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Première Croisade par Robert de Moine

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Histoire de la première croisade - Livre Premier

I

L'an de l'incarnation 1095, s'assembla dans la Gaule un grand concile en la province d'Auvergne et en la ville appelée Clermont. Il fut présidé par le pape Urbain II, des cardinaux et des évêques; ce concile fut très célèbre par un grand concours de Français et d'Allemands, tant évêques que princes. Après y avoir réglé les affaires ecclésiastiques, le pape sortit sur une place spacieuse, car aucun édifice ne pouvait contenir ceux qui venaient l'écouter. Alors, avec la douceur d'une persuasive éloquence, s'adressant à tous : « Hommes français, hommes d'au-delà des montagnes, nations, ainsi qu'on le voit briller dans vos oeuvres, choisies et chéries de Dieu, et séparées des autres peuples de l'univers, tant par la situation de votre territoire que par la foi catholique et l'honneur que vous rendez à la sainte église, c'est à vous que nous adressons nos paroles, c'est vers vous que se dirigent nos exhortations nous voulons vous faite connaître quelle cause douloureuse nous a amené dans vos pays, comment nous y avons été attiré par vos besoins et ceux de tous les fidèles.

Des confins de Jérusalem et de la ville de Constantinople nous sont parvenus de tristes récits souvent déjà nos oreilles en avaient été frappées ; des peuples du royaume des Persans, nation maudite, nation entièrement étrangère à Dieu, race qui n'a point tourné son coeur vers lui, et n'a point confié son esprit au Seigneur, a envahi en ces contrées les terres des Chrétiens, les a dévastées par le fer, le pillage, l'incendie, a emmené une partie d'entre eux captifs dans son pays, en a mis d'autres misérablement à mort, a renversé de fond en comble les églises de Dieu, ou les a fait servir aux cérémonies de son culte ; ces hommes renversent les autels, après les avoir souillés de leurs impuretés; ils circoncisent les Chrétiens, et font couler le sang des circoncis, ou sur les autels, ou dans les vases baptismaux, ceux qu'ils veulent faire périr d'une mort honteuse, ils leur percent le nombril, en font sortir l'extrémité des intestins, la lient à un pieu, puis, à coups de fouet, les obligent de courir autour jusqu'à ce que, leurs entrailles sortant de leur corps, ils tombent à terre, privés de vie. D'autres, attachés à un poteau, sont percés de flèches ; à quelques autres, ils font tendre le cou, et, se jetant sur eux, le glaive à la main, s'exercent à le trancher d'un seul coup. Que dirai-je de l'abominable pollution desfemmes ? il serait plus fâcheux d'en parler que de a s'en taire. Ils ont démembré l'empire grec, et en ont soumis à leur domination un espace qu'on ne pourrait traverser en deux mois de voyage. A qui donc appartient-il de les punir et de leur arracher ce qu'ils ont envahi, si ce n'est à vous, à qui le Seigneur a accordé par dessus toutes les autres nations l'insigne gloire des armes, la grandeur de l'âme, l'agilité du corps et la force d'abaisser la tête de ceux qui vous résistent ? Que vos coeurs s'émeuvent et que vos âmes s'excitent au courage par les faits de vos ancêtres, la vertu et la grandeur du roi Charlemagne et de son fils Louis, et de vos autres rois, qui ont détruit la domination des Turcs et étendu dans leur pays l'empire de la sainte église. Soyez touchés surtout en faveur du saint sépulcre de Jésus-Christ, notre sauveur, possédé par des peuples immondes, et des saints lieux qu'ils déshonorent et souillent avec irrévérence de leurs impuretés. O très courageux chevaliers, postérité sortie de pères invincibles, ne dégénérez point, mais rappelez-vous les vertus de vos ancêtres; que si vous vous sentez retenus par le cher amour de vos enfants, de vos parents, de vos femmes, remettez-vous en mémoire ce que dit le Seigneur dans son évangile : Qui aime son père et sa mère plus que moi, n'est pas digne de moi [évang. selon saint Matthieu, ch. 10, v. 37.]. Quiconque abandonnera pour mon nom sa maison, ou ses frères, ou ses soeurs, ou son père, ou sa mère, sa femme, ou ses enfants, ou ses terres, en recevra le centuple, et aura pour héritage la vie éternelle [évang. selon saint Matthieu, ch.19, v. 39.]. Ne vous laissez retenir par aucun souci pour vos propriétés et les affaires de votre famille, car cette terre que vous habitez, renfermée entre les eaux de la mer et les hauteurs des montagnes, tient à l'étroit votre nombreuse population; elle n'abonde pas en richesses, et fournit à peine à la nourriture de ceux qui la cultivent : de là vient que vous vous déchirez et dévorez à l'envi, que vous élevez des guerres, et que plusieurs périssent par de mutuelles blessures. éteignez donc entre vous toute haine, que les querelles se taisent, que les guerres s'apaisent, et que toute l'aigreur de vos dissensions s'assoupisse. Prenez la route du saint sépulcre, arrachez ce pays des mains de ces peuples abominables, et soumettez-le à votre puissance. Dieu a donné à Israël en propriété cette terre dont l'écriture dit qu'il y coule du lait et du miel [Nombres, ch. 13, v. 28.]; Jérusalem en est le centre; son territoire, fertile par dessus tous les autres, offre pour ainsi dire les délices d'un autre paradis : le Rédempteur du genre humain l'a illustré par sa a venue, honoré de sa résidence, consacré par sa Passion, racheté par sa mort, signalé par sa sépulture. Cette cité royale, située au milieu du monde, maintenant tenue captive par ses ennemis, est réduite en la servitude de nations ignorantes de la loi de Dieu: elle vous demande donc et souhaite sa délivrance, et ne cesse de vous implorer pour que vous veniez à son secours. C'est de vous surtout qu'elle attend de l'aide, parce qu'ainsi que nous vous l'avons dit, Dieu vous a accordé, par dessus toutes les nations, l'insigne gloire des armes : prenez donc cette route, en rémission de vos péchés, et partez, assurés de la gloire impérissable qui vous attend dans le royaume des cieux. »

