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Première Croisade par Foulcher de Chartres

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    L'Année 1099 Siège d'Archas

    L'année 1099 depuis l'incarnation du Seigneur ils marchèrent ensemble vers le château qu'on appelle Archas, bâti au pied da mont Liban, il est, par sa position et la nature des lieux, très fort et très-difficile à prendre pour des ennemis qui l'attaquent du de hors ; aussi nos gens demeurèrent-ils cinq semaine environ sous leurs tentes, devant ce château très ancien, et fondé comme on le lit dans l'histoire, par Aracée, fils de Chanaan.
    http://maxime.goepp.free.fr/site.php?site=arqa

    Cependant le duc Godefroi et Robert, comte de Flandre, ne tardèrent pas à suivre ce corps d'armée.
    Avant de la joindre, ils formèrent le siège de Gibel un certain château d'un grand renom ; mais, ayant reçu une députation de l'armée, qui les pressait de venir en toute hâte la secourir contre tes Turcs par qui elle s'attendait à être attaquée, ils laissèrent là Gibel, et partirent sur-le-champ pour l'expédition à laquelle ont les appelait. Quand ils furent arrivés au lieu où étaient leurs compagnons, ils campèrent avec eux, mais n'eurent pas à faire la guerre dont ils se croyaient menacés.
    Siège du Château d'Archas ou Arqa - Sources: Arqa

    Au siège d'Archas, Anselme Ribeaumont, vaillant chevalier, périt frappé d'un éclat de pierre. les chefs tinrent alors conseil, et furent d'avis que, si l'on demeuraient encore longtemps sous les murs de ce château sans réussir à le prendre, il en résulterait pour tous des inconvénients irréparables ; ils ajoutèrent que l'important était ce siège, abandonnant ce siège, ou ils savaient que le commerce ne leur offrirait nulle ressource, de continuer leur route pendant qu'ils pouvaient encore arriver à Jérusalem pour le temps de la moisson, vivre dans le chemin des récoltes sur pied que la bonté du Seigneur faisait croître de tontes parts, et à l'aide de ce secours, arriver, sous la conduite de Dieu, aux lieux après lesquels ils soupiraient. Tous approuvent ce plan et l'exécutent sur-le-champ. Ils enlèvent donc leurs tentes, se mettent où route, se dirigent vers la cité de Tripoli, et, après l'avoir dépassée, marchent vers le château de Gibel.

    On était dans le mois d'avril, et déjà les nôtres subsistaient des récoltes qui couvraient la terre.
    Poursuivant leur chemin, ils passent non loin de la cité de Beryte, et après cette ville, en trouvent une autre appelée Sidon, bâtie, comme nous le voyons dans l'histoire, sur la terre de Phénicie, et fondée par Sidon, fils de Chanaan, de qui les Sidoniens ont pris leur nom.
    http://fabienne.et.wassim.free.fr/saida1/histoire.htm
    Ils rencontrent ensuite Sarepta de Sidon et Tyr, cité très-riche, d'où était cet Apollonius dont parle l'histoire : L'évangéliste dit de ces deux villes : « Josué se relira du côté de Tyr et de Sidon ».

    Aujourd'hui les habitants du pays l'appellent Sidon ou Saida, dont le nom hébreu est « Sor », et qui se trouvait comprise dans le partage de la tribu de Nephtali. Après ces villes, l'armée traverse Ptolémaïs, autrefois « Accon », que quelques-uns écrivaient et lisaient, par erreur, « Accaron », ainsi que je le faisais moi-même lorsque j'entrai pour la première fois dans le pays de la Palestine. « Accaron » est une cité de la contrée des Philistins, entre Azot et Jamnia, près d'Ascalon, Accon ou Ptolemaïs au sud le mont Carmel.

    Les nôtres, longeant le pied de cette montagne, laissèrent à droite la place appelée Cayphe, de là nous suivîmes le chemin qui avoisine Dor près Césarée en Palestine, qui portait encore le nom de Tour de Straton. (La ville de Césarée en Israël est située sur la côte méditerranéenne, au sud de la ville de Dor (20 km). Elle a été construite sur l'emplacement d'un port connu sous le nom de Tour de Straton).
    C'est là qu'Hérode, surnommé Agrippa, et petit-fils de cet Hérode dans le temps de qui est né le Christ, frappé par l'ange exterminateur et rongé des vers, expira misérablement.
    Laissant alors à notre droite le rivage de la mer, nous prîmes notre route par la ville appelée Ramla (Ramla a été fondée vers 705-715 CE par le calife omeyyade Suleiman ibn Abed al-Malik en remplacement de l'antique Lydda, elle se trouve en Isrël) d'où les habitants, tous Sarrasins, s'étaient enfuis la veille de l'arrivée des Francs, et où ceux-ci trouvèrent une immense provision de froment, dont ils chargèrent toutes leurs bêtes de somme, et qu'ensuite ils transposèrent jusqu'à Jérusalem.

