Les Templiers   Salâh Ad-Dîn, Saladin   Les Croisades

Saladin, le plus Pur Héros de l'Islam

    Retour Saladin Retour menu Croisades

    Coalition de l'Europe Chrétienne contre l'Islam

    Coalition des Chretiens La perte de Jérusalem avait été douloureusement ressentie dans toutes les cours de l'Europe. L'archevêque de Tyr, sur l'ordre de Conrad de Montferrat, qui révéla en l'occurrence des ambitions que l'avenir devait confirmer, passa la mer pour informer Sa Sainteté Urbain III du grand malheur qui venait de frapper la chrétienté. Cette nouvelle contribua à abréger les jours du souverain pontife qui, déjà gravement atteint par la maladie, ne put surmonter l'immense douleur que lui causa la relation de la chute de Jérusalem. Il mourut à Ferrare, le 20 octobre 1187, et eut pour successeur le moine bénédictin Grégoire VIII qui, dès le lendemain de son élévation sur le trône pontifical, prépara la Troisième Croisade. Il exhorta les chrétiens en âge de combattre à prendre les armes pour le salut de la religion; il ordonna que l'on jeûnât et que l'on priât publiquement; il proclama une trêve de Dieu d'une durée de sept ans. « Les cardinaux, écrit Louis Bréhier dans l'Église et l'Orient au moyen âge, firent vœu de vivre d'aumônes, de ne plus monter à cheval avant la reconquête de Jérusalem, et de parcourir les États de la chrétienté à pied, la croix à la main. » Mais, à peine deux mois après avoir été couronné pape, Grégoire VIII expira et Clément III lui succéda. Il renouvela les indulgences et les prérogatives accordées par ses prédécesseurs à ceux qui partaient pour la Terre Sainte. Ses prédicateurs parcouraient les royaumes chrétiens et après les avoir écoutés, les fidèles maudissaient le nom de Saladin. On fit circuler des gravures représentant le Saint-Sépulcre souillé par le cheval d'un mameluk et le Messie fouetté avec des verges par Mahomet. Le récit des souffrances endurées par les chrétiens d'Orient suscitait d'innombrables vocations. Des évêques, des ecclésiastiques, des moines déposèrent leurs habits sacerdotaux pour endosser la cuirasse. Des cardinaux décidèrent de se rendre à pied à Jérusalem en demandant l'aumône, de ne plus vendre de bénéfices, ni les grâces du Souverain Pontife. Après avoir parcouru l'Italie et dit partout la bonne parole, l'archevêque de Tyr et le cardinal Henri, honorés l'un et l'autre par Sa Sainteté du titre de « légats donnés », titre qui leur permettait de remplir auprès des princes des missions analogues à celles des ambassadeurs, franchirent les Alpes afin de susciter en France le même zèle pour la Troisième Croisade qu'en Italie. Cependant, à Paris, la situation politique était confuse, et les revendications dynastiques du roi d'Angleterre quelque peu insolentes. La dynastie capétienne voulait chasser les Plantagenets de leurs opulents fiefs de l'Ouest de la France; artisan de l'unité nationale, le jeune Philippe Auguste venait précisément de déclarer la guerre au roi d'Angleterre Henri II pour le contraindre à lui restituer le comté de Vexin (les villes du Vexin avaient été données en dot à Marguerite, sœur de Philippe Auguste, mariée avec Henri, fils aîné du roi d'Angleterre. Or, Marguerite mourut sans laisser d'enfants et le Vexin devait normalement revenir à la couronne de France). Cette affaire était sur le point de se régler par les armes, et risquait de mettre en grand dommage les deux royaumes lorsque survinrent les deux légats donnés du Pape. Le respect que l'on professait alors pour le Saint-Siège était tel que les rois de France et d'Angleterre consentirent à se rencontrer près de Gisors, le 21 janvier 1188, pour entendre le message du Saint-Père. Les légats surent si adroitement émouvoir leurs augustes auditeurs par un pathétique récit des malheurs de Jérusalem que Philippe Auguste et Henri Plantagenet oubliant leur dispute se donnèrent l'accolade et, s'empoignant en pleurant, reçurent la croix des mains de l'archevêque de Tyr. La haute noblesse présente suivit cet exemple.