II

Le pape Urbain ayant prononcé ce discours plein d'urbanité et plusieurs autres du même genre, unit en un même sentiment tous ceux qui se trouvaient présents, tellement qu'ils s'écrièrent tous : Dieu le veut ! Dieu le veut ! Ce qu'ayant entendu le vénérable pontife de Rome, il rendit grâces à Dieu, les yeux élevés au ciel, et, de la main demandant le silence, dit : « très chers frères, aujourd'hui se manifeste en vous ce que le Seigneur a dit dans son évangile : Lorsque deux ou trois seront assemblés en mon nom, je serai au milieu d'eux. Car si le Seigneur Dieu n'eût point été dans vos âmes, vous n'eussiez pas tous prononcé une même parole : et en effet, quoique cette parole soit partie d'un grand nombre de bouches, elle n'a eu qu'un même principe; c'est pourquoi je dis que Dieu même l'a prononcée par vous, car c'est lui qui l'avait mise dans votre sein. Qu'elle soit donc dans les combats votre cri de guerre, car cette parole est issue de Dieu : lorsque vous vous élancerez avec une belliqueuse impétuosité contre vos ennemis, que dans l'armée du Seigneur se fasse entendre généralement ce seul cri : Dieu le veut ! Dieu le veut ! Nous n'ordonnons ni ne conseillons ce voyage ni aux vieillards, ni aux faibles, ni à ceux qui ne sont pas propres aux armes; que cette route ne soit point prise par les femmes sans leurs maris, ou sans leurs frères ou sans leurs garants légitimes, car de telles personnes sont un embarras plutôt qu'un secours, et deviennent plus à charge qu'utiles. Que les riches aident les pauvres, et emmènent avec eux, à leurs frais, des hommes propres à la guerre ; il n'est permis ni aux prêtres, ni aux clercs, quel que puisse être leur ordre, de partir sans le congé de leur évêque, car s'ils y allaient sans ce congé, le voyage leur serait inutile ; aucun laïque ne devra sagement se mettre en route, si ce n'est avec la bénédiction de son pasteur; quiconque aura donc volonté d'entreprendre ce saint pèlerinage, en prendra l'engagement envers Dieu, et se dévouera en sacrifice comme une hostie vivante, sainte et agréable à. Dieu, qu'il porte le signe de la croix, du Seigneur sur son front ou sur sa poitrine; que celui qui, en accomplissement de son voeu, voudra se mettre en marche, la place derrière lui entre ses épaules; il accomplira par cette double action le précepte du Seigneur, qui a enseigné dans son évangile : Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas, n'est pas digne de moi [Matthieu, 10, v. 38.].

