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Première Croisade par Foulcher de Chartres

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    Année 1125 Baudouin II et le siège d'Alep

    L'an 1125 depuis la naissance du Sauveur du monde, comme le roi de Jérusalem à la tête des siens pressait depuis cinq mois la ville d'Alep, sans pouvoir obtenir aucun avantage, les Turcs, alertes selon leur coutume, passèrent un des grands fleuves du Paradis, l'Euphrate, et marchèrent vers Alep avec la plus grande promptitude pour faire lever le siège que nos gens avaient depuis longtemps mis devant cette ville. Ils craignaient, en effet, que s'ils ne la secouraient en grande hâte, elle ne tombât bientôt au pouvoir des ennemis. Leur troupe se composait de sept mille cavaliers, et ils avaient avec eux près de quatre mille chameaux chargés de froment et de vivres. Les nôtres n'étant pas en état de l'emporter sur eux furent obligés de se retirer, et se rendirent le jour suivant vers une ville voisine, appelée Careph, qui nous appartenait.

    Les Turcs ayant poursuivi les nôtres pendant quelque temps, perdirent deux des plus braves de leur troupe, qui furent renversés de cheval et tués. De notre côté il ne périt qu'un homme ; mais nous perdîmes six tentes. Cette attaque des Turcs eut lieu le trentième jour de janvier.

    Comme ils arrivèrent tout à coup pendant la nuit, ils n'eurent pas de peine à jeter la confusion parmi les nôtres, qui ne se tenaient pas sur leurs gardes. De tels faits sont vils à dire, déshonorants à savoir, ennuyeux à rapporter, et honteux à entendre ; mais dans ce récit je ne veux pas m'écarter de la vérité.

    Quoi donc ?
    Qui pourrait résister à la volonté de Dieu ?
    Il y a un proverbe bien juste d'un certain sage : « Les choses qui doivent arriver ne combattent pas, et ne se laissent pas vaincre. » C'était bien là ce qui devait arriver ; mais ce n'était connu de personne, car si quelqu'un l'eût connu, le fait n'aurait jamais pu arriver, puisque le concours de la volonté des hommes aurait été nécessaire pour son accomplissement, et ceux qui l'auraient prévu auraient pris leurs mesures pour l'empêcher.

    Le roi se retira ensuite à Antioche, et Josselin avec lui ; les otages que le roi avait donnés lorsqu'il était sorti de prison ne furent ni rendus ni rachetés. Les gens de Jérusalem aussi bien que ceux de Tripoli retournèrent chacun chez soi. La sagesse divine arrête souvent le cours des prospérités humaines, et ne le laisse pas s'étendre autant qu'il nous plairait. Quel est celui qui dispense les biens ou dissipe les maux, si ce n'est Dieu, le souverain maître et médecin des esprits, qui du haut des cieux voit et discerne toutes choses ?
    Peu auparavant, et dans sa bonté, il nous avait livré, à nous ses Chrétiens, la forte et glorieuse ville de Tyr, et l'avait ravie à ses anciens possesseurs ; maintenant il lui plut de retirer de nous sa main. Peut-être s'est-il réservé de donner sa vigne à cultiver à de plus généreux agriculteurs, qui voudront et pourront lui en payer largement le revenu. Il est des gens, en effet, qui donnent d'autant moins qu'ils possèdent davantage, et ne savent pas rendre au dispensateur de tout bien toutes les actions de grâces qu'ils lui doivent ; mais ils se font tort à eux-mêmes lorsqu'ils manquent à Dieu dans les promesses qu'ils lui adressent.

    3 avril 1125

    Le roi, après avoir été cruellement retenu enchaîné par les Païens pendant près de douze mois, retourna dans sa ville de Jérusalem. Le 3 avril nous allâmes tous le recevoir en procession solennelle. Il resta peu parmi nous, et se hâta de se rendre à, Antioche, dont les Turcs, ayant à leur tête Borsequin, ravageaient déjà le territoire, et Borsequin était accompagné de six mille chevaliers.

