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Études réalisées sur les Templiers

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Les dignitaires du Temple

A la tête de la hiérarchie se trouve le grand-maître. Le Procès nous donne les noms des deux ou trois grands-maîtres qui ont précédé Jacques de Molay, et nous noterons en passant les quelques mentions qui les concernent, ce qui n'est pas sans intérêt, étant donné le peu que l'on sait de leurs personnes, leurs noms mêmes n'étant pas encore bien fixés.

Ces grands-maîtres sont, à partir du milieu du XIIIe siècle :
Renaud de Vichiers, 1250-1256.
Thomas Bérard, 1256-mars 1273.
Guillaume de Beaujeu, mai 1273 mai 1291.
Thibaud Gaud, 1291 vers 1294.
Jacques de Molay, 1294-1307.

De Renaud de Vichiers, prédécesseur de Thomas Bérard ou Béraud, il n'est pas question dans le Procès, ce grand-maître étant mort à Acre en 1256. On lit, en effet, dans les Annales de Terre-Sainte, à cette date : « Et vindrent en Acre et en cel an fu mors frère Renaus Richiers (m, l, pour Vichiers), maistres dou Temple, et fu fais maistre frère Thomas Beraus ». Mais est-ce bien en 1256 que mourut R. de Vichiers ; un document daté du mois d'octobre 1252 semble indiquer déjà Thomas Bérard comme grand-maître « frère Thomas Berart humle maistre de la chevalerie dou Temple » ?

Les plus anciens dans le Temple, vivant à l'époque du procès, ne parlent guère que du successeur de Renaud, Thomas Béraud ou Bérard : « tempore quo frater Thomas Berardi erat magister Templi ». A cette époque, les grands-maîtres ne venaient pas souvent en France. Thomas était encore à Acre au mois de juillet de l'année 1261, et son nom figure dans une lettre collective adressée au roi Louis IX, du mois de juin 1267.

Un frère sergent, originaire du diocèse du Mans, Guillaume « d'Errée », alias « Terice », qui était depuis cinquante-deux ans dans l'Ordre, raconte, en 1311, qu'il assista à une réception faite outre-mer à Acre, vers 1279, par le frère Thomas Bérard, alors grand-maître, en présence du frère Thibaud Gaud (Theobaldo Gaudini), lequel fut grand-maître dans la suite. En réalité, cette réception dut avoir lieu en 1273 au plus tard, Thomas étant mort le 25 mars de cette année. Cette date est attestée par le maître des Hospitaliers, dans une lettre datée d'Acre, le 17 mai de la même année, et adressée au comte de Flandre, pour lui faire part de l'élection de Guillaume de Beaujeu en même temps que de la mort de Thomas Bérard.

Sidon

Sidon
Sidon

Mais il est encore parlé de ce grand-maître en d'autres endroits du Procès : un chevalier limousin du Temple, sachant le latin et fort loquace, dit dans sa déposition que la ville de Sidon aurait été achetée par le frère Thomas Bérard, alors qu'il était maître de l'Ordre ; et le dernier précepteur du Temple pour l'Aquitaine et le Poitou, interrogé le 15 novembre 1307, a occasion de le citer : « Fratris Roncelini magistri quondam ordinis, fratris Thome Berardi, quondam ordinis magistri ». De ces deux noms, il ne faut retenir que celui de Thomas ; car Roncelin ne fut sans doute que sous-grand-maître, et le templier Gui Dauphin l'aurait vu recevoir à Acre, vers 1285, par Guillaume de Beaujeu. Enfin, un chevalier du Temple, du diocèse de Rodez, reçu peu avant 1300, ne fut pas sans entendre parler des anciens de son Ordre et, entre autres, des grands-maîtres Guillaume de Beaujeu et Thomas Bérard.

Saint-Jean d'Acre

Saint-Jean d'Acre
Saint-Jean d'Acre


L'un des plus célèbres parmi les grands-maîtres fut Guillaume de Beaujeu, dont nous avons pu constater la présence à Acre vers 1285, et qui devait périr les armes à la main lors de la prise de cette ville par les Sarrasins, au mois de mai 1291. Dès le 5 avril de cette année, le soudan d'Egypte, Malik el-Aschraf, avait entrepris le siège d'Acre ; mais ce n'est que le 18 mai que les Sarrasins et les Turcs parvinrent à pénétrer dans la ville et en massacrèrent les héroïques défenseurs.

Ceux des Templiers qui s'étaient retranchés dans la maison du Temple périrent tous, et parmi eux le grand-maître Guillaume de Beaujeu, qui avait été blessé mortellement la veille même de la prise de la ville.

C'était un usage dans le Temple de tenir des chapitres, soit généraux soit provinciaux, où se traitaient les affaires de l'Ordre, et c'est après avoir présidé l'un de ces chapitres que Guillaume de Beaujeu aurait reçu, vers 1285, à Acre, un chevalier provençal nommé Boncelin, en présence du frère Thibaud Gaud ou Gaudin, alors précepteur de la Terre d'outremer, du frère Jacques de Molay et du compagnon du grand-maître, « Florentio de Villa, socio tune dicti magistri ». Ce ne fut, d'ailleurs, pas là le seul chapitre important tenu par ce grand-maître, car un frère du Temple, qui aurait été reçu, vers 1279, à Paris, fait mention de chapitres tenus à diverses reprises par Guillaume de Beaujeu.

Si le nom de Guillaume de Beaujeu revient assez fréquemment dans le Procès, aucune accusation n'est portée contre lui, soit qu'un frère du Temple se rappelle l'avoir vu à Acre, soit que d'autres racontent sa fin glorieuse et la victoire des Sarrasins, soit que des personnes étrangères au Temple, mais interrogées en Chypre notamment, lui consacrent un souvenir ému. Si les uns célèbrent son courage, d'autres, comme le vicomte de Nicosie, rendent hommage à sa piété et affirment l'avoir vu se confessant, à Acre même, tandis qu'un autre, encore en cette même ville, a pu le voir aller à la communion.

Chypre

Chypre
Chypre

L'avant-dernier grand-maître fut celui qu'on nomme couramment le moine Gaudini, lequel ralliant les Templiers échappés au massacre qui suivit la prise d'Acre, se retira avec les principaux de l'Ordre à Limisso, en Chypre.

Il ne faudrait pas se méprendre à ce surnom de moine, que lui avait sans doute valu la robe du Temple ; il s'appelait de son vrai nom Thibaud Gaud ou Gaudin, dit aussi le moine Gaud, et était chevalier : « frater Theobaldus Galdi miles ». (Thibaud Gaudin, Gaud, allias Theobaldus Gaudini, Gandi, Gaudi)

Thibaud Gaud n'était pas, d'ailleurs, de ceux qui arrivent par surprise, ayant été, avant de devenir grand-maître, le précepteur du Temple en Syrie, ce qu'on appelait la Terre d'outremer. Il était, vers 1279, à Acre, le grand-maître étant alors frère Thomas Bérard ; et on le trouve à Paris à peu près à la même époque, puisque le dernier précepteur de la maison du Temple d'Ivry dit avoir été reçu, vers l'an 1279, au Temple de Paris, par le précepteur de la Terre d'outre-mer, dit le moine Gaud (per quemdam fratrem vocatum monachum Gaudi, preceptorem terre Ultramarine).

S'il faut en croire le récit d'un chevalier du Temple, le choix de Jacques de Molay comme grand-maître ne se serait pas fait sans quelque tiraillement. Il y aurait eu désaccord dans le convent du Temple tenu outre-mer (en Chypre), au sujet de cette nomination ; les uns voulant nommer frère Hue de Perraud, visiteur de France ; les autres, en minorité, se prononçant pour Molay : « ...Cum esset discordia ultra mare in conventu eorum de creatione Magistri, et provinciales Lemovicinii et Alvergnie qui faciebant majorem partem conventus vellent habere in magistrum fratrem Hugonem de Penrando (sic) et minor pars dictum Magistrum... »

»Le même témoin prétend que les erreurs imputées à son ordre devaient leur origine au grand-maître qu'il ne cite pas, mais qu'il dit bourguignon. Il n'est pas le seul à vouloir accuser les grands-maitres, car un prêtre du Temple, chapelain d'une maison d'Auvergne, et qui bien que fort âgé n'était guère dans l'Ordre que depuis l'année 1303 environ, prétend que ces erreurs auraient fait leur apparition après la mort de Guillaume de Beaujeu ». (Procès, t. II, p. 132).