Ce discours terminé, tous se prosternèrent à terre. Un des cardinaux, nommé Grégoire, prononça pour eux Le Confiteor; et alors tous, se frappant la poitrine, obtinrent l'absolution des fautes qu'ils avaient commises, et après l'absolution, la bénédiction, et après la bénédiction, la permission de s'en retourner chez eux; et afin qu'il parût à tous les fidèles que ce voyage était l'arrêt de Dieu, et non des hommes, le même jour où furent faites et dites ces choses, la renommée, ainsi que nous l'avons appris de beaucoup de personnes, prenant soin de les publier, fît retentir par toute la terre cette grande résolution; en sorte qu'il fut connu dans les îles de l'Océan que le pèlerinage de Jérusalem avait été décidé dans le concile. Les Chrétiens s'en glorifièrent, et en ressentirent des transports de joie : les Gentils, habitant la Perse et l'Arabie, tremblèrent et furent saisis de tristesse, l'âme des uns en fut élevée, l'esprit des autres frappé de crainte et de stupeur; et en telle sorte retentit la trompette céleste, qu'en tous lieux frémirent les ennemis du nom chrétien. Il est donc manifeste que ce ne fut pas l'oeuvre de la voix de l'homme, mais l'esprit de Dieu, qui remplit toute la terre.

Chacun des laïques retourna chez soi, et le pape Urbain fît le lendemain siéger l'assemblée des évêques, pour délibérer de celui qu'il mettrait à la tête de cette multitude disposée à entreprendre le pèlerinage, car il n'y avait encore parmi eux aucun des princes que nous allons bientôt nommer. Ils élurent unanimement l'évêque du Puy, tous affirmèrent qu'il était très propre aux choses humaines comme aux choses divines, très versé dans l'une et l'autre science, et clairvoyant dans ses actions. Celui-ci donc, comme un autre Moïse, accepta, bien que malgré lui et avec la bénédiction de monseigneur le pape et de tout le concile, la conduite et le gouvernement du peuple du Seigneur. Oh ! combien d'hommes divers d'âge, de puissance et de fortune domestique, prirent la croix en ce concile, et s'engagèrent au voyage du saint sépulcre ! De là se répandit sur toute la terre la renommée de ce vénérable concile, et ses honorables décisions parvinrent aux oreilles des rois et des princes ; cela plut à tous, et plus de trois cent mille personnes conçurent la résolution de prendre celle route, et se préparèrent à accomplir leur voeu selon les facultés que le Seigneur avait données à chacun. Déjà la race des Francs s'élançait toute entière par troupes, et déjà leur vertueux courage combattait en espérance contre les Turcs.

