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Evrard des Barrès

Evrard-des-Barres
Mars 1147, avril-mai 1151

élu Maître de l'Ordre alors qu'il était encore Précepteur de France, il apparaît avec ce titre, pour la premiere fois, dans une donation d'Achier de Paris, comprenant un moulin situé sous le Grand-Pont de la Seine.

Le 14 mai 1150, il tint un chapitre général dans la capitale de la France. Du Cange, dans son étude sur les familles d'Outre-Mer, ne dit rien sur la fin de ce troisieme Maître du Temple, pas plus que l'obituaire de Reims.
Les actes se taisent à partir de 1150.
Nous le retrouvons comme moine de Clairvaux où il mourut, suivant le monologue de l'abbaye, le 12 novembre 1174.

Evrard des Barrès - 1147-1150

Evrard ou Everard des Barres est Précepteur de l'Ordre pour la France depuis 1143 lorsqu'il est appelé à la succession de Robert de Craon en 1148. A peine a-t-il pris ses nouvelles fonctions qu'il sauve le roi de France Louis VII et son armée de croisés, en se portant à son secours dans les gorges de Pisidie.
Le maître du Temple, écrit Odon de Deuil, un chroniqueur de l'époque, homme respectable par son caractere religieux, et modele de valeur pour les chevaliers, tenait tête aux Turcs avec l'aide de ses freres, veillant avec sagesse et courage à la défense de ce qui lui appartenait, et protégeant aussi de tout son pouvoir et avec vigueur ce qui appartenait aux autres.
Le roi, de son côté, se plaisait à les faire voir et à les imiter, et voulait que toute l'armée s'appliquât à suivre leur exemple, sachant que si la faim énerve les forces des hommes, l'unité d'intention et de courage peut seule soutenir les faibles.
Baudouin III, roi de Jérusalem, veut profiter de la présence de l'armée croisée pour faire le siege de Damas. Mais les seigneurs chrétiens de Palestine, furieux que la ville soit promise au comte de Flandre et non à l'un des leurs, trahissent et font échouer l'entreprise.
L'armée croisée se retire. Cet échec est un désastre psychologique: les musulmans ont appris à ne plus re douter les princes d'Occident, et ils redoublent leurs attaques. La principauté d'Antioche tombe entre leurs mains. Raymond de Poitiers, qui défend la ville, est décapité; sa tête est envoyée comme trophée au calife de Bagdad.
L'exode de la population chrétienne de ses contrées est protégé par les Templiers, qui doivent aussi défendre Jérusalem d'un raid des Turcs qui laissent 5 000 hommes dans une bataille au bord du Jourdain.
évrard des Barres n'y assiste pas. Il est reparti en Occident avec le Roi Louis VII, auquel il a accordé une avance d'argent.
C'est un précédent qui va faire école. Les Templiers, désormais, vont devenir les banquiers des rois et des princes.
A Clairvaux, évrard des Barres embrasse la vie monastique, et envoie, en 1151, son abdication à Jérusalem, persévérant dans sa nouvelle vocation, malgré l'insistance des Templiers qui veulent le voir revenir. Il meurt dans l'abbaye en 1174.

Durant le magistère d'Evrard des Barres

Depuis 1143, il n'est plus question du Grand-Maître Robert: sa Maîtrise ne peut guère avoir duré plus de neuf ou dix ans, puisque nous lui trouvons en 1143 pour successeur, Evrard des Barres, que nous avons vu Précepteur de France en 1143. Nous ne pouvons pas assurer si Evrard fut choisi présent ou absent; ce que nous savons de certain, c'est qu'Odon de Dueil le considère comme Chevalier recommandable par la religion, digne d'être proposé pour exemple de probité à tous les militaires, et qu'il se trouva avec bon nombre des siens, réuni aux Français devant C. P. avant la Saint Denis de 1147, que ceux-ci célébrèrent avec les Grecs.

