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Bertrand de Blanquefort

Bertrand-de-Blanquefort

1156 - 2 janvier 1169.
Originaire de Guyenne, le sixième Maître est mentionné pour la première fois le 2 novembre 1156 lorsqu'il souscrit au traité de paix du roi Baudouin IV avec les Pisans.

L'an 1156, les Templiers avec lui surprennent, dans sa fuite le meurtrier de Dafer, calife d'Egypte, lui enlèvent les trésors qu il emportait, et livrent son fils aux Egyptiens.

L'an 1157, le 19 juin, Bertrand, Surpris lui même dans un de filé par Noradin, est fait prisonnier avec 87 des siens. Enflé de ce succès, le sultan va faire le siège de Panéas ; mais les Templiers, conduits par le roi Baudouin l'obligent à le lever.

Les prisonniers de Grands-Noms suite à la bataille du Lac Meron le 19 juin 1157, au Gué de Jacob: Le Grand-Maître du Temple, Bertrands de Blanquefort, le Comte Bertrand, fils d'Alphonse Jourdain, celui-là même, fils du Comte de Saint-Gilles et de Toulouse.

L'an 1165, Geoffroi Martel, frère du comte d'Angoulême, et Hugues le Brun, sire de Lusignan, étant arrivés avec des troupes en Palestine, frère Gilbert de Laci, précepteur du Temple, les engage, avec d'autres capitaines Francs, à marcher sous sa bannière contre Noradin qui campait dans le comte de Tripoli avec une sécurité dont il était facile de tirer avantage. Ils se mettent eu route, surprennent le camp des Musulmans dont ils font un grand carnage, et obligent Noradin de se sauver à demi nu. Mais il eut sa revanche le 10 août 1165, près du château de Harenc, par la témérité des Francs qui l'attaquèrent en désordre dans sa retraite. De 60 chevaliers du Temple qui se trouvèrent à cette action, il n'en échappa que sept. Le grand maître Bertrand était alors en Egypte où il faisait la guerre avec le roi Amauri. De retour sur la fin de l'année, ce monarque fait pendre douze chevaliers du Temple pour avoir rendu lâchement à Schirkouk le château de la caverne qu'il avait confié à leur garde.

L'an 1166, Bertrand fait une députation au roi de France, avec une lettre où il expose pathétiquement la désolation de la Terre-Sainte Mais.

L'an 1167, il refuse de porter de nouveau les armes en Egypte, à cause du traité de paix dont le procureur général de l'ordre avait été le principal entremetteur.

D'après les actes de Louis VII, c'est lui qui annonça au roi de France, en 1167, la prise de Paneas par Mouddedin.

L'an 1168, Bertrand meurt avec la réputation d'un religieux édifiant et d'un capitaine très versé dans le métier de la guerre.

Le 19 mai 1168, il figure dans la souscription d'une charte du roi Amaury accordant des avantages commerciaux à la république de Pise. L'obituaire de Reims fixe sa mort au III des nones de janvier, soit le 2 janvier 1169.

Sous le magistère de Bertrand vivait André de Montbard, oncle maternel de Saint Bernard. L'abbé Geoffroi l'appelle maître du Temple, et le plus ferme appui du royaume de Jérusalem, dans la Vie de ce saint. Sur ce fondement on l'a fait grand maître de l'ordre faute de savoir distinguer le Grand-Maître des maîtres particuliers. Chifflet et D. Mabillon n'ont pas donne dans cette méprise.

Sources: L'Art de Vérifier les Dates des Faits Historiques. Tome Cinquième, Paris - 1818. Par David Bailie Warden, Saint-Allais (Nicolas Viton), Maur François Dantine, Charles Clémencet, Ursin Durand, François

Bertrand de Blanquefort 1156-1169

Si la mort de Bernard de Tramelay a surpris les dignitaires de l'Ordre, ils devaient s'attendre à celle d'André de Montbard, car Bertrand de Blanquefort est élu rapidement. Bertrand de Blanquefort ou Blanchefort est le fils de Godefroy, seigneur de Blanquefort, en Guyenne. Sa famille s'unira aux de Goth, une grande famille de Gascogne: l'un des rejetons en sera le pape Clément V, celui-là même par lequel l'Ordre sera persécuté, puis interdit.
« Guillaume de Tyr le prétend homme religieux et rempli de la crainte de Dieu. »
Le 19 juin 1157, sur les bords du Jourdain, au Gué de Jacob, il tombe dans une embuscade et est fait prisonnier avec 87 autres Templiers par Nour-ed-Din, sultan de Damas. II retrouve sa liberté deux ans plus tard, avec 6000 autres captifs. L'empereur de Constantinople a payé la rançon.
Le Grand Maître est aux côtés d'Amaury, nouveau roi de Jérusalem, en expédition en Egypte, quand Nour-ed-Din en profite pour attaquer les provinces de Tripoli et d'Antioche. Le Précepteur du Temple se met à la tête d'une armée composée de Templiers et de renforts arrivés de France, parmi lesquels Guy de Lusignan, et inflige une défaite à Nour-ed-Din. Lequel ne s'avoue pas vaincu, et défait les Francs à la bataille d'Harenc, où 60 Templiers sont tués.

Revenu à Jérusalem, Le Grand Amaury fait pendre 12 Templiers pour lâcheté. Ils ont remis à Nour-ed-Din une forteresse dont ils avaient la garde, plutôt que de la défendre jusqu'à la mort.
En 1167, Bertrand de Blanquefort refuse (« en mémoire de ses Templiers pendus ») son soutien au roi de Jérusalem qui veut annexer l'Egypte, car, prétexte-t-il, ce serait rompre un traité qui a été négocié, quelques mois auparavant, par un émissaire Templier, le Procureur Goeffroi de Foulcher. II prédit au souverain une expédition catastrophique, car son intervention va ressouder les Turcs, alors divisés.
Les Hospitaliers, frères ennemis des Templiers, n'ont pas ces scrupules et marchent aux côtés d'Amaury. L'expédition est, comme prévu, un désastre. Amaury, qui passe une ville au fil de l'épée, se fait piéger par Nour-ed-Din qui négocie avec lui le temps de rassembler l'armée avec laquelle il va le défaire. Le Grand Maître des Hospitaliers, pour échapper à la honte, démissionne et quitte la Palestine.
Blanquefort ne peut en triompher pour autant: il est mort tandis que l'armée chrétienne battait en retraite. Sous son mandat, le pape Alexandre III a accordé aux Templiers plusieurs privilèges. Du roi de France Louis VII, grand admirateur du Temple, il a reçu le droit de prendre le titre de Grand Maître par la grâce de Dieu, privilège qui sera transmis à ses successeurs.
On l'a représenté comme un homme d'un esprit éclairé, d'un jugement sain, d'une probité sévère, et comme un capitaine très versé dans le métier de la guerre.

Durant le magistère de Bertrand de Blancafort ou Blanquefort

Ce Chevalier, cinquième Grand Maître, dont Guillaume de Tyr relève la probité et la sagesse, était fils de Godefroi Seigneur de Blancafort, issu d'une célèbre famille de Guyenne connue dès le XIe siècle, et qui tire son nom d'un ancien château situé dans le Bordelais. C'est à cette Maison que la Commanderie du Fresne (18 Cher) est redevable, mon de sa première fondation, du moins de la plus grande partie de ses biens. Godefroi légua aux Templiers de ce lieu, son cheval, son armure, le droit d'usage en toutes ses terres, prés, bois, et pacages, du consentement de ses héritiers et de Billichilde, son épouse.

Cette donation fut confirmée et augmentée par les descendants de Godefroi, en présence de Guérin, Archevêque de Bourges, et de Thiebault Comte de Troyes, qui prit cette Commanderie sous sa protection.

Les commencements de Blanquefort sont remarquables par cette fameuse querelle qui s'éleva entre les Evêques Orientaux et les Hospitaliers, à l'occasion des immunités dont ceux ci avaient été gratifiés par les Souverains Pontifes. Le Clergé voyait de mauvais oeil les Chevaliers, soumis immédiatement au Saint Siège, exempts de payer la dîme, exceptés des interdits généraux, et dans l'usage d'instituer et de destituer des Prêtres dans les bénéfices unis à leur Ordre. Le Patriarche, fondé sur le droit commun, se plaignait de ce que les Chevaliers multipliaient les Chapelles et les Cimetières dans les terres de leur dépendance ; de ce qu'ils y enterraient non-seulement leurs Sujets et Oblats, mais encore tous ceux qui, à l'article de la mort, se liaient de confraternité avec l'Ordre ; de ce que, dans le cours des voyages qu'ils faisaient pour quêtes et autrement, leurs Chapelains pouvaient se faire ouvrir, une fois l'année, chaque Eglise des lieux par où ils passaient, afin d'y célébrer le Service divin, et d'y recevoir les offrandes des Fidèles, et cela dans les temps mêmes d'interdit. Ce qui tenait le plus à coeur aux Bénéficiers, c'était de voir une bonne partie des offrandes auxquelles ils avaient droit, passer entre les mains des Chevaliers, sans pouvoir y mettre opposition, d'autant que le Pape Anastase venait encore de confirmer tout récemment ces privilèges.