III

Il était dans ces temps-là un ermite nommé Pierre, estimé parmi ceux qui entendent le mieux les choses de la terre, et supérieur en piété à tous les évêques et les abbés, car il ne se nourrissait ni de pain ni de chair, mais cependant se permettait le vin et tous les autres aliments, et cherchait ses plaisirs dans la plus haute abstinence. Il rassembla en ce temps autour de lui une grande multitude de cavaliers et de piétons, et prit sa route par la Hongrie. Il s'associa un duc des Teutons, nommé Godefroi, fils d'Eustache, comte de Boulogne, mais revêtu de la dignité de duc des Teutons. Il était, beau de visage, haut de stature, agréable en ses discours, excellent dans ses moeurs, et en même temps d'une telle douceur qu'il paraissait avoir en lui plus du moine que du chevalier; cependant lorsqu'il se sentait en présence de l'ennemi, et quand approchait l'instant du combat, son âme se remplissait de volontés audacieuses, et, semblable à un lion frémissant, il ne craignait la rencontre de personne, et quelle cuirasse, quel bouclier pouvaient soutenir le choc de son épée ! Il prit sa route par la Hongrie avec ses frères, Eustache et Baudouin, et une grande troupe de chevaliers; suivant le chemin par lequel Charlemagne, l'incomparable roi des Francs, avait ordonné à son armée de se rendre à Constantinople. L'ermite Pierre arriva d'abord à Constantinople avec les siens et un grand nombre d'Allemands. Il y trouva rassemblés beaucoup de Lombards et d'autres de pays divers et éloignés. L'empereur ne leur donna point permission d'entrer dans sa ville, car il avait toujours redouté le courage des guerriers chrétiens, et particulièrement des Francs; il leur permit cependant de venir acheter dans la ville, mais il leur interdit de dépasser le détroit voisin, appelé le Bras de Saint-George, jusqu'au moment où arriverait la formidable armée des Francs. Il y avait sur l'autre rive un nombre infini de Turcs qui aspiraient à leur arrivée avec une brutale impatience, et si, comme l'a prouvé ensuite l'événement, les hommes de l'ermite Pierre étaient tombés en leurs mains en l'absence des chefs des Francs, tous auraient été mis à mort. Cependant tout rassemblement d'hommes qui n'est point gouverné par l'autorité d'un bon commandant, mais suit un chef sans force, tombe en décadence, s'affaiblit chaque jour, et finit par trouver sa perte. A cause de cela, et parce qu'ils n'avaient pas un prince prudent pour les commander, ils faisaient des choses répréhensibles, détruisaient les églises et les palais des villes, emportaient ce qu'ils y trouvaient, arrachaient les plombs de la couverture et les vendaient aux Grecs, de quoi l'empereur nommé Alexis fut violemment irrité et leur ordonna de passer au-delà du Bras-de-Saint-George. Ayant donc été plus loin, ils s'élurent un chef, et mirent à leur tête un certain Renaud ; mais, quoiqu'ils l'eussent pour commandant, ils ne cessaient pas de se livrer à la rapine; ils brûlaient les maisons qu'ils rencontraient sur leur chemin, et dépouillaient les églises de leurs ornement et de tout ce qu'elles, possédaient. Ils vinrent ainsi jusqu'à Nicomédie, et entrèrent dans la terre de Romanie :

IV

après y avoir erré trois jours, ils s'avancèrent au-delà de la ville de Nicée. Ils arrivèrent à un château nommé Exerogorgo, [Anne Comnène le nomme Xérigordon.] dans lequel il n'y avait personne; en y entrant ils y trouvèrent une grande abondance de froment, de viande, de vin, et de toutes les choses qui servent à soutenir la vie de l'homme. Les Turcs s'en étaient éloignés par crainte des Francs, mais avaient cependant envoyé leurs espions pour les instruire de l'arrivée des nôtres et de la manière dont ils se comportaient; ayant appris par eux que les Francs étaient venus ravir et non posséder, détruire et non garder, ils accoururent aussitôt contre eux, et assiégèrent le château, dans lequel ils étaient. Il y avait une grande multitude de Turcs : devant la porte du château était un puits, et tout contre, de l'autre côté, une fontaine d'eau vive. Renaud, chef des Chrétiens, était sorti par là, et ayant placé des embuscades, attendait leur venue. Les Turcs se jetèrent sur lui sans hésiter, et tuèrent beaucoup de ceux qui étaient avec lui; les autres s'enfuirent dans le château. Les assiégeants les privèrent tout à fait d'eau, et réduisirent par là les Chrétiens à une grande détresse : c'était alors la fête de saint Michel, que doit célébrer avec vénération toute âme fidèle. La soif les réduisit à de telles extrémités qu'ils ouvraient les veines des chevaux, des boeufs, des ânes et autre bétail, en tiraient le sang et le buvaient, d'autres aspiraient l'humidité de la terre en y appliquant leur bouche, et tempéraient ainsi l'ardeur de leur soif; d'autres lâchaient leur urine dans des vases ou dans leurs mains, et, chose étonnante à dire, ils la buvaient. Que dirai-je de plus ? ils n'éprouvaient aucun soulagement, et la mort seule venait à leur secours.

