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Saladin, le plus Pur Héros de l'Islam

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    La seconde croisade et le réveil de l'Islam Syrien

    Reveil-Islam La chute de Jérusalem avait eu un énorme retentissement en terre d'Islam. Le calife de Bagdad portait le deuil de la ville sainte. Les poètes inspirés par leur muse guerrière proclamaient l'Islam en danger: « Pour un homme de cœur, les pleurs sont la dernière des armes, quand le choc des épées a allumé le feu de la guerre. » De Damas d'abord, d'Alep, de Diarbékir, de Mossoul, les premiers symptômes de la réaction musulmane ne tardèrent pas à être sensibles. Fait significatif: en 1110, devant le palais du calife, à Bagdad, la foule exige l'action directe et immédiate contre les chrétiens. Des députations syriennes comprenant des théologiens, des commerçants notables, des soldats envahissent les mosquées, y provoquent des désordres, troublent le service rituel, réclament des promesses. L'Islam syrien se réveille, prend conscience de ses malheurs. La guerre sainte ! Des profondeurs de l'Occident jusqu'en celles de l'Orient, le terrible cri de ralliement retentit, couvrant toutes les clameurs secondaires. La guerre sainte ! Partout, d'immenses armées s'organisent, partout les moines évoquent les terres lointaines qui entretiennent le fanatisme de l'imagination populaire et la grandeur de la poésie médiévale. La guerre sainte ! Partout, les imams, après la prière du vendredi, promettent d'éternelles malédictions à ceux qui failliront à leur devoir de bons croyants de combattre jusqu'à la mort les ennemis de l'Islam qui « doit conduire les peuples arabes à la domination universelle. »

    La chute de la principauté d'Édesse, le 25 décembre 1144, reprise aux chrétiens par le fils du gouverneur de Mossoul, fut un événement considérable. D'abord parce que trente mille chrétiens y furent massacrés, ensuite parce qu'elle détermina la Seconde Croisade prêchée par saint Bernard de Clairvaux dont le fameux discours de Vézelay résume clairement la douleur de la chrétienté apprenant ces nouveaux malheurs. « Que vos boucliers soient invincibles, dit-il au peuple immense accouru pour l'entendre. Que les dangers, les souffrances, les fatigues de la guerre soient la pénitence que Dieu vous impose. Les Infidèles envahissent en Terre Sainte nos cités et nos terres, ils ravissent nos épouses et nos filles; ils profanent nos sanctuaires. Qu'attendez-vous pour réparer ces maux terribles ? Prenez les armes. Qu'une sainte colère vous anime au combat. Que le monde chrétien retentisse de ces paroles du Prophète ; « Malheur à celui qui n'ensanglante pas son épée » ! Et tous, ils voulurent porter la croix. Un roi, des évêques, la noblesse présente se jetèrent aux pieds du prédicateur. Saint Bernard parcourut la France, soulevant les masses derrière lui. Il écrivit aux princes d'Italie et d'Allemagne, les exhortant à se croiser. Conrad III suivit l'exemple du roi de France, ainsi que toute la noblesse germanique. Au début de 1147, les deux rois se mirent en route. Après des difficultés sans nombre, trahis par les Grecs qui les faisaient massacrer après leur avoir lu d'interminables souhaits de bienvenue, les armées chrétiennes arrivèrent en Palestine au printemps de 1148. Mais, au lieu d'aller au plus pressé, c'est-à-dire de reprendre Édesse, bastion mésopotamien des Francs, et la région d'Alep qui venait d'être conquise par le sultan Nûr ed-Dîn, ce qui lui permettait de menacer directement Antioche, les chefs de la Seconde Croisade s'assemblèrent à Saint-Jean-d'Acre pour délibérer. Ce grand conseil, auquel assistaient le roi de France, l'empereur d'Allemagne, les deux légats du Saint-Siège, le patriarche de Jérusalem, tout le clergé et la haute chevalerie de Syrie, de France et de Germanie, fut une grande déception. Chacun voulait utiliser pour soi les effectifs de la Croisade. Le but initial de cette campagne contre les Infidèles proclamée à Vézelay ne fut point le souci constant des colloques de Saint-Jean-d'Acre, et de misérables questions d'intérêts personnels furent longtemps âprement débattues. En fin de compte, on décida que l'on attaquerait Damas.

