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Les neuf Croisades par Joseph-François Michaud

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Neuvième Croisade

La croisade du prince Edouard

A mort de Louis IX, comme on l'a vu, avait tout à coup suspendu les entreprises d'outre mer. Le seul Edouard partit pour la Syrie avec le comte de Bretagne, son frère Edmond, trois cents chevaliers, et cinq cents croisés venus de la Frise. Tous ces croisés réunis formaient à peine un corps de mille ou douze cents combattants, et voilà tout ce qui devait arriver en Asie de ces armées innombrables qu'on avait levées en Occident pour la délivrance de la terre sainte. Un aussi faible renfort n'était point fait pour inspirer la confiance et rendre la sécurité aux chrétiens de la Palestine (1), consternés encore de la retraite des croisés devant Tunis et de leur retour en Europe.

La plupart des princes et des états chrétiens de la Syrie, dans la crainte d'être attaqués, avaient conclu des traités avec le sultan du Caire. Plusieurs devaient hésiter à s'engager dans une guerre où les faibles secours de l'Europe ne leur permettaient pas d'espérer de grands avantages, où d'ailleurs ils avaient à craindre d'être abandonnés par les croisés, toujours prêts à retourner en Occident. Cependant les hospitaliers et les templiers, qui ne manquaient jamais une occasion de combattre les musulmans, se réunirent au prince Edouard, que sa renommée avait devancé en Orient. Baybars, qui ravageait alors le territoire de Ptolémaïs, s'éloigna d'une ville qu'il avait remplie d'alarmes, et parut un moment avoir abandonné l'exécution de ses projets.

La petite armée des chrétiens, composée de six à sept mille hommes, s'avança sur le territoire des musulmans; elle se dirigea d'abord vers la Phénicie, pour rétablir la communication interrompue entre les villes chrétiennes. Dans cette expédition, les croisés eurent beaucoup à souffrir de l'excès de la chaleur ; plusieurs moururent pour avoir mangé des fruits et du miel que le pays produisait en abondance (2). Ils marchèrent ensuite vers la ville de Nazareth, sur les murs de laquelle ils plantèrent l'étendard de Jésus-Christ. Les soldats de la croix ne purent se rappeler sans indignation que Baybars avait fait détruire de fond en comble l'église de cette ville, consacrée à la Vierge : Nazareth fut livrée au pillage, et tous les musulmans qu'on trouva dans la ville conquise, immolés par le glaive, expièrent l'incendie et la destruction d'un des plus beaux monuments élevés par les chrétiens en Syrie. Après cette victoire, dont on ne peut louer les croisés, les musulmans ne cessèrent point de faire des excursions sur le territoire des Francs. Mais, soit qu'il n'eût point assez de forces pour se mettre en campagne et qu'il ne fût pas secondé par les chrétiens du pays, soit qu'il plaçât quelque espérance dans une négociation entamée avec l'émir de Joppé, qui lui promettait de se convertir et de lui livrer la ville qu'il commandait, le prince Edouard rentra tout à coup dans les murs de Ptolémaïs, et ne chercha point de nouveaux périls sur le champ de bataille. L'émir de Joppé entretenait avec lui de fréquentes relations : afin de parvenir à ses secrets desseins, il avait choisi pour messager un des disciples du Vieux de la Montagne ; un jour qu'Edouard était seul dans sa chambre et qu'il reposait sur un lit, le perfide envoyé se présente, et se précipite sur sa victime, le poignard à la main. Le prince est blessé au bras ; mais, comme il était doué d'une force extraordinaire, il renverse l'assassin d'un coup de pied, il lui arrache ensuite le poignard et le lui plonge dans le sein. Bientôt on accourt au bruit : le fanatique musulman était étendu par terre. Edouard, d'abord blessé au bras, s'était fait lui-même, en se défendant, une seconde blessure au front : on craignait que le poignard ne fût empoisonné. Quelques historiens rapportent que la princesse Eléonore, femme d'Edouard, eut le courage de sucer les plaies de son époux pour en extraire le poison ; d'autres racontent que le grand maître du Temple envoya sur-le-champ à Edouard un remède dont l'efficacité était reconnue en Orient. Quoi qu'il en soit, tous les soins furent d'abord inutiles ; on craignait pour la vie du prince, lorsqu'un médecin anglais se présenta, et répondit d'une guérison prochaine, si Edouard éloignait de lui tous ses courtisans, la princesse Eléonore elle-même, et s'il suivait exactement le régime qui lui serait prescrit. Les conseils du médecin furent suivis, et le prince anglais ne tarda pas à se montrer à cheval au milieu de ses compagnons d'armes (3).

[1271]

Après avoir couru un aussi grand danger, Edouard n'hésita point à accepter une trêve qui lui fut alors proposée par le sultan d'Egypte. Sans avoir rien fait d'important pour la cause qu'il avait juré de défendre, il revint en Europe, où il apprit le trépas de son père, Henri III, qui chaque jour rappelant son fils par ses prières n'avait pu le voir à sa dernière heure et lui donner sa bénédiction.

