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Première Croisade par Foulcher de Chartres

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    Années 1112, mort de Tancrède

    Dans l'année 1112 à dater de l'Incarnation du Sauveur, Tancrède, qui gouvernait la principauté d'Antioche, paya sa dette à la mort. Déjà le soleil avait visité vingt-six fois le signe du Sagittaire, quand ce héros quitta tout ce qui était, pour aller lui-même rejoindre ce qui avait été. Cette année se passa pour nous sans guerres. Tancrède eut Roger pour successeur.

    Ecu : Nervé, se dit de la fougère et autres feuilles dont les fibres et les nerfs paraissent d'un autre émail.
    Les anciens princes d'Antioche ; d'argent, à la branche ou feuille de fougère sinople, nervée d'or.

    Voir la liste des princes d'Antioche

    Anné 1113, nous vîmes un éclipse

    L'année 1113 à dater de l'Incarnation du Sauveur, dans le mois de mars, et lorsque nous étions dans le vingt-huitième jour de la lune, nous vîmes, depuis le matin jusqu'à la première heure et plus, le soleil diminuer, et perdre en quelque sorte une portion de lui-même. Bientôt cette portion, qui d'abord avait commencé à noircir vers la partie supérieure de cet astre, tournant pour ainsi dire sur elle-même, tendit à en gagner la partie inférieure. Le soleil toutefois ne fut pas privé de sa lumière ; mais il diminua, suivant mon opinion, de la cinquième portion de sa grandeur ordinaire, et demeura ainsi un peu écorné. Ce qui faisait que le soleil nous manquait ainsi, c'était une éclipse.

    Année 1114, une armée Turc en marche sur Jérusalem

    Dans l'été suivant, les Turcs s'assemblèrent, et passèrent le fleuve de l'Euphrate, pour marcher sur Jérusalem, et, comme ils s'en flattaient, nous exterminer nous autres Chrétiens.
    Laissant donc sur leur droite le pays d'Antioche, traversant la Syrie, non loin de la ville d'Apamie, laissant Damas à gauche, et cheminant dans les régions Phéniciennes, entre Tyr et Césarée de Philippe, qu'on appelle Paneas, ils formaient le projet de venir surprendre le roi Baudouin.
    Le seigneur Tancrède, qui s'était chargé du gouvernement de la principauté d'Antioche, le jour même qu'il s'empara de la noble ville d'Apamie, soumit également Laodicée de Syrie, et par là il enrichit et agrandit en un seul jour la principauté d'Antioche de deux très-belles villes.

    Instruit de leur arrivée, ce prince avait mis son armée en mouvement, et était sorti de Ptoléamïs, Acco, Akko, autrement dit Accon, pour aller à leur rencontre : les Infidèles alors virent en gens avisés ce qui leur était le plus avantageux.
    Tandis donc que les nôtres ignorent encore quel parti prendront les Païens, ceux-ci tournent la mer de Galilée à travers le territoire de Nephtali et de Zabulon (1) ; ne s'arrêtent qu'à l'extrémité méridionale de ladite mer, et s'enferment entre d'eux fleuves.
    L'île où ils se portent ainsi communique à la terre par deux ponts, et est tellement bien défendue par sa position, que les Turcs ne pouvaient y être attaqués, en raison de l'étroit passage que laissaient les deux ponts susdits.
    Après avoir tendu leurs tentés dans cette île, les Infidèles envoient deux mille de leurs gens au-delà d'un de ces ponts, pour dresser une embuscade aux nôtres, qu'ils ne doutaient pas de voir arriver bientôt de ce côté.
    Tandis donc que le roi se dirige vers ce lieu dans l'intention de dresser son camp près du pont dont il vient d'être parlé, et qui conduit à Tibériade, on voit tout, à coup cinq cents Turcs environ sortir de la retraite où ils étaient embusqués, et faire mine de venir nous attaquer ; quelques-uns des nôtres fondent imprudemment sur eux, en tuent plusieurs, et poursuivent le reste jusqu'à l'instant où les deux mille Infidèles s'élancent à la fois hors de leur retraite : ceux-ci alors se jettent vivement sur les nôtres, les repoussent, leur tuent trois fois plus de monde qu'ils n'en ont perdu, les mettent en fuite et les dispersent.

    0 douleur ! Quelle grande honte nos grands péchés firent tomber sur nous en ce jour !
    Le roi lui-même s'enfuit, perdit sa bannière, sa tente magnifique, ainsi qu'une foule de richesses et de vases d'argent : il en arriva de même au patriarche qui se trouvait présent à cette affaire.