    Quelle émotion dut s'emparer des Croisés lorsqu'ils découvrirent Damas, la « Grande Silencieuse Blanche », dont les minarets jaillissaient d'un seul élan de pierre au milieu d'une immense étendue de jardins. Après avoir quitté les déserts et leurs perpétuelles et hallucinantes ondulations de chaleur et de sable, après avoir traversé les massifs de l'Hermon dénudés, déchiquetés, sauvages, hostiles, quelle joie pour leurs yeux fatigués par les dures réverbérations en voyant surgir devant eux ce paradis oublié sur la terre, cette ville célèbre qui, vue des collines voisines, semblait flotter dans une lumière émanée d'elle-même. Secrète, puissante, sensuelle, Damas symbolisait l'Orient, ses charmes, ses magies, toute la splendeur d'un Orient de légende dont leurs imaginations ne s'étaient point lassées. Dans l'attente des combats, les chrétiens rêvaient aux palais de ses sultans, à ses trésors entassés dans la pénombre des souks, à la beauté des esclaves de ses harems...

    Le gouverneur de Damas fut bien surpris de voir fondre subitement sur lui la colère chrétienne. Il se défendit courageusement. Pendant cinq jours, les Croisés tentèrent en vain de forcer les portes de la ville. Que se passa-t-il exactement ensuite ? Guillaume de Tyr prétend que les barons syriens — c'est-à-dire les seigneurs francs fixés en Syrie — négocièrent secrètement un accord avec le gouverneur de Damas. L'historien arabe Qalânisi nous dit la même chose. Les Damascènes offrirent au roi de Jérusalem de lever le siège moyennant le versement de deux cent mille pièces d'or. L'offre était tentante, et le roi de Jérusalem accepta ce honteux marché dans lequel il fut dupé de belle manière car, si l'on en croit la Chronique syriaque d'Abû Faradj, il s'aperçut un peu tard que beaucoup de pièces étaient fausses.

    La Seconde Croisade échouait lamentablement. Conrad, déçu et écœuré, quitta immédiatement la Syrie avec ses chevaliers. Le roi de France fit de même. Le résultat des marchandages de Damas provoqua une certaine méfiance entre les Latins d'Orient et ceux de l'Occident qui ne se privèrent pas d'accuser les hauts barons syriens pourvus de terres et de bénéfices d'avoir trahi la cause commune. Il faut insister sur ce point: l'échec de Damas causa un réel malaise. Après la victorieuse poussée catholique de 1097, après la prise de Jérusalem, un immense découragement s'était emparé des musulmans. Depuis cette époque, note Ibn al Athir, « l'Islam syrien avait continuellement vécu sous la menace d'une nouvelle croisade, qui aurait fait subir à Alep et à Damas le sort même d'Antioche et de Jérusalem. » Or, les Croisés étaient bien revenus en Syrie, sous le commandement de deux chefs d'Etat, mais ils s'en retournaient diminués et la lamentable issue de leur aventure était de nature à refroidir l'enthousiasme de la chrétienté occidentale pour les expéditions d'outre-mer et à susciter chez les princes musulmans plus de zèle à combattre les ennemis de leur foi. Car, pour ces derniers, le prestige, militaire des Croisés était sérieusement entamé. Ils avaient redouté les grands seigneurs de l'Occident, mais quand ils virent, et c'est Guillaume de Tyr qui nous le dit, « qu'ils étaient repartis sans rien faire, ils furent bien aise de penser qu'ils n'avaient plus guère à craindre des Francs et ils conçurent de grandes espérances. »