L'Europe, alarmée des conquêtes rapides de Noradin, avait cru ne pouvoir en arrêter les progrès que par une seconde croisade:
le Pape, avait donné commission de la prêcher à Saint Bernard qui parcourut à cette fin toute la France et l'Allemagne en 1146. L'Empereur Conrad et le Roi de France, embarqués sur le Danube, le premier au mois de mai, et le second au mois de juin de l'année suivante (1147), étaient arrivés heureusement, l'un après l'autre, jusqu'a détroit des Dardanelles, et après avoir beaucoup souffert de la perfidie des Grecs, ils s'étaient réunis auprès de Nicée, et avaient continué le voyage ensemble, jusqu'à ce qu'après avoir eu quelque avantage sur les Turcs au passage du Méandre, il fallut se séparer. La route que prirent les Français était la plus difficile ; ils y furent maltraités et mis en déroute par l'imprudence d'un Commandant.
On sait à quel péril Louis VII fut exposé sur la montagne de Laodicée; comment il fut obligé de s'enfuir, à la faveur de la nuit, par des chemins inconnus: mais ce que nous ne devons pas omettre, c'est la confiance qu'il témoigna, dans cette rencontre, au Grand-Maître Evrard des Barres. Voyant qu'il n'y avait qu'un Capitaine aussi expérimenté qui pût le sauver de l'embarras où les siens l'avaient engagé, il lui confia le commandement de son arrière-garde toute en désordre, donna celui de l'avant-garde à un vieil officier, et le plaça entre ces deux corps. De cette manière on continua de marcher vers la Pamphilie en si bon ordre, que l'ennemi, qui côtoyait les croisés, et qui les attaqua jusqu'à quatre fois, en fut toujours repoussé: un jour même, qu'on le vit engagé entre deux rivières, on le chargea si à propos, que n'ayant plus osé reparaître, on acheva cette dangereuse marche, pendant laquelle les Templiers, sous les yeux de leur chef, firent des prodiges de valeur, se trouvant partout, et ne cessant de montrer aux Infidèles un front terrible.
Le roi aimait, dit l'Abbé de Dueil, à voir leur frugalité, à l'imiter, et à la proposer à ses soldats pour modèle, de même que leur union et leur désintéressement: il admirait surtout l'attention qu'ils avaient à ménager et à conserver les munitions du Soldat comme les leurs propres: aussi fut-il ordonné, dans le conseil de guerre, que tous Officiers et Soldats se lieraient de Confraternité avec eux ; qu'on obéirait à leurs Comandants, et qu'on marcherait à leur ordre.

Arrivé sur les côtes de Pamphilie, le Roi se disposa à prendre la route d'Antioche: on y arriva le 19 mars, après avoir beaucoup souffert de la faim. L'armée demeura quelque temps campée sous les murs de cette ville, pour se délasser et prendre des rafraîchissements.
Durant le séjour du Roi à Antioche, Evrard des Barres s'étant aperçu que la caisse militaire allait être épuisée, offrit aux Français tous les secours qui dépendaient de lui, et partit incontinent pour Acre, où était le trésor de l'Ordre. Le Roi, pénétré de reconnaissance, en écrivit aux Régents de ses Etats en ces termes:
« Louis, par la grâce de Dieu, Roi de France et d'Aquitaine, à l'Archevêque de Reims, Samson au très célèbre Suger, Abbé de Saint-Denis, et au Comte de Péronne, notre cher cousin et ami, salut: nous vous enjoignons d'ajouter foi à tout ce que le Maître Evrard des Barres vous écrira de notre part: nous l'avons effectivement envoyé d'Antioche à Saint-Jean-d'Acre le 6 des ides de mai, pour qu'il nous en apportât l'argent dont nous avions besoin, c'est pourquoi nous vous mandons, de la part de Dieu et de la nôtre, de lui envoyer sans délai la somme qu'il nous a prêtée, aussi tôt que vous en serez avertis par les présentes ».
Nous avons encore la réponse que Suger fit au Roi, par laquelle il déclare avoir rendu la somme avancée.