    Les nôtres, après avoir séjournés quatre jours dans cette ville, établi un évêque dans le ville de Saint-Georges, et mis quelques hommes dans les forts pour garder la place, continuèrent leur marche vers Jérusalem. Le jour même de leur départ, ils allèrent vers un château qu'on nomme Emmaus. La nuit, cent de nos chevaliers, cédant à l'idée d'un projet hardi, et poussés par leur propre courage, s'élancent sur leur coursier, passent près de Jérusalem au moment ou l'aurore commençait à blanchir le ciel, et coururent en toute hâte jusqu'à Bethléem. Parmi eux étaient Tancrède et Baudouin du Bourg. Lorsque les Chrétiens, c'est-à-dire les Grecs et les Syriens qui habitaient ces lieux, reconnurent que c'étaient des Francs qui arrivaient, une grande joie les transporta ; dans le premier moment, toutefois, ignorants quels gens venaient vers eux, ils les prirent pour des Turcs ou des Arabes ; mais aussitôt qu'ils les voient distinctement et de plus près, et ne peuvent plus douter que ce sont des Francs, ils prennent, tout joyeux, leurs croix et leurs bannières, et viennent au devant des nôtres en pleurant et en chantant des hymnes pieux. Ils pleurent, car ils craignent qu'une si petite poignée d'hommes ne soient facilement égorgés par une multitude innombrable de Païens qu'ils savent être dans le pays ; ils chantent parce qu'ils se félicitent de l'arrivée de ceux dont ils souhaitaient depuis si longtemps la venue, et qu'ils sentent destinés à rétablir, dans son antique gloire, la foi chrétienne indignement écrasée pendant tant de siècles par les méchants.

    Les nôtres, après avoir adressé sur-le-champ de pieuses supplications au Seigneur dans la basilique de la bienheureuse Marie, et visité le lieu où naquit le Christ, donnent gaiement le baiser de paix aux Syriens, et reprennent précipitamment le chemin de la ville sainte.
    Cependant, voilà qu'alors même le reste de notre armée s'approche de la grande cité, laissant sur la gauche Gabaon, distant de cinquante stades de Jérusalem. Au moment où notre avant garde élève ses drapeaux et les montre aux habitants, les ennemis sortent tout à coup de l'intérieur de la ville ; mais ces hommes si prompts à se montrer hors de leurs murs, sont repoussés au dedans plus promptement encore, et contraint de se retirer ; le septième jour des ides de juin, selon le calcul annuel en usage, et lorsque juin était déjà, depuis sept jours, brûlé de tous les feux du soleil, les Francs cernent Jérusalem et en forment le siège.

    Histoire biblique

    Cette cité sainte est située sur un lieu élevé, manque de ruisseaux, de bois, et de fontaines, sauf cependant celle de Siloé, qui quelquefois fournit assez d'eau, et quelquefois mais rarement est à sec ; cette petite source est placée dans le fond d'une vallée, au pied de la montagne de Sion, et au dessous du lit du torrent de Cédron, qui, dans la saison de l'hiver, coule habituellement à travers la vallée de Josaphat.
    Dans la ville, au surplus, sont beaucoup de citernes assez bien remplies d'eau, et qui, lorsqu'elles sont bien approvisionnées, au moyen des pluies d'hiver qu'on peut y recueillir, donnent abondamment en tout temps, à tout ce qui est à l'intérieur des murs, tant hommes que bêtes de somme, de quoi satisfaire leur soif. Il est reconnu généralement que Jérusalem présent l'aspect d'un cercle d'une étendue si bien proportionné, que personne ne trouve à redire ni à sa grandeur ni à sa petitesse.
    Au couchant est la tour de David, qui, au dedans comme au dehors, remplace, à l'endroit qu'elle occupe, le mur de la ville. Cette tour forme, de sa partie inférieure jusqu'au milieu de sa hauteur, une masse compacte revêtue de pierres carrées et scellées avec du plomb fondu ; si donc elle était bien approvisionnée de vivres, et défendue seulement par quinze ou vint hommes de cœur, jamais une armée, quelle qu'elle fût, ne parviendrait à s'en emparer de vive force.
    Dans cette ville est encore le temple du Seigneur, de forme ronde et bâti dans le même endroit où Salomon construisit autrefois le sien, si célèbre par sa magnificence. Quoique le nouveau ne puise en aucune manière, être comparé à l'ancien, qui lui a servit de modèle, il est cependant d'un travail admirable et d'une très belle architecture à l'extérieure ; au milieu est une roche naturelle et immense qui défigure et obstrue beaucoup l'intérieur ; je ne sais, en vérité, pourquoi l'on souffre de toute éternité que cette roche reste dans cet endroit, au lieu de la couper à rase terre ; on dit que c'est le lieu où s'arrêta l'ange exterminateur, auquel David, tout tremblant, adressa ces paroles :
    C'est moi qui ai péché, c'est moi qui suis coupable ;
    Qu'ont fait ceux-ci, qui ne sont que des brebis ?

    On prétend de plus que sur cette roche était scellée fortement l'arche d'alliance du Seigneur, avec la verge et les tablettes de l'ancienne loi, et que Josias, roi de Juda, prévoyant la future captivité, ordonna que la roche fût renfermée dans l'enceinte même du sanctuaire, disant : « Jamais on ne pourra l'arracher de ce lieu »
    Mais, ce récit est contredit par ce que nous lisons dans les écrits de Jérémie, que lui-même avait caché l'arche sainte en Arabie, disant :
    « Qu'elle devait restée inconnue jusqu'à ce que Dieu eût rassemblé son peuple dispersé »
    Or Jérémie était contemporain de ce roi Josias, qui cependant cessa de vivre avant que le prophète mourût. Je ne saurais donc croire que l'arche ait été placée dans le temple. Dans la crainte de tromper sur quelques points mes lecteurs, je ne puis ni n'ose rapporter en détail toutes les choses saintes qui se trouvent dans ce temple. Cependant ces choses, je les ais, par amour pour Dieu, et en son honneur, recueillies dans ma mémoire d'après le récit de certains individus. Ce temple, au surplus, est certainement la maison du Seigneur, dont il est écrit :
    « Elle est fondée solidement sur la pierre la plus dure. »

