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Études réalisées sur les Templiers

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Maison du Temple et Commanderie d'Epailly

Domaine du Temple de D'Epailly
Domaine du Temple de D'Epailly

Notes d'information Epailly
Un établissement méconnu des Ordres Militaires en Bourgogne, par M. Jean-Bernard de Vaivre
Témoignage remarquable de la disposition générale d'un établissement créé par les Templiers, passé ensuite aux chevaliers de l'ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem, la commanderie d'Epailly n'a fait l'objet d'aucune recherche historique ni d'étude de ses bâtiments médiévaux.

Les origines champenoises de Tordre du Temple sont pourtant proches de la paroisse de Courban, dans le Châtillonnais, où se trouve Epailly. Son nom n'apparaît cependant dans les textes qu'au début du XIIIe siècle. Plusieurs personnages de haut rang et leurs vassaux sont connus pour y avoir alors multiplié des donations aux frères du Temple dès mai 1209. Le noyau initial provint de dons. Les Templiers acquirent aussi très vite des terres adjacentes. Si les noms des premiers titulaires d'Epailly, tel celui d'André de Colours ou de frère Martin qui dirigèrent d'abord cette maison sont un peu oubliés, celui de Hugues de Pairaud, figure considérable du Temple, souvent cité dans le procès intenté contre l'ordre et qui fut à la tête d'Epailly, montre que cette maison avait alors déjà un poids considérable.

Après la dévolution des biens des Templiers aux Hospitaliers, cette commanderie devint rapidement et durablement chambre priorale du prieur de Champagne, preuve du maintien de son importance, même si la commanderie eut parfois, pour d'assez courtes périodes, un titulaire particulier. La succession des uns et des autres, qui a fait l'objet de recherches depuis plusieurs décennies, sera exposée en détail dans une étude particulière qui attend la publication. Les éléments qui faisaient d'Epailly non seulement un centre d'exploitation agricole prospère mais aussi la résidence, au moins épisodique, du prieur de Champagne au centre d'une forteresse redoutée ont, pour beaucoup, disparu. Forteresse car le duc de Bourgogne Philippe de Rouvres accorda l'autorisation de fortifier Epailly en 1360, soit deux ans avant Voulaines. Une trentaine d'années plus tard, en 1389, la forteresse d'Epailly était déjà dotée du châtelet du commandeur, tel qu'il subsistera jusqu'à la première moitié du XIXe siècle.

Epailly est, en dépit des destructions considérables subies, l'une des commanderies dont il reste pourtant le plus de témoignages de nature à comprendre comment étaient organisés ces établissements créés en Occident par les ordres militaires. Vue des collines qui l'entourent, Epailly se présente comme un ensemble de bâtiments isolés, calée dans une vallée d'un millier de mètres de large, dominée au nord par un talus qui la surplombe et implantée sur une plate-forme trapézoïdale d'une soixantaine de mètres de côté, entourée de fossés encore délimités par d'importantes levées de terre. Vers le couchant, une basse-cour de forme barlongue avait été constituée légèrement en contrebas, cantonné au nord par un très ancien bâtiment de ferme. La cour haute comportait en son centre un logis, orienté, comme la vaste chapelle qui se trouvait au midi de ce bâtiment. Subsistent des constructions de l'époque du Temple, la chapelle et une cave à usage de cellier. Les Hospitaliers ajoutèrent durant les deux premiers siècles de leur présence de nombreux autres bâtiments dont on peut voir encore une grange à la charpente imposante, un colombier, une tour de défense et ils enserrèrent la haute cour, appelée dans les textes « donjon », d'une courtine dont subsistent des éléments du XIVe siècle. Le visiteur qui arrive à pied du levant découvre au fond de la combe une petite construction de pierre au toit en bâtière qui abrite une source qui ne tarit jamais et où est captée l'eau alimentant ce petit hameau, grâce à une conduite formée de segments de pierre barlongs. En outre, l'ancien vivier, aujourd'hui à sec, a été préservé, comme sa chaussée et sa bonde.

