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Interrogatoires des Frères du Temple

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    3. — L'Appel des défenseurs

    C'est le mercredi 12 novembre 1309 que les Commissaires se réunirent pour ouvrir en fait l'information. Messires Mathieu de Naples et Jean de Montlaur, absents, avaient présenté par lettre leurs excuses. Personne ne s'étant ce jour-là offert à déposer, ils prorogèrent le délai de comparution au lendemain, heure de Prime. Le lendemain, jeudi 13, personne ne comparut davantage. On prorogea au lendemain vendredi ; le vendredi, on prorogea au samedi ; le samedi, au lundi ; le lundi, au mardi, octave de la Saint-Martin ; et le mardi, au samedi suivant. Entre temps, les Commissaires, las d'attendre en vain, avaient enjoint à l'évêque de Paris de réunir au plus tôt et de faire venir les témoins qui se proposeraient à défendre l'ordre ; de cette démarche, l'évêque rendit compte pour y agréer le samedi 22, date à laquelle Messires Philippe de Voet, Prévôt de l'Eglise de Poitiers, et Jean de Janville, huissier royal, furent d'autre part institués appariteurs pour cette affaire.

    Ce même samedi se présenta d'abord un simple d'esprit. Il s'appelait Jean de Melot, était originaire du diocèse de Besançon. On ne put absolument rien tirer de lui qui fût valable. Comme il affirmait avoir appartenu à l'ordre du Temple, on le renvoya pour examen par-devant l'évêque de Paris. Ce fut là le premier témoin de l'enquête pontificale...

    Fort heureusement, furent après lui présentés six Templiers, qui déclarèrent n'être pas, du fait de la simplicité de leur entendement, en mesure de défendre l'ordre, encore qu'ils eussent pour lui de l'estime. Puis le frère Hugues de Pairaud, Visiteur de France.

    Le frère Hugues de Pairaud. Je suis venu vous requérir d'insister auprès de Mgr le Pape et de Messire le Roi pour qu'ils ne dilapident ni ne consument en pure perte les biens de l'ordre, mais les conservent au contraire et appliquent au secours de la Terre Sainte, à quoi ceux-ci sont affectés depuis les origines. A plusieurs reprises, je me suis personnellement entretenu des affaires de l'ordre avec Mgr le Pape et les trois cardinaux chargés de l'enquête ; je suis prêt à en reparler quand je serai en présence de Mgr le Pape ; vous comprendrez que, pour le moment, je ne veuille rien vous dire.

    Les Commissaires. Nous sommes prêts à vous entendre néanmoins, si vous voulez défendre l'ordre.
    Le frère Hugues. Je n'en dirai pas davantage.
    Les Commissaires. En ce cas, nous vous donnons congé.

    Exit le frère Hugues de Pairaud. Les Commissaires, ayant appris par un rapport secret que les gens du Roi détenaient à Paris un certain nombre d'individus venus dans la capitale, murmurait-on, pour défendre l'ordre, convoquent le prévôt du Châtelet, Maître Jean de Plublaveh.

    Maître Jean de Plublaveh. Que oui ! J'ai bien ces sept hommes-là dans ma prison. Je les ai raflés alors qu'ils déambulaient en tenue civile, sur l'ordre des curiaux du Roi Notre Sire : on leur avait dit que ces individus étaient des Templiers en fuite, venus à Paris sous costume laïc et munis d'argent pour chercher avocats et conseillers. J'en ai interrogé deux, je les ai même passés à la question, et n'ai rien constaté de pareil.
    Les Commissaires. Faites-les venir immédiatement.

    Le premier introduit, un nommé Pierre de Sornay, déclare aux Commissaires :

    Oui, j'ai bien appartenu à l'ordre des Templiers, trois mois avant que ceux-ci ne fussent arrêtés, mais je m'en suis enfui quinze jours auparavant ; par ma foi, je n'ai rien su ni appris de pervers à son propos.
    Les Commissaires. Et qu'êtes-vous venu faire à Paris ?
    Pierre de Sornay. Vivre. Gagner ma vie. Chercher du travail, vu que je suis pauvre, sans le sou, et de condition chiche.
    Les Commissaires. Etes-vous venu défendre l'ordre ? Voulez-vous le défendre ?
    Pierre de Sornay. Non.

    Les six autres n'en ont pas davantage l'intention ; deux d'entre eux avouent cependant qu'ils avaient été naguère au service de Templiers du comté de Hainaut, et que ceux-ci les avaient dépêchés à Paris pour observer ce qui s'y faisait au sujet de leur ordre, et le leur rapporter.
    Les Commissaires font incontinent relâcher les prisonniers, non sans avoir prié le prévôt du Châtelet de ne plus entraver désormais, par des arrestations abusives, l'exercice de leur enquête. Puis ils prononcent la clôture de l'audience.
    Celle-ci reprend le lundi 24 novembre. Ce jour-là derechef, les Commissaires attendent en vain jusqu'à midi : personne ne s'étant présenté, ils s'ajournent au surlendemain 26 novembre.



    Le Mercredi 26 Novembre, en une chambre près la grand'salle du palais épiscopal.

    Le frère Jacques de Molay, Grand-Maître de l'ordre des Templiers.

    Les Commissaires. Voulez-vous défendre l'ordre ? Avez-vous quelque chose à dire en sa faveur ?
    Molay. L'ordre a été confirmé et privilégié par le Saint-Siège Apostolique. Cela m'étonnerait bien fort que l'Eglise Romaine voulût subitement procéder à sa ruine, alors qu'elle a mis trente-deux ans à porter contre l'Empereur Frédéric une sentence de déposition.