    C'est là que Salomon ayant offert pieusement ses supplications à Dieu pour qu'il eût nuit et jour les yeux ouverts sur cette sainte demeure, et daignât exaucer celui qui viendrait prier avec un cœur droit dans ce sanctuaire, le Seigneur répondit à ce prince et lui accorda ce qu'il avait sollicité de sa bonté. Cet édifice, c'est-à-dire, ce temple du Seigneur tous les sarrasins l'eurent en grande vénération jusqu'au moment ou nous les en chassâmes ; ils y faisaient habituellement, plus volontiers qu'ailleurs, les prières qu'ils prodiguaient, sans fruits pour eux, a une idole fabriquée de leurs mains, et portant le nom de Mahomet, et ils ne permettaient à aucun Chrétien d'y entrer. Ce temple, qu'on appel le temple de Salomon, quoique grand et admirable, n'est pas celui qu'éleva Salomon. Ce dont nous ne saurions maintenant assez nous affliger, c'est que, faute d'argent, nous ne pûmes réparer la toiture de ce monument, lorsqu'il fut enfin tombé dans nos mains et dans celles du roi Baudouin, qui lui-même vendait à des marchands le plomb qui en tombait de temps à autre, ou qu'il ordonnait d'en arracher. Il existe en outre sur le sépulcre de Notre-Seigneur une basilique assez belle de forme ronde : on a laissé sans couverture le sommet de sa voûte arrondie ; mais c'est exprès, et par un artifice tellement ingénieux que la lumière du soleil entre par cette ouverture assez abondamment, pour que l'intérieur de l'édifice soit toujours bien éclairé. Dans tous les quartiers de la ville se trouvent des égouts, par lesquels les immondices sont emportés dans les temps de pluie. L'empereur Aelius Adrien embellit cette cité avec magnificence, et fit paver ses rues et ses places : aussi Jérusalem prit du nom de ce prince celui d'Aelia.
    Ces choses et beaucoup d'autres rendent cette cité vénérable et célèbre.

    Siège de Jérusalem


    Les Francs ayant examiné les dehors de la ville de Jérusalem, et reconnu que la prendre serait difficile, nos chefs prescrivirent de construire des échelles en bois, qu'on appliquerait aux murs pour donner un vigoureux assaut, monter jusqu'au faîte des murailles, et, s'il se pouvait, pénétrer dans la place avec l'aide du Seigneur. Cet ordre ayant été exécuté, le septième jour après, les grande commandent de sonner les trompettes dès l'aurore, et les nôtres donnent de tous côtés l'assaut à la ville avec une admirable impétuosité.
    L'attaque avait déjà duré jusque la sixième heure du jour, mais les échelles fixées au mur étaient en trop petit nombre pour que nos gens puissent s'introduire dans la place, il fallut donc abandonner l'assaut.
    On tint alors conseil, et l'on enjoignit aux ouvriers de construire des machines de guerre, à l'aide desquelles on pût approcher des murailles, et atteindre, si Dieu nous secondait, le but de nos efforts. Cela fut fait ainsi. Nous ne manquions ni de pain ni de viande ; mais comme ces lieux sont, ainsi qu'on l'a dit plus haut, sans eau et sans rivière, nos hommes et leurs bêtes de somme souffraient beaucoup de la soif, contraints par le besoin, ils allaient donc chercher au loin de l'eau, et l'apportaient péniblement dans des outres, de quatre ou cinq milles jusqu'au camp du siège.
    Les machines, c'est-à-dire, des béliers et autres engins à battre les murs, étant disposées, tous se préparent pour l'attaque. Dans le nombre de ces machines était une tour faite de bois courts assemblés, faute de matériaux d'une plus grande longueur, pendant la nuit, et conformément à l'ordre donné, les ouvriers la portent secrètement vers le côté de la ville le moins bien fortifié, et comme, dès le matin, ils l'avaient garnie de pierres et d'autres instruments de guerre, ils la dressent rapidement et tout d'une pièce non loin du rempart.
    A peine est-elle élevée, qu'au premier signal du cor, des chevaliers, en petit nombre il est vrai, mais pleins d'audace, y montent, et en font jaillir sur-le-champ des pierres et des dards.
    De leur côté, les Sarrasins se défendent avec ardeur, allument des torches de bois enduites d'huile et de graisse, de manière à se conserver bien enflammées, et les lancent, avec leurs frondes, contre la tour et les chevaliers qui l'occupent.
    Ainsi donc la mort, prête à dévorer sa proie, menace à chaque instant beaucoup de ceux qui, de part et d'autre, combattent de si près.
    Image: Winckelsen en 1918
    http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/memsap_fr?ACTION=CHERCHER&FIELD_1=COM&VALUE_1=jerusalem&FIELD_4=AUTP&VALUE_4=os



    De ce côté, en effet, où sont postés le comte Raymond et ses gens, c'est-à-dire, vers le mont Sion, se livre, à l'aide des machines, un violent assaut ; du côté opposé sont le duc Godefroi, Robert, comte de Normandie, et Robert comte de Flandre ; là, l'attaque contre le rempart est encore plus vive. Voilà ce qui se passa se jour là.

