et du Conflent (277).
Cest dailleurs lun des principaux pâturages desservis par ce cami ramader que Jaume Ier concède à frère Joan de Pelancà, administrateur de la cabane du Masdéu, le 23 octobre 1245. Moyennant le paiement dun droit dentrée de 500 sous de monnaie melgorienne et dun cens annuel de 50 sous, les templiers acquièrent ainsi lusage des vastes pasquiers situés dans la partie septentrionale de la montagne de la paroisse des saintes Juste et Ruffine de Prats, qui devaient plus tard prendre le nom de Comalada (278).
On aura remarqué que ces deux documents ont en commun dévoquer la cabane des chèvres et des ovins du Masdéu.
Lapparition au sein de la commanderie dun responsable dabord appelé administrateur, puis gardien de la cabane des ovins du Masdéu (279), dont la fonction était spécialement consacrée à lélevage, dénote bien limportance que les templiers établis dans le diocèse dElne accordaient à ce secteur dactivité.
À la fin du XIIIe siècle, les pasquiers possédés par la commanderie du Masdéu dans les Pyrénées de lEst suffisaient amplement aux besoins de leur propre cheptel, à tel point que les templiers étaient en mesure de concéder une partie de leurs herbages à dautres éleveurs.
Un établissement emphytéotique recopié dans le Llibre de la creu nous renseigne sur la manière dont ils procédaient. Le 8 février 1280, frère Pere de Camprodon, commandeur de la maison du Temple de Perpignan, procureur et économe de la maison du Masdéu, baille à Ponç dUrbanya, de Llugols, et à Guillem Pagà, chapelain de léglise de Sainte Marguerite de Nabilles, un cortal et une tenure de lhonneur du Temple situé aux Molleres de Martiach, dans le territoire de la villa dUrbanya, moyennant 3 sous et 9 deniers de monnaie couronnée de Barcelone de cens annuel payable le jour de la Saint Michel de septembre (280).
Le contrat prévoyait en outre que les successeurs de Guillem Pagà investis de loffice de chapelain de léglise Sainte-Marguerite donnent au Masdéu 12 sous et 6 deniers de foriscape. Enfin, une clause réservait aux templiers la possibilité de mettre et de faire pâturer dans ce lieu le bétail de parceria quand ils le voudraient (281).
Dans leur portion des pâturages de Martiach, sur le versant oriental du Madres, les templiers avaient donc recours au contrat de parceria, « bail à cheptel, contracté devant un notaire, par lequel un bailleur confie un lot danimaux à un preneur.
Lentretien est à la charge du preneur. Le bailleur reçoit annuellement et au terme du contrat une partie préalablement fixée du lot, du croît et des fruits » (282).
Cet acte est le seul que nous ayons retrouvé dans le chartrier du Masdéu à faire état de cette nouvelle forme de rente qui se développe précisément à cette époque dans les Pyrénées.
Nous manquons hélas de données quantitatives précises pour apprécier à sa juste mesure limportance de lactivité pastorale déployée par les templiers du Masdéu (283).
Les faits évoqués précédemment indiquent que dans la seconde moitié du XIIIe siècle le cheptel de la commanderie du Masdéu devait avoir pris des proportions assez considérables. Un témoignage particulièrement éloquent de limportance de lélevage à cette période dapogée démographique nous est fourni par une lettre des procureurs royaux adressée le 13 mai 1309 à Pere Roig, batlle de Prats, par laquelle ils lui notifient que le roi de Majorque a fixé à 3000 le nombre de têtes de bétail, hormis les agneaux agés de moins dun an qui ne sont pas pris en compte, que les fermiers des pasquiers royaux de la Vall de Prats peuvent faire entrer dans les pâturages du Tech, et à 4000 celui quils peuvent faire entrer dans les pâturages que le Temple a dans cette vallée (284).
Il convient dobserver que cette missive a été rédigée plus dun an après larrestation des templiers du Roussillon. Ces derniers se trouvaient alors emprisonnés dans lenceinte de la commanderie du Masdéu dans lattente de leur interrogatoire par la commission diocésaine, qui eut lieu au mois de janvier 1310. Les pâturages templiers, auxquels les procureurs du roi de Majorque donnent ici le nom, inconnu par ailleurs, de Vyocoles, correspondent sans aucun doute aux vacants de la Comalada, situés sur le versant méridional du Canigou. Il sagit de ce vaste espace pastoral localisé dans la montagne de Prats que le roi dAragon Jaume Ier avait concédé aux frères du Masdéu en 1245 (285).
Le plafond de 4000 bêtes adultes évoqué en 1309 nous donne une idée de la capacité maximale daccueil - telle quelle était estimée à cette date - des pâturages dont les templiers avaient jusqualors loué lusage aux comtes-rois. Cependant, comme le précise la dernière clause ajoutée in extremis à la suite de la formule de datation, la quantité notifiée au batlle royal de Prats ne tient pas compte du bétail de lOrdre, dont on suppose quil était alors placé sous séquestre de ladministration royale. Dautre part, nous avons vu que les pasquiers du Haut Vallespir nétaient pas les seuls à être utilisés par les frères du Masdéu dans les estives pyrénéennes. À considérer tous ces éléments, il ne semble pas exagéré denvisager que, à linstar des grands établissements religieux contemporains spécialisés dans lélevage ovin et caprin, le cheptel déployé dans lensemble de la batllie du Masdéu ait pu approcher, voire excéder le chiffre de 1500 têtes.
Considéré au prisme des pièces conservées dans les chartriers détablissements religieux ou de familles aristocratiques, autrement dit dans des archives organisées avec la finalité détablir les droits sur la terre et les hommes, lélevage apparaît comme une activité bien marginale. Cette particularité archivistique explique en grande partie pourquoi limportance de ce secteur fondamental de léconomie régionale demeure très largement sous-estimée par lhistoriographie (286).
Pourtant, quand ils sont conservés, les protocoles notariés de la seconde moitié du XIIIe siècle viennent heureusement corriger cette très préjudiciable anamorphose inhérente à la structure de la documentation médiévale. Les registres des notaires de Perpignan - dans une proportion nettement inférieure à ceux de Puigcerdà - recèlent des minutes très instructives se rapportant à lélevage et au commerce du bétail. Les minutes
perpignanaises présentent notamment lintérêt de mettre en lumière limplication des bouchers de la ville dans ce domaine (287).
Ce sont les minutes des notaires perpignanais qui nous fournissent les rares témoignages documentés dune implication directe des frères du Temple dans le commerce de bétail. On découvre ainsi Ramon de Fuilla de Conflent sengager, en 1272, à donner à Sainte-Marie du Masdéu et à frère Pere de Camprodon, lieutenant du commandeur dans la baillie du Masdéu, trente bonnes brebis ou 124 sous, à sa convenance, avant la prochaine fête de la Saint-Michel de septembre (288).
La minute ne précise toutefois pas sil sagissait là dune donation gratuite ou, plus vraisemblablement, du résultat dune transaction de type parceria, dont les termes nous sont inconnus. Ce sont également les minutes dun notaire public perpignanais qui nous ont conservé la vente déjà évoquée des 90 balles de laine produites au Mas de la Garrigue en 1277.