Quelque temps après, le Roi écrivit encore à son ministre, pour lui notifier combien il avait à se louer, lui et les siens, des importants services qu'ils avaient reçus des Templiers depuis leur arrivée en Orient.
« Je ne vois pas, dit Louis, comment nous aurions pu subsister un moment dans le pays, sans le secours dont ils ont continué de nous prévenir jusqu'a présent ; c'est pourquoi je vous prie de leur donner de nouveaux témoignages de reconnaissance, et de leur faire sentir combien je leur suis attaché. J'ai cru nécessaire de vous avertir qu'ils viennent encore d'emprunter pour moi une somme très considérable, qu'il convient de leur rendre au plutôt, tant pour dégager ma parole, que pour empêcher qu'ils n'en souffrent. Vous aurez donc soin de leur faire délivrer, sans délai, deux mille marcs d'argent sur la somme empruntée: pour ce qui est du surplus, qui se monte à trente mille sous, monnaie de Poitiers, j'ai chargé le Comte Geoffroi de Rancon de les leur remettre incessamment, ce qu'il m'a promis de bonne grâce ; s'il refuse de tenir parole, je vous ordonne de l'en sommer de ma part, et de lui rappeler les ordres qu'il en a reçus. »

D'Antioche, Louis VII se rendit à Acre avec les débris de son armée, puis à Jérusalem, où il fut reçu avec toute la joie et les honneurs possibles. Conrad y était arrivé peu auparavant, et avait été conduit en cortège dans la maison du Temple, préparée pour y recevoir le chef de l'Empire. Après qu'on eut visité les Saints-Lieux, et que chacun eut satisfait à fa dévotion, les Princes et les Prélats convoquèrent, pour le 20 mai, une assemblée générale, qui se trouva composée de tout ce que l'Orient et l'Occident avaient de plus illustre dans l'Eglise et dans l'Etat, et à laquelle les deux Grands-Maîtres furent admis. On y traita des opérations les plus avantageuses au bien de la Chrétienté ; le siège de Damas y fut résolu, et les troupes des Princes chrétiens rassemblées ; on marcha contre la ville en cet ordre:
Baudouin, suivi des Orientaux, faisait l'avant-garde ; les Français avec les Templiers le corps de bataille, et l'Empereur avec les Allemands l'arrière-garde.
On attaqua Damas du côté des jardins qui la couvraient à l'occident et au septentrion: la prise de cette place était infaillible, si la trahison ne s'en fût pas mêlée. Les Infidèles voyant qu'ils allaient être emportés, si l'on continuait l'attaque par ou elle avait été commencée, firent tenter secrètement quelques Barons Syriens, en leur promettant de grosses sommes, s'ils venaient à bout de persuader aux Croisés de changer l'attaque du côté des jardins, pour en faire une autre vers l'orient: ils trouvèrent des traîtres disposés à tout faire pour de l'argent. Les Princes donnèrent dans le piège, permirent qu'on changeât l'attaque formèrent un autre siège du côté de l'orient, qui était le mieux fortifié, et où les vivres ne pouvaient aborder qu'avec beaucoup de danger, de sorte que la famine s'y étant bientôt fait sentir, on ne s'aperçut que trop tard de la fraude, et il fallut lever le siège, pour ne pas ruiner entièrement le peu de soldats qui restaient aux Princes croisés.

Tandis que la France et l'Allemagne se dépeuplaient pour porter la guerre en Asie, les Espagnols, occupés chez eux à des expéditions plus utiles, remportaient de grands avantages sur les Maures: le Roi de Portugal s'empara cette année de Lisbonne, avec le secours d'une flotte composée d'Anglais, de Flamands, et de quelques habitants des environs du Weser.
Alphonse Raimond, Roi de Castille et de Léon, secondé par les Templiers, se signala aussi par la prise d'Almerie et de Calatrava. Cette dernière place fut confiée à la garde des Chevaliers. Alphonse ne crut pas pouvoir l'abandonner à des gardiens plus sûrs qu'à ceux qui avaient contribué à la prendre. Ils la défendirent l'espace de huit ans contre les irruptions des Maures, jusqu'à ce que se voyant dans l'impuissance de s'y maintenir contre les efforts supérieurs des Infidèles, ils la remirent entre les mains de Dom Sanche, successeur d'Alphonse.