    Le lendemain, aussitôt que les clairons se font entendre, les nôtres renouvellent les mêmes efforts avec une vigueur plus mâle encore, et frappent si bien la muraille de leurs béliers, qu'ils font brèche dans un endroit.
    En avant du mur étaient suspendues deux poutres armées de crocs, et fortement retenues par des cordes, que les Sarrasins avaient disposées en toute hâte pour les opposer à l'ennemi qui les attaquait avec tant de violence et les accablait de pierres ; mais la sagesse de Dieu fait tourner à leur perte ce qu'ils ont préparé pour leur salut.
    Aussitôt, en effet, que la tour de bois, dont on a parlé plus haut, s'est approchée des murs, les Francs, à l'aide de fagots en feu, brûlent par le milieu les câbles auxquels sont attachées ces poutres, et se font de celles-ci un pont qu'ils jettent de la tour sur le mur.
    Déjà s'enflamme une tour de pierre construite sur le rempart, et contre laquelle ceux qui font jouer nos machines ne cessent de lancer des tisons embrasés ; bientôt le feu, qu'alimente peu à peu la charpente intérieure de cette tour, éclate de toutes parts, et jette une telle abondance de flamme et de fumée, qu'aucun des citoyens préposés à la garde de ce fort ne peu y rester plus longtemps.
    Bientôt encore, et le vendredi à l'heure de midi, les Francs pénètrent dans la ville, sonnent leurs trompettes, remplissent tout de tumulte, marchent, avec un courage d'homme, aux cris de « Dieu aide » et plantent une de leurs bannières sur le faîte du mur.
    Les Païens confus perdent complètement leur audace, et se mettent tous à fuir en hâte par les ruelles qui aboutissent aux carrefours de la ville.
    Mais s'ils fuient rapidement, ils sont poursuivis plus rapidement encore.
    Le comte Raymond et les siens, qui donnaient l'assaut de l'autre côté de la place, ne surent rien de ce qui se passait qu'au moment où ils virent les Sarrasins sauter, à leurs yeux même, du haut du mur en bas.
    A ce spectacle, ils accourent au plus vite et pleins de joie dans la ville, se réunissent à leurs compagnons, et, comme eux, poursuivent vivement et massacrent les infâmes ennemis du nom chrétien.
    Quelques-uns de ces Sarrasins, tant Arabes qu'Ethiopien, parviennent, il est vrai, à s'introduire en fuyant dans la forteresse de David, mais beaucoup d'autres sont réduits à s'enfermer dans le temple du Seigneur et dans celui de Salomon.
    Les nôtres les attaquent dans les cours intérieures de ces temples avec la plus violente ardeur ; nulle part ces infidèles ne trouvent d'issue pour échapper au glaive des Chrétiens ; de ceux qui, en fuyant, étaient montés jusque sur le faîte du temple de Salomon, la plupart périssent percés à coups de flèches, et tombent misérablement précipités du haut du toit en bas ; environ dix mille Sarrasins sont ainsi massacrés dans ce temple.
    Qui se fût trouvé là aurait eu les pieds teints jusque la cheville dans le sang des hommes égorgés.

    Que dirai-je encore ?

    Aucun des infidèles n'eût la vie sauve, on n'épargna ni les femmes ni les petits enfants. Une chose étonnante à voir, c'était comment nos écuyers et nos plus pauvres hommes de pied, ayant découvert l'artifice des Sarrasins pour conserver leurs richesses, fendaient le ventre de ceux d'entre eux étaient tués, pour arracher de leurs entrailles les byzantins d'or qu'ils avaient avalés lorsqu'ils étaient encore vivants.
    Dans le même but, nos gens, quelques, jours après la prise de la ville, entassèrent tous les cadavres et les brûlèrent, espérant retrouver plus aisément cet argent dans les cendres.
    Cependant Tancrède, précipitant sa course, était entré de vive force dans le temple du Seigneur, il en enleva, action vraiment criminelle et défendue une grande quantité d'or et d'argent, et même les pierres précieuses ; mais, dans la suite, réparant cette faute, il rétablit toutes ces richesses ou leur valeur dans ce saint lieu.
    Les nôtres donc, parcourant Jérusalem l'épée nue, ne firent quartier à aucun, même de ceux qui imploraient leur pitié, et le peuple des infidèles tomba sous leurs coups comme tombent, d'une branche qu'on secoue, les fruits pourris du chêne, les glands agités par le vent.
    Après s'être ainsi rassasiés de carnage, nos gens commencèrent à se répandre dans les maisons, et y prirent tout ce qui leur tomba sous la main.
    Le premier, quel qui fut, pauvre ou riche, qui entrait dans une habitation, s'en emparait, que ce fût une simple chaumière ou un palais, ainsi que de tout ce qui s'y trouvait, et en restait paisible possesseur comme de son bien propre, sans qu'aucun autre le troublât dans cette jouissance et lui fit le moindre tort.
    La chose avait été ainsi établie entre eux comme une loi qui devait s'observer strictement ; et c'est ce qui explique comment beaucoup de gens dans la misère nagèrent tout à coup dans l'opulence.
    Ensuite, clercs et laïcs, tous ensemble se rendent au tombeau de Notre-Seigneur et à son temple célèbre, élèvent jusqu'au ciel des cris de triomphe, et chantent un cantique nouveau en l'honneur du Très-Haut, tous portent de riches offrandes, prodiguent les plus humbles prières, et visitent, ivres de joie, ces lieux saints, après lesquels ils soupirent depuis si longtemps.