    Les armées croisées des Francs et des Anglais

    Richard, duc de Guyenne et comte du Poitou, le duc de Bourgogne, Philippe, comte des Flandres, les comtes de Champagne, de Soissons, de Blois, de Dreux, de Clermont, de Perche, de Bar, de Beaumont, de Nevers, Jacques, seigneur d'Avesnes, et les principaux seigneurs de France, d'Angleterre et des Flandres se croisèrent en cette mémorable journée de Gisors qui devait être d'ailleurs une belle journée de dupes. Chaque nation, dans cette compétition pour la reprise de Jérusalem, eut sa couleur:
    Les Français reçurent une croix rouge, les Anglais une croix blanche, les Flamands une croix verte. Partout des foules de Croisés venus de toutes les provinces se concentraient. Pour payer les frais de cette gigantesque expédition en Terre Sainte, un impôt spécial fut créé ; la dîme saladine ou la Saladine. Il fut décidé que tous ceux qui ne se croiseraient pas paieraient, au moins une fois, le dixième de leurs revenus. Seuls furent exemptés de cet impôt sacré les Chartreux, les Bernardins et les religieux de Fontevrault. Hélas, le produit de cette taxe exceptionnelle fut en partie distrait de sa véritable destination. En effet, après les embrassades de la première heure, Philippe Auguste et Henri Plantagenet, oubliant de si tendres effusions et le souvenir des maux de la Palestine, se regardaient comme des loups devant une proie. Voici ce qui s'était passé:
    Richard, duc de Guyenne, venait d'attaquer, sous un prétexte futile, le comte de Toulouse. Or, ce Richard était le fils d'Éléonore de Guyenne, que Louis le Jeune avait répudiée après l'avoir accusée d'adultère, et que le roi d'Angleterre, moins scrupuleux sur cette question, avait épousée, peut-être bien par amour, mais sûrement parce qu'elle apportait en dot les bonnes terres de Gascogne, de Guyenne et de Poitou. Naturellement, le comte de Toulouse, attaqué, demanda l'assistance de son roi, Philippe Auguste. Celui-ci accourut au secours de son vassal. Voyant cela, le roi d'Angleterre se précipita à l'aide de son fils. Une méchante querelle, aux origines d'ailleurs fort obscures, dressa de nouveau les Capétiens contre les Plantagenets. Et l'argent, recueilli de part et d'autre pour la sainte cause de la chrétienté, alimenta la lutte entre la France et l'Angleterre. Philippe Auguste enleva quelques places aux Anglais. Il allait marcher, toutes forces réunies, contre son ennemi lorsque les comtes de Flandres et de Champagne s'interposèrent pour rappeler aux deux adversaires que, là-bas, les royaumes chrétiens d'Orient, désespérément accrochés à leur rocher de Tyr, attendaient avec inquiétude les secours de l'Occident. Ils engagèrent les deux rois à négocier la paix et à se souvenir des embrassades spectaculaires de Gisors. Philippe Auguste fut exigeant. Il demandait que Richard, fils d'Éléonore de Guyenne, fût déclaré roi d'Angleterre, conjointement avec Henri II. Le calcul était habile car, ainsi, les Capétiens se réservaient pour plus tard le droit de prétendre au trône d'Angleterre. Mais Henri II refusa de signer la paix dans de telles conditions. Et ce que le rusé Philippe Auguste avait souhaité se précisa:
    Le fils du roi d'Angleterre, Richard, furieux d'être évincé du trône, s'allia avec le roi de France pour faire la guerre à son père. Et les hostilités recommencèrent. Le roi d'Angleterre avait un autre fils qu'il aimait beaucoup et auquel il avait donné l'Irlande. Mais un mauvais destin s'attachait obstinément à ses pas. Ce fils cadet, qu'il avait chéri par-dessus tout, se déclara aussi contre lui. Et ce malheureux Henri II, poursuivi par ses enfants, vaincu par le roi de France qui, après lui avoir repris Tours, lui avait imposé le traité d'Azai, chassé de partout, n'ayant plus aucune ressource, mourut à l'âge de soixante et onze ans en accablant de malédictions ses enfants, que l'Histoire accusa même de parricide. Il avait régné trente-cinq ans.
    Son fils aîné Richard, qui devait être surnommé plus tard Richard Cœur de Lion, lui succéda sur le trône d'Angleterre.