Le gouverneur d'Aragon s'aperçut bientôt qu'en comblant les Templiers de ses bienfaits, il n'avait pas obligé des ingrats: l'Ordre lui, fut d'un très-grand secours dans toutes ses entreprises contre les Maures ; on l'aida, vers la fin de cette année, à reprendre sur eux la ville de Tortose, place située dans un pays fertile en grains et en fruits, fécond en carrières et en mines de divers métaux. Zurita, François Diago et d'autres assurent que les Génois et ceux du Temple rendirent en cette occasion des services très-importants. C'est pourquoi Raimond, en conséquence du traité fait avec les Chevaliers en 1143, leur céda non-feulement la cinquième partie de cette ville, mais encore de toutes ses dépendances en bois, étangs, salines, endroits de chasse, de pêche, de navigation; et lorsqu'il s'agit de la repeupler, on leur accorda, comme à ses autres nouveaux habitants, toutes les immunités et franchies capables de les encourager à de nouvelles conquêtes. L'acte de cette concession est de 1149 ; on voit au bas la promesse de fidélité que les Chevaliers et autres nouveaux Bourgeois de Tortose firent au Comte Raimond: le tout est, signé de plusieurs Evêques et Seigneurs, de trois Chevaliers, qui sont Frère Bérenger d'Avignon, Précepteur de Provence, d'Aragon et de Catalogne, Frère Raimond Cubelles, Commandeur de Miraurs et Frère Jean de Corbaria, Commandeur de Monçon. Les Maures tentèrent de reprendre Tortose ; mais les Templiers, secondés par les Bourgeois et leurs femmes, la défendirent si bien, que l'ennemi fut contraint d'en lever le siège.

Les Templiers Orientaux eurent cette année le chagrin de voir expiré toutes ces belles espérances que d'arrivée des Germains et des Français leur avait fait naître: les restes malheureux de ces deux armées, qui semblaient devoir conquérir toute l'Asie, n'ayant osé entreprendre le siège d'Ascalon, de crainte de s'exposer à de nouveaux déplaisirs, se rembarquèrent sans avoir pris une seule ville sur les Infidèles, et après avoir perdu dans cette expédition plus de cent mille hommes. Nous avons déjà observé combien Louis VII avait eu lieu de se louer des Templiers durant son séjour en Orient ; comment ils se firent un devoir de l'honorer et de le prévenir en tout: ce que nous allons rapporter en est une nouvelle preuve. C'est le Roi lui-même qu'il faut entendre:
« Il n'est pas possible, dit-il à son ministre Suger, de vous exprimer les démonstrations de fidélité et d'attachement que je reçois des Templiers orientaux en toute occasion: aussi les injustices qu'on leur fait souffrir, je les tiens faites à moi même ; elles me sont trop sensibles, pour ne pas m'employer tout entier à les poursuivre, mais celles-là surtout qu'ils souffrent dans mes états ne resteront pas impunies ; l'affront en rejaillirait sur moi-même. C'est pourquoi je vous enjoins et vous conjure d'en tirer châtiment, et de punir d'une manière exemplaire, tant dans leurs biens que dans leurs corps, ceux qui ont osé mutiler le Clerc Templier qui allait au chapitre général.

Evrard des Barres accompagné de quelques-uns de ses Religieux suivit le Roi de France dans son retour de la Terre Sainte, et lorsqu'on fut arrivé à Fort-Nove dans le duché de Parme, le Frère Galeran, Maître du Temple de Paris, se détacha pour annoncer dans la route le passage du Roi. Le Grand Maître ne le quitta qu'à Paris, et de là prit, peu de temps après, la route de Clairvaux. Il confirma cette année les accords faits entre ses Chevaliers et l Abbé de Saint-Jean-d'Angely. Il accepta les donations d'Arnauld Archevêque de Narbonne, et apprit avec joie les marques de confiance que les Orientaux donnèrent à son Ordre, en lui cédant en propre, et d'un consentement unanime la ville de Gaza, dont les ruines faisaient encore regretter l'ancienne grandeur, et qu'on avait commencé à rebâtir pour la mettre en état de défense. Ce poste était important, et d'autant plus difficile à conserver, qu'on y était continuellement exposé aux insultes des Ascalonites. Les Templiers s'y maintinrent longtemps et s'y firent tellement respecter, que devenus maîtres des environs, ils répandirent la terreur dans tout le voisinage, et le nettoyèrent de partis ennemis. Mais ce qui occupa le plus Evrard à son arrivée, en France ce fut ce qui concernait Humbert Sire de Beaujeu troisième du nom.