    Dans ce temps, la nouvelle vint vers nous que les Vénitiens, après la prise de Tyr, à leur retour, s'étaient emparés par force des îles de l'empereur situées sur leur passage, à savoir Rhodes, Mytilène, Samos et Chio, en avaient détruit toutes les murailles, avaient emmené en une misérable captivité les jeunes garçons et les jeunes filles, et remporté avec eux des richesses de toute sorte. A cette nouvelle, le chagrin se fit sentir dans le fond de notre coeur, car nous ne pouvions approuver cela.

    En effet, d'un côté, les Vénitiens contre l'empereur, de l'autre, l'empereur contre les Vénitiens, se livraient aux plus cruelles violences ; une haine mutuelle les animait. Mais malheur au monde par le scandale !
    Malheur aux auteurs du scandale !
    Si c'était la faute de l'empereur, c'est qu'il gouvernait mal ; si ce fut celle des Vénitiens, ils vont eux-mêmes au devant de leur damnation, car tous les péchés proviennent de l'orgueil.

    N'est-ce pas par orgueil que l'homme fait ce que Dieu, défend ?

    Les Vénitiens avaient des motifs pour se venger ; l'empereur en avait aussi pour se défendre, et de plus justes, dit-on ; mais les innocents, placés au milieu, paient pour des offenses dont ils ne sont pas coupables, et dont ils sont injustement victimes. Bien plus, que dire de ceux qui, par des brigandages de pirates, ne cessent de causer sur mer tous les maux possibles aux pèlerins de Dieu, lorsque, par amour pour le Créateur, ils se rendent à Jérusalem, à travers tant de fatigues et de tourments.
    Si, d'après les paroles du Seigneur, les miséricordieux mériteront la béatitude, que recevront pour leur impiété ceux qui se seront montrés ennemis de la piété et sans aucune miséricorde ? Ils sont maudits, excommuniés, et meurent dans l'impénitence et la perfidie. Ainsi, pendant leur vie, ils descendent d'eux-mêmes dans l'enfer. Ils résistent à l'apostole, méprisent le patriarche, et vilipendent les paroles des saints pères. Je sais, je sais ce que je ne crains pas de leur dire. Il arrivera que le Seigneur, leur juge sévère, leur dira : « Je ne sais pas d'où vous êtes, vous qui criez qu'on vous ouvre la porte. Vous venez trop tard, et n'apportez rien de bon avec vous. D'ailleurs la porte est déjà fermée ; je ne dois pas vous écouter davantage ; car vous n'avez pas voulu m'entendre, moi, qui vous ai crié autrefois : venez ; maintenant je vous dis : allez-vous-en. Je vous Je dis, je vous le dis, je vous le dis, amen. Je ne changerai rien à cette sentence. »

    Il ne me reste plus à rapporter que des maux horribles et insupportables ; mais malheur éternel a ceux qui les ont mérités !
    Pour ne pas interrompre l'ordre des choses, et afin que l'histoire ne pende pas en lambeaux, j'aurai soin de rapporter sommairement chaque fait.

    Année 1125, Toldequin assiège Capharde

    L'armée de Borsequin, dont nous avons déjà commencé à rapporter la bravoure et l'iniquité, augmentant peu à peu tous les jours, il assiégea une ville appelée « Capharde ? », et s'en empara. Elle lui fut livrée par ses défenseurs, qui ne pouvaient la garder plus longtemps, et n'avaient aucun secours à espérer. Notre roi ni le comte de Tripoli, qu'il amenait avec lui vers cette ville, n'étaient pas encore arrivés. Il n'avait avec lui qu'un petit nombre de gens de Jérusalem ; car ils avaient éprouvé beaucoup de fatigues cette année et l'année précédente. Comment en effet auraient-ils pu supporter continuellement tant de travaux, lorsqu'à peine ils pouvaient se reposer un mois dans leurs maisons ?