    Quant à moi, je ne suis pas aussi savant qu'il conviendrait pour pouvoir, par moi-même, défendre l'ordre ; je ne suis pas si avisé ! Je suis prêt pourtant à le défendre selon mes facultés... Ah ! je me considérerais comme un être vil et misérable, et tel d'autres pourraient me réputer, si je ne défendais pas cet ordre dont j'ai reçu tant d'avantages et d'honneurs. Au fait, cette tâche-là me paraît bien difficile... Comment le défendre convenablement ? Je suis prisonnier du Pape et du Roi de France notre Sire, et n'ai pas seulement quatre deniers à dépenser pour cette défense : je n'ai que ce que l'on me donne.

    Aussi demandé-je aide et conseil. Je désire que la vérité, quant aux griefs qu'on impute à mon ordre, ne soit pas connue seulement de ceux qui en font partie, mais qu'elle parvienne aux oreilles de tous les rois, princes, prélats, ducs, comtes et barons de l'Univers ! Je sais bien que ceux de mon ordre ont été souvent trop absolus à défendre leurs droits vis-à-vis de la plupart de ces prélats ! Je suis prêt à m'en tenir aux dépositions et aux témoignages des rois, princes, prélats, comtes, ducs et barons, et autres prud'hommes.

    Devant la complexité de l'affaire 25, les Commissaires proposent au Grand-Maître de réfléchir encore, sans perdre de vue les aveux qu'il a précédemment formulés contre lui-même et contre l'ordre ; ils consentent à lui accorder un délai à cette fin.

    Les Commissaires. Veuillez considérer toutefois qu'en matière d'hérésie et de foi, il convient de procéder simplement, de piano. Les criailleries des avocats et leur rhétorique n'y sont point de mise.

    On donne au Grand-Maître lecture de ses aveux, tels que les avaient reçus les trois cardinaux. On le voit faire par deux fois le signe de la croix, et d'autres gestes qui semblent manifester une profonde stupéfaction.

    Molay. Je vous dirais bien quelque chose, si vous n'étiez ceux que vous êtes et que vous fussiez autorisés à l'entendre...
    Les Commissaires. Hé ! Nous ne sommes pas là pour recueillir un engagement de bataille !
    Molay. Ce n'est point ce que je voulais dire. Je voulais dire qu'il plût à Dieu de réserver à de tels pervers le sort que leur réservent les Sarrasins et les Tartares : eux, ils tranchent la tête aux pervers ou les coupent en deux par le milieu !
    Les Commissaires. L'Eglise, quant à elle, juge comme hérétiques ceux qui sont réputés hérétiques, et elle abandonne les obstinés au bras séculier.
    Molay. Je désirerais m'entretenir avec Messire Guillaume de Plaisians 26.

    Messire Guillaume, présent à l'audience, — sans y avoir été pour autant convoqué, — prend à part le Grand-Maître, auquel, à son dire, des liens d'affection l'attachent : ne sont-ils pas chevaliers tous les deux ? Messire doit s'assurer, déclare-t-il, que le Maître ne s'accuse ni ne se perde en vain.

    Molay. Je vois bien que, si je n'ai pas le loisir de mûrement réfléchir, je pourrais bientôt choir en mon chevestre27 ! Je demande donc à réfléchir, et vous requiers de m'accorder un délai jusqu'à vendredi.
    Les Commissaires. Accordé. Davantage si vous le désirez !

    Le jeudi 27 novembre, en la chapelle attenant à la grand'salle.

    Plusieurs Templiers se présentent pour déposer.

    Le frère Raoul de Gisy.

    Le frère Raoul de Gisy, précepteur de Beauvais et Lagny-le-Sec, receveur des finances royales en Champagne.

    Je ne veux rien dire en faveur de l'ordre ni le défendre. Je n'ai rien d'autre à dire que ce que j'ai déjà déclaré. C'est Mgr l'Evêque de Paris qui nous a prévenus que ceux qui désireraient se présenter devant Messires les Commissaires étaient autorisés à le faire. J'avais seulement l'intention de venir saluer Messieurs les Commissaires.

    Le frère Ponsard de Gisy, précepteur de Payns.

    Les imputations dont on accable l'ordre, savoir qu'il y est renié Jésus-Christ et craché sur la croix, donné licence aux frères de s'unir charnellement entre eux, et autres énormités, tout cela est mensonge. Tout ce que moi-même et mes confrères de l'ordre avons avoué là-dessus par-devant l'Evêque de Paris ou ailleurs, c'est mensonge. Nous avons parlé sous l'effet de violences, du danger qui nous menaçait et de la peur, car nous étions torturés par Florian de Berry, prieur de Montfaucon, et par le moine Guillaume Robert, nos ennemis. Nous n'avons parlé qu'après en avoir ainsi convenu entre nous dans nos prisons. Et par crainte de la mort aussi, vu que trente-six de nos frères sont morts à Paris par sévices et tourments, et bien d'autres ailleurs.

    Je suis prêt à défendre l'ordre quant à moi-même et à ceux qui se réunissent à moi, pourvu qu'on en impute la dépense sur les biens du Temple. Je réclame aide et conseil des frères Renaud d'Orléans et Pierre de Bologne, qui sont prêtres et confrères de notre ordre.

    Le témoin remet aux Commissaires la liste de quatre «  ennemis de la religion du Temple  », dont Guillaume Robert et Esquius de Floyrac de Berry, comprieur de Montfaucon (28).

    Les Commissaires. Avez-vous été passé à la torture ?
    Le frère Ponsard. J'y ai été passé, trois mois avant que je fisse ma confession par-devant Mgr l'Evêque de Paris. On m'avait lié les mains par derrière, si serré que le sang me coulait jusqu'aux ongles ; on me mit dans un cul-de-basse-fosse, où je demeurai l'espace d'une heure...

    Qu'on me remette seulement à la torture, et je nierai tout ce que je dis là ! Je dirai tout ce qu'on voudra ! Autant je suis prêt à me voir trancher la tête, souffrir le feu ou l'ébouillantement pour l'honneur de l'ordre, à condition que ce soit bref, autant je ne puis subir tourments aussi longs que ceux que j'ai déjà endurés avec mes deux années de prison et plus.
    Les Commissaires. Avez-vous une raison à donner pour laquelle nous ne devrions pas procéder à notre enquête selon l'exactitude et l'équité (29) ?
    Le frère Ponsard. Non. Je souhaite seulement que vous meniez vos enquêtes par le moyen de prud'hommes.