Quoi qu'il en soit de l'hésitation vraie ou supposée qui aurait existé lors de la proclamation du dernier grand-maître, Jacques de Molay fut élu. Ce serait vers 1298, d'après l'Art de vérifier les dates ; mais peut-être y aurait-il lieu de reculer un peu cette date ; Molay étant désigné, comme grand-maître, dans une lettre de Charles II roi de Sicile, du 12 janvier 1295.

Voyons ce que dit le Procès à ce sujet.
Le Procès, édité par Michelet, se compose de deux enquêtes faites à Paris, à des époques différentes, sur les mêmes frères du Temple ou à peu près ; Molay comparaît donc deux fois en personne.

Interrogé une première fois, le 24 octobre 1307, le grand-maître, « frater Jacobus de Molay, major magister ordinis milicie Templi », nous apprend qu'il portait la robe du Temple depuis plus de quarante ans, ayant été reçu vers 1265 par le frère Humbert de Perraud, chevalier, en présence du frère Amauri de La Roche (Amauri est dit grand commandeur dans une pièce datée d'Acre, mai 1262 (Documents concernant les Templiers, par J. Delaville Le Roulx, p. 31, pièce 21); il ajoute qu'à sa réception on lui aurait enjoint de cracher sur un crucifix apporté pour la circonstance, mais il nie qu'il ait jamais été question de rapports charnels entre frères.

Il y avait là une demi-concession, un demi-aveu, lequel, habilement exploité et amplifié, devait avoir un grand retentissement ; il est probable que cette défaillance de Jacques de Molay n'avait eu d'autre cause que l'application de la question et de la torture, bien que l'interrogatoire n'en dise rien.

Paphos Chypre
Ce qui n'est pas douteux, c'est que cette défaillance du chef fut vite connue de tous et jusqu'en Chypre ; en effet, un chanoine qui avait été trésorier de l'église de Paphos (le château médiéval fut construit par les Lusignan), s'étant vu cité à comparaître en raison des relations qu'il avait eues avec le Temple, fait allusion en 1310, aux aveux faits à Paris par Jacques de Molay eu 1307. Un autre habitant de l'île, « Johannes dictus Lombardus, miles et vicecomes de Nicosia », avait eu connaissance également de ces aveux, mais il avait entendu dire que le grand-maître n'avait confessé certaines choses, une fois détenu, que par crainte des tourments, ce qui confirmerait la supposition faite par nous ci-dessus. C'est à la fin du mois de novembre 1309 que Jacques de Molay comparut de nouveau. Si jamais, à un moment donné de son magistère, le grand-maître du Temple avait pu concevoir quelque orgueil de sa situation, on en chercherait vainement la trace dans ses réponses, parfois si humbles, aux enquêteurs du roi.

Sans vouloir reproduire entièrement ce second interrogatoire, il importe d'en retenir quelques passages qui nous semblent empreints d'une grande vérité et d'une simplicité touchante.

Bien que de famille noble, Jacques de Molay était illettré et pauvre ; il n'avait pas tardé à aller outre mer, et il s'y trouvait du temps où le maître de l'Ordre était Guillaume de Beaujeu.

Sa foi, pour si peu éclairée qu'on la suppose, n'en était pas moins sincère, car il croyait en un seul Dieu et en la trinité des Personnes.

Il ne connaissait aucun ordre religieux dont les chapelles fussent pourvues de meilleurs et de plus beaux ornements, d'aussi nombreuses reliques, et qui fussent aussi mieux desservies que le sien, à l'exception des cathédrales.

Il n'y avait pas d'ordre où l'on fit plus l'aumône, soit trois fois la semaine, pas d'ordre qui se fût plus exposé et n'ait plus affronté la mort pour la défense de la foi chrétienne.

Nous voilà loin du premier interrogatoire ; ici Molay a redressé la tête malgré une détention déjà longue ; il ne fait plus de concessions au roi de France comme en 1307, sans doute parce qu'il a perdu toute illusion.

»Jacques de Molay tirerait son nom de Molay (Haute-Saône, arrondissement de Vesoul commune de Vitrey), voir : Étude sur Jacques de Molay, par Ed. Bosson, dans Mémoires de la Soc. D'émulation du Doubs ».

Les interrogatoires du grand-maître ne sont pas seuls à fournir sur lui d'importantes indications. Son nom se retrouve encore fréquemment dans les réponses des Templiers interrogés, soit que Molay ait présidé des chapitres, soit qu'il ait procédé à des réceptions en Chypre (à Nicosie, Famagouste, Limisso), en France (à Paris, Dijon), soit qu'il ait été en Angleterre, pour visiter les maisons de l'Ordre ou pour y tenir des chapitres, de concert avec Hue de Perraud.

Selon toute apparence, Jacques de Molay avait été du nombre de ces Templiers qui échappèrent lors de la prise d'Acre en 1291, car un précepteur d'une maison du Temple français se souvenait de l'avoir vu, cette année-là, à Nicosie, en un chapitre général où il y avait bien environ quatre cents frères. D'après d'autres témoignages, il se serait encore trouvé dans cette dernière ville vers 1295, puis vers 1302 ou 1303.

Sidon

Sidon
Sidon

A cette dernière époque tout au moins, Jacques avait un compagnon, « socius Magistri » ; c'était un picard du nom de frère Geoffroi. Le nom de ce compagnon du grand-maître se retrouve d'ailleurs dans la déposition d'un notaire italien, Antonio Sici, qui avait été longtemps des familiers du Temple, et qui dit avoir vu jadis à Sidon un certain frère Geoffroi qui fut dans la suite Maître de l'Ordre.

Il n'est pas aisé, à l'aide du seul Procès, de préciser l'époque à laquelle Jacques de Molay fut désigné comme grand-maître du Temple. Est-ce comme tel qu'il tint, vers 1295, à Paris, un chapitre général où l'on ne compta pas moins de deux cents frères, parmi lesquels le visiteur de France, le précepteur de Normandie, celui de la baillie de Châlons, le frère du Temple receveur des revenus de Champagne pour le roi, le trésorier du Temple de Paris ?

Vers la même date, il se trouve avec son chapelain au Temple de Dijon ; il est de nouveau à Paris vers 1297.

Il se pourrait que Jacques de Molay ait été élu grand-maître vers 1294 ou 1295 ; c'est, en effet, dans le courant de cette année 1295, qu'il aurait quitté Chypre pour faire un court séjour en France et en Angleterre et, de là, regagner le siège de l'Ordre.

Arrêté au mois d'octobre 1307, il assistera à l'agonie du Temple ; il entendra les cris de douleur de ses malheureux Frères, il verra de sa prison les flammes de leur bûcher ; s'il peut se flatter un instant de leur survivre malgré mille tourments, il lui faudra perdre cette dernière illusion pour finir également sur le bûcher (18 mars 1314), après six ans passés dans les pires misères.

Lui et Gui Dauphin furent apparemment les dernières victimes du Temple. C'est à Paris, dans l'île du Palais, qu'eut lieu le supplice, comme en fait foi la lettre de non-préjudice, écrite en ce mois de mars 1314 à la requête de l'abbé de Saint-Germain-des-Prés. Cette lettre ne mentionne d'ailleurs pas leurs noms ; elle déclare seulement que le roi n'a entendu porter aucun préjudice aux droits des religieux en faisant brûler, dans une île de la Seine, deux hommes qui avaient été autrefois Templiers. Ces deux hommes étaient, l'un le grand-maître, l'autre un cadet des Dauphins d'Auvergne, et l'on peut se demander pourquoi Philippe le Bel affecta de les confondre avec la masse des religieux du Temple. Sans doute les malheureux Templiers n'avaient-ils pas perdu encore toute sympathie.

La commission
Pour les parisiens, le procès des Templiers avait duré trop longtemps, il était derrière eux. Les difficultés de la vie avaient pris le pas sur ce qui se passait dans les geôles du roi. Les chroniqueurs eux mêmes s'intéressaient à d'autres évènements.