Les Chevaliers, de leur côté, confédérant leurs exemptions comme un dédommagement des dépenses qu'ils faisaient pour rendre service à la religion et à l'Etat, soutenaient qu'elles n'avaient rien d'odieux, parce qu'en s'écartant, à certains égards, de la règle générale, elles rentraient par d'autres voies dans le bien commun ; qu'après tout, l'usage qu'ils faisaient de leurs biens, soit en combattant les Infidèles, soit en soulageant les pauvres dans les Hôpitaux, valait bien les services rendus à l'Etat par la Noblesse séculière, à qui, cependant, personne n'enviait ses immunités. L'un et l'autre parti, également obstiné à se défendre, ne cessait de récriminer tantôt en public, tantôt en particulier: delà les injures les détractions, les voies de fait. Il fallut porter l'affaire à Rome. Le Patriarche comptant que le successeur d'Anastase se rendrait à ses remontrances, se mit en route accompagné de sept Evêques, quoiqu'il fût âgé de près de cent ans. Il se plaignit que les Hospitaliers, abusant de leurs privilèges, donnaient la sépulture ecclésiastique à des excommuniés ; que, dans une ville interdite, ils ne laissaient pas, contre la teneur de leurs exemptions, de faire sonner leurs cloches ; qu'ils affectaient même de les sonner continuellement pendant qu'il annonçait à son peuple la parole de Dieu, afin d'empêcher qu'il ne fût entendu, et qu'ils refusaient de payer la dîme dans tous les Diocèses de l'Eglise orientale.

On ne trouve pas ce que les Hospitaliers répondirent à ces plaintes ; mais on sait que leurs Députés ayant devancé le Patriarche, prévinrent et disposèrent le Pape en leur faveur. Foulcher s'en aperçut par le peu d'accueil qu'on lui fit. Toutefois les parties eurent audience, et la cause fut plaidée pendant plusieurs jours sans être jugée. Les Evêques se doutant que l'affaire tirerait en longueur, et pourrait bien ne pas tourner à leur avantage, prirent congé de la Cour de Rome, et s'en retournèrent chargés de confusion.

Celui de qui nous tenons ces circonstances, était Archevêque de Tyr, intéressé par conséquent dans cette affaire, et par là devenu suspect dans le récit qu'il en donne. Si nous l'en croyons, la Cour de Rome se laissa gagner par les présents des Chevaliers, et de tous les Cardinaux, à peine s'en trouva-t-il deux assez équitables pour prendre le parti de la vérité. Il assure que les autres, sans en excepter même le Souverain Pontife, s'aveuglèrent jusqu'à suivre les traces de Balaam, fils de Bozor, qui courut après la récompense de son iniquité. A ces traits, échappés à Guillaume de Tyr, il est aisé de voir combien peu il mérite de créance sur ce qu'il rapporte de contraire à l'honneur des Hospitaliers. Cette réflexion nous est commune avec plusieurs autres Ecrivains ecclésiastiques. Il suffisait, selon Bosio, qu'Adrien n'eût point abrogé les privilèges en question, pour être en butte à cet Historien partial, et d'autant moins croyable, qu'il accuse d'avarice un des Papes les plus désintéressés qui aient occupé le Saint Siège.

Il est assez surprenant qu'il ne soit fait aucune mention des Templiers dans toute la suite de cette affaire: ce silence est un préjugé en leur faveur, et fait voir qu'ils n'abusaient pas de leurs privilèges. C'est donc à tort que l'Auteur protestant de l'Histoire des Papes, et quelques autres, les ont confondus avec ceux de l'Hôpital dans la querelle de ceux-ci avec le Clergé d'Orient: s'ils y avaient eu la moindre part, l'Historien du Patriarche Guillaume de Tyr, qui semble ne les avoir présentés sur la scène que pour les décrier, ne les aurait pas plus épargnés dans cette occasion que les Hospitaliers.

Il est néanmoins très constant que les Templiers étaient privilégiés avant la bulle d'Anatase, puisqu'en 1152, ils choisirent l'Evêque d'Avignon, avec son Métropolitain, pour arbitres d'un accord fait avec le Chapitre d'Arles, à l'occasion du droit de cimetière qu'avait le Temple de cette ville. Mais jusqu'ici nous n'avons trouvé aucunes plaintes formelles contre eux de la part des Ordinaires. Il est vrai qu'en 1157, un Concile de Reims défendit à tous Religieux, même Templiers et Hospitaliers, d'accorder la sépulture ecclésiastique à ceux qui mourraient des coups reçus dans les tournois, quand bien même les blessés se feraient faires Oblats chez ces Chevaliers ; mais ce règlement prouve plutôt l'existence des privilèges accordés aux Templiers, que l'abus qu'ils en avaient fait.

La Palestine jouissait alors d'une paix assez tranquille, tandis que ses voisins étaient agités par le feu de la discorde. L'Histoire des Arabes parle de plusieurs révolutions arrivées en ce temps parmi ces Peuples. Guillaume de Tyr, qui ne pouvait en être informé que par des bruits vagues, raconte qu'un certain Habeïs, Sultan d'Egypte, pressé d'un violent désir d'élever son fils au Califat, fit assassiner le Calife dans son palais, mais qu'ayant été obligé de s'enfuir vers Damas avec son fils et les trésors qu'il avait enlevés, ils furent rencontrés par les Chrétiens, qui tuèrent le Sultan, et s'emparèrent de toutes ses dépouilles ; que les Templiers, comme ayant le plus contribué à cette action, eurent en partage la meilleure part du butin et Nûreddîn, fils du Sultan, qu'ils retinrent quelque temps dans les fers, et qu'ils vendirent aux Egyptiens pour la somme de soixante mille écus. Afin de rendre ici les Templiers d'autant plus odieux, notre Historien ajoute que Nûreddîn était un jeune homme de grande espérance, à la fleur de son âge, d'un air martial, et très estimé des Egyptiens pour son intrépidité dans le péril et ses connaissances dans l'art militaire ; qu'après avoir appris les lettres romaines, et s'être instruit des dogmes de notre Religion, il avait instamment demandé le Baptême ; que sans égard à ses heureuses dispositions, les Templiers l'avaient étroitement lié dans une cage de fer, et livré, dans cet état aux Egyptiens ses ennemis qui le mirent en pièces pour se venger sur le fils de la perfidie et de l'ambition du père.

Il n'est guère possible de concilier cette conduite des Templiers avec le témoignage que Guillaume de Tyr rend lui même à la probité et à la religion de Blanquefort: on ne pourrait même l'excuser d'inhumanité, non plus que ses Chevaliers, s'il était vrai que Nûreddîn eût eu le temps et la volonté de se faire instruire pour recevoir le Baptême. Voici le fait tel qu'il est rapporté par les Auteurs Arabes. Dhafer, douzième Calife Fatimide, jeune homme entièrement livré à ses plaisirs, avait conçu une si forte passion pour Nazer ou Nûreddîn, fils du Vizir Al Abbas, qu'il ne pouvait se passer de lui un seul moment, ni jour ni nuit. Un attachement si excessif fit croire que Nazer était l'objet d'une passion criminelle, ce qui le rendit aussi bien que le Calife, infâme aux yeux du Public. Al Abbas, jaloux de la réputation de fon fils, et mécontent d'ailleurs de Dhafer, l'invita avec deux de ses courtisans, à un repas qui devait être continué bien avant dans la nuit. Le Vizir et fon fils, profitant de l'occasion, les tuèrent tous trois, et jetèrent leurs corps dans un puits.

