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Monuments des Croisés par M. Rey

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    Défense des ports

    Toutes les villes maritimes de la Syrie Saint-Jean d'Acre ; Beyrouth ; Djebleh ; Laocidée ; étaient habitées, comme je lai déjà dit, par une population de trafiquants pour la plupart originaires des républiques italiennes ou du midi de la France. Plusieurs d'entre elles, fondées sur les ruines de cités phéniciennes, possédaient des ports antiques agrandis et défendus par des travaux exécutés au temps des croisades. On profita alors, pour construire les jetées, des restes des anciens môles ou des récifs qui entouraient le mouillage et sur lesquels on éleva d'épaisses murailles, afin de compléter la fermeture et la défense du port, dont l'étendue était, par conséquent, toujours fort restreinte.

    Les navires usités à l'époque des croisades peuvent être divisés en deux catégories, navires de combat et navires de charge.
    Les premiers, de dimensions restreintes et construits dans des conditions de marche rapide, comprenaient les galères, les salandres, les dromons, les colombels, etc.
    Les galères étaient les plus considérables ; elles mesuraient généralement une longueur qui variait de 35 à 41 mètres (1) sur une largeur de 5 à 6.
    Nous savons qu'en la commune de Marseille s'engagea à équiper à ses frais dix galères armées de balistes et portant chacune vingt-cinq hommes d'armes.
    Les salandres étaient plus petites et ne comportaient guère que trente hommes d'équipage.
    Quant au dromon, c'était un navire d'origine grecque, ainsi que son nom l'indique, mais sur lequel nous ne possédons que des données fort incomplètes.
    C'est à ces bâtiments que paraissent avoir été destiné les ports qui vont faire l'objet de cette étude.

    Leur superficie est trop restreinte et leurs passes présentent trop peu de largeur pour avoir pu recevoir des navires de grandes proportions et ayant un tirant d'eau considérable.
    Quant aux navires de commerce ou de transport, nous savons que les Vénitiens, les Génois et les Marseillais avaient fait de rapides progrès dans l'art des constructions navales, et que dès la fin du XIIe siècle ils avaient pu fournir aux croisés qui se rendaient en Terre Sainte des navires de transport nommés nefs, buze-nefs, torgies, etc. etc., qui étaient d'un tonnage considérable et portaient généralement deux à trois cents pèlerins.

    Les savantes recherches de M. Jal sur l'architecture navale du moyen âge ont jeté beaucoup de lumière sur cette branche des études archéologiques.
    Il nous apprend que les nefs vénitiennes nolisées par saint Louis, dans la seconde moitié du XIIIe siècle, étaient d'un tonnage considérable. Celle sur laquelle il donne les renseignements les plus complets (2), la Roche-Forte, mesurait 35 mètres de long, 14 de large, et quand elle était chargée calait environ 18 pieds d'eau.

    Nous savons par Sanuto (3) que cette même nef était sortie de Venise en 1263, portant cinq cents combattants.

    Par leurs formes arrondies, ces grands navires de transport se rapprochaient beaucoup des galiotes hollandaises du siècle dernier, ainsi que des allèges employées de nos jours, comme on peut le voir par les coupes données par M. Jal au tome II de son Archéologie navale. D'après les calculs du même auteur (4), cent chevaux en moyenne pouvaient être installés dans la cale de ces grands navires.

    Dans les Statuts de Marseille, livre I, chapitre XXXIV, nous trouvons à cette époque la mention de vaisseaux pouvant porter jusqu'à mille pèlerins, et Geoffroy de Villehardouin, en parlant de la conquête de Constantinople, dit que cinq nefs transportèrent 7,000 hommes, qui ferait environ 1,600 hommes par bâtiment.

    Il y a donc lieu de conclure que ces grands bâtiments n'entraient que dans quelques ports de la côte de Syrie, tels que ceux d'Acre, de Laodicée ou de Sajette, qui possédaient des passes assez larges pour leur permettre d'y entrer sans danger; encore l'étendue relativement restreinte de ces ports ne pouvait contenir à la fois qu'un très-petit nombre de ces bâtiments.