    Certes, il faudrait avoir un coeur cruel pour ne pas être touché d'une pieuse compassion envers les habitants des environs de Jérusalem, qui, nuit et jour, endurent, pour le service du Seigneur, les tourments les plus accablants, et qui, lorsqu'ils sortent de leur maison, sont dans l'incertitude et la crainte de n'y pouvoir plus rentrer. S'ils vont loin, ils marchent nécessairement chargés de leurs vivres et de leurs ustensiles. S'ils sont pauvres, laboureurs ou bûcherons, ils sont pris ou tués par les embûches des Ethiopiens. D'un côté les Babyloniens, vers le nord les Turcs, fondent tout à coup sur eux par terre et par mer. Leurs oreilles sont promptes et attentives quand gronde le tumulte des guerres. Certes, si quelquefois nous ne commettions des péchés, nous serions bien aimés de Dieu.

    Borsequin, écrasant l'humble Syrie, et cherchant avec empressement tout ce qui pouvait lui être avantageux, assiégea le château de Sardanaie. Mais n'ayant obtenu aucun succès, il dirigea son armée vers une ville appelée Hasarth ou Hézas, qu'il assiégea aussitôt avec la plus grande vigueur, au moyen d'instruments et de machines de guerre. Le roi des Damasquins se hâtait de lui apporter le secours qu'il lui avait demandé ; mais à la nouvelle de l'arrivée de notre roi, Borsequin, saisi de crainte, avait habilement emmené les tentes et les bagages avec les siens. Au moment où le château pressé était sur le point de se rendre, et comme il était temps pour les nôtres de combattre, voilà que le roi s'avança avec treize bataillons en bon ordre. A l'aile droite se tenaient les gens d'Antioche, à l'aile gauche le comte de Tripoli et le comte d'Edesse. Le roi était placé au troisième et dernier corps d'armée, au milieu des bataillons les plus épais.
    L'armée des Turcs, très nombreuse, était partagée en vingt et une phalanges. Déjà les bras tendaient les arcs, déjà l'on combattait de près l'épée nue. A cette vue, le roi, sans plus de retard, armé de la protection des prières et du signe de la croix, s'écria : aide-nous, Dieu, et au son résonnant des clairons, fondit sur les ennemis, ordonnant aux autres de le suivre, car ils n'osaient commencer le combat avant le commandement du roi. Les Turcs d'abord opposèrent une très vigoureuse résistance ; mais, par l'aide du souverain Créateur, ils furent accablés sans ressource, et dispersés au milieu d'un horrible carnage ; ceux qui le purent s'enfuirent entièrement défaits. Cinq fois avaient disparu les Gémeaux lorsque fut livré ce combat, dans lequel le Seigneur nous accorda une éclatante victoire. Cette bataille, honneur mémorable du Seigneur, eut lieu le onzième jour au milieu des chaleurs de juin.

    11 juin 1125

    Quant au nombre des morts ou des blessés, on ne put dans ce combat, non plus que dans tout autre, le déterminer avec exactitude ; car de telles quantités ne peuvent être estimées que par approximation. Bien souvent les différents écrivains n'ont pas rapporté la vérité ; c'est certainement à la flatterie qu'on doit attribuer leurs mensonges ; car ils s'empressent d'accumuler les louanges sur les vainqueurs, et d'élever le courage de leur patrie pour le temps présent ou à venir. D'où l'on voit clairement pourquoi ils augmentent avec une si impudente fausseté le nombre des morts des ennemis, et diminuent ou taisent tout à fait les pertes des leurs. Cependant ceux qui se trouvaient à ce combat nous ont rapporté qu'il avait péri deux mille chevaliers Turcs, ce qui nous a été confirmé par le témoignage des Turcs qui avaient échappé à la mort.

    Mais des deux côtés, il y eut une quantité innombrable de chevaux qui crevèrent de fatigue et de soif. Grande était la chaleur et la sécheresse qu'elle causait. Un violent combat s'engage :
    celui-ci se livre à la fureur, celui-là donne le coup de la mort, l'un poursuit, l'autre fuit ; celui qui tombe ne peut en réchapper. Le sang des morts rougit les chemins et les plaines : on voit briller les cuirasses, les framées et les casques, brillants, semés ça et là sur le champ de bataille. L'un jette son bouclier, l'autre se débarrasse de son carquois ou de son arc.