Le lendemain Al Abbas s'étant rendu au Palais, demanda le Calife ; et comme il ne paraissait point, il fit massacrer la plupart des Courtisans, comme coupables du crime qu'il venait de commettre lui-même. Ces cruautés ne restèrent pas impunies, car le bruit s'étant aussitôt répandu qu'Al Abbas et son fils étaient les véritables auteurs de l'assassinat, ils prirent le parti de s'enfuir, après s'être emparés des pierreries et de l'argent qu'Al Abbas avait amassés pendant le cours de son ministère. La soeur de Dhafer, informée qu'ils avaient pris la route de Syrie, écrivit sur le champ aux Généraux des Francs à Ascalon, et leur promit une grosse récompense pour courir sus à ces deux traîtres, et s'en assurer si bien, qu'on pût leur faire subir la peine qu'ils avaient méritée. Un détachement sorti d'Ascalon pour les intercepter, les rencontra et attaqua leur escorte. Al Abbas fut tué dans le combat, et son fils fait prisonnier: leurs richesses tombèrent entre les mains des Francs, et Nazer fut envoyé au Caire, et remis entre les mains des Dames du Sérail, qui lui firent subir une mort des plus cruelles.

C'est tout ce qu'on sait des Arabes sur cet événement: quant aux circonstances du longtemps que Nazer ou Nûreddîn demeura entre les mains des Templiers, des soins qu'il prit de se faire instruire des lettres romaines, des progrès qu'il avait faits dans la connaissance de nos dogmes, du zèle qu'il témoigna pour recevoir le Baptême, et de ses autres éminentes qualités, ce sont des faits imaginés, et suggérés à Guillaume de Tyr par les ennemis des Chevaliers, afin de les rendre d'autant plus odieux ; car comment cet Historien qui était encore étudiant à Paris en 1162, aurait-il pu savoir au juste ce qui se passait entre les Francs et les Egyptiens en 1154 ? Ce ne pouvait être par des mémoires historiques, puisqu'il avoue qu'il n'en a consulté aucun, ni Grec ni Arabe, et que toute son histoire n'est fondée que sur des traditions et des ouï-dire, à l'exception de quelques faits dont il a été témoin. Or, il est constant qu'il ne peut l'avoir été de celui-ci ; si donc il l'a revêtu de circonstances injurieuses à la mémoire des Templiers, ce ne peut être que sur des bruits incertains, et d'autant plus suspects, qu'ayant obtenu, en 1167, un rang distingué dans le Clergé d'Orient, il est censé en avoir épousé les intérêts et adopté les préjugés contre les Chevaliers ; par cela seul il devient peu croyable dans tout le mal qu'il en dit. Telle est cependant la source dans laquelle ont puisé les Dupuy, les Gurtler, et bien d'autres qui ont cru pouvoir ternir impunément la réputation des Templiers. Après cela il ne faut plus s'étonner si Jacques de Vitry semble n'avoir parlé d'eux que pour effacer les mauvaises impressions que Guillaume de Tyr nous en a laissées. Le premier sans aucune distinction de temps ni de lieu, assure cent ans après leur approbation, qu'ils s'attiraient l'estime d'un chacun par leur religion et leur simplicité, rendant au Patriarche toute la soumission qu'ils lui devaient, à Dieu tout ce qui est à Dieu, et à César tout ce qui est à César ; que toute la Maison du Seigneur était remplie de la bonne odeur de leur vertu, et qu'un jour la postérité racontera avec étonnement leurs combats et leurs victoires. Le second, moins équitable, nous les représente comme des rebelles, qui, s'étant soustraits a l'obéissance du Patriarche, leur bienfaiteur, se rendirent insupportables à un chacun, en s'appropriant les dîmes et les revenus des Eglises. Il est aisé de voir que c'est aux exemptions des Templiers que l'on en veut ici. La suite de l'Histoire mettra le lecteur en état de juger si ces imputations sont vraies ou calomnieuses, et si ces Chevaliers furent en effet des loups ravissants, ainsi que l'ont cru ceux que Guillaume de Tyr a trompés.

Depuis la prise d'Ascalon, Noradin avait remporté des avantages considérables sur les Francs et les Grecs: devenu par-là le plus redoutable voisin de la Syrie, il tourna ses armes contre Panéas, par cette raison que le dernier traité fait avec les Francs n'était pas religieusement observé. Au premier bruit de cette entreprise, le Roi se mit en campagne, et courut au secours de la ville. Le Sultan, averti de cette marche, surprit les Hospitaliers dans une embuscade, et en tua le plus grand nombre. Encouragé par ce nouveau succès, il attaque Panéas et l'emporte ; mais averti que Baudoin et les Templiers accouraient en diligence, il mit le feu à la ville, et y causa tout le désordre qu'il pu, puis il alla se cacher dans une forêt voisine, pour éclairer les démarches de Baudoin, et tendre aux Chevaliers de nouvelles embûches. Ce projet ne lui réussit que trop heureusement, car le Roi étant entré dans Panéas pour y réparer le mal que Noradin y avait fait, et ayant repris, sans la moindre défiance, le chemin de Tibériade, le Sultan, qui le voyait séparé de son infanterie, l'attendit près d'un détroit, le surprit et le chargea si vivement, qu'on se vit en désordre et contraint de fuir avant que d'avoir eu le temps de se reconnaitre: la plupart des Seigneurs dont le Roi était accompagné furent faits prisonniers ; Baudoin lui même n'échappa du danger qu'en se faisant jour à travers la mêlée par la force de son bras et la vigueur de son cheval.

Cette déroute arriva un mardi 19 de juin de la quatorzième année de Baudoin: les Templiers y furent encore plus maltraités que n'avaient été les Hospitaliers quelques jours auparavant. Blanquefort, enveloppé, tomba entre les mains des ennemis, et fut conduit à Alep avec quatre vingt sept de ses sujets, du nombre desquels était le Frère Odon, Maréchal du Royaume: trois cents autres Chevaliers y périrent, et la perte, tant en chevaux qu'en bagages, fut des plus considérables.

Le Pape Adrien n'en eut pas plutôt la nouvelle, qu'il l'annonça à l'Archevêque de Reims, son Légat en France: après lui avoir représenté les Templiers comme les Macchabées de la loi de grace, dont le zèle et les services continuels sont connus de l'Orient à l'Occident, il l'exhorte à leur procurer tous les secours qu'il pourra tant en hommes qu'en chevaux, et à s'intéresser en leur faveur auprès de ses suffragant. Noradin, fier de ses avantages, retourna devant Panéas, croyant que les Francs ne seraient plus en état de la secourir ; mais il fut trompé: le Roi Baudoin, Renauld de Chatillon, les Ordres militaires, et le Comte de Flandre, nouvellement débarqué, l'ayant surpris dans ses lignes, l'obligèrent à décamper avec perte, et ce qui restait de Templiers, au nombre de trente, fut assez heureux pour défaire une troupe de deux cents Sarrasins.

L'année suivante, tous les Francs réunis aux forces des deux Ordres et du Comte de Flandre, entreprirent le siège de Saroudge ; mais ils furent forcés de s'éloigner, et de se retirer dans la Principauté d'Antioche: ils y apprirent que Noradin était tombé dangereusement malade, et dans le dessein de profiter de cette conjoncture, ils marchèrent droit à Césarée pour en faire le siège. Les habitants, plus accoutumés au négoce qu'au métier de la guerre, laissèrent prendre leur ville, et se retirèrent dans le château, situé sur une éminence. Baudoin, qui connaissait le Comte de Flandre assez puissant pour garder cette place et la défendre, avait proposé de la lui céder ; mais Renauld de Chatillon; en qualité de Prince d'Antioche; la réclama; comme étant située dans ses Etats. Cette contestation fut cause que les Croisés se réparèrent sans avoir pris le château. Ils n'eurent pas plutôt reconnu leur faute, qu'ils se rassemblèrent pour attaquer le Fort de Harem, dont la garnison incommodait beaucoup Antioche ; on invertit la place, et pour profiter de la maladie du Sultan, on pressa le siège, on multiplia les batteries de balistes, on frappa les murailles, de façon qu'après deux mois de travaux, la place se rendit, et fut cédée au Prince d'Antioche, qui la conserva malgré les efforts que le Musulman fit pour la reprendre.