Lélevage de cochons dans les réserves templières nest guère documenté. Seul le capbreu de 1264 fait directement allusion à cette activité. Lalinea consacré au Mas de la Garrigue rapporte en effet une dépense annuelle de 60 hémines dorge pour le salaire et la nourriture des familiers et pour lalimentation des porcs (289).
Par ailleurs, on sait que les religieux, à linstar des autres seigneurs fonciers, exigeaient des censives en jambons de leurs hommes amansats (290).
Toujours grâce à linventaire de 1264, nous savons quà cette date les templiers recevaient annuellement 80 pernas et neuf porcs du mois de mars, dont sept dans la seule seigneurie de Terrats. Le même document nous informe sur le nombre de volailles que leur rapportaient les censives payées par les tenanciers : 364 poules, 50 oies et 115 oeufs.
On signalera pour finir la pratique répandue de lélevage des pigeons dans les campagnes nord-catalanes où le colombier est une composante traditionnelle du paysage rural (291).
On peut évoquer par exemple cet acte du 25 juin 1148, par lequel Arnau de Nyls, son épouse Estefania, et leurs fils Guillem Jordà et Bernat de Sant Gil cèdent aux « chevaliers du Christ » un pigeonnier situé dans le territoire de Villemolaque, avec deux logements qui sont à lintérieur de celui-ci (292).
On remarque également cet intéressant contrat passé suite à lédification dun colombier par un tenancier de Terrats. Le 26 juin 1274, frère Pere de Camprodon, lieutenant du commandeur de la maison du Masdéu, confirme à Ramon Celera la possession du pigeonnier, avec sa cour, que celui-ci a construit dans un champ quil tient pour le Temple dans la paroisse de Saint-Julien de Terrats, au lieu-dit al Camp de la Creu. Pour la partie du champ où se tient le pigeonnier, le tenancier devra désormais payer 1 obole de monnaie melgorienne de cens annuel le jour de Noël. Pour prix de cette concession, frère Perede Camprodon reconnaît avoir reçu 6 sous 3 deniers de monnaie couronnée de Barcelone (293).
On laura compris, lélevage constituait une activité économique particulièrement importante au sein des campagnes des Pyrénées catalanes contrôlées par les templiers du Masdéu. Il constituait la principale activité de la grange templière du Mas de la Garrigue, en Roussillon, et vraisemblablement aussi des maisons secondaires de Corbons, Centernac et Prugnanes, en Fenolhedès. Comme lordre cistercien, lordre du Temple sest spécialisé dans lélevage des ovins et des caprins aux alentours des années 1170-1180 avec, sans doute, la finalité dalimenter en viande, en cuir et en bonne laine les marchés perpignanais. Le développement de la politique pastorale des frères du Masdéu doit par conséquent être mis en relation avec la forte croissance économique et démographique que connaît la ville de Perpignan au cours de cette période.
Notes la seigneurie templière
167. Cet aspect de lhistoire des templiers roussillonnais a déjà donné lieu à dimportants développements, voir Laure VERDON, « Les templiers en Roussillon : formation et mise en valeur de leur patrimoine foncier », dans Les templiers en pays catalan, Perpignan, 1998, p. 39-57 ; Id., La terre et les hommes en Roussillon aux XIIe et XIIIe siècles : structures seigneuriales, rente et société daprès les sources templières. Aix-en-Provence, 2001, p. 28-42.
168. — Nous reviendrons plus en détail sur cette question dans la seconde partie de cette introduction consacrée à la présentation des sources.
169. — Pierre GÉRARD et Élisabeth MAGNOU (éd.), Cartulaires des Templiers de Douzens, Op. cit..
170. — Pour les premières ventes faites aux templiers voir les actes n° 24 (1141), 27 (1142) et 35 (1146).
171. — Pour les premiers exemples de lemploi de ce vocabulaire subterfuge voir les actes n° 16 (1137), 25 (1141), 31 (1144), 41 (1148). La formule surgit encore épisodiquement sous la plume de scribes ruraux jusquaux alentours de 1240, actes n° 342 (1236), 407 (1242) et n° 432 (1244).
172. — Acte n° 25.
173. — Alain DEMURGER, Les Templiers..., p. 278.
174. — Sur ce processus de regroupement voir Laure VERDON, La terre et les hommes..., p. 36-42
175. — Le 21 décembre 1149, Guillem de Bages souscrit avec le titre de sacriste lacte de consécration de léglise de Saint-Vincent de Baho, ADPO, 12J24, acte n°162.
176. — Acte n° 41.
177. — Actes n° 146, 423, 533. Cette masade avait aussi des dépendances dans les paroisses voisines de Sainte-Marie de Toulouges et de Sainte-Eugénie.
178. — Actes n° 228, 236.
179. — Acte n° XXVI.
180. — Acte n° XXIX.
181. — Acte n° 823.
182. — Acte n° 824.
183. — Les actes n° 71, 142, 149, 151, 202, 265, 316, 359 et 553 sont vraisemblablement les munimina, les titres de propriétés remis aux templiers par Bernat dOms. Comme de nombreuses chartes de cette nature, ces pièces rapportées ont été significativement extraites du fonds de la commanderie du Masdéu par larchiviste Bernard ALART au XIXe siècle qui, par un processus inverse, les a utilisées pour reconstituer des petits chartriers seigneuriaux réunis dans les liasses de la série 1B des Archives départementales des Pyrénées-Orientales. La liasse regroupant les pièces de la famille dOrle porte la cote 1B63.
184. — Acte n° 825.
185. — Arnau de Castelnou, maître du Temple en Catalogne et Aragon de mars 1267 à février 1278, était le fils du vicomte de Castelnou Guillem V et de Ramona de Creixell.
186. — « (...) quod unquam decetero aliquo tempore aliqui baiuli, vicarii, saiones vel alii officiales nostri vel nostrorum, non intrent vel intrare debeant aliqua castra, villas vel loca ad dictum Mansum Dei pertinentia, pro aliquibus injuriis vel debitis per comendatores, fratres vel homines dicti Mansi Dei vel castrorum, villarum et locorum ad ipsum Mansum Dei pertinentium factis seu contractis, compellendis, distringendis, pignorandis vel puniendis, nisi prius comendatores et homines predicti, infra decem dies continue numerandos post exponitam seu exponitas eis querelas, noluerint conquerentibus de ipsis justicie facere complementum », acte n° 536.
187. — Jaspert de Boutenac était le fils de Berenguer de Boutenac, aristocrate dorigine languedocienne ayant hérité de la seigneurie de Requesens, et de Saurina de Castelnou, fille du vicomte de Castelnou Guillem V. Il était par conséquent le neveu dArnau de Castelnou. Il suivit une formation de juriste à Bologne juste avant son élection à labbatiat de Girona, siège quil occupa de 1265 à 1272. Devenu sacriste de la cathédrale de Girona en 1273, il fut élu évêque de Valencia en décembre 1276 et assuma cette charge jusquà sa mort survenue le 3 avril 1288. Jaspert de Boutenac fut également un conseiller très apprécié du roi Pere III qui lui confia en 1284 une très délicate ambassade de paix auprès du roi de France Philippe III.