    Borsequin ne voudrait point alors manquer de chambrière, et Toldequin aimerait mieux être nu-pieds dans la ville de Damas, et garder soigneusement son gouvernement.
    Les Turcs perdirent quinze satrapes dans ce combat.
    De notre côté, il ne périt que vingt hommes, dont cinq chevaliers. Notre armée avant le combat était composée de onze cents chevaliers, et celle des Turcs de quinze mille chevaliers. Nous avions aussi deux mille hommes de pied.

    Après être demeuré en face de nous pendant peu de temps seulement après cette affaire, Borsequin repassa l'Euphrate et s'en retourna chez lui, ayant à rapporter à ses amis dans son pays, non de la gloire ; mais de la douleur et des lamentations. Ainsi celui qui était venu ici menaçant et armé de cornes, par la faveur de Dieu, s'en retourna mutilé et sans consolation. Ensuite ; après avoir racheté par argent sa fille âgée de cinq ans, retenue en otage, et quelques-uns de ses familiers retenus aussi en captivité, comme il avait été convenu de part et d'autre, le roi marcha vers Jérusalem, pour y rendre à Dieu des actions de grâces, et lui adresser des louanges au sujet de la magnifique victoire qu'il lui avait fait remporter contre Borsequin.

    Et c'était bien avec raison qu'il voulait adresser à Dieu ces louanges et ces actions de grâces, car depuis longtemps déjà plongé dans l'abîme, placé sur la dernière partie de la roue, il était réduit à la plus humble misère, lorsque par le secours de Dieu il fut alors rétabli dans son éclat et sa force première. Six fois dix ans, et deux fois trois ans (66) s'étaient écoulés depuis ma naissance jusqu'à, cette année.
    Que Dieu règle et gouverne de même ce qui me reste à vivre !

    Octobre 1125, construction du château de Mont-Glavien

    Cette année, au mois d'octobre, le roi construisit un château sur la montagne de Béryte, et sur un territoire très fertile en productions. Cette montagne, éloignée de dix milles de la ville de Beyrouth (Beyrouth), est appelée Mont-Glavien, ce qui vient de tirer le glaive, parce que c'était là qu'on tranchait la tête aux coupables condamnés à Béryte, Les laboureurs sarrasins, qui auparavant ne voulaient pas payer tribut pour leurs habitations, furent bien ensuite contraints par force de le faire.

    Toldequin avait rompu la paix

    Ensuite le roi prépara une expédition en Syrie du côté de Damas, la paix étant rompue entre lui et Toldequin ; et après avoir pris trois principaux bourgs et avoir défait et renversé les ennemis, il s'en retourna chez lui chargé d'autant de butin qu'il en avait pu enlever.
    Après avoir partagé ce butin également, et selon le droit accoutumé de chacun, aux chevaliers et à ceux des siens qu'ils avaient pris part à cette expédition, le lendemain le roi, tourna ses armes contre la terre des Philistins.
    En ce temps s'étaient rassemblés à Ascalon des troupes fraîches et nouvelles, envoyées de Babylone en cette ville.
    Le bataillon des chevaliers, désirant faire preuve de sa bravoure sur notre terre, se croyait déjà vainqueur.

