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Procès des Templiers, Jules Michelet, Lavocat, Trudon-des-Ormes, Templiers par région

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    I — Clément V, Philippe Le Bel et les Templiers

    On aurait de la peine à trouver, dans toute l'histoire de France, un événement dont les causes soient moins connues et dont le caractère soit plus diversement apprécié que la condamnation des Templiers sous Philippe le Bel. La suppression d'un ordre militaire et religieux aussi puissant est en soi une chose grave, et les violences qui l'accompagnèrent donnent fort à réfléchir. L'accord de la puissance temporelle et du pouvoir séculier, de l'Eglise et de la royauté, fut nécessaire, mais cet accord fut long à s'établir, et peut-être n'a-t-il pas été bien sincère. Les chevaliers du Temple étaient-ils coupables ?
    Quels motifs ont pu pousser le roi de France à provoquer leur destruction ?
    Quelles raisons ont pu déterminer le Saint-Siège à prononcer leur abolition ?
    Ce sont là des problèmes dont l'examen a sa place marquée dans la Revue des questions historiques.
    Tout d'abord, il convient de restreindre le nombre des points sur lesquels doit porter la discussion. La culpabilité des Templiers forme, à elle seule, une question qui mérite et par être vaincue. Il y a là des mystères à éclaircir, d'autant plus que la tradition historique, s'appuyant sur des traits contemporains, présente Clément V comme forcé d'obéir à Philippe le Bel en vertu d'un traité secret ; c'est donc, à proprement parler, l'histoire des rapports de Philippe le Bel avec Clément V au sujet des Templiers, que nous nous proposons de retracer, à l'aide de documents inédits, ou interprétés autrement qu'on ne l'a fait jusqu'à ce jour.
    Ce récit sera souvent douloureux, et le lecteur sera plus d'une fois attristé par le spectacle de la pression implacable que le petit-fils de saint Louis cherchait à exercer sur le Souverain Pontife : peut-être souhaitera-t-il plus de fermeté de la part du successeur de saint Pierre ; mais il devra faire la part des circonstances. En tout état de cause, nous pensons que cette étude minutieuse des faits, appliquée à une époque où la papauté exilée de Rome était venue chercher un asile de ce cûté des Alpes, sera instructive, et fera voir que l'indépendance du Saint-Siège est une condition nécessaire du libre exercice du pouvoir spirituel, et que, lorsque cette indépendance a fait défaut, la papauté a eu à lutter contre des exigences ou des influences que son devoir lui commandait de repousser, mais que sa faiblesse la forçait quelquefois de subir.
    Clément V fut, en effet, le premier Pape d'Avignon. Dès le milieu du XIIIe siècle, le séjour de Rome était devenu presque impossible, par suite des querelles des Guelfes et des Gibelins. L'aristocratie romaine, partagée en deux camps, dominait dans la ville éternelle : Pérouse était devenue le séjour habituel des Papes. Boniface VIII avait dû se retirer à Anagni, sa ville natale, dans l'espérance d'échapper aux violences de Philippe le Bel, qui surent l'y atteindre. Ce fut à Pérouse que se tint le conclave réuni pour donner un successeur à Benoît XL qui, en 1304, avait remplacé Boniface VIII.
    Mais bien que tourmentée, la papauté était, sauf des cas tout à fait exceptionnels, soit à Rome, soit à Pérouse, soit dans une autre ville italienne, à l'abri de pressions extérieures. Il n'en fut pas de même quand elle se fut retirée à Avignon. Une ancienne légende veut que ce soit sur les ordres de Philippe le Bel que Clément V ait transporté, hors d'Italie, le siège du souverain Pontificat, et voici comment.

    Jusqu'à nos jours, on a accepté le récit du chroniqueur italien Jean Villani, qui écrivait au milieu du XIVe siècle, mais qui, mort dans un âge avancé, était un témoin oculaire de ce qui s'était passé depuis le commencement de ce siècle. Villani était de Florence ; il appartenait à une célèbre maison de banque, celle de Petrucci, et avait, dès sa jeunesse, voyagé dans différentes contrées de l'Europe. C'était un esprit curieux et judicieux ; mais il fut souvent réduit à recueillir des bruits plus ou moins fondés, et à accepter comme vrais des faits que nous, qui possédons des éléments de critique qu'il n'avait pas, devons rejeter comme supposés. Or voici ce que raconte Villani à propos de l'élection de Clément V; ce récit, si on le tient pour vrai, donnera la clé de la conduite de ce Pape et l'explication de sa soumission apparente devant le roi de France.

    Le Sacré-Collèges était réuni depuis neuf mois à Pérouse ; il ne pouvait s'entendre sur le choix du successeur de Benoît XL Deux grands partis se partageaient le conclave, les Bonifaciens et les Français, c'est-à-dire ceux qui s'étaient rangés du cûté de Boniface VIII et ceux qui, tout en réprouvant l'attentat commis contre ce pontife, voulaient qu'on traitât avec indulgence le roi de France de peur de le pousser à un schisme ; car c'est un fait certain, la conduite de Philippe le Bel à Anagni souleva, dans toute l'Europe et même dans la cour de France, une énergique réprobation. Les chefs du parti français, voyant qu'on n'aboutissait pas, proposèrent une transaction. Les Bonifaciens ou les Italiens, comme on les appelait, désigneraient trois candidats non italiens, parmi lesquels les Français choisiraient celui qui leur agréerait le mieux. Ainsi fut fait. Les Italiens présentèrent trois candidats, dont Bertrand de Got, archevêque de Bordeaux. Le chef du parti français, le cardinal de Prato, fournit secrètement et avec célérité cette liste à Philippe le Bel et lui demanda son avis, tout en indiquant Bertrand de Got, quoique ennemi du roi, comme un homme avide d'honneur et d'argent, dont il pourrait beaucoup obtenir. Philippe, sans perdre de temps, fixa un rendez-vous à l'archevêque dans un monastère situé au milieu d'une forêt de Saintonge. Ce rendez-vous fut accepté avec empressement. Après une conversation amicale, le roi s'adressant au prélat : « Vois, archevêque, j'ai dans ma main de quoi te faire pape si je veux, et c'est pour cela que je suis venu à toi ; si tu me promets de m'accorder les grâces que je te demanderai, je t'élèverai à cette dignité. Et pour que tu sois bien certain que j'en ai le pouvoir, écoute. » Et il lui montra la lettre et le compromis des deux factions du conclave.
    L'archevêque se jeta à ses genoux, fou de joie, lui disant : « Tu n'as qu'à commander : je suis prêt à t'obéir et ce sera toujours ma volonté. »
    Philippe lui dit :
    Voici les grâces que je te demande :
    Tu me réconcilieras avec l'Eglise en me donnant l'absolution pour la part que j'ai prise à l'arrestation de Boniface VIII ;
    Tu révoqueras les sentences d'excommunication prononcées tant contre moi que contre mes agents ;
    Tu m'accorderas, pendant cinq ans, le dixième des revenus des ecclésiastiques du royaume ;
    Tu me promets d'abolir et de réduire à rien la mémoire de Boniface ;
    Tu restitueras dans leurs honneurs et dans leurs dignités les cardinaux Jacques et René Colonna, et tu nommeras cardinaux quelques-uns de mes amis.
    Il y a une sixième condition importante que je me réserve de te faire connaître en temps et lieu.
    L'archevêque jura d'obéir, et d'après les ordres du roi le cardinal de Prato le désigna comme Pape.

    Tel est le récit de Villani. Au XVe siècle, saint Antonin, archevêque de Florence, n'hésita pas à en admettre l'authenticité, le traduisit en latin et l'inséra dans sa grande chronique; au XVIIe siècle, Rainaldi lui accorda la même autorité et le transcrivit dans sa continuation des « Annales de l'Eglise » du cardinal Baronius. De nos jours l'on s'est montré moins crédule. Il y a vingt-cinq ans, M. l'abbé Lacurie, de Saintes, éleva des doutes sur l'entrevue de Saint-Jean-D'angély (1) ; ces doutes furent développés par M. Rabanis, professeur à la faculté des lettres de Bordeaux, dans deux mémoires publiés, l'un en 1847, l'autre en 1858 (2). M. Rabanis mit au jour un document considérable qui permettait d'affirmer que Philippe le Bel et Bertrand de Got n'avaient pu se rencontrer en Saintonge à l'époque indiquée par Villani ; c'était le journal des « Visites pastorales » de l'archevêque de Bordeaux, du 17 mai 1304 au 22 juin 1305. L'original, qui fut consulté au XVIIe siècle par André du Chesne, et au siècle suivant par les Bénédictins auteurs du « Gallia christiana », n'existe plus, ou, du moins, n'est pas connu ; mais les archives du département de la Gironde en conservent un abrégé fait au XVIe siècle, abrégé qui porte le titre trompeur de : « inventaire des cartes de l'archevêché . » Ce document offre donc toutes les garanties qu'on peut souhaiter : les séjours de Bertrand de Got y sont inscrits jour pad jour; il n'était pas en Saintonge au mois de mai, que Villani indique comme ayant été l'époque de la prétendue entrevue entre Philippe et Clément.

    Mais si Bertrand de Got n'était pas en Saintonge, il était en Poitou, et peut-être pourrait-on croire que le chroniqueur italien, mal renseigné, a substitué au Poitou la Saintonge qui en était voisine, et que l'entrevue a eu lieu dans la première de ces provinces. L'itinéraire de Philippe le Bel, publié dans le tome XXI du « Recueil des Historiens de France » d'après des diplûmes originaux ou les registres de la chancellerie, démontre que Philippe ne s'est pas rendu et n'a pu se rendre en avril et en mai 1305 ni en Poitou, ni en Saintonge. L'entrevue de Saint-Jean-d'Angély doit donc être reléguée an nombre des fables.

    Ici se présente une question. Villani, d'accord avec la plupart des chroniqueurs contemporains, prétend que Clément V a été élu Pape grâce à l'influence de Philippe le Bel, et ce serait par reconnaissance, ou même en vertu d'engagements formels, que Clément se serait montré, pendant tout son pontificat, entièrement dévoué au roi de France. L'archevêque de Bordeaux a parfaitement pu ne pas avoir eu de rendez-vous et avoir traité par lettre ou par des intermédiaires. Les conditions mises par Philippe le Bel à l'élection de Bertrand de Got, pour n'avoir pas été formulées à Saint-Jean-d'Angély, ont pu être posées et acceptées par écrit ou par messager. Ce qui donne une certaine force à cette supposition, et qui la rend même vraisemblable, c'est que les conditions indiquées par Villani ont été véritablement remplies; que Clément V refusa de céder sur un seul point, sur la condamnation de la mémoire de Boniface VIII, mais qu'il dut accepter la sixième condition, tenue d'abord secrète par le roi, c'est-à-dire la condamnation des Templiers. Cette condamnation, il fallut la lui arracher : c'est du moins ce que semble indiquer l'ensemble des documents que nous possédons.

    Or les concessions faites par Clément V au roi de France sont tellement considérables, le roi mit une telle âpreté à les obtenir ou plutût à les arracher, que tout d'abord on ne peut expliquer la condescendance, pour ne pas dire la faiblesse du Souverain Pontife que par la raison qu'il avait contracté de grandes obligations vis-à-vis de Philippe le Bel. L'abolition du Temple tend à corroborer cette opinion. La culpabilité des Templiers n'est pas, ainsi que je le disais plus haut, encore démontrée. Qu'il y ait eu des membres gangrenés, c'est évident; mais peut-on faire retomber sur l'ordre entier les vices et les hérésies que l'on reprochait à quelques-uns ?
    Les interrogatoires publiés ou inédits laissent des doutes, et cependant ils ont été condamnés par le Pape au Concile de Vienne. Pour certains, la condamnation de l'Ordre par le Saint-Siège est une preuve qu'il était coupable; d'autres, au contraire, croient que cet acte rigoureux a été imposé au Souverain Pontife par le roi de France, qui voulait s'enrichir avec les biens immenses du Temple.

