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Études réalisées sur les Templiers

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Commanderie des Templiers à Haute-Avesnes

Département: Pas-de-Calais, Arrondissement: Arras, Canton: Beaumetz-lès-Loges - 62

Maison des Templiers Haute-Avesnes
Maison des Templiers Haute-Avesnes

L'ordre du Temple, le plus illustre, sans contredit des ordres religieux et militaires, fut, on le sait, fondé à Jérusalem, en l'an 1118, par six seigneurs croisés, au nombre desquels était un gentilhomme picard, Payen de Montdidier, suivant les uns, de Montdésir suivant les autres, à la famille duquel se rattache peut-être l'infortuné « messire Payen de Beauffort, chevalier, noble homme, l'une des anciennes bannières d'Artois » (comme le dit Du Clercq, livre IV, chapitre IV) si tristement compromis dans la prétendue Vaulderie d'Arras ; et Ponthus Payen, échevin de cette ville, seigneur de la Bucquière, avocat au Conseil d'Artois, si connu par son pamphlet contre notre grand bourgeois et savant commentateur de la coutume locale, Nicolas de Gosson, juridiquement assassiné, le 25 octobre 1578.

Cet ordre ne tarda pas à s'implanter dans l'Artois où il eut deux commanderies:
Celle d'Arras dont nous ne parlerons que peu.
Celle de Haute-Avesnes dont nous parlerons plus longuement.

Commanderie d'Arras

Elle s'éleva sur la hauteur du faubourg Ronville, au lieu dit les Hées, à droite de la route allant d'Arras à Bapaume, dans l'angle formé par cette route et le chemin de Saint-Sauveur à Agny, toujours appelé Chemin du Temple (cartulaire de Saint-Vaast, par Guiman). Elle fut détruite lors du siège d'Arras par les Anglais ; mais la chapelle qui figure encore sur les plans anciens de nos archives départementales ne fut incendiée que vers la fin du XVIe siècle.

Le refuge de cette commanderie, nommé le Temple, fut établi rue du Saumon, en face la porte Saint-Nicolas, sur l'emplacement du monastère actuel des dames Augustines, dont les caves à voûtes ogivales, à nefs et à piliers monolithes, donnant rue ausse-Porte-Saint-Nicolas et remontant à une époque très-reculée pourraient bien être les anciennes substructions.

Rien jusqu'à présent n'autorise à rattacher à ce refuge la chapelle dite des Templiers, sise derrière la Grande Place, dans la maison de M. Bocquet.

Au nombre des maisons que les Templiers possédèrent à Arras, il faut citer celle appelée le Four du Temple dans la rue de Pavie ; il convient aussi de mentionner celle située extra muros entre la porte Saint-Nicolas et la Barre de Ris, nommée d'abord la Brasserie du Temple, puis le Rouge chevalier.

La Commanderie avait pour succursales les maisons du Temple de Blairville et à Agnez-lez-Duisans.
Celle de Blairville était située rue d'Aubigny. Très endommagée par les guerres du XVIe siècle, elle fut reconstruite vers 1584, probablement avec les vieux matériaux et sur les vieilles fondations.
« On y voit encore — disait le père Ignace — deux portes de l'ancienne maison. Elles sont de grès bien maçonnés, mais très étroites suivant l'usage du XIVe siècle et précédents. » (Dictionnaire. Tome I, v° Blairville).

Ces portes ont été démolies depuis lors, mais il reste quelque chose des Templiers, dans lagresserie et dans les caves du corps d'habitation de la ferme dite du Temple et surtout dans les deux boyaux souterrains également en grès, d'une largeur de 0 m. 70 sur une hauteur de 1 m. 50 partant de la cave principale et se dirigeant, l'un au nord du côté de la campagne, l'autre au sud du côté de l'église.

Sous l'église, le cimetière et la cour de l'ancien château, sont des souterrains qui paraissent avoir été habités; on y voit des chambres, un four, des cheminées, des anneaux de fer scellés dans les murs de locaux semblant avoir servi à la stabulation. Ce refuge où l'on accède par les caves du logis érigé là où était l'ancien château communiquait jadis, suivant la tradition locale, avec la maison des Templiers (1).