Mais, l'annonce d'une cérémonie plus qu'étrange se préparait à Paris le 18 mars 1314, sur le parvis de Notre-Dame, le peuple, les chroniqueurs accoururent et virent pour la dernière fois Jacques de Molay.

Ce fut comme une apparition, beaucoup d'entres-eux pensaient qu'il était depuis longtemps mort en prison ; et puis, bien peu d'entres-eux ont pu reconnaitre en ce vieillard chargé de chaines, courbé, blanchi par l'âge et la captivité, le dernier grand maître de cet illustre Ordre du Temple, le champion de la chrétienté en Orient.

Le libérateur de la Terre Sainte, l'égal des rois, le maitre de cet Ordre jadis si puissant et célèbre qui portait un nom sacré, le Temple.

Le pape Clément V par une bulle du 22 décembre 1313, avait décidé définitivement du sort de Jacques de Molay et des autres principaux chefs de l'Ordre détenus à Paris, plusieurs prélats : Arnauld de Farges, neveu de Clément V ; Arnauld Novelli, moine de Cîteaux, pensionnaire de France ; Nicolas de Fréanville, frère prêcheur, autrefois confesseur et conseillier du roi, de la famille de Marigny, qui prit pour adjoint son parent, l'archevêque de Sens ; plus quelques autres évêques et décretistes ou docteurs en droit canon. Les Templiers qu'il s'agissait de juger définitivement étaient, outre Jacques de Molay le grand maître ; Hugues de Pairaud ou Paraud, visiteur de France ; Godefroy de Goneville, précepteur d'Aquitaine et du Poitou ; et Gui, frère du dauphin d'Auvergne, précepteur de Normandie.

On dressât devant l'église Notre Dame de Paris un échafaud et une chaire, l'échafaud était assez étendu pour donner place à la commission et aux prisonniers. D'après quelques historiens, on dressa en même temps, tout près, un bûcher ; mais rien ne prouve ce détail, et l'on voit seulement, par la suite des faits, que les matériaux du moins de ce bûcher étaient préparés non loin de là.
Puis on amena les prisonniers. La commission parut à son tour, et la séance commença.

Un des prélats occupant la chaire fit un discours où se trouvait l'éloge de toutes les grandeurs triomphantes du temps. On fit ensuite donner lecture de quelques pièces, notamment des interrogatoires faits à Chinon du 17 au 20 août 1308, interrogatoires contenant les prétendus aveux des accusés présents, et tout aussitôt sans désemparer, comme s'il n'y avait pas lieu de s'attendre à une protestation quelconque, on lut la sentence qui condamnait les quatre accusés à une détention perpétuelle.

Deux des accusés gardèrent le silence et s'inclinèrent sous l'arrêt qui les frappait ; c'était Hugues de Pairaud et Gedefroy de Goneville.

Les deux autres, Jacques de Molay et Gui d'Auvergne, protestèrent très hautement contre les aveux qui leur étaient attribués. La commission, fort troublée de cet incident qu'elle ne prévoyait pas, leva la séance, et en renvoya la suite au lendemain, pour délibérer.

Mais le roi Philippe Le Bel, promptement instruit de ce qui se passait, ordonna que l'on plaçât immédiatement et sans délai les deux accusés sur un bûcher, élevé à la pointe occidentale de l'ile de Notre Dame ; Jacques de Molay et Gui Dauphin furent ainsi brûlés le 18 mars au soir 1314.

Les chroniqueurs assez peu nombreux, qui nous ont transmis les éléments de ce récit sommaire des faits remarquent tous que le roi donna l'ordre de brûler les deux Templiers sans prendre l'avis des prélats commis par le pape pour le jugement définitif, sans même consulter les clercs de son conseil.

Le continuateur de Guillaume de Nangis s'exprime ainsi :
»Le roi ayant communiqué avec les siens, sans appeler les clercs, par un avis prudent, vers le soir du même jour... »
»Sans avoir attendu le jugement prononcé par l'Eglise, dit un autre chroniqueur... »
»Sans nullement provoquer et sans attendre un jugement ecclésiastique, bien qu'il y eût alors à Paris deux cardinaux députés par le Saint-Siège apostolique ». Dit un troisième chroniqueur.

D'après les historiens, d'accord en ce point avec les chroniqueurs, Jacques de Molay et Gui ont rétracté, le 18 mars 1314, leurs aveux de Chinon. Mais il est probable que les chroniqueurs et les historiens se sont ici trompés.

Quand on lit à Jacques de Molay en 1309, devant la commission papale, ses prétendus aveux de Chinon, il fait mieux que de les rétracter, il leur oppose un démenti absolu ; il nie que ces aveux aient été fait par lui.

Jacques de Molay n'a point dû changer de langage devant les commissaires de 1314 ; et ce qui le prouverait, ce sont les termes dont se sert le continuateur de Guillaume de Nangis : « Le maître d'outre-mer (Jacques de Molay) et le maître de Normandie (Gui Dauphin), se défendant opiniâtrement contre le cardinal qui venait de parler et contre l'archevêque de Sens, ils en reviennent à renier leur confession et tous leurs aveux précédant, sans respect pour la dignité des personnes (nec reverentiae parcentes) ».

Il n'y a qu'un démenti qui porte avec soi une insulte aux personnes à qui on l'adresse.

D'après le continuateur de Guillaume de Nangis, beaucoup admirèrent les deux templiers lorsqu'on les vit démentir avec vigueur les aveux qui leur étaient opposés : « Non absque militorum admératione » ; et quand les deux templiers furent sur le bûcher, l'impression de la multitude fait plus dire encore le continuateur de Guillaume de Nangis, si hostile qu'il soit, ne peut se défendre de quelque émotion : « Ils parurent soutenir les flammes avec tant de fermeté et de résolution, que la constance de leur mort et leurs dénégations finales frappèrent la multitude d'admiration et de stupeur ».
Sources : Nouvelle biographie générale depuis les temps les plus reculés jusqu'a nos jours - Tome Trente-cinquième - Publication de MM. Firmin Didot Frères -Imprimeurs-Libraires de l'Institut de France - 1861

Personnel du grand-maître
Le Procès nous donne les noms de quelques-uns des frères qui furent à la suite de Jacques de Molay.

C'est d'abord son chapelain, frère Guillaume de Bissey, lequel était originaire du diocèse de Langres. Il avait dû être arrêté avec le grand-maître, car il comparut devant les enquêteurs dès le mois d'octobre 1307 ; bien que prêtre, lors de sa réception, il aurait été soumis aux mêmes formalités bizarres sinon coupables qui auraient fait le fonds de toute réception.

Un pauvre frère, Aime ou Aimon de Barbonne, dans l'interrogatoire qu'il subit en 1309, dit avoir gardé la chambre du grand-maître durant trois années outre mer : « tenuerat seu custodierat cameram Magistri ultra mare ». Un autre frère servant, Pons de Bonoeuvre, avait, lui aussi, eu la garde de la grand-chambre du grand-maître, alors qu'il était en Chypre : « fuerat custos magne camere magni magistri ultra mare per dimedium annum circa, antequam dictus magister veniret citramare ».

Ceux-là n'accusent pas le grand-maître. Mais un frère servant du Temple, originaire du diocèse de Besançon, Guillaume « de Giaco », reçu seulement vers 1303 et qui avait été attaché à la maison de Jacques de Molay comme « frater serviens de domo et familia majoris magistri Templi, prepositus harnesiis et animalibus suis » ne craignit pas de dire qu'il avait eu, en Chypre, des rapports charnels avec le grand-maître.

Il ne fut, d'ailleurs, pas le seul qui osa prétendre qu'on avait abusé de lui, témoin ce Pierre de Safed, originaire d'Acre, frère servant du Temple et « constitutus in domo majoris magistri ordinis Templariorum super ganisionibus (sic) dicte domus », qui avait été reçu à Nicosie, vers 1302 ou 1303, par J. de Molay lui-même, en présence du compagnon du grand-maître, le frère Geoffroi, picard. Il n'hésita pas à affirmer aux enquêteurs qu'on aurait abusé de lui « carnaliter » : c'était de nuit, et le prétendu coupable aurait été un Templier espagnol du nom de Martin Martin.