    C'est une grave question que nous allons examiner, non pas en consultant les chroniques, mais à l'aide de documents officiels, surtout avec la correspondance intime de Clément V et de Philippe le Bel. Une partie de cette correspondance a été publiée par Baluze dans le tome II de son ouvrage intitulé : Vitae Paparum Avenionensium (3). Ce savant dit avoir tiré ces lettres du Trésor des Chartes, « ex Archivio regio Parisiensi », sans autre indication. Nous avons été assez heureux pour retrouver à la Bibliothèque nationale le manuscrit qui a servi à Baluze et dont la place est marquée parmi les autres registres du Trésor des Chartes aux archives de France. Dupuy, qui en a donné des extraits dans ses « Traités concernant l'histoire de France, sçavoir la condamnation des Templiers, etc. », le cite sous le nom de registre D ; son véritable titre est « registre XXIX du Trésor des Chartes. » Acheté par la Bibliothèque royale vers 1835, il fut d'abord classé dans le fonds des cartulaires, n° 170; il est rangé actuellement dans le fonds latin et porte le n° 10919. C'est un registre de format in-4°, en vélin, de 243 folios : il est à deux colonnes, l'écriture est des premières années du XIVe siècle. Comme format, exécution matérielle et apparence, il ressemble au registre XXVIII du Trésor des Chartes qui renferme la chronique du moine des Vaux de Cernay sur la croisade des Albigeois et une collection de précieux documents sur le différend de Philippe le Bel avec Boniface VIII. Une note d'une feuille de garde de ce registre apprend qu'il appartenait à Pierre d'Etampes, et Pierre d'Etampes fut garde du Trésor des Chartes sous Philippe le Bel. Il était donc à même d'être bien informé; aussi peut-on croire qu'il fit, pour son usage, deux recueils de pièces relatives aux plus graves événements qui se passèrent de son temps, c'est-à-dire à l'affaire de Boniface VIII et au procès des Templiers. Après sa mort ces deux importants recueils, composés de documents officiels, de copies de lettres intimes du roi et des Papes, de mémoires politiques, de pièces diplomatiques, furent saisis au nom du roi et déposés dans les archives de la couronne. Une partie des pièces transcrites par Pierre d'Etampes existent en originaux au Trésor des Chartes; en un mot, tout démontre que l'on doit accorder la plus grande confiance au registre 10919.

    Ici se place une remarque d'une importance capitale. Baluze, comme nous l'avons dit plus haut, a publié une partie des lettres échangées entre Philippe le Bel et Clément V, renfermées dans ce volume : cela est vrai, mais il a laissé de cûté des lettres de la plus haute gravité, décisives même pour apprécier sainement le rûle de Clément V dans l'affaire des Templiers. C'est ainsi qu'il a omis une lettre par laquelle le Pape, instruit seulement par la voix publique de l'arrestation des Templiers, se plaint amèrement de cet acte illégal accompli malgré les promesses du roi. Quel motif a pu porter un érudit comme Baluze à supprimer certains actes ?
    Dupuy en a fait autant pour quelques autres documents ; mais Dupuy, qui s'était constitué le défenseur et l'apologiste de Philippe le Bel, ne se croyait pas tenu, bien à tort, d'alléguer ce qui pouvait être contraire à la thèse qu'il soutenait. Il n'en était pas de même de Baluze, qui publiait sur les Papes d'Avignon une série de chroniques et d'actes authentiques destinés à éclairer leur histoire. Evidemment il eut peur que le gouvernement de Louis XIV trouvât mauvais de voir publier des documents qui auraient jeté un jour fâcheux sur la conduite d'un de ses prédécesseurs. Et ce n'est pas là de notre part une supposition invraisemblable. On sait que Mézeray perdit la pension qu'il avait sur le Trésor royal, pour avoir parlé trop librement des anciens rois de France, et Colbert manifestait une publique aversion pour Suétone, coupable d'avoir pris la licence de tracer une peinture vraie des vices des empereurs romains, ce qui était, à ses yeux, d'un mauvais exemple. Enfin, Baluze lui-même éprouva les rigueurs du roi et fut exilé pour avoir, dans son Histoire généalogique de la maison d'Auvergne, voulu faire descendre la famille de Bouillon des rois carlovingiens. Le registre 10919 nous apporte donc, sur le sujet qui nous occupe, un certain nombre de documents inédits tenus dans l'ombre pour des causes politiques.

    La publication de Baluze peut elle-même nous donner des notions nouvelles et qui n'ont pas été mises à contribution par ce fait bien simple que la plupart des lettres de Clément V ont reçu de l'éditeur une date erronée. On sait que les lettres apostoliques sont datées, non de l'année de l'Incarnation, mais de celle du pontificat; or Baluze et Dupuy ont cru que Clément V datait les actes émanés de sa chancellerie du jour de son élection, c'est-à-dire du 5 juin 1305, tandis qu'il fait partir son pontificat du jour de son couronnement, le 14 novembre de la même année. C'est là un fait qui a, au XVIIIe siècle, attire l'attention des auteurs de « l'Histoire générale de Languedoc », dom de Vic et dom Vaissette (4) ; de Mansi, l'annotateur des « Annales de l'Eglise » du cardinal Baronius et de son continuateur Rainaldi, et de nos jours, de M. Natalis de Wailly (5). Ces savants, surtout le dernier, ont donné la preuve la plus convaincante que les actes de Clément V sont datés de son couronnement.
    Les fausses dates assignées jusqu'ici à la plupart des lettres de Clément V ont eu de sérieuses conséquences, entre autres de rendre à peu près incompréhensible la correspondance de ce Pape avec Philippe le Bel. C'est ainsi que, six mois avant l'arrestation des Templiers, Clément V est censé écrire à Philippe le Bel au sujet du séquestre de leurs biens, séquestre qui fut une suite de la captivité des chevaliers. Les historiens qui ont travaillé sur les textes publiés et mal datés par Baluze et par Dupuy n'ont trouvé que confusion, et ces documents sont restés comme une lettre morte; nous espérons, en leur rendant leur véritable date, en tirer une vive lumière.

     

    II

    Que Philippe ait vu avec plaisir l'élection de Clément V, cela n'est pas douteux; et que la majorité du Sacré-Collège, en le choisissant pour Pape, ait voulu plaire au roi de France, cela n'est pas moins certain. C'est ce que prouve une lettre adressée par le cardinal Napoléon des Ursins à Philippe en 1314, après la mort de Clément. Napoléon était entièrement dévoué à la France, il s'exprime ainsi : « Nous nous rappelons que nous avons été onze mois en prison à Pérouse (lors du conclave pour l'élection du successeur de Benoît XI) et Dieu seul sait quelles souffrances du corps et quelles angoisses de l'âme nous y avons endurées. J'ai abandonné ma maison pour avoir un Pape français, car je désirais l'avantage du roi et du royaume, et j'espérais que celui qui suivrait les conseils du roi gouvernerait sagement Rome et l'univers et réformerait l'Eglise. » (6) Voilà qui est clair; mais cette attente fut déçue. Le cardinal poursuit en ces termes : « C'est pour cela qu'après avoir pris toutes précautions, nous choisîmes le feu Pape, persuadés que nous avions fait le plus magnifique présent au roi et à la France. Mais, û douleur ! Notre allégresse se changea en deuil, car si l'on pèse les oeuvres du défunt, par rapport au roi et au royaume, on trouve que sous lui sont nés de graves périls ; on ne prévit rien, ou ne prit aucune précaution, et l'absence de prudence aurait amené une catastrophe, si la main de Dieu n'était venue miséricordieusement à notre secours. » Je ne citerai pas des chroniques italiennes contemporaines, qui affirment qu'il y eut de l'or de Philippe le Bel dans l'élection de Clément V (7).

    Quoi qu'il en soit, il faut reconnaître que le nouveau Pontife était, pour une cause ou pour une autre, admirablement disposé pour le roi de France, qu'il s'empressa de remplir ses désirs, et que celui-ci se croyait en droit de lui demander et d'obtenir beaucoup ; aussi ne mit-il dès l'abord aucune pudeur dans ses exigences.

    A peine élu, Clément reçut une ambassade de Philippe le Bel; on traita des questions si graves, qu'à l'exception du Pape, du roi et des ambassadeurs, le secret devait être religieusement gardé. Cependant Philippe pria Clément de lui permettre de faire connaître ces mystérieuses négociations à trois ou quatre de ses conseillers. Clément le lui accorda dans la lettre suivante, qui est singulièrement importante, parce qu'elle fait voir quelle autorité le roi de France voulait prendre dès lors sur le nouveau Pontife, et quelle déférence il attendait de lui, même sur des questions d'étiquette.

    « Quand et comment l'omnipotence divine, qui dépasse les mérites et les espérances de chacun, a élevé notre humilité, dans le temps qu'elle régissait l'église de Bordeaux, à la prééminence de la dignité apostolique, nous nous rappelons pleinement l'avoir notifié par nos lettres à Votre Altesse Royale. C'est d'après la relation que quelques-uns en ont faite, ce que vous aviez vivement souhaité que nous fissions aussi par rapport à la solennité du consentement que nous avons donné à notre élection et des autres actes qui en ont été la conséquence ; mais nous tenons à ce que Votre Majesté sache que, si nous avons négligé de le faire, c'est que nous avions alors auprès de nous vos deux envoyés, l'archevêque de Narbonne et Pierre de Latilly, qui ont été présents à tout et qui pouvaient en informer Votre Majesté, comme de l'intention où nous étions de prévenir Votre Majesté de l'époque où nous comptions, avec l'aide de Dieu, recevoir solennellement la couronne. Que Votre Altesse Royale ne prenne donc pas en mauvaise part les omissions qui ont pu être commises à ce sujet. C'est le IX des calendes d'août (24 juillet) que, malgré notre répugnance, et cédant à des instances réitérées, nous avons donné notre consentement authentique et public à ladite élection. Quant à certains articles que vous avez traités avec vos ambassadeurs et qui ne doivent être divulgués ni par vous, ni par eux, attendu la demande que vous nous avez faite de pouvoir en communiquer avec trois ou quatre personnes, au delà du nombre que nous avions fixé, nous consentons bien volontiers à ce que vous en confériez avec trois ou quatre et même un plus grand nombre de personnes, au delà du nombre susdit, selon qu'il paraîtra utile à votre royale circonspection, car nous avons la certitude que vous ne révélerez ces choses qu'à ceux que vous savez être également pleins de zèle et d'amour pour notre honneur et le vûtre. » (8)

    Quelles étaient ces affaires que l'on tenait si secrètes ?
    On l'ignore, et mieux vaut ne pas hasarder de conjectures. Clément fut couronné à Lyon, le 14 novembre 1305, devant une nombreuse assemblée : Philippe le Bel voulut assister à cette cérémonie et fit dès lors des ouvertures au Pape au sujet des Templiers.

    Nul n'ignore qu'au commencement du XIIe siècle furent fondés deux ordres religieux et militaires destinés à protéger les pèlerins et à défendre les armes à la main les saints lieux. Les chevaliers du Temple et les hospitaliers ou chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, rendirent de grands services jusqu'à la fin du XIIIe siècle, mais leur action ne se renferma pas dans les pays d'Asie. Ils obtinrent, en Europe, d'immenses richesses, et leurs possessions territoriales s'étendaient sur une partie du continent. La rivalité se mit entre les deux ordres, au grand détriment des intérêts de la Terre sainte, et leur influence, changeant de théâtre, tendit à s'exercer en Occident. Les Templiers surtout acquirent une puissance redoutable pour le roi, à la juridiction duquel ils échappaient. Ils réunissaient les deux grandes forces, la croix et l'épée; ils formaient une association ne relevant que de son chef et nominalement du Pape : ils étaient riches et tiraient vanité de leur pouvoir; on disait : Orgueil de Templier. Quand on étudie dans les archives les actes qui constatent leur fortune et la révélation de leur puissance, on voit qu'ils attiraient tout à eux, dans les villes et dans les campagnes.

    Dans les provinces où les paysans étaient libres et pouvaient disposer de leurs biens, les donations faites par les hommes de la campagne aux chevaliers du Temple sont innombrables. Dans les chartes qui relatent ces libéralités, le motif allégué par les donateurs est le salut de leur âme : la cause réelle était le besoin de protection qu'ils ressentaient et qu'ils trouvaient auprès des Templiers qui, à l'influence morale du prêtre, joignaient la puissance de l'homme de guerre.
    Toutes les classes de la société participaient à ce besoin. Pour le satisfaire, les propriétaires donnaient une partie de leurs biens ; les artisans et les ouvriers, qui ne possédaient que leur personne, s'engageaient et se soumettaient aux Templiers, non qu'ils abdiquassent leur liberté, mais ils devenaient ce qu'on appelait les avoués du Temple. Ils prêtaient serment de fidélité, et payaient chaque année un faible cens de quelques deniers en signe de dépendance. Le mobile de ces actes, un grand nombre de chartes nous le font connaître, c'était pour l'avantage et l'utilité, et afin d'éviter des périls à venir : « Pro commodo et utilitate, et ad vitanda futura pericula. » Ces périls redoutables étaient les poursuites et les exactions des officiers seigneuriaux et quelquefois même des agents royaux, et ce fut pour s'y soustraire que nombre d'ouvriers s'avouèrent les hommes du Temple (9). Cette attraction vers le Temple était générale : les hommes des abbayes se plaçaient sous sa protection, et les églises furent obligées de réclamer auprès du roi qui fit défendre aux Templiers de prendre sous leur sauvegarde les hommes des églises.