A Agnez, il n'existe plus de vestiges du domaine seigneurial qu'y posséda l'Ordre du Temple; un acte de 1560 indicatif des propriétés de la commanderie de Haute-Avesnes, investie de celles des Templiers d'Agnez, mentionne « un certain manoir, non amazé, » assiette sans doute de la maison détruite. Mais le chemin menant de cette commanderie à l'église d'Agnez est toujours nommée la Voie des Templiers.

Abattre les vieux arbres et les vieilles constructions est une des manies de nos jours.
1. Nous avons connu dans la cour de l'ancien château une tour ronde bâtie en grès et en briques, vieux reste probablement de ce manoir féodal; on l'avait convertie en pigeonnier, et on l'a démolie il y a environ vingt-cinq ans.

Commanderie de Haute-Avesnes

Tour des Templiers
Tour des Templiers
C. Desavary-Dutilleux Arras
D'après le croquiss de M. C. Le Gentil

Non loin de la commanderie d'Arras se bâtit celle de Haute-Avesnes qui subsista bien plus longtemps et dont il reste plus de souvenirs.
Commençons par un sombre et sanglant épisode.
Jaloux de la puissance du Temple, plus désireux encore de s'approprier ses immenses richesses, Philippe-le-Bel qui, en 1304, pour mieux masquer ses projets, avait solennellement confirmé les Templiers dans tous leurs droits privilèges et prérogatives, les avait appelés ses plus chers amis « dilectissimi amici » avait même demandé son affiliation à l'Ordre, et qui, en 1306, lors de l'émeute Barbette, s'était réfugié dans leur fameuse forteresse de Paris, les fit sous les prétextes les plus odieux et les plus absurdes, traîtreusement arrêter par toute la France, le 13 octobre 1307.

Districte mandamus portait l'ordre, adressé par le roi, le 14 septembre de cette année, à tous les baillis et sénéchaux, par lettres closes, qu'ils ne devaient ouvrir sous peine de mort que dans la nuit du 12 au 13 octobre suivant, ut singulos fratres, ipsius ordinis sine exceptione aliquâ capiatis, et captos teneatis ecclesise judicio praeservandos, et bona sua mobilia et immobilia saisiatis.

« Or, ce jour du 13 octobre, comme il était environ l'heure de tierce, dit M. Harbaville, le servant d'armes en sentinelle sur la tour de la commanderie de Haute-Avesnes, sonna du cor et signala l'approche d'une troupe armée, qui bientôt réclama l'ouverture des portes au nom du Roi. On connaissait la haine invétérée que Philippe-le-Bel portait à l'Ordre ; quelque chose de ses projets avait transpiré ; la milice du Temple sentit que le moment de la crise était arrivé, la porte de la commanderie fut ouverte ; les sbires se précipitèrent avec un empressement féroce dans cet asile de la valeur et en gardèrent toutes les issues. Le chef ordonna au Commandeur de réunir tous les chevaliers dans la grande salle; cela fait, l'ordonnance du Roi fut lue ; cette lecture ayant donné lieu à d'énergiques protestations contre cette violence, la troupe des sicaires se rua sur les malheureux chevaliers qui n'opposèrent aucune résistance; une partie d'entre eux fut lâchement égorgée; les autres chargés de chaînes furent traînés à Arras au milieu des vociférations d'une populace imbécile et jetés dans les prisons du château.

Ce jour vit flotter pour la dernière fois la noble bannière de l'ordre, Beauséant.
Les corps des chevaliers massacrés furent déposés, sans honneurs, dans une fosse commune derrière la tour. »

Peut-être l'imagination a-t-elle joué un certain rôle dans la mise en scène de cette relation, mais la brutale arrestation des chevaliers et le massacre de plusieurs d'entre eux ne sont malheureusement que trop vrais.

Après avoir écrasé l'Ordre du Temple et l'avoir pillé le plus possible, Philippe-le-Bel dut abandonner ses biens aux chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem qui, froissés dans leur amour-propre par les Templiers, en étaient devenus les ardents ennemis.