    On présente alors au témoin une cédule écrite de sa main, qui reprend en français plusieurs des accusations ignominieuses portées contre l'ordre.

    «  Item, y lit-on notamment, lesdits Commandeurs des baillies, si quelque petit frère leur disait aucunes choses qui les ennuient, ils pourchassaient de leurs dons le Commandeur provincial pour que le pauvre frère allât outre-mer, pour mourir, ou en terre étrangère où il ne se reconnaissait pas, et finissait par y périr par duel (bataille) et pauvreté ; et s'il laissait la religion et était repris, il était mis en prison.

    Item, au dernier chapitre qui fut tenu par le Visiteur, et ce fut à la Chandeleur-Fête-Notre-Dame, le frère Ranaus (Renaud) de la Folie proposa contre frère Gérot (Géraud) de Villiers que par lui et un autre frère avait été perdue l'Ile de Tortose, et, par lui, les frères morts et pris, et le sont encore. Il le voulait prouver par bonnes gens, parce que ledit frère Géraut se partit un jour avant, et emmena avec lui ses amis, et, par le défaut des bons chevaliers qu'il emmena, les autres furent perdus.  »

    Le frère Ponsard. La vérité ne cherche pas de biais. J'ai rédigé cette cédule pour être amené en présence de Mgr le Pape et de MM. les Commissaires, afin d'être entendu. Je l'avais écrite sous le coup d'un ressentiment contre l'ordre, ou tout comme, parce que le trésorier du Temple avait proféré à mon endroit des paroles injurieuses.
    J'ai peur qu'on n'aggrave le régime de ma prison pour m'être offert à défendre l'ordre. Je vous supplie de veiller à ce qu'il n'en soit rien.

    Assurance est donnée au témoin. Plusieurs autres Templiers sont alors introduits, à qui les Commissaires demandent s'ils entendent défendre l'ordre. La plupart s'y refusent, en arguant de leur condition misérable, et déclarent s'en tenir à leurs déclarations faites devant Mgr l'Evêque de Paris. Tel le frère Aymon de Barbone, dont suit la déposition.

    Le frère Aymon de Barbone. On m'a passé trois fois à la torture, on me versait de l'eau dans la bouche avec une coiffe 30. Sept semaines durant, je fus au pain et à l'eau. Je suis un pauvre homme, et je ne peux pas défendre l'ordre. Oh ! Certes, je le défendrais bien si j'en étais capable ; mais je ne le puis, étant en prison. Trois ans, j'ai tenu ou gardé la chambre du Maître outre-mer ; je n'ai rien vu de mal, ni chez lui, ni dans l'ordre. Je ne sais ce que j'ai à faire désormais, car j'ai le corps dolent et l'âme qui pleure, et j'ai souffert pour l'ordre bien des maux !
    Les Commissaires. Estimez-vous qu'il y ait quelque motif pour lequel nous ne devrions pas procéder à notre enquête ?
    Le frère Aymon. Je ne veux rien dire ni pour l'ordre ni contre l'ordre tant que je serai en prison.
    Les Commissaires. Persistez-vous dans vos aveux ?
    Le frère Aymon. Je ne dirai rien de plus que ce que j'ai déjà dit, tant que je serai en prison.

    Ainsi parle encore le frère Jean du Four, ou de Torteville.

    Le frère Jean du Four. Je ne veux point entrer en litige avec Messeigneurs le Pape et le Roi de France.
    Les Commissaires. Il n'est pas question d'entrer en litige avec le Pape et le Roi, qui n'ont point part à l'affaire. Nous voulons seulement que la vérité se fasse jour. Nous sommes Commissaires de Mgr le Pape, et non point du Roi Notre Sire; c'est Mgr le Pape qui nous a commis au soin de connaître la vérité sur les charges qui sont imputées à l'ordre. Voulez-vous défendre l'ordre ?
    Le frère Jean du Four. Non. Je suis en prison, et ne saurais le défendre.
    Les Commissaires. Persistez-vous dans les déclarations que vous avez faites par-devant Mgr l'Evêque de Paris ?
    Le frère Jean. Oui. Sauf en ce qui concerne le péché de Sodome. Si tant est que j'eusse fait aveu de ce péché, je m'en étais rétracté ailleurs, et m'en rétracte encore aujourd'hui.
    Les Commissaires. Alors pourquoi l'avoir fait, cet aveu ?
    Le frère Jean. J'avais été passé à la question trois mois auparavant. J'ai peur d'y repasser... Pendant toute une année durant, ces tortures m'ont fait perdre la raison.

    Le vendredi avant la Saint-André (28 novembre)

    En la chambre derrière la salle du palais, local habituel des séances.

    Le frère Jacques de Molay, Grand-Maître.

    Je vous remercie, Messieurs, de ce délai que vous m'avez concédé, et de votre offre de m'en accorder un plus long s'il me plaisait. Vous m'avez mis par là la bride sur le cou !
    Les Commissaires. Voulez-vous défendre l'ordre ?
    Le frère Jacques de Molay. Je ne suis qu'un pauvre chevalier illettré. J'ai ouï, dans une lettre apostolique qui m'a été lue, que Monseigneur le Pape s'était réservé mon cas, et celui de certains autres dignitaires de l'ordre des Templiers ; pour le moment, dans l'état où je suis, je ne veux rien faire.

    Les Commissaires. Nous vous demandons avec instance de nous dire si vous voulez, présentement, défendre l'ordre.
    Molay. Non. Mais j'irai devant Monseigneur le Pape quand il plaira à Monseigneur le Pape. Je suis mortel, comme les autres hommes, et l'avenir ne m'est pas assuré. Je vous supplie donc et vous requiers de signifier à Monseigneur le Pape qu'il évoque par-devant lui le Maître du Temple aussitôt que possible ; alors seulement je lui dirai, à Monseigneur le Pape, ce qui est l'honneur du Christ et de l'Eglise. Pour autant qu'il soit en mon pouvoir.

