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Études réalisées sur les Templiers

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Sur les Templiers dans la baillage de Caen

Le mémoire dont je vais rendre compte maintenant offre un intérêt d'un autre genre. Il ne s'agit plus de retrouver l'emplacement d'un château détruit, mais d'obtenir quelques lumières sur un fait historique très important, et enveloppé d'une obscurité difficile à pénétrer. Je veux parler de la fameuse condamnation de l'ordre religieux-militaire des Templiers, sous le règne de Philippe le Bel.

Les historiens ne sauraient établir une opinion uniforme sur ce grand procès, parce que chacun d'eux est suspect d'en parler ou d'après son intérêt, on d'après son préjugé, et que l'autorité avait des moyens de donner à un attentat atroce, l'apparence d'un jugement équitable, en dénaturant les faits et en effaçant les traces de l'iniquité, on ne voit pas trop ce qui pourrait convaincre les esprits, portés à supposer cet abus, qu'il n'a réellement pas existé. Aussi peut-on regarder la question comme encore indécise, et quelque parti qu'on adopte, avouer qu'en n'est point parvenu à une entière certitude. Mais ce doute même ne peut manquer de provoquer toujours de nouvelles recherches, telles que celles dont M. de Larue a offert les résultats dans son mémoire historique, sur les Templiers du grand baillage de Caen.

Le succès tout récent de la tragédie des Templiers, de M. Raynouard semblait assurer à cette discussion une attention plus curieuse ; car, malgré la liberté qu'on ne peut refuser à un auteur dramatique de choisir entre deux sentiments dont chacun à son parti, pour faire d'un ancien événement le sujet d'une pièce de théâtre, il est vrai néanmoins que l'impression sera d'autant plus forte, que le spectateur ou le lecteur sera plus persuadé que ce qu'il voit ou ce qu'il lit est conforme à la vérité.

M. de Larue qui, comme l'annonce le titre de son mémoire, n'envisage pas l'affaire des Templiers dans sa généralité, débute par quelques réflexions sur le défaut de critique et la partialité des écrivains qui ont discuté cette affaire, et sur les règles qu'on doit suivre dans une pareille discussion, pour ne pas obscurcir de plus en plus les faits au lieu de les éclaircir. Il annonce ensuite l'exposé de la procédure exercée à Caen, contre les Templiers du grand baillage de cette ville, formant cinq commanderies occupées par treize religieux : la première, celle de Bretteville-l'Arabel; la seconde, celle de Voismer, dans la paroisse de Fontaine-le-Pin ; la troisième, Celle de Courval, dans la commune de Vassy ; la quatrième, celle de Louvagny ; près Argentan ; la cinquième enfin ; celle de Baugy, dans la paroisse de Planquery, la seule dont on connaisse les fondateurs par une copie collationnée de la charte de fondation, où l'on voit qu'elle fut établie par plusieurs seigneurs Normands, et où l'on trouve les Templiers qualifiés de chevaliers du Christ. C'est aussi sous une semblable dénomination qu'ils sont désignés dans plusieurs donations du Duc Jean-sans-terre : « pauperibus militibus Christi Deo servientibus in templo Salomonis », Comme aucun acte ni aucune pièce du procès, ne fait, mention d'une commanderie de Caen, on doit supposer que l'établissement que leur attribue M. Huet, dans l'emplacement de la rue de Bernière, n'était qu'une maison particulière, où ils descendaient lorsque leurs affaires les appelaient à Caen, et non une commanderie.

Ce fut le 13 Octobre de l'année 1307, que les Templiers des cinq commanderies du grand baillage de Caen furent arrêtés, ainsi que ceux de tout le reste de la France ; cette mesure illégale et extraordinaire ne fut pas le premier coup d'autorité exercé contre cet ordre, comme paraissent le supposer ceux qui l'imputent à la crainte dé quelque sédition causée par le crédit et la puissance des Templiers ; puisque sept jours auparavant, Jean de Vertot, Bailly de Caen, avait fait l'inventaire du mobilier de la commanderie de Baugy, et en avait laissé la garde à cinq sergents du roi qui l'avaient accompagné : prélude manifeste d'un système de violence plus étendu, qui au reste ne donna lieu à aucun trouble, ni à aucune tentative pour en exciter. L'inventaire des meubles des quatre autres commanderies fut dressé en présence des chevaliers, lors de leur arrestation ; et le sommaire qu'en a présenté M. de Larue, ne justifie ni les accusations de luxe effréné, de faste somptueux, tant de fois dirigées contre les Templiers, ni le proverbe qui semble déposer encore de leur intempérance. Des caves pourvues d'une médiocre quantité de cidre et de vin d'Argence et d'Anjou, des bestiaux assez nombreux, et au reste le mobilier d'hommes qui sont un peu au-dessus du besoin, voilà ce qu'offrent ces inventaires.