« En 1312 — écrit M. Mannier — le Roi prescrivit à son bailli d'Amiens de faire mettre les chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem en possession des biens de l'Ordre du Temple qui se trouvaient dans la Picardie, ainsi qu'en Artois et en Flandre. D'après la répartition qui en fut faite alors, il échut à la commanderie de Haute-Avesnes, d'abord en Artois les maisons du Temple d'Arras, de Blairville, d'Agnez et d'Hénin-Liétard ; dans la; châtellenie de Lille, celles de la Haye-lez-Lille, de Pérenchies, de Maisnil et de Cobrieux, le Temple de Douai, et dans le Tournaisis, la maison de Saint-Léger et celle d'Auseghem près d'Audenarde.

Ces adjonctions ne suffisant pas à l'importance que l'on voulait donner à la commanderie de Haute-Avesnes ; les Hospitaliers y réunirent encore une petite commanderie, qu'ils avaient près de Pas-en-Artois, appelée la commanderie de Gaudiempré avec la maison de Lucheux qui en dépendait.

A partir de ce moment, Haute-Avesnes devint une des commanderies principales du Grand Prieuré de France ; et à cause sans doute de son importance, elle devint une chambre prieuriale de 1370 à 1521. Mais plus tard vers 1550, on la démembra, c'est-à-dire qu'on en retrancha plusieurs maisons, pour fonder une nouvelle commanderie, la commanderie de Caëstre, ce qui réduisit la commanderie de Haute -Avesnes aux membres suivants:
La maison de Gaudiempré.
La maison de Lucheux.
La maison du Temple d'Arras.
La maison d'Agnez.
La maison de Blairville.
La maison d'Hénin-Liétard.
La maison du Temple de Douai.
La maison de Cobrieux.
La maison de Saint-Léger.

Aucun changement ne fut apporté à cette organisation qui existait encore à la fin du XVIIIe siècle. »
Ajoutons à cela « que 42 villages dépendaient de la maison de Haute-Avesnes ; qu'ils plaidaient d'abord à la justice de ce lieu, puis au Conseil d'Artois par conciliation, mais par appel si l'une des parties le voulait à la justice de l'Ordre dont le siège était au Temple à Paris, » qu'enfin la nomination à la cure de la paroisse appartenait au Commandeur (1).
C'est pour cela sans doute qu'on lui rendait les honneurs épiscopaux lorsqu'il prenait possession de la commanderie. « Le curé allait processionnellement au-devant de lui à l'extrémité du village, quelque fois même du terroir, avec croix, bannière » (2).
(1 et 2) Le père Ignace, mémoires, tome III, verba Haute-Avesnes.

On se demande comment cette commanderie si importante n'a point été prise sous la protection de l'Etat et classée au nombre des monuments historiques.
Mais pour ne pas déranger l'insipide symétrie des rues rectilignes du nouveau Paris, l'Etat n'a-t-il pas abattu la Tour Bichat, l'enclos de Saint-Jean-de-Latran, les tours de Philippe-Auguste ; pourquoi donc aurait-il eu souci de la commanderie de Haute-Avesnes.
Cette pauvre commanderie qui, vieille de six siècles, aurait pu en défier six autres encore, qu'avaient respecté les guerres des XIVe, XVe et XVIe siècles et la tourmente de 93 a été, dans ses derniers temps, condamnée sous prétexte d'insolidité, grâce, comme toujours, à l'intervention « d'un homme de l'art !.... »

La tour que nous sommes heureux d'avoir très-exactement dessinée, il y a quelques années est presque complètement culbutée, que quelques pierres tombent encore, et l'on pourra dire : Etiam periere ruinae !...
Frappé du même arrêt que la tour, le corps-de-logis y attenant doit disparaître au printemps !....
Et l'on verra se substituer alors à ces grands souvenirs, une de ces bâtisses sans nom, sans caractère, et heureusement sans durée qui sont, sinon l'image, du moins le propre de notre incomparable époque, suum cuique !...
Il devrait réellement y avoir des lois préventives et répressives de pareils vandalismes.

Quoiqu'il en soit, examinons ce qui reste de la commanderie.
Ses bâtiments formaient un quadrilatère assez irrégulier que flanquait la grosse tour défensive ; on entrait dans la cour, au centre de laquelle était un vaste abreuvoir, avec murs en blocs de grès bruts, par deux portes cochères : l'une ouvrait sur la rue, l'autre sur la campagne.
Ces dispositions topographiques n'ont point été modifiées.
La porte d'entrée sur la rue n'a pas sensiblement souffert.
Construite en grès et en pierre de taille, elle offre, — chose unique en ce pays et presque sans analogue en France — une élégante baie en ogive outrepassée dans ce goût oriental que le séjour de la Palestine avait fait contracter aux Chevaliers du Temple.