Chapelle d'Epailly


Chapelle d'Epailly
Pour les Ordinateurs


La chapelle (fig. 1) est parvenue jusqu'à nous avec de graves blessures, infligées malheureusement surtout à l'époque contemporaine. Elle frappe par ses dimensions et la qualité de son exécution. Elle faillit disparaître une première fois peu après 1768, le régisseur de l'ordre de Malte ne souhaitant en conserver que le choeur mais il ne fut heureusement pas suivi. En 1884, le propriétaire de l'époque émit l'intention d'en faire une carrière mais la chapelle fut cette fois sauvée par la Commission des Antiquités de la Côte-d'Or et inscrite à l'Inventaire supplémentaire en 1925. Acquise en 1938 par une famille de Rhénanie ayant des attaches avec notre pays, ce n'est qu'il y a une vingtaine d'années que l'actuelle propriétaire, en héritant, s'attacha à la réhabilitation de la commanderie et en premier lieu à celle de la chapelle, transformée de longue date en bâtiment agricole et qui reste aujourd'hui encore un édifice en péril. L'Association des Amis de la commanderie d'Epailly, créée en 2000, a pris un nouveau départ au début de 2003 et s'attache, avec un conseil d'administration composé d'éminents spécialistes, à trouver les moyens de rendre au site son aspect d'antan et surtout à restaurer la chapelle des Templiers. Celle-ci est un édifice à nef unique, sans transept ni clocher subsistant, caractéristique du premier âge gothique bourguignon, et présente une unité de construction parfaite, auquel a été ajouté, au midi, quelque temps après la première campagne, une chapelle latérale.

Chapelle des Templiers


Chapelle d'Epailly
Fig 2.
Epailly. Chapelle des Templiers.
Façade nord. État en 2002
Sources : Image. Jean-Bernard de Vaivre


A l'extérieur, l'édifice présente, au levant, un chevet régulier à cinq pans. Le mur de la façade septentrionale (fig. 2) était contrebuté par huit contreforts, à trois niveaux et deux ressauts, terminés par un glacis en bâtière mais deux contreforts ont été supprimés à la hauteur de la troisième travée au cours du XIXe siècle et un autre a vu sa partie inférieure disparaître lorsqu'a été percée une porte charretière pour permettre l'entrée de chars à foin dans l'édifice. Dans ce mur gouttereau, s'observent, au niveau de la seconde travée, des éléments d'arc provenant d'un portail que surmontait le clocher. Sur ce flanc nord, les contreforts, alternativement forts et faibles, marquaient bien, par leurs volumes respectifs, la division sexpartite du dispositif des voûtes. C'est sur ce mur gouttereau nord de la chapelle que s'observent le mieux les éléments soulignant horizontalement les flancs de l'édifice. En arase de ce mur, une corniche « à la bourguignonne », c'est-à-dire à modillons en écu (parfois remplacés par des visages) ceint le haut des murs de la chapelle.

Chapelle d'Epailly


Chapelle d'Epailly

Fig. 3. - Chapelle d'Epailly.
Façade sud et, à droite, bâtiment et tour du XVe siècle
Sources : Image. Jean-Bernard de Vaivre


L'aspect du flanc méridional est plus complexe (fig. 3 et fig. 4). Les contreforts destinés à contrebuter les poussées de la voûte ont subi diverses avanies : leur aspect n'est pas homogène, les glacis en étant, de ce côté, pour la plupart, à un seul pan. Le contrefort qui fait pendant à celui du nord, à l'angle du mur pignon occidental, est de taille et d'aspect exceptionnels, constituant une sorte de tour, laquelle abrite un escalier à vis. Puis, allant vers le levant, on observe un décrochement formé par la chapelle méridionale, couverte à un seul pan. Cette chapelle latérale était éclairée, vers le couchant, d'une grande baie à remplages, actuellement murée, dont les caractères stylistiques la datent du second tiers du XIVe siècle. Le mur oriental de cette chapelle méridionale a été monté en réutilisant pour sa partie inférieure, le mur ouest d'un bâtiment adventice disparu mais que l'on peut reconstituer assez aisément, élevé autrefois au niveau de la seconde travée. D'après l'analyse que permet la subsistance d'arrachements, d'un arc formeret, de colonnes engagées comme du décor des chapiteaux, cet appendice ne saurait être daté que du XIIIe siècle. C'était vraisemblablement une sorte de salle capitulaire où les Templiers pouvaient se réunir en dehors des offices. Elle fut prévue dès la campagne initiale de construction mais fut détruite dès le XIVe siècle. On a alors mis en place, entre les deux travées de cette ancienne salle, un premier contrefort, ultérieurement rabaissé.