Ce Seigneur, lié au monde par l'opulence et la jeunesse, vécut quelque temps dans une grande licence, mais enfin il se convertit ; et ayant fait voeu de servir en Terre Sainte contre les Infidèles pendant un certain temps, il était parti contre le gré d'Alizé, son épouse, et s'était retiré chez les Templiers: après quelques années de services, il reparut dans sa terre, sans avoir abandonné le dessein de retourner pour l'entier accomplissement de son voeu. Alizé connaissant les dispositions de son époux, s'en plaignit à l'Archevêque de Lyon et à l'Abbé de Cluny Pierre le Vénérable ; celui ci intéressé d'ailleurs à conserver Humbert dans le voisinage de son Monastère, comme un protecteur des personnes et des biens ecclésiastiques, se chargea de conduire cette affaire, et en écrivit à Evrard en ces termes:
« Le Ciel m'est témoin de l'estime et de la vénération singulière dont j'ai toujours été pénétré pour vous et pour votre Ordre depuis son institution: vous n'ignorez pas vous même, et tout le monde sait, que je vous ai témoigné plus d'attachement qu'à aucune autre société religieuse ; et si la satisfaction que j'ai sentie en voyant vos sujets et leur réputation se répandre au loin, a paru des plus vives et des plus sincères, on n'en doit pas être surpris ; car qui pourrait se refuser à des sentiments de joie et d'admiration en vous voyant marcher à un double combat, où vous savez confondre les puissances invisibles par les dispositions du coeur, et braver des ennemis corporels par la force des armes. Là, vous réunissiez tout ce qui peut contribuer à la perfection du solitaire ; ici, vous ajoutez même aux obligations communes des autres Religieux. Ceux-ci combattent, à la vérité, sous l'étendard de la Croix en réduisant leurs corps en servitude, mais ils ont cet avantage, d'être à l'abri du danger et du tumulte des armes ; pour vous non contents d'avoir vaincu le sort armé par la pratique de la mortification, vous êtes encore en état de faire face aux forces qu'il oppose aux membres de Jésus Christ. Vous n'êtes pas moins guerriers fameux par la grandeur de vos exploits, que religieux intérieurs par la prière et l'onction de la grâce exposés sans cesse pour le salut de vos frères, vous participer plus que personne à cette admirable charité dont le Sauveur a dit qu'elle ne pouvait être portée à un plus haut degré que de se sacrifier pour ses amis. Voilà pourquoi je vous ai tant aimé jusqu'à présent, et ne cesserai de vous porter dans mon coeur jusqu'à la fin de mes jours. Mais oserais-je me flatter qu'en ami de confiance vous aurez quelque égard à ma sincérité ?
Oui je compte sur votre caractère bienfaisant et j'espère que vous acquiescerez à mes justes désirs ».

Après toutes ces déclarations d'attachement, le Saint Abbé raconte au Grand-Maître comment le retour du Sire de Beaujeu ayant répandu dans le public une joie inexprimable, un chacun s'est empressé de la lui témoigner, et à le reconnaître comme son libérateur ; comment, au contraire, les ravisseurs du bien d'autrui, les déprédateurs des Eglises, ceux qui oppriment la veuve et l'orphelin, ont été surpris et confus à l'arrivée de celui dont ils redoutèrent la probité, et qui allait commencer par réprimer leurs brigandages.

