Port-Sainte-Marie
Département: Lot-et-Garonne, Arrondissement: Agen, Canton: Aiguillon - 47Au cours du XIIe siècle, les Templiers s'établirent au Port-Sainte-Marie, dans le fief de Praissas, ils y bâtirent une maison et une église. Cette nouvelle fondation ne pouvait manquer de porter ombrage aux premiers occupants soit au prieur du Port, soit aux dames du Paravis et de susciter de graves conflits. C'est ainsi qu'en 1271 une contestation s'éleva entre Hugues de Roquefort, prieur de Notre-Dame et Arnaud d'Aule, précepteur du Temple, au sujet de l'établissement d'un cimetière, du droit de fournage et certaines dimes. Les parties recoururent à un arbitrage et firent juges de leur différend Pierre Jerlandi, évêque d'Agen, Sanche de Pins, chapelain et chanoine de Saint-Caprais et frère Espagne, précepteur du Temple d'Agen. Il y eut un accommodement et les choses s'arrangèrent de ce côté-là.
(Martyrologe de S. Caprais, cité par Labénazie. Voir Barrère, Histoire de la Commmune pages 16 et 17)
Les difficultés furent autrement sérieuses avec le monastère du Paravis. C'était fatal à cause de la rivalité et de l'enchevêtrement des intérêts dans un même lieu.
En 1293, les religieuses firent monter leurs plaintes « gravi querimonia » jusqu'au trône, protestant contre les empiètements incessants des chevaliers, du Temple, dénonçant les injures, violences, sévices dont elles étaient victimes.
(Cf. Rôles Gascons, tome III, page 67, n° 2102. Pièce reproduite ci-après aux Preuves)
Finalement elles comprirent que le seul moyen d'échapper à ces vexations sans cesse renouvelées, était d'adresser à leurs gênants voisins la prière d'Abraham à Lot : Recede a me obsecro (Genèse XITI, 9).
Les Templiers acceptèrent la proposition et cédèrent en 1298 tous leurs biens et tous leurs droits au Port-Sainte-Marie en échange des granges de Bonnefond et de Lomies qui passèrent à la commanderie d'Argentens.
L'établissement supprimé était un membre de cette commanderie et appartenait comme elle à la province d'Occitanie, deux actes de ratification de cet échange. Pièces rapportées aux Preuves.
(Voir aux Archives départementales H, 16 et Suppléments E 2783)
Cf. Dubourg, Histoire du Grand Prieuré de Toulouse, page 365)
A la vérité, les édifices (église et prieuré) délaissés par les Templiers n'étaient pour les religieuses d'aucune utilité. Elles se soucièrent peu de les entretenir et ne firent rien pour réparer l'outrage des ans et aussi des guerres. Lorsque Valéri vint au Port-Sainte-Marie, le 22 novembre 1551, il trouva le prieuré tout en ruines.
On lit en effet dans son verbal de visite « Il nous a apparue occulairement par ci-devant avoir un beau et grand édifice près et joignant ladite église (de Saint-Christophe), ainsi qu'il apparait par les murailhes anciennes » Les consuls, luminiers et autres personnes présentes affirmèrent, moyennant serment, « que le temps jadis y avait un beau édifice appelé prieuré » C'est en vain que l'Evéque visiteur ordonna aux religieuses du Paracis « de réédifier ladite maison du prieuré et icelle tenir habitable en la qualité qu'elle a esté par ci-devant. »
(Archives départementales Fonds de l'Evêché, C. I)
Cet ordre ne fut pas exécuté. De l'ancien prieuré il ne resta qu'une tour que les religieuses avaient coutume d'affermer avec l'enclos d'une contenance de 2 poignerées 4 picotins. Cet enclos fut mérne adjugé aux consuls du Port par sentence du sénéchal d'Agen du 15 février 1699.
Les religieuses firent appel. Une transaction qui reconnaissait et maintenait leurs droits termina l'affaire.
(Min. Plantey, étude de Maitre Beyries au Port-Sainte-Marie, acte du 29 juin 1697 et du 3 mars 1702. Dossier Marboutin.)
La vieille tour, dite le prieuré de Saint-Vincent, composée de plusieurs chambres, d'une valeur capitale de 1.512 livres et locative de 35 livres, suivant l'estimation de 1790, fut adjugée pour 4.725 livres pendant la Révolution. Elle a été démolie depuis, mais la rue où elle s'élevait s'appelle toujours rue du Prieuré.