En réalité, Pierre de Safed avait été maître-queux du grand-maître. Jacques de Molay parle même de ce serviteur dans le second interrogatoire qu'il lui fallut subir, en novembre 1309 : « Frater Petrus de Safet..., coqus seu serviens ».

Bien que les derniers grands-maîtres aient eu des compagnons que l'on pourrait parfois confondre avec eux puisqu'ils sont souvent désignés comme maîtres de l'Ordre, à l'instar de ceux qui l'étaient réellement, il nous semble néanmoins que l'on doive voir en eux des compagnons, « socii », plutôt que les successeurs désignés de ces mêmes grands-maîtres, et de fait, des trois « socii » que le Procès nous a fait connaître, Florent « de Villa », Roncelin et Geoffroi, aucun ne nous semble avoir eu quelque autorité.

Le maréchal du Temple
C'était un des personnages importants dans le Temple après le grand-maître; il résidait en Chypre depuis l'abandon des possessions de Syrie.

Comme le dernier grand-maître, le dernier maréchal du Temple fut un français, « frater Aymé de Osiliers (alias : Osselier, Osseliers), mareschalcus ordinis in partibus [Cypr]aneis », alias « mareschalcus ordinis militie Templi, miles ». Il n'y avait d'ailleurs pas longtemps que le frère Aime ou Aimon était maréchal de l'Ordre ; reçu en France, vers 1276, par un certain frère Gui, en présence des frères Jean, précepteur de France, et Guillaume, chapelain, Aimon semble avoir été longtemps précepteur en France.

Domaine du Temple de Mormant
Département: Haute-Marne, Arrondissement: Chaumont, Commune: Leffonds - 52

Domaine du Temple de Mormant
Domaine du Temple de Mormant

Tout ce que nous savons sur lui, c'est qu'il assista à la réception faite à Paris, vers 1295, de celui qui devait être le dernier « drapier » du Temple, qu'il se trouva, vers 1300, à une autre réception, mais en la maison bourguignonne de Mormant, et que, vers la même époque, il était à nouveau au Temple de Paris. Sans doute était-il déjà précepteur du Temple dans le comté de Bourgogne, comme vers 1303 et 1304, époque à laquelle il procéda à une réception en une maison du diocèse de Besançon. Il aurait reçu également vers 1303 un chevalier en la maison du Temple de La Neuville, près Châlons.

Il est probable que c'est peu après, vers 1304, qu'il fut élu maréchal du Temple. Comme tel il aurait eu l'occasion de recevoir un autre chevalier en une maison du Temple, sise en Morée. Une des dernières réceptions qu'il ait faites, sinon la dernière, eut lieu à Nicosie, en Chypre, en 1307, très probablement à la suite d'un convent tenu par lui à la place du grand-maître.

Le drapier ou sous-maréchal
Le drapier ou sous-maréchal, « drapperius vel submareschalcus in Cypro », ne saurait être séparé du maréchal.

Au temps de Guillaume de Beaujeu, vers 1285, le drapier, qui était un certain Pierre de « Severi », aurait été vu à Acre par frère Gui Dauphin.

Un autre drapier, le dernier sans doute, fut le frère Jean de la Ville, un français, reçu jadis au Temple à Paris, « frater Johannes de Villa, drapperius de ordine militie Templi » ; il résidait en Chypre, comme tous les principaux de l'Ordre, depuis la perte de la Syrie.

Jérusalem

Jérusalem
Jérusalem

Il est également un autre sous-maréchal, frère Guillaume, que le Procès indique, comme ayant vécu à l'époque où le royaume de Jérusalem subsistait encore, et où il y avait un précepteur du Temple pour ce royaume, sans parler du drapier : « fratrem Guillelmum, draperium et permarescallum ordinis illarum partium ».

Saint-Jean d'Acre

Saint-Jean d'Acre
Saint-Jean d'Acre

Le précepteur ou commandeur d'Outre-mer
Le précepteur de la Terre d'outre-mer comptait parmi les premiers de l'Ordre. A la fin du XIIIe siècle, les Sarrasins étant parvenus à expulser les chrétiens de la ville d'Acre, leur dernière place-forte, son rôle se trouvera amoindri ; néanmoins il sera encore précepteur de Chypre ou grand précepteur.

Le dernier des précepteurs du Temple, en Syrie, fut aussi un français, le frère Thibaud Gaud déjà nommé, que nous savons avoir succédé comme grand-maître, en 1291, à Guillaume de Beaujeu. Thibaud remplissait déjà ces fonctions vers l'année 1279, car le dernier précepteur de la maison du Temple d'Ivry aurait été reçu à cette époque, au Temple de Paris, « per quemdam fratrem vocatum monachum Gaudi, preceptorem terre Ultramarine ». On le retrouve vers 1285 à un chapitre du Temple à Acre.

Après la perte définitive, de cette ville, le précepteur de la Terre d'outre-mer devint, croyons-nous, le précepteur ou grand précepteur de Chypre. En 1307, ce précepteur était le frère Raimbaud de Caromb, chevalier du Temple, originaire de la Provence, lequel aurait été reçu vers 1265 en une maison du Temple du Comté-Venaissin. Peut-être fut-il le premier et le dernier précepteur de Chypre, bien que l'interrogatoire ne le dise pas. On sait seulement qu'il se trouva assister, vers 1302, à Famagouste, à une réception faite par le grand-maître en personne.

Le turcoplier
L'un des derniers turcopliers du Temple fut le frère Barthélemi « de Gordo », reçu vers 1285 par le précepteur de Provence : « frater Bartholomeus de Gordo, tricopolerius de ordine Templi « ; il remplissait déjà ces fonctions vers l'an 1300, époque à laquelle il se trouvait momentanément en la maison du Temple de Paris.

Ce fonctionnaire du Temple ne nous est connu que par le procès de Chypre ; ce même procès nous donne également le nom d'un frère Bertrand, également turcoplier, lequel se serait trouvé vers 1307 à Nicosie.

Enfin, un frère du Temple aurait été reçu vers 1302 à Famagouste en présence du frère « Dalmare de Tymono », également turcoplier.
Le Turcople : cavalier rapide et léger.
Les Turcoples : escadron de cavalerie légère, le chef est un Turcoplier.
Turcople signifie fils de Turc.

Le vexillarius Templi ou vessilier

Vessillarius, Beaucent, Oriflame
Vessillarius, Beaucent, Oriflame

Il n'était pas jusqu'au porte-étendard du Temple qui ne fût aussi français, à l'époque qui nous occupe. C'était Pierre de « Bordens », lequel avait été reçu, vers 1284, en la maison du Temple de Toulouse : « frater Petrus de Bordens, de Tholosa, vexillarius de dicto ordine Templi », alias : « frater Petrus Borden, de Tholosa, vessillarius de dicto ordine Templi ». Sa résidence était naturellement en Chypre, cette île étant devenue le chef-lieu de l'Ordre, et c'est là même qu'il fut interrogé en 1310.
VEXILLARIUS, VEXILLATIO.
On a vu dans l'article SIGNA (p. 1310) que, à côté de l'aquila et des signa, il existait, sous forme de drapeau d'étoffe flottante, une sorte d'enseigne militaire spéciale appelée VEXILLUM.

Procureur du Temple en cour de Rome
Il semble difficile d'admettre que le Temple n'ait pas eu de maison à Rome. C'était là sans doute que résidait, à la fin du XIIIe siècle, le prêtre ou frère chapelain, procureur des Templiers en cour de Rome, frère Pierre de Bologne.

Pierre était procureur général pour l'Ordre tout entier « : « presbyter et procurator ordinis in curia Romana » ; « frater P. de Bononia, presbyter, procurator generalis in curia Romana totius ordinis » ; « messire Pierre de Bonogna, prestre » ; « frater Petre de Bonogna, frère chapellans » ; il tirait son nom de la maison du Temple de Bologne, où il avait été reçu vers 1282.

Gui Dauphin
Le nom de Gui Dauphin, qui était frère de Robert III, dauphin d'Auvergne, et qui périt sur le bûcher avec le grand-maître, le 18 mars 1314, n'aurait peut-être pas dû se trouver séparé de celui de Jacques de Molay.