188. — Acte n° 847.
189. — Acte n° 887.
190. — Acte n° 908.
191. — Acte n° 901.
192. — « En 1139 y aurait été fondé une abbaye cistercienne par des moines issus de labbaye de lArdorel (Tarn) elle-même fille de Cadouin (Dordogne). Mais cette soeur roussillonnaise de Valmagne ne serait restée que neuf ans dans le giron de sa mère », Brigitte et Gilles DELLUC, « Que reste-t-il des abbayes-filles de Cadouin ? », Cadouin, 6e colloque, 1999, p. 61.
193. — Il est vraisemblablement fait allusion ici à des guerres privées opposant différents groupes aristocratiques dans un contexte daffaiblissement de lautorité des comtes-rois. Faute de sources, les protagonistes, les raisons et les circonstances de ces troubles qui affectèrent les comtés nord-catalans au cours des premières décennies du XIIIe siècle sont particulièrement difficile à cerner. On sait toutefois quau cours des années 1220 une guerre opposa Nunó, seigneur des comtés de Roussillon et de Cerdagne, à Guillem de Montcada, et quune autre opposa le comte dEmpúries au vicomte de Rocabertí.
194. — Acte n° 32.
195. — En 1747, à une petite distance des bornes qui servaient à fixer les limites de lenclos du Masdéu, entre lorient et le midi, on remarquait des vestiges et presque tous les fondements dun ancien édifice portant le nom de Sant Salvador. Les vestiges de lédifice ont disparu, mais le toponyme subsiste encore et figure sur la carte IGN, voir Joseph GIBRAT, « Note sur léglise de Saint-Sauveur de Sira (1212) », Revue Historique et Littéraire du diocèse de Perpignan, n° 11, novembre 1925, p.159-160.
196. — Le 1er octobre 1151, Arnau de Nyls vend au Temple une vigne située dans le communal de Segur, dans la paroisse de Sainte-Marie de Nyls, avec laccord dArnau de Rocafort, de Ponç de Rocha et de « Guilelmi, presbiteri de Villa Mulacha, dispensatoris domus Sancti Salvatoris », acte n° 47.
197. — Acte n° 48.
198. — Dans une charte de déguerpissement de 1198, il est en effet question des frères et des soeurs de Sant Salvador : « (...) evacuamus domino Deo et domui Sancti Salvatoris et tibi Raymundo de Tulugiis, ministri ejusdem domus, et omnibus successoribus tuis, et omnibus fratribus et sororibus ejusdem domus (...) », voir lacte n° 174.
199. — Acte n° 870.
200. — À titre comparatif, le prix des opulentes seigneuries de Millas et Torreilles vendues par le comte dEmpúries à linfant de Majorque en 1271, sélève respectivement à 40.000 et 30.000 sous de monnaie melgorienne, soit 50.000 et 37.500 sous de monnaie barcelonaise. Le taux de change que lon peut établir daprès les chartes était alors de 5 deniers de Barcelone pour 4 derniers de Melgueil, ADPO, 1B51.
201. — Acte n° XXIX.
202. — Il ne subsiste curieusement aucun document se rapportant à cette domination.
203. — Acte n° XVII.
204. — Actes n° 111 et 112. Lassèchement des étangs de la plaine roussillonnaise a suscité lintérêt de nombreux historiens : Jean-Auguste BRUTAILS, Etude sur la condition des populations rurales du Roussillon au Moyen Age, Paris, 1891, p. 2-5 ; Sylvie CAUCANAS, « Assèchements en Roussillon », Histoire et Archéologie des terres catalanes au Moyen Age, Presses Universitaires de Perpignan, 1995, p. 269-278 ; Robert VINAS, Els templers al Rosselló, Lleida, 2002, p. 61-67 ; Laure VERDON, La terre et les hommes ...., p. 106-108 ; Carole PUIG, Les campagnes roussillonnaises au Moyen-Age : dynamiques agricoles et paysagères entre le XIIe et la première moitié du XIVe, thèse de doctorat, Université de Toulouse-le-Mirail, avril 2003, vol. 2, p. 364-369 et 386-395. En Languedoc, les templiers acquièrent létang de Pézenas en 1157 et procèdent à son assèchement vers la fin du XIIe siècle ou au début du XIIIe, voir Jean-Loup ABBÉ, À la conquête des étangs, laménagement de lespace en Languedoc méditerranéen (XIIe-XVe siècle), Toulouse, 2006, p. 97-98.
205. — Actes n° 118 à 122. Certains de ces assèchements furent temporaires. Les étangs situés dans la paroisse de Sainte-Marie de Nyls sont ainsi mentionnés en confront dans un acte du 25 septembre 1260 : Bernat Dalmau et son frère Arnau Dalmau, habitants de Nyls, prennent à labour pour une récolte annuelle de F. Celera de Villemolaque, habitant de Perpignan, quatre champs, dont deux se situaient en amont de létang de Sabadel et un autre en amont de létang Gros, ADPO, 3E1/1, fol. 5.
206. — Les templiers des commanderies de Saint-Gilles et dArles acquirent plusieurs salines dans le delta du Rhône, Damien CARRAZ, Lordre du Temple..., p. 240.
207. — Acte n° 13. Berenguer de Guardia exerça la fonction de viguier des comtes de Roussillon de 1139 à 1174. Sur ce personnage comme sur lhistoire du sel voir Rodrigue TRÉTON, Sel et salines.., notamment p. 39-41.
208. — Lacte a été retranscrit vers 1290-1300 à la suite du noyau originel du cartulaire du Masdéu rédigé dix ans auparavant, mais nous navons pas les moyens de savoir si ce fait manifeste que ce droit était encore effectivement perçu à cette date, ou si, au contraire, il exprime la revendication dun droit depuis longtemps oublié et dont le souvenir aurait été ressuscité à la faveur de lexhumation du titre égaré dans limposant chartrier de linstitution.
209. — Acte n° 188.
210. — Acte n° 89. Il sagit dun mémoire non daté que sa forme et son contenu récapitulatif apparentent aux censiers ou capbreus. Assez curieusement, on ne retrouve aucune trace du testament de Gausbert de Pézilla parmi les nombreuses pièces du dossier relatif à la seigneurie de Saint-Hippolyte compilées dans le cartulaire du Masdéu, pas plus dailleurs que de dispositions postérieures se rapportant à son exécution. Ces salines se situaient au nord du castrum, à proximité du lieu-dit Conangle désignant lestuaire de lAgly, qui se jetait alors dans létang de Salses-Leucate, sur ce point voir Rémi MARICHAL, Isabelle REBE et Rodrigue TRÉTON, « La transformation du milieu géomorphologique de la plaine du Roussillon et ses conséquences sur son occupation. Premiers résultats », dans La dynamique des paysages protohistoriques, antiques, médiévaux et modernes, Actes des XVIIe rencontre internationales darchéologie et dhistoire dAntibes, 19-21 octobre 1996, Sophia Antipolis, 1997, p.271-284.
211. — Dont témoigne la souscription de frère Cabot, sintitulant commandeur de Saint-Hippolyte, voir lacte n° XIII.