    Tandis que ces événements se passaient en France et en Angleterre, l'empereur du Saint Empire germanique, Frédéric Ier de Souabe, dit Frédéric Barberousse, rêvait d'assurer en Orient la prépondérance de sa nation. La fortune lui avait prodigué des faveurs diverses. Pacificateur de l'Allemagne, couronné roi d'Italie à Pavie, puis empereur par le pape Adrien IV, il avait détruit Milan pour se venger des villes lombardes qui s'étaient révoltées contre lui, il avait épuisé une partie de son règne à se brouiller avec le Saint-Siège et, à l'âge de soixante-quatre ans, il répondit à l'appel du légat du Pape venu le trouver après l'entrevue de Gisors. Le 27 mars 1188, il réunit une Diète générale à Mayence. Il reçut la croix des mains de l'évêque de Würzburg en présence des représentants de toute la Germanie, dont les chefs se croisèrent après lui. C'étaient son second fils, Frédéric, duc de Souabe, Léopold, duc d'Autriche, Berthold, duc de Moravie, Herman, marquis de Baden, les comtes de Thuringe, de Hollande, les évêques de Besançon, de Cambrai, de Munster. Le même jour, à Mayence, treize mille fidèles prononcèrent le vœu des Croisés.

    Frédéric Ier de Souabe

    Frédéric avait déjà fait la route de Jérusalem en compagnie de son oncle, l'empereur Conrad qui, nous l'avons vu précédemment, avait participé à la Seconde Croisade. Il connaissait donc particulièrement bien les difficultés du voyage et, pour prévenir le retour des désordres et des malheurs dont il avait été le témoin, il veilla à ce que rien ne pût être négligé dans les préparatifs de cette nouvelle Croisade. « Rien n'est plus instructif, a pu écrire M. L. Bréhier dans son remarquable ouvrage sur l'Église et l'Orient au moyen âge, que l'organisation de cette croisade qui révèle en Europe des conditions politiques toutes différentes de celles de la fin du XIe siècle. L'enthousiasme est encore très vif et continue à produire de véritables miracles mais il est étroitement contenu et limité par l'intérêt des souverains. La diplomatie, qui avait déjà joué son rôle en 1095, prend une place de plus en plus grande dans la préparation de la croisade. La chrétienté, dans son ensemble, a une politique extérieure dont les papes ont la pleine conscience et dont ils défendent les intérêts contre les litiges particuliers qui affaiblissent leur action. Avant de se lancer aveuglément sur la route de Palestine, les chefs de la croisade cherchent par des négociations à s'assurer l'alliance des princes dont ils vont traverser les terres. » Et c'est bien ce que fit Frédéric Barberousse. Il ne voulut choisir pour compagnons que de rudes gaillards capables d'endurer les fatigues d'une si longue entreprise et de posséder dans leur bourse au moins trois marcs d'argent. Il interdit aux femmes d'encombrer et d'amollir son armée en la suivant jusqu'en Terre Sainte comme elles le faisaient au cours des précédentes Croisades. Il édicta des règles très strictes de discipline et d'hygiène. Tandis que son armée se concentrait peu à peu sous les murs de Ratisbonne, il expédia des ambassadeurs à tous les souverains dont il devait traverser les États pour leur demander aide et protection. Le roi de Hongrie promit de ne point interrompre sa marche et d'assurer le ravitaillement de ses troupes. Isaac, empereur de Byzance et Qilidj Arslan, roi d'Iconium, préférèrent sans doute, avant de s'engager, voir en quel état parviendrait chez eux l'armée de Frédéric Barberousse. Ils hésitaient à se compromettre car Saladin était non seulement tout-puissant, mais surtout leur voisin. L'empereur du Saint Empire germanique poussa fort loin les choses:
    Il somma le sultan de restituer les terres chrétiennes qu'il avait conquises. Devant le refus que lui opposa Saladin, sans même se concerter avec ses pairs de France et d'Angleterre, il lui déclara la guerre. Dans cet ultimatum qu'il fit remettre à Saladin, Frédéric Barberousse avait pris soin de déclarer qu'il prenait cette décision au nom des empereurs romains. Voici d'ailleurs, selon Matthieu. Paris, le texte de la missive qu'il fit remettre à Saladin:
    "FRÉDÉRIC, EMPEREUR DES ROMAINS TOUJOURS AUGUSTE, MAGNIFIQUE TRIOMPHATEUR DES ENNEMIS, A SALAH-ADIN, CHEF DES SARRASINS. »
    « Puisque vous avez profané la Terre Sainte qui nous appartient, il est de notre sollicitude impériale et de notre devoir de punir une si criminelle audace, et de vous avertir que si vous ne nous rendez pas les terres qui sont chrétiennes, nous irons éprouver avec vous le sort des armes par la vertu de la croix. L'Histoire ancienne et moderne doit vous avoir appris que les deux Ethiopie, la Mauritanie, la Perse, la Syrie, le pays des Parthes, la Judée, la Samarie, l'Arabie, la Chaldée, l'Egypte, etc., sont soumises à notre domination; ils ne l'ignoraient pas, ces rois ayant teint de sang les épées des Romains, et vous saurez bientôt vous-même par expérience ce que peuvent nos aigles victorieuses, nos cohortes composées de différentes nations. Vous éprouverez la fureur de ces Teutons qui prennent les armes même pendant la paix; vous connaîtrez à vos dépens les habitants des rives du Rhin; la jeunesse d'Istrie qui ne sut jamais fuir; les Bavarois; les habitants de la Souabe, fiers et rusés; ceux de la Franconie; les Saxons, qui jouent avec le glaive; les peuples de la Thuringe et de la Westphalie; les Brabançons; les Lorrains qui ne connaissent point la paix; les Bourguignons inquiets; les montagnards des Alpes; les Frisons, habiles à lancer le javelot; les Bohémiens, qui savent mourir en riant; les Polonais, plus féroces que les bêtes de leurs forêts; les Autrichiens, les l'Illyriens, les Lombards. Enfin, le jour marqué par le triomphe du Christ vous apprendra que nous pouvons encore tirer et manier l'épée quoique, selon vous, la vieillesse nous ait déjà abattus. »
    Saladin, après avoir lu ce billet, se montra aussi courtois envers l'ambassadeur de Frédéric Barberousse qui le lui avait remis que si celui-ci était venu l'entretenir, autour d'un plateau chargé de loukoums et de gâteaux couleur de miel, des derniers succès des poètes d'Ispahan... Mais il était compréhensif et il lui fit porter le lendemain sa réponse, accompagnée pour la forme de menus cadeaux. La voici:
    « AU TRÈS ILLUSTRE FRÉDÉRIC, NOTRE SINCÈRE AMI, ROI DES ALLEMANDS. »
    « Au nom de Dieu miséricordieux, par la grâce de Dieu qui est seul et unique Dieu suprême, victorieux, immuable, dont le règne n'a pas de fin. Louanges éternelles soient rendues à celui qui a répandu sa grâce sur la terre. Nous le prions, en faveur de ses prophètes, et principalement de notre législateur, son prophète Mahomet, qu'il a envoyé pour réformer la seule véritable loi, laquelle il fera respecter de toutes les nations. »