    En 1300, l'ordre du Temple était à l'apogée de la grandeur, mais la chute n'était pas éloignée. On raconte qu'un Templier renfermé pour ses crimes dans une prison royale fit à l'un de ses compagnons de captivité d'étranges révélations sur de graves désordres qui se passaient dans le Temple et que le plus grand mystère avait environnés jusqu'alors. Il s'agissait d'hérésie, d'apostasie et de moeurs dépravées. Le bruit de ces confidences arriva jusqu'au roi, qui fit prendre des informations. Ceci se passait avant le couronnement de Clément V, car il est certain que, lors de cette solennité à Lyon, Philippe le Bel entretint le Pape au sujet des Templiers. Nous tenons ce renseignement d'une lettre de Clément lui-même et le roi agissait ainsi par amour de la religion (10).

    Mais ces pourparlers étaient vagues : le Souverain Pontife se plaisait, du reste, à combler le roi de grâces. Le 1er janvier 1306, il lui accordait le droit de nommer à la première prébende qui deviendrait vacante dans chacun des chapitres cathédraux ou collégiaux du royaume (11) ; il exerçait en même temps, avec l'agrément de Philippe le Bel, le droit de provision apostolique en nommant directement ses amis aux meilleurs évêchés de France. C'est ainsi qu'il promut l'évêque d'Agen à l'évêché-pairie de Langres (12). Philippe n'était pas homme à ne pas abuser, il voulut aussi profiter du droit de collation apostolique pour faire placer ses conseillers les plus dévoués, ses créatures les plus serviles à la tête de l'épiscopat français. Il importuna Clément tout le temps de son pontificat en faveur de ses agents dont-il récompensait aussi les services par les plus hautes dignités ecclésiastiques. Clément tout d'abord se montre fort empressé : le 4 février 1306, il répondait à une épître où le roi affectait de s'informer de la santé du Pontife et le priait de réserver à la disposition apostolique certain évêché : « Nous avons reçu avec plaisir les lettres où Votre Sérénité, en fils dévoué, nous demandait des nouvelles de votre père. Quoique nous ayons été, pendant quelques jours, fort oppressé par un rhume, maintenant, avec la grâce de Jésus-Christ, nous jouissons d'une parfaite santé. Quant aux églises au sujet desquelles Votre Sérénité (13) nous a écrit, nous voulons que vous sachiez que nous nous sommes, pour cette fois, réservé le droit d'y pourvoir, en y nommant, avec l'aide du Seigneur, des personnes agréables à Dieu, a nous et à vous, et utiles à ces églises et les mêmes » (14).

    Malgré ces exigences, la plus grande cordialité régnait entre le roi et le Pape; ils entretenaient une correspondance où Philippe affectait la plus touchante prévenance pour celui qu'il traitait de père : la plus légère indisposition de Clément devenait un sujet d'inquiétude, et celui-ci se plaisait à rassurer son fils en lui donnant les détails les plus intimes sur sa santé, et quelquefois même profitait de ses souffrances pour excuser les délais qu'il mettait à satisfaire les impatients désirs du roi (15). Au reste, Clément eut à coeur de donner, dès son avènement, au roi des gages les plus importants de sa bienveillance.

    L'Eglise et la France venaient d'être troublées par un scandale inouï, la lutte s'était engagée entre le pape Boniface VIII et Philippe le Bel au sujet des limites du pouvoir spirituel et de la puissance temporelle. Le roi avait fait appel à la nation et convoqué les premiers Etats généraux pour leur faire proclamer l'indépendance de la couronne; il alla plus loin : il accusa Boniface VIII d'hérésie et de mauvaises moeurs, et demanda la réunion d'un concile pour le juger. Il atteignit les dernières limites de la violence en faisant arrêter, par Nogaret, dans Anagni, le Souverain Pontife, qui délivré après quelques jours de captivité, mourut de l'impression que cet attentat avait produite sur un homme arrivé aux dernières limites de l'âge. Les auteurs de cet attentat furent excommuniés; le successeur de Boniface, Benoît XI, mit Philippe le Bel personnellement hors de cause; mais ses ministres, notamment Nogaret et tous les participants de l'acte d'Anagni, furent frappés des foudres de l'Eglise. La haine de Philippe ne s'était pas éteinte; par son ordre Nogaret poursuivit la mémoire de Boniface, et sollicita en cour de Rome qu'on lui fit son procès comme hérétique. Nogaret avait pris le singulier rûle de défenseur de l'intégrité de la foi catholique contre un Pontife indigne ; ce rûle, il le continua sur Clément V, assumant toute la responsabilité et tout l'odieux de cette manoeuvre. Disons-le tout de suite, le procès intenté à la mémoire de Boniface VIII fut entre les mains du roi une arme dont il se servit pour influencer Clément V et pour lui arracher d'importantes concessions en lui faisant espérer qu'il se désisterait; j'ai même la conviction, et j'espère la faire partager au lecteur, qu'il chercha à obtenir par ce moyen la condamnation des Templiers.

    Dès le 1er janvier 1306, Clément V déclara que la fameuse bulle « Unam Sanctam », dans laquelle Boniface VIII avait proclamé la supériorité du pouvoir ecclésiastique sur le pouvoir temporel, ne s'appliquait pas à Philippe ; il fit biffer sur les registres de la chancellerie pontificale les passages des bulles du même Pape contraires à l'honneur du roi de France; mais ces concessions ne parurent pas suffisantes. Vers le milieu de la même année 1306, il y eut, à Paris, une grande émeute causée par l'altération des monnaies (16). Pour donner satisfaction aux plaintes de tous, le roi avait promis de faire de la monnaie semblable à celle de saint Louis ; mais il se produisit un phénomène économique facile à prévoir. Les baux à ferme et à loyer, faits pendant le cours de la faible monnaie, étaient établis d'après la valeur intrinsèque des espèces courantes, quel que fût leur cours légal. C'est ainsi que tel bail, fait jadis au prix de vingt sous, n'avait été renouvelé qu'au prix de quarante sous, quand la monnaie avait été affaiblie de moitié. Le rétablissement de la monnaie légale eut les conséquences les plus funestes pour les locataires et les fermiers dont les baux avaient été évalués en faible monnaie. Il y eut des plaintes; le gouvernement ne sut aviser, et le peuple de Paris s'ameuta, brûla la maison du maître des monnaies, Etienne Bardette, et insulta le roi lui-même qui fut obligé de chercher un abri dans le Temple.

    C'était une grande humiliation pour Philippe d'être réduit dans sa capitale à se mettre sous la protection des Templiers. On peut croire qu'il ne leur pardonna pas le service qu'ils lui rendirent en cette occasion. Il se rappela les accusations sévères portées contre eux, leur puissance et leurs immenses richesses. Il comprit qu'il y avait un danger politique à laisser subsister non-seulement l'ordre du Temple, mais encore celui de Saint-Jean de Jérusalem ; il résolut d'en demander la suppression. Les crimes imputés aux Templiers lui fournirent un prétexte excellent; mais il ne pouvait rien faire en cette matière sans le concours du Saint-Siège.

    Baluze a publié, à la date de 1305, une importante lettre de Clément V à Philippe le Bel, pour se disculper d'imputations portées contre lui. Yoici cette lettre :
    « Nous avons vu avec plaisir, reçu avec affection et entendu avec diligence nobles hommes Mile de Noyers, maréchal de France, Guillaume de Martigny et Guillaume Courte-Heuse, chevaliers, vos envoyés, ainsi que les lettres que Votre Sérénité les avait chargés de nous remettre; et, après avoir entendu ce que ces envoyés nous communiquèrent de votre part, nous avons longtemps réfléchi et avons conféré, délibéré et traité de ces choses avec ceux de nos familiers qui pouvaient le mieux nous éclairer. Après un examen attentif nous vous dirons la vérité entière et oralement et par écrit, par l'intermédiaire de vos ambassadeurs et celui de nos fils bien-aimés Guillaume, abbé de Moissac, et Arnal d'Auch, chanoine de Coutances, nos chapelains, que nous vous envoyons dans ce but. En toute vérité, nous pouvons dire que pour ce qui touche notre personne, notre conscience ne peut prendre aucune part des reproches que vous nous adressez, mais nous ne voulons pas, avant de savoir la vérité, excuser la conduite de nos envoyés. En effet, comme nous l'apprend saint Augustin, quelle que soit la vigilance que nous apportions dans notre maison, nous sommes hommes et nous vivons au milieu des hommes. Aussi nous ne voulons pas prétendre que notre maison vaille mieux que l'arche de Noé ou parmi huit hommes choisis il se trouva un réprouvé, ni qu'elle soit plus sainte que la maison d'Abraham où l'on trouve aussi des réprouvés, ni plus parfaite que celle d'Isaac dont une partie des enfants fut réprouvée. Et pourtant ni Noé, ni Abraham, ni Isaac n'ont été accusés. Certes, bien que nous soyons grandement surpris et affligés des maux causés par nos envoyés aux églises et aux ecclésiastiques, ainsi que nous l'ont fait savoir vos ambassadeurs, cependant nous nous étonnons encore davantage de ce que les prélats qui ont, dit-on, souffert ces exactions, avec la plupart desquels nous avions des rapports de familiarité avant notre élection à la dignité pontificale, attendu que nous étions du même royaume et que nous les regardions comme nos amis, ne nous aient jamais rien fait savoir, ni verbalement, ni par écrit, ni par envoyé, ni par lettre, ni d'aucune autre manière, ni par l'intermédiaire de nos frères les cardinaux. En agissant ainsi, avant de publier de pareilles accusations, ils avaient sauvegardé l'honneur du Siège apostolique et le leur ; ils avaient suivi la règle que le droit prescrit de suivre même vis-à-vis des plus humbles personnes, et nous aurions fait en sorte qu'ils n'auraient pas eu lieu d'adresser une seconde plainte ni à nous, ni à d'autres. Quoique nous soyons, bien qu'indigne, le vicaire de Jésus-Christ sur la terre, nous ne pouvons deviner ce qui nous est caché. Nous prions et supplions celui qui sait tout et n'ignore rien, de nous faire connaître les excès de nos envoyés et de nos familiers, pour les corriger de façon que cela serve d'exemple. »
    Datum Burdegale, VI kalendas augusti, pontificatus nostri anno primo. Ms. 10919, fol. 45 v° ; autre copie, ibid., fol 46 v. Conf. Baluze, tome II, page 58.

    En adoptant la date de 1305 assignée par Baluze à cette missive, on ne voit pas quels étaient les griefs dont se plaignait Philippe le Bel. En lui assignant, au contraire, sa véritable date, le 27 juillet 1306, on trouve dans les chroniqueurs et autres documents contemporains l'explication de ce qu'elle renferme d'obscur. Clément avait pris la résolution de transporter la Chaire de saint Pierre hors de l'Italie troublée par des dissensions intestines. Il s'était fait couronner à Lyon; de cette ville, il se rendit à Bordeaux en traversant une partie de la France et en se faisant héberger par les églises qu'il rencontrait sur sa route. Il exerçait ce qu'on appelait le droit de procuration. Ces voyages étaient fort coûteux pour ceux qui avaient à nourrir et à loger la nombreuse suite du Pape et pour les autres ecclésiastiques que l'on contraignait de contribuer en argent aux dépenses de la cour pontificale (17). Des plaintes s'élevèrent de la part du clergé; elles furent avidement recueillies par Philippe le Bel qui envoya une ambassade menaçante au pape Clément V qui, ainsi que sa lettre nous le fait connaître, lui répondit avec une grande dignité, regrettant qu'au lieu de faire un scandaleux éclat, on ne l'eût pas amicalement prévenu des abus qui se commettaient en son nom.