212. — A Saint-Laurent de la Salanque, vingt-neuf tenanciers reconnaissent tenir des salines pour le roi de Majorque en 1292. Chacun devait verser à un seigneur-roi particulièrement exigeant le tiers de tout le sel récolté, Rodrigue TRÉTON, Sel et salines..., p. 58.
213. — Acte n° XXIX.
214. — Actes n° 906 et XLVIII.
215. — Lorigine de cette seigneurie indivise des deux ordres militaires remontait probablement au legs effectué un siècle auparavant par Gausbert de Pézilla.
216. — Une donation du comte Girard II en faveur des cisterciens du monastère de Fontfroide nous apprend par contre que ces religieux tiraient profit de la pêche en mer. Le 14 mars 1166, le comte de Roussillon concède à Vidal, abbé, et aux moines de Sainte-Marie de Fontfroide, la faculté davoir des pêcheurs en mer, de transporter des vivres par mer, le tout sans payer de redevance, BnF, coll. Doat, vol. 59, fol. 47-49.
217. — John Alan FOREY, The templars in the Corona of Aragón, p. 239.
218. — Acte n° XXIX.
219. — Le 6 janvier 1203, le roi dAragon, Pere II, vend pour 10000 sous barcelonais à labbé Bernat et aux moines de Sainte-Marie de Fontfroide sa villa dEscaro située dans le comté de Conflent, avec les terres dominicales, les hommes, femmes, cens, agriers, corvées, usages, quêtes, réquisitions, droits dusages, arbres, droits de boisage, bois, prés, pâturages, rives, droits dherbages, monetatge, bovatge, droits sur les fromages destive, droits de dépaissance, avec toutes prérogatives seigneuriales et lentière juridiction, ainsi que toutes les mines et minerais dor, dargent, de cuivre, de fer où autres métaux, et tous les trésors, découverts et à découvrir ; avec la haute justice sur les meurtres commis sur le territoire de cette villa ; à la réserve toutefois de la juridiction sur les hommes étrangers qui séjourneraient à Escaro en raison de lexploitation des mines, ADPO, 1B8. Sur lactivité métallurgique des Cisterciens voir Robert FOSSIER « Lactivité métallurgique dune abbaye cistercienne : Clairvaux », Revue dhistoire de la sidérurgie, II, 1961, p. 7-14 ; Charles HIGOUNET, « Essai sur les granges cisterciennes », dans Léconomie cistercienne. Géographie, mutations : du Moyen Age aux temps modernes, (Actes des troisièmes journées internationales dHistoire de labbaye de Flaran 3, 16-18 septembre 1981), Auch, 1983, p. 175-176.
220. — Pere de Llauro apparaît dans deux actes, lun de 1197 et lautre de 1224, Marca Hispanica, app. CCCCLXXXIX et ADPO, 3J369.
221. — On ne sait si les chaufourniers sapprovisionnaient en calcaire sur place où sils faisaient venir celui-ci des gisements voisins de Calmeilles ou du Col de Fortou, où lon retrouve significativement le toponyme La Calcina.
222. — Acte n° 322.
223. — Sur les abbayes cisterciennes et leur implication dans lélevage à lest les Pyrénées voir Agustí ALTISENT, Diplomatari de Santa Maria de Poblet, t. I : Anys 960-1177, Barcelone, 1993 ; F. UDINA I MARTORELL, (éd.), El « Llibre Blanc » de Santes Creus (cartulario del siglo XII), Barcelone, 1947 ; Manuel RIU, Formacion de las zonas de pastos veraniegos del monasterio de Santes Creus en el Pirineo durante el siglo XII », Boletin del archivo bibliogràfico, 14 (1961), p. 137-153 ; François GRÈZES-RUEFF, « Labbaye de Fontfroide et son domaine foncier au XIIe-XIIIe siècles», Annales du Midi, t. XXXIX, n° 133, Toulouse, 1977, p. 253-280 ; Christine RENDU, La montagne dEnveig. Une estive pyrénéenne sur la longue durée, Perpignan, 2003, p. 437-444.
224. — Établis dans les vallées ou sur les contreforts de la montagne du Canigou, les monastères de Sainte-Marie dArles, de Saint-Michel de Cuxà ou de Saint-Martin du Canigou disposaient dimportants troupeaux dont on ne peut malheureusement apprécier limportance. Un mémoire particulièrement édifiant rédigé du temps de labbé de Saint-Martin du Canigou Pere dEspira (1212-1230) décrit les nombreuses exactions en tous genres commises par un bandit de la pire espèce, originaire du lieu de Vernet en Conflent, à lencontre des troupeaux et des gens de ce monastère. On apprend ainsi quen dépit de ses promesses, le brigand récidiviste, nommé Ponç de Vernet (à ne pas confondre avec le grand seigneur roussillonnais du même nom), pilla plusieurs cortals situés dans les pâturages de Conflent, Capcir et Cerdagne, y dérobant tout ce quil y trouvait : bétail, fromage, vêtements, rançonnant les pasteurs et les habitants des petites communautés montagnardes. Le bétail dérobé était constitué de boeufs, de porcs et surtout de moutons. Il sempara ainsi une fois de 150 têtes qui estivaient dans les cortals dErr en Cerdagne, et une autre fois, à Vernet, il vola plus de 600 têtes appartenant au moines de Saint-Martin de Canigou, voir D.M.J. HENRY, Histoire de Roussillon, t. I, (1835) Preuves, n° III, p. 498 ; Charles-Emmanuel BROUSSE, « Une grande erreur de la petite histoire », Études Roussillonnaises, 4 (1952), p. 235-236. Pour une histoire de lexpansion patrimoniale du monastère de Saint-Michel de Cuxà voir Ramon dABADAL I DE VINYALS, « Com neix i com creix un gran monestir pirinenc abans de lany mil : Eixalade-Cuixà », Analecta Montserratensia, 8, 1954-1955, p. 125-337 ; Pierre PONSICH, «Le domaine foncier de Saint-Michel de Cuxa aux IXe, Xe et XIe siècles», Études roussillonnaises, 1-2 (1952), p. 67-100.
225. — Lluís BASSEDA, Toponymie Historique de Catalunya nord, Prades, 1990, p. 127.
226. — Aline DURAND, Les paysages médiévaux du Languedoc (Xe-XIIe siècles), Toulouse, PUM (coll. Tempus), 1998, p. 360.
227. — BnF, coll. Doat, vol. 70, fol. 260 et vol. 59, fol. 96-98. Comme nous le verrons plus loin, létablissement de ces granges dans la plaine doit être mis en relation avec la mise en place dun vaste dispositif de transhumance par les Cisterciens qui se spécialisent alors dans un élevage spéculatif. En 1177, Ermessenda de Millas, du consentement de Pere de Domanova son mari, avait concédé au monastère de Fontfroide la faculté de faire paître son troupeau dans les pâturages de Tautavel, non loin de Vespeilles, Archives départementales de lAude, H 211, fol. 104.
