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Châteaux de l'Orient Latin, Croisés, Templiers, Hospitaliers et Teutonique

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    Conquête de Jebail par Raymond de Saint-Gilles

    Chevalier Franc
    Chevalier Franc

    Raymond IV de Toulouse, dit Raymond de Saint-Gilles (mort en 1105) est comte de Saint-Gilles (1060-1105), comte de Toulouse (1094-1105) et comte de Tripoli (de 1102 à 1105, sous le nom de Raymond Ier). Il décède dans son château de Tortose en 1105.

    En 1103 l'arrivée en Syrie d'une escadre génoise de 40 galères qui hiverna à Laodicée (Lattaquié) permit à Raymond de Saint-Gilles de faire de nouveaux progrès. Comprenant la nécessité d'une flotte pour la conquête des ports libanais, Raymond se porta au-devant des Génois et obtint leur concours. Ils essayèrent d'abord avec lui une attaque contre la presqu'île de Tripoli (al-Mînâ) (fin de l'été 1103). Ne réussissant pas de ce côté, les alliés tournèrent leurs efforts contre Jebail, l'ancienne Byblos, le Gibelet des chroniqueurs, petite place maritime située entre Tripoli et Beyrouth et qui dépendait, elle aussi, des Banû 'Ammâr. Attaquée par l'escadre génoise du côté de la mer, en proie du côté de la terre aux assauts et aux catapultes de Raymond de Saint-Gilles, Gibelet capitula (vers le 28 avril 1104).

    Ibn al-Athîr nous dit que les Francs s'emparèrent des biens des habitants, mais il n'y eut pas de massacre. Raymond récompensa les Génois de leur concours en leur concédant un tiers de Gibelet. Ce premier comptoir fut aussitôt organisé sous le commandement d'un consul génois, Ansaldo Corso. Nous verrons par la suite Gibelet devenir une véritable colonie génoise sous la direction de la famille des Embriaci.
    Sources René Grousset - Histoire des Croisades et du Royaume Franc de Jérusalem - Plon - Paris - 1934

    Construction de Qalaat Sanjîl ou Mont Pèlerin

    Qalaat Sanjîl ou Mont Pèlerin
    Mont Pèlerin Tripoli (Tarablous) - Image Elie - Liban
    http://elie.issa.free.fr/Liban/liban.html

    Avec Tortose au nord et Gibelet au sud, le cadre du futur comté provençal du Liban était déjà tracé. Il lui manquait, au centre, sa capitale naturelle, Tripoli. Mais la Tripoli arabe du onzième siècle, resserrée dans la presqu'île d'al-Mînâ que protège un isthme assez étroit, était d'une prise difficile. Y bénéficiant de tous les avantages de l'insularité, l'habile Ibn 'Ammâr en avait fait un réduit formidable. De là il envoyait par mer ses soldats opérer des diversions sur la partie de la côte déjà soumise aux Provençaux et recevait par mer aussi, puisqu'il était bloqué par terre, le ravitaillement des ports égyptiens. Mais Raymond de Saint-Gilles, qui avait jeté son dévolu sur la cité, n'était pas moins obstiné. Pour bloquer la ville en permanence (c'est-à-dire la ville ancienne, correspondant, répétons-le, à la péninsule d'al-Minâ), il s'installa en face, sur la montagne et y construisit sur l'éperon qui surplombe la gorge de la Qadîsha, une forteresse qu'il appela Mont-Pèlerin (Mons Peregrinus), mais que les Musulmans baptisèrent de son nom : « Qalaat Sanjîl. » ou château Saint-Gilles, et qui correspond à la citadelle actuelle de Tripoli (al-Qalaat) (1103). A la demande de Raymond, l'empereur Alexis Comnène, toujours resté dans les termes les plus amicaux avec lui, l'aida à élever cette forteresse. Une escadre byzantine, envoyée par le gouverneur de Chypre, Eumathios Philocalès, fournit les matériaux de construction nécessaires. « Li cuens Raimonz, dit l'Estoire d'Eracles, choisi devant la cité de Triple, près à deus miles, un tertre bien fort de siège, il le ferma; dessus fist mout bele forteresce et bien la garni. En remembrance de ce que en pèlerinage avoit été fermé, le fist apeler Mont Pèlerin (Guillaume de Tyr). »

    Château de Saint-Gille Tripoli

    Qalaat Sanjîl ou Mont Pèlerin
    Château de Saint-Gille Tripoli - Image Yclady:
    http://yclady.free.fr/