    Les gens de Babylone (il faut lire Le Caire), les voyant approcher de ladite ville, bannières déployées, firent une sortie contre eux avec impétuosité et en vociférant de grands cris.
    Quoique le roi, retenu aux derniers rangs afin de pouvoir secourir habilement ceux que la nécessité contraignait de fuir, ne fut pas encore arrivé au premier front de ses bataillons, nos premiers coureurs, courageux de coeur, se précipitèrent sur les ennemis avec une fougue extraordinaire en criant Dieu aide nous. Ils les écrasèrent avec une telle audace et intrépidité, que frappant, abattant et tuant, ils les repoussèrent dans l'intérieur de la ville ; autant qu'on peut le présumer, s'il y avait eu là un plus grand nombre de nos gens préparés, il est hors de doute qu'ils eussent pu entrer dans la ville avec ceux qu'ils poursuivaient. Les Ascalonites eurent à pleurer et à déplorer la mort de plus de quarante des meilleurs d'entre eux, et furent extrêmement surpris de cet échec inattendu. Le roi reposa cette nuit sous une tente au son des trompettes qui se faisaient entendre près de la ville et au-delà.

    Que si la grâce de Dieu leur accorda le repos, nos ennemis passèrent cette nuit dans l'insomnie et la tristesse car ; comme dit Joseph, celui qui a trop de confiance ne se tient pas sur ses gardes, et la crainte éveille la prudence. Il faut savoir que ce jour-là nos coureurs ne trouvèrent aucun butin, aux environs de la ville, car instruits d'avance de l'arrivée du roi, les Ascalonites avaient, par prévoyance, caché tous leurs troupeaux.

    Prise et destruction du Château de Toldequin

    L'année 1121 de l'Incarnation du Seigneur le roi réunit tout ce qu'il avait de troupes depuis Sidon jusqu'à Joppé il traversa le Jourdain le 5 du mois de juillet et marcha contre le roi de Damas. Ce prince avec les Arabes ses alliés qui étaient venus le joindre en foule ravageait sans rencontrer la moindre résistance la partie de notre territoire la plus voisine de Tibériade, mais aussitôt qu'il soupçonna que notre roi s'avançait avec son année contre lui rassemblant ses tentes et évitant le combat il se retira en fugitif dans son pays Baudouin fuyant poursuivi pendant deux jours sans que cette race ennemie osât accepter la bataille tourna ses pas vers un certain château que Toldequin roi de Damas avait fait construire l'année précédente pour nous nuire et que nous estimons être éloigné du Jourdain d'environ seize milles Le roi y mit le siège le pressa vivement à l'aide de machines l'attaqua de vive force le contraignit de se rendre et le prit.
    Il permit à quarante Turcs qui en formaient la garnison et le défendaient de se retirer la vie sauve puis détruisit et rasa le château.

    Les habitants du pays nommaient Jarras cette forteresse construite de grandes pierres carrées au centre même d'une glorieuse cité bâtie très anciennement dans une situation aussi forte qu'admirable. Baudouin reconnaissant qu'on ne pourrait occuper ce fort sans une grande dépense et qu'il serait difficile d'y maintenir constamment autant d'hommes et d'approvisionnements qu'il le faudrait, il commanda qu'on le détruisît et que tous ensuite retournassent chez eux. La ville dont il s'agit ici nommée Gérasa qui touchait au mont Galaad et faisait partie du territoire de la tribu de Manassé était autrefois célèbre dans l'Arabie.

    Ici se termine ce que nous avions à dire de cette année prospère presqu'en toutes choses heureuse par la paix et abondante en productions de tout genre.

    Les Sarrasins et les pigeons voyageurs

    Les Sarrasins qui habitent la Palestine ont coutume de faire parvenir leurs lettres de ville eu ville par des colombes adroitement dressées à cet effet elles transportent ces écrits dans les endroits qui leur sont connus déjà depuis longtemps. Ces écrits, renfermés dans des cédules et cousus sur le croupion des colombes, instruisent celui qui les lit de ce qu'il doit faire. On sut, à n'en pas douter, qu'on avait eu cette circonstance employé cette sorte de message.

    Les choses et les coutumes varient selon les divisions des pays : autres sont les usages en France qu'en Angleterre, autres en Egypte, autres dans l'Inde. Les pays diffèrent aussi quant aux oiseaux, aux poissons et aux plantes. Je n'ai jamais vu en Palestine ni baleine ni lamproie, ni, parmi les oiseaux, de pie ni de fauvette. Mais il y a en ce pays des ânes sauvages, des porcs-épics, et des hyènes, animal qui déterre les morts. Parmi les arbres, je n'ai point vu de peuplier ni de coudrier, ni de sureau, ni aucun roseau.