228. — Le prieuré du Mas de la Garrigue et les granges de Vespeilles et de Mudagons ont été établis sur des terres données aux cisterciens par Ermengau II de Vernet (1146 - + 1196). Ce personnage, qui fut également un bienfaiteur des templiers, était lun des plus puissants seigneurs roussillonnais. Sa domination sétendait sur toute la partie septentrionale du comté de Roussillon, où il détenait en tout ou en partie les seigneuries de Vernet, Millas, Tautavel, Vingrau, Salses, Garrieux, Saint-Hippolyte, Torreilles et Ortolanes.
229. — En 1301, plusieurs témoins interrogés à propos des limites du comté de Roussillon et de la vicomté de Narbonne évoquent les troupeaux de moutons, de chèvres ou de vaches que les éleveurs des environs, et notamment ceux de Saint-Laurent de la Salanque, menaient paître dans les herbages quils louaient aux seigneurs de lîle de Leucate, Archives nationales de France, J893, n° 27.
230. — Dans la basse vallée du Rhône, autour des commanderies dArles et de Saint-Gilles, les contre-dons en laine remis par les templiers semblent indiquer que ceux-ci avaient développé cette activité quasiment dès leur installation, soit autour de 1140, voir Damien CARRAZ, Lordre du Temple..., p. 236. On ne trouve aucune trace de cette pratique dans les chartes de la commanderie du Masdéu.
231. — Marie-Claude GERBET, « Les Ordres Militaires et lélevage dans lEspagne médiévale », dans Miguel Angel LADERO QUESAFA, (coord.), Estudios en memoria del profesor don Claudio Sánchez-Albornoz, coll. « La España Medieval », t. V, Madrid, 1986, vol.1, p. 440 ; Philippe JOSSERAND, Église et pouvoir dans la Péninsule Ibérique. Les ordres militaires dans le royaume de Castille (1252-1369), Casa de Velázquez, Madrid, 2004, p. 369-370.
232. — Marie-Claude GERBET, « Les Ordres Militaires et lélevage...», p. 430-434.
233. — Acte n° I : « (...) ad defensione occidentalem Ecclesiam que est in Hispaniis, ad deprimendam et debellandam et expellendam gentem Maurorum, ad exaltandam sancte Christianitatis fidem et religionem, ad exemplum milicie Templi Salamonis in Jherusalem, que orientalem defendit Ecclesiam in subjectione et obediencia illius, secundum regulam et ejusdem milicie instituta beate obediencie miliciam constituere decrevi (...) »
234. — John Alan FOREY, The templars..., p. 22-24 ; Josep Maria SANS i TRAVÉ, Els templers catalans..., p. 90-94.
235. — Marquis dALBON, Cartulaire général de Iordre du Temple..., n° LXXI, p. 55-56. Sur cette constitution voir Josep Maria SANS I TRAVÉ, Els templers catalans..., p.85-87.
236. — Gener GONZALVO I BOU (éd.), Les constitucions de Pau i Treva de Catalunya (segles XI-XIII), col. Textos jurídics catalans, Lleis i costums, 2/3. Barcelona, 1994, doc 14 et 15, art. V : « Immunitates quoque Templi et Hospitalis Iherosolimitani necnon et aliorum locorum venerabilium, set in ipsos venerabiles fratres Templi et Hospitalis, et aliorum locorum venerabilium, cum omnibus rebus suis, sub eadem pacis deffensione et interminacione, pariter cum clericis et ecclesiis constituo. » Pour la réhabilitation historiographique de la paix et trêve de Perpignan comme une réactivation des statuts de Toulouges (1062-1066) et pour la démonstration logique de son antériorité par rapport à celle de Fondarella (Fontaldara), voir Thomas N. BISSON, « Une paix peu connue pour le Roussillon (A. D. 1173) », dans Droit privé et institutions régionales : Etudes historiques offertes à Jean Yver, Paris, 1976, p. 69-76.
237. — Sur les possibles origines auvergnates de la Paix de Dieu voir Christian LAURANSON-ROSAZ, « La Paix populaire dans les Montagnes dAuvergne », Maisons de Dieu et hommes dÉglise, Saint-Étienne, CERCOR, 1992, p.289-333.
238. — Gener GONZALVO I BOU, Les constitucions de Pau i Treva de Catalunya..., p. XXIV-XXV.
239. — Lexemple le plus spectaculaire à cet égard est certainement celui du fils du comte dUrgell, le futur Ermengol VIII, contraint le 6 juillet 1184 de payer 1000 morabatins en compensation des 2000 brebis volées à la commanderie de Gardeny : «(...) et sunt apreciate due oves de illis, unum morabetinum », Ramon SAROBE i HUESCA, Col.lecció diplomàtica de la Casa del Temple de Gardeny (1070-1200), vol. II, Barcelona, Fundació Noguera, 1998, doc. n° 452. En 1201, les évêques de Saragosse et de Tarazona sont chargés denquêter sur une plainte déposée par des templiers pour le vol de 1000 brebis et chèvres, John Alan FOREY, The templars..., p. 238.
240. — Acte n° 208.
241. — Acte n° 327.
242. — Cest également le cas en Provence, voir Damien CARRAZ, Lordre du Temple..., p. 235-237.
243. — Acte n° 14.
244. — Acte n° 87.
245. — Le 7 août 1201, en contrepartie de sa renonciation à un domaine situé dans la paroisse de Palau [del Vidre], les templiers remettent à Ponç Bernat de Vilaclara 600 sous de monnaie barcelonaise, un poulain âgé dun an et un fief constitué de trois rompudes (terres nouvellement défrichées), acte n° 185. Le cheval peut également être utilisé comme moyen de paiement à loccasion dune vente : en 1161, Arnau de Bages et les siens vendent aux frères du Masdéu trois parcelles de terre situées à Bages et à Brouilla moyennant un cheval dune valeur de 150 sous de monnaie roussillonnaise, acte n° 67.
246. — Un article particulièrement stimulant a récemment mis en lumière limportance de la Catalogne et du comté de Roussillon en tant que centre de production équine à la fin du Moyen Âge : Anthony PINTO, « Le commerce des chevaux et des mules entre la France et les pays catalans (XIVe-XVe siècle) », Histoire & Sociétés Rurales, volume 23 (2005/1), p. 117-136.
247. — Cétait le cas de leurs coreligionnaires établis dans le Larzac, voir Antoine-Régis CARCENAC, Les templiers du Larzac, Nîmes, 1994, p.131-139.
248. — Acte n° 161.
249. — Acte n° 118.
250. — Actes n° 128 et 140.
251. — « Petro Porcelli, commandatori Manso de Garriga », acte n° 169. Il convient de bien distinguer la maison templière du Mas de la Garrigue, implantée au sud de la paroisse de Saint-Jean de Perpignan, du prieuré cistercien éponyme fondé par labbaye de Sainte-Marie de Villelongue dans la paroisse de Saint-Martin de Tura, entre Rivesaltes et Salses. À la fin du Moyen Âge, afin de ne pas confondre ces deux établissements, les notaires et les greffiers des administrations publiques prirent lhabitude de les distinguer en leur affectant un épithète correspondant au nom de la rivière dont elles étaient respectivement riveraines. Cest ainsi que lancienne commanderie templière, devenue hospitalière en 1315, fut appelée Mas de la Garrigue sur Reart, tandis que la grange cistercienne prit le nom de Mas de la Garrigue sur lAgly.