Chapelle, Elévation sud


Chapelle d'Epailly, plan
Pour les Ordinateurs


La façade de la chapelle orientée de la commanderie des Templiers d'Epailly est constituée à l'ouest d'un mur pignon percé, au niveau supérieur, de trois baies surmontées, au niveau des combles, d'une lucarne, triplet qui manifeste une influence cistercienne (fig. 5). L'aspect initial de cette façade devait être notablement différent de celui d'aujourd'hui avec une pente de toiture beaucoup plus accentuée, comme le prouve l'amorce de la corniche bourguignonne encore visible au nord-ouest, disposition qui semble avoir subsisté au-delà du milieu du XIXe siècle car Nesle a vu encore l'aspect des dispositions initiales lorsqu'il le dessina en 1853. Le portail, placé dans un ressaut, n'est pas roman bien qu'en plein cintre, caractéristique du gothique bourguignon. Ce portail présente des archivoltes en boudin, les quatre voussures étant supportées par des chapiteaux à crochet reposant eux-mêmes, de chaque côté sur quatre colonnettes, celle de l'extérieur étant annelée. Le tympan semble avoir été enduit et peint. Il est supporté par un trumeau reposant sur une colonnette tandis que les corbeaux latéraux sont ornés d'un motif à deux chevrons inversés. Au-dessus de ce portail, les bases d'un grand arc formeret, en plein cintre lui aussi, vont reposer sur des culs-de-lampe à culots tronconiques cannelés qui ont également supporté, d'après les restes qui en subsistent, des départs d'arcs, autrefois parallèles aux murs de la nef. Ces culots étaient placés à l'intérieur d'un dispositif plus large, reposant lui-même sur des colonnettes doubles engagées, dont il subsiste, à droite, celles intégrées au bas du massif en ressaut. On relève encore les arrachements des voûtes au droit des arcs.

Chapelle d'Epailly


Chapelle d'Epailly
Fig. 5.
Chapelle d'Epailly. Vue du nord-ouest
Sources : Image. Jean-Bernard de Vaivre


Il est probable que cette façade a subi plusieurs modifications au cours de campagnes bien individualisées, difficiles à reconstituer dans la mesure où l'aspect actuel après destruction complète et sans doute ancienne du porche ne se prête guère à une analyse aisée. Le premier état comportait, au-dessus du portail, le triplet, apportant éclairage l'après-midi jusqu'au couchant. Cette disposition semble avoir été modifiée, dans un second temps, par un élargissement à l'extérieur du portail, le support venant recouvrir le larmier initial. C'est probablement alors que fut créé le porche, à la fin du XIIIe ou au début du XIVe siècle. D'ailleurs le Garin de Courban, frère servant, carrier et tailleur de pierre de son état, reçu dans l'ordre du Temple à Epailly en 1301 et qui y était encore lors de l'arrestation des templiers en octobre 1307 avant d'être interrogé en 1311, n'avait-il pas été recruté pour y compléter les constructions édifiées un siècle plus tôt ? Nous avons sans doute là le nom de l'un des artisans qui travaillèrent à la mise en oeuvre de l'ensemble monumental de cette commanderie. Une troisième campagne semble avoir modifié le porche occidental en lui adjoignant une toiture, peut-être plus avant dans le XIVe ou au XVe siècle. Les traces de solins obliques donnent la pente de cette couverture, laquelle masqua complètement le triplet, qui a préexisté, contrairement à ce qui a été dit par certains, car il a évidemment été voulu par l'architecte qui n'avait certainement pas conçu un mur pignon aveugle. Plus tard, ou à une époque proche, fut greffé à l'angle occidental du premier contrefort septentrional un mur qui devait se diriger vers le nord/ nord-ouest, peut-être relié à la poterne ouverte sur la muraille qui enserrait la cour haute et que mentionnent les textes de visites du XVIIe siècle. Le massif situé au midi de la façade occidentale de la chapelle abrite un escalier en colimaçon qui permet de monter aux combles. On y accède par une porte percée à la limite occidentale extrême du gouttereau sud. Cet escalier permettait de se rendre, par une porte anciennement obturée, probablement à une tribune mais vraisemblablement aussi aux combles du porche. Ce dernier a disparu. Ses dimensions, importantes, sont assez faciles à reconstituer en prolongeant vers l'ouest la ligne des arcs dont subsistent les arrachements. C'est probablement aux combles du porche qu'aboutissait la « petite galerie qui regarde et est propre pour entendre messe à l'église » dont il est parlé dans un procès-verbal de visite.