Ce n'est pas que Gui paraisse avoir rempli des fonctions bien importantes comme Templier ; il fut plutôt, si nous ne nous trompons, une sorte d'irrégulier. De naissance illustre, il dut profiter de cette situation privilégiée pour conserver toujours une certaine liberté d'allures, et, bien que sans fonctions importantes, sans doute parce qu'il ne les brigua pas, il fut quand même un des personnages les plus considérables de l'Ordre.

Gui Dauphin comparut par deux fois en personne devant les enquêteurs, en 1307 et en 1311. Il ne dit pas qu'il ait été mis à la torture, mais cette question n'est posée à aucun des inculpés dans les deux procès de Paris ; il est à supposer cependant, étant donnée la piteuse déclaration qu'il fit le 19 octobre 1307, qu'il avait dû faire connaissance avec les tortionnaires. Nous voulons oublier ce moment de faiblesse de Gui et du grand-maître, pour ne nous souvenir que de la mort héroïque de ces deux hommes, qui, en montant sur le bûcher, rétractèrent les prétendus aveux qu'on leur avait arrachés par la peur ou la ruse, et proclamèrent l'innocence de leur ordre.

Gui Dauphin, originaire du diocèse de Clermont, avait environ quarante-un ans en janvier 1311. Cadet des Dauphins d'Auvergne, ses parents en avaient fait, bon gré mal gré, un Templier ; c'est lui-même qui le dit.

Il n'avait guère que onze ans (certains textes disent 15 ans), lorsque son père, accompagné du seigneur de Mercoeur et de beaucoup d'autres nobles, l'avait amené à la maison du Temple de La Ronzière ou « La Vausete », au diocèse de Clermont, vers l'an 1281. Avant même qu'il eût entendu la messe, Mercoeur l'avait armé chevalier ; puis il avait été reçu dans le Temple par le précepteur d'Auvergne lui-même, le frère Francon de Bort (alias de Born).

Gui Dauphin était bien jeune à son entrée dans l'Ordre, mais son âge n'a rien qui puisse étonner ; c'était assez la coutume, dans les grandes familles chevaleresques, de confier ainsi leurs cadets, dès l'âge de douze ou treize ans, à quelque Ordre religieux, et on en trouve plus d'un exemple dans le Procès. Ce qui surprend davantage, c'est que l'Ordre ait cru pouvoir diriger sur l'Orient d'aussi jeunes recrues ; or, Gui était à Acre dès l'an 1285. Même il avait assisté à un chapitre du Temple tenu en la maison de cette ville et à la suite duquel avaient eu lieu des réceptions, entre autres celle d'un frère Roncelin, plus tard compagnon du grand-maître. Ce chevalier, originaire de Provence, aurait été reçu par le grand-maître d'alors, frère Guillaume de Beaujeu, en présence des frères Thibaud Gaud, précepteur de la Terre d'Outre-mer, Jacques de Molay, Pierre de « Severi », drapier de l'Ordre, Pierre de « Montade », précepteur du Temple à Acre, Florent « de Villa », compagnon du grand-maître.

Puis Gui était revenu en France. A la fin du XIIIe siècle, il est précepteur d'une maison du Temple au diocèse de Bourges, celle de Jussy-le-Chaudrier ; comme tel, il aurait eu occasion de procéder à plusieurs réceptions. C'est ainsi qu'un frère servant berger fut reçu par lui en cette maison ; qu'un autre fut également reçu par lui, vers 1298, en présence du frère Jean de « Manaco vel de Aqua sparsa », prêtre, et du frère Reynaud des Bordes, sous-précepteur de la maison, lequel, selon toute probabilité, était le véritable précepteur de Jussy. Nous voyons aussi Gui aller présider des réceptions dans des maisons peu éloignées, entre autres dans la maison du Temple de Charnat (63), au diocèse de Clermont, en présence du précepteur de la maison, vers l'année 1303, et vers la même époque ou en 1304, dans une maison du même diocèse, le Temple de Celles de Jussy, Gui aurait d'ailleurs passé comme précepteur à Celles.

Les Visiteurs
En France, celui qui pouvait commander à tous après le grand-maître, lequel était le plus souvent hors de France, c'était le visiteur, « visitator Francie ». A l'époque du procès, cette charge était entre les mains de Hue de Perraud. Le nom de ce personnage est souvent prononcé dans le Procès, car, du nord au midi, il n'est guère de maison du Temple où, véritable chevalier errant, Perraud n'ait fait une apparition plus ou moins fugitive. Cité, pour ainsi dire, à chaque page du Procès, on ne rencontre pas dans toutes ces dépositions un seul mot qui lui soit défavorable.

Le visiteur de France remplaçait donc le grand-maître absent ; c'est ainsi qu'un Templier qui avait été reçu au Temple de Paris, vers 1279 - et à qui l'on demandait de désigner ceux des principaux de son Ordre qui tenaient les chapitres, - se reportant à une époque déjà lointaine, répondit : par le grand-maître (alors Guillaume de Beaujeu) et quelquefois par le frère Hue de Perraud.

Cet Hue de Perraud, qui eut la malchance d'être le dernier visiteur du Temple et qui devait être tout nouveau dans ses fonctions lorsque mourut Guillaume de Beaujeu, aurait même été visiteur général de l'Ordre, d'après le passage suivant du Procès anglais : « quod frater Jacobus de Molay nunc magnus magister et frater Hugo de Peraut, generalis visitator ordinis, visitaverunt in Anglia et tenuerunt capitula ».

Avant de parler de Hue comme visiteur de France, il convient de citer son prédécesseur Geoffroi de Vichiers, « frater Guaufredus de Vicheyo, visitator ordinis ».

Vers 1288, Geoffroi est à Marseille ; il préside à une réception en une maison de l'Ordre qui se trouvait être dans une île, non désignée, qui était près de cette ville. Un peu plus tard [après 1290], il fait une réception au temple de Villegats, dans le diocèse de Poitiers : « per fratrem Gaufredum de Vilzero militem quondam, tunc visitatorem citra mare ». Il fait une réception, vers 1293, au Temple de Fontaines-sous-Mont-didier, et aurait été de nouveau, vers 1297, à Villegats en Poitou ; mais cette date n'est sans doute pas exacte, car elle se trouve par trop en contradiction avec celles indiquées en d'autres endroits pour Hue de Perraud.

Geoffroi de Vichiers eut pour successeur Hue de Perraud, de la même famille peut-être qu'un certain « Ymbertus de Parado », également chevalier du Temple, lequel aurait reçu vers 1265, au Temple de Beaune, Jacques de Molay. Le nom de Hue, nous l'avons dit, se rencontre fréquemment dans le Procès, et sous des formes orthographiques parfois fantaisistes ; nous nous en tenons à la forme suivante contenue dans une cédule en français : « frère Hue de Peraut, commandeur de France ».

Lors de la chute de son Ordre, Hue était parmi les anciens ; il devait être à peu près contemporain du grand-maître, aussi bien comme réception que comme âge, ayant assisté à une réception faite au Temple de Paris, vers l'an 1267. Nous ne saurions dire par quelles étapes il dut passer avant d'être visiteur du Temple en France et en Angleterre, car il n'a pas pris le soin de nous le faire savoir, ayant été assez heureux pour pouvoir s'enfuir lors de l'arrestation de ses frères du Temple ; il paraît cependant avoir été précepteur de la maison du Temple d'Epailly, vers l'an 1285.

Comme visiteur, on le trouve à Lyon ou non loin, au Temple d'Albon, vers 1291 ou 1292, au Temple de la Neuville près Châlons vers 1293, à Paris vers 1294, 1297,1303 et en 1307. Le plus souvent, sa présence est motivée par la tenue d'un chapitre, pendant lequel ont lieu les admissions dans l'Ordre ; c'est ainsi qu'en 1294 il procède à une réception dans la grande chapelle du Temple de Paris, à la suite d'un chapitre général auquel auraient assisté soixante-dix frères. En 1297, le Visiteur cède un instant le pas au Grand-Maître qui était alors à Paris ; mais il préside, vers le mois de juin 1303, un autre chapitre général. Le 2 février 1307, Hue de Perraud fait encore des réceptions à Paris, parmi lesquelles celle d'un chevalier qui ne fut guère envoyé au Temple de Prunay que pour y être arrêté.