(Archives départementales. Biens nationaux Liasse)
L'église résista mieux que le prieuré à l'action destructive du temps et des hommes. Mais les religieuses du Paravis la laissèrent longtemps dans le plus triste état d'abandon. Et de profanation.
En 1551, lors du passage de Valéri, elle servait de magasin ou de remise. Le prélat l'ayant trouvée fermée demanda les clefs. Le représentant des religieuses, frère Gabriel Teyssier, lui répondit, qu'il ne les avait pas « et qu'il ne savait où elles étaient. » Cette défaite ne dut tromper personne. L'Evêque constata du dehors « les fenêtres et les verrines de ladite église estre fermées de boys et aussi le cimetière d'icelle, église tout ouvert où il n'y avait que corps de pourceault » et il lui fut attesté « que ladite église était mal en ordre dedans et salle et pleine d'ordures » Il enjoignit sur-le-champ aux religieuses « de fermer ledit cimetière tellement que le bestail ni entre et aussi faire faire les susdites verrines et réparer ladite église et la tenir en l'estat qu'elles l'ont trouvée en telle sorte que par ci-après ni ait aucune chose sale ni villenie et qu'elle soit réparée de telle sorte que une église qu'est estuy là est requis »
Il leur fit ensuite « inhibition et deffense de faire aucun acte que acte d'église en icelle et n'y mettre aucune chose et vilaine ni autre que telles que sont requises mettre aux églises »
Cette église ne fut sans doute sérieusement réparée et rendue au culte qu'au commencement du XVIIe siècle, lorsque, comme nous le verrons, le service paroissial y fut officiellement transféré.
Jusque-là, le titre curial était attaché à l'église Saint-Vincent de Praissas, située extra muros, à 200 pas et au midi de la ville. Cette église eut beaucoup à souffrir pendant la guerre de Cent Ans. A cause, sans doute, de sa position excentrique et incommode, elle ne fut pas restaurée après l'expulsion définitive des Anglais, et on l'abandonna. « Elle est toute découverte, écrivait en 1668 Claude Joly, elle est pleine de ronces et d'arbres ; les murailles sont de leur hauteur et il y a un clocher à quatre ouvertures. »
Procès-verbal de visite. Archives départementales Fonds de l'Evêché
Ces ruines mêmes périrent et un modeste oratoire que l'on éleva, dans la suite, marqua seul l'emplacement de l'église disparue.
Sur une liste de biens nationaux (Archives départementales) en 1790, on trouve cette mention qui a son éloquence : « Lieu appelé Saint-Clair où est une grange ci-devant chapelle, avec au midi un jardin et au nord un emplacement où était ci-devant une église, le tout de la contenance de 4 ou 5 picotins, d'une valeur capitale de 968 livres et locative de 50 livres »
Le nom même de Saint-Vincent était oublié, mais on s'explique comment celui de Saint-Clair lui avait été substitué. De toute ancienneté il y avait dans la vieille église de Saint-Vincent une frérie en l'honneur de Saint Clair. Cette dévotion très populaire attirait encore ait XVIIe siècle, le jour du saint, autour de l'église en ruines un grand concours de fidèles. Beaucoup de prêtres y célébraient ce jour-là sur un autel en plein air et une messe solennelle terminait la fête religieuse. Il n'en fallait pas tant pour que le nom de l'antique patron surtout lorsqu'il eut été, transféré à une autre église, fût peu à peu remplacé par celui de Saint-Clair dont le culte était resté seul vivant et si vivant en ce lieu. - Nota. C'est sur un autel dressé sous le porche de l'église Saint-Vincent que se disait la messe paroissiale pendant la peste de 1628-1631. (Verbal de visite de l'Archiprêtre de 1639)
Après la désaffectation, si l'on peut dire, de l'église Saint-Vincent, le service de la seconde paroisse du Port, jusqu'à son transfert en 1609 dans l'église dit Temple, se fit dans une chapelle succursale, située intra-muros ; dite de Saint-Christophe.
Le 4 mars 1609, les religieuses du Paravis cédèrent à la paroisse Saint-Vincent l'église du Temple. M. Tholin, dans ses Etudes (page 213 et suivantes) décrit ainsi cette église « Parmi les nombreuses chapelles élevées dans l'Agenais par les chevaliers du Temple, il n'en existe pas de plus belle ni de mieux conservée que celle du Port-Sainte-Marie. »
Elle constitue par son plan singulier une remarquable exception aux traditions de l'ordre, qui, en souvenir du Temple de Jérusalem, préféra les plans elliptiques ou circulaires à toutes les innovations de nos architectes occidentaux. Elle se rattache, par l'époque et par l'unité de sa construction, aux plus beaux souvenirs de notre école française. Il me suffit de dire qu'elle est décorée du style du XIIIe siècle. Deux grandes cella, la première carrée, la seconde plus étroite, rectangulaire, orientée dans le sens longitudinal, déterminent toute l'aire de l'édifice. La hauteur des voûtes est la même dans toute la chapelle. Les clefs des ogives ne s'élèvent pas au-dessus des clefs des doubleaux.