La chapelle est actuellement couverte d'une charpente avec fermes, dont une double, un peu à l'ouest de l'arc doubleau séparant la nef du choeur. Elle supporte une toiture de petites tuiles plates, qui a remplacé, lorsque la charpente a été abaissée, les laves qui couvraient tout l'édifice et dont il subsiste quelques rangs, en arase du gouttereau nord, notamment, au-dessus de la très belle tête sculptée d'un Templier.

A l'intérieur, la nef comportait trois travées doubles. Les voûtes d'ogive sexpartites reposaient alternativement sur trois colonnettes jumelles engagées et colonnettes simples, correspondant aux supports forts et faibles. Les unes et les autres comportent des chapiteaux à décor de feuillages et des culots présentant des motifs géométriques simples (cônes, cônes lobés) ou des têtes. Ces dernières sont de diverses sortes. La place qui leur a été assignée n'est certainement pas due au hasard mais la destruction de certains culots rend l'interprétation de l'ensemble difficile. Le culot de la retombée faible de la travée orientale du mur méridional de la nef est orné d'une tête d'homme, regardant vers le nord. Sa chevelure est ramenée en avant au-dessus du front pour former une frange courte tandis que les cheveux des côtés retombent verticalement, leur extrémité se situant à la hauteur du cou. Un autre chapiteau comporte un décor de larges feuilles trifoliées d'où semblent sortir deux têtes. L'une regarde vers le nord-est. C'est celle d'un homme à la chevelure s'arrêtant au niveau du cou, à la mode du XIIIe siècle. L'autre personnage, plutôt tourné vers le couchant, a la tête couverte du capuchon d'une coule passée pour se rendre dans le choeur ou d'une coiffe de mailles que les chevaliers du Temple revêtaient pour la bataille. La modénature des chapiteaux à crochets et à feuillages accuse les années douze-cent. Beaucoup d'entre eux comportent encore des traces de polychromie, très ancienne. Elle ne saurait être bien postérieure, compte tenu des tons de la palette.

La nef est nettement séparée du choeur par un arc doubleau reposant sur deux colonnes qui, contrairement à celles de la nef qui s'arrêtent à mi-hauteur des murs, se prolongent jusqu'au sol. Ce choeur est formé d'une demi-travée et d'un chevet à cinq pans dont la clé de voûte est sculptée d'une double rosace dont le bord occidental présente un visage de templier regardant vers le portail. Dans ce choeur, les supports faibles, au nombre de six, reposent sur des colonnettes engagées simples, analogues à celles de la nef mais contrairement au parti adopté dans la nef, quatre des colonnettes des supports faibles se prolongent au-dessous du bandeau qui ceinture l'intérieur de l'édifice jusqu'à environ six pieds du sol initial, les deux colonnettes encadrant le pan central du chevet descendant seules jusqu'au pavement. Cette initiative de l'architecte a pour effet d'allonger encore, pour les frères se trouvant au centre du vaisseau, l'impression de hauteur et de finesse du choeur. La nef comporte deux niveaux bien distincts. Celui du bas était autrefois simplement revêtu d'un enduit jusqu'a bandeau en demi-boudin courant sur tout le pourtour, immédiatement sous les culots des colonnettes engagées. Dans le choeur, quatre arcs sont encore visibles : trois marquent l'emplacement des enfeus sous lesquels furent ensevelis prieurs de Champagne et commandeurs d'Epailly et le dernier abritait la piscine liturgique. En outre, deux éléments de modénature, formant un chevron, subsistent au fond du choeur, dans l'axe de la nef, face au portail principal, qui se trouve à l'ouest. Dans la première travée, se voit encore la trace d'un dispositif bas constitué de pierres engagées dans les gouttereaux nord et sud qui peuvent faire penser à des stalles. Sur toute la largeur du mur pignon occidental court en outre une sorte de banc de pierre. Ce dernier semble s'être continué sur les parois de la nef au niveau de la première travée, ce que paraît indiquer la base des murs. Au mur pignon occidental s'observent encore deux corbeaux qui devaient supporter une tribune.