    Les Commissaires. Estimez-vous qu'il existe une raison s'opposant à ce que nous autres, qui ne nous mêlons point des questions de personne, mais de l'ordre, nous enquêtions avec scrupule et vérité dans cette enquête à nous commise par Mgr le Pape ?

    Molay. Oh ! Non. Au contraire, je vous requiers de procéder avec scrupule et vérité. Et pour soulager ma conscience, je vais vous exposer trois points relatifs à notre ordre. Voilà, je vous les expose :

    Premièrement, je ne sache aucune autre religion en laquelle les chapelles et les églises aient meilleurs et plus beaux ornements, reliques et objets du culte ; où les prêtres et clercs assurent mieux l'office ; hormis bien sûr les cathédrales !

    Deuxièmement, je ne sache autre religion où il y ait plus d'aumônes que chez nous ; dans toutes nos maisons, selon la règle générale de notre ordre, nous donnons trois fois dans la semaine l'aumône à tous ceux qui la veulent recevoir.

    Troisièmement. Je ne sache aucunes religion ou personnes qui, pour la défense de la foi chrétienne contre les ennemis de la foi, aient plus promptement exposé leur vie et versé autant de sang, et qui soient plus redoutées des ennemis de la foi catholique. C'est la raison pour laquelle le comte d'Artois, quand Û mourut en combattant aux pays d'outre-mer, voulut que les Templiers fussent à l'avant-garde de son armée ; si le comte avait écouté le Maître du Temple d'alors, lui-même, le Maître et les autres n'auraient pas péri. Et le Maître d'alors dit qu'il avait quelque raison de parler ainsi, car, pour avoir suivi le conseil du comte, il allait mourir au combat, et le comte de même, ensemble avec les autres.

    Les Commissaires. Tout cela n'est d'aucune utilité pour le salut des âmes, s'il y manque le fondement de la foi catholique.
    Molay. C'est vrai. Aussi crois-je fermement en un seul Dieu en Trois Personnes, et autres articles de la foi catholique. Je crois qu'il n'y a qu'un Dieu et qu'une seule foi ; un seul baptême et une seule Eglise. Je crois qu'après que l'âme aura été séparée du corps, alors on verra qui est bon et qui est mauvais, et chacun d'entre nous saura la vérité sur notre présent débat.

    Entre temps, juste après la déclaration du Maitre selon laquelle il refusait de défendre son ordre autrement qu'il n'est dit ci-dessus, Maître Guillaume de Nogaret, chancelier du Roi de France, est entré (31).

    Maître Guillaume. On lit dans les chroniques de Saint-Denis qu'au temps de Saladin, Soudan de Babylone, le Maître de l'ordre du Temple et d'autres dignitaires de l'ordre avaient fait hommage à Saladin, et que le même Saladin, apprenant le désastre subi par les Templiers, avait dit en public que les Templiers avaient subi cette défaite parce qu'ils s'adonnaient au vice de Sodome, et qu'ils étaient prévaricateurs de leur foi et de leur règle...
    Molay (manifestant une grande-stupéfaction). Jamais jusqu'à ce jour, je n'ai ouï dire pareille chose !
    Mais je sais bien que, quand j'étais outre-mer et que le Maître de l'ordre était Guillaume de Beaujeu, moi-même et beaucoup de mes confrères, qui étions jeunes et assoiffés de combattre — c'est naturel, chez de jeunes chevaliers : ils ne demandent qu'à voir des faits d'armes ! — d'autres encore qui n'étaient pas de notre couvent, nous murmurions contre le Maître, parce que durant la trêve conclue par feu le roi d'Angleterre entre Chrétiens et Sarrazins, le Maître servait le Soudan et le retenait dans son alliance ; mais, finalement, moi-même et mes confrères nous en satisfîmes, en constatant que le Maître ne pouvait agir autrement : à cette époque, notre ordre tenait en main et sous sa garde bien des villes et des forts sur les confins des terres du Soudan ; il n'aurait pu les conserver, et ils auraient été perdus, si le roi d'Angleterre ne leur avait fait parvenir du ravitaillement.

    Ah ! Messeigneurs les Commissaires, Messire le Chancelier, je vous demande humblement, pour finir, de daigner ordonner que je puisse ouïr la messe et les offices divins, et avoir ma chapelle et des chapelains.
    Les Commissaires et le Chancelier. Votre piété est louable. Nous y pourvoirons.

    Les Commissaires s'adressent alors au frère Pierre de Safet, cuisinier et serviteur du Maître, pour lui demander s'il veut défendre l'ordre, ou indiquer une raison pour laquelle ils ne devraient pas procéder à leur enquête.

    Le frère Pierre de Safet. L'ordre a de bons défenseurs : Mgr le Pape et le Roi Notre Sire. Ma conscience se décharge sur les leurs ; ce sont, je pense, de bonnes, loyales et saintes personnes. Je me contente de leur défense à eux. Mon intention n'est pas de défendre l'ordre. Faites bien votre enquête, avec scrupule, et procédez de même.