    L'emplacement du Mont Pèlerin était singulièrement bien choisi, puisqu'il devait devenir l'amorce de la ville de Tripoli actuelle, tandis que la cité des Banû 'Ammâr n'en est plus que le faubourg maritime ou al-Mînâ. De fait, en attendant la chute de la Tripoli péninsulaire, la construction d'une nouvelle Tripoli franque, d'une Tripoli de montagne, surplombant et étouffant la première, était son arrêt de mort. La capitale des Banû 'Ammâr était désormais en état de blocus permanent, situation d'autant plus grave que, comme l'avoue Ibn al-Athîr, les chrétiens du Liban, Maronites et autres, faisaient cause commune avec les Francs. « De ce chastel (de Mont-Pèlerin) poursuit l'Estoire d'Eracles, li cuens Raimonz comença à fere tant de maus à ceus de Triple et aus autres Turs (sic) du païs qu'il ne les lessoit durer tant que par force covint que il se censassent (= qu'ils se reconnussent tributaires) vers lui. »
    On comprend que les malheureux habitants de Tripoli, quotidiennement exposés aux coups de main du comte de Toulouse, n'osant plus sortir de leur presqu'île, épuisés par cette obsession, vivant sous la terreur, leurs conduites d'eau potable coupées par l'assiégeant, aient finalement accepté de lui payer tribut. « Ne mie seulement cil des villes entor, mes cil meismes de la cité n'osoient venir contre ses comandemenz. Ainz li obéissoient ausi come s'il fust sires de tout le païs. »

    Qalaat Sanjîl ou Mont Pèlerin
    Entrée principale de la Citadelle de Tripoli
    Château St-Gilles.
    Main gate of Castle St-Gilles of Tripoli, Lebanon. - Image Adel.ElZaim

    Le vieux croisé s'était si bien établi à demeure en cette Provence libanaise que ce fut là qu'il eut son dernier fils : « Sa femme (Elvire de Castille) qui mout estoit bone dame et fine crestienne acoucha dedenz la cité de Tortouse d'un fil qui ot non Alfons et tint la comté de Toulouse après lui. »
    (Le texte latin dit au contraire que l'enfant naquit « in eodem loco », ce qui, en raison du contexte, désigne non Tortose, mais le manoir du Mont Pèlerin (Guillaume de Tyr, p. 441).

    Les auteurs arabes nous parlent d'une tentative des Banû 'Ammâr pour détruire le Château Pèlerin. « En août-septembre 1104, rapporte le Mirât al-Zemân, le qâdî Ibn 'Ammâr attaqua le château à l'improviste, surprit la garnison et après avoir fait main basse sur ce qu'il renfermait en trésors, armes et munitions, retourna à Tripoli sain et sauf et chargé de butin. » Chez Ibn al-Athîr, ce coup de main provoque la mort du comte de Toulouse : « Saint-Gilles avait bâti dans le voisinage de Tripoli une forteresse avec des faubourgs alentour et il s'y était établi, guettant les occasions d'attaquer la ville. Mais une nuit, Ibn 'Ammâr fit une sortie et mit le feu au faubourg, Saint-Gilles fut surpris sur un des toits enflammés avec quelques comtes et plusieurs guerriers. Ils éprouvèrent tout un grand effroi. Saint-Gilles tomba malade des suites de cet accident et mourut au bout de dix jours. » Mais cette version est contredite par le Mirât al-Zemân qui, après nous avoir parlé du coup de main des Banû 'Ammâr sur les faubourgs du Château Pèlerin, continue : « Saint-Gilles mourut au moment où il venait de conclure une trêve avec Ibn al 'Ammâr, trêve en vertu de laquelle il demeurait maître de la banlieue de Tripoli, mais laissait libre passage aux voyageurs et aux approvisionnements. »

    Il résulte de ces rapprochements que le coup de surprise d'août-septembre 1104 ne porta que sur les faubourgs en voie de construction du Mont Pèlerin et qu'il ne semble y avoir guère de rapport entre cet épisode secondaire et la mort de Raymond de Saint-Gilles survenue six mois plus tard. De plus, après comme avant, le comte de Toulouse installé dans sa forteresse, face à la Tripoli péninsulaire, continua à tenir celle-ci sous sa menace et, s'il consentit par moment à desserrer son étreinte, ce fut en conservant le contrôle des communications et du ravitaillement.
    Sources René Grousset - Histoire des Croisades et du Royaume Franc de Jérusalem - Plon - Paris - 1934

    L'œuvre libanaise de Raymond de Saint-Gilles

    Raymond de Saint-Gilles mourut le 28 février 1105, dans sa forteresse du Mont Pèlerin, en face de Tripoli toujours bloquée. Mélancolique destinée que celle de ce haut baron qui, après avoir, le premier, donné son adhésion à la Croisade, avait vu l'un après l'autre lui échapper tous les avantages qu'il eût pu en escompter. D'autres avaient finalement pris à sa place la tête du grand pèlerinage. Il n'avait eu en partage aucune des grandes villes conquises, ni Antioche ni Jérusalem. La croisade de renfort qu'il avait conduite en 1101 à travers l'Anatolie avait lamentablement échoué. Après le naufrage de ces vastes espérances, il avait dû, au soir de sa vie, se rabattre sur un coin de la côte libanaise, et là encore il mourait sans avoir eu la joie d'entrer dans la cité promise, Tripoli, capitale indispensable du fief qu'il s'était adjugé.