Chapelle d'Epailly


Chapelle d'Epailly
Fig. 6.
Chapelle d'Epailly, Le chœur
Sources : Image. Jean-Bernard de Vaivre


Dans les parties hautes du choeur (fig. 6) comme de la nef, des baies élancées éclairaient le vaisseau. D'une hauteur de cinq mètres environ, elles sont pour les unes aujourd'hui murées sur toute leur surface, pour les autres en partie obturées seulement dans leur section inférieure par un blocage. Ces lancettes n'ont jamais été dotées de remplages mais munies partout de grilles de fer servant de structure pour protéger des vitraux. L'une de ces grilles subsiste encore dans la lancette sud du choeur et elle est très visible de l'extérieur. Ces lancettes sont au nombre de deux par travée et de proportions analogues, à l'exception de deux d'entre elles. Celles percées dans le gouttereau méridional au niveau de la troisième travée sont en effet d'une dimension de moitié inférieure aux autres. Dans la nef toujours, au niveau de la première travée occidentale, on notera l'aspect étonnant du formeret, particulièrement sur le gouttereau méridional. La baie est d'ailleurs elle-même décentrée, à cause de la tour-escalier. Les retombées faibles supportent deux formerets et une ogive. Aux fortes, on observe en revanche cinq retombées : un doubleau, deux ogives et deux formerets. Cela étant, les maçons ont eu des difficultés pour faire retomber les formerets sur les chapiteaux. Entre la première et la seconde travée, la jonction a été réussie, au sud comme au nord. Entre la seconde et la troisième travée en revanche, le formeret occidental s'arrête au-dessus des chapiteaux, écueil qui a été quasiment évité au nord. Si l'on prend la retombée faible de la troisième travée, les formerets débordent. Sur le mur du midi, le maître d'oeuvre a donc dû mettre en place un petit congé pour l'arrêter. A la troisième travée de l'abside, les formerets s'amortissent dans le mur, très en retrait. Autre singularité, dans les élévations, pour les retombées au-dessous de la moulure, les colonnettes sont parfois plus fortes qu'au-dessus en raison d'un curieux changement de calibre et sans que cette disposition soit générale. Dans la seconde travée, on remarque des retombées faibles sous la console, particulièrement dans le mur méridional. Quant aux tas de charge, ils comportent huit à neuf niveaux. Les ogives et les doubleaux ne pénètrent pas dans la voûte mais il existe des claveaux dans la maçonnerie pour les tas de charge.

S'agissant des techniques de construction, le maître d'oeuvre a utilisé la pierre de Châtillon, éclatée au marteau. Les pierres de taille ont été réservées aux encadrements des baies, aux colonnettes et aux retombées. Deux traces de types d'outil différents se remarquent. Les parements ont été traités avec des taillants droits et sont layés. Sur les colonnettes, en revanche, on distingue des traces de bréture et de gradine. Les murs sont relativement épais et en pierre de Châtillon qui résiste bien à la charge et à l'écrasement. Cela étant, la disparition des voûtes (notamment celles d'une travée effondrée durant la période 1940-1956 durant laquelle un administrateur a totalement négligé les réparations indispensables) a sans doute permis de conserver sans désordre les gouttereaux. La disparition des enduits de la demi-voûte subsistante de la première travée, celle la plus à l'ouest, montre que les voûtains non appareillés avaient été montés - et c'est le cas aussi dans le choeur - en lauzes minces, posées de chant, selon la technique des voûtes d'arêtes. Ces voûtes étaient coffrées, reposant sur des ogives et des doubleaux. Le maître d'oeuvre a dû utiliser une main-d'oeuvre locale qui maîtrisait bien la technique de la voûte d'arête en utilisant ce type de lauzes très minces.