Noradin ne fut pas plutôt en état de faire la campagne, qu'il rassembla ses forces ; et pendant que les Francs étaient retirés chacun dans leurs pays, il entra sur leurs terres, et commença par assiéger le fort des Kurdes, dans la contrée d'Hemesse. C'était une caverne située sur le penchant d'une montagne élevée, où l'on ne pouvait parvenir que par un sentier étroit et fort dangereux, à cause des précipices dont il était environné ; l'intérieur de la caverne était fort commode, et très facile à défendre. Déjà la garnison s'était engagée à remettre la place au Sultan, si elle n'était pas secourue dans l'espace de dix jours. Baudoin qui en fut informé, s'avançait à grands pas: Noradin par le conseil d'un de ses Généraux, leva aussitôt le siège, pour aller, avec toutes ses forces, au devant des Chrétiens: il les rencontra proche du Lac de Genezareth. Le Roi ne lui laissa pas le tems de se mettre en ordre de Bataille ; il tomba si subitement sur lui, qu'après quelques efforts, son armée fut dissipée, on pénétra jusqu'à sa tente, et Noradin n'eut que le temps de sauter sur un cheval pour se sauver.

L'Empereur de Constantinople était alors à la tête d'une armée nombreuse dans la principauté d'Antioche, pour tirer vengeance des mauvais traitements que Renauld avait fait souffrir à ceux de l'Ile de Chypre. Manuel ayant fait la paix avec ce Prince se proposa d'aller de concert avec les Francs, assiéger le Sultan dans Alep, sa résidence. Noradin vint à bout de l'en détourner, en l'amusant de belles promesses qu'il ne tint pas, et en rendant la liberté à six mille Allemands qu'il retenait de l'armée de Conrad, au Grand-Maître du Temple, à ses Chevaliers et à toute la Noblesse qu'il tenait dans les fers.

Blanquefort, rendu à ses Frères, leur fut encore près de dix ans un modèle achevé du zèle et de la religion dont un homme en place doit éclairer ses sujets. Il est visible, par tout ce que nous avons rapporté depuis 1153, que c'est véritablement Blanquefort qui fut emmené prisonnier par Noradin, et non pas de Tramelay par Saladin, ainsi que le prétend M Ducange dans son glossaire, et dans ses notes sur Cinnamus.

Adrien IV, qui gémissait alors sous le poids du Souverain Pontificat, considérant les abus de certains privilèges accordés aux Réguliers par ses prédécesseurs, se crut obligé d'en révoquer cette année la plupart. Pour ceux des Templiers on sait que non seulement ils furent exceptés de cette révocation mais encore spécialement confirmés par ce Pape, tant on les croyait nécessaires dans les conjonctures présentes.

Je ne m'engagerai point à raconter toutes les donations qui ont rapport au temps où nous sommes ; cela nous mènerait trop loin: il suffira d'en toucher, en passant quelques unes des principales.

En 1150 Roger Vicomte de Carcassonne, se donne à l'Ordre par son testament, et par un autre acte lui accorde plusieurs fonds, serfs et familles situées dans le Diocèse de Narbonne au lieu nommé Falgaïras.

Vers ce tems là Richard, Seigneur de Renneville, Fils de Robert Sire d'Harcourt se fit aussi Chevalier, après avoir fondé la Commanderie de Renneville.

En 1151, Gaufride Olivier confirme et augmente les donations faites aux Templiers de Sicile par son beau père. Ces fonds sont nommés dans les titres Pentargus et Scurdia.

Dans les Annales de Bavière, il est fait mention de deux endroits considérables, Tiffia et Altmulmunster, où les Templiers furent fondés en 1155 par les Comtes de Rittemberg Othon et Henri, à trois ou quatre milles de Ratisbonne, vers les embouchures de l'Altmul.

En 1157, Henri II, Roi d'Angleterre, fonda, dans le pays de Galles, une Maison prieurale entre le château de Rodelent et celui de Basingverc, après la bataille qu'il eut à soutenir contre les Gallois, où sa personne avait été exposée à un péril éminent.

Vers ce même temps l'Archevêque d'Arles, du consentement de son Chapitre, donne à l'Ordre l'Eglise de Saint Martin d'Almanare, au Diocèse de Toulon: Pierre de la Rovere, Commandeur, s'obligea, en l'acceptant, à une redevance de quinze sous melgoriens envers l'Archevêque.

Sur la fin de 1158, Raimond, Comte de Barcelone et Roi d'Aragon, cède en aumône, pour ses péchés et pour le repos de son père défunt qui avait été Templier, un terrain dans le Rouergue, nommé la contrée d'Arfat. Cette donation fut acceptée par le Frère Hélie de Montbrun, Précepteur dans le Pays. C'est en ce temps là que fut bâti le Temple appelle depuis Sainte Eulalie d'Arfat, comme il se voit dans les registres de la Maison-de-ville de Millau.

Ce Raimond fut un des plus insignes bienfaiteurs du Temple ; c'est lui qui avait consenti que les Chevaliers demeurassent possesseurs de ses Etats, au cas qu'il vînt à mourir sans enfants. Il décéda en 1162, laissant de Pétronille son épouse trois Princes et une Princesse: par-là les Chevaliers se virent déchus de leurs prétentions.

Cette même année 1158, Jean, Evêque de Cannes en Sicile, reconnut le droit qu'avaient les Chevaliers sur l'Eglise et le territoire de Sainte-Marie des Salines, droit qui leur avait été longtemps disputé, et qui fut encore reconnu par Boniface, successeur de Jean, en 1185, à condition qu'on lui paierait trois livres d'encens.

Sous Hugues d'Amiens, Archevêque de Rouen, nous trouvons deux Maisons fondées dans son Diocèse, l'une à Tréport vers 1141, l'autre à Rouen même en 1160, dans l'endroit où l'on a depuis bâti la Maison consulaire. Longtemps après on en fonda une seconde dans la même ville, vers la rue des Hermite.

Sous le magistère de Blanquefort, les Templiers de Saint Gilles firent une acquisition de soixante muids de terre dans le pays d'Argence, le long du Rhône, pour la somme de cent cinquante marcs d'argent fin. Ce fut Raimond Comte de Toulouse, qui fit cette vente à Ugon de Barcelone, Procureur Général des Chevaliers en Espagne et en Provence, à Hugues de Verrières, et à Bernard Catalan, Procureur de Saint Gilles. L'acte est souscrit par Bermond d'Usez, Eléazar son fils, et d'autres Seigneurs. A ces soixante muids achetés, Raimond en ajouta dix par aumône: la Comtesse son épouse reçut des acheteurs trois cents sous melgoriens pour avoir donné son consentement à ces ventes et donations.
Ces biens étaient attenants aux terres des Hospitaliers de Saint Gilles, et sont maintenant réunis à une même mense, qui appartient à un des grands Prieurs de Malte. On ne doit pas s'étonner si les Chevaliers de cette ville sont devenus si opulents, la commodité de son port sur le Rhône en avait fait un asile et lieu de refuge pour les pèlerins qui allaient à Jérusalem ou qui en revenaient. C'est ce qui engagea les Grands et le Peuple à enrichir les Templiers et les Hospitaliers de Saint Gilles.

Cependant Noradin, délivré de l'orage dont il avait été menacé de la part de l'Empereur Grec, se mit à la tête de ses troupes, et alla porter la guerre dans les Etats du Sultan d'Icône. Baudoin profita de cette absence pour entrer dans le territoire de Damas et le ravager.

Le Gouverneur de cette ville ne pouvant s'opposer à ses armes, lui fit offrir la liberté de quelques prisonniers avec la somme de quatre vingt mille pièces d'or, et lui demanda une trêve de trois mois: on la lui accorda mais aussitôt qu'elle fut expirée, et tandis que Noradin était encore occupé à poursuivre le Sultan d'Icône, Baudouin rentra sur le territoire de Damas, et y mit tout à feu et à sang. Il n'est pas certain si les Soudoyés du Temple eurent part à cette expédition, ni s'ils accompagnèrent le Prince d'Antioche dans le Comté d'Edesse. Ce pays se trouvant aussi sans défense Renauld y fit une irruption, emmenant les troupeaux et tout ce qu'il trouvait à sa bienséance ; mais dans le temps qu'il s'en retournait tranquillement dans ses Etats, le Gouverneur d'Alep vint à sa rencontre. Renauld contre l'avis de ses Officiers, voulut se battre et conserver en même temps son butin, ce qui n'était guère possible ; aussi fut il battu ses troupes défaites, tout son butin repris, et lui conduit captif à Alep.