252. — Acte n° 62.
253. — Actes n° 45, 50, 58.
254. — Un mémoire en forme de plainte présenté vers 1306 aux rois de Majorque et dAragon précise également que la tonte de la laine avait lieu au mois de mai, voir Gui ROMESTAN, « Draperie roussillonnaise et draperie languedocienne dans la première moitié du XIVe siècle », dans XLIIe congrès de la Fédération historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon, Montpellier, 1970, p. 36.
255. — Acte n° XLII.
256. — Acte n° XXIX. Le capbreu de 1264 ne décrit que la partie agricole de cette maison templière qui était alors constituée de 27 champs et vignes exploités en faire-valoir direct. Malheureusement, linventaire ne contient aucune indication sur le saltus, autrement dit les garrigues et les bois qui, aux abords du Reart, constituaient le reste du domaine du Mas de la Garrigue.
257. — Acte n° 26.
258. — J. F. NIERMEYER, Mediae Latinitatis Lexicon Minus, abrevationes et index fontium, Leiden, 1976, (réed. 1993), p. 470, s. v. glandaticus.
259. — Acte n° 722.
260. — Actes n° 92 et 93. Les templiers y avaient déjà bénéficié dune donation du vicomte de Tatzó, Bernat Berenguer, en 1136, acte n° 15.
261. — Bernat II, abbé de Saint-Michel de Cuxà : 1181-1188.
262. — Berenguer dAvinyó, maître de la milice du Temple en Provence et Espagne : avril 1181-mars 1183.
263. — Ramon de Canet, commandeur du Masdéu : 1165-1168, 1172-1181, janv. 1191.
264. — Acte n° 531.
265. — Le cortal désignait originellement un enclos, généralement délimité par un mur de pierres sèches, dans lequel on parquait le bétail pendant la nuit. On trouve mention de cortals couverts dans les pasquiers de Prats de Mollo en 1305, il sagit donc dans ce cas de véritables bergeries, ADPO, 1B375, fol. 43v. Ce regroupement nocturne destiné à protéger le cheptel déventuels prédateurs avait également lintérêt de faciliter la récolte du fumier, ce précieux engrais naturel, comme latteste cette clause dun contrat emphytéotique passé le 19 février 1284, par lequel le seigneur Bernat de Montesquieu concède à un habitant de Perpignan tous les pâturages du territoire du castrum de Saint-Estève et de Saint-Mamet : « (...) et quod omnem fimum quod feceritis in dictis cortalibus et infra dictos terminos per totum tempus dicti accapiti possitis inde abstrahere et de ipso facere omnes vestras voluntates », ADPO, 3E1/14, fol. 4. On trouve un essai de répertoire des lieux-dits formés avec ce vocable et un relevé de ses plus anciennes mentions dans les documents nord-catalans dans Annie de POUS, « Matériaux pour servir à létude de larchitecture de pierres sèches et les grandes voies de transhumance », Conflent, n°41 (1967), p. 223-225. Un article récent consacré à la fonction du cortal au sein des espaces communautaires pyrénéens éclaire les différentes réalités économiques et sociales recouvertes par ce vocable, voir Elisabeth BILLE, Marc CONESA et Roland VIADER, « Lappropriation des espaces communautaires dans lest des Pyrénées médiévales et modernes : enquête sur les cortals », Actes du colloque de Clermont-Ferrand (mars 2004), Les Espaces collectifs dans les campagnes, XIe-XXIe siècle, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2007, p. 177-194.
266. — Le capbreu de 1264 nous apprend que les templiers tiraient également des revenus de deux bordes situées sur le versant occidental de cette montagne, dans la paroisse de Villeneuve de Capcir, acte n° XXIX.
267. — Le 13 septembre 1175, Guillem Bernat de Paracols, son épouse Blanca, et sa soeur Berenguera donnent au monastère de Santa Maria de Poblet et à labbé Hug tous les ports, pâturages, bocages et eaux quils ont dans la vallée de Maurà, à Subira, Roda et Angoustrine, de sorte que le bétail de labbaye pourra y paître librement sans payer aucun droit, et ils prennent ces troupeaux sous leur garde. Les 14 et 15 septembre suivant, ce sont les seigneurs Pere de Domanova et son épouse Ermessen de Millas, et Ramon dEnveig qui, à leur tour, vendent au monastère catalan leur part de ces mêmes pâturages, avec réserve des droits dusage des habitants dAngoustrine et dEnveig, B. ALART, Privilèges et titres..., p. 58-59. En octobre 1176, à Digne, le roi Alfons II concède au monastère de Santa Maria de Poblet les pâturages du port de Peguera, que les moines avaient achetés aux chevaliers Pere de Berga et Guillem de Berguedà, ainsi que les ports de Roda, Lanos et de la Vall de Mérens en amont dAngoustrine, quils avaient achetés à Pere de Domanova, Guillem Bernat de Paracols et aux seigneurs de Lanos, AHN, Clero, carp. 2025, n° 5. En 1178-1179, cest au tour de labbaye de Santes Creus dacquérir auprès des mêmes seigneurs de Cerdagne les calms et pacages du Lanos et du Carlit, B. ALART, Privilèges et titres..., p. 63-64.
268. — Cest par exemple le cas de Perpignan, Antoni RIERA I MELIS, « Perpinyà, 1025-1285, crecimiento económico, diversificacíon social y expansión urbana », dans David ABULAFIA et Blanca GARÍ (dir.), En las costas de Mediterraneo occidental. Las ciudades de la Peninsula Iberica y el reino de Mallorca y el comercio mediterráneo en la Edad Media, Barcelona, 1997, p. 8-9.
269. — Bernard DAVASSE, Didier GALOP et Christine RENDU, « Paysages du Néolithique à nos jours dans les Pyrénées de lEst daprès lécologie historique et larchéologie pastorale », dans La dynamique des paysages protohistoriques, antiques, médiévaux et modernes, Actes des XVIIe rencontre internationales darchéologie et dhistoire dAntibes, 19-21 octobre 1996, Sophia Antipolis, 1997, p. 592-594 ; Christine RENDU, La montagne dEnveig. Une estive pyrénéenne..., p. 434-437.
270. — « Ildefonsus, Dei gracia rex Aragonum, comes Barchinone et marchio Provincie, fratribus Milicie et omnibus ad quoscumque hec iste pervenerint, salutem. Notum sit vobis nos confirmasse et donasse imperpetuum domino Deo et Sancte Marie Fonte Frigidi Rojanum, quod est combam de Pausa Guilelmi usque in Campum magnum, sicut Arnaldus Joffredi eidem monasterio et fratribus donavit pro salute anime sue. Mandamus igitur ne aliquis ausus sit aliquid ibi facere contra voluntatem fratrum illorum [quem] totos ipsos pasturales deffendimus et contradicimus omni persona, tam layce quam ecclesiastice, exceptis fratribus predictis qui ut supradictum est nostra donacione et A. Joffredi adquisierit. Teste Cesarauguste episcopo et Artallo apud Cesarauguste », copie du 28 juillet 1421, Registre 22 de la Procuration Royale, ADPO, 1B219, fol. 120v. La date de la donation dArnau Joffre de Llers à Fontfroide nous est connue par une analyse effectuée en 1595 par le notaire Francesc Puignau, ADPO, 3E3/699, fol. 87. Alfons II avait lui-même concédé les pasquiers de Rojà, situés sur la commune de Py en Conflent, au monastère de Fontfroide le 1er juin 1177 ; et avait aussitôt ordonné au batlle de Prats de ne laisser passer aucun troupeau dans ces pâturages sans laccord des cisterciens. À deux reprises, aux mois daoût et de septembre 1182, Alfons II confirme à labbaye de Fontfroide la donation faite en 1154 par Arnau de Llers, père dArnau Joffre, de la Costa de Garavera, autre grand espace pastoral situé au sud des pasquiers de Rojà.