La chapelle d'Epailly est donc caractéristique de l'influence exercée par les bâtiments cisterciens de la Bourgogne, notamment pour le caractère des voûtes et le type des ogives. Ces dernières ne reposent pas directement sur le chapiteau mais sur un congé placé entre le tailloir et l'ogive. S'agissant des culots, certaines colonnettes s'arrêtent sur des culots sculptés au-dessus de la moulure. Cette disposition ne se retrouve pas dans le choeur. Quant aux culots tronconiques et cannelés, ils sont, eux-aussi, d'inspiration cistercienne. Le niveau de la nef a été exhaussé, d'un bon mètre, à la hauteur du choeur et des deux travées les plus orientales. Il est probable que ce massif renferme des fragments des arcs de voûte écroulés, voire des éléments des tombeaux qui devaient être nombreux dans la chapelle et dont certains subsistaient il y a quatre-vingts ans et sans doute brisées, depuis, par un fermier iconoclaste. Le dallage du sol n'a pas été retrouvé.

La chapelle comportait trois espaces liturgiques. Tout d'abord le choeur où était célébrée la messe quotidienne. Dans ce sanctuaire étaient regroupés, sous des enfeus, les tombeaux de prieurs de Champagne et de quelques commandeurs. La nef ensuite, où les frères entendaient les offices et se tenait, au temps des Hospitaliers, la réunion du chapitre hebdomadaire. C'est là aussi que se réunirent les assemblées annuelles du prieuré de Champagne, le plus souvent le mercredi suivant la fête des saints Pierre et Paul. Des fonctions analogues au XIIIe siècle pour les Templiers expliquent la longueur tout à fait exceptionnelle de la nef pour une chapelle de cet ordre. La salle capitulaire, à la hauteur de la troisième travée de la nef, avait à l'origine constitué le troisième espace liturgique, manifestement conçu et réalisé en même temps que l'édifice principal.

A une époque postérieure à la construction de la nef - dont l'unité de style et d'exécution laisse penser qu'elle a été réalisée au cours d'une unique et rapide campagne - fut greffée une chapelle adjacente, appuyée en partie, à l'est, sur le mur de la salle capitulaire antérieurement mentionnée. Cette chapelle méridionale possède deux travées aux voûtes quadripartites reposant sur des chapiteaux de colonnes engagées. Outre une piscine eucharistique, elle était dotée, dans sa travée occidentale d'un enfeu inséré dans le mur sud et dont l'arc supérieur a subsisté. C'est dans cet enfeu qu'a encore été vue en 1925 une dalle tumulaire gravée au trait représentant un personnage dans un drapé avec un écu à la croix ancrée qui ne peut qu'évoquer les armoiries de Ferri de Fougerolles, décédé entre 1356 et 1360. Si deux baies -une carrée et une barlongue - aujourd'hui murées, se distinguent encore dans la partie haute du mur méridional, ces éléments ne sont d'aucun secours pour la datation, s'agissant de percements postérieurs à la construction de cette chapelle latérale. En revanche, le dessin du réseau de remplages de la grande baie qui éclairait cette chapelle au couchant dénote, par son dessin et la qualité de son exécution, un ouvrage des belles années du XIVe siècle. Cette chapelle comporte deux travées aux voûtes d'ogive quadripartites allant reposer sur des colonnes engagées dont les chapiteaux, simples, ne sauraient être très postérieurs au milieu du XIVe siècle. Cette chapelle méridionale est souvent appelée dans les textes anciens chapelle Saint-Jean. Son aspect extérieur, avec une couverture à pan coupé, frappe l'observateur actuel par son aspect inachevé. Or, lorsque l'on se reporte aux textes, on y relève la mention d'une tour Saint-Jean. Celle-ci était alors en assez mauvais état et les visiteurs qui le constatèrent en 1687, empruntèrent l'escalier de la grande chapelle, qui existe toujours, « pour examiner le comble et reconnaître la couverture et aussi pour voir les désordres que la tour de Saint Jean causait tant à la muraille qu'au comble de ladite chapelle ». Cela implique que cette tour Saint-Jean était accolée à la chapelle principale. Il est donc extrêmement probable, dans la mesure où l'on propose de dater la petite chapelle latérale, dite chapelle Saint-Jean, de 1360, d'assigner cette date à la tour du même nom qui devait la surmonter et qui aurait ainsi fait partie des fortifications édifiées en cette même année 1360 à Epailly, selon les termes des lettres données cette année-là par le duc de Bourgogne Philippe de Rouvres.