    Les animaux nouvellement connus des chrétiens, par Foulcher de Chartres

    Dernièrement nous avons tous vu à Naplouse une bête dont aucun homme ne connaissait ni n'avait entendu dire le nom. Elle avait une face de bouc, un cou avec une crinière comme celle d'un ânon, des ongles fourchus, une queue de veau, et était plus grande qu'un bélier.

    Dans le pays de Babylone il y a une autre bête appelée chimère, plus habite par devant que par derrière. Dans les grands jours on étend sur elle un beau manteau pour qu'elle serve au prince avec un grand apparat.

    Il y a un animal quadrupède qu'on appelle crocodile, qui se porte aussi bien sur terre que dans l'eau. Il n'a pas de langue, il fait mouvoir sa mâchoire supérieure, et ses dents mordent avec une horrible ténacité. La plupart ont vingt coudées de longueur. Il pond des oeufs comme les oies, et cache son fruit dans des endroits où ne puissent parvenir les eaux croissantes du Nil. Il est, armé d'ongles terribles. Il passe les nuits dans l'eau, et se repose, sur la terre pendant le jour. Il est couvert d'une peau très dure. Il y a aussi de ces quadrupèdes dans une rivière près de Césarée de Palestine ; mais on dit qu'il n'y a pas longtemps qu'ils ont été apportés du Nil, par une odieuse malice ; car ils font souvent beaucoup de mal dans ces territoires, où ils dévorent les animaux.

    On trouve aussi sur les bords du Nil l'hippopotame, qui ne naît que dans ces endroits et dans l'Inde ; il ressemble beaucoup à un cheval, par le dos, la crinière, le hennissement, son museau renversé, ses ongles fourchus, ses dents de sanglier, et sa queue tortueuse. La nuit il dévore les moissons, vers lesquelles, par une adroite ruse, il s'avance par des marches détournées, afin que, trompé par les tracés de ses pas, on ne puisse à son retour lui tendre des pièges. Ils sont plus grands de corps que les éléphants.

    Ainsi furent-ils créés de Dieu, qui fit tous les animaux, petits et grands. Comme il lui à plu de les créer, ils doivent aussi nous plaire, et nous devons en louer le Seigneur.

    Les vrais dragons ont une petite gueule qui ne s'ouvre pas pour mordre. Ils ont d'étroits canaux, par lesquels ils respirent, et font sortir leur langue. Ce n'est pas dans les dents, mais dans la queue qu'est leur Venin, et c'est, plutôt par leurs coups que par leurs morsures qu'ils font du mal. Il y a une pierre qui est taillée de la cervelle des dragons.

    Le plus grand des serpents ou des animaux qui rampent sur la terre ; souvent sortant des cavernes, il s'élance dans l'air qu'il ébranle ; il porte une huppe et tue tous ce qu'il enveloppe. La grandeur de son corps ne garantirait même pas l'éléphant contre ses coups. Il naît dans l'Inde et l'Ethiopie, au milieu de plus ardente chaleur. Il se cache aux environs des chemins par où passent les éléphants, il enlace leurs jambes des replis de sa queue, et les étouffe. Le dragon n'a pas de pattes.

    Il y a dans l'Asie Scythique des oiseaux appelés frigriphes, dont la férocité est au-dessus de toutes expressions. Voir pour plus de détails : Scythique

    Le pays d'Hyrcanie hérissé de forets, abonde en bêtes féroces et est peuplé de tigres affreux. Cette espèce de bête est remarquable par des tâches d'un jaune brillant. Je ne sais si c'est la légèreté ou la force qui les aide le plus à mouvoir leurs pieds ; il n'y a rien de si éloigné qu'il ne puisse l'apercevoir, rien devant eux qu'ils n'atteignent aussi tôt.