    ô temps si ardemment souhaité !
    ô temps mémorable entre tous les temps !
    ô événement préférable à tous les événements !
    Ce temps était vraiment le temps désiré dans la sincérité du cœur.

    Le 15 Juillet 1099

    Et, en effet, tous les sectateurs de la foi catholique aspiraient, de tous leurs vœux et du fond de leur âme, à voir les lieux où Dieu, le créateur de toutes les créatures, s'est fait homme, est né, est mort, est ressuscite pour apporter au genre humain, multiplié par sa bonté, le don de la rédemption et du salut, à voir ces lieux, dis-je, purgés enfin de à présence empestée des Païens qui les habitaient et les souillaient depuis si longtemps de leurs superstitions, et rétablis dans tout l'éclat de leur ancienne gloire par des hommes croyants et se confiants Seigneur.
    Ce temps était le temps réellement mémorable, et digne à bon droit, de demeurer gravé dans le souvenir des hommes : dans ce lieu y en effet, toutes les choses que notre Seigneur Jésus-Christ a faites et enseignées, pendant qu'homme il demeurait parmi les hommes, sont rappelées et reproduites à la mémoire dans leur plus grande splendeur.
    Ce grand événement, que ce même Seigneur Jésus-Christ a voulu accomplir par la main de son peuple, son nourrisson, selon moi, le plus cher et le plus intime, et choisi d'avance pour un si grand œuvre, cet événement sera fameux jusqu'à la fin des siècles, et retentira célébré dans les diverses langues de toutes les nations.
    Pour la quinzième fois le soleil éclairait de sa lumière et brûlait de ses feux l'ardent ; et, en ôtant un du nombre de onze cents, on avait le compte des années écoulées depuis l'incarnation du Sauveur, quand nous, peuples des Gaules, nous prîmes la ville de Jérusalem, pour la quinzième fois, juillet resplendissait de la brillante lumière du soleil, lorsque les Francs, par leur valeur puissante, s'emparèrent de la Cité sainte, l'année onze cent moins un à compter du moment où la Vierge enfanta celui qui règle toutes choses.
    Cette prise eut lieu en effet le jour des ides de juillet, deux cent quatre-vingt-cinq ans après la mort de Charlemagne, et douze ans depuis celle de Guillaume, premier roi d'Angleterre.

    Jerusalem Tour de David

    Godefroi fut le premier prince de Jérusalem L'excellence de sa noblesse, sa valeur comme chevalier, sa douceur et sa patience modestes, la pureté de ses mœurs enfin déterminèrent tout le peuple qui composait l'armée de Dieu à l'élire comme chef du royaume de la Cité sainte, pour qu'il eut à le conserver et à le gouverner. Alors aussi on établit des chanoines dans l'église du sépulcre du Seigneur, et dans le temple bâti son honneur ; mais on arrêta de différer à nommer un patriarche jusque ce qu'on eût pris avis du pape de Rome, et su qui il désirait qu'on choisisse.
    Cependant les Turcs, les Arabes et les noirs Ethiopiens qui au nombre d'environ cinq cent, s'étaient, en fuyant, introduits dans la citadelle de David, demandèrent au comte Raymond, logé près de cette tour, qu'i leur permît de sortir la vie sauve, à la condition qu'ils laisseraient tout leur argent dans la citadelle; cette proposition fut acceptée sur-le-champ, et ils partirent de suite pour Ascalon.
    Il plût à cette époque, au Seigneur que l'on trouvât dans Jérusalem une petite partie de la croix de Notre-Seigneur, ce trésor, enfoui depuis un temps reculé dans un lieu secret, nous fut alors découvert par un certain Syrien, qui, avec son père, l'avait autrefois caché et conservé. On redonna la forme d'une croix à cette parcelle de la croix du Seigneur ; on la recouvrit d'ornements d'or et d'argent, et ce don que le Très-Haut, dans sa clémence, nous avait réserve depuis si longtemps, tous les nôtres, l'élevant en l'air et chantant des psaumes en l'honneur de Dieu, la portèrent, en se félicitant, au sépulcre du Sauveur, et de là à son temple.
    Sources: Jerusalem Tour de David par Winckelsen en 1918
    http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/memsap_fr?ACTION=CHERCHER&FIELD_1=COM&VALUE_1=jerusalem&FIELD_4=AUTP&VALUE_4=os


    Les Sarrazins préparent une contre-attaque

    Cependant le roi de Babylone et le chef de sa milice, nommé Lavendal, ayant appris que les Francs, subjuguant tout le pays, approchaient déjà de l'empire de Babylone, rendirent un édit impératif pour rassembler une immense multitude de Turcs, d'Arabes et d'Ethiopiens, et ordonnèrent que toutes ces troupes allassent combattre les Francs.
    Sur la nouvelle qu'ils reçurent ensuite que ceux-ci s'étaient déjà emparés avec une si fièvre valeur de Jérusalem, le susdit chef de la milice, indigné, partit en toute hâte de Babylone pour en venir aux mains avec les Francs, ou les assiéger dans la Cité sainte, s'ils s'y tenaient renfermés.
    Dès que les nôtres en furent instruits, prenant une résolution pleine de la plus grande audace, et portant devant eux ce bois de la croix du salut dont on a plus haut, ils marchèrent vers Ascalon, et menèrent leur armée contre ces tyrans.