    « Nous faisons savoir au puissant roi, notre sincère ami, le roi des Allemands, qu'il est arrivé un homme nommé Henri, se disant votre ambassadeur, lequel nous a remis une lettre qu'il dit être de vous. Nous avons répondu de vive voix aux discours qu'il nous a tenus; et voici la réponse que nous faisons à la lettre. »
    « Vous nommez des rois, des princes, des comtes, des archevêques, des marquis, des chevaliers, et plusieurs nations qui doivent nous attaquer avec vous. Apprenez que cette lettre ne pourrait pas seulement contenir les noms de tous les peuples qui composent notre empire. Aucune mer, aucun obstacle ne peuvent retarder leur marche. Ils sont prêts à accourir sous nos bannières. Nous avons même actuellement avec nous ces soldats avec lesquels nous avons conquis tant de pays. Si vous prétendez venir avec cette multitude que nous annonce votre lettre et votre ambassadeur, loin de vous craindre, nous irons au-devant de vous, et Dieu, par sa suprême puissance, nous accordera la victoire. Alors, nous passerons nous-mêmes la mer, et nous irons détruire votre royaume. Car nous savons que pour former cette grande armée dont vous nous entretenez vous dépeuplez vos États, et vous n'y laissez aucun défenseur. Rien n'empêchera que nous ne nous en rendions maîtres, après vous avoir écrasés dans la Palestine, comme tous ceux qui se sont mesurés avec nous, par la vertu du seul et unique Dieu. Deux fois la chrétienté s'est soulevée contre nous. Elle est venue nous attaquer en Egypte, une fois devant Damiette, une autre fois devant Alexandrie. Vous n'ignorez pas quels ont été les résultats de ces campagnes. Depuis ce temps, Dieu a bien diminué votre puissance et augmenté la nôtre:
    Il nous a donné l'Egypte, les royaumes de Damas, de Jérusalem, d'Alep, les côtes de la Syrie, la Mésopotamie et beaucoup d'autres régions. Les princes musulmans sont nos vassaux ou nos tributaires. Les sultans obéissent à nos ordres. Si nous mandions même au calife de Bagdad — que Dieu comble de bénédictions — de nous amener des troupes, il descendrait de son trône sublime pour accourir seconder nos efforts dans la guerre sainte. Il ne reste plus aux chrétiens que trois villes:
    Tyr, Tripoli et Antioche, que nous allons leur enlever. Si vous voulez la guerre, et si Dieu a résolu votre ruine dans ses décrets éternels, venez, nous marcherons à votre rencontre. Si vous voulez la paix, ordonnez aux gouverneurs de ces trois villes de nous en ouvrir les portes. A cette condition, nous vous rendrons votre croix, nous délivrerons vos captifs, nous permettrons que l'un de vos prêtres demeure dans le Temple de la Résurrection, nous vous restituerons vos monastères, nous traiterons avec bonté vos religieux, nous permettrons à vos pèlerins de visiter la ville sainte, et nous garderons avec vous une paix inviolable. »
    « Si la lettre que le nommé Henri nous a présentée est signée du roi des Allemands, nous voulons que celle-ci en soit la réponse. »
    « Donné l'an de l'hégire 584, par la grâce de Dieu, seul et unique Dieu. Qu'il sauve son prophète Mahomet, et tous ses descendants; qu'il procure le salut du très illustre sultan, victorieux, défenseur de la parole de vérité, ornement de l'étendard de la foi, réformateur du monde et de la loi, roi des musulmans, serviteur des deux villes saintes et de la sainte maison de Jérusalem, père des vainqueurs, Yûsuf, fils d'Ayûb. »