Se propose-t-on de l'anéantir aussi, pour la remplacer par des pilastres de briques agrémentés de vases en carton pierre et soutenant une grille en fer creux avec décors en fonte ? le laissera-ton faire ? Cela pourrait bien arriver !

L'autre porte n'a conservé que son piétement en grès; l'abreuvoir existe toujours.
Trois des côtés du quadrilatère ont été généralement réédifiés, mais sur les anciennes fondations.
L'aile importante où se trouvent encore les restes de la tour (oubliettes et rez-de-chaussée) le corps-de-logis principal, un autre corps-de-logis, puis un long bâtiment à ouvertures bouchées dont la destination première ne se reconnaît pas, doit être à peu près ce qu'elle était à l'origine, sauf certaines modifications toutefois, ainsi les voûtes des appartements ont disparu, de même que le perron, donnant accès de la cour à la salle principale (1).
1. Le père Ignace, Mémoires, tome III, v° Haute-Avesnes. — Ces voûtes et ce perron se voyaient encore en 1725.

Toutes ces constructions en pierre (de Montenescourt probablement) de moyen appareil, parfaitement dressées, dont les joints s'aperçoivent peu, sont liés par un ciment si dur, qu'à peine on pouvait arracher celles des parements intérieurs et extérieurs de la tour.

Les tours ou donjons, bâtis par les Templiers, avaient toujours, soit en Orient, comme à Tortose, à Safita, à Toron, à Areymech, à Athlit; soit en Occident, comme à Paris (tour du Temple, tour Bichat) la forme carrée ou barlongue (1).
1. Violet le Duc. Dictionnaire archéologique. Vis Temple et Tour.

D'architecture exclusivement militaire, la tour de Haute-Avesnes était carrée, reposait sur une forte gresserie d'environ six pieds et en mesurait approximativement soixante ou soixante-dix de hauteur. Ses murs que solidifiaient d'énormes contreforts étaient d'une épaisseur telle que les salles intérieures n'avaient guère plus de douze pieds de côté. Elle offrait un rez-de-chaussée et deux étages surmontés d'une plate-forme, bien pavée encore au siècle dernier et primitivement crénelée.

On accédait à ce rez-de-chaussée et au premier étage par L'intérieur du corps-de-logis (mesure précautionnelle facile à comprendre dans une forteresse) puis à l'étage supérieur (2) et à la plate-forme par un escalier à vis renfermé dans une tourelle ronde en encorbellement éclairée par des barbacanes accolée à l'un des angles de la tour. Tous monolithes, les marches de l'escalier étaient en grès du premier étage au deuxième et en pierre du deuxième au terrassement de la plate-forme. (Du rez-de-chaussée à la plate-forme, l'escalier comptait 80 marches).
2. Après avoir traversé diagonalement la salle du premier étage.

Soutenue à la fois par des culs-de-lampe et par l'un des contre forts de la tour, cette tourelle devait anciennement s'élever au-dessus de la plate-forme, et servir de guette.

Plus petite que les salles supérieures puisqu'on y pénètre par un couloir pratiqué dans la tour à droite et au milieu duquel s'ouvre une porte très-basse et très-étroite, la salle du rez-de-chaussée qu'éclaire une meurtrière, a une voûte ogivale à la clef de laquelle est scellé un gros anneau de fer supportant une poulie.

La salle du premier étage qui était très-élevée, avait également une voûte ogivale, mais à nervures diagonales moulurées, supportées par des culs-de-lampe sculptés représentant des masques ou des feuillages; elle tirait son jour par une grande fenêtre.

Voûtée de la même façon, la salle du deuxième, moins haute, recevait sa lumière par trois lucarnes.
Au-dessous du rez-de-chaussée, se trouve une oubliette d'une profondeur de vingt pieds, correspondant avec la salle du rez-de-chaussée par un trou carré d'environ deux pieds et demi de côte, que maintient un cadre de grès (jadis recouvert d'une trappe) placé verticalement sous la poulie ; on descendait dans l'oubliette par l'extérieur au moyen d'un escalier de dix marches; et à partir de là par une échelle.