271. — La pratique de la transhumance dans les comtés nord-catalans à lépoque médiévale na pas encore fait lobjet dune étude de synthèse. Une approche essentiellement basée sur larchéologique et la lexicographique a été entreprise par Annie DE POUS à travers létude et le recensement des aménagements et constructions en pierres sèches liés à lactivité pastorale : DE POUS, Annie, « Larchitecture de pierres sèches et les grands chemins de transhumance pyrénéens », Conflent, n° 20 (1964), p. 55-58; n° 21 (1964), p. 103-114 ; n° 30 (1965), p. 251-256 ; Id. « Matériaux pour servir à lEtude de lArchitecture de pierres sèches et les grandes voies de transhumance », Conflent, n°41 (1967), p. 212-225. On trouve une très bonne synthèse relative à cette pratique dans le Languedoc voisin dans Aline DURAND, Les paysages médiévaux du Languedoc (Xe-XIIe siècles), Toulouse, 1998, p. 362-364. Cet auteur y explique lessor de la transhumance aux Xe-XIIe siècle par une conjonction de facteurs climatiques et anthropiques ayant entraîné une raréfaction des possibilités de pâturage en plaine et dans les moyennes vallées fluviatiles : temps plus doux et plus aride, raréfaction des boisements mésophiles en relation avec lextension des zones de culture. Ce changement est notamment marqué par un élargissement du rayon de migration qui était limité à une vingtaine de kilomètres à lépoque carolingienne pour les troupeaux des abbayes bénédictines dAniane et de Gélone.
272. — Bernat, comte de Besalú, assisté du vicomte de Castelnou et de nombreux seigneurs, y juge une grave querelle opposant labbé dArles, Gitard, au seigneur de Corsavy, Ramon Matfré. Ce dernier reconnaît ses torts et renonce aux nombreuses réquisitions forcées quil avait extorquées sur les biens de léglise Saint-Martin de Corsavy ainsi que dans les quarante-trois celliers situés dans son cimetière, sur les dîmes, prémices et offrandes des fidèles, sur les dîmes des vaches et des ovins de labbaye qui se rendaient dans ses pâturages depuis le Vallespir et le Roussillon, sur les droits de pacages et sur bien dautres choses encore : « (...) de decimis de suis vaccis et suis ovibus quae veniunt ad ipsas calmas de Valle Asperi et de Rossilione », Marca Hispanica, app. CCCIV.
273. — « Et dono vobis medietatem de paschuariis de omnibus ovibus que ascendunt ad paschua, de Terranera ubique usque ad Fromigeriam ». ADPO, 1B350, fol. 36 ; B. ALART, Cartulaire roussillonnais, Sem. rel., 1884, n° CI, p. 516.
274. — « (...) relinquo agnos videlicet quos bajuli mei vi abstulerant in Villafrancha redeuntibus ovibus de Rossillo ; (...) pascua ovium de Rossello que ibi venient stare in estate, et penturage de ovibus beate Marie et de aliis ibidem venientibus et de una quaque scilicet pentura quinque caseos », voir Cebrià BARAUT, « Els documents, desl anys 1101-1150, de larxiu Capitular de la Seu dUrgell », Urgellia: Anuari destudis histórics dels antics comtats de Cerdanya, Urgell i Pallars, dAndorra i la Vall dAran, n° 9, 1988-1989, doc. n° 1410, daprès Archives capitulaires de la Seu dUrgell, n° 897.
275. — « (...) unum cortalem cum suo pascherio ad officium caprarum sive ovium cabanee domus predicte. »
276. — Acte n° 322.
277. — Un document de 1520 précise les grandes étapes de cet itinéraire au départ de Pollestres, soit à proximité du Masdéu et du Mas de la Garrigue : « Les troupeaux de monsieur de Vallgornera sont partis de Pollestres, sont allés sur Terrats et de là au Col de Prunet (comm. de Prunet et Belpuig), ensuite au Col de Porta (où se dresse encore la tour de Batera, commune de Corsavy), ensuite au Pla de Rode (commune de Corsavy), ensuite à la Comelade (commune de Prats de Mollo), ensuite a les Estables (commune de Prats de Mollo), ensuite à la devèse de la Roja (commune de Py) », ADPO, 1B422.
278. — Acte n° XVIII. Après la suppression de lordre du Temple, ces pâturages intégrèrent le patrimoine de lordre de lHôpital de Saint-Jean de Jérusalem qui en conserva la seigneurie jusquà la confiscation des biens ecclésiastiques en 1792. Devenue bien national, la « terre dite los pasquiers de dalt nommée Comalade », située dans la commune de Prats de Mollo (commune du Tech depuis 1862) et « provenant de lordre de Malte », fit lobjet dune estimation le 20 juillet 1806, ADPO, 1Qp. Nous devons ces renseignements à lamabilité de M. Serge Roca, agent des ADPO, que nous tenons à remercier ici.
279. — On relève au milieu du XIIIe siècle quelques mentions dun frère intitulé « custos cabane ovium domus Mansi Dei », ou plus simplement « custodis ovium », actes n° 512, 569, 646.
280. — Il sagit de lhonneur qui avait été donné à la milice du Temple par Guillem Bernat de Paracols et son épouse Blanca le 16 juin 1186, acte n° 130
281. — « (...) salvo etiam et retento quod dicta domus Mansi (Dei) possit in predictis que vobis damus immitere et depascere et tenere bestiarium ipsius de parceria sua quandocumque sibi placuerit », acte n° 929.
282. — Marc CONESA et alii, « Essai de modélisation dune source notariale. Les contrats de parcerias et leur dynamiques (Cerdagne, Pyrénées de lest, XIIIe-XVIIIe siècle) », RTP MoDyS Rencontre de Doctorants (Lyon, 8 et 9 novembre 2006), http://isa.univ-tours.fr/modys/download/rd06_conesa.pdf, 2007, p. 94 ; Christine RENDU, La montagne dEnveig. Une estive pyrénéenne dans la longue durée, Canet, 2003, p. 447. La parceria nordcatalane équivaut à la gasailhe occitane, voir par exemple Jean Jacques MELIET, Philippe ROUCH, « La "gazailhe", indicateur socio-économique en region délevage : lexemple de la Ballongue », Annales du Midi, n° 165 (1984), p. 5-30.