    Elle nous coûta environ trente de nos meilleurs chevaliers et douze cents hommes de pied. Le soleil s'était levé pour la douzième fois sous le signe du Cancer quand la race perfide des Turcs dissipa cruellement les Francs imprudents.
    En effet, toute l'armée du roi ne se trouvait pas encore entièrement rassemblée dans cet endroit ; le prince d'Antioche, Roger fils de Richard, qui, sur la demande de Baudouin, accourait prendre part à cette guerre par amour pour Dieu et affection pour le roi, n'était pas arrivé ; et une partie seulement des gens de Tripoli avait pu se joindre à l'armée royale : aussi tous furent-ils vivement affligés, et blâmèrent-ils hautement l'orgueil du roi, qui, sans prendre conseil d'aucun d'eux, avait couru contre l'ennemi avec des troupes peu nombreuses et en désordre ; et cependant ce prince avait défendu aux siens d'attaquer les Turcs imprudemment.

    Les nôtres ne pouvant donc pour le moment faire aucun mal aux Infidèles, campèrent si près d'eux, que des deux parts les deux armées purent s'observer pendant tout ce jour-là.

    Le chef des ennemis s'appelait Malduk, et avait sommé le roi de Damas, nommé Taldequin (Togteghin), de venir à son secours. Ce dernier amena donc avec lui de nombreuses troupes, et de son côté Malduk en tira beaucoup de la Syrie, où il commandait.
    Les Turcs occupaient une vallée, et les Francs campaient sur une hauteur, les premiers n'osaient sortir de leur île, et les seconds ne pouvaient aller les y attaquer ; les uns rusaient, les autres craignaient, ceux-là étaient adroits, ceux-ci se montraient prudents.

    Les uns et les autres se sentaient brûlés de tous les feux de l'été, et ne pouvaient cependant mettre fin à de si cruelles souffrances. Ceux qui ne se trouvaient pas à cette expédition s'étonnaient que ceux qui en faisaient partie tardassent si longtemps à revenir.

    Les Sarrasins que nous avions soumis se séparèrent alors de nous comme s'ils nous étaient ennemis, et nous tinrent pour ainsi dire enfermés de toutes parts. Bien plus, les Turcs sortant par bandes de leur camp, se mirent à ravager toutes les terres dont nous nous étions rendus maîtres, et tous les vivres qu'ils en enlevaient, ils les faisaient passer à leur armée par les Sarrasins nos sujets. Ils prirent même et détruisirent, avec l'aide des Sarrasins, sur qui nous dominions dans les montagnes, la ville de Sichem ou Siccina, que nous appelons Neapoli ou Naplouse (2). (La vallée de Sichem (Naplouse) sépare les monts Ebal et Garizim et continue à l'est en direction de la vallée du Jourdain par le wadi Fari'a).

    Dans ce temps-là, les Ascalonites, les Arabes, et les Sarrasins, mais toutefois en petit nombre, marchèrent un certain jour sur Jérusalem Porte Saint-Etienne, s'avancèrent jusqu'à la partie de la ville qui se trouve en dehors des murs, brûlèrent les moissons déjà rentrées, et blessèrent même de leurs flèches, sur les remparts, quelques-uns des nôtres.
    Ceux-ci de leur côté portèrent également des coups mortels à plusieurs de ces Infidèles.
    Quelques-uns de nos gens de pied, mais en petit nombre, sortirent des murs pour attaquer l'ennemi.
    Il était en effet ordonné de tenir les portes fermées, de peur que, si les habitants s'éloignaient de la ville, il ne leur arrivât quelque malheur ; car les hommes d'armes avaient tous marché contre les Turcs, et aucun n'était resté dans la Cité sainte.

    La nuit suivante, au lever de la lune, les ennemis se retirèrent à la grande joie des nôtres, qui dans le premier moment craignaient de se voir assiégés par eux durant tout ce temps. Les embûches dressées par les Infidèles ne permettaient à aucun ou à presque aucun message de parvenir, soit de nos cités au roi, soit du roi à nos cités ; ainsi donc on ignorait dans les villes ce qui se faisait au camp, et dans le camp ce qui arrivait aux villes. Dans une foule de champs, la moisson déjà mûre se flétrissait sur pied et il n'y avait personne pour la recueillir.

    Cette année cependant la récolte était abondante en toute espèce de productions ; mais quoi !
    Quand les tempêtes troublent la mer, les hommes ne se hasardent pas à pêcher.
    Sur toutes choses tous les esprits étaient en suspens ; on attendait généralement pour voir à qui Dieu accorderait le triomphe.
    Les Chrétiens cessaient toutes affaires et tous travaux, à l'exception de ceux qui étaient nécessaires pour réparer les brèches faites aux villes et aux fortifications.

    18 juillet et 9 aout 1114, année des tremblements de terre

    Pendant que ces choses se passaient, nous ressentîmes le 18 juillet et le 9 août deux secousses de tremblement de terre, la première au milieu de la nuit la seconde vers la troisième heure du jour.