    Un certain jour qu'ils parcouraient la campagne non loin d'Ascalon, en attendant le moment de la bataille, ils trouvèrent à faire un immense butin en bœufs, brebis, chameaux et chèvres ; à la chute du soleil, ils rassemblèrent cette proie autour de leurs tente ; mais nos chefs défendirent par un édit rigoureux, de chasser devant soi aucun de ces animaux le lendemain, jour où ils pensaient que se livrerait le combat, afin que les soldats, n'étant pas embarrassés par les bagages, se trouvassent plus dispos et plus libres pour l'action.
    Au lever du jour, en effet, les éclaireurs envoyés en avant viennent annoncer que les Païens approchant, à cette nouvelle, les tribuns et les centurions disposent leurs troupes en ailes et on coins, les rangent dans le meilleur ordre pour donner bataille, et marchent fièrement contre les Sarrasins, enseignes déployées.
    On voyait les animaux enlevés par nos gens, et dont il a été parlé ci-dessus, obéir pour ainsi dire à l'ordre des chefs, marcher sur la droite et la gauche, de nos lignes, et suivre exactement leur route, quoique personne ne les y forçât.
    Aussi les Païens, apercevant de loin toutes ces bêtes qui cheminent avec nos soldats, se persuadent que le tout forme l'armée des Francs : au moment où ces infidèles s'approchent de notre centre, qui présente l'aspect du coin leur immense multitude, semblable à un cerf qui présente son bois en avant, ouvre son premier ouvre son premier rang disposé en forme de coin, le divise en deux branches qui s'étendent dans la direction donnée par les Arabes qui courent en avant, et projettent d'envelopper ainsi nos dernières lignes.
    Là le duc de Godefroi, à la tête d'un épais escadron d'hommes d'armes, poussait devant lui et pressait la marche des soldats placés à la queue de l'armée ; quant aux autres chefs, les uns marchaient en avant de la première ligne, les autres précédaient la seconde.
    Bientôt des deux côtés on s'approche de si près, que l'ennemi n'est plus de son ennemi que par la distance du jet d'une pierre : aussitôt nos gens de pied bandent leurs arcs contre les Turcs, et lancent leurs flèches.
    Bientôt les lances suivent les flèches avec la rapidité nécessaire ; tous nos chevaliers, comme s'ils en avaient fait entre eux le serment s'élancent avec la plus violente ardeur et à l'envi au milieu des Païens ; ceux de ces infidèles dont les chevaux ne se montrent pas alors prompts à la course son sur le champ précipités dans les ombres de la mort, et en peu d'heures une foule de cadavres pâles et privés de vie couvrent la terre.
    Dans la crainte du trépas, beaucoup d'ennemis grimpent jusqu'au faîte des arbres ; mais atteints là par les traits, et mortellement blessés, ils tombent misérablement jusqu'à terre. Les Sarrasins enfoncés par la charge de nos cavaliers sont écrasés de toutes parts, et ceux qui échappent au carnage fuient abandonnant leurs tentes, et sont poursuivis jusque sous les murs d'Ascalon, ville éloignée de Jérusalem de sept cent vingt stades.

    Des le commencement de l'action, Lavendal, le général des Turcs, qui auparavant parlait avec tant de mépris des Francs, s'enfuyait au plus vite, leur tourna le dos, et leur laissa, bien à regret, sa tente dressée au milieu de celles des siens, et remplie d'une immense quantité d'argent.
    Au retour de la poursuite de l'ennemi, les Francs, joyeux de leur triomphe, se réunissent de nouveau sous leurs bannières, et rendent au Seigneur des actions de grâces.
    Ensuite, ils entrent dans les tentes des Turcs, y recueillent des trésors de toutes espèces en or, argent, manteaux, habits, et pierres précieuses connues sous le doux nom de jaspe, saphir, calcédoine, émeraude, sardoine, pierre de Sarde, chrysolite, béryl, topaze, chrysoprase, jacinthe et améthyste, et y trouvent encore des ustensiles de mille formes divers, des casques dorés, anneaux d'un grand prix, des épées admirables, des grains de la farine et une foule d'autres choses.

    Nos gens passèrent cette nuit-là sous les tentes de l'ennemi, ayant toutefois soin de se bien garder, dans la persuasion que le jour suivant il faudrait recommencer le combat contre les Sarrasins ; mais ceux-ci frappés de terreur, s'enfuirent tous cette même nuit.
    Le matin, les nôtres l'apprirent de nos espion ; aussitôt ils bénirent Dieu de ce qu'il avait permis qu'une si petite armée de Chrétiens dissipât tant de milliers d'Infidèles, et le glorifièrent en chantant sa louange :
    Béni soit le Seigneur, qui ne nous a pas livrés comme une proie à la dent de ces méchants !
    Béni soit aussi la nation dont Dieu est le Seigneur !

    Les Babyloniens en effet n'avaient-ils pas menacé les nôtres en disant : Allons, et prenons Jérusalem avec tous les Francs qui s'y sont renfermés ; massacrons-les tous ; détruisons de fond en comble ce sépulcre qui leur est si précieux, et dispersons hors de la ville les pierres qui le composent, afin qu'il n'en soit plus même parlé dans la suite.

    Mais par la volonté de Dieu ces menaces n'aboutirent à rien ; les Francs au contraire chargèrent leurs chevaux et leurs chameaux de tout l'argent des Infidèles, livrèrent, sur place, aux flammes une immense quantité de tentes, de dards répandus dans les champs, d'arcs et de flèches qu'ils ne pouvaient transporter à la Cité Sainte, et revinrent pleins de joie, avec un riche butin, vers cette Jérusalem que les Païens se vantaient de ruiner.