    Le séjour de Bordeaux et de ses environs ne fut pas sans amertume pour l'ancien archevêque; il était sous la main du roi qui l'accablait d'ambassades, de messages, d'épîtres et qui, à la fin de 1306, lui demanda une entrevue. On traitait entre les deux cours de graves affaires. Mais le plus profond mystère entourait ces pourparlers auxquels sans aucun doute les Templiers n'étaient pas étrangers. Le 5 novembre 1306, Clément écrivait au roi la lettre suivante qui nous révèle l'existence de négociations ardues entravées par la santé ébranlée du Souverain Pontife, qui se trouva un instant à deux doigts de la mort et dont la convalescence fut longue. Baluze a publié cette lettre ; mais il l'a, de son autorité privée, et sans avertir qu'il corrigeait le texte, datée de la deuxième année du pontificat, tandis que le manuscrit porte « anno primo. » Tout prouve, en effet, que cette épître est bien du mois de novembre 1306 ; c'est ce qu'a reconnu Baluze, mais comme, suivant sa manière de compter, le mois de novembre 1306 appartenait à la deuxième année du pontificat de Clément V, il n'a pas hésité à altérer le texte pour le plier à son système.

    « C'est au sujet d'affaires touchant la chrétienté et particulièrement votre royaume, lesquelles nous tiennent fort à coeur et ne doivent pas vous être indifférentes, que nous envoyons vers Votre Sérénité nos chers fils les cardinaux-prêtres Bérenger du titre des saints Nérée et Achillée et Etienne du titre de Saint-Cyr « in Thermis », hommes d'une grande autorité et d'une grande prudence, que nous savons très-fervents zélateurs de votre honneur et de vos intérêts. Nous requérons instamment et prions Votre Sérénité d'avoir auprès de vous, lors de l'arrivée de ces cardinaux, c'est-à-dire, avec la grâce de Dieu, dans trois semaines environ à partir de la date de la présente, votre conseil secret avec lequel vous puissiez délibérer sans retard sur ce que lesdits cardinaux proposeront à Votre Altesse de notre part; il est a souhaiter, en effet, que par suite de l'absence de votre conseil, nos cardinaux dont la présence nous est nécessaire ne soient pas forcés de faire en France un trop long séjour dont souffriraient les affaires en question et d'autres qui exigent une prompte solution. »
    « Nous voulons que Votre Excellence Royale n'ignore pas que depuis notre dernière lettre une cruelle maladie nous a fait sentir son aiguillon et nous a presque conduits aux portes de la mort ; mais, avec l'aide de la bonté divine, nous sommes maintenant, à ce qu'il nous semble et à ce que disent nos médecins, délivrés de tout mal et revenus en bonne santé. Toutefois nous sommes accablés d'une telle faiblesse que nous ne pourrions l'exprimer ni par parole, ni par écrit (18). Quant au projet d'entrevue que Votre Excellence a fait proposer dans une lettre que nous a remise maître Ami, votre clerc, nous avons chargé nos cardinaux d'y répondre de vive voix.
    Donné à Pessac, près de Bordeaux, les nones de novembre, année première de notre pontificat (5 novembre 1306) » (19).

    La fin de l'année 1306 fut laborieuse pour le Pontife. Philippe demandait toujours; rien ne coûtait à son indiscrétion. Il avait résolu de marier son fils Philippe à Jeanne de Bourgogne ; les deux futurs époux étaient proches parents, il fallait une dispense. Lors de son séjour à Lyon, à l'époque du couronnement, le roi avait obtenu une dispense générale pour que ses enfants pussent contracter, dans certaines limites, des unions défendues par l'Eglise : cette dispense ne semblant pas suffisante, il en demanda une spéciale, objectant que ce mariage paraissait à beaucoup scandaleux, parce que l'on croyait, bien à tort, car le fait était faux, que Jeanne avait été fiancée à Louis, fils aîné de Philippe. Le Pape fit ce que le roi voulait, l'assurant de son entière bienveillance et l'appelant son fils chéri, mais il profita de l'occasion pour lui signifier ce que sa conduite avait d'étrange à ses yeux sur certains points, notamment au sujets de son différend avec le roi d'Angleterre, différend qui était à la veille d'être terminé, mais qui subsistait par la faute de Philippe, qui voulait conserver sous sa main le château de Mauléon, malgré les réclamations fondées d'Edouard (lettre du 7 des ides, 7 janvier 1307). Clément avait beaucoup travaillé à ramener la concorde entre ces deux rois qui lui étaient chers ; sa correspondance garde de nombreuses traces de cette préoccupation, mais Philippe était intraitable; il fallut la mort du vieil Edouard et le mariage de son fils avec la fille de Philippe pour ûter toute crainte de guerre entre la France et l'Angleterre.

    Clément étant en veine de franchise dans sa lettre du 7 janvier 1307, se permit de donner, bien doucement, bien paternellement, de bons avis au roi de France. Il exigea que s'il employait les lettres particulières de dispense qu'il avait obtenues pour son fils Philippe, il renvoyât au Pape les lettres des dispenses générales pour les fils de France, accordées à Lyon. Il l'invitait en outre à user avec la plus grande discrétion de dispenses que lui Pape lui avait octroyées si généreusement conclure la paix ou procurer un avantage à la chrétienté. « Qu'il craigne en abusant de s'attirer la colère du Roi des rois ! » (20).

    Philippe le Bel ne se conduisait pas toujours royalement; il se plaisait à employer des agents qui, d'après les idées du temps, semblaient indignes de la majesté souveraine; devançant en cela Louis XI, qui aimait à confier des missions importantes à de petites gens. Clément lui en fit des reproches :
    « Nous ne voulons point passer sous silence que nous n'avons pouvoirs sans étonnement la condition du messager qui nous a apporté votre lettre. En apprenant, en effet, que ce messager est de petit état, et que même il était venu vers nous en prêchant sur sa route, nous avons admiré votre circonspection royale qui a confié à un tel envoyé des lettres d'une si grande importance ; nous avons songé aux périls qu'il a dû affronter dans un si long voyage par les chemins et en traversant les rivières, et nous signifions à Votre Magnificence royale d'avoir soin désormais de nous envoyer des messagers en raison de l'importance des affaires pour lesquelles ils viendront à nous » (21).

    Mais, hélas, cette fermeté, qui du reste ne portait que sur des questions de formes, ne dura pas, ou plutût elle fut ébranlée et vaincue par l'incroyable insistance du roi de France ! Nous avons vu que Philippe le Bel sollicita une entrevue avec le Pape ; les cardinaux des saints Nérée et Achillée et de Saint-Cyr furent chargés de cette négociation. Philippe proposait pour lieu de la rencontre deux villes, Tours et Poitiers, et pour époque le milieu d'avril, ou le 1er mai 1307. Les cardinaux qui entouraient le Pape préféraient Toulouse.
    « Bien que ce dernier endroit, écrivait Clément à Philippe, nous eût été commode et agréable pour plusieurs motifs, notamment à cause de notre faiblesse corporelle au sortir d'une longue maladie dont nous sommes tirés par la grâce de Dieu, mais dont les suites nous causent de nombreuses incommodités, par déférence pour vous, nous avons choisi Poitiers. Nos médecins sont unanimes à déclarer qu'au changement de la saison nous aurions besoin de prendre une médecine : pour cela il faut un temps doux, comme le début de mai ; en conséquence il nous a paru que si notre entrevue commençait dès le milieu d'avril, certaines affaires que nous avons à traiter ne pourraient être conduites à bonne fin avant le commencement de mai, époque que nos médecins nous ont fixée pour prendre médecine. Nous trouvons à cela deux difficultés : avoir une entrevue avec vous, ce qui est notre ferme intention, et prendre médecine dans le temps que les médecins nous ont fixé, ce que nous ne pouvons négliger sans de graves préjudices pour notre santé. Ce dernier inconvénient nous croyons que vous désirez l'éviter, car votre amitié doit vous faire prendre part à nos souffrances. Aussi avons-nous choisi le commencement d'avril, nous nous trouverons alors à Poitiers » (22).

    Philippe demanda que l'on préférât Tours, alléguant les raisons suivantes :
    « Bien qu'il eût été décidé, écrivait-il à Clément V, de nous voir à Poitiers, cependant, en tenant compte du nombre de notre suite et de la vûtre, de celle des cardinaux et des personnes de la cour, il y aura au lieu de notre entrevue un tel concours de grands et de peuple, qu'il faut une ville assez vaste pour recevoir une si grande foule. Tours, voisin de Poitiers, ainsi que vous le savez, me paraît à cet égard devoir obtenir la préférence. On trouve, en effet, là et aux environs, des rivières qui permettent un approvisionnement facile, de nombreuses habitations, la proximité de villes importantes, l'abondance des vivres et de tout ce qui sert à la vie, la douceur et la politesse des habitants, et ce qui est pour nous une raison déterminante, la pureté et la clémence de l'air que pourra respirer, avec la faveur divine, votre Vénérable Personne, affligée, hélas ! Depuis longtemps, de différents maux et où elle pourra puiser de nouvelles forces. Nous avons à quelque distance de la ville un château qui domine la Loire et qui paraît très-propre à vous servir de résidence, et de notre logis nous pourrons nous y rendre librement et secrètement. » (23)

    Cela était bien engageant, trop engageant même pour ne pas exciter de défiance. Cette perspective d'entretien mystérieux que le roi ouvrait au Pape pouvait donner à réfléchir (24) ; aussi Clément tint bon. On ne comprend pas trop quel motif guidait Philippe pour préférer Tours à Poitiers ; peut-être espérait-il avoir, dans la première de ces villes, plus d'action sur le Pape. Ce qui porterait aie croire, c'est ce qui se passa en 1308, et que nous raconterons plus loin. A. ces nouvelles instances Clément n'opposa qu'une réponse : le soin de sa santé ; il déclara qu'il tenait de source certaine que le climat de Tours était insalubre, qu'il devait prendre médecine à l'époque fixée par son médecin. En conséquence, il signifiait au roi qu'il se rendrait à Poitiers dans les premiers jours d'avril (25) (lettre du 17 février 1307). Que dire de l'insalubrité du climat de Tours !

    Philippe ne se tint pas pour battu, il proposa de nouveau au Pape d'aller ailleurs qu'à Poitiers : Clément résista. Le jour de l'entrevue approchait; il invoque qu'il avait fait, ainsi que les cardinaux, de grands frais d'approvisionnement à Poitiers, qu'il ne pouvait changer le lieu du rendez-vous sans procurer à lui-même et auxdits cardinaux de notables dommages. Il terminait ainsi : « Que Votre Magnificence nous excuse et ne tarde pas à se rendre à Poitiers au temps fixé. » (Lettre du 10 mars 1307) (26).

    Enfin Clément se mit en route, mais arrivé au monastère de Baigne, en Saintonge, il tomba malade : les médecins jugèrent urgent de le saigner. Il prévint donc le roi qu'il éprouverait un retard et n'arriverait à Poitiers que le 7 ou le 8 avril (27).

    L'entrevue si désirée eut lieu. Que s'y passa-t-il ?
    Si nous consultons un chroniqueur contemporain, le premier continuateur de Guillaume de Nangis, on y traita de graves questions, et on y décida, entre autres, l'arrestation des Templiers (28).

    Le même chroniqueur ajoute, ce qui est confirmé par d'autres témoignages, que le Pape manda à Poitiers les grands maîtres du Temple et de Saint-Jean-de-Jérusalem. Il s'agissait, en effet, dans l'entrevue de Poitiers, d'organiser une nouvelle croisade : le Pape, les cardinaux et le roi devaient examiner les moyens les plus propres à rendre fructueuse une expédition en Terre sainte. Que dans l'entrevue de Poitiers Philippe ait parlé au Pape des crimes des Templiers, cela est certain, nous en avons la preuve dans une lettre de Clément du 24 août 1307 :
    « Nous croyons que vous n'avez pas oublié qu'à Lyon et à Poitiers, enflammé du zèle de la foi, vous nous ayez plusieurs fois entretenu soit directement, soit par des intermédiaires, des Templiers. Vous nous avez fait à ce sujet une communication par le prieur du Moutier-Neuf de Poissy. Quoique nous ne pouvions nous décider à croire ce qui nous était dit, tant cela nous paraissait incroyable et impossible, toutefois comme nous avions entendu depuis plusieurs choses, nous sommes forcés de douter et de procéder à cette matière suivant le conseil de nos frères, non sans une grande amertume, une grande anxiété et un grand trouble de coeur. Mais attendu que le maître du Temple et plusieurs précepteurs du même ordre, tant de votre royaume que d'autres contrées, ayant appris la mauvaise opinion que vous aviez manifestée sur eux à nous et à quelques autres princes, nous ont demandé, non une fois, mais plusieurs fois, instamment, de faire une enquête sur les crimes qui leur étaient, disaient-ils, faussement attribués, de les absoudre s'ils étaient innocents et de les condamner s'ils étaient coupables, ce qu'ils ne croyaient point. Quant à nous, pour ne rien négliger en matière de foi, et tenant grand compte de ce que vous nous aviez souvent dit à leur égard, à la requête du maître et des Templiers, nous avons résolu, de l'avis des cardinaux, de revenir à Poitiers vendredi prochain et de commencer une enquête ou de procéder autrement, ainsi que nos frères le trouveront plus utile. Nous vous mandons ce que nous avons résolu et nous ferons savoir à Votre Magnificence ce que nous ferons à l'avenir à ce sujet, priant dans le Seigneur Votre Sérénité d'avoir soin de nous faire promptement connaître par lettre ou par messager votre avis, ainsi que les informations que vous avez pu recevoir et tout ce que votre prudence jugera à propos de faire. » (29)

    En plaçant cette lettre à l'an 1305, Baluze l'a rendue inintelligible. Elle est d'une importance capitale; elle prouve que, contrairement à l'opinion reçue, l'arrestation des Templiers ne fut pas décidée dans l'entrevue de Poitiers, mais qu'à la fin d'août le Pape résolut de faire, à la demande des Templiers, une enquête sur les griefs qu'on leur imputait, sans se hâter.