    Nous devons donc penser qu'alors, comme de nos jours, ces grands navires, qui ne faisaient le voyage du Levant qu'à des époques fixes réglées suivant les saisons par les lois maritimes, devaient demeurer sur rades foraines durant les escales qu'ils faisaient sur le littoral syrien.

    Les travaux maritimes paraissent avoir été peu familiers aux ingénieurs latins; aussi cherchèrent-ils, comme à Djebleh ou au port intérieur d'Acre, à creuser le bassin dans une roche peu résistante, ce qui n'était possible que pour des ports d'une faible superficie.

    Quand une embouchure de rivière était protégée par une pointe du rivage, parfois ils s'en servaient pour y créer un refuge, comme nous le voyons au Nahar-es-Sin où un petit mouillage avait été ménagé sous la protection du Toron de Boldo.

    En France et en Italie, pendant le moyen âge, l'entrée des ports était fermée par des chaînes, et ce mode de clôture semble avoir été également usité en Terre Sainte et à Chypre (5). Nous savons que la tour qui défendait la chaîne du port de Damiette s'appelait la Cosbarie et que le même mode de défense existait également à l'entrée du port de Constantinople (6). Ces passes étaient toujours commandées par un ouvrage important, généralement une tour carrée élevée à l'extrémité des jetées, comme on en trouve aujourd'hui les restes à Acre, à Beyrouth, à Djebleh, à Giblet, à Laodicée et à Tyr, où elles sont disposées comme celles que nous voyons en France à l'entrée des passes d'Aigues-Mortes, du vieux port de Marseille, de celui de la Rochelle, etc. etc.

    A cette époque on élevait également en France, sur les tours défendant les passes, des tourelles portant des feux de nuit destinés à guider les navires entrant dans ces ports.

    Nous savons que les Francs de Syrie avaient construit de ces phares, notamment à l'entrée du port de Laodicée, dont le feu est mentionné par l'historien arabe (7) de la vie du sultan Malek-Mansour-Kelaoun.

    Dans plusieurs endroits se trouvaient des rochers présentant une assez grande superficie pour permettre de bâtir de véritables châteaux, pouvant tout à la fois servir à protéger le mouillage et à offrir un réduit aux défenseurs de la ville dont ils dépendaient, comme à Sajette et à Césarée.

    La ville de Tyr s'élève sur une presqu'île reliée par un isthme sablonneux au continent, et formant deux ports naturels, l'un au nord, aujourd'hui presque complètement ensablé, l'autre tourné vers le sud, que l'on appelait port Egyptien.

    Port de Tyr Figure 42

    Port de Tyr
    Port de Tyr Figure 42 - Sources : Fortifications d'Orient, M. Rey

    L'histoire de cette ville, célèbre durant l'antiquité, a été l'objet d'un grand nombre de travaux, et notamment en France de la part de MM. Renan, de Bertou et Poulain de Bossay (8).

    Pendant tout le temps de la domination française en Syrie, Tyr fut, après Acre, la ville maritime la plus importante du royaume latin.
    C'est à l'extrémité nord de la ville que se trouvent les restes du port construit au temps des croisades et qui a remplacé celui qu'on nommait dans l'antiquité port intérieur ou Sidonien. Il consiste en une petite baie fermée au nord et à l'ouest par deux jetées « A » et « B » composées de matériaux antiques. L'entrée de ce port, qui sert encore aux pécheurs de la bourgade moderne de Sour, est au nord-ouest. Elle était défendue par des tours « C » et « D », carrées, massives à leur base, et dont le revêtement se composait de gros blocs taillés à bossage. Le texte suivant du continuateur de Guillaume de Tyr, relatif à la chaîne qui fermait cette entrée au moment de la défense de Tyr par Conrad, marquis de Montferrat, à la suite de la bataille de Hattin, me semble devoir trouver ici sa place (9) : « ...La cheene don port ert avalée por ce que il [le marquis] voloient que les galères entrassent ens, et les trois torz qui estoient a la cheene estoient bien garnies de gent. Quant li marquis vit qu'il y ot entré tant de galées [musulmanes] dedens le port, si fist lever la cheene et prist les V galées.... »