Deux grandes croisées d'arcs gothiques recouvrent la première cella, qui renferme aussi des bas-côtés étroits, voûtée en ogives longitudinales. Deux piliers ronds, supportant la retombée des arcs, établissent cette division. Les doubleaux des bas-côtés étant surélevés, de petits arcs en tiers-point ont été construits entre les tailloirs des piliers et ceux des dosserets, division que vient interrompre heureusement une élévation verticale proportionnellement exagérée. Ces arcades libres rappellent les arcs-boutants légers qui occupent une place semblable dans la salle basse de la Sainte-Chapelle de Paris. La cella longitudinale qui forme le chœur se divise en trois grandes travées. Un fort doubleau la sépare à l'occident de la première partie de l'édifice, qu'on peut appeler la nef.
A l'orient, le mur de clôture forme un chevet plat. Une large et haute fenêtre est percée dans ce massif, au-dessus de l'autel. Chaque travée du sanctuaire et des bas-côtés offre une ouverture pareille. Telle est l'ordonnance intérieure de ce petit édifice.
« A l'extérieur, de puissants contreforts, à section rectangulaire, correspondent aux dosserets. Le clocher, dont le plan peut être représenté par deux carrés longs, accolés, s'appuie à l'angle nord-ouest du temple, qu'il déborde latéralement en lui donnant un pronaos par une large arcade aujourd'hui murée. La double tour, à deux étages, s'élève au-dessus des combles. La façade occidentale est dépourvue de toute ornementation et son portail est moderne. »
« Toutes les fenêtres du temple offraient peut-être anciennement une disposition particulière qui nous est révélée par deux de ces ouvertures mieux conservées parce qu'elles sont en partie murées : l'une nous donne le dessin du remplage, et l'autre la division de la base. Les montants étaient unis au tiers de leur hauteur par un linteau portant au centre un petit pilier carré, le tout formant un T. » Le pilier est surmonté d'un chapiteau-corbeau, c'est-à-dire « posé à l'extrémité de la colonne comme on pose un chapeau avec ses liens à la tête d'un poteau en bois, lorsqu'il s'agit de soulager la portée d'une pièce de charpente horizontale. »
(Viollet-le-Duc, Dictionnaire, d'architecture, tome II, page 542)
Deux corbeaux semblables sont établis en correspondance dans les montants. Nous croyons cette disposition aussi rare dans les édifices religieux du moyen-âge qu'elle fut commune dans les constructions militaires ou les constructions privées. (Cette forme fut employée quelquefois pour les balustrades des grandes églises, notamment dans la cathédrale de Chartres. Je n'en connais pas d'exemple pour la division des fenêtres).
Cette division fut-elle appliquée à toutes les fenêtres ?
Les baies inférieures avaient-elles reçu des vitraux ?
L'état actuel de l'église rend difficile une réponse à ces deux questions. Le dessus des remplages de la partie supérieure des fenêtres est ingénieux et d'un bel effet.
Ces armatures de pierre se composent d'un triangle curviligne qui inscrit un lobe et porte sur une arcade géminée.
« Les chapiteaux des supports n'ont pas emprunté d'ornements à la flore. Ils se composent d'un simple bandeau entre l'astragale circulaire et le tailloir à pans coupés.
Le tracé des tailloirs représente une figure octogone qui se réduit naturellement au pentagone dans les dosserets. (Cette forme des tailloirs, les moulures en méplat très accentuées qui s'appliquent sur tous les tores sont des caractères de la seconde moitié du XIIIe siècle. La sculpture nous vient en aide pour confirmer cette date.
Le chevalier, représenté sur une clef de voûte, est coiffé d'un heaume qui se rapproche de la forme adoptée sous Philippe-le-Bel.