Il arriva sur ces entrefaites un Légat de la part d'Alexandre III, qui venait d'être mis sur le Saint-Siège. Ce pape qui avait un puissant Compétiteur, désirait d'être reconnu pour légitime Pontife par l'Eglise orientale. Les sentiments y étaient partagés: à la Cour, on prétendait qu'il ne fallait se soumettre à aucune des deux obédiences avant la décision d'un Concile général ; parmi les Evêques, ceux qui n'avaient pas encore oublié que le Compétiteur d'Alexandre les avait soutenus dans l'affaire des immunités, se déclarèrent ouvertement en sa faveur. Les Chevaliers, par reconnaissance pour Alexandre, qui les avait favorisés contre les entreprises du Patriarche Foulcher, ne voulaient point d'autre Pape que celui qui avait eu la pluralité des voix. Il fallut s'assembler à cette occasion: le lieu du Concile fut Nazareth. Le Roi, avec son Conseil et les deux Grands-Maîtres, y fut invité. L'opinion de ceux qui tenaient pour Alexandre y prévalut ; et tous, à la fin, pleinement convaincus de la canonicité de son élection, se soumirent à son obéissance.

Alexandre députa aussi vers les Rois de France et d'Angleterre, tant pour se concilier leur protection, que pour les disposer à la paix entre eux. Le Légat n'eut pas de peine à y réussir ; il les conduisit à un accommodement, où l'on stipula le mariage de la fille de Louis avec le fils d'Henri, et pour la dot de la Princesse, on lui assigna Gisors avec deux autres places du Vexin Français ; mais parce que les Parties n'étaient pas en âge de se marier, on convint que les places seraient déposées entre les mains des Templiers, pour les délivrer après l'accomplissement du mariage. Telle était alors, dit de Larrey, la réputation de ces Chevaliers.

Ce ne fut point au Grand-Maître que ces places furent confiées, selon que l'écrit cet Historien, mais aux trois Commandeurs Robert de Pirou, Toftes de Saint Omer, et Richard de Hastings. Le traité de paix signé, la célébration du mariage se fit, quoique le fils de Henri n'eût que sept ans, et la fille de Louis seulement trois. Il y avait déjà deux ans que le Chancelier Thomas Becquet l'avait été prendre à Paris, selon la coutume d'alors, qui voulait que les filles furent élevées dans la cour du Prince qu'elles devaient épouser. D'autres veulent que, pour surprendre Gisors, le Roi Henri se déguisa sous l'habit de Templier, et que, sous prétexte de vouloir changer le Gouverneur et la garnison de cette ville, de la part de ceux qui l'avaient en gardé, il y introduisit un Commandant à ses ordres, et une garnison d'Anglais. Le Roi de France, indigné, ne laissa pas, de s'en prendre aux trois Chevaliers, qu'il obligea de sortir de son Royaume. Ils se réfugièrent auprès d'Henri qui sut les dédommager de cette disgrâce, en les comblant d'honneurs. Toftes de Saint Omer et Richard de Hastings furent employés dans la suite en différentes négociations, surtout dans les démêlés du Roi avec l'Archevêque de Cantorbéry.

Dans les Pays-Bas, Godefroi le jeune, Duc de Lorraine et de Brabant, suivant les traces de son père et de son aïeul, qui avaient reçu et agrandi les Templiers dans leurs Etats, les prend cette année sous sa protection et sauve garde avec toutes leurs terres et Commanderies, et les déclare exempts, pour toujours des impôts qui se lèvent sur les frontières de la province.

« Ceux qui rapportent à 1160 la mort de Raimond Dupui, second Maître des Hospitaliers, disent qu'il mourut octogénaire, entre les bras de ses sujets, couvert de blessures, après s'âtre signalé dans bon nombre de combats, et après 42 ans de Maîtrise, tandis qu'ils en donnent à peine huit à ses trois successeurs ; cela demanderait quelques preuves et des éclaircissements: on espère des Historiens de l'Ordre de Malte qu'ils voudront bien les donner un jour. »

En 1161, la captivité du Prince d'Antioche, ayant répandu l'alarme dans son pays, Baudoin y accourut et y séjourna pendant l'été, afin d'y rétablir quelques places des plus importantes. Sur la fin de la campagne, voulant prendre, selon sa coutume, quelques remèdes purgatifs, il se mit entre les mains d'un médecin étranger, qui par le moyen d'un poison lent, le fit, dit on languir pendant tout l'hiver. Il mourut au commencement de 1162, à l'âge de trente-trois ans, après vingt ans de règne, et regretté des Infidèles mêmes. Noradin sollicité de pénétrer dans la Palesline dans le temps qu'on serait occupé à rendre les derniers devoirs à ce Prince, fit voir, par sa réponse, qu'il n'était pas homme à profiter des malheurs d'autrui, et dit qu'un Héros tel que Baudoin méritait bien qu'on permît à ses sujets de s'abandonner quelque temps à leur juste douleur. Il était en effet le plus grand Prince de l'Orient, lui et Noradin étaient alors, en Asie, les seuls dignes de régner. Le sceptre passa dans les mains d'Amauri, frère de Baudoin qui ne laissa point d'enfants.

Amauri était un jeune prince âgé de vingt-sept ans, d'un caractère tout autre que celui de son Frère: son peu de bonnes qualités était effacé par de grands défauts: il était avare, d'une humeur sombre, peu affable, beaucoup moins prudent que Baudoin, et adonné à ce genre de volupté qu'on appelle le vice des Grands. C'est ainsi qu'en parle Guillaume de Tyr, qui entreprit son histoire à sa sollicitation. Le nouveau Roi voyant les affaires en assez mauvais état, songea d'abord au moyen ordinaire de les rétablir, qui était d'avoir recours aux Occidentaux. Il se joignit, à cette fin, au Grand-Maître du Temple ; on écrivit de concert au Roi de France. Amauri lui députa l'Evêque de Mamistra en Cilicie, et Blanquefort deux ou trois de ses Chevaliers les plus entendus, dont nous ne connaissons que le Frère Heustercane, Français, ami particulier du Roi Louis VII, et attaché autrefois à son service. Dans les lettres dont ils furent chargés, on rappelle au Roi son premier zèle pour l'honneur des Saints-Lieux ; on lui dépeint le pays d'Antioche ouvert à l'ennemi de tous côtés, la plupart de ses places ruinées par un tremblement de terre, et l'insolence des Musulmans, que la captivité de Renauld rendait de jour en jour plus audacieux ; mais ce qui fait une perte irréparable pour nous, ajoute Blanquefort en parlant de Baudoin, c'est la mort de ce jeune et vaillant Prince qui employa tous les moments de fon règne à s'opposer, comme un mur d'airain, aux ennemis de la foi et de la vérité.

Dès qu'Amauri, reconnu et couronné Roi de Jérusalem, eut reçu le serment de fidélité des Chevaliers et Barons, il rassembla toutes ses forces et celles des deux Ordres, pour se faire payer le tribut annuel que les Egyptiens s'étaient engagés de donner à son prédécesseur, et qu'ils refusaient alors de payer. Dès le mois de septembre il partit accompagné des Chevaliers et de leurs Soudoyés. On en vint aux mains avec Dargam, Vizir du Caire ; on le battit, et on l'obligea de se renfermer dans Peluse ou Bilbeïs.

Après cette victoire, les Francs se retirèrent en Palestine, et Dargam resta maître absolu dans l'Egypte ; mais peu après, ce Vizir qui était un usurpateur, et qui avait tout à craindre de Schaour, son rival, se vit contraint de recourir aux Chrétiens, et de leur promettre le double de ce qu'on leur payait auparavant, s'ils voulaient le secourir. Schaour, de son côté, eut recours à Noradin, qui lui envoya son Général Schirkouh, à la tête d'une nombreuse milice. Tandis qu'Amauri et les Chevaliers s'avançaient à grandes journées au secours de Dargam, celui-ci, sans l'attendre, osa livrer bataille, fut vaincu et tué dans la mêlée. Après cela le victorieux Schaonr s'empara du Caire, et fut rétabli dans ses dignités, mais Schirkouh lui étant devenu suspect, il le renvoya avec dureté, et refusa même de payer ce dont il était convenu avec Noradin. Schirkouh irrité environna le Caire, et y attaqua le Vizir ; Schaour, dans cette extrémité implora le secours des Francs, qui, peu auparavant s'étaient ligués contre lui, et l'on envoya à sa défense les même troupes qui s'étaient mises en marche pour le perdre: ainsi le Roi ayant joint ses troupes à celles du Vizir, on attaqua Schirkouh dans Bilbeïs.