Ce n'est pas à Paris seulement qu'on trouve Hue de Perraud comme visiteur de France. Ainsi, il n'aurait pas été moins de trois fois au Temple de Sommereux, vers 1297, l'année d'après et vers 1300, accompagné cette fois de son lieutenant, frère Guillaume de Lus, « fratri Guillelmo de Lunis, socio dicti fratris Hugonis ». Peut-être est-ce avant de se rendre à Sommereux ou à son retour, qu'il se serait arrêté une seconde fois au Temple de Fontaines-sous-Montdidier, vers la fin de l'année 1297. En cette même année, on le trouve également en une maison quelque peu éloignée des commanderies ci-dessus, à Coulours-en-Othe ; il passe vers 1300 par une maison du Temple du diocèse de Troyes, puis, au mois d'octobre de la même année, il préside à une réception au Temple de Mormant dans le diocèse de Langres. Vers 1303, il est à Sancey, au diocèse de Troyes; il est, à Noël, à Bure-les-Templiers ; assisté de son chapelain le frère Etienne, il reçoit vers 1304, à Beaune, et, la même année, on le trouve au Temple de Messelan. L'année qui suit, il est assez loin de la capitale, car il fait une réception au Temple de Montélimar ; il ne devait cependant pas tarder à revenir vers le nord, car en 1306, si ce n'est en 1305, il passe par Beauvais. Comme on a pu le voir par ces quelques exemples, le visiteur de France avait une vie bien remplie ; les réceptions qu'il pouvait faire dans les diverses commanderies n'étant que l'accessoire, le but réel de ses visites était de veiller à la bonne administration des biens du Temple. Il avait, il est vrai, des lieutenants, des compagnons, socii, et nous avons cité frère Guillaume de Lus ; en 1307, il en aurait eu un autre, tout jeune chevalier du Noyonnais, frère Pierre de « Bocli », lequel avait été reçu à Paris vers l'an 1298 ou 1299.

Suivi ou non de ce compagnon, le visiteur se faisait accompagner de son chapelain et de frères servants, sans oublier le barbier, « frater Christianus barbitonsor Visitatoris Francie ».

Visiteurs de France
Vers 1288-1293, frère Geoffroi de Vichiers, chevalier
Vers 1294-1307, frère Hue de Perraud, chevalier.

Lieutenants du Visiteur
Vers. 1300, frère.Guillaume de Lus ;
en 1307, frère Pierre de « Bocli », chevalier.

Procureur général de l'Ordre en France
L'ordre du Temple avait, comme nous l'avons vu, un procureur à Rome ; les maisons du Temple françaises semblent avoir eu le leur à Paris, indépendamment de celui qui résidait dans la Ville éternelle. Le procureur en France, à l'époque du Procès, aurait été un prêtre du Temple, frère Robert de Beauvais, « fratre Roberto de Belvaco presbitero, tunc procuratore generali Ordinis in Francia », et c'est en cette qualité qu'il aurait assisté à un chapitre général tenu au Temple à Paris, vers 1294.

Robert est aussi désigné sous deux autres noms, celui de Saint-Just et celui de Saint-Pantaléon (Saint-Just, parce qu'il était originaire de cette petite ville ; Saint-Pantaléon, parce qu'il avait été précepteur de la maison du Temple de ce nom à Beauvais, et peut-être aussi de la baillie du Temple de Beauvais) : « frater Robertus de Belvaco, ab aliquibus nominatus frater Robertus de Sancto Pantaleone et ab aliis frater Robertus de Sancto Justo, pro eo quod fuit ortus de Sancto Justo et tenuit domum Templi de Sancto Pantaleone et de Belvaco »

Bien qu'il soit assez difficile de dire exactement les diverses fonctions de ce Templier, même d'après les nombreux passages du Procès qui le concernent, il est un fait cependant certain, c'est que Robert fut un des personnages les plus considérables du Temple, en France. La modeste extraction de cet humble prêtre ne suffisant pas à expliquer l'importance relative des charges à lui confiées, on est amené à penser qu'il avait dû faire preuve de qualités administratives et d'aptitudes toutes spéciales.

On sait qu'il fut reçu en Angleterre, en la maison du Temple de Stamford, par le grand précepteur d'Angleterre. Soit comme précepteur de la maison de Beauvais ou de la baillie de ce nom, soit comme procureur, on le trouve faisant des réceptions en nombre de maisons du Temple ; par exemple à Sommereux, vers 1291, vers 1298 et en 1303. Vers 1297, il assiste à des réceptions faites au Temple à Paris par le grand-maître J. de Molay. En 1301, deux réceptions sont faites par lui dans les maisons picardes de la Rosière et d'Aimont ; à Oisemont, autre maison de Picardie, il aurait présidé un chapitre. Puis il procède à des réceptions au Temple de Morlaine au diocèse de Beauvais, vers 1302 sinon vers 1301, ou bien des réceptions sont faites sur son ordre dans cette dernière maison. Il fait encore, vers 1303, une réception à Loison, dans le nord de la Picardie, et on le retrouve la même année, en juin, à Beauvais.

Si le Procès ne nous permet de citer comme procureur du Temple en France que Robert de Beauvais, il ne faudrait pas induire de là que la fonction était nouvelle dans l'Ordre, et nous mentionnerons en passant les frères Geoffroi Foucher, procureur en 1171, et Gui de « Brienc » (sic), procureur en 1202, sans oublier Eustache le Chien, précepteur du Temple de Paris en 1172, et qualifié procureur dans certains actes de la môme époque.

Chapitres généraux et chapitres provinciaux du Tenple
On sait qu'après les désastres survenus en 1291, les Templiers, abandonnant la Syrie, s'étaient réfugiés en Chypre ; ce fut là que se tint à l'avenir le convent ou conseil supérieur du Temple, là, c'est-à-dire à Limisso, que se tinrent les chapitres généraux.

Ces chapitres étaient secrets, en ce sens que les personnes étrangères à l'Ordre ne pouvaient y assister. L'accusation, arguant de cette clause de la règle et en exagérant beaucoup la portée, tendrait à faire croire que les maisons du Temple auraient été entourées de mystère, mais en vain. Un Templier interrogé en Chypre dit, d'ailleurs : « tamen per domos et curiam et clausuras domus Templi poterant familiares Templi et alii stare, excepto in ecclesia vel loco proprio ubi flebat capitulum ». En résumé, tout le monde avait accès dans la maison du Temple, exception faite pour le lieu où se tenait le chapitre, et où l'on traitait des affaires de l'Ordre, ce qui n'a rien que de très naturel et d'absolument normal. De là à supposer qu'il se passa dans ces réunions des choses illicites, et que les Templiers ne s'entourèrent d'un tel mystère que pour vénérer plus à leur aise je ne sais quelles idoles, il y a fort loin, en dépit de l'accusation portée contre eux et des prétendus aveux qu'on leur arracha.

Cela est d'autant plus difficile à admettre, que les chapitres de quelque importance étaient toujours précédés de la messe dite du Saint-Esprit : « capitulia tenebantur, celebrata prius in generalibus capitulis missa de Sancto Spiritu », et l'on conviendra qu'il eût été bien singulier d'aller exhiber des idoles après avoir fait célébrer la messe.

Ces chapitres étaient tenus de jour et, quand il y avait urgence, de nuit : « eorum capitula fratres dicti ordinis [Templi] consueverunt tenere communiter de die in mane, celebrata missa et dicta Prima. Et aliquando, cum erant fratres multis negotiis implicati propter multitudinem negotiorum, faciebant in média nocte ».

Quant au dignitaire du Temple qui présidait les chapitres généraux, du moins en Chypre, le dernier précepteur du Temple de Brindisi ou Chateau de Brindisi va nous le faire connaître : « In capitulis in quibus ipse interfuit, in conventu ultramarino, audivit a magno magistro quando ipse tenebat capitulum, et a marescallo conventus predicti qui tenebat locum magistri, quando erat absens, et a preceptore Terre ultramarine, quando, predictis magno magistro et marescallo tîbsentibus, tenebat capitulum in conventu predicto, et a preceptore militum, quando, loco predictorum absentium, tenebat capitulum in conventu... ». Bien entendu, tous les Templiers n'avaient pas accès dans les chapitres, et l'on ne voit pas trop ce que les frères servants, si utiles cependant, par ailleurs, auraient pu y faire ; aussi l'un d'eux dit-il simplement et sans fiel : « non vocabatur ad concilia eorum pro eo quod erat simplex et habebat curam molendinorum ».