    « Comme vous nous avez écrit avant-hier votre intention de nous envoyer vers la fête de l'Assomption quelques personnes au sujet de ce que Geoffroy du Plessis, notre notaire, et Guillaume de Planon, votre chevalier, ont rapporté à Votre Altesse, nous voulons que Votre Sérénité sache que d'après le conseil de nos médecins nous nous disposons à prendre quelques potions préparatoires, puis de nous purger vers le commencement de septembre, ce qui, au jugement des dits médecins, avec l'aide de Dieu, nous sera fort utile. Aussi ne faut-il pas vous presser de nous adresser vos envoyés ; vous pouvez le faire utilement vers le milieu d'octobre. Alors, avec la permission du Très-Haut, nous nous occuperons uniquement de vos affaires, en laissant toutes les autres de cûté. »

     

    III

    Les choses en étaient là quand, le 13 octobre, tous les Templiers de France furent arrêtés, le matin à la même heure, par ordre du roi. Rien ne faisait présager une pareille violence, car la veille même, le grand maître, Jacques de Molay, avait, en présence du roi, assisté aux obsèques de la comtesse de Valois et avait été admis à l'honneur de porter le cercueil avec d'autres princes.

    La résolution d'arrêter les Templiers fut prise à l'abbaye royale de Maubuisson ; tous les conseillers de Philippe le Bel ne furent pas de cet avis, entre autres le garde des sceaux, Gille Aiscelin, archevêque de Narbonne, qui résigna ses fonctions, dont fut investi l'âme damnée du roi, l'adversaire implacable de Boniface VIII, Guillaume de Nogaret. Cette révolution du Palais nous est connue par la note suivante placée en tête d'un registre de la chancellerie de France, actuellement conservé au Trésor des chartes : « Anno Domini MCCCVII, die veneris post festum B. Mathie apostoli (23 septembre), Rege existente in monasterio regali B. Marie juxta Pontisaram, traditum fuit sigillum domino G. de Nogareto, militi, ubi tunc tractatum fuit de capeione Templariorum » (30)

    Cette note dit que le 23 septembre, on traita de l'arrestation des Templiers ; il ne faut pas en inférer que ce fut pour la première fois : on a la preuve du contraire par la date des lettres portant l'ordre de captivité, qui sont aussi du 14; mais on peut conjecturer que dans la séance du 23, Gille Aiscelin ayant refusé de sceller ces lettres, fut remplacé par Nogaret.

    Le continuateur de Nangis, dans le passage cité plus haut, déclare que Clément V et Philippe convinrent, dans l'entrevue de Poitiers, de mettre les chevaliers du Temple en prison. Si on consulte la circulaire qui accompagne l'ordre d'arrestation et dont lecture fut donnée au peuple, la puissance ecclésiastique et le pouvoir temporel auraient été d'accord sur ce point. Avant d'aller plus loin, prenons connaissance de ce manifeste dans lequel la royauté faisait appel à l'opinion publique :
    « Une chose amère, une chose déplorable, une chose horrible à penser, terrible à entendre, détestable de crime, exécrable de scélératesse, abominable d'exécution, détestable de forfait, une chose entièrement inhumaine et étrangère à l'humanité avait déjà, sur le rapport de plusieurs personnes dignes de foi, retenti à nos oreilles, non sans nous plonger dans une profonde stupeur, et sans nous faire frémir d'une violente horreur. Après avoir pesé la gravité de ce bruit, une douleur cruelle et immense se développa en nous, en présence de crimes si nombreux et si atroces qui aboutissent à l'offense de la majesté divine, au détriment de la foi catholique et de toute la chrétienté, à l'opprobre de l'humanité, à la contagion du mauvais exemple et au scandale de tous. L'esprit de raison souffre de voir des hommes s'exiler au delà des limites de la nature ; il est troublé de voir une race oublieuse du principe de sa propre condition, ignorante de sa dignité, prodigue de soi-même et livrée au sens réprouvé, ne pas comprendre où est l'honneur »
    « Elle est comparable aux animaux dépourvus de raison. Que dis-je, dépassant par son effroyable bestialité le manque de raison de ces animaux, elle s'expose à la somme de tous les crimes, que repousse et fuit la sensualité des bêtes sans raison; elle a abandonné Dieu son auteur, elle s'est retirée de Dieu son sauveur, elle a délaissé Dieu qu'il l'a engendrée, elle a oublié Dieu le seigneur son créateur, elle a sacrifié au démon et non à Dieu, cette race sans bon sens et sans prudence. Plût au ciel qu'elle eût quelque sens, quelque intelligence, quelque prévoyance ! »
    « Naguère déjà il parvint à notre connaissance, par la relation de personnes dignes de foi, que les frères de l'ordre de la milice du Temple, cachant le loup sous l'apparence de l'agneau, et sous l'habit religieux insultant à la religion de notre foi, s'attaquant à notre Seigneur Jésus-Christ qui a été crucifié pour la rédemption du genre humain, lui font subir des outrages plus cruels que ceux qu'il a soufferts sur la croix et le crucifient de nouveau. En effet, quand ils entrent dans l'ordre et font leur profession, on leur présente un crucifix, et par un malheureux, que dis-je, un misérable aveuglement, ils le renient trois fois, et cédant à une horrible crédulité, lui crachent trois fois à la face. Puis, dépouillant les vêtements qu'ils portaient dans le siècle et s'offrant nus à leur visiteur ou son remplaçant, chargé de procéder à leur réception, ils sont, conformément aux rites profanes de leur ordre et au mépris de la dignité humaine, baisés par lui trois fois, une fois au bas de l'épine du dos, ensuite sur le nombril, et enfin sur la bouche. Et après avoir offensé la loi divine par de si abominables attentats et par de si détestables pratiques, ils ne craignent pas d'offenser la loi humaine en s'obligeant par le voeu de leur profession de se livrer entre eux à d'horribles et effroyables désordres. La colère de Dieu ne peut manquer de s'abattre sur ces fils d'incrédulité. »
    « Elle a abandonné la fontaine de l'eau de vie, elle a changé sa gloire en l'adoration du veau, elle a sacrifié aux idoles, cette race immonde et perfide, race insensée et livrée au culte des idoles, elle dont les actes et les oeuvres détestables et même les paroles souillent la terre de leur ordure, suppriment les bienfaits de la rosée, infectent la pureté de l'air et couvrent notre foi de confusion. Nous avons d'abord attribué ces révélations et ces dénonciations plutût à l'envie, à la haine et à la cupidité, qu'à la ferveur de la foi, au zèle de la justice, ou à un sentiment de charité, et nous ne pouvions nous décider à y ajouter créance; mais les dénonciations et les dénonciateurs se multiplièrent, les mauvais bruits prirent de la consistance ; mais des présomptions graves, des motifs de croire légitimes et des conjectures probables nous inspirèrent de violents soupçons et nous portèrent à faire une enquête pour découvrir la vérité à cet égard. Après avoir consulté notre très-saint Père en Dieu, Clément, par la grâce divine, souverain pontife de la très-sainte Eglise romaine et universelle, et après avoir délibéré avec nos prélats et avec nos barons, nous avons avisé à prendre les moyens de faire une enquête utile et de suivre les voies efficaces qui pouvaient nous amener à voir plus clair en cette affaire. Nous avons creusé plus amplement et plus profondément jusqu'au fondement des choses. Nous avons constaté les plus grandes abominations. Aussi, nous qui avons été établi par Dieu comme une sentinelle sur le poste élevé de l'éminence royale, pour la défense de la foi et de la liberté de l'Eglise, et qui désirons par-dessus tout l'accroissement de la foi catholique, vu l'expresse diligence faite par notre bien-aimé en Jésus-Christ frère Guillaume de Paris, délégué par le Siège apostolique comme inquisiteur de l'hérésie à propos des crimes imputés par la voix publique; tenant compte aussi des diverses présomptions, inductions légitimes et conjectures probables contre lesdits ennemis de Dieu, de la foi et de la nature, et les contempteurs du pacte humain ; acquiesçant aux justes supplications dudit inquisiteur, qui a invoqué le secours de notre bras, bien que certains des inculpés puissent être innocents et d'autres coupables; considérant la gravité de l'affaire et la difficulté de trouver autrement la vérité ; considérant aussi que de violents soupçons s'élèvent contre tous et que, s'il en est d'innocents, de même que la fournaise dénote la pureté de l'or, de même l'examen et le jugement prouveront leur innocence ; après en avoir mûrement délibéré avec les prélats, les barons de notre royaume et nos autres conseillers, ainsi qu'il a été dit plus haut, nous avons ordonné que chacun des membres de cet ordre soit arrêté dans notre royaume sans aucune exception, tenu captif et soumis au jugement de l'Eglise, que tous ses biens meubles et immeubles soient saisis et fidèlement tenus sous notre main. A ces causes, nous vous commettons et vous mandons par un ordre étroit de vous transporter tous deux ou l'un de vous dans le bailliage de…, d'y arrêter tous les frères sans exception, de les tenir prisonniers, pour les présenter au jugement de l'Eglise, de saisir leurs biens meubles et immeubles, et de les garder sous notre main sans les consommer ou les détruire, conformément à l'ordonnance et à l'instruction que nous vous envoyons sous notre contre-sel, et cela jusqu'à ce que nous vous en ordonnions autrement. Et nous enjoignons à nos féaux, à nos justiciers et à nos sujets, par la teneur des présentes, qu'ils vous obéissent et donnent aide pour raison de chacune des choses susdites et pour tout ce qui y touche. »
    « Donné dans la royale abbaye de Notre-Dame, près Pontoise, jour de la fête de l'Exaltation de la sainte Croix, l'an du Seigneur 1307. »

    Nous avons trouvé le texte des instructions remises par le roi aux commissaires chargés d'arrêter les Templiers; on voit, en les lisant, que les précautions avaient été prises pour assurer la réussite de cet acte audacieux.

     

    C'est la fourme comment li commissaires iront avant en la besoingne

    « Premierement quant il seront venu et auront la chose révélée au seneschaux et au baillis, il s'enfourmeront secrètement de toutes leur meisons et pourra l'en à cautele se mestier est, en querre aussi des autres meisons de religion et faindre que ce soit par occasion du désime ou pour autre coulour.
    « Après ce, cil qui sera envoyez avec le seneschal ou baillif à jour assené bien matin selon le nombre des meisons et des granches, esliront preudommes puissans du païs, sans soupechon, ou eschevins conseliers et seront enfourmé de la besoingne par serment, et secrètement et comment li roys est de ceu enfourmés par le pape et par l'Eglise, et tantût il seront envoié en chascun lieu pour prendre les personnes et saisir les biens et ordonner de la garde; et se prendront garde que les vingnes et les terres soient cultivées et semées convenablement et commettront la garde des biens à bonnes personnes et riches du païs, avec les mesnies qui seront trouvées es meisons et eus presens il feront celui jour inventaire en cescun lieu de touz les moebles et les seeleront, et iront si efforciement que li frère et leur mesnie ne puissent contrester, et auront serjant avec eus pour eus fere obéir. »
    « Après ce il metront les persones souz le boenne et seure garde singulièrement et cescun par soi, et enquerreront de eus premièrement et puis apeleront les commissaires de l'inquisiteur et examineront diligenment la vérité par gehine se mestier est, et si il confessent la vérité ils escriuiront leur déposicions tesmoings apelés. »

     

    C'est la manière de l'enquerre

    « L'en les ainortera des articles de la foi et dira comment li pape et li roys sont enfourmé par plusieurs tesmoinz bien créables de l'ordre de l'erreur et de la b... que il font espéciaument en leur entrée et en leur profession, et leur prometeront pardon se il confesse vérité en retornant à la foi de sainte Eglise, ou aultrement que il soient à mort condempné. »
    « L'en leur demandera par serement diligenment et sagement comment il furent receu et quel veu ou promesse il firent, et leur demanderont par generau paroles Jusqu'à tant que l'en tire de eus la vérité et que il persévèrent dans celle vérité » (31).