    Château de Saint-Gilles

    Qalaat Sanjîl ou Mont Pèlerin
    Château de Saint-Gilles - Castle Sanjil of Tripoli. - Source Image

    Mais peut-être, si l'on y songe, la part finale de Raymond de Saint-Gilles, pour modeste qu'elle parût par rapport à ses ambitions passées, devait-elle être moins défavorisée qu'il ne semblerait au premier abord. En regard de la principauté d'Antioche et du comté d'Édesse, ouverts à toutes les invasions de la Jazîra, en regard de Jérusalem aventurée au fond de l'aride massif judéen, la côte libanaise et la montagne proche, dette Provence du Levant avec la charmante Tortose et la nouvelle Tripoli où il fermait les yeux, n'était-ce pas finalement la plus heureuse partie de la Syrie franque ?
    Tripoli, la plus tard venue des conquêtes franques, puisque conquête posthume de Raymond de Saint-Gilles, restera aussi la dernière aux mains des Francs. Alors que Jérusalem, acquise en 1099, tombera dès 1187, et qu'Antioche, conquise dès 1098, sera perdue en 1268, Tripoli, franque en 1109 seulement, le restera — la dernière — jusqu'en 1289.

    Château de Saint-Gilles

    Qalaat Sanjîl ou Mont Pèlerin
    Château de Saint-Gilles - Castle Sanjil of Tripoli. - Source Image

    Convenons pour finir que la ténacité du vieux croisé n'avait pas été sans noblesse. Comme tant d'autres barons, il eût pu, son vœu accompli, rentré dans son beau comté toulousain. Il préféra mourir à la tâche sur cette terre libanaise qu'il avait élue comme nouvelle patrie : « De ce preudome le conte de Toulouse doit l'en mout bien dire touzjorz, nomeément de si haut cuer com il ot, car le pèlerinage que il ot une foiz empriz (= entrepris), ne vout onques puis (le) lessier, ains (= mais) aferma en son proposement Nostre Seigneur servir jusqu'en la fin. En son païs dont il estoit sires poïst avoir granz richèces et faire granz parties de ses volentez ; mes il vout mieux (= il préféra) soufrir les périlz et les soufraites (= privations) de la guerre (de) Jhesucrist que retorner en son païs aus deliz (= délices) de sa terre. Li autre baron qui orent fet ce veu meismes se tindrent bien à délivré (= se tinrent pour libérés), quant il orent esté en Jhérusalem, cil nomeément qui la sainte cité aidièrent à délivrer; por ce s'en retornèrent en leur païs. Li baron de la terre li disoient mout sovent que bien s'en poïst retorner par grant enneur, mes il respondoit corne bons crestiens que ses sires et ses mestres (= son seigneur et maître) Jhesucrist, quant il fu mis en la croiz por lui et por les autres pecheeurs, l'en li dist qu'il descendist de la croiz, il ne vout onques (= il ne voulut jamais), ainz i fu jusqu'à la mort; autresi (= tout ainsi) vouloit-il fere, que la seue croiz ne metroit il jà jus (= ne déposerait-il jamais) tant que l'ame li departist du cors (Guillaume de Tyr). »

    Château de Saint-Gilles

    Tripoli, reproduction de la ville et des châteaux
    Tripoli image ancienne
    Sources Université Juive de Jérusalem et de la Bibliothèque Juive Nationale

    C'est son fils Bertrand qui, en 1109, parvint à s'emparer de la ville de Tripoli. On peut se demander pourquoi le comte de Saint-Gilles, puissant seigneur du Languedoc, peut-être plus puissant que le roi, vint chercher la gloire au Moyen-Orient, et se montra l'un des plus valeureux chefs de la première croisade.

    Château de Saint-Gilles

    Château de Tripoli.
    Vestiges du château de Tripoli - Image Mohamad Al Roumi et Jean Mesqui.