    L'heure du retour en Europe avait sonnée pour certains

    Quand on eut remporté ces avantages, il plut à quelques uns de retourner dans leur patrie. Après donc s'être plongés, sans plus différer dans les eaux du Jourdain et avoir, suivant la coutume des pèlerins, cueilli des branches de palmier à Jérusalem dans le jardin d'Abraham, Robert de Normandie, duc de Normandie, et Robert Comte de Frandre, comte de Flandre, gagnèrent par mer Constantinople, et de là repassèrent en France pour s'établir dans leurs domaines.
    Quant au comte Raymond, il retourna jusqu'à Laodicée, et alla de là à Constantinople, laissant sa femme dans la première de ces deux villes, où il se proposait de revenir. Le duc Godefroi, retenant près de lui Tancrède et plusieurs autres chevaliers, gouverna le royaume de Jérusalem, qu'il avait reçu du consentement de tous.

    Les princes d'Antioche et d'Edesse

    Lorsque Bohémond, homme courageux et avisé, qui possédait alors le pouvoir dans la cité d'Antioche, et Baudouin, frère du susdit duc Godefroi, qui de même dominait dans la ville d'Edesse et sur tout le pays voisin au delà du fleuve de l'Euphrate, apprirent que Jérusalem était prise par ceux de leurs compagnons qui les avaient devancés dans la route vers cette Cité sainte, pleins de joie ils payèrent au Seigneur un juste et humble tribut de louanges. Ceux qui hâtant leur marche précédèrent Bohémond et Baudouin à Jérusalem, firent certainement une donne et utile entreprise ; mais ces deux chefs et leurs gens, quoique ne devant suivre les premiers que plus tard, ont sans doute droit à une grande part dans la gloire du succès.
    Il était indispensable, en effet, que les terres et les villes enlevées aux Turcs, avec tant de fatigues, fussent soigneusement gardées. Si, les abandonnant imprudemment, les nôtres s'en étaient tous éloignés, on pouvait craindre de les voir quelques jours reprises par les Infidèles, quoique déjà repousses jusque dans la Perse, et cela au grand détriment de tous les Francs, tant de ceux qui allaient à Jérusalem, que de ceux qui en revenaient.
    Les premiers comme les derniers ont au contraire beaucoup profité à ce que le pays conquis fût gardé sévèrement, et peut-être même la divine providence a-t-elle différé le départ de Bohémond et de Baudouin, parce qu'elle à jugé qu'ils seraient plus utiles à l'armée dans ce qui restait à faire que dans ce qui déjà était fait.
    Que de pénibles combats, en effet, Baudouin n'a-t-il pas eu à livrer aux Turcs sur les frontières de la Mésopotamie !
    Dire à combien d'entre ceux-ci son glaive a tranché la tête dans ces contrées, serait impossible.
    Souvent il lui arriva de se mesurer, n'ayant qu'une poignée des siens, contre une immense multitude de Païens, et de jouir de l'honneur de la victoire, grâces à l'aide du Seigneur.

    Bohémond et Baudouin en pèlerinage à Jérusalem

    Cependant aussitôt que Bohémond prince d'Antioche lui eut fait savoir par des envoyés qu'il serait bon que tous deux avec leurs hommes se rendissent à Jérusalem, et achevassent ainsi ce qui leur restait à faire de leur pèlerinage, Baudouin disposant convenablement et sans délai toutes choses se tint prêt à partir.
    Toutefois apprenant alors que les Turcs menaçaient d'envahir un coin de son territoire, il suspend l'exécution de son premier projet, et sans se donner le temps de rassembler toute sa petite armée, il marche avec quelques hommes seulement contre les barbares. Ceux-ci, persuadés que déjà il avait commencé à se mettre en route pour Jérusalem, se reposaient un certain jour tranquillement sous leurs tentes ; mais à peiné ont-ils aperçu la bannière blanche que portait Baudouin, qu'ils se mettent à fuir en toute hâte ; et lui, après les avoir poursuivis quelque peu avec douze chevaliers seulement, retourne terminer ce qu'il a commencé.
    Se mettant donc en chemin et laissant sur sa droite Antioche, il arrive à Laodicée, y achète des provisions pour sa route, y fait réparer les bâts de ses bêtes de somme, et en repart-sur-le-champ : On était alors dans le mois de novembre ; et après avoir passé Gibel ou Gibelet ou Gabul, il rejoint Bohémond, campé sous ses tentes devant une certaine place forte nommée Valenia. Là, et dans la compagnie de ce dernier était un archevêque de Pise, appelé Dambert, qui, avec quelques Toscans et Italiens, avait débarqué au port de Laodicée, et nous attendait ; un autre évêque de la Pouilles se trouvait encore en ce lieu, et Baudouin en avait un troisième avec lui. Tous se réunirent amicalement, leur nombre s'élevant alors à environ vingt-cinq mille, tant hommes d'armes que gens de pied. Lorsqu'ils furent entrés dans l'intérieur du pays des Sarrasins, ils ne purent obtenir des odieux habitants de cette contrée ni pain ni aliments d'aucune espèce ; personne ne se présentait pour leur en vendre ou leur en donner; aussi arriva-t-il qu'après avoir consommé de plus en plus tous leur approvisionnements, beaucoup d'entre eux furent cruellement tourmentés de la faim. Quant aux chevaux et aux bêtes de somme, faute de nourriture ils souffraient doublement ; car ils marchaient et ne mangeaient pas.
    Dans les terres en culture se trouvaient alors certaines plantes en maturité, semblables à des roseaux, et qu'on appelle « canna mellis » (cannes à sucre), nom composé des deux mots « canna » (canne) et « mel » (miel). C'est de là, je crois, qu'on qualifie de miel sauvage celui qu'on tiré avec adresse de ces plante. Nous les dévorions d'une dent affamée à cause de leur saveur sucrée ; mais elles ne nous étaient qu'une bien faible ressource : la faim, le froid, des torrents de pluie, tous ces maux et beaucoup d'autres, nous avions à les supporter par amour pour Dieu. Grand nombre des nôtres, en effet, manquant de pain, mangeaient les chevaux, les ânes, les chameaux : pour comble de malheur nous étions très fréquemment fort incommodés d'un froid piquant et de pluies abondes. Mais, Sans pouvoir seulement nous sécher à la chaleur des rayons du soleil, après avoir été trempés par l'eau, qui pendant quatre ou cinq jours ne cessa de tomber du ciel.