Au-dessus de la porte d'entrée du corps-de-logis attenant à la tour, surplombe un énorme corbeau de grès; à l'intérieur, on remarque entre autres choses, une curieuse cheminée adossée à la tour et d'une hauteur égale ; des aniles à têtes grimaçantes sous les poutres, et une fort élégante colonne monolithe, en grès avec socle et chapiteau de même nature.

Détails Tour des Templiers

Détails tour des Templiers de Haute-Avesnes
Détails Tour des Templiers
C. Desavary-Dutilleux Arras.
D'après le croquiss de M. C. Le Gentil

Au-dessous sont deux caves voûtées en plein cintre ; on descend dans la première par vingt marches et dans la seconde par dix; de l'extrémité de cette seconde cave part un corridor taillé dans le roc qui va presque rejoindre l'oubliette.

Quant aux catacombes dont parle M. Harbaville et qui suivant certaines traditions s'étendaient jusqu'à Estrun, on n'en connaît plus l'entrée.

Dans l'enclos de la commanderie était une chapelle, reste de l'ancienne église jetée en bas il y a quatre ans. Il n'en subsiste plus trace.
Cette chapelle possédait anciennement deux cloches : la plus vieille et la plus forte a disparu en 1793; l'autre est encore conservée dans la nouvelle église — quelle église ! — de Haute-Avesnes.
Cette cloche porte en capitales, la légende suivante : « + Le veux suivre ma compagne en accord, Christophine suis nommé (1) ayant été fondue en 1760, — alens par l'ordre de Monsieur le chevalier de Thumy, de Boissise, commandeur de Haute-Avesnes — pour l'église de Haute-Avesnes. »
1. Le commandeur de Thumery et non de Thumy s'appelait Christophe.

Elle porte de plus en bas-relief, d'un côté, Notre Dame du Mont-Carmel; de l'autre un Christ en croix et une sainte femme.
Dans l'intervalle et plus bas sont deux médaillons ; le premier reproduisant les armes du Commandeur, au milieu de la Croix de l'Ordre.
Le second représentant une cloche avec ces mots: « Pierre Guillemin » donnant le nom du fondeur.
En 1790, les prêtres de Malte, de Haute-Avesnes y célébraient encore la messe, bottés, éperonnés, pistolets à la ceinture.

Ainsi, au temps d'Esdras, les reconstructeurs du Temple y travaillaient en tenant d'une main la truelle et de l'autre l'épée.
Non loin de la commanderie, et en provenant, gît, comme margelle de puits, une antique pierre tumulaire de grès ; quadrilatère très-allongé, plus étroit à la base qu'au sommet ; sur elle se détache en relief, une bande ou phylactère affectant la forme ogivale légèrement trilobée, où se distingue une inscription en creux non encore déchiffrée ; au centre de la pierre, est, également en creux, une croix latine fleuronnée.

Cette pierre doit être celle d'un chevalier du Temple; on se rappelle, en effet, que les plates-tombes des membres de cet Ordre étaient d'une excessive simplicité ; portant rarement des écussons armoriés et même des inscriptions, on n'y voyait le plus souvent que la croix, le glaive, parlants symboles de ces moines soldats, et le triangle équilatéral, l'un des mystérieux signes par eux adoptés.

Plate-Tombe

Plate-Tombe
Plate-Tombe commanderie de Haute-Avesnes
C. Desavary-Dutilleux Arras.
D'après le croquiss de M. C. Le Gentil

Conformément à l'opinion admise unanimement et sans conteste jusqu'à ces derniers jours, nous avons attribué la commanderie de Haute-Avesnes aux chevaliers du Temple, mais voilà qu'aujourd'hui cela fait difficulté.

M. Mannier, dans le remarquable ouvrage par lui récemment publié sur l'Ordre de Malte, dit en parlant de cette commanderie : « On ne sait ni comment ni à quelle époque cette belle terre seigneuriale fut mise en possession des frères de l'Hôpital. Ce fut probablement dans la seconde moitié du douzième siècle quelque temps avant que l'église avec le cimetière de Haute-Avesnes, ecclesiam de Hautavesnes cum cimeterio leur eut été donnée par un chantre de la cathédrale d'Arras, sous le cens annuel d'une forte livre de cire sub annuo censu magne libre cere, comme il est constaté par lettres du doyen du chapitre d'Arras, de l'année 1187. » (pages 668 et 669).