    Saladin proclame la guerre Sainte

    De nouveau, au nom de Saladin, la guerre sainte fut proclamée dans les mosquées, le jour de la prière du vendredi, tandis que dans tout l'Orient retentissait des clameurs hostiles. Deux mondes se préparaient à s'affronter et à subir une terrible épreuve. Cependant, le génie politique de Saladin allait lui permettre de connaître le plus beau succès diplomatique de sa carrière:
    Un traité d'alliance qu'il parapha après le départ des ambassadeurs de Frédéric Barberousse avec Isaac l'Ange, empereur de Byzance et chrétien de vieille souche. Oui, grâce à lui, Byzance s'associait avec l'Islam à la veille de la Troisième Croisade prêchée dans toute l'Europe !

    Comprendre ce qu'il vient de se passer

    Essayons de comprendre quelque chose dans l'imbroglio byzantin vers la fin du XIIe siècle. Que de bassesses, de roueries de cabaretiers, de mauvaise politique dans l'entourage et jusque dans le lit de l'empereur d'Orient dont le prestige est superficiel et le souffle de vie si souvent contesté ! On sait que le nommé Alexis II monta sur le trône des empereurs de Byzance dès l'âge de douze ans. Les trois années de son règne furent agitées par les intrigues de sa mère, par des révolutions de valets, par les vues ambitieuses d'Andronic Comnène qui ne tarda pas à le supplanter et à se soutenir sur le trône par les moyens de l'empoisonnement pour ses meilleurs amis et de l'assassinat pour ceux dont il suspectait le comportement. La vie privée de ce fou laissa de peu glorieuses traces dans les fastes de Byzance et ses biographes racontent qu'il pilla les trésors des temples et des monastères et qu'il viola les vierges qui s'étaient consacrées à Dieu. Un personnage aussi malpropre devait finir misérablement. Sans doute épouvanté pendant ses nuits d'insomnie par le souvenir de ses victimes, il demanda aux sciences de la magie de le préserver de ses peurs. Il interrogea les boules savantes et les écritures des porcelaines pour connaître le nom de l'ami qui préparait sa mort. Son magicien lui ayant appris que ce serait un homme portent le nom d'Isaac l'Ange, Andronic Comnène donna aussitôt l'ordre de le faire emprisonner et noyer dans les eaux enchantées du Bosphore. Mais Isaac ne se laissa point tourmenter aussi facilement. Plutôt que de se laisser mettre en sac avec une pierre au col, il poignarda le sbire venu l'arrêter et mû par une idée géniale, il se mit à courir les ruelles de Byzance en hurlant comme un possédé:
    « Holà ! Venez tous ! J'ai tué le diable et je peux vous en montrer la peau ! » Les bonnes gens accoururent autour de lui et lui firent un succès. Le mot fit le tour de la ville et Isaac l'Ange profita de sa popularité pour susciter le tumulte et l'émeute. Et le crépuscule n'avait pas encore transformé les eaux baignant deux continents en des eaux incandescentes que Byzance se donna un nouveau maître en proclamant empereur celui qui préférait certainement affronter les difficultés du pouvoir plutôt que de se voir jeter au fond d'un sac en compagnie de chats galeux. La populace s'acharna sur Andronic Comnène qui fut poursuivi, rejoint, attaché à un poteau dans la cour de son palais. On lui creva l'œil, on lui coupa une main avant de le ficeler, tout nu, sur un âne, la tête du côté de la queue de l'animal. Le basileus détrôné par le peuple fut; ainsi promené dans Byzance. On lui jeta des pierres, des excréments, des pots d'huiles bouillantes. Enfin, déjà agonisant, il fut pendu par les pieds et livré aux femmes possédées par le démon. Elles lui arrachèrent les parties génitales et déchirèrent son corps avec les dents. « Dans leur rage, peut-on lire dans une vieille chronique, ces gueuses mangèrent les chairs de ce malheureux prince; elles s'en disputèrent les morceaux; elles brisèrent les os du moribond et rien ne saurait exprimer notre dégoût devant de telles horreurs. » Ces événements se passaient en 1185.