    A la fin de l'audience de ce 28 novembre, les Commissaires avaient décidé de réitérer leurs lettres citatoires aux évêques de France, les premières n'ayant point été publiées, ou l'ayant été de façon incorrecte ; ils avaient pareillement requis le Roi de fournir des escortes aux Templiers de province qui désireraient se rendre à Paris pour défendre leur ordre, et de prévoir le transfert de ceux-ci pour «  le premier jour non férié après la Fête de la Purification de la Sainte Vierge  ». Le 3 février donc, qui était un mardi, les Commissaires se réunirent à l'heure de Prime en la salle du palais épiscopal. Mais personne ne se présenta, non plus que le lendemain ni le surlendemain. Le 6 février seulement furent introduits seize Templiers, amenés des diocèses de Lyon, Mâcon, Le Puy et Langres ; tous acceptaient de défendre l'ordre, excepté le frère Gérard de Lorrain, du diocèse de Toul, qui déclara :
    «  Non. Moi je ne veux pas le défendre, il est bien trop mauvais, il y a bien trop de méchantes choses de cet ordre-là !  »

    De toutes les parties du royaume cependant, les Templiers ralliaient maintenant Paris sous bonne garde, afin de comparaître devant la Commission d'enquête. Le samedi 7 février, du diocèse de Clermont, on en amena trente-trois, tous résolus à défendre l'ordre ; le lundi suivant, du diocèse de Sens, six, et du diocèse d'Amiens, douze. Ce même jour comparaissaient quatorze Templiers arrêtés dans le diocèse de Paris.

    Le frère Vernon de Santoni (l'un d'entre eux). Dans cet ordre-là, je ne connais que du bon. Mais je ne comprends pas ce que cela veut dire : «  défendre  ». On amena encore, du diocèse de Tours, dix-huit Templiers ; de Saint-Martin-des-Champs où, rassemblés de différents diocèses, ils étaient détenus, quinze autres.
    Le mardi 10, sept arrivèrent du diocèse de Mende, et dix de celui de Sens ; huit de Montlhéry, trente-cinq du Temple de Paris, parmi lesquels était le frère Pierre de Bologne, procureur de l'ordre en Cour de Rome, plus deux Templiers du diocèse d'Amiens, et dix-neuf d'Aciis (Athis ?), au diocèse de Paris. Le jeudi, il en vint quatre de Corbeil, et trente-trois de la baylie de Chaumont. Le vendredi, sept de Saint-Denis, et six de Conflans. Le samedi, dix du diocèse de Beauvais ; et l'un d'entre eux, le frère Jean de Chames, à qui l'on demandait s'il voulait défendre l'ordre, répondit : «  Oui, jusqu'à la mort32  ». A leur groupe s'était joint le frère Adam de l'Enfer, du diocèse de Noyon.

    Le même jour, furent amenés de Vitry neuf Templiers ; de Tyers (?) au diocèse de Sens, onze autres. Parmi eux, le frère Jacques de Sacy dit : «  Il y a vingt-cinq frères de l'ordre qui sont morts par tourments et passion ! » Et le frère Bertrand de Saint-Paul : «  Jamais je n'ai avoué les erreurs imputées à l'ordre ni ne les avouerai. Tout cela est faux. Qu'on nous administre le Corps du Christ, à ceux qui avouent comme à ceux qui refusent d'avouer, et Dieu fera un miracle.  »

    On amena pareillement, de la sénéchaussée de Carcassonne, vingt-deux frères, plus six qui s'étaient adjoints à leur groupe, et déclarèrent rétracter leurs aveux précédemment passés devant Mgr le Pape. Du diocèse de Sens, vingt-neuf frères, dont les uns demandèrent de pouvoir délibérer avec le Maître, et les autres acceptaient de défendre l'ordre.

    Parmi eux, Jean de Couchey présenta aux Commissaires une lettre close de deux sceaux, dont à dire vrai les caractères n'étaient pas lisibles. Cette lettre, précisa le frère Laurent de Beaune, leur avait été remise à Sens par le clerc Jean Supin, alors qu'ils attendaient d'être interrogés par Mgr l'Evêque d'Orléans. On y lisait:

    Philippe de Voet, prévôt de l'église de Poitiers, et Jean de Janville, huissier d'armes de Notre-Seigneur le Roi, députés à la garde des Templiers aux provinces de Sens, de Rouen et de Reims, à notre aimé frère Laurent de Biâne 33, naguère Commandeur d'Apulie, et aux autres frères qui sont dans les prisons de Sens, salut et dilection.

    Savoir vous faisons que nous avons procuré que le Roi Notre Sire vous envoie l'Evêque d'Orléans pour vous réconcilier. Aussi vous requérons-nous et prions que vous, en la bonne confession que nous vous laissâmes, vous persévériez si dévotement et gracieusement par-devers ledit évêque d'Orléans qu'il n'ait cause de dire que, par vous, nous l'ayons fait travailler ni fait entendre mensonge ; nous vous envoyons, à notre place, notre amé clerc Jean Chapin, auquel vous voudrez bien croire de notre part ce qu'il vous dira. Et sachez que Notre Père le Pape a mandé que tous ceux qui auront fait confession devant les Inquisiteurs, ses avoués, et refuseraient de persévérer en cette confession, seront mis à damnation et remis au feu. Nous avons commandé audit Jean qu'il vous installât dans des chambres convenables, jusqu'à tant que nous soyons à vous, ce qui sera brèvement, s'il plaît à Dieu ; et nous y serions déjà, si ce n'avait été pour avoir grande besogne où le Roi nous envoie...  »

    Maître Philippe de Voet. Je n'ai pas l'impression d'avoir envoyé cette lettre-là. Je ne sais si c'est de mon sceau qu'elle a été scellée : mon clerc avait quelquefois mon sceau en sa possession. En tout cas, jamais elle n'a été scellée par mon ordre ou avec mon consentement.
    Jamais, je vous assure, ni par moi-même, ni par messager, ni par lettre, ni autrement, jamais je n'ai incité un frère de l'ordre à dire autre chose que la vérité pure. Demandez-le donc aux frères eux-mêmes...

    Les frères Jean de Couchey et Laurent de Beaune. C'est exact, le Prévôt ne nous a jamais recommandé autre chose (34).

    L'audience s'acheva, ce jour-là, par la comparution de cinq Templiers originaires des diocèses d'Autun, de Paris et de Langres. Et toute la semaine suivante, il en fut de même, à tel point que l'on ne saurait ici, sans monotonie, en énumérer le déroulement. Plusieurs Templiers déclarèrent rétracter leurs précédents aveux ou dépositions passés devant Mgr le Pape. Le mardi, le frère Bernard du Gué (diocèse d'Albi) dit aux Commissaires :
    «  J'ai tant été torturé, tant questionné et tenu au feu que les chairs de mes talons en ont été toutes brûlées et que les os m'en sont tombés peu après.  » Et il montrait deux os qu'il affirmait être ceux de son talon.