Quand le grand-maître était par hasard en France ou en Angleterre, il tenait de droit les chapitres ou conciles généraux ; en son absence, ces chapitres étaient présidés le plus souvent par le visiteur du Temple en France. Un frère du Temple reçu vers 1179, à Paris, parle de chapitres tenus jadis par le grand-maître Guillaume de Beaujeu, et quelquefois par Hue de Perraud.

En dehors des chapitres importants tenus à Paris, il est fait mention, dans le Procès, de chapitres tenus dans un grand nombre de commanderies, soit outre-mer, soit en Italie, en Espagne, en Angleterre ou en France. Guillaume de Beaujeu aurait, vers 1285, tenu un chapitre à Acre ; après la prise de cette ville, un chapitre général est tenu à Nicosie en Chypre par le nouveau grand-maître, en présence de quatre cents frères ou environ. Baudouin de Saint-Just, le dernier précepteur du Temple en Ponthieu, dit avoir assisté à des chapitres, à Paris et en Chypre ; un autre frère du Temple parle de chapitres tenus outre mer par le frère Adémar de Peyrusse, et en Auvergne par le frère Humbert Blanc.

En Italie, un chapitre fut présidé par le précepteur du Temple en Sicile, en la maison de Barletta ; en Espagne, des chapitres furent tenus dans les maisons du Temple de Miravet et de Monzon. A un chapitre général tenu vers 1305 à Lerida, il y aurait eu plus de cent frères ; des chapitres généraux furent célébrés aussi à Monzon. Tout près de la frontière d'Espagne, en la maison française du Mas-Deu, des chapitres eurent lieu parfois, ainsi qu'à Montpellier, où se serait tenu un chapitre général ou chapitre provincial ; à Sainte-Eulalie, dans le diocèse de Rodez ; à Paulhac, où l'on trouve les précepteurs d'Auvergne et plus au nord à Auzon. Un chapitre général (plus exactement, provincial), fut même tenu dans cette maison vers 1295 par le précepteur du Poitou, Amblard de Vienne. Mais les chapitres les plus importants eurent lieu à Paris - chapitres simples ou chapitres généraux qui étaient toujours l'occasion de nouvelles recrues pour le Temple. C'est ainsi que des réceptions furent faites après un chapitre général tenu au Temple de Paris vers 1294, en présence de plus de soixante-dix frères ; il y aurait eu environ deux cents frères au chapitre général présidé par Jacques de Molay, vers 1295. C'est en présence de tout le chapitre assemblé, dans la grande chapelle du Temple de Paris, le jour de Saint-Jean-Baptiste de l'année 1298 ou 1299, qu'un certain Pierre de « Bocli », originaire du Noyonnais, avait été reçu chevalier du Temple par le visiteur de France, Hue de Perraud. Pierre, qui n'avait pas vingt-cinq ans lors de la chute de l'Ordre, n'en avait pas moins été choisi comme compagnon (socius) par le visiteur.

Autre chapitre général tenu à Paris par le même visiteur, à la Saint-Jean-Baptiste de l'an 1300 ou environ, et à l'occasion duquel furent reçus deux prêtres, deux chevaliers et deux sergents.

Guillaume d'Herblay, frère sergent du Temple, que nous avons déjà rencontré comme aumônier du roi (elemosinarius régis), et qui était en même temps précepteur d'une maison du Temple, parle, dans son interrogatoire, de réceptions faites en deux chapitres généraux tenus à Paris par Hue de Perraud, vers 1301 et 1303. Le dernier de ces deux convents, tenu à la Saint-Jean 1302, aurait même eu lieu dans la grande chapelle de la maison.

A défaut du visiteur, c'est le précepteur de France qui tenait chapitre à Paris. Ainsi Gérard de Villiers, maître de [la baillie de] France, aurait présidé un chapitre général en 1303 ou en 1301, si l'on en croit le frère Raoul de Gisy, receveur des revenus de Champagne pour le roi.

Un des derniers chapitres tenus à Paris fut sans nul doute celui du 29 juin 1307, car, à cette époque, les jours du Temple étaient comptés.

Aumônes
L'Ordre du Temple faisait-il l'aumône ?
Cette question ne serait pas à poser, si le Procès ne tendait à laisser supposer que les Templiers, non contents d'être des gens fort dépravés, ce que nous nous refusons à croire, n'avaient encore joint à tous leurs vices la plus grande sécheresse de coeur. Or, d'après les réponses contenues dans le Procès, il n'est pas douteux que les frères du Temple aient pratiqué l'aumône, en France comme en Chypre, en Italie ou en Espagne.

Dans toutes les maisons de quelque importance, des aumônes générales avaient lieu trois fois la semaine, selon la règle ; il n'en était pas de même pour les petites maisons ou dépendances. Par exemple, si ces aumônes étaient usitées dans la maison de Saulce-Yonne, elles n'étaient pas pratiquées dans une petite maison voisine, sise en la petite ville de Sainte-Bris.

Les Templiers ne se contentaient pas de donner aux pauvres la dîme du pain qu'ils cuisaient, ils faisaient des dons en argent ou en nature : « qualibet ebdomada, ubicumque ordo Templi habet capellam, datur décima pars panis totius quicoquebatur; in domo ordinis ubi est capella etiam et elemosine in pecunia et aliquando de carnibus, de indumentis, pauperibus militibus, viduis, domicellis » ; ainsi s'exprime un Templier interrogé en Chypre. Un autre Templier chypriote avait, d'ailleurs, vu mettre ces choses en pratique, dans les maisons de Limisso et de Nicosie : « dabatur décima pars panis qui coquebatur in domo ordinis ubi dictus ordo habebat capellam, quod vidit in Nimotio et Nicossia ». Le fait est confirmé par un autre témoin, également templier : « elemosinas magnas vidil fieri Limocii et in Nicossia ».

Si de Chypre on passe en Italie, le précepteur du Temple de Barletta a vu, peu avant la chute du Temple et dans cette maison, faire l'aumône à mille cinq cents personnes dans l'espace d'une semaine. Un chevalier du Temple, espagnol, affirme aussi que son Ordre faisait l'aumône, donnait les reliefs de la table et la dîme du pain cuit dans les maisons ; on donnait également l'eau rougie restant des repas : « vinum limphatum et carnes incise rémanentes in tabula'.

Pour ce qui est des maisons du Temple en France, elles faisaient, selon l'usage, l'aumône trois fois la semaine. En certains endroits, le nombre de ceux qui venaient ainsi demander était si grand que les frères du Temple en étaient réduits à se priver pour satisfaire toutes les infortunes. C'est ainsi qu'en un temps de grande disette (magne carestie), en la maison de Renneville, le précepteur de Normandie aurait fait l'aumône à onze mille quatre cent vingt-quatre personnes. Le blé qu'il distribua cette année-là valait bien 4,000 livres parisis ; parfois même, du vin fut soustrait aux frères pour être donné à ceux qui étaient venus en demander. Dans la maison de Choisy-le-Temple, où l'on donnait trois fois la semaine, on faisait l'aumône à trois mille personnes environ.

Il ne faudrait pas croire cependant que les ressources du Temple aient été inépuisables et que ces aumônes étaient bien dues, étant donnée la richesse de l'Ordre. Le dernier précepteur du Temple de la Villedieu ou Maurepas nous apprend par sa déposition du 2 mars 1311, que le grand-maître s'était vu dans la nécessité de restreindre ces aumônes. Il précise même et affirme que, vers 1295, Jacques de Molay lui aurait enjoint de s'abstenir des aumônes volontaires à cause des grandes dépenses à faire outre mer, en cour de Rome (où le Temple avait un procureur), et ailleurs, tout en faisant cependant les aumônes obligées.

Donnés confrères du Temple
La règle du Temple n'ayant en elle rien de bien sévère ni de particulièrement austère, ne fut pas sans séduire parfois certaines personnes désireuses de fuir le monde et ses ennuis, tout en conservant encore quelques liens avec lui, de là les donnés confrères du Temple.