    Les jetées avaient un relief assez considérable au-dessus du niveau de la mer, suivant l'usage adopté alors, et, selon toute apparence, elles étaient couronnées d'un chemin de ronde avec parapet crénelé. Tours et murailles ne possèdent plus aujourd'hui que 2 à 3 mètres d'élévation, et la jetée occidentale est sur presque toute sa longueur dérasée à fleur d'eau. Le texte du continuateur de Guillaume de Tyr parle de trois tours; je pense que c'est à l'est de la passe à l'extrémité de la jetée de droite que s'élevait sur le récif « E » la tour qui a aujourd'hui disparu.
    1. Jal, Archéologie Navale, tome I, pages 31.
    2. Jal, Archéologie navale, tome II, page 377.
    3. Marino Sanuto, Vies des doges de Venise, tome XXII de Muratori.
    4. Jal, Archéologie natave, pages 422-424.
    5. A Famagouste tout le système d'installation de la chaîne du port se voit encore dans une des tours du château, et le petit port de Cerines était fermé de la même manière.
    6. Continuateur de Guillaume de Tyr, page 326.
    7. Extrait des Historiens Arabes des croisades, page 708.
    8. Mémoires de la Société de géographie, tome VII, page 455.
    9. Continuateur de Guillaume de Tyr, chapitre III, page 108.

    Sources : Rey (Emmanuel Guillaume), Etude sur les monuments de l'architecture militaire des croisés en Syrie et dans l'Ile de Chypre. Paris, Imprimerie Nationale M. DCCC. LXXI.

    Saint-Jean d'Acre

    L'importance du mouvement maritime dont Acre (Figure 43), devint le centre durant les Croisades nécessita l'exécution de travaux considérables pour rétablissement du port de cette ville, le plus vaste de tous ceux dont je décris ici les restes.

    Il était formé par une jetée, qui, commençant à l'angle sud-ouest de la ville, s'étendait jusqu'à la tour dite des Mouches, destinée à défendre l'une des entrées du port. Cette tour était carrée et on en voit encore la base.
    D'après le plan de Sanudo, une seconde digue, dérasée aujourd'hui au-dessous du niveau de la mer, mais reconnue et relevée en 1862 par le commandant Mensell de la marine anglaise, tandis qu'il faisait l'hydrographie des côtes de la Syrie, partait de l'angle sud-est des murs d'Acre et se terminait à la tour fondée sur un récif où l'on voit encore les restes de l'enrochement de béton qui formait la base de cette défense, remplacée actuellement par un feu de position.
    Elle commandait la seconde passe par laquelle ou pénétrait dans le port. Un tronçon de jetée d'environ 50 mètres de longueur séparait cette issue de celle qui était défendue par la tour dite des Mouches.

    Comme l'indique le plan, plusieurs parties de ces ouvrages ont encore conservé un certain relief au-dessus du niveau de la mer; mais ce port est aujourd'hui presque entièrement ensablé. Un étroit chenal s'ouvrant dans les murs de la ville donne accès dans un bassin intérieur. C'est un rectangle de 80 mètres de côté environ, à peu près comblé quand je le vis en 1860.
    Sources : Rey (Emmanuel Guillaume), Etude sur les monuments de l'architecture militaire des croisés en Syrie et dans l'Ile de Chypre. Paris, Imprimerie Nationale M. DCCC. LXXI.