    Ce même jour, la plupart des frères qui, par humilité, ne se sentaient pas en mesure de défendre l'ordre dirent qu'ils s'en remettaient au Maître lui-même. Plusieurs, au contraire, proclamèrent qu'ils le défendraient jusqu'à la mort ; seul le frère Aymeri Chamerlent déclara s'en tenir à sa déposition, telle que l'avait reçue Mgr le Pape. Le vendredi suivant, 13 lévrier, le frère Ponsard de Gisy, qui comparaissait pour la seconde fois, vint préciser qu'il entendait défendre l'ordre, et de même, mais avec quelques réserves juridiques, le frère Gérard de Caus, chevalier du diocèse de Rodez (35).

    Le frère Gérard. Cet interrogatoire, je le considère comme inutile et vide de sens, et pareillement les réponses que j'y pourrais apporter ; il n'en sortira rien : car supposé que je vous dise : «  Je veux défendre la religion du Temple  », eh bien ! ma volonté est nulle ; dans l'état où je suis, je ne puis disposer du libre arbitre indispensable : je suis prisonnier, détenu en prison stricte, spolié et privé de l'usage des biens du Temple. D'où je ne jouis point de la liberté nécessaire, n'étant pas libre de moi-même. Ah ! si j'étais libre, et que je pusse disposer de ces biens, je procéderais volontiers selon le droit, par-devant vous...

    Les Commissaires. Nous n'avons pas le pouvoir de vous libérer de prison, mais seulement celui d'enquêter contre tout l'ordre du Temple ; toutes les fois que vous voudrez vous présenter devant nous, nous vous ferons venir, et vous écouterons de bonne grâce et avec bienveillance.

    L'appel des Templiers se poursuivit ainsi de jour en jour jusqu'au vendredi après la Saint-Grégoire, soit le 13 mars. La très grande majorité d'entre eux acceptaient de défendre l'ordre. Et le lundi 2 mars, on avait revu le Grand-Maître Jacques de Molay.

    Les Commissaires. Voulez-vous défendre l'ordre ?
    Molay. Mgr le Pape s'est réservé mon cas. Je vous supplie de ne plus insister ; devant Mgr le Pape, je dirai ce qui me paraîtra opportun.
    Les Commissaires. A votre endroit, en tant que personne, nous ne pouvons dire ou faire quoi que ce soit ; nous n'avons pouvoir que vis-à-vis de l'ordre, et selon la procédure qui nous a été recommandée.
    Molay. Veuillez donc écrire à Mgr le Pape qu'il évoque par-devers lui ceux qu'il s'est réservés.
    Les Commissaires. Nous le ferons aussitôt que possible (36).

    Le 13 mars, furent entre autres présentés Messires Geoffroy de Gonneville, précepteur d'Aquitaine et de Poitou, et Hugues de Pairaud, Visiteur de France.

    Geoffroy de Gonneville. Je suis prisonnier de Messeigneurs le Pape et le Roi de France. Je suis illettré et incapable de défendre l'ordre. Je n'ai ni conseil, ni moyen d'en avoir. Aussi, pour le présent, ne puis-je ni n'osé-je rien dire. Toutefois, si j'étais en présence de Mgr le Pape ou du Roi, que je tiens pour de bons sires et des juges équitables, je dirais ce qui paraîtrait convenable.

    Les Commissaires. Vous pouvez parler ici sans crainte ; ne craignez ni violences, ni injures, ni tourments : nous ne vous en ferons ni ne vous en laisserons subir ; au contraire, nous les empêcherions, si l'on entreprenait de vous en faire endurer.

    Geoffroy de Gonneville. Je vous demande seulement de me faire mener par-devant le Pape.
    Les Commissaires (au frère Hugues de Pairaud). Voulez-vous parler ici pour l'ordre ou contre lui ?
    Hugues de Pairaud. Non. Je m'en rapporte à ce que je vous ai dit lors de ma première comparution.

    Le lendemain, samedi 14 mars, les Commissaires séant en la chambre épiscopale, à l'exception de Mgr de Narbonne excusé, firent comparaître par-devant eux quatre-vingt-dix frères Templiers qui s'étaient offerts à la défense de l'ordre, afin de leur lire les lettres de commission à eux expédiées par le Saint-Siège, ainsi que les articles, scellés sous bulle pontificale, qui devaient être l'objet de leur enquête ; ces lectures furent faites en latin d'abord, puis traduites en français.



    Teneur du questionnaire (37)

    1. Encore que les Templiers assurent que leur ordre répondait à de saints motifs et qu'il avait été approuvé par le Siège Apostolique, il n'empêche que, lors de la réception des frères de cet ordre, étaient observés les rites qui suivent :
    Le postulant, au moment de sa réception, quelquefois après, ou le plus tôt possible à la convenance de celui qui le recevait, reniait tantôt «  le Christ  », tantôt «  le Crucifié  », tantôt «  Dieu  », tantôt même la Sainte Vierge ou bien les Saints et Saintes de Dieu. Ce, sur l'ordre de ceux qui le recevaient.

    2. Les frères accomplissaient de tels rites communément.

    3. La majorité d'entre les frères.

    4. Parfois même, après leur réception.

    5. Ceux qui les recevaient enseignaient que le Christ n'était pas le vrai Dieu (ou bien Jésus, ou bien le Crucifié).

    6. Qu'il avait été un faux prophète.

    7. Qu'il n'avait pas souffert Sa passion et Sa croix pour la rédemption du genre humain, mais en châtiment des crimes qu'il avait commis.

    8. Que ceux qui recevaient, comme ceux qui étaient reçus, n'avaient l'espérance du salut par Jésus ; les premiers le disaient aux seconds (ou bien l'équivalent).