     

    IV

    Philippe annonçait dans sa circulaire qu'il avait traitée avec le Pape de l'affaire des Templiers. Les termes dont il se servait étaient ambigus, il n'affirmait pas un accord parfait, mais il donnait à entendre qu'il avait obtenu son assentiment. La lettre de Clément V, en date du 24 août, prouve que le Souverain Pontife était ébranlé dans la bonne opinion qu'il avait eue jusqu'alors du Temple, mais il déclarait vouloir procéder à une enquête. Depuis, malgré les prières du roi, il n'avait fait aucune concession. Il apprit par le bruit public la captivité des Templiers : il éprouva une douleur mêlée d'indignation, et fit part de ses sentiments au roi dans une lettre que nous publions pour la première fois, car Baluze l'a entièrement omise, trahissant ainsi les droits de la vérité et de l'histoire :
    « Nous reconnaissons, très-cher fils, à la gloire de la sagesse et de la mansuétude de vos ancêtres, qu'élevés dans l'amour de la foi, le zèle de la charité et dans les sciences ecclésiastiques, semblables à des astres brillants, pleins de respect jusqu'à ce jour pour l'Eglise romaine, ils ont toujours reconnu qu'il fallait soumettre tout ce qui concerne la foi à l'examen de cette Eglise dont le pasteur, savoir le premier pape, a reçu de la bouche du Seigneur ce commandement : « Paissez mes brebis » ; ce siège, véritablement le chef, la reine et la maîtresse de toutes les églises, le Fils de Dieu lui-même, l'Epoux de l'Eglise, l'a voulu, établi et ordonné ; les règles des Pères et les statuts des princes le confirment. En effet, les princes romains, aux temps où la barque de Pierre flottait environnée de périls, au milieu des diverses sectes d'hérésie et des tempêtes des hérétiques, bien que l'ardeur de la foi et la dévotion de leur âme les fît briller d'une plus pure lumière, cependant après de nombreuses et diverses constitutions faites à ce sujet, ils ne voulurent retenir à leur tribunal rien de ce qui concerne la foi ou qui pourrait atteindre les ecclésiastiques et les personnes religieuses, mais en abandonnèrent la connaissance au jugement de l'Eglise, reconnaissant à la requête de l'Eglise et pour lui témoigner leur respect que les causes et les personnes susdites n'étaient point de leur compétence.
    « Mais vous, très-cher fils, ce que nous disons avec douleur, au mépris de toute règle, pendant que nous étions non loin de vous, vous avez étendu votre main sur les personnes et les biens des Templiers ; vous avez été jusqu'à les mettre en prison, et, ce qui est le comble de la douleur, vous ne les avez pas encore relâchés, mais même, à ce que l'on dit, allant plus loin, vous avez ajouté à l'affliction de la captivité une autre affliction que, par pudeur pour l'Eglise et pour nous, nous croyons à propos de passer actuellement sous silence. Voilà ce qui nous plonge, illustre prince, dans un pénible étonnement, car vous avez toujours trouvé auprès de nous plus de bienveillance qu'auprès des autres pontifes romains qui ont été de votre temps à la tête de l'Eglise; nous avons été toujours attentif à pourvoir à votre honneur, dans votre royaume. Pour l'utilité de vous, de votre royaume et de toute la chrétienté, nous séjournions dans une ville peu éloignée; nous avions signifié à Votre Sérénité, par nos lettres, que nous avions pris en main cette affaire et que nous voulions rechercher diligemment la vérité. Dans la même lettre, nous vous priions d'avoir soin de nous communiquer ce que vous aviez découvert à ce sujet, vous promettant de vous transmettre ce que nous découvririons nous-même ; malgré cela, vous avez commis ces attentats sur la personne et les biens de gens qui sont soumis immédiatement à nous et à l'Eglise romaine. Dans ce procédé précipité, tous remarquent, et non sans cause raisonnable, un outrageant mépris de nous et de l'Eglise romaine.
    « Pour ne pas rendre cette lettre trop longue, je passerai, pour le moment, sous silence d'autres sujets bien connus de surprise et de douleur que nous ordonnons vous être expliqués par nos fils bien-aimés les cardinaux prêtres Bérenger du titre des saints Nérée et Achillée, et Etienne du titre de Saint-Cyr « in Terminis. » Nous ne voulons pas laisser ignorer à votre circonspection que nous désirons ardemment et de toutes nos forces purger entièrement le jardin de l'Eglise des mauvaises herbes, ainsi qu'il conviendra, de telle sorte que ni maintenant, ni plus tard, il reste, ce que Dieu éloigne, une étincelle de l'infection qui puisse amener une rechute.
    « Et parce que, très-cher fils, il ne nous est pas permis de douter que plutût aujourd'hui que demain, dès que nos envoyés seront auprès de vous, prêts à recevoir, en votre nom, de notre main, les personnes et les biens des Templiers, vous vous empresserez de les remettre pour que cela se fasse le plus promptement, le plus sûrement et le plus honorablement qu'il se pourra, nous avons résolu d'envoyer vers Votre Altesse lesdits cardinaux que nous savons vous être attachés non légèrement, mais unis intimement par les liens de l'amour et du dévouement, ce qui fait que nous n'avons pas moins confiance en eux, mais que nous les aimons plus chèrement. Ajoutez une foi entière à tout ce qu'ils vous diront de notre part : écoutez favorablement et exaucez efficacement leurs avertissements et leurs paroles, tellement que cela tourne à l'honneur de Dieu et de l'Eglise romaine, et que vous méritiez d'en avoir de la louange auprès dé Dieu et des hommes.
    « Donné à Poitiers, le 6 des calendes de novembre (27 octobre), année IIe de notre pontificat. »

    Cette lettre est éloquente et significative : nous n'avons pas besoin d'insister. Il est désormais hors de doute que c'est sans l'aveu et à l'insu du Saint-Siège que Philippe le Bel fit jeter en prison les chevaliers du Temple.

    C'était là un grave attentat, une infraction à toutes les lois constitutives de la société du moyen âge, qui voulaient que l'Eglise seule eût la juridiction sur ses membres. Mais Philippe était profondément habile ; il avait pris toutes ses précautions pour se mettre à l'abri de poursuites personnelles. Un fait qui n'a pas été assez remarqué et dont l'importance est capitale, c'est le rûle que joua l'inquisition. Les dominicains étaient, à la fin du XIIIe siècle, presque exclusivement chargés de rechercher et de punir les hérétiques; les évêques avaient aussi ce droit, qui constituait même pour eux un devoir, celui de veiller à la pureté de la foi dans leur diocèse, mais les prélats avaient besoin d'être stimulés dans leur zèle par des hommes ardents ; les dominicains furent officiellement investis par le Saint-Siège de ce soin. Le confesseur de Philippe le Bel, Guillaume de Paris, était, en vertu du pouvoir apostolique, inquisiteur général du royaume, et dirigeait les pères de son ordre qui, dans chaque province, avaient pour mission de punir l'hérésie. Guillaume de Paris se fit l'agent de Philippe le Bel.

    Il mit l'inquisition au service du roi : il ordonna aux différents inquisiteurs du royaume de poursuivre les Templiers ; mais ici il faut faire une distinction importante. Le Pape seul avait droit de mettre en cause l'ordre entier, aussi les inquisiteurs firent-ils le procès à chaque Templier individuellement; de cette façon, il n'y avait rien d'illégal, du moins en apparence. Le roi n'intervenait qu'à la prière de l'inquisiteur général qui le supplia de mettre le bras séculier à la disposition de l'Eglise.
    Nous avons copié ce texte sur la bulle originale conservée au Trésor des Chartes, J. 416, n° 2.
    La copie faite par Pierre d'Estampes, Ms. 10919, page 50, est très-fautive : la date est erronée, car il y a anno primo, au lieu de anno secundo.
    Cela était une détestable hypocrisie ; mais il y avait stricte légalité de la part du roi. Mais comment ne pas faire retomber la honte sur la tête des inquisiteurs qui avaient prostitué à des passions humaines leur redoutable ministère et s'étaient faits les complices de Philippe le Bel ?
    Clément V ne put tolérer cette indigne comédie. Ils avaient abusé de leurs droits, ils avaient oublié leurs devoirs, il les frappa comme indignes, il suspendit le pouvoir des inquisiteurs en France et évoqua l'affaire à sa personne.

    Les courtisans prétendaient que Philippe avait agi avec l'autorisation du Pape. Clément V, instruit de ces bruits, résolut d'y mettre fin, et se plaignit au roi, qui manifesta son étonnement et son indignation ; le Pape affecta de croire aux bonnes paroles dont Philippe était prodigue, tout en persistant dans sa ligne de conduite, c'est-à-dire en ne faisant qu'à sa volonté.
    « Nous avons reçu avec joie les lettres de Votre Grandeur Royale, contenant en outre que vous aviez appris avec surprise que quelques personnes de votre cour avaient écrit à certains des nûtres que nous vous avions entièrement remis l'affaire des Templiers, tant ce qui touche les personnes que ce qui concerne les biens, en vertu de lettres apostoliques qui vous auraient été apportées par Geoffroi du Plessis, notre notaire; nous nous serions déchargé de ce soin et en aurions chargé votre conscience. Autorisé par ces lettres et en vertu des instructions qu'elles renfermaient, ledit notaire vous aurait enjoint de procéder généralement à l'arrestation des Templiers et à la saisie de leurs biens. Cela nous a fort étonné et vous avez voulu qu'on sût et tînt pour certain que ledit notaire ne vous avait apporté aucune lettre de créance, ni patente, ni clause, ni lettre apostolique relative à l'affaire des Templiers, et qu'il ne vous avait pas tenu de notre partie langage qu'on lui prêtait, mais qu'il vous avait transmis d'autres vues concernant cet objet. Quant à l'affaire des Templiers, vous en avez pris l'initiative pour l'exaltation de la foi et la conservation de la liberté de l'Eglise, en déclarant vouloir, à l'exemple de vos prédécesseurs, conserver cette liberté intacte, et en vous défendant d'y porter atteinte et de la diminuer : loin de là votre intention était d'y veiller, dans lès circonstances présentes, plus ardemment, à cause de la présence, de la révérence et de l'honneur de notre personne ; car en cette affaire vous ne cherchiez que la gloire de Dieu et de son divin nom, l'exaltation de la foi catholique, votre honneur et celui de notre sainte mère l'Eglise, et l'avantage de la Terre sainte. Considérant ce qui précède, nous nous réjouissons dans le Seigneur et nous exultons grandement des nombreux témoignages d'affection que vous nous offrez et du but louable que vous poursuivez. (Il terminait en le priant de faire bon accueil aux cardinaux des saints Nérée et Achillée et de Saint-Cyr qu'il lui envoyait.) Poitiers, 1er décembre 1307. »

    Les envoyés de Clément reçurent le plus cordial accueil : Philippe les accabla de protestations de dévouement au Saint-Siège. Ils demandèrent qu'on remît entre leurs mains, comme mandataires du Pape et de l'Eglise, les Templiers qui avaient été arrêtés et qui étaient détenus dans les prisons royales, ainsi que leurs biens qui avaient été saisis et placés par lui sous le séquestre : Philippe promit de remettre les Templiers et s'engagea à garder fidèlement leurs biens pour les consacrer à secourir la Terre sainte ; afin d'éviter toute apparence de confiscation à son profit, il nomma des administrateurs particuliers autres que des officiers royaux. Mais son intention était de ne pas lâcher sa proie. Il écrivit à tous les princes de l'Europe, les priant de l'imiter et d'arrêter les Templiers ; il affectait un grand zèle pour la Terre sainte et pour l'honneur de l'Eglise ; mais il trouvait une grande opposition à ses desseins dans Clément V. Le Pape voulait éviter un scandale. Philippe prit le parti de lui faire peur, et eut recours aux armes les plus détestables. H employa un pamphlétaire de profession, Pierre Dubois, qui lui avait déjà mis sa plume à son service lors de son différend avec Boniface VIII. Dubois n'était pas vénal, c'était un homme convaincu dont Philippe se servait habilement. Il voulait réformer la société, la séculariser, et, dès 1306, il avait proposé au roi d'Angleterre, comme moyen d'assurer les conquêtes des chrétiens en Orient, la suppression des ordres du Temple et de Saint-Jean de Jérusalem. L'occasion était bonne pour développer cette doctrine. Aussi Dubois remit-il à Philippe un mémoire destiné au Pape, où étaient exposées avec force les raisons qui militaient en faveur de la suppression du Temple.