    Il y a aussi dans l'Hyrcanie, des panthères tachetées de petits ronds. On rapporte que leur odeur et leur vue font sur les troupeaux impressions surprenantes ; car dès qu'ils les sentent, ils se hâtent de se rassembler ; il n'y a, dit-on, que leur aspect farouche qui les épouvante.
    On fait plus souvent périr par le poison que par le fer ces animaux d'une extrême vivacité. Voir pour plus de détails : Hyrcanie

    L'élan ressemble au mulet ; il a la lèvre supérieur tellement penchée en avant, qu'il ne peut paître qu'en reculant sur les pieds de derrières.

    L'Asie abonde en caméléons, animal quadrupède qui la forme d'un lézard, excepté que ses pattes courtes, mais plus longue cependant que celles du lézard, viennent se rattacher à son ventre. Il a une longue queue qui se tourne en cercle, des ongles crochus et finement courbés, une démarche lente, un corps rude, et la peau comme celle du crocodile. Il baille éternellement : il est bon à rien : le corbeau l'attaque. Lorsqu'il est tué par quelques oiseaux, sa mort fait périr son vainqueur ; car si l'oiseau en mange tant soit peu, il tombe mort aussitôt. Mais le corbeau a un remède pour se soulager ; car il est guéri, aussitôt qu'il a mangé une feuille de laurier. Le corps du caméléon n'a pas de chair, ses entrailles point de graisse ; il devient de la couleur de tous les objets avec lesquels il se met en contact, Les Grecs l'ont appelé salamandre, les Latins stellion, le stellion flamboyant, la salamandre, l'horrible caméléon triple de nom, mais un et simple de corps.

    Il y a un oiseau nommé pégase, qui n'a pourtant rien du cheval que les oreilles.

    Il y a des hommes tellement grands qu'ils sautent très facilement, par dessus les éléphants comme par dessus des chevaux ; on voit aussi une nation où on est blanc dans la jeunesse et où on noircit dans la vieillesse.

    Il y a une bête nommée « leucocrote » surpasse toutes les autres en vitesse ; elle a la grandeur d'un âne sauvage, les fesses d'un cerf, le poitrail et les jambes d'un lion, la tête d'un chameau, des ongles fourchus, une gueule fendue, jusqu'aux oreilles, et a la placé de dents un os non interrompu, telle, est sa forme ; sa voix imite les sons de celle de l'homme.

    Dans ce pays naît aussi la « mantichore » qui a une triple rangée de dents qui lui servent tour à tour ; une figure d'homme, les yeux verdâtres ou couleur de sang, un corps de lion, une queue comme celle d'un scorpion, un dard pointu, une voix tellement sifflante qu'elle ressemble aux modulations de la flûte. Elle est avide de chair humaine, et si agile et si rapide que l'espace le plus étendu, ni les obstacles ni l'éloignement ne peuvent l'arrêter.

    Mais qui pourrait connaître ou chercher tant de si magnifiques oeuvres de Dieu, dans cette vaste et spacieuse mer où habitent tant d'animaux et de reptiles, que le nombre en est infini ?

    Le peu que j'ai dit je l'ai tiré, d'après mon choix, des recherches habiles et savantes de Solin.
    « Polyhistor ou Recueil de curiosités écrit par Solin, est un recueil d'anecdotes (ethnographie et histoire naturelle) sur les diverses régions du monde connu. Sources : Pierre Louarn pour l'Arbre Celtique »

    J'indiquerai dans la suite de cet ouvrage, sinon en entier, du moins en partie, le chemin qu'Alexandre le grand a suivi pour aller dans l'Inde, et les choses qu'il a vues.

    Maintenant cesse cette année et que Dieu nous serve de guide pour passer a des temps différent, car chaque année en succède une autre.
    Sources : Textes de Foulcher de Chartres - Collection des mémoires relatifs à l'Histoire de France ; Editions J-L. J.Brière, Librairies : Paris 1825

    Marche punitive sur Damas

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