    9. On faisait cracher les postulants sur la croix, sur un signe de croix, sur une croix sculptée ou sur l'image du Christ (sauf que, quelquefois, il y avait des postulants qui crachaient à côté de la croix).

    10. On leur enjoignait quelquefois de fouler la croix aux pieds.

    11. Les frères reçus foulaient parfois la croix eux-mêmes.

    12. Ils urinaient sur la croix, tout en la piétinant, et faisaient uriner de même : il arrivait que cela se passât le Vendredi Saint.

    13. Quelques-uns d'entre eux, en ce jour ou tout au long de la Semaine Sainte, avaient l'habitude de se réunir ensemble pour de telles pratiques.

    14. Ils adoraient un chat, qui leur apparaissait de temps en temps lors de cette réunion.

    15. Ils faisaient cette cérémonie-là en outrage au Christ et à la foi catholique.

    16. Ils ne croyaient pas au sacrement de l'autel.

    17. Quelques-uns d'entre eux.

    18. La majorité.

    19. Ni aux autres sacrements de l'Eglise.

    20. Les prêtres de l'ordre omettaient au Canon de la messe les paroles de la Consécration.

    21. Quelques-uns d'entre eux.

    22. La majorité.

    23. Ceux qui les recevaient leur en donnaient la consigne.

    24. Ils croyaient, ou du moins le leur affirmaiton, que le Grand-Maître pouvait les absoudre de leurs péchés.

    25. Le Visiteur aussi.

    26. Les précepteurs de même, dont beaucoup étaient des laïcs.

    27. Et de fait, ils les absolvaient.

    28. Du moins, certains d'entre eux.

    29. Le Grand-Maître de l'ordre l'avait avoué, par-devant des personnes éminentes, avant même son arrestation.

    30. Lors de la réception des frères ou à peu près à ce moment, celui qui recevait et celui qui était reçu s'embrassaient parfois sur la bouche, au nombril ou sur le ventre nu, ainsi qu'à l'anus, soit sur l'épine dorsale, in ano seu spina dorsi.

    31. Sur le nombril seulement.

    32. Au bas de l'épine dorsale.

    33. A la verge.

    34. Au cours de cette cérémonie, on faisait jurer aux postulants de ne pas quitter l'ordre.

    35. On les tenait sur-le-champ pour profès.

    36. Les réceptions sç faisaient à huis clos.

    57. Sans autre assistance que les frères de l'ordre.

    38. Ce fut là le motif du long et véhément soupçon qui se propageait contre l'ordre.

    39. Soupçon qui était général.

    40. On disait aux frères nouvellement reçus qu'ils pouvaient s'unir charnellement les uns aux autres.

    41. Que c'était pour eux licite.

    42. Qu'ils devaient se le permettre et le souffrir réciproquement.

    43. Que le commettre n'était point pour eux péché.

    44. Ils le faisaient eux-mêmes, ou un grand nombre d'entre eux.

    45. Quelques-uns.

    46. Dans chaque province, ils avaient des idoles, savoir des têtes dont les unes avaient trois faces, d'autres une seule, d'autres un crâne humain.

    47. Ces idoles, au pluriel ou au singulier, ils les adoraient, spécialement en leurs grands chapitres et assemblées.

    48. Ils les vénéraient.

    49. A l'égal de Dieu.

    50. Comme leur Sauveur.

    51. Quelques-uns.

    52. La majorité des membres du chapitre.

    53. Ils prétendaient que cette tête-là pouvait les sauver.

    54. Qu'elle rendait riche.

    55. Qu'elle leur donnait toutes les richesses de l'ordre.

    56. Qu'elle fait fleurir les arbres.

    57. Germer la terre.

    58. Ils ceignaient ou touchaient avec des cordelettes le chef de ces idoles, et s'en ceignaient ensuite sous la chemise à même la peau.

    59. Ces cordes étaient remises à chacun des frères lors de sa réception ; ou une partie de leur longueur.

    60. Ils faisaient cela par dévotion pour l'idole.

    61. On leur enjoignait de se ceindre de ces cordes et de les porter sans cesse. Même la nuit.

    62. C'était là le mode commun de réception des frères.

    63. Partout.

    64. En général.

    65. Ceux qui refusaient d'accomplir ces rites lors de leur réception ou après étaient tués ou jetés en prison.

    66. Quelques-uns.

    67. La plupart.

    68. On leur enjoignait, sous la foi du serment, de ne rien révéler de ces cérémonies.

    69. Sous peine de mort, ou de prison.

    70. De ne pas révéler le mode de leur réception.

    71. Entre eux, ils n'osaient pas en parler.

    72. S'il y en avait qui fussent pris à les révéler, ils étaient punis de mort ou de prison.

    73. On leur enjoignait de ne se confesser qu'aux frères de l'ordre.

    74. Les frères au courant de ces erreurs négligèrent de les corriger.

    75. De les dénoncer à Notre Sainte Mère l'Eglise.

    76. Ils ne rompirent ni avec l'observance ni avec la communion des frères, encore qu'ils eussent eu la faculté de le faire.

    77. Tout cela s'observait outre-mer, aux lieux où résidaient, selon le temps, le Grand-Maître et le Couvent de l'ordre.

    78. Parfois, le reniement du Christ s'effectuait en présence du Grand-Maître et du Couvent.

    79. On l'observait généralement à Chypre.

    80. De même en-deçà des mers, dans tous les royaumes et lieux où se faisaient des réceptions dans l'ordre.

    81. On l'observait dans l'ordre tout entier, d'une façon générale et commune.

    82. Depuis longtemps.

    83. Selon une antique coutume.

    84. Selon les statuts de l'ordre.

    85. Ces observances, coutumes, ordonnances et statuts régissaient la totalité de l'ordre, en-deçà et au-delà des mers.

    86. Ils faisaient partie des règlements de l'ordre introduits après l'approbation du Siège Apostolique.

    87. Les réceptions des frères se faisaient, d'une façon générale, dans tout l'ordre de cette manière.

    88. Le Grand-Maître le faisait observer.

    89. Les Visiteurs.

    90. Les précepteurs.

    91. Les autres dignitaires de l'ordre.v

    92. Ils l'observaient eux-mêmes, et veillaient à ce qu'il en fût ainsi.

    93. Quelques-uns d'entre eux.

    94. On n'observait pas d'autre mode de réception dans l'ordre.

    95. De mémoire de membre encore vivant de l'ordre, il n'y eut jamais de son temps d'autre mode de réception.

    96. Le Grand-Maître, les Visiteurs, précepteurs et autres maîtres de l'ordre responsables châtiaient sévèrement ceux qui n'observaient pas ou refusaient d'observer ces rites et le reste.