L'église des Templiers de Port-Sainte-Marie est peut-être une des dernières construites par cet Ordre chevaleresque. »
« Les moulures de l'arc triomphal se dégagent d'un socle carré et retraité pour glisser sans interruption jusqu'au point d'intersection des courbes. Les demi-colonnes, formant les dosserets du chœur, reposent sur des socles quadrangulaires et sont creusées de quatre petites moulures (grains d'orge) verticales. Ces demi-colonnes ont des tailloirs. Dans les bas-côtés, une seule colonnette mince, de pierres posées en délit, constitue chaque dosseret. Les sommiers des arcs viennent reposer sur de gros bourrelets en pentagone qui surmontent en porte-à-faux ces fragiles colonnettes, trop fragiles, car la plupart sont détruites. »
Les arcs de voûte sont légers et d'un profil délicat. Les clefs des croisées d'ogives sont des chefs d'œuvre de sculpture. Ce sont trois roses artistement fouillées, deux écus, deux mascarons, entre autres une tète mitrée.
L'Agnus Dei, portant une banderole, forme un de ces pendentifs. La clef la plus remarquable représente un chevalier, armé de pied en cap, l'épée au clair la pose du cheval est pleine de mouvement la figure du chevalier est précieuse pour l'étude des armures, mais il faudrait établir un échafaudage pour en relever un dessin fidèle.
J'ajoute que ces belles clefs de voûte sont déshonorées par une couche de badigeon. »
Dans leur projet de circonscription de 1792, les constitutionnels dépouillèrent cette église de son titre curial et en firent un simple oratoire de l'église de Notre-Dame. Fermée pendant la Terreur on désaffectée, la vieille église des Templiers figure parmi les églises du canton rendues au culte le 3e jour complémentaire an IV (19 septembre 1796).
A l'organisation qui suivit le Concordat (1803) elle n'obtint d'abord aucun titre légal. Pour la sauver du marteau, elle fut comprise parmi les annexes accordées au diocèse par le décret du 17 avril 1806.
(Archives de l'Evêché. Renseignements statistiques sur la circonscription paroissiale.)
Les anciens paroissiens du Temple adressèrent en 1818, au ministre des Cultes, « une pétition tendant à faire transférer dans leur église la succursale établie à Saint-Julien. » Ils eurent beau faire valoir que l'église de Saint-Julien, située à un quart de lieue du Port, sur le sommet d'une montagne presque inaccessible, était délabrée, dénuée de tout, sans maison autour et ne trouvait pas de desservant, tandis que la leur était « grande, vaste, très bien bâtie et décorée et qu'elle serait fréquentée par une population de 1500 âmes. » Ils n'aboutirent pas. Faute de ressources sûres et régulières, cette église ne fut plus desservie que d'une façon intermittente et imparfaite. On y disait la messe généralement le dimanche et le jour du Patron et l'on continua d'enterrer dans son cimetière sans doute jusqu'à l'ouverture du nouveau en 1844.
Les Pénitents Blancs qui s'étaient établis dans le vieil édifice, après la Révolution, lui donnèrent un regain de vie et d'animation. Mais pour son malheur, on lui attacha, en 1879, un groupe de missionnaires diocésains qui firent la guerre au curé de la paroisse, élevèrent autel contre autel, excitèrent dans toute la ville de mortelles dissensions si bien que pour en finir, le gouvernement ferma l'église en 1881.
Depuis, cet édifice est retombé dans le lamentable état où nous avons vu qu'il se trouvait plus de trois siècles auparavant au temps de Jean de Valier. M. Tholin terminait par ces lignes la belle étude qu'il lui consacrait en 1874 « Le département de Lot-et-Garonne a peu d'églises plus dignes d'être classées parmi les monuments historiques que celle que je viens de décrire. Le Temple de Port-Sainte-Marie offre un grand intérêt historique et archéologique. Bien que le plan de cet édifice soit tout particulier (et c'est un intérêt de plus), il s'accommode au style de la plus belle époque de l'architecture française, époque qui malheureusement est la moins représentée dans l'Agenais. Cette chapelle n'est aujourd'hui qu'une succursale presque abandonnée. »
Elle réclame une restauration intelligente, sinon elle irait bientôt rejoindre au rang des souvenirs, les nombreux monuments que possédait autrefois Port-Sainte-Marie, et qui furent détruits à diverses époques. » De nos jours, comme nous l'avons vérifié de nos eux, l'église du Temple figure sur la liste de classement des monuments historiques du département de Lot-et-Garonne.
Sources: Lamy, Fernand. Revue de l'Agenais et des anciennes provinces du Sud-Ouest : historique, littéraire, scientifique et artistique. Agen 1914. BNF
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Voir aussi le dossier sur la Base Mérimée BNF
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