    J'ai vu beaucoup de nos gens périr de ces averses froides, faute de tentes pour se mettre à l'abri. Oui, moi Foulcher, qui me trouvais dans cette armée, j'ai vu dans un même jour plusieurs individus de l'un et l'autre sexe, et un grand nombre d'animaux, mourir transis par ces pluies.
    Tous ces détails seraient au surplus trop longs à rapporter et peut-être ennuyeux à lire ; les tourments de tout genre et les fatigues excessives ne manquèrent pas en effet au peuple de Dieu. Souvent les Sarrasins embusqués massacraient nombre des nôtres, soit dans des chemins étroits, soit quand ils s'écartaient pour aller chercher et enlever quelques vivres. On voyait des chevaliers d'une illustre naissance réduits à cheminer comme de simples piétons, après avoir perdu, d'une manière ou d'une autre, tous leurs chevaux ; on voyait aussi, faute de bêtes de somme, les chèvres enlevées aux Sarrasins, et les moutons plier, épuisés sous le faix du bagage dont on les chargeait, et qui, par son poids, leur écorchait tout le dos ; deux fois seulement, et pas davantage nous parvînmes pendant cette route à nous procurer, et encore à un prix exorbitant, du pain et du froment des Sarrasins de Tripoli et de Césarée.
    Tout ceci montre clairement que rarement, ou plutôt jamais, on ne peut acquérir un grand sans une grande fatigue. Ce fut certes, en effet, le plus grand des biens pour nous que d'avoir pu arriver jusqu'à Jérusalem ; et quand nous l'eûmes visitée, toute notre fatigue fût miraculeusement mise en oubli. A peine aperçûmes-nous ces lieux, les plus saints de tous, après lesquels nous soupirions depuis si longtemps, que nous nous sentîmes pénétrés d'une joie indicible. ô combien de fois revint alors à notre mémoire cette prophétie de David :
    « Nous adorons le Seigneur dans le lieu où il a posé ses pieds. »
    Ces paroles, qui s'appliquent sans doute à beaucoup d'autres encore, nous les avons vues accomplies en nous, et véritables tribus du Seigneur, nous sommes montés jusqu'à ce saint lieu, pour confesser le nom du Très-Haut le jour même, au surplus, où nous entrâmes dans la Cité sainte, le soleil termina sa course descendante driver, et rebroussant chemin reprit cours ascendant. Après avoir visité le sépulcre et le temple du Sauveur, ainsi que les autres lieux saints, nous allâmes le quatrième jour à Bethléem, et nous y passâmes à veiller et à prier la nuit même de la nativité du Seigneur, pour mieux célébrer le retour annuel du jour où est né le Christ. Lorsque avec l'assistance naturelle des évêques et des clercs nous eûmes employé toute cette nuit à chanter, ainsi qu'il convenait, les louanges du Seigneur, on célébra la messe, et on dit tierce à la troisième heure du jour, puis nous retournâmes à Jérusalem.

    ô quelle odeur fétide s'exhalait encore autour des murs de cette ville, et tant dehors que dedans, des cadavres des Sarrasins massacrés par nos compagnons après la prisé de la place, et qu'on laissait pourrir sur les lieux mêmes !
    L'infection était telle qu'il fallait nous boucher les narines et fermer la bouche.
    Après que nous eûmes, par un repos certes bien nécessaire, refait pendant quelque temps et nous et nos bêtes de somme, établi l'évêque Dambert, dont on a parlé plus haut, comme patriarche dans l'église du Sépulcre du Sauveur, nous renouvelâmes nos approvisionnements, nous chargeâmes nos bagages partîmes et visitâmes au retour le fleuve du Jourdain.
    Alors quelques gens de notre armée, la dernière arrivée, trouvèrent bon de rester à Jérusalem, tandis que d'antres appartenant à l'armée venue la première préférèrent s'en aller avec nous.
    Au reste, le duc Godefroi continua de gouverner, comme il l'avait fait jusqu'alors, le territoire de la sainte Cité.
    Sources : Textes de Foulcher de Chartres - Collection des mémoires relatifs à l'Histoire de France ; Editions J-L. J.Brière, Librairies : Paris 1825

    Pâques à Tibériade

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