    Beyrouth

    A Beyrouth (Figure 44), il ne subsiste plus des travaux maritimes élevés par les Croisés, que le quai et deux grosses tours carrées dites tours des Génois; elles défendaient le petit port qui sert encore à la douane et dont je joins ici le plan. A la plus grande des deux vient s'appuyer la jetée-moderne du port; cette tour possède une citerne et pouvait servir de refuge en cas de besoin à une partie de la garnison de la ville. Ces défenses, qui devaient avoir quelque analogie avec le château de Maraclée, sont peu éloignées du rivage auquel elles étaient reliées par une petite jetée formant le côté oriental du port, et dont j'ai vu les restes il y a moins de dix ans. Ces deux ouvrages ont encore aujourd'hui environ 6 mètres de hauteur, et la tour sert de soubassement à une construction turque relativement moderne, ruinée par les boulets anglais eu 1840. Sur ses débris on a installé récemment un feu destiné à fixer les positions des navires qui viennent mouiller à Beyrouth. Quant à la jetée, qui ferme aujourd'hui le port vers le nord, je l'ai vu construire, il y a peu d'années, sur les restes de la jetée du moyen âge dont les débris se distinguaient fort bien sous l'eau. Quant à la passe actuelle, elle a été ouverte dans la jetée du moyen âge lors de rétablissement du port moderne.
    Sources : Rey (Emmanuel Guillaume), Etude sur les monuments de l'architecture militaire des croisés en Syrie et dans l'Ile de Chypre. Paris, Imprimerie Nationale M. DCCC. LXXI.

    Djebleh

    J'ai dit qu'on voyait encore à Djebleh (Figure 45), les restes d'un port remontant à l'époque où cette ville faisait partie de la principauté d'Antioche. Il est de fort petite dimension et plus qu'à moitié comblé par le sable. On le tailla dans le roc, et une tour barlongue, dont je vis les substructions en 1859, commandait la passe. Cet ouvrage était isolé de la terre ferme par une coupure assez profonde pour former une défense sérieuse, mais qui, toutefois, s'arrêtant presqu'à fleur d'eau, ne pouvait permettre à aucun navire de pénétrer dans le port de ce côté. Ce port ne paraît pas avoir jamais été pourvu de quais.
    Sources : Rey (Emmanuel Guillaume), Etude sur les monuments de l'architecture militaire des croisés en Syrie et dans l'Ile de Chypre. Paris, Imprimerie Nationale M. DCCC. LXXI.

    Laocidée

    A Laocidée (Figure 46), le port consistait en une petite baie qu'une ligne de récifs fermait du côté du large. On ne pouvait entrer dans le mouillage que par une passe étroite resserrée entre une tour qui aujourd'hui porte le phare moderne, et l'extrémité de la jetée, construite sur les rochers et dont le musoir était encore intact il y a quelques années. La tour qui défendait cette entrée est de grande proportion et affecte, ainsi qu'on en peut juger par le plan, une forme assez singulière : elle est bâtie en équerre dont l'angle serait noyé dans un segment de cercle. On voit encore un énorme anneau de fer scellé dans la base de cet ouvrage du côté de la passe, et qui était destiné à attacher la chaîne du port.

    Nous savons par les historiens arabes que cette tour était considérée comme l'ouvrage le plus sérieux des défenses de la ville de Laodicée, fort commerçante à cette époque. Un tremblement de terre, survenu en 1287, ayant endommagé les murs de la ville ainsi que la tour qui nous occupe, et renversé le phare qui la couronnait, l'émir de Sahyoun, Hassan-ed-din-Torontaï, profita de cette circonstance pour s'emparer de Laodicée. Ayant donc assiégé la tour du port, il plaça ses machines sur la jetée dont on voit encore les restes et qui reliait la tour à la terre ferme. Les murs de cet ouvrage avaient été fort ébranlés par le tremblement de terre et ses défenseurs durent capituler le dimanche 5 de rabi premier 686. Des quais, dont on voit une partie assez considérable, avaient été établis sur le pourtour de ce port, qui, bien que s'ensablant chaque jour, sert pourtant encore de refuge aux barques des pécheurs de la ville moderne de Lattakieh.
    Sources : Rey (Emmanuel Guillaume), Etude sur les monuments de l'architecture militaire des croisés en Syrie et dans l'Ile de Chypre. Paris, Imprimerie Nationale M. DCCC. LXXI.

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