    Isaac l'Ange était empereur d'Orient depuis à peine deux ans lorsque parurent devant les frontières de l'empire byzantin les cent mille Germains armés et enthousiastes de Frédéric Barberousse qui venaient de traverser l'Europe du nord au sud et ne rêvaient que de batailles en de richissimes terres sarrasines. Au même moment, les envoyés de Saladin pénétraient dans son palais pour lui proposer, au nom de l'Islam, un pacte d'amitié éternelle. Isaac l'Ange n'hésita pas:
    Il choisit de s'associer avec Saladin et de préserver son empire par crainte des troupes de Frédéric Barberousse de plus en plus indisciplinées aux approches de l'Asie Mineure. Par le traité qu'il négocia avec le vainqueur de Jérusalem, il s'engageait à céder aux musulmans l'une des principales églises de Byzance pour qu'elle fût convertie en mosquée et il promit de harceler les arrière-gardes de Frédéric Barberousse, de transformer, chaque fois qu'il pourrait le faire sans trop d'éclat, les chemins en coupe-gorge, et de mener d'interminables conciliabules avant de lui marchander les fèves et le lard. Certes, il serait de bonne politique qu'il ne prît point parti trop ostensiblement:
    Son aide devait être clandestine, tout au moins tant que l'armée des Germains n'aurait point disparu derrière les montagnes d'Arménie. Il était même souhaitable que lui, Isaac l'Ange, reçût avec un peu de joie et beaucoup de paroles qui se perdent en fumée ce Frédéric Barberousse porteur de foudre qui allait camper en ami sous les murs de Byzance. Saladin ne vit aucun inconvénient à ce que les apparences fussent sauvées et pour manifester que son amitié n'était pas feinte, il stipula dans le traité que le Saint-Sépulcre serait confié aux prêtres grecs et il permit aux Byzantins de se rendre librement en Terre Sainte « Une telle clause, a écrit M. René Grousset, satisfaisait les éternelles revendications théoriques de la diplomatie byzantine, en même temps qu'elle justifiait aux yeux des orthodoxes l'alliance avec un prince infidèle. » Lorsque ces articles eurent été signés de part et d'autre, Saladin envoya une ambassade solennelle à Constantinople, composée d'un émir, d'un muezzin, d'un cadi, et de plusieurs docteurs de la Loi. Ils emportèrent avec eux, outre les cadeaux légitimes, une chaire et un exemplaire du Coran magnifiquement enluminé. Le jour de l'arrivée de cette ambassade à Byzance fut célébré dans tout l'Islam comme un jour aussi faste que celui de la conquête de Jérusalem. Les boutiquiers musulmans établis dans la ville se groupèrent sur la rive du Bosphore derrière les officiers du basileus pour recevoir et accompagner au son des musiques et dans l'allégresse générale l'ambassade extraordinaire de Saladin et, à sa suite, la longue caravane chargée de richesses fabuleuses. Et, tandis que les émirs parés comme des califes voyaient s'ouvrir devant eux les portes d'or du palais de l'empereur d'Orient, et tandis qu'éclataient les fanfares et que sonnaient les cloches de Byzance, le baron de Wissembach, envoyé par Frédéric Barberousse pour solliciter le libre passage de ses troupes dans l'empire byzantin, accourait à bride abattue, se faisait annoncer au débotté et paraissait au milieu des festins et des distributions. Il dut être édifié.

    Les historiens arabes, tel Beha ed-Dîn dont les écrits ne sont point suspects, ont insisté sur l'amitié croissante qui devait unir Saladin et Isaac l'Ange. Cependant, le n mai 1189, l'imagination fascinée par l'Orient, cent mille Germains avaient quitté Ratisbonne, pour vivre la plus décevante aventure de l'histoire de leur patrie. Les Anglais, les Français, les Italiens embarquaient sur de nombreux vaisseaux et de tous les ports méditerranéens des flottes s'apprêtaient à cingler vers la Terre Sainte. Une lutte sans merci, dont nous allons suivre les multiples péripéties, s'engageait entre les puissances européennes et l'Islam triomphant.
    Sources: Saladin le plus pur Héros de l'Islam — d'Albert Champdor — Editions Albin Michel; 1956

    >>> Suite >>>

Haut-page

Licence Creative Commons
Les Templiers et Les Croisades de Jack Bocar est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas de Modification 4.0 International.
Fondé(e) sur une oeuvre à http://www.templiers.net/.
Les autorisations au-delà du champ de cette licence peuvent être obtenues à http://www.templiers.net/.