Pendant les trois mois que dura le siège, Noradin, profitant de l'absence des Francs, entra sur leurs terres, et s'arrêta dans le Comté de Tripoli: ses Soldats, abandonnés à la joie et aux divertissements, ne gardant aucune discipline, se comportaient comme n'ayant aucune défiance de personne. Quelques Seigneurs et Chevaliers s'en aperçurent, et s'imaginant avoir trouvé l'occasion de faire un coup de main, tirèrent des garnisons voisines ce qu'ils purent de Soldats, et vinrent fondre pendant la nuit sur le camp de Noradin ; la déroute fut entière on emmena prisonniers bon nombre de Musulmans ; le reste demeura sur le champ de bataille, ou fut dissipé ; le Sultan lui-même, obligé de s'enfuir sans armes et à demi nu, n'échappa qu'avec peine à ceux qui le poursuivirent.

Les principaux chefs de cette expédition furent un Anglais nommé Robert Mansel, et le frère Gilbert de Laci, Précepteur du Temple dans le Comté de Tripoli, qualifié dans l'Histoire de personnage illustre et consommé dans le métier de la guerre.
Noradin, outré de l'affront qu'il venait d'essuyer, n'oublia rien pour s'en venger ; sans perdre de temps, il rassemble tout ce qu'il peut de son monde, et partie par argent, partie par prières, il obtient de ses voisins les Arabes de quoi remettre une armée sur pied: avec ce nouveau secours il fit sentir aux Francs la folie qu'ils avaient faite de dégarnir leurs petits Etats pour porter la guerre en Egypte ; il invertit le château de Harem, et s'en fût rendu maître, si Toros, Prince d'Arménie, Raimond, Comte de Tripoli, et le nouveau Prince d'Antioche, Bohémond III, avec les Templiers, ne se furent présentés à temps pour lui faire lever le siège de cette place. A leur approche Noradin se retira vers Artesie. Ceux-ci n'écoutant que leur courage, attaquèrent l'aile droite du Sultan: elle feignit de prendre la fuite, et dans le temps qu'ils étaient le plus occupés à la poursuivre, le reste des Musulmans fondit sur eux le sabre à la main, et en fit un affreux carnage.

Les Soudoyés du Temple, de même que ses Turcoples ou Chevau-légers, furent entièrement défaits dans cette action, et des soixante Chevaliers qui les commandaient il n'en échappa que sept. On se battit en désespéré ; dix mille Chrétiens restèrent sur le champ de bataille. Le nombre des prisonniers fut encore plus grand. Raimond, Bohémond, Josselin, Hugues de Lusignan, furent conduits captifs dans Alep. Noradin qui savait user de la victoire, retourna sur ses pas et se fit ouvrir les portes de Harem. Ces deux derniers évènements que Guillaume de Tyr place l'un à l'an 1165 et l'autre à 1167 sont de la seconde année d'Amauri, par conséquent de 1164. On a cru, sans fondement, que Blanquefort se trouva à la journée de Harem ; il était alors en Egypte, à la fuite d'Amauri avec une partie de ses gens. Ils étaient, l'un et l'autre occupés à presser le siège de Peluse, lorsque informés des succès de Noradin, ils firent un traité de paix avec le Vizir, pour avoir lieu de secourir Panéas, assiégée par le Musulman, mais avec toute leur diligence, ils ne purent empêcher que Noradin n'eût tout le temps nécessaire pour frapper les murs de cette ville et s'en rendre maître.

D'un autre côté, Schirkouh pénétra sur le territoire de Sidon, et s'empara d'un château très fort, que nos Historiens nomment « Cavea de Tyrum » ; on prétend qu'il fut livré par la trahison des Soldats, qui passèrent aussitôt chez les Infidèles. Après avoir ravagé les environs de cette place, Schirkouh prit encore une nouvelle forteresse ; c'était une espèce de caverne située au delà du Jourdain, dont nous avons parlé plus haut: les Chevaliers du Temple en avoient la garde. Amauri, arrivé trop tard pour la secourir, accusa les Templiers de lâcheté, et se vengea sur douze de ces malheureux, qui furent, dit-on pendus à la tète du camp: quelque sensible que dût être à Blanquefort ce coup d'autorité, nous ne lisons pas qu'il s'en soit plaint ; il semble, au contraire, que ces Chevaliers aient voulu rendre au Roi le bien pour le mal, en le délivrant d'un danger auquel il se trouva exposé. Amauri étant un jour embarrassé avec son cheval dans une fondrière, assez près de l'ennemi pour en être aperçu, quinze Templiers des plus déterminés, joints à quelques autres Chevaliers, remarquant de loin son embarras et le danger où il était d'être reconnu, s'avisèrent d'un stratagème, qui fut de donner tête baissée sur l'ennemi, dans le dessein de l'éloigner et de l'attirer ailleurs, ce qui ne manqua pas de réussir. Par ce moyen le Roi fut mis en fureté et tiré d'embarras ; c'est dans cette occasion qu'il fit voeu que, s'il échappait à l'ennemi, il enverrait à Clairvaux cette portion de la vraie Croix qu'il portait à son cou ; mais il n'accomplit sa promette qu'en mourant. Un Templier, nommé le Frère None Artaud se chargea, en 1173, du sacré dépôt et de quelques autres reliques pour les porter à Clairvaux, où elles sont encore: ce Chevalier, touché de la vie qu'on menait alors parmi les Disciples de Saint Bernard, demanda d'y être agrégé, et devint ensuite Cellérier du Monastère.

Les Chevaliers que Blanquefort avait députés en France étaient de retour depuis quelque temps, sans qu'il parût aucun renfort ; cependant les affaires allaient de mal en pis, et on parlait de faire une nouvelle députation. Le Frère Heustercane s'en excusa sur ses infirmités ; le Frère Gaultier fut choisi à sa place pour porter les lettres d'Amauri, du Grand-Maître et du Procureur Général. Gaultier était un Chevalier considéré par ses moeurs et ses qualités personnelles autant que par la noblesse de ses ancêtres.

« Je vous l'envoie, dit Blanquefort au Roi Louis, comme une personne de confiance qui vous est attachée ; il vous fera voir, par un plus long séjour, combien il mérite l'honneur de votre protection.
 » Les commissions, dont Gaultier était chargé de la part du Grand-Maître ; portaient en substance qu'Amauri, malgré toute son activité ne pourrait pas longtemps faire face à tant d'ennemis ; qu'étant obligé de partager ses forces en plusieurs corps pour la sûreté de ses Etats, pour la défense du pays d'Antioche et du Comté de Tripoli, il ne serait pas difficile à Noradin de les battre l'un après l'autre. Quant au Procureur Général, Geoffroi de Foulcher, après avoir exposé au Monarque Français la désolation que la captivité des Princes Orientaux et les derniers avantages de Noradin causaient aux Fidèles, et surtout à ceux de la Principauté d'Antioche, il se met aux pieds de Sa Majesté pour l'exciter à compassion, et lui dit en finissant: « Si c'est abuser de votre libéralité et nous rendre importuns, que de revenir si souvent à la charge, c'est à notre malheureux sort qu'il faut s'en prendre: tout ce qui reste à des infortunés dans une situation aussi affligeante que la nôtre, c'est d'implorer l'assistance de ceux à qui le Ciel a inspiré la volonté et donné le pouvoir de nous secourir. »

Sur ces remontrances, que le Frère Gaultier ne manqua pas d'appuyer, Alexandre III, qui était encore en France, convoqua à Reims une assemblée de quelques Evêques, et obtint du Roi l'imposition d'un vingtième sur le Clergé et la Noblesse pendant quatre ans: à la sollicitation de Louis et à son exemple, le Roi d'Angleterre ordonna qu'on lèverait, pour la même fin, dans ses Etats, deux deniers par livre à commencer en 1166, et un denier seulement les quatre années suivantes.

La quatrième année d'Amauri, les Francs, sur le point de porter la guerre en Egypte, s'assemblèrent à Naplouse, arrêtèrent qu'un chacun, sans exception paierait le dixième de ses biens, et qu'on irait au devant de Schirkouh, qui en voulait toujours au Vizir, et qui s'approchait du Caire. Schaour, voyant son ennemi si près de la Capitale, se hâta d'opposer une digue au torrent qui le menaçait, en renouvelant avec les Chrétiens les anciens traités, et en augmentant le tribut qu'il leur payait tous les ans. Amauri se contenta de quatre cent mille écus d'or, c'est-à-dire d'environ quatre millions, dont on lui paya la moitié sur-le-champ, à condition qu'il ne quitterait point l'Egypte qu'il n'en eût chassé Schirkouh. Parce que le Roi et les Chevaliers avaient exigé que ce nouvel accord serait ratifié par le Calife, ils envoyèrent au Caire deux Ambassadeurs, Hugues de Césarée et le Procureur Général du Temple, qui furent introduits dans le Palais du Prince contre l'usage, par lequel il était défendu aux Etrangers, surtout aux Chrétiens, d'approcher de sa personne sacrée.