283. — Les auteurs qui se sont penché sur la question de lélevage dans le cadre des maisons templières déplorent tous la rareté des données quantitatives, ainsi Marie-Claude GERBET, « Les Ordres Militaires et lélevage...», p. 436 ; Damien CARRAZ, Lordre du Temple..., p. 236. Jai déjà évoqué précédemment laffaire des 2000 brebis dérobées à la commanderie de Gardeny par le comte dUrgell. Dans les maîtrises méridionales, les précieux inventaires de commanderies rédigés dans les dernières décennies de lexistence de lordre du Temple fournissent des indications plus précises. Ainsi, en 1289, la commanderie de Miravet disposait dun cheptel constitué de 1380 ovins et caprins, 35 vaches, 29 boeufs ainsi que des mules, chevaux et roncins ; celle de Monzón possédait 1061 ovins et caprins et 182 porcs ; celle de Cantavieja, 400 brebis, 41 béliers, 211 moutons et 340 chèvres et celle dHorta, 1060 chèvres, voir Joaquim MIRET i SANS, « Inventaris de les cases del Temple de la Corona dAragó en 1289 », BRABLB, VI (1911), p. 66-69. Un inventaire des possessions de la maison de Peniscola en 1301 fait état de 700 brebis, 50 béliers, 106 moutons et 200 chèvres, voir John Alan FOREY, The templars..., p. 238. En 1308, le cheptel de la commanderie de Sainte-Eulalie du Larzac comprenait 1725 ovins, 160 caprins, 120 bovins et 24 porcins, voir Arlette HIGOUNET-NADAL, « Linventaire des biens de la commanderie du Temple de Sainte-Eulalie du Larzac en 1308 », Annales du Midi, Langue et littérature doc et histoire médiévale 1889-1989, Toulouse 1989, p. 254 ; Antoine-Régis CARCENAC, « Lélevage dans le Rouergue méridional au temps des Templiers », Annales du Midi, t. 104, n° 195 (1991), p. 293-306. Le cheptel des plus importantes commanderies rurales avoisinaient donc les 1500 têtes. Dans le domaine de lélevage, les templiers navait donc pas à rougir de la comparaison avec les cisterciens, puisque les inventaires établis à loccasion de la visite de labbé de Fontfroide en 1316 mentionnent que la puissante abbaye de Poblet possédait 2215 brebis, 1500 chèvres, 172 porcs, 40 chevaux et 111 boeufs, voir François GRÈZES-RUEFF, « Labbaye de Fontfroide et son domaine foncier au XIIe-XIIIe siècles », Annales du Midi, t. XXXIX, n° 133, Toulouse, 1977, p. 277. Plus à louest, les abbayes cisterciennes nord-pyrénéennes de Boulbonne (en 1189) et de Bonnefont (en 1233) ont des troupeaux à peu près similaires, soit respectivement de 1500 et 1400 têtes, voir Bernardette BARRIÈRE, « Léconomie cistercienne dans le sud-ouest de la France », dans Léconomie cistercienne. Géographie-Mutations du Moyen Âge aux Temps Modernes, Flaran 3 (1981), Auch, 1983, p. 83.
284. — « De nos en P. de Bardol en P. Matfre, procuradors del mout aut senyor rey de Mayorches, al amat en Ramon Reig, batle de Prats, saluts. Fem vos saber quen G. Sala es vengut davant nos e a soplegat al senyor rey que fos sa merce que cantitat sabuda deges entrar en la pastura del Tec per so quels homes de la dita Val no sien grenyats (sic pro greujats) per aquels qui an comprada la dita pastura de nos ; per que us dien de part del dit senyor rey que nos quels digats que els no y deien metre cor MMM besties de maiors, menis dels ayels, los quals ayels entenem que sien ab las mares ; e [da(n)y..] diem vos que puscats pendre sagrament dels pastors per so que siatz serts si ni aura mes oltre la cantitat ; e[ncara] mes vos diem que nos que venem las pastura quel Temple a en la Val de Prats, que a nom a Vyocoles, en laqual deu metre qua tre milia besties meyns dels ayels, los quals entenem ab lurs mares, e si ni avia mes dels nombres damont dit fets los ne gitar. Dat a Perpenya dimarts a tretze dies de maig en layn de mil i tresens nou, e en aquest bestiar no entenem aquels del Temple », copie clause et validée le 12 juin 1355 par Eximen Martí, notaire public de la ville et de la vall de Prats, ADPO, Llibre Vert de Prats, fol. 32.
285. — Acte n° XVIII.
286. — Il suffit de lire les paragraphes faméliques consacrés à la question dans une sous-partie de la récente thèse de doctorat de Carole Puig, significativement intitulée : « Peux-t-on parler dun élevage dovins et de caprins ? », pour se convaincre des errements que ce vide documentaire est susceptible de causer en matière dinterprétation historique, voir Carole PUIG, Les campagnes roussillonnaises..., p. 429-431.
287. — On citera par exemple ce contrat passé le 30 décembre 1283 par lequel, moyennant le prix de 11 sous 3 deniers de Barcelone, Guillem de Garrieux, habitant de Perpignan, vend à F(errer) Servarie, boucher, le droit de dépaissance dun bosquet situé dans les territoires de Malloles et de Saint-Assiscle, sur la rive droite de la Têt, pour une durée de trois ans. Il y est notamment stipulé que le preneur pourra y mettre 200 moutons chaque année de la fête de la Toussaint jusquà la mi-mars, ADPO, 3E1/12, fol. 37v. Mais le rayon dactivité des professionnels chargés dassurer lapprovisionnement en viande de la capitale du Roussillon ne se cantonnait pas uniquement à la proche banlieue de cette ville, comme le montre ce contrat de parceria du 19 mai 1286, par lequel Pere de So habitant du lieu dAnglars dans la paroisse de Saint-Romain de Real, en Capcir, reconnaît que Ferrer Bartomeu, macellarius habitant de Perpignan, possède la moitié indivise dune vache, dune génisse et dun veau, quil promet de garder pendant cinq ans. Il promet de lui rendre la moitié de ce bétail et la moitié de la progéniture qui en proviendra. Léleveur reconnaît en outre que le boucher lui a prêté 14 sous de monnaie melgorienne, manuel dArnau Miró, scribe public de Perpignan, ADPO, 3E1/16, fol. 35. Pour une première évaluation de la richesse des protocoles de Puigcerdà comme source pour létude des pratiques pastorales voir E. BILLE, M. CONESA, C. RENDU, S. BOSOM, « Lélevage du moyen âge à lépoque moderne au prisme des contrats de parceria. Le chantier histoire : retour sur une expérience originale », Ceretania, 2005, n° 4, p. 265-277.
288. — Acte n° XXXIV.
289. — Acte n° XXIX.
290. — Actes n° 64, 89, 192, 240, 831, 905, 950, 977, VII.
291. — Actes n° 59 (Palau), 220 (Perpignan), 422 (Palau), 533 (Orle), 930 (Villefranche-de-Conflent), XX (Saint-Laurent-de-la-Salanque et Estagel). On trouve également les lieux-dits Camp del Colomer à Perpignan (actes n° 405, 406, 760 et 761) et mas de Colomer à Coustouges (acten n° VII).
292. — Acte n° 42.
293. — Acte n° 875.