En effet, à peine Humbert eut-il paru, que le Vicomte de Mâcon, ennemi juré de Cluny, et quelques autres Seigneurs des environs de la Loire, furent obligés de se contenir. La terre de Cluny, plus exposée que toute autre aux persécutions de ces petits tyrans, ne pouvait se passer de son Seigneur, et ne craignait rien tant que son absence, et c'est ce qui engageait surtout Pierre-le-Vénérable à s'intéresser en faveur de Humbert.

« Si vous avez, dit-il à Evrard, quelques inquiétudes sur son séjour dans le Beaujolais, je vous supplie, en ami, de les déposer. Humbert est un Seigneur sage et discret que vous pouvez, sans risque, abandonner à sa conscience ; vous gagnerez plus avec lui par la douceur et la patience que par voie d'autorité ; je connais son naturel, je me suis aperçu, en conversant avec lui, qu'il aimerait mieux tout perdre que d'agir contre son voeu; accordez-le-nous donc encore pour quelque temps, et ne l'enlevez pas sitôt à un pays infortuné qui a tant souffert de son absence après tout quelle est la fin de votre Institut si ce n'est de défendre l'Eglise et de vous opposer comme un mur d'airain contre ses ennemis ?
Je vous entends vous dites que c'est contre les Païens que vous avez pris les armes et non contre des Chrétiens et moi je vous soutiens qu'un Infidèle qui ne connaît pas Dieu doit moins être l'objet de votre zèle qu'un Chrétien qui le confesse et qui le déshonore par ses actions. Lequel des deux est le plus coupable d'un blasphémateur ignorant ou d'un Chrétien persécuteur ?
« Or n'est-ce pas persécuter l'Eglise que de faire main basse sur ses membres les piller les frapper et les mettre à mort sans aucune distinction de rang et de dignité ?
Oui je le répète un Chrétien qui souffre violence de la part de ses frères est autant digne de compassion que celui qui est en danger de tomber entre les mains des Musulmans. De grâce rendez vous à nos instances et laissez nous jouir en paix de celui qui seul peut faire toute notre consolation. »

Loin de se laisser prendre à ces belles paroles, Evrard représenta à l'Abbé Pierre que le Sire de Beaujeu avait quitté son Ordre et repris l'habit séculier sans la permission ni du Pape ni de ses supérieurs légitimes ; que n'ayant pas entièrement accompli son voeu, il fallait qu'il en obtînt dispense, s'il voulait n'être pas inquiété. L Abbé qui avait cette affaire à coeur, en écrivit au Pape une longue lettre, à son ordinaire où il n'omet rien de ce qui pouvait entraîner Eugène III dans son sentiment:
« S'il était sorti dit-il, de quelque Ordre ancien, pourrait le contraindre à y retourner par censure ecclésiastique ; mais comme il ne s'agit que de passer d'une milice en une autre, et de tourner contre de mauvais Chrétiens l'épée qu'il avait prise contre les Infidèles, c'est au Saint-Siège à décider s'il ne serait pas plus à propos de tolérer sa conduite que de la blâmer ouvertement ; mais voici quelque chose de plus, s'il est vrai, comme je l'ai appris de plusieurs personnes dignes de foi, qu'il a fait voeu sans le consentement de son épouse, n'est-il pas de cette prudence qui préside à toutes vos décidons, d'examiner si ces premiers engagements ne sont pas plus forts que les seconds, et si des époux qui ne sont plus, à la lettre qu'une même chair, peuvent se séparer de façon que l'un reste dans le cloître et l'autre dans le monde, que l'un vive dans la chasteté et l'autre exposé à l'incontinence ?
Personne ne peut assurer positivement que l'épouse de Humbert ait prononcé des voeux, mais supposons qu'elle en ait fait, si ce n'est que par complaisance, par légèreté par dépit ou seulement à l'extérieur qu'en faudra t'il penser ?
Pour moi, sans vouloir conseiller celui que je regarde comme mon maître, il me semble que si leurs voeux sont valides, il faut les contraindre l'un et l'autre à vivre séparément en religion, et que si après avoir bien examiné leurs engagements, on les trouve nuls, on doit réunir ces époux, et les obliger à la vie conjugale. »

Le Pape touché de ces raisons, se mit au fait de l'affaire, obligea ce Seigneur de retourner avec sa femme, et le dispensa de son voeu, à condition de faire quelques fondations en conséquence ; Humbert fonda l'Abbaye de Belleville-sur-Saône, Ordre de Saint Augustin, en 1159. Après la mort d'Alizé il prit l'habit de religion à Cluny, où il mourut en 1174.