    Ces espérances se réalisèrent. Un personnage nouveau, dont le règne est en quelque sorte la préface de celui de Saladin, va entrer dans l'histoire de l'Islam syrien. Nous y avons fait allusion un peu plus haut lorsque nous avons dit que la région d'Alep avait été reconquise par Nûr ed-Dîn. Incarnation de la foi militante, gouverneur mystique et violent, véritable héros national croyant à la grandeur d'une mission providentielle, ce soldat, devenu le maître de la Syrie grâce à une suite de machinations appuyées par des démonstrations militaires, va consacrer sa vie à combattre les chrétiens. Tandis que la situation politique des États latins d'Orient subissait le fâcheux contrecoup de l'échec de la Seconde Croisade, tandis que l'on se lamentait à Jérusalem, l'Islam guerrier, bien repris en mains par Nûr ed-Dîn, retrouvait une certaine assurance. Les premiers Croisés avaient été favorisés par les disputes des royautés éphémères, par une longue série d'erreurs, par la médiocrité et le pullulement des petits États, par les pratiques des sectes hérétiques dont la plupart étaient étrangères à la pensée arabe et à l'islam primitif, par les soulèvements à la mode iranienne, néfastes et puérils. Maintenant, la situation n'était plus là même. Nûr ed-Dîn s'employait à unifier la Syrie. Fermement convaincu de la vérité de la mission du Prophète, ses efforts allaient tendre désormais vers un seul but: bouter les étrangers hors de Syrie et de Palestine. Son œuvre politique sera favorisée par les chrétiens eux-mêmes. En effet, les colonies internationales des chrétiens commençaient à se disputer des zones d'influence. Un esprit nouveau avait remplacé les purs élans primitifs, les enthousiasmes de la veille des départs. Il n'y avait point, alors, de « politique chrétienne » qu'il eût été nécessaire de déterminer et de suivre afin que le puissant mouvement des premières croisades ne se dispersât pas en efforts stériles. Des historiens ont écrit avant nous que la faiblesse des États chrétiens de Syrie provenait essentiellement de ce fait que les Croisés apportèrent avec eux le régime féodal. Les grands barons n'avaient d'autorité que dans leurs fiefs fortifiés. Jérusalem devenait une seconde Byzance. Les ordres militaires qui détenaient les principales citadelles exerçaient un contrôle permanent sur le pouvoir légal. Tant de causes de faiblesse ne pouvaient qu'être bénies par un chef musulman perspicace de l'envergure de Nûr ed-Dîn qui ne laissera à personne d'autre le soin d'exploiter cette situation. Digne de son père qui fut bon administrateur et valeureux soldat, il posa les fondations sur lesquelles Saladin allait pouvoir construire un édifice solide. Durant les vingt-huit années de son règne, de 1146 à 1174, il harcela les chrétiens, faisant démanteler leurs châteaux du comté de Tripoli, mettre à feu et à sang les faubourgs de Harim ; il écrasa, dans une furieuse mêlée, les chevaliers du prince Raymond d'Antioche ; il contraignit les défenseurs d'Apamée à capituler. En moins de deux ans, il conquit presque toutes les places chrétiennes de la Syrie septentrionale, ne laissant aucun répit à ses adversaires, les bousculant avec une audace qui fit trembler Jérusalem.

    Il ne s'en tint pas là. L'Egypte, après le règne de Hakem — ce calife original ne mourut pas comme tout le monde, il s'évapora mystérieusement — avait connu des jours sombres. Sans maîtres véritables, elle était entre les mains débiles d'un enfant de neuf ans, le calife El Adid, simple figurant autour duquel les ministres s'arrachaient le pouvoir, vidaient les caisses du trésor, poussaient leurs créatures, fomentaient des émeutes et terminaient leur vie de rapines en d'obscures disparitions orientales. Nûr ed-Dîn convoita la riche vallée du Nil qui lui sembla une proie facile. Il lui parut qu'il était nécessaire à la grandeur de l'Islam de remettre un peu d'ordre dans ce pays d'autant plus rapidement que, au Caire, les chrétiens si longtemps persécutés par Hakem se montraient singulièrement entreprenants. Il rassembla donc une armée pour l'envoyer en Egypte et il en confia le commandement au Kurde Shirkûh.
    Sources: Saladin le plus pur Héros de l'Islam — d'Albert Champdor — Editions Albin Michel; 1956

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