Cependant Schirkouh eut tout le temps de se loger dans une ile du Delta, d'où le Roi et les Chevaliers vinrent à bout de le chasser. Cet avantage leur ayant facilité le partage du Nil, ils poursuivirent l'ennemi pendant trois: jours l'ayant atteint le quatrième, ils osèrent l'attaquer malgré sa position avantageuse, mais ils furent repoussés avec grande perte: Schirkouh demeura maître du champ de bataille, du camp des Chrétiens et de leurs bagages. Si nous en croyons les Francs, ils ne perdirent à cette journée que cent hommes, et l'ennemi quinze cents. Il est certain cependant que la victoire fut du côté de Schirkouh. Les Arabes mêmes la regardent comme une des plus signalées, qu'ils aient jamais remportées.

Tandis qu'Amauri, les Chevaliers et Schaour, retournés au Caire, réparaient leurs pertes, Schirkouh alla se présenter devant Alexandrie, et s'en fit ouvrir les portes. Les Chrétiens, persuadés qu'il ne tiendrait pas longtemps dans une place où les vivres seraient bientôt épuisés, la bloquèrent et la tinrent invertie. Après un mois de blocus, Schirkouh, craignant d'y être forcé, prit le parti de s'évader la nuit, pour sauver son armée, et la fit passer à côté des Francs endormis: ceux-ci l'ayant inutilement poursuivie pendant quelques jours, tinrent un Conseil où il fut arrêté qu'on reprendrait le chemin d'Alexandrie, et qu'on l'assiègerait dans les règles.

Grand nombre d'ouvriers furent d'abord employés à construire des batteries de machines à jet, à élever une grosse tour de bois carrée et mobile, assez haute pour dominer sur le rempart. Les machines dressées, on les approcha des murailles, et on les fit agir: de la part des Chrétiens les assauts éraient presque continuels ; la garnison quoiqu'en petit nombre, repoussait ces attaques, et renversa plusieurs fois les machines des assiégeants. Les Alexandrins, gens de commerces, s'embarrassant peu à qui ils devaient appartenir, se dégoûtèrent enfin des fatigues du siège, et bientôt ils parlèrent de charter Saladin, leur Commandant, et le forcèrent de dépêcher vers son oncle, pour l'avertir de la situation des affaires. Schirkouh, qui était dans la Haute Egypte, accourut en diligence au secours de son neveu ; mais informé, dans sa route, que les Francs recevaient des renforts par la mer, il leur offrit la paix à ces conditions: qu'on rendrait les prisonniers de part et d'autre ; que la ville serait livrée aux assiégeants ; qu'on lui laisserait le passage libre pour retourner à Damas ; qu'il resterait maître de toutes les richesses dont il s'était emparé, et qu'on lui paierait en outre cinquante mille pièces d'or. Le traité signé les Francs entrèrent dans Alexandrie, et Schaour en prit possession. Avant de quitter l'Egypte, Amauri fit un nouveau traité avec Schaour, par lequel ils convinrent qu'il y aurait dans le Caire une garnison de Chrétiens, et que le Vizir paierait au Roi cent mille bésans chaque année, par forme de tribut, après quoi Amauri et les Chevaliers prirent la route d'Ascalon, comblés de largesses pour leurs Officiers et leurs Soldats.

Vers ce temps-là Geoffroi de Foulcher, de Procureur Général devint Grand Précepteur de Palestine, et fut envoyé en Occident auprès des Rois de France et d'Angleterre. Amauri le chargea, pour Louis le Jeune d'une lettre de recommandation, où il lui parle en ces termes:
« C'est de votre Royaume surtout, mais plus encore de votre bonté paternelle, que l'Eglise Orientale espère du soulagement à ses maux. Fondé sur votre naturel bienfaisant, nous recommandons à votre Majesté tous ceux à qui il reste quelque zèle pour l'honneur des Lieux-Saints, mais spécialement les Chevaliers du Temple, que nous voyons se sacrifier tous les jours, à qui nous sommes redevables, après Dieu, du peu que nous pouvons, et de tout ce qu'il ya d'heureux dans nos entreprises: tout le bien qu'ils reçoivent de votre main libérale, soyez persuadé que nous le considérons comme fait à nous-mêmes. »

Geoffroi fut reçu avec distinction par les Rois Louis VII et Henri II: durant le séjour qu'il fit en Angleterre, on l'employa en différentes négociations ; c'est lui qui fut envoyé à Sens avec l'Evêque d'Auxerre et l'Abbé de Cîteaux, pour travailler à la réconciliation du Roi Henri avec l'Archevêque Thomas Becquet.

IL y avait deux ans que l'Archevêque de Césarée et Odon de Saint-Amand, Maréchal du Royaume, depuis Grand-Maître du Temple, négociaient à Constantinople le mariage d'Amauri avec la nièce de l'Empereur Manuel, lorsqu'ils abordèrent heureusement au port de Tyr avec la future épouse vers la mi-septembre de 1167. L'alliance qu'Amauri contractait avec les Grecs par ce mariage, réveilla son ambition, et lui fit naître le dessein de tourner encore une fois ses armes contre l'Egypte. Ce fut pour s'en ouvrir à l'Empereur, et lui demander du secours, qu'il lui députa Guillaume l'Historien, depuis peu Archidiacre de Tyr: ce n'était pas assez, il fallait encore s'assurer des deux Grands-Maîtres ; celui de l'Hôpital donna aveuglément dans les vues d'Amauri, et gagné par l'espérance d'avoir en propriété la première ville dont on se rendrait maître, il rassembla toutes ses forces et les mit en campagne, sans que la honte de violer un traité des plus solennels pût l'arrêter.

Il n'en fut pas ainsi des Templiers: ils refusèrent constamment de suivre le Roi dans cette occasion. Blanquefort lui représenta qu'au jour de leur engagement, on ne leur avait pas mis les armes en main pour en faire un si mauvais usage ; qu'il ne pourrait, sans agir contre sa conscience prendre parti dans cette expédition ; qu'il était contre toutes les règles de l'équité de tomber sur l'Egypte, tandis qu'elle se reposait sur la probité des Chrétiens, et qu'on devait considérer comme inviolable la foi d'un traité dont le Procureur-Général de son Ordre avait été un des principaux entremetteurs au nom de tous les Francs. Si nous en croyons le Chevalier Jauna, ce fut moins par délicatesse de conscience que par animosité, que ceux du Temple blâmèrent la conduite du Maître de l'Hôpital.

« A l'égard des Templiers, dit cet Historien prévenu, quoique également avides et aussi peu scrupuleux que les Hospitaliers, sait que l'émulation qui régna depuis avec tant de fureur entre ces deux Ordres eût déjà commencé, ou qu'ils ne voulussent point se mêler dans une affaire à laquelle leurs rivaux avaient tant de part, ou qu'enfin ils n'eussent pas bonne opinion de cette entreprise, ils ne voulurent jamais s'y engager. »

Prêter ainsi de mauvaises fins à une action louable, c'est dévoiler l'injustice de ses préventions ; c'est, pour un écrivain, manifester trop d'inclination à détracter, et par conséquent se rendre suspect.

Amauri, peu touché des remontrances de ceux du Temple, et impatient de se mettre en campagne, n'attendit pas même le retour de son Ambassadeur: au mois d'octobre de 1168, il traversa rapidement les déserts qui séparent la Syrie de l'Egypte, et se rendit dans dix jours devant Peluse. La place fut assiégée, prise d'assaut, et tout y fut massacré, sans distinction d'âge ni de sexe, comme si on eût voulu le disputer en barbarie aux Infidèles. Les Hospitaliers, mis en possession de la ville, selon qu'ils en étaient convenus avec le Roi, l'armée prit la route du Caire, Schaour, informé de cette rupture, envoya demander du secours à Noradin: ce Prince, qui observait les Templiers voisins de ses Etats en Syrie, se contenta d'envoyer son Général Schirkouh. Tandis que cet Emir s'avançait, Amauri vint camper devant le Caire. Schaour, craignant que cette place ne fût traitée comme Peluse, tâcha d'amuser les Francs, en leur protestant qu'il souhaitait d'être leur ami, et en offrant au Roi cent mille dinars ou pièces d'or, avec promesse de lui en fournir encore neuf cent mille, s'il voulait, en se retirant, lui laisser le tems de les amasser. Amauri, plus avide d'argent que de gloire, ne balança pas un instant: il leva le siège, et se retira vers Peluse, où il attendait sans inquiétude l'argent qu'on lui avait promis.