Analyse de cette croisade

En terminant le récit de chacune des croisades, nous avons coutume de nous arrêter un moment pour en faire connaître le caractère et l'esprit, pour juger les hommes qui y ont pris part, pour apprécier les circonstances principales qui l'ont accompagnée, les résultats immédiats qu'elle a produits. Ici notre tâche est facile à remplir. Après trois années de préparatifs, nous voyons une puissante armée partir pour une guerre lointaine, qui dure à peine trois mois, et dans laquelle les soldats et les chefs n'eurent réellement à se défendre que de l'influence du climat, du fléau de la peste, et surtout des suites d'un plan imprudemment arrêté. Ils virent à peine les murs de Tunis, qu'ils allaient assiéger, et les Maures, qu'ils voulaient combattre ou convertir. Dans cette expédition, prêchée au nom de Jésus-Christ, on ne songea guère à la délivrance des lieux saints ; et, si nous en croyons certains chroniqueurs du temps, les calamités de cette croisade furent la manifestation de la colère divine. Le seul Louis IX porta dans cette guerre malheureuse de saintes pensées ; et, lorsqu'à ses derniers moments il prononça plusieurs fois le nom de Jérusalem, peut-être s'accusait-il lui-même d'avoir cédé à des inspirations profanes, et d'être venu chercher la palme du martyre dans un pays où ne l'appelait point la volonté de Dieu. Après que le pieux monarque eut rendu le dernier soupir, tout ce qu'il y avait encore de religieux, de noble et de chevaleresque dans cette entreprise dont il était le chef et qu'il soutenait par sa présence, disparut tout à coup pour faire place à l'ambition et à la cupidité : ainsi, quand l'âme de l'homme se retire du corps auquel elle donnait la vie, elle n'y laisse que corruption et poussière. Parmi les croisés on ne parla plus de la conversion des musulmans, mais de leurs trésors, ce qui n'empêcha pas que les barons et les seigneurs ne revinssent fort misérables dans leur patrie. Tous les résultats de cette croisade qui devait répandre tant d'effroi parmi les infidèles, se réduisirent, d'un côté, au massacre de la population désarmée de Nazareth, de l'autre à la vaine conquête des ruines de Carthage. Un autre résultat de cette guerre, pour l'Europe comme pour les pays d'outremer, fut de décourager presque entièrement les guerriers chrétiens et de leur faire oublier Jérusalem. Après Edouard, aucun prince ne passa la mer pour aller combattre en Asie les infidèles, et la petite armée qu'il conduisit jusqu'en Syrie fut la dernière qui partit de l'Occident pour la délivrance ou le recouvrement de la terre sainte. Ainsi la seconde croisade de saint Louis, qui avait pour objet de sauver les colonies chrétiennes, ne fit, comme nous le verrons bientôt, que précipiter leur chute.

Parmi les circonstances qui firent échouer cette croisade, l'histoire ne doit pas oublier la longue vacance du Saint-Siège, pendant laquelle aucune voix ne se fit entendre pour animer les croisés. Cependant le conclave, après deux ans, choisit un successeur de saint Pierre, et, par une circonstance heureuse pour les chrétiens d'Orient, les suffrages des cardinaux tombèrent sur Thibaut, archidiacre de Liège, qui avait suivi les Frisons en Asie et que la nouvelle de son élévation trouva encore dans la Palestine (4). Les chrétiens de Syrie durent espérer que le nouveau pontife, longtemps témoin de leurs périls et de leurs misères, ne manquerait pas d'employer tout son pouvoir pour les secourir. Thibaut leur en donna l'assurance avant de quitter Ptolémaïs, et, dans un discours qu'il adressa au peuple assemblé, il prit pour texte ce verset du psaume 136 : « Si je t'oublie jamais, ô Jérusalem, que je sois moi-même oublié parmi les hommes » (5).
Sources : Joseph-François Michaud - Histoire des Croisades. Dezorby, E. Magdeleine et Cie Editeurs. 1841

Notes

1 — Suivant Ibn-Férat, Baybars, après avoir reçu la nouvelle du traité, se rendit à Ascalon, et, de peur que les chrétiens ne s'y établissent, il fit détruire tout ce qui restait des fortifications de cette ville et combler le port.
2 — Sanuto, liv. III, partie XII, ch. II, et Jean d'Ypres (Bibliothèque des Croisades, I.I).
3 — Henri Kingston et Jean d'Ypres, Bibliothèque des Croisades.
4 — Thibaut, élu pape aux calendes de septembre 1271, prit le nom de Grégoire X.
5 — Sanuto, livre III, partie XII, chapitre XXIII.

Sources : Joseph-François Michaud - Histoire des Croisades. Dezorby, E. Magdeleine et Cie Editeurs. 1841

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