Philippe le Bel ne respecta pas plus les lois dans l'instruction du procès des Templiers, que dans leur arrestation. Il les cita devant l'Inquisition, tribunal toujours proscrit par nos Cours souveraines, et toujours, odieux aux Français; et par une autre genre d'abus, non moins révoltant, le président de ce tribunal, en France, frère Guillaume de Paris, dominicain, se qualifiant chapelain du Pape et confesseur du Roi, se fit remplacer à Caen par une commission de quatre dominicains de cette ville, auxquels Philippe le Bel adjoignit comme ses députés, deux chevaliers de ce pays.

Les Templiers arrêtés furent amenés le 28 Octobre devant cette commission, dans la salle du petit Châtel de Caen, lieu, qui désigne la forteresse du gros horloge, existante encore il y a cinquante ans sur le pont Saint-Pierre ; et on y laissa entrer neuf à dix personnes des plus marquantes de la ville.

D'abord on donna lecture aux accusés des patentes du prince et de celles de l'Inquisiteur, qui constituaient la commission. On posa ensuite les chefs d'accusation, dont voici la substance.

1º. Tous les profès, en entrant dans l'ordre des Templiers, sont tenus de renier Jésus-Christ et de cracher sur la Croix.
2º. Le profès est déshabillé et embrassé d'une manière sale et dégoûtante par celui qui le reçoit, et on lui permet d'agir de même avec les autres chevaliers, parce que les statuts de l'ordre autorisent de pareilles indécences entre les membres qui le composent.
3º. A chaque réception, on ceint le profès d'une corde qui a touché à une idole que le grand-maître et les chefs des Templiers adorent dans les chapitres provinciaux.
4º. Les prêtres de l'ordre ne consacrent point en disant la messe.

Tous les accusés, après avoir prêté serment de dire vérité, interrogés, non par un des dominicains, mais par un des chevaliers, déclarent les quatre chefs d'accusation faux et calomnieux ; et de tout ce qui se passa dans ce premier interrogatoire, qui dura deux jours, le procès-verbal ne rapporte que cette dénégation formelle et unanime, dans laquelle tous les accusés persistèrent encore dans un second interrogatoire, qui suivit presque immédiatement le premier, et après un nouveau serment, sans qu'on sache ce qu'ils alléguèrent pour leur justification.

Les Inquisiteurs, peu satisfaits, prirent enfin le parti d'interroger chacun séparément. Le procès-verbal menaces et les promesses de pardon, qui furent employées pour obtenir un aveu, auquel tous s'étaient refusés ; et l'on y voit que Gautier de Bullex, interrogé le premier, non plus par les députés du Roi, mais par les Inquisiteurs, avoue, en pleurant et en sollicitant son pardon à genoux, les deux premiers chefs d'accusation, et persiste à nier les deux autres, et qu'il obtient une pleine remise des peines canoniques de la part des Dominicains, et de la peine temporelle de la part des Chevaliers ; que les onze suivans firent séparément les mêmes aveux et les mêmes dénégations, et que Guipasnaye, Templier de Louvagny, persista seul à nier tous les chefs, même après avoir été appliqué à la question, désignée par le mot « Géhenne », sans autre détail, et qu'il n'avoua que le second jour les deux faits dont les douze autres étaient convenus.

La conclusion de M. de Larue, est que ces religieux, illégalement jugés, sont moralement convaincus. Aussi remarque-t-il que tous les historiens de leur temps les accusent non seulement des délits qui ont été rapportés, mais encore d'autres aimes non moins énormes, que les états généraux convoqués à Tours donnèrent unanimement adjonction à Philippe le Bel, pour faire prononcer leur destruction, et que nous avons encore en original les procès - verbaux d'élection des députés du grand baillage de Caen, et ceux des Evêques et Abbayes de la province, qui tous demandent la suppression de cet ordre, qu'ils qualifient d'infâme.
Sources : M. Delarue. Mémoire sur les Templiers. Rapport général sur les travaux de l'Académie des sciences, arts et belles-lettres de Caen 1811.

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