Quant au Grand Maître, les liaisons qu'il eut avec Saint Bernard, avec les Religieux de Clairvaux et ceux de Cluny, lui inspirèrent une telle ardeur pour la solitude, qu'il conçut le dessein de renoncer à sa dignité: le mauvais succès de la seconde Croisade, qui avait relevé le courage des Infidèles, ne contribua pas peu à l'affermir dans cette résolution. Il apprit avec douleur que Noradin, nouveau Sultan d'Alep, profitant du départ des Français et des Allemands, était entré dans la Principauté d'Antioche avec une puissante armée, y avait défait et tué le Prince Raimond: depuis ce moment les affaires des Francs commencèrent à décliner. Voici ce qu'en dit le Sénéchal ou Trésorier du Temple dans une lettre qu'il écrivit en France vers 1150 au Maître des Barres.

« Depuis que nous sommes privés de votre chère présence, nous avons eu le malheur de perdre, dans un combat, le Prince d'Antioche avec toute sa noblesse. A cet accident en a succédé un second: les Parthes viennent de faire une invasion dans le pays d'Antioche, et sans que personne osât leur résister, ils en ont fortifié les places, y tiennent garnison, et ne paraissent pas devoir s'en dessaisir de longtemps, si Dieu n'y met la main. A la première nouvelle de ce désastre, nous nous sommes assemblés ; et de concert avec le Roi de Jérusalem, nous avons résolu d'aller au secours de cette Province désolée. Nous n'avons pu fournir, pour cette expédition, que cent vingt Chevaliers, et mille tant Servants que Soudoyés ; encore nous a-t-il-fallu emprunter, pour leur équipage sept mille bésans à Acre, et mille à Jérusalem. Votre paternité sait à quelle condition nous avons consenti à son départ ; elle connaît le besoin extrême dans lequel nous sommes d'argent, de Chevaliers et de Servants ; nous la supplions avec instance de nous rejoindre au plutôt avec tous les secours nécessaires à l'Eglise orientale, notre mère commune... »

« A peine fûmes-nous arrivés dans le voisinage d'Antioche que le Sultan d'Alep d'un côté, et les Parthes de l'autre, nous ayant investis et resserrés dans l'enceinte de la ville, ravagèrent impunément nos vignes et nos moissons. Pénétrés et accablés de la plus vive douleur à la vue de l'état pitoyable auquel nous sommes réduits, nous vous conjurons de tout quitter pour vous embarquer sans délai: jamais votre présence ne fut plus nécessaire à vos Frères ; nulle autre conjoncture ne peut rendre votre retour plus agréable à Dieu. De quelque manière que la Providence dispose de nous ne laissez pas que de vous mettre en route. Nous savons qu'il est aussi facile à Dieu de nous délivrer, de la puissance de nos ennemis, que d'un idolâtre en faire un adorateur du vrai Dieu ; aussi mettons nous toute notre confiance en celui qui nous a lavés de son sang. Si ceux de nos Frères que nous vous envoyons sont en si petit nombre, n'en soyez pas surpris ; nous voudrions au contraire rassembler et retenir ici, sous vos ordres tous ceux des nôtres qui sont au-delà des mers. La plupart de ceux que nous avions conduits au secours d'Antioche sont morts, et c'est une des raisons pour lesquelles nous ne craignons pas de vous lasser, en vous conjurant encore une fois d'amener avec vous tout ce que vous pourrez de Chevaliers et de Servants les plus capables de porter les armes. Peut être qu'avec toute la diligence que vous ferez, vous ne nous trouverez plus en vie.
Usez donc de toute la célérité possible, et de grâce, n'oubliez pas les nécessités de notre Maison: elles sont telles que nous n'avons ni couleurs pour les peindre, ni termes pour les exprimer. Il est aussi de la dernière importance d'annoncer la prochaine désolation de la Terre Sainte au Pape, au Roi de France, aux Princes et aux Ecclésiastiques, afin de les engager à nous secourir en personne, ou à nous envoyer des subsides. Quelques obstacles qu'on oppose à votre départ, nous espérons de votre zèle qu'il les surmontera, puisque c'est ici l'occasion d'accomplir parfaitement nos voeux, en nous sacrifiant pour nos Frères, pour la défense de l'Eglise orientale et du Saint-Sépulcre. Pour vous, nos très chers Frères, que les mêmes liens et les mêmes voeux doivent rendre sensibles à nos calamités, joignez-vous à votre chef, entrez dans ses vues, secondez ses intentions ; et fallût-il vendre tout ce que vous pourrez, venez nous retirer du péril: c'est de vous que nous attendons la liberté et la vie. »