Et plus loin à propos de la commanderie du Temple d'Arras, M. Mannier dit encore : « A l'époque du procès des Templiers et au moment de leur arrestation, une scène déplorable eut lieu au faubourg d'Arras, dans la maison du Temple. Une bande de soldats sortis de la ville vint envahir le couvent et égorger la moitié des personnes qui s'y trouvaient. Ceux qui échappèrent à la mort furent emmenés dans les prisons de la ville.

Hennebert, Harbaville et autres historiens de l'Artois, indiquent comme témoin de cette scène, la maison de l'Hôpital de Haute-Avesnes. C'est une erreur d'autant plus manifeste qu'il n'y a jamais eu de Templiers à Haute-Avesnes, et que cette commanderie de fondation de l'Hôpital a toujours été en possession des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem. » (Page 677).

On peut, au soutien de cette thèse, citer d'autres actes de 1158, 1170, 1179, 1190, 1195 etc., mentionnant des stipulations, concessions, donations, aliénations, concernant les Hospitaliers, des lettres de confraternité accordées en 1311, par frère Nicolas Brimaux, Commandeur de Haute-Avesnes, à demoiselle Michaud de Menricourt, veuve de Jean Caillau « pour l'octroi et pleine participation de tous les biens, de toutes les aumosnes et de toutes les oeuvres de miséricorde faites et à faire en la sainte maison de l'Ospital de Saint-Jehan de Jhérusalem, de çà et par de là la mer... pour cou qu'elle a aumosné audit Ospital une livre de cire par an, au Noël à rendre à chascun an à la maison de Haute-Avesnes, et cinquante sous parisis après son decest » (page 671) ; et faire valoir l'absence des titres se référant aux Templiers.

Messieurs d'Héricourt et Godin (Rues d'Arras, tome II, page 74), Harbaville (Mémorial, tome I, page 175), Hennebert (Histoire d'Artois, tome II, pages 330 et 331) Mansuet chanoine Prémontré (Histoire des Templiers, tome I, page 170) affirment au contraire que les Templiers ont fondé la commanderie de Haute-Avesnes, et qu'ils l'ont possédée jusqu'au XIVe siècle.

Mais en vertu de la maxime, non tam, numeranda quam ponderanda sunt testimonia, aussi vraie quand il s'agit d'histoire
qu'elle l'est sur le terrain juridique, ces affirmations sont, nous sommes forcés de l'avouer, sans autorité propre et personnelle ; il y a plus, en remontant à la source, on les voit découler surtout d'un texte assez insignifiant.

Messieurs d'Héricourt, Godin et Harbaville, en effet, ne font que reproduire Hennebert, et ce dernier atteste Rymer (foedera) qui ne dit exactement rien; et le Mire (opéra diplomatica tome II, page 1165) également invoqué par Mansuet. Or, le Mire n'attribue que d'une façon bien équivoque et bien contestable Haute-Avesnes aux chevaliers du Temple.

Dans son chapitre XLVI intitulé : « Godefridus I, dux Lotharingie eleemosynam tradit equitibus Templi Jerosolymitaniti anno 1142. » Le Mire met cette note :
Ordo equitum Jerosolymitanitorum, qui nunc Melitenses ab insula quam ex beneficio Caroli V Caesaris incolunt appellantur, varias habet praefecturas in Belgio admodum opulentas, quarum hae sunt, praecipuae.
Chantereine, in Gallo, — Brabantia prope Geldoniam....
Braeckel, in majoratu Sylvaeducensi....
Pieton in Hannonià....
Slispe in Flandrià....
Caestres in Flandrià....
Haut-Avesnes, prope Atrebatum in Arthesià....
L'Oison prope Hesdinium, in Arthesià....


Imbus de la tradition, et sous l'influence de cette idée sans doute, que les biens énumérés en la note devaient avoir appartenu dans le principe aux chevaliers du Temple, dont traite le chapitre XLVI, Hennebert et Mansuet ont cru que le Mire l'assurait virtuellement, c'est assurément fort possible; mais cette affirmation ne nous paraît point résulter nécessairement du texte, et dans tous les cas, elle ne constituerait qu'une simple affirmation.