    97. Dans cet ordre, ni les aumônes ni l'hospitalité n'étaient observées comme il convenait.

    98. Dans cet ordre, on ne considérait pas comme un péché d'acquérir licitement ou illicitement des droits d'autrui.

    99. Dans cet ordre, on prêtait serment de travailler à l'accroissement de l'ordre par tous les moyens, licites ou illicites.

    100. On ne considérait pas comme un péché de se parjurer en ce domaine.

    101. Les chapitres se tenaient en secret.

    102. En secret, soit à l'heure du premier sommeil, soit pendant la première veille de la niait.

    103. En secret, vu que toutes les familles étrangères à l'ordre étaient expulsées de la maison et de son enceinte ; elles passaient dehors les nuits où avaient heu ces chapitres.

    104. En secret, vu que les Templiers s'enclosent pour tenir chapitre et ferment si solidement toutes les portes de la maison et de l'église qu'il n'est plus possible d'y avoir le moindre accès, ni de voir ou d'entendre ce qui s'y passe.

    105. En tel secret, qu'ils placent des sentinelles sur le toit de la maison ou de l'Eglise où ils tiennent chapitre, afin d'empêcher que l'on approche.

    106. Ce secret, Us l'observent spécialement lors des réceptions de frères.

    107. Depuis longtemps persiste dans l'ordre l'opinion dévoyée que le Grand-Maître peut absoudre les frères de leurs péchés.

    108. Plus grave encore : le Grand-Maître peut absoudre les frères de leurs péchés, même non confessés, s'ils ont omis de les avouer, par honte ou crainte de la pénitence qu'on leur infligerait.

    109. Ces erreurs, le Grand-Maître les a reconnues avant son arrestation, spontanément, devant des clercs et des laïcs dignes de foi.

    110. En présence des grands dignitaires de l'ordre.

    111. Les tenants de ces erreurs les tenaient et continuent de les tenir, non seulement du Grand-Maître, mais encore des autres précepteurs, et surtout des Visiteurs de l'ordre.

    112. Tout ce que le Grand-Maître, spécialement avec son chapitre général, faisait ou décidait, l'ordre dans son ensemble était tenu de l'observer et l'observait.

    113. Il revendiquait ce pouvoir et se l'était arrogé depuis fort longtemps.

    114. Ces usages pervers et ces dévoiements duraient depuis si longtemps que l'ordre aurait pu être réformé une, deux ou plusieurs fois, quant aux personnes, depuis leur introduction.

    115. Tous ceux qui, dans l'ordre, en ses deux parties, avaient connaissance de ces dévoiements, refusèrent de les corriger.

    116. De les dénoncer à Notre Sainte Mère l'Eglise.

    117. N'en rompirent pas pour autant avec l'observance de ces erreurs ni avec la communion des frères fautifs, bien qu'ils en eussent eu la faculté.

    118. Un grand nombre de frères ont quitté l'ordre à cause de ses ignominies, et de ses dévoiements, les uns pour passer dans un autre institut, les autres pour demeurer dans le siècle.

    119. Pour toutes ces causes, une profonde indignation a secoué contre l'ordre les cœurs de hauts personnages, rois et princes, et s'est étendue à presque tout le peuple chrétien.

    120. Tous ces faits sont bien connus des frères de l'ordre.

    121. Ils sont de notoriété publique et d'opinion courante tant parmi les frères de l'ordre qu'à l'extérieur.

    122. De leur majorité tout au moins.

    123. De quelques-uns.

    124. Le Grand-Maître de l'ordre, le Visiteur, les Grands-Maîtres de Chypre, Normandie et Poitou, en même temps que bien d'autres précepteurs et quelques-uns des frères de l'ordre ont reconnu les faits, tant en jugement qu'ailleurs, devant des personnages solennels, en plusieurs lieux et devant plusieurs personnes publiques.

    125. Quelques-uns des frères de l'ordre, chevaliers et prêtres, d'autres encore en présence de Nosseigneurs le Pape et les Cardinaux, ont reconnu les faits, du moins en grande partie.

    126. Sous la foi du serment.

    127. Certains même, en plein consistoire.

    Le vendredi 27 mars, on introduisit encore trente-deux Templiers amenés du diocèse de Bourges, tous défenseurs de l'ordre ; l'un d'eux, le prêtre Jean Robert, du diocèse de Clermont, dit qu'il en avait entendu un grand nombre en confession, sans jamais constater de pareilles déviations. Plus quatre autres frères, qu'on avait fait venir du lointain diocèse de Tarbes. Les Commissaires, estimant qu'un nombre suffisant de Templiers se trouvait maintenant réuni à Paris, furent d'avis d'entrer plus avant dans le vif de l'enquête ; comme il n'était pas possible d'interroger tout le monde (il y aurait fallu plusieurs années !), ils décidèrent de donner d'abord connaissance à tous du questionnaire, puis de prier l'assemblée des frères d'élire quelques procureurs capables de représenter les autres devant la Commission.


    Sources : Le Procès des Templiers, traduit, présenté et annoté par Raymond Oursel. Club du meilleur livre. Tournon 15 janvier 1955. Exemplaire nº 4402

    L'Institution de Procureurs



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