Les donnés, comme leur nom l'indique, obtenaient, moyennant un don, une donation en argent ou en terres, le droit de vivre de la vie du Temple, ce qui fut pour l'Ordre un moyen très légitime d'accroître peu à peu ses possessions. Il y eut des donnés de tout rang et de toute condition. Pour ne citer qu'un ou deux exemples en dehors du Procès, nous extrayons cette phrase d'une pièce des environs de l'an 1235 : « Cum Bartholomeus de Fraxino donatus esset de Templo et ibi sepulturam suam elegisset, cum fuit mortuus... etc ».

L'une des maisons du Temple dont nous rencontrerons le nom, dans la suite, parmi les templeries du midi de la France, la maison de La Clau, ne devait son origine qu'à la libéralité d'un de ces confrères et donnés du Temple : « Notum sit.... quod ego Grimaldus de Salis et ego Aiglina uxor ipsius.... nos ambo insimul recepti in confratres et donatos domus milicie Templi per Guillelmun Fulchonem, tenentem locum magistri majorisProvincie et Hispanie... damuset concedimus.... villam et municionem seu bastidam quse dicitur Clavis, etc ».

A côté de ces exemples empruntés tous deux à une même région, le Procès nous apprend qu'il y avait, vers 1280, en la commanderie de Paulhac, un prêtre séculier donné du Temple. Un autre, reçu sergent du Temple vers 1301, aurait été auparavant donné du Temple l'espace de dix années ; enfin, un chevalier du diocèse de Clermont ne se serait décidé à prendre la robe de chevalier du Temple (vers août 1306), en l'importante maison de Celles en Auvergne, qu'après avoir été vingt ans donné du même Ordre. Que n'avait-il tardé encore, il eut ainsi évité bien des misères !

Templiers au service de princes
Le cas de ce chevalier, d'abord confrère du Temple et sollicitant, après vingt années, son admission définitive dans l'Ordre, n'est pas un exemple isolé ; on en trouverait d'autres dans le Procès. Que penser alors des accusations portées contre les Templiers, si l'on songe qu'en eux, les princes et même les villes trouvèrent parfois des serviteurs dévoués ? Philippe le Bel eut pour aumônier un certain Guillaume d'Herblay, frère sergent du Temple, originaire du diocèse de Paris, lequel cumula les fonctions, de précepteur de la commanderie de Choisy, au diocèse de Meaux, avec celles d'aumônier du roi.

L'aumônier « elemosinarius » était celui qui distribuait les aumônes ; il est différent du chapelain et ce n'était pas forcément un ecclésiastique. Du Cange, dans son Glossaire, nous donne, au mot « elemosinarii regii », la liste des aumôniers du roi à partir de Philippe le Bel, sans citer cependant Guillaume d'Herblay, ni Jean de Tour, dont nous allons parler.

Guillaume avait environ quarante-cinq ans lorsqu'il fut interrogé pour la seconde fois le 5 février 1311. Il avait subi un premier interrogatoire peu après son arrestation, en octobre 1307, et avait alors déclaré avoir été reçu frère du Temple en l'année 1287 ou environ, au mois de septembre, en la maison du Temple de Fourches, en Gâtinais, par Jean Ier de Tour, trésorier du Temple de Paris.

Bien que précepteur d'une maison du Temple, Guillaume d'Herblay, apparaît surtout dans le Procès comme « elemosinarius regius ». On sait cependant qu'il assista, vers 1295, à un chapitre général tenu à Paris par le grand-maître, et qu'il se trouva à des réceptions faites à Paris, par exemple en 1302. Il est certain qu'en 1307, il était encore l'un des aumôniers du roi.

Jean II de Tour, le trésorier du Temple de Paris, est bien connu ; son nom, ainsi que celui de Jean Ier, se retrouve presque à chaque page dans le Procès et nous aurons à leur consacrer quelques lignes ; ce n'est pas d'eux dont il est ici question, mais d'un homonyme. Il semble bien, en effet, qu'il y ait eu, outre Guillaume d'Herblay, un autre aumônier du roi, également Templier, et se nommant Jean de Tour. Selon nous, il ne serait pas possible de le confondre avec Jean II, car si nous comparons leurs dépositions, nous voyons que l'un, l'aumônier du roi, aurait été reçu en la maison du Temple du Saulce-Yonne au diocèse d'Auxerre, vers l'an 1271, et que l'autre, le trésorier de Paris, n'aurait été reçu que vers 1277 en la maison du Temple de Maurepas, au diocèse de Chartres. Tous deux disent, il est vrai, avoir été reçus par Jean Ier de Tour, le trésorier du Temple de Paris.

Autre différence : l'aumônier du roi avait environ soixante-dix ans en 1307, Jean II, le trésorier, se déclare sexagénaire en février 1311; il y a donc là, malgré la conformité de nom, deux personnages différents.

La déposition de Jean de Tour, l'aumônier du roi, fut au reste celle de tous les Templiers du procès de Paris ; il aurait été, après la cérémonie de la réception, entraîné à part « in quadam capella rétro altare... », puis obligé de cracher sur la croix, etc.

On le trouve à une réception faite vers 1302 à Paris et le frère du Temple, gardien de la maison du Temple de la Druelle, au diocèse d'Amiens, dit avoir assisté à une réception faite par ce même Jean de Tour, aumônier du roi. Si le roi de France eut pour aumôniers des frères du Temple, il serait difficile de nier les rapports incessants que Philippe le Bel eut également avec le trésorier du Temple de Paris, et ce n'est pas sans raison que M. Léopold Delisle a pu dire, dans son Mémoire sur les opérations financières des Templiers, que, pendant plus d'un siècle, l'histoire du trésor du Temple à Paris était intimement liée à l'histoire des finances du royaume.

Nous citerons encore, à cause des charges qu'ils remplirent, plusieurs Templiers, dont les noms nous sont donnés par le Procès : tel, Guillaume Charnier, frère sergent, qui avait été chambellan ou huissier « ostiarius » du pape Nicolas III, et qui avait eu occasion de procéder à une réception en la maison du Temple d'Orvieto en Italie (vers 1281-1285). Un autre, le frère Regnaud d'Argeville, avait été huissier du pape, nous ne saurions dire à quelle époque ; on le trouve à Prunay-le-Temple vers 1285 ; on le voit aussi faisant une réception au Temple de Moisy, vers 1301.

Un autre encore, dernier précepteur de la baillie du Temple en Sicile, aurait été aussi « magister ostiarius » du pape Benoît XI, et en 1307, l'un des chambellans du pape était le chevalier du Temple « Olivarius de Penna, miles, cubicularius tunc domini pape ».

Si Philippe le Bel avait parmi ses « elemosinarii » de pauvres frères du Temple, le duc de Bourgogne avait également pour distribuer ses aumônes l'un de ces Templiers maudits ; c'était le précepteur du Temple d'Épailly, au diocèse de Langres, du moins vers 1293.

Les villes elles-mêmes avaient imité les princes, par exemple Provins. Vers 1287, un Templier de la maison de cette ville était chargé de percevoir les droits de tonlieu de la commune. Cette recette était sans doute peu de chose à côté de celle des revenus de Champagne à percevoir pour le roi. Le receveur investi à cet effet de la confiance royale était pourtant encore un simple sergent du Temple, frère Raoul de Gisy, alias Raoul de Brie ; interrogé en 1307, il se déclarait âgé de cinquante ans et disait avoir été reçu vers 1285 en une maison du Temple du diocèse de Troyes par le frère Hue de Perraud, alors précepteur d'Épailly. En même temps qu'il était receveur des revenus de la Champagne pour le roi (receptor pecunie régie in Campagnia), Raoul remplissait ses devoirs de frère du Temple ; nous avons appris qu'il fut précepteur des maisons du Temple de la Brie et qu'il eut occasion de recevoir un nombre respectable de Templiers dans les maisons de Sancey, de Payns, de Moisy, de Laigneville, etc. Certains passages du Procès le donnent comme précepteur de la baillie de Lagny-le-Sec et de celle de Beauvais, ou encore de celle de Lagny-le-Sec et de celle de Sommereux ; mais les souvenirs des Templiers interrogés ne sont pas toujours très exacts.
Sources : De Trudon des Ormes : Revue de l'Orient Latin - tome V - 1897

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