C'est donc par des considérations étrangères aux écrits de ces historiens que doit être combattue l'opinion de M. Mannier, et c'est ainsi que nous allons procéder.

Reportée sans aucun adminicule de preuves de Haute-Avesnes au faubourg de Ronville, par cette raison principalement qu'il n'y a jamais eu de Templiers à Haute-Avesnes, ce qui est précisément le quod demonstrandum, la scène d'arrestation et d'égorgement des chevaliers du Temple, ainsi arbitrairement placée aux portes d'Arras, n'a rien qui doive embarrasser, inutile donc de s'y arrêter.

L'acte de 1187, prouve qu'à cette époque les Hospitaliers ont été investis de la propriété de l'église et du cimetière de Haute-Avesnes, c'est incontestable; les autres actes prouvent également l'existence des Hospitaliers à Haute-Avesnes, on peut même en inférer qu'ils y avaient un établissement. On peut encore inférer de l'acte de 1311, que cet établissement était dirigé par un praeceptor, nous voulons bien l'admettre à titre de concession, car il se pourrait que Nicolas Brimaux se fut intitulé le Commandeur de Haute-Avesnes, soit en raison de ce que les propriétés Hospitalières de cette localité relevaient d'une autre commanderie dont il était le chef, soit en raison de ce qu'il se trouvait déjà pendant la tenue du concile de Vienne qui attribuait à l'Hôpital tous les biens du Temple, le praeceptor désigné de la commanderie de Haute-Avesnes ; mais tout cela ne démontre nullement que les Templiers n'ont point été à Haute-Avesnes ; qu'il n'y ont point eu de commanderie ; et la coexistence des Templiers et des Hospitaliers n'a exactement rien qui puisse répugner.

Le manque de documents touchant la présence des Templiers à Haute-Avesnes est fâcheux, très-fâcheux, oui ; mais en présence de la dislocation de l'Ordre, de son abolition, de la perturbation jetée dans les affaires, il n'implique rien de plus qu'une disparition facile à concevoir.

Rien donc qui vienne justifier les conséquences forcées tirées par M. Mannier des documents dont il s'étaye et ruiner l'opinion unanimement admise jusqu'à lui.

Voici maintenant ce que cette opinion peut faire valoir en sa faveur :
Premièrement, la tradition immémoriale « traditio inveteratae et fidelissimae vetustatis » dont se sont constitués l'écho tous les auteurs qui ont écrit sur la matière et que nul ne s'est avisé de contredire au temps des Hospitaliers.

Et il ne s'agit point ici, que l'on veuille bien le remarquer, de l'une de ces légendes fantastiques, racontées par les vieux bergers ou par les bonnes aïeules sous le manteau de la cheminée, dans les veillées d'hiver; légendes qu'admet seulement la crédulité populaire : mais de faits historiques matériellement appréciés par les contemporains, et auxquels ont depuis ajouté foi, et les personnes graves, et les savants du pays.

Comment expliquer d'une manière tant soit peu plausible, cette tradition invariable et inattaquée ; comment probabilisé sa raison d'être si toujours ab origine jusqu'en 92, la commanderie de Haute-Avesnes avait été aux mains des Hospitaliers ?

Secondement, le nom constamment porté par le chemin de Haute-Avesnes à Agnez-lez-Duisans, qui s'appelle toujours la Voie des Templiers.
Le Temple avait, il est vrai, dans cette commune un petit manoir où peut-être n'habitait aucun frère de l'Ordre ; mais quand encore quelques-uns s'y fussent trouvés, pourquoi ce chemin aurait-il pris le nom des propriétaires de l'insignifiante maison d'Agnez au lieu de prendre celui des Hospitaliers, si ceux-ci avaient réellement possédé l'importante commanderie de Haute-Avesnes.

Troisièmement, l'explication toute naturelle de certains points que ne résout pas ce que prétend M. Mannier.
Il dit on ne l'a point oublié.
« On ne sait ni comment ni à quelle époque la belle terre seigneuriale de Haute-Avesnes fut mise en la possession des frères de l'Hôpital. »
Ne serait-ce pas précisément parce qu'elle est d'origine du Temple qui en a perdu les titres, on l'a vu plus haut, que les Hospitaliers dont les archives sont si complètes, ne conservent aucune trace à cet égard ?