    Dans sa correspondance avec Clément, Philippe affectait un grand zèle religieux, il prétendait n'avoir sévi contre les Templiers que par amour de l'Eglise ; Dubois se mit sur ce terrain, et présenta le roi comme le ministre de Dieu, le champion de la foi chrétienne, le zélateur de la loi divine. C'est en cette qualité que le roi, par l'organe de Dubois, demandait que les Templiers fussent poursuivis activement, et réclamait qu'on prît trois mesures :
    Les évêques procéderont contre les Templiers de leur diocèse;
    Le Pape rendra aux inquisiteurs les pouvoirs dont il les avait privés;
    L'ordre du Temple, qui est moins un ordre qu'une secte condamnée, sera supprimé par voie de provision apostolique.

    A ces demandes du roi, le Pape, dit Dubois, refusait de répondre sans donner de raisons. Il insinuait que si le pouvoir ecclésiastique restait inactif, la puissance séculière avait le droit et le devoir d'agir pour la défense de l'Eglise. « Qui peut, en effet, frapper et blesser Notre Seigneur Jésus-Christ, qui est notre chef, sans nuire au corps entier ?
    Si la main droite, qui est le bras ecclésiastique, ne vient pas au secours de ce corps sacré, est-ce que le bras gauche, c'est-à-dire la puissance temporelle, ne se lèvera pas pour aller à son secours ?
    Si les deux bras font défaut, c'est aux autres membres, c'est-à-dire au peuple, de se lever pour le défendre. »

    Ce mémoire fut-il remis à Clément V par ordre de Philippe le Bel ?
    Cela est très-probable; en effet, on conserve au Trésor des Chartes de la couronne un exemplaire de cet opuscule, avec cette mention : Quadam proposita pape à rege super facto Templariorum. Clément restait inerte.

    Eu même temps, on cherchait à agir sur l'opinion publique, et Dubois composa, sous forme de requête du peuple de France au roi, un factum rédigé en français, où la personne du Pape était désignée à l'animadversion publique.

    Je cite le début de cet opuscule, sans en modifier le texte ; je ramène seulement l'orthographe aux formes modernes, et je remplace quelques formes vieillies ; le lecteur aura ainsi une idée de ce qu'était un pamphlet au commencement du XIIe siècle.

    « Le peuple du royaume de France, qui tous jours a été et sera par la grâce de Dieu dévot et obéissant à sainte Eglise plus que nul autre, requiert que leur sire, le roi de France, qui peut avoir accès à notre père le Pape, lui montre que il les a trop fortement courroucés et grand esclandre commis contre eux pour ce que il ne fait semblant, fors de parole de faire punir, non par la b.... des Templiers, mais la renommée aperte par leurs confessions faites devant son inquisiteur et devant tant de prélats et d'autres bonnes gens que nul homme qui en Dieu crut, ne devrait ce rappeler en doute ne en tel fait notoire guerre, garder ni demander ordre ni droit, si comme les Décrétales le disent expressément. C'est pourquoi le peuple ne sait penser raison de ce délai ni de telle perversion de droit, fort que ils cuident que ce soit vrai [ce] que l'on dit communément que grandement d'or donné et promis leur nuit, ou ce que eux ne promettent rien ni ne donnent pour droit faire. Et sont mus ceux-ci de la renommée commune par le décret qui contient ces paroles : Pauper dum non habet quid offerat, non solum audiri contempnitur, imo etiam contra veritatem opprimitur. Cito enim violatur auro justitia, nullamque reus pertimuerit culpam quoniam se posse redimere nummis existimat.
    « Et si [est] mu le peuple à croire plus légèrement ce, pour ce que un péché vient de l'autre, selon que le dit le canon : Quidam perplexisunt nervi testiculorum Leviathan, id est peccata per que patet et expertum est quod peccatum unum est causa, et occasio mullorum pecatorum. Or, voit le peuple que la décrétale dit que ceux qui ont les pouvoirs de donner les bénéfices par leurs dons, en doivent honorer des plus grands bénéfices et du plus grand nombre les personnes plus lettrées. Et si ils le font, ils font justice et le commandement de droit. Car, si grande vertu comme est justice requiert que ceux à qui il appartient donnent à chacun leur droit. Or, voit le père spirituel, par affection de sang, a donné des bénéfices de la sainte Eglise de Dieu à ses proches parents, à son neveu le cardinal, plus que quarante papes avant lui ne donnèrent oncques à tout leur lignage, et plus que Boniface et nul autre n'adonné oncques à tout son lignage. Et ainsi a laissé des maîtres de théologie, de décrets, des seigneurs de lois deux cents ou plus qu'il connaît bien ou qu'il pouvait connaître, desquels chacun est le plus grand clerc [pour] les quatre parties que son neveu n'est, ni être pourrait. Et ainsi n'ont pas les deux cents autant des biens de sainte Eglise qu'il [en] a donnés audit neveu. Et a donné et baillé ledit Pape la grande cure de la province de Rouen, parce qu'il y a grande prise, à son neveu, et à un autre la grande cure de Toulouse, et à un autre [celle] de Poitiers. Ces personnes, si elles ne fussent de son lignage ou ne l'eussent servi, il les tiendrait pour bien rentées chacune d'une paroisse de cent livres de revenu. Et il y en a beaucoup de plus lettrés qui ne peuvent pas tant avoir, pas même [de] soixante [livres]. Or, regarde le peuple que notre seigneur commande que l'on fasse justice au petit et au grand, et sans exception et faveur de personne. Or, frère Thomas d'Aquin décide que acception de personne au préjudice d'autrui en tel cas contient péché mortel, et conclut que ce péché ne peut en soi souffrir vertu, parce que vices et vertus sont contraires. Que ce méfait soit très-grand quant à Dieu et à tous ceux qui entendent raison, cela est évident » (32)

    Dubois poursuivait en dénonçant le népotisme et la partialité de Clément V envers d'indignes favoris qu'il comblait des biens de l'Eglise ; il le menaçait de la colère du peuple scandalisé et l'engageait fortement à marcher dans les voies delà justice : « Qui fait ce qu'il doit, est fils de Dieu. Qui varie ou diffère par affection de personnes, par don ou par promesse, par peur, par amour, par haine, est fils du diable, et renie Dieu, qui est vraie justice, par ce seul fait. »

    Dubois mit au jour un nouveau pamphlet, beaucoup plus violent, où il attaquait, Clément V dans son honneur. C'était encore une soi-disant requête du peuple de France, aussi pour demander l'abolition des Templiers : les accusations étaient tellement fortes qu'elles étaient déguisées sous le voile de la langue latine. Clément était proclamé manquant à tous ses devoirs en ne frappant pas l'ordre du Temple :
    « La conduite qu'il faut tenir en cette occurrence nous est enseignée par Moïse, le prince des fils d'Israël, l'ami de Dieu, avec qui il s'entretenait face à face; à propos de l'apostasie des fils d'Israël qui adoraient le veau d'or, il dit : Que chacun prenne son glaive et tue son plus proche voisin... Il fit ainsi mettre à mort pour l'exemple d'Israël vingt-deux mille personnes, sans avoir demandé la permission de son frère Aaron, que Dieu avait établi grand prêtre.
    « Et si tout ce qui a été fait et écrit, a été fait et écrit, comme dit l'apûtre, pour notre instruction, pourquoi le roi, prince très-chrétien, ne procéderait-il pas ainsi même contre tout le clergé, si le clergé (Dieu nous en garde !) Errait ou soutenait les erreurs ?
    Est-ce que les Templiers ne sont pas des homicides, fauteurs, complices et receleurs d'homicides, par leur connivence avec les apostats et les meurtriers ?
    Est-ce que les apûtres, les saints Pères et les canons ne disent pas que les crimes et le consentement au crime doivent être punis de la même peine ? »
    On dira peut-être que Moïse était prêtre : cela n'est pas vrai ; il était législateur; il ne faut pas croire ceux qui pervertissent le sens des saintes Ecritures, ni retarder l'exécution de la justice qui procurera au Roi la suprême béatitude promise en ces termes : Beati qui faciunt judicium et justitiam in omni tempore. Agir autrement, ce serait amener à renier Dieu et annoncer la venue de l'Antéchrist.

    Que faut-il penser du rûle de défenseur de la foi que Dubois voulait faire prendre à Philippe le Bel, pour l'amener à s'occuper des choses religieuses, au mépris de l'autorité du Saint-Siège ?
    Etait-il autorisé par le roi ?
    C'est là un point important à préciser.

    Certainement Philippe se déclara tenu à veiller à l'intégrité de la foi : on n'a, pour s'en convaincre, qu'à lire la circulaire qu'il adressa au peuple lors de l'arrestation des_ Templiers, et surtout la lettre par laquelle il convoqua les Etats généraux de 1308, lettre dont nous allons donner le texte; mais il ne prétendit jamais résoudre à lui seul les questions concernant la foi. Il prenait des mesures préventives, mais il s'en rapportait toujours pour la décision au Pape. Il attirait l'attention du Saint-Siège sur certains faits, il provoquait son jugement; mais il ne se considérait que comme le bras qui exécute. En arrêtant les Templiers, il avait commis un acte illégal ; il le reconnut et ne persévéra pas dans cette voie : du reste, son but était atteint. Il avait fait un coup d'Etat : le coup fait, il avoua qu'il avait eu tort pour la forme, et se contenta de chercher à recueillir les fruits de sa hardiesse ; mais il n'eut jamais l'intention de faire un schisme et de se séparer de l'Eglise romaine. Il ne faut pas confondre sa cause avec celle des légistes qui l'entouraient et qui certainement le poussaient dans la voie que suivit plus tard Henri VIII. Dubois lui conseillait de se passer du Pape, au cas où ce dernier n'obéirait pas à ses volontés, et d'exercer comme représentant de Dieu, en qualité de roi, le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel. Philippe n'accepta jamais entièrement ce rûle : il poursuivit Boniface VIII, comme intrus sur la chaire de saint Pierre, mais il ne s'arrogea pas la punition. Il s'était constitué en une sorte de procureur de Dieu, s'il est permis de parler ainsi, qui poursuivait au nom de Dieu les membres indignes de l'Eglise : il avait un tel zèle pour les intérêts célestes, il craignait tellement de voir les coupables échapper à sa vindicte, qu'il ne tenait aucun compte des lois établies et s'assurait de leurs personnes, mais uniquement, disait-il, pour les empêcher de se soustraire au juste jugement de l'Eglise. C'est ainsi qu'il colora le guet-apens d'Anagni, où un Pape, souverain indépendant, fut arrêté dans ses propres Etats, sans déclaration de guerre, par une bande d'étrangers mêlés à des insurgés des Romagnes, marchant sous la bannière fleurdelisée du roi de France. Ces honnêtes gens, ces bons chrétiens venaient simplement ajourner Boniface VIII devant un futur concile imaginaire; ils pillèrent bien un peu, et enlevèrent le trésor pontifical, mais c'était pour ûter à un pontife indigne les moyens de corrompre la chrétienté. Boniface mourut des suites des mauvais traitements qu'il reçut. Les auteurs de cette scène furent excommuniés ; quant à Philippe le Bel, il se déclara étranger à ce scandale : on avait outrepassé ses ordres ; il ne voulait que le bien de l'Eglise. Il fut relevé de toutes les censures qu'il aurait pu encourir pour ce fait. Nogaret, le chef de la bande, assuma toute la responsabilité et le fit hautement. Il se déclara, comme son patron, le champion de la foi : loin de se défendre, il accusa, et, soutenu par le roi de France, il continua à la mémoire de Boniface VIII le procès qu'il avait intenté de son vivant au pontife intrus, hérétique, simoniaque, meurtrier, chargé, en un mot, de tous les crimes. Ce procès, soutenu par ordre de Philippe le Bel, devint, ainsi que je l'ai déjà dit, entre les mains du roi, une arme qu'il suspendit sur la tète de Clément V, pour lui arracher la condamnation des Templiers et la concession de tout ou partie des biens de l'Ordre. Nous allons entrer dans cette phase nouvelle. Philippe dira à Clément : « Donne-moi les Templiers, et j'abandonne Boniface VIII. » Eh bien, Clément V, à la merci du roi de France, entouré de pièges, sans sécurité, tint bon, et ne céda sur aucun point essentiel : c'est ce qui nous reste à montrer. Nous assisterons à une lutte inégale, impitoyable, du fort contre le faible; et c'est le faible qui, appuyé sur la morale, triomphera du fort.
    Sources : M. E. Boutaric — Revues des questions historiques — Tome Dix — Librairie de Victor Palmé, éditeur — Paris 1 juillet 1871