Alors leur chef, Renaud, fit secrètement alliance avec les Turcs, aimant mieux conserver une vie temporelle que de mourir pour le Christ en tel martyre. Ayant donc rangé ses troupes, il feignit de sortir pour aller combattre les ennemis, mais aussitôt qu'il fut sorti, il déserta vers eux avec beaucoup d'autres. Las ! hélas ! chevalier peureux, venu non du midi, mais du nord, qui combattit si lâchement et si mollement pour le roi et le royaume céleste, qui, avant même d'avoir été frappé d'un léger chalumeau de paille, eut horreur du martyre, et sain encore, chevalier et armé, renonça à la foi du Christ. à bon droit donc mérita-t-il de perdre et voir s'évanouir pour lui la gloire du séjour céleste, et tomba en partage à celui qui a choisi sa résidence au pays de l'aquilon. Ceux qui demeurèrent fidèles et ne voulurent pas abandonner la foi chrétienne souffrirent tous la mort.

V

Les Turcs, dans cette multitude, massacrèrent à leur gré les uns, à leur gré firent les autres captifs : ils attachaient ceux-ci à des poteaux et les perçaient de flèches, et faisaient par jeu souffrir toutes sortes d'outrages aux serviteurs de Dieu, lesquels aimèrent mieux mourir ainsi glorieusement que de vivre déplorablement avec les autres en reniant leur foi. Dieu, nous le croyons, les a reçus en l'enceinte de son éternel paradis, parce qu'ils n'ont pas voulu s'écarter de la foi qu'ils lui devaient. La légion diabolique, enflée de sa victoire, alla livrer combat à Pierre l'ermite, lequel était en un château nommé Civitot : ce château était situé au dessus de la ville de Nicée. En marchant contre lui, les Turcs rencontrèrent Gautier, capitaine et commandant de la troupe de l'ermite; mais bien que cet excellent chevalier signalât en cette occasion tout l'honneur de la chevalerie, il ne fut pas en état de résister ; du moins sa précieuse mort se recommanda par le sang d'un grand nombre de Turcs. Il se précipita sur eux comme un ours affamé sur les bêtes des champs, renversa et priva de vie tous ceux qui se trouvèrent sur son passage; de même ce qu'il avait avec lui d'hommes d'armes vengèrent courageusement, tandis qu'ils vivaient encore, la mort qu'ils allaient recevoir, et tant que les armes les secondèrent, leurs ennemis n'eurent pas à se réjouir de la victoire ; mais ici fut vaincu le courage par la multitude, non la multitude par le courage, et pourtant le courage des nôtres avait réduit de cinq sixièmes le nombre des ennemis; mais enfin, leurs armes brisées et non leur vaillance, ils terminèrent ainsi leur vie dans le combat pour le nom de Dieu, par une mort louable, et les anges transportèrent leurs âmes au séjour des cieux. Alors les Turcs, retournant les cadavres des leurs, reconnurent que ceux avec lesquels ils avaient combattu étaient des Francs ; ils coururent au camp des Chrétiens, et y trouvant un prêtre qui célébrait la messe, le massacrèrent au pied de l'autel. O heureux martyre de cet heureux prêtre, à qui le corps du Seigneur servit de saint viatique et de guide vers les cieux ! ils tuèrent de même ou emmenèrent tout ce qu'ils trouvèrent; l'ermite Pierre s'en était allé et retourné à Constantinople. Dans ce château de Civitot cependant était demeurée une grande multitude de Chrétiens, et tous ceux qui s'étaient échappés vivants du camp ou du combat y avaient afflué. Les Turcs les ayant suivis, placèrent autour des amas de bois pour brûler ceux qui étaient dans le château; mais les assièges, actifs à défendre leur vie, mirent le feu à ce bois, et par l'ordre de Dieu le souffle du vent excitant la flamme, plusieurs des ennemis furent brûlés. Cependant les Turcs emportèrent le château par force, et, selon leur plaisir, firent souffrir à ceux qui étaient dedans divers supplices, tuèrent, les uns, et vendirent les autres comme esclaves : ceux qui eurent le bonheur et l'habileté de s'échapper, regagnèrent le Bras-de-Saint-George, et par l'ordre du très méchant empereur de Constantinople, s'en retournèrent dans leur pays. Cet empereur se réjouit avec ses Grecs de la victoire des Turcs, et acheta cauteleusement toutes les armes des nôtres afin de les laisser sans défense. Après ceci nous allons terminer notre récit, et, retournant en arrière, exposer de quelle manière se rassemblèrent nos Francs, et sous quels chefs.
Sources : Histoire de la première croisade par Robert le Moine - Collection des mémoires relatifs à l'histoire de France, Paris chez J.-L.-J. Brière, libraire - 1824.

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