Cette lettre arriva France lorsque tout y était en mouvement sur le mauvais succès des perniers secours, et sur les moyens d'en procurer de nouveaux ; elle ne fit cependant que peu d'impression sur l'esprit du Grand Maître. Les Cisterciens en furent la cause en partie: outrés de voir Saint Bernard en butte aux murmures d'une infinité de mécontents, et craignant de le voir exposé derechef par le Pape, qui voulait le faire passer en Orient, ces Religieux, loin d'encourager les peuples à secourir les Orientaux, tâchaient au contraire de les en détourner. C'est une des raisons pourquoi Evrard ne se rendit point aux instances de ses Chevaliers. Dégoûté du monde et des embarras attachés à son magistère, il s'en démit, abdiqua entre les mains de ceux qu'on lui avait députés, et demanda à Saint Bernard d'être admis au nombre de ses disciples.
Clairvaux fut témoin pendant plus de vingt quatre ans de la vie exemplaire d'Evrard. Son caractère fut l'esprit de pénitence et de mortification, qui joint à une vive appréhension des jugements de Dieu, lui faisait embrasser avec joie les travaux les plus pénibles de la discipline monastique qui se pratiquait à Clairvaux.
Il était Français d'une famille distinguée qui donna un Maréchal à la France en 1311, et à l'Anjou ce vaillant Sénéchal qui, à la bataille de Bouvines saisit l'Empereur par le milieu du corps pour le tirer de dessus son cheval, et qui l'eût fait prisonnier sans un prompt secours.
Cette famille porte d'or à la croix ancrée de sinople.
Evrard assista, en 1174, à la consécration de la chapelle du château de Montmorency ; et parmi ceux qui sont rappelés dans l'acte de cette dédicace, on lui donne la qualité de Moine de Clairvaux. Il fut enterré dans cette Abbaye, et se trouve placé, le 25 novembre dans le Ménologe de Cîteaux, au nombre de ceux qui ont illustré cet Ordre par l'éclat de leur sainteté et de leur religion.

Les Chevaliers députés à Evrard ne furent pas plutôt de retour en Palestine, que le Chapitre s'assembla pour donner un Chef à l'Ordre. Ce ne fut point cet Hugues dont ont parlé Baudouin et le Président Boissieu, puisqu'il ne vécut comme nous verrons qu'en 1252, mais un Seigneur de la première noblesse de Bourgogne dont il est fait mention dans un acte de 1135, et qui se nommait François Bernard de Tramelay. Tramelai, Tramelay ou Dramelay est le château de la baronnie d'Arinthoz (petite ville de Franche-Comté). Bernard était le troisième fils de Humbert, Sire de Tramelai, rappelé dans la charte de 1131 avec Guérie de Coligni son épouse. Cette maison porte d'or au chef de gueule.
Sources: Par feu Claude Mansuet Jeune. Chanoine Régulier de l'Ordre de Prémontré, Docteur en Théologie, Prieur de l'Abbaye d'Etival. Edité chez Guillot, Librairie de Monsieur, Frère du Roi, rue Saint-Jacques. Paris. M DCC. LXXXIX.

Bernard de Tramelay

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