Cependant Schirkouh, qui s'avançait à la tête d'une puissante armée, trouva le moyen de se joindre aux Egyptiens ; et devenu par-là plus fort que les Francs, il les contraignit de se retirer, avec le chagrin d'avoir augmenté le nombre de leurs ennemis, et celui de se voir privés de la rançon qu'ils recevaient annuellement des Egyptiens.

Le séjour que Geoffroi de Foulcher fit en Occident, ne fut pas inutile aux Orientaux: il leur procura cette année une collecte considérable, provenant des épargnes de l'Ordre, des aumônes des Fidèles, mais surtout des largesses de Louis VII, comme il parait par le remerciaient que Blanquefort en fit à ce prince en ces termes:

« Les bienfaits sans nombre que nous et nos prédécesseurs avons reçus de votre munificence royale, sont au-dessus de toute ex pression ; et ce serait peu dire, que dès vos tendres années, vous nous avez fait ressentir les effets les plus magnifiques de votre libéralité: ce que vous venez de faire encore tout récemment en notre faveur, nous fait croire que la source de vos largesses est inépuisable ; le passé nous en avait déjà convaincus, puisque votre grand coeur n'a manqué aucune occasion de nous aider, soit en nous prodiguant ses aumônes, soit en nous procurant celles d'autrui. En reconnaissance de tous ces bienfaits, et de l'accueil favorable dont le Frère Geoffroi a été honoré à la Cour, nous conjurons le Tout-Puissant de vous récompenser au centuple dans le Ciel, n'étant pas en état, par nous-mêmes, de reconnaître tant de grâces, quelque soumis et dévoués que nous soyons à vos ordres. »

Geoffroi, de son côté, ne fut pas moins reconnaissant envers son bienfaiteur:
après le lui avoir témoigné en termes à-peu-près semblables, il continue ainsi:
« Je me fuis rappelé avec soin la commission que vous m'aviez donnée en partant ; j'ai visité de votre part tous les lieux saints ; j'y ai fait partout mémoire de votre personne sacrée dans mes prières, selon que vous l'aviez désiré. Cet anneau, que je vous envoie, a touché à tout ce qu'il y a de plus digne de respect et de vénération dans la Palestine ; je vous supplie de ne pas refuser cette faible marque de mon souvenir et de ma reconnaissance. »

Cette année, qui fut la dernière de Blanquefort, on renouvela l'ancienne union qui était entre les Templiers et les Cisterciens, à condition qu'aucun d'eux ne pourrait passer dans l'Ordre auquel ils étaient unis. Ce fut aussi cette année qu'Alexandre III termina le différend survenu entre les Chanoines réguliers de Saint-Etienne de Dijon et les Templiers de cette ville. Ceux-ci ayant entrepris de bâtir un oratoire suivant la teneur de leurs privilèges, et d'ériger un cimetière sur leur terrain situé où est maintenant la Magdeleine, l'Abbé de Saint-Etienne s'y opposa, sous prétexte que, par un privilège particulier accordé à son Eglise, personne ne pouvait bâtir de chapelle, ni ériger d'autel dans l'étendue de ses paroisses sans son consentement. L'affaire fut portée à Rome: les Parties ouïes, et les privilèges discutés de part et d'autre, le Pape donna gain de cause aux Chevaliers, et confirma leur droit, sans les autoriser cependant dans l'abus qu'ils en pourraient faire, soit en enterrant librement dans leur cimetière, au préjudice des Curés, soit en attirant les offrandes du peuple, ou en l'éloignant de sa paroisse les jours de dimanches et de fêtes solennelles.

Durant ce magistère, qui fut de quatorze ans, l'Ordre continuait à s'agrandir: outre les donations et transactions que nous avons rapportées ailleurs.

En 1163 Ferdinand II, Roi de Léon, dans une entrevue qu'il eut avec Alphonse, Roi de Castille son neveu, donna aux templiers, avec le consentement de ce Prince, le bourg d'Uclès, pour assurer le Royaume de Tolède contre les incursions des Maures.

En 1165, Baudoin, Abbé de Saint-Quentin en l'Isle, donna aux Chevaliers la terre de Perence sur la Lys, avec toutes ses dépendances, à charge d'un cens annuel d'une demi-besse d'argent, c'est-à-dire, de la quatrième partie d'un sou.

En 1167, les Commandeurs Arnaud de Tourrouge, Begon de Verperies, Elie de Montbrun et Déodat de Corbeyre cédèrent, à certaines conditions, le territoire de Felquieres, avec tous les droits que pouvait y prétendre le Temple de Spelé, à Aldemare, premier Abbé de Bonnevaux, de l'Ordre de Cîteaux, au Diocese de Rhodès.

Quelques années auparavant il se fit un accord entre les Chevaliers du Temple de Marbote en Lorraine, et les Bénédictins de Saint-Mihiel, dont l'Abbé prétendait qu'un certain moulin, bâti sur le terrain de l'Abbaye, lui appartenait, de même qu'une autre terre que les Templiers possédaient à Meserins. La contestation fut terminée, à condition que les Chevaliers paieraient tous les ans à l'Abbaye six sous de cens, et dix lorsqu'ils seraient en retard. Cet accommodement fut depuis confirmé par le Précepteur de France ;

Quant à quelques autres transactions passées entre les Bourgeois d'Arles et le Temple de cette ville, entre celui de Laon et l'Abbaye de Saint-Jean, et l'Abbé de Pont-Levoi, et le Temple qu'il avait fondé à Valentiac, Diocèse de Blois, entre les Religieux de Bonnefont et les Chevaliers du Diocèse de Couserans, nous ne ferons que les indiquer, de crainte que le détail n'en fait trop ennuyeux. Remarquons cependant encore ici en partant, qu'en 1169, l'Ordre avait un établissement à Brunswick avec droit de Chapelle.

Nous nous éloignons de l'opinion commune, en donnant pour successeur à Blanquefort le Chevalier Philippe de Naplouse, au lieu d'André de Montbard, oncle maternel de Saint-Bernard. Ceux qui, pour trouver place à ce prétendu magistère, finissent en 1165 celui de Blanquefort, n'ont pas fait attention que ce dernier prend encore en 1168 la qualité de Maître dans une lettre au Roi de France, que nous venons de rapporter. Pour preuve qu'André succéda à Blanquefort, M. Ducange n'a d'autres témoignages à citer que deux endroits de la vie de Saint-Bernard, écrite par le Moine Geoffroi: dans le premier il est dit que quand le saint Abbé écrivit à son oncle (en 1153), ce Chevalier était un des plus fermes appuis de sa religion ; dans le second, qu'il était alors Ministre, et qu'il est encore maintenant (en 1155 ou 56, que Geoffroi parle), Maître de la milice du Temple. Si ces termes, dont l'équivoque a souvent trompé les Historiens, s'entendent ici de la grande Maîtrise, ce n'est pas en 1165, mais en 1155, qu'André a joui de cette dignité ; c'est donc à Tramelay plutôt qu'à Blanquefort qu'il doit avoir succédé, suivant les preuves de Ducange ; mais parce que cet Ecrivain, dans ses notes sur Cinnamus, prolonge la vie de Tramelay jusqu'en 1158 ; il a fallu trouver place ailleurs au prétendu magistère de Montbard, et le mettre après celui de Blanquefort, ce qui n'est pas possible, puisque nous trouvons Blanquefort Grand-Maître en 1168, et Philippe de Naplouse en 1169. Il serait fort étrange que l'Histoire eût parlé plusieurs fois de Philippe et du magistère qu'il occupa pendant quelques mois seulement, sans dire un seul mot de celui de Montbard, qui doit cependant avoir duré au moins cinq ans, depuis 1155 jusqu'en 1160, s'il est vrai qu'il ait jamais eu lieu.
Sources: Par feu Claude Mansuet Jeune. Chanoine Régulier de l'Ordre de Prémontré, Docteur en Théologie, Prieur de l'Abbaye d'Etival. Edité chez Guillot, Librairie de Monsieur, Frère du Roi, rue Saint-Jacques. Paris. M DCC. LXXXIX.

Philippe de Naplouse

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