M. Mannier dit encore (page 669) : « On ignore également en vertu de quel droit, le Commandeur de Haute-Avesnes, levait au XIVe siècle à son profit tous les reliefs des fiefs tenus des Souverains dans le comté d'Artois, et la terre de Saint-Venant, nous pensons que ce privilège avait appartenu auparavant aux Templiers dans l'héritage desquels les frères de l'Hôpital l'avaient recueilli. »

Très-bien, mais pourtant de deux choses l'une : Ou les Hospitaliers tenaient ce droit de concessions faites à eux-mêmes;
Ou ils le tenait de privilèges octroyés au Temple.

Dans la première hypothèse, comment peut-on ignorer l'origine et la cause d'une prérogative de cette valeur, alors que l'on sait si minutieusement des détails relativement infinitésimaux tels que, par exemple, la livre de cire et les cinquante sous de la veuve Caillau ?

Dans la seconde hypothèse, n'est-il pas logique et rationnel d'attribuer cette prérogative précisément aux Templiers de Haute-Avesnes, desquels les Hospitaliers l'auraient tenu avec les autres apanages de la commanderie ?

Quatrièmement, la circonstance que la tour de Haute-Avesnes est intérieurement et extérieurement construite sur le plan uniforme et invariable adopté par le Temple tant en Orient qu'en Occident pour les donjons et tours défensives ; caractère significatif et d'une puissance que l'on ne saurait méconnaître.

Ajoutons qu'un fait matériel constaté peut-être propriis sensibus et, dans tous les cas, rapporté par le père Ignace est tellement précis et tellement concluant qu'il en devient décisif.

Après avoir comme l'unanimité des écrivains reconnu aux Templiers la commanderie de Haute-Avesnes et dit : « Qu'il y avait de leur temps tous les lundis, mercredis et jeudis une messe d'obligation pour les étrangers à onze heures et demie, qu'on l'appelait messe de la table ronde, et qu'elle se disait immédiatement avant le dîner. »

Il écrit : « On voit encore sur les vitres de l'église quels étaient leurs habillements; ils étaient vêtus de blanc à peu près comme les Chartreux ; au choeur, ils portaient un manteau rouge bordé d'hermine. »

Si les Templiers n'ont jamais possédé la commanderie de Haute-Avesnes, pourquoi les verrières de l'église reproduisent-elles leurs costumes au lieu de retracer les vêtements noirs de leurs ennemis les Hospitaliers ?....

Reste enfin d'une manière tout-à-fait surabondante une preuve de preuve qui ne saurait tarder à se produire : nous faisons allusion, on l'a pressenti déjà, à ce que porte la plate tombe signalée plus haut.

Si elle est, comme nous le pensons, d'un chevalier du Temple, plus de difficultés « lapides ipsi clamabunt » et la science qui sait comprendre le langage des pierres; l'archéologie dont on croit de bon goût de plaisanter parfois, l'archéologie qui, suivant les expressions du savant épigraphiste, M. le chevalier de Rossi, « ne transcrit pas les annales composées par les écrivains, mais découvre et restitue en tirant partie de tout indice et de tout fragment, guidé par le sens et par le tact de l'antiquité » aura donné la solution définitive d'un problème qu'abandonnée à ses seules forces, l'histoire n'aurait peut-être jamais pu si terminalement résoudre.

Mais, quoi qu'il arrive, nous estimons pleinement qu'il nous est toujours permis d'attribuer more majorum la commanderie de Haute-Avesnes à l'Ordre du Temple.

La tradition est au moins à la vérité de l'histoire ce qu'est la coutume à l'autorité de la loi.
Ea quae longà consuetudine comprobata sunt disait un grand jurisconsulte romain, ac per annos plurimos observata, velut tacita civum conventio non minus, quam ea, quae scripta sunt jura servantur; principe admis alors même, et Dieu merci nous n'en sommes point réduits là, que ne se pourrait donner la raison de la coutume etenim non omnium quae a majoribus instituta sunt, ratio reddi potest.
Sources: C. Le Gentil - Bulletin de la Commission départementale des monuments historiques] du Pas-de-Calais - Arras 1848 - Livre numérique de Pages 235 à 264
BNF

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