    Il mourut pourtant dans son château de Tortous sans aucun titre, le comté de Tripoli qu'il rêvait de fondé, faisait pâle figure face au royaume de Jérusalem, à la principauté d'Antioche ou au comté d'Edesse.
    Sources René Grousset - Histoire des Croisades et du Royaume Franc de Jérusalem - Plon - Paris - 1934

    Tripoli recherches archéologiques

    Tripoli, vue de la ville et des châteaux
    (Trablus), Qalaat Sanjil par les Arabes, Mont-Pèlerin par les Francs. sources :http://www.tripoli.gov.lb/

    On sait que Chastel-Pèlerin a été construit en un temps très bref, en 1218-1219 au moins était-il défendable en 1219, puisque Al 'Adil renonça à l'assiéger tant il apparaissait imprenable. L'entreprise fut entamée par un chevalier flamand, Gauthier d'Avesnes, qui y consacra d'importants deniers personnels, par les chevaliers Teutoniques et les Templiers, ainsi que par de nombreux pèlerins à qui il dut son nom ; dès 1218, l'essentiel de ses défenses à l'est était achevé, ainsi que la cour haute qui dessine un quadrilatère abrité par les murailles orientales.

    châteaux de Tripoli

    Tripoli, vue de la cour du châteaux
    Vue de la cour du châteaux de Tripoli - Sources : Le Bourlingueur

    Halles de Tripoli

    Halles Tripoli
    Halles - sources - http://www.tripoli.gov.lb/

    Il est probable que les nombreuses Halles voûtées situées à l'arrière de la forteresse, côté mer, ne furent construites que progressivement, comme celles qui formait le front nord au devant de la cour intérieure. Camille Enlart jugeait ainsi que les quelques vestiges de sculpture de la curieuse chapelle circulaire (A) dataient vraisemblablement du milieu du XIIIe siècle, et C.N. Johns était tout aussi affirmatif ; il reste utile de rappeler que la reine Marguerite de Provence s'y retira en 1250-1251 pendant que Saint Louis était à Acre, et qu'elle y accoucha de Pierre de France, comte d'Alençon.
    Sources http://www.tripoli.gov.lb/

    Château Pèlerin ou Atlit

    plan du château - J. Mesqui
    Plan du Château Pèlerin ou Atlit

    Le front majeur, à l'est, était défendu par deux enceintes coupant la presqu'île.
    L'enceinte externe était flanquée par trois tours rectangulaires (C-C-C) à deux niveaux voûtés en berceau, sous terrasse crénelée ; elle était précédée par un fossé qui servait de chemin d'accès. En effet, deux rampes descendantes venant de la terre ferme y conduisaient, chacune d'entre elles protégée par une porte à barre coulissante. La particularité des tours est de posséder chacune deux poternes dans leurs flancs, protégées par une herse et un assommoir ; elles constituaient les accès à la lice depuis la terre ferme et le fossé, alors que la lice elle-même était accessible par deux autres portes au nord et au sud depuis la mer.

    La seconde enceinte était défendue par deux massives tours rectangulaires (B-B) dont Olivier le Scholastique indique qu'elles possédaient deux niveaux, voûtés en berceau brisé ; le seul accès à cette enceinte se situait au nord, et un large couloir voûté en berceau brisé desservait l'arrière de ces deux tours.
    La tour sud fut surélevée d'un étage très haut, ce qui doubla quasiment son élévation, contenant une seule salle couvertes d'une double voûte octopartite retombant sur un pilier central ; elle est très ruinée, mais conserve encore un ensemble de chapiteaux remarquablement sculptés, deux têtes humaines de dimension colossale, et un groupe de trois têtes humaines plus petites. Cette sculpture date du milieu du XIIIe siècle.

    Cette « grande salle », comme on l'appelle généralement, n'avait pas, malgré sa hauteur, les dimensions nécessaires à une grande salle de Chevaliers, comme il s'en bâtit au Crac ou à Tartous ; bien plus vraisemblablement, il s'agit d'une « grande chambre », et son décor permet de penser qu'elle fut créée dans le contexte de présence royale sur le lieu.

    Au plan des éléments défensifs, bien peu demeure, en raison de la destruction systématique de tous les hauts du château. On note cependant que les étages inférieurs étaient, suivant une tradition romane bien établie et conservée encore en 1218, très peu adaptés à une défense active. C.N. Johns a fourni, en revanche, les élévations d'archères de couronnement, pratiquées sous des niches, et, fait plus intéressant encore, supportant un niveau de chemin de ronde au-dessus des voûtes profondes de ces niches. Plus intéressant encore, il a noté les vestiges, dans la première enceinte, de fentes d'archères percées d'étriers à la base en bêche aux angles supérieurs arrondis.
    Sources : Jean Mesqui — L'Architecture en Terre Sainte au Temps de Saint-Louis.

     

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