    Concile de Vienne

    Notes

    1 — Sa dissertation, porte la date de 1846 ; une édition nouvelle fut donnée à Saintes en 1859 (in-8° de 62 pages).
    2 — Clément et Philippe le Bel. Lettre à M. Charles Daremberg, sur l'entrevue de Philippe le Bel et de Bertrand de Got, à Saint-Jean-d'Angély. Paris, Durand, Didier, 1858, in-8° de 199 pages.
    3 — Vitae Paparum Avenionensium. Paris, 1693, 2 vol. in-4° . Dans le premier volume Baluze a réuni les vies originales des Papes ; dans le second, les actes qui servent de pièces justificatives.
    4 — Histoire générale de Languedoc, tome IV, page 559.
    5 — Recherches sur la véritable date de quelques bulles de Clément V, brochure in-8° .
    6 — « Meminimus nos sex mensibus fuisse III carcere Perusii, in quo solus Deus novit cum quantis periculis corporibus et sollicitudinibus cordis extitit laboratum; et reliqui domum meam solito, ut possem habere pontificem de regno, cupiens regi et regno esse provisum, et sperans quod quicumque regis sequeretur consilium, orbem et urbem bene regeret. Et quoniam. cum multis cautelis quibus potuimus hunc qui decessit elegimus, per quem credebamus regnum et regem magnifice exaltasse. Sed, pro dolor, versa est in luctum cithara nostra. » Napoleonis de Ursinis cardinalis Epistola ad Philippum regem Francorum de statu romanae ecclesiae post obitum dementis V. Bibl. Nat., n° 4991. -; Baluze, Vitae Paparum Avenionensium, t, II, pages 289 et sutv.
    7 — Chronique de Dino Compagni, apud Muratori, tome VIII, page 517; -; Feretti de Vicence, id., tome IX, page 1014. -; Conf. Christophe, Histoire de la papauté, tome I, page 179.
    8 — « Scimus enim quod illa non revelabis aliis nisi quos credis honorem nostrum et tuum diligere et zelari. » Ms. 10919, fol. 48 r° . Baluze, tome II, page 62. -; Conf. Rabanis, Clément V et Philippe, le Bel, page 76.
    9 — La France sous Philippe le Bel, page 127. Rien de plus instructif que l'examen des archives du Temple, renfermées dans celles de l'Ordre de Malte.
    10 — « Sane a memoria tua non credimus excidisse quod Lugduni et Pictavis de facto Templariorum zelo fidei devotionis accensus nobis tam per te quam per tuos pluries locutus fuisti. » Lettre du 9 des calendes de septembre (24 août), an II (1307), Jtfs. 10919, fol. 67 ; Baluze, tome II, page 75.
    11 — Datum Lugduni, kalendis januarii, pontificatus nostri anno primo, Ms. 10919.
    12 — « Sane Lingonensis ecclesie, per obitum bone memorie Johannis Lingonensis episcopi, solacio destitute pastoris, nos, ad ecclesiam ipsam, utpote devotam et fidelem Ecclesie Romane filiam gerentes paterne dilectionis affectum, et ad prosperum staturn ejus, patris more benivoli sollicite intendentes, ordinacionem ipsius ecclesie Lingonensis, ea vice, provisioni et disposicioni sedis apostolice duximus resenandam; decementes ex tunc irritum et inane, si secus in hac parte scienter vel ignoranter contingeret attemptari... B. tunc Agennensem episcopum a vinculo quo Agennensi ecclesie tenebatur astrictus absolvimus et ad Lingonensem ecclesiam transtulimus supradictam, ipsum que illi, de fratrum nostrorum consilio et apostolice plenitudine potestatis, in episcopum prefecimus et pastorem, liberam sibi tribuentes licentiam ad ejusdem Lîngonensis ecclesie regimen transeundi... » Datum Lugduni, XI kal. februarii, pontificatus nostri anno primo. Ibid., fol. 40 v° .
    13 — Il y a dans le texte Sinceritas, mais c'est une faute de copiste. Clément V n'en était plus déjà à louer Philippe le Bel de sa sincérité. Baluze a fait cette rectification.
    14 — Ms. 10919, fol. 40 r° ; Baluze, tome II, page 65.
    15 — « Serenitatis tua litteras, quibus, sicut devotissimus filius, de statu patris certilicari volebas, recepimus graciose, licet autem reumate aliquinus diebus fuerimus aggravati; nunc tamen, per gratiam Jhesu Christi, plena fruimur corporis sospitate. » Lyon, 3 des ides de février (11 février), année 1re (1306) n° 10919, fol. 40.
    16 — Dupuy, Preuves de l'Histoire du différend d'entre le pape Boniface VIII et Philippe le Bel, page 288
    17 — Ecoutons le chroniqueur contemporain Geoffroi de Paris, écho populaire, exagéré sans doute, mais dont il faut tenir compte :
    « .... meint jour mengea sur autrui pape.
    Il n'iot ville ne cité
    de quis le pope eust pité ;
    n'abeie ne prioré
    qui tost ne feust dévoré;
    de blez, de vins, chars et poissons
    faisoit le pape ses moissons.... »
    Chronique métrique de Godefroy de Paris. Buchon, page 107. Le témoignage d'un contemporain, du continuateur de Guillaume de Nangis, est encore plus explicite :
    « A Lugduno recedens Burdegalis per Matisconem, Divionem, Bituricas et Lemovices iter faciens, tam religiosorum quam secularium ecclesias et monasteria tam per se quam per suos satellites depredando, multa et gravia intitulit eis damna. »
    Chronique latine de Guillaume de Nangis, édit. de la Société de l'Histoire de France, t.I, page 352.
    18 — Baluze a lu ainsi cette phrase : « Debilitate depressi quod nostram debilitatem verbis vel litteris exprimere requiremus » cela n'a pas de sens, il faut lire comme dans le manuscrit, nequiremus.
    19 — Ms. 10919, page 60 et suivantes.
    20 — « Ad hec urget nos officii nostri debitum, ut in hiis quorum non sine magnis et justis causis est tibi a nobis concessa facultas appetitum tuum ad modeste considerationis limites perducamus »
    21 — « Verum obmittere nolumus quod apud nos quadam admiratione non caret cum nuncii condicionem attendimus, per quem dicta tua littera est transmissa ; audientes enim quod dictus nuncius humilis status erat et quod etiam venerat predicando, incepimus admirari de circonspectione regia quomodo tali nuncio litteram tam ardui negocii demittere voluisset, in quo eciam advertimus viarum et fluminum discrimina que talis nuncius in longo sic itinere incurrere potuisset. Magnificencie igitur regie hoc duximus intimandum ut diligenter advertat quod secundum statum negocii pro quod mittere ad nos contigerit studeat deinceps nuncios ipsi negocio congruos declinare. Datum apud Vignandraldum, VII idus januarii, pontificatus nostri anno secundo. » Ms. 10919, fol. 60 et suiv. Baluze, tome II, page 81.
    22 — « Sed quia medicorum nostrorum in unum convenit consilium ut opus sit nobis in hac novitate temporis recipere medicinam, ad quam recipiendam tempus temperatum videlicet principium mensis maii arbitrantur, visum est nobis quod si vista nostra in medio mensis aprilis sumeret exordium, forsan que tractatanda sunt in vista infra principium mensis maii, quod tempus prefati nostri medici ad medicinam nostram prestituunt ullatenus obmittendum, propter brevitarem temporis non possent ad effectum perduci. Et quia inter hec duo astamur quia et vistam per omnem modum tenere volumus, sicut conduximus et medicinam tempore prestituto a medicii sine gravi et evidenti corporis periculo ut asserunt pretermittere non valemus. Cui periculo ut precaveatur desiderare te credimus, tanquam illum quem passionum nostrarum necesse est probata dilectio constituat socium et germanum, tempus eligimus videlicet principium mensis aprilis ut tunc intremus Pictavis. » Pessac, 5 des ides de février, an II du pontificat. Ms. 10919, fol. 62 V° .
    23 — Lettre de Philippe au Pape, sans date. Baluze, tome II, page 88.
    24 — Lettre de Clément : Datum apud Pessacum, VII idus fébruarii, pontificatus nostri anno IIe. Baluze, tome II, page 90.
    25 — « Tibi respondemus quod statu nostro et debilitate nostri corporis, que adhuc ex preteritis infirmitatibus nos contingit, ac civitatis Turonensis aeris intempérie, que ibidem dicitur invigere, prout non solum a quibusdam fratribus nostris, sed eciam ab aliquibus illarum partium indigenis necnon et a nostris medicis perce pimus, suscipiendarum quoque necessario medicinarum a nobis de nostrorum concilio medicorum tempore opportuno, attente pensatis, de consilio eciam fratrum nostrorum civitatem Pictavensem et principium futuri proximo mensis aprilis ad hujusmodi fiendam vistam elegimus... Datum apud Pessacum, XIII kalendas martii, pontificatus nostri anno IIe. » Ms. 10919, fol. 65 v° . Cf. Baluze, tome II, page 91.
    26 — Datum Burdegale, VI idus martii, ponlificatus nostri anno II. Ms. 10919, fol. 62 v° . Cf. Baluze, tome II, page 95.
    27 — « Cum de concillio physicorum necessitate nostri corporis hocadmodum exigente pro salute nostra vitendamus immédiate post Pascha resurrectionis dominice minucionem sanguinis celebrare, ut ipsorum physicorum verbis utamur, etc.. Datum Beanie Xanctonensis diocesis, XVI calendas aprilis, pontificatus nostri anno secundo. » Ms. 10919, fol. 67 r° . Conf. Baluze, tome II. page 96.
    28 — « Circa Pentecostes rex Philippus locuturus papae Pictavim proficiscitur, et tunc ah eo et a cardinalibus, ut dicebatur, super pluribus et arduis negociis deliberatum fuit ac etiam ordinatum, praesertim de Templariorum captione, prout sequens rei exitus deolarabit. » Chronique de Guillaume de Nangis, édit. de la Société de l'Histoire de France, tome I, page 358 et 359.
    29 — 9 des calendes de septembre, l'an II du pontificat. Ms. 10919, fol. 53 r° . Baluze, tome H, page 73, a daté cette lettre de 1305.
    « Sane a memoria tua non credimus exeidisse quod Lugduniet Pictavis de facto Templariorum zelo fidei devotionis accensus nobis, tam per te quam per tuos, pluries locutus fuisti, et per priorem monasterii novii de Pictavi aliqua intimare curasti. Et licet ad credendum que tunc dicebantur, cum quasi incredibilia et impossibilia viderentur, nostrum animum vix potuerimus applicare, quia tamen plura incredibilia et inaudita ex tunc audivimus de predictis, cogimur hesitare, et, licet non sine magna cordis amaritudine, anxietate ac turbatione, quicquid ordo postulaverit rationis, de consilio fratrum nostrorum facere in premissis, quia vero magister milicie Templi ac multi preceptores, tam de regno tuo quam aliis ejusdem ordinis cum eodem, audito, ut dixerunt, quod tam erga nos; te quam erga aliquos alios dominos temporales super predicto facto multipliciter eorum oppinio gravebatur, a nobis nedum semel sed pluries, cum magna instancia petierunt quod nos super illis eis falso impositis, ut dicebant, vellemus inquirere veritatem, ac eos, si reperirentur, ut asserebant inculpabiles, absolvere, vel ipsos, si reperirentur culpabiles, quod nullatenus credebant, condempnare vellemus »
    30 — Reg. XLIV du Trésor des Charles, fol. 3, Archives nationales, JJ. 44.
    31 — Le reste de l'instruction a rapport aux questions que l'on devait adresser sur les cérémonies de la réception des chevaliers du bailliage de Rouen. (Trèsor des Chartes, J. 413, n° 20.)
    32 — Ms. 10919, fol. 106, de facto Templonorum. —; Sur Dubois et ses oeuvres, voyez une étude que j'ai publiée dans la Revue contemporaine du mois de mars 1863, et un travail inséré dans le tome XX des Notices et extraits des manuscrits, publiés par l'Institut.

    Sources : M. E. Boutaric — Revues des questions historiques — Tome Dix — Librairie de Victor Palmé, éditeur — Paris 1 juillet 1871

    Concile de Vienne

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