    Cependant les Turcs après avoir attendu deux mois l'occasion d'exterminer, ou du moins de vaincre les nôtres, reconnurent qu'ils ne pourraient y réussir ; d'une part, en effet, notre armée s'était journellement renforcée, dans cet intervalle, de pèlerins qui arrivaient comme d'ordinaire en cette saison ; de l'autre les gens d'Antioche ne montraient aucune intention de nous quitter.
    Les Infidèles prirent donc le parti de se retirer sur le territoire de Damas.

    Alors le roi Baudouin retourna sur-le-champ avec les siens à Ptolemaïs ; il y trouva la comtesse de Sicile, qui en premières noces avait épousé, le comte Roger, frère de Robert Guiscard, et venait maintenant se marier au roi Baudouin.
    Très-peu après, Malduk fut tué audacieusement dans Damas par un certain Sarrasin, qui cacha dans son habit un poignard, le lui plongea trois fois dans le ventre, et se rendit ainsi coupable de deux homicides a la foi car à peine Malduk fut-il assassiné, que les assistants massacrèrent son meurtrier.
    Cruelle victoire que celle où le vainqueur est lui-même aussitôt vaincu !
    Il à parlé avec une véritable sagesse ce philosophe qui a dit : "La fortune est de verre ; au moment même où elle brille, elle se brise".
    Ce Malduk était certes fort riche, très-puissant, grandement renommé parmi les Turcs, et d'une extrême adresse ; mais il ne put résister à la volonté du Seigneur : ce même Dieu en effet, qui, pendant quelque temps permit que cet Infidèle ne fût point puni, voulut ensuite le faire périr d'une mort vile, et tomber sous une main faible.

    Année 1114, une nuée de sauterelles

    En l'année 1114 depuis l'Incarnation du Sauveur, une multitude infinie de sauterelles sortit de l'Arabie, vint fondre dans son vol sur la terre de Jérusalem, et dévasta horriblement nos récoltes pendant plusieurs jours, dans les mois d'avril et de mai.

    De plus, le jour de la fête du saint martyr Laurent, se fit sentir un grand tremblement de terre. Quelque temps après, et le jour des ides de novembre, un autre tremblement de terre non moins violent eut lieu à Mamistra, et renversa une partie des fortifications de cette ville. Un tremblement de terre plus terrible encore, et tel qu'on n'en avait pas entendu citer de pareil, ébranla si fortement divers endroits de la contrée, qu'il détruisit de fond en comble, soit en totalité, soit à moitié, les maisons ainsi que les murailles de plusieurs places fortes, et qu'une partie même de la population mourut écrasée sous ces ruines.

    On cite, entre autres, Marésie, place excellente, située, je crois, à soixante milles environ d'Antioche, vers le nord ; ce tremblement de terre l'anéantit si complètement que les édifices et les murs s'écroulèrent en entier, et que, ô douleur ! Tout le peuple qui l'habitait périt misérablement. Ce fléau ne ruina pas moins cruellement un autre château bâti sur le fleuve de l'Euphrate, et que l'on appelle Trialeth.
    Sources : Textes de Foulcher de Chartres - Collection des mémoires relatifs à l'Histoire de France ; Editions J-L. J.Brière, Librairies : Paris 1825

    Turcs contre les Chrétiens

    Notes

    1 - La Galilée occupe le nord du territoire traditionnel de la Terre sainte, comme de l'Etat d'Israël actuel (bien que sa partie septentrionale soit actuellement incluse dans les frontières du Liban et de la Syrie). Le récit de la conquête du pays par Josué semble comprendre cette région, qui devint l'apanage des tribus d'Aser, d'Issachar, de Zabulon et surtout de Nephtali. Mais les limites des possessions israélites ne paraissent pas avoir été stables à cette époque, et, en outre, une importante population cananéenne s'était maintenue sur les lieux. Aussi Isaïei appelle-t-il cette contrée Guelil­ha-goyim ("le Cercle des Gentils), d'où vient le nom de Galilée.
    2 - Naplouse : Le monument le plus intéressant de l'ancienne Sichem ou Naplouse est sans contredit le puits de Jacob ou de la Samaritaine situé à un mille environ de la ville sur la route de Jérusalem au pied du mont Garizim. Son authenticité n'est contestée par personne il y a accord entre les catholiques les mahométans les juifs et même les protestants pour le considérer comme le puits creusé dans le champ acheté par Jacob des fils d'Hémor et sur la margelle duquel était assis Jésus lorsqu'il fit à la Samaritaine le rapide et admirable exposé de sa doctrine. Son emplacement sa profondeur tout concorde avec les détails donnés par les livres saints et le récit de l'Evangile, nous permet de suivre au delà de Jésus Christ la tradition qui le rattache aux époques bibliques.
    Sources : Les églises de la Terre Sainte Par Melchior Vogüé


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