La chapelle est malheureusement affectée de nombreux désordres qui nécessitent un traitement urgent. Il n'est pas exclu que des mouvements de terrain en soient à l'origine, d'autant que le déchaussement des plinthes indique une modification du niveau initial du sol. Cela s'est traduit par des affaissements de claveaux, des fissures et une désorganisation des éléments de la corniche bourguignonne. Le grand danger auquel il faut prioritairement remédier est celui qui concerne les voûtes subsistantes. Si, pour la voûte du choeur, une crevasse s'observait au sud de la clé dès 1925, cette fissure s'est stabilisée depuis lors. Les voûtains ne tiennent plus aux gouttereaux et les ogives ont joué, désorganisant la distribution des claveaux. Au niveau de la première travée de la nef, une partie des ogives s'est abattue au XIXe siècle et les voûtains sont fendus, arrachés et se désolidarisent de plus en plus du mur-pignon. Des mouvements de terrain ont eu lieu dans le passé. Comme la chapelle est hors d'eau et qu'il n'y a plus d'infiltrations, si de nouveaux mouvements se produisaient cette voûte de la première travée serait en grand péril. Quant à la chapelle latérale, ses contreforts sont désorganisés et la magnifique baie occidentale est dans un état instable tandis que la voûte présente aussi des voûtains fissurés et une disparition des enduits, les murs extérieurs au levant comme au midi étant heureusement sains. Le rehaussement du sol sur toute la surface du choeur, de la chapelle méridionale et sur près des deux tiers de la surface de la nef modifie enfin les magnifiques proportions du vaisseau et le recouvrement des élévations du choeur et de la nef par une couche de ciment masque les anciens enduits et occulte les enfeus qui abritaient les tombes des prieurs de Champagne. Les baies, de proportion élancée, sont obturées partiellement ou intégralement et les grilles de fer qui devaient supporter des vitraux, ont, à une exception près, disparu.

La propriétaire du domaine et le conseil d'administration de l'Association des Amis de la commanderie d'Epailly s'attachent donc aujourd'hui à réaliser un programme de restauration de la chapelle et de réhabilitation du site notamment par le projet de transfert des hangars métalliques agricoles, construits au milieu du XXe siècle dans la cour. Cela permettrait tout en maintenant le bon fonctionnement de l'exploitation agricole du domaine de redonner à la commanderie son aspect d'il y a plusieurs siècles, en reconstituant ensuite les jardins qui s'étendaient sur la partie méridionale de la basse-cour et en retrouvant les volumes et les perspectives d'autrefois.

La chapelle de la commanderie d'Epailly, de proportions exceptionnelles, est en effet un édifice religieux de première importance. Elle a été manifestement construite en une campagne unique et sans doute brève au tout début du XIIIe siècle. La qualité des matériaux employés, les proportions très étudiées des voûtes, des lancettes, des contreforts et du portail démontrent que cet édifice est l'oeuvre d'un grand architecte. Celui-ci fut appelé pour construire là le lieu de culte de l'une des plus importantes commanderies de l'Ordre du Temple dans cette région des confins de la Bourgogne et de la Champagne, où devaient par la suite continuer à se tenir, durant des siècles, des assemblées de tous les chevaliers du prieuré de Champagne de l'Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, appelé après 1530 l'Ordre de Malte, et à y être enterrés plusieurs de ses prieurs et commandeurs.

Cette importante commanderie qui conserve une si exceptionnelle chapelle mérite donc une attention particulière et une action rapide (1) pour que soit préservée un témoignage si complet d'un des établissements créé par les ordres militaires à l'époque des croisades (2).
1. Depuis la présentation de cette communication, de nouveaux désordres se sont produits, sur cette chapelle, notamment à la suite de la grande sécheresse de l'été 2003 qui a affecté le sous-sol. De nombreuses fissures nouvelles sont apparues et la dernière voûte de la travée occidentale s'est effondrée en 2004.
2. Le texte complet de cette étude paraîtra dans les Mémoires de l'Académie.

Sources : Epailly : un établissement méconnu des ordres militaires en Bourgogne (note d'information) de Vaivre, Jean-Bernard. Comptes-rendus des séances de l'année 2003 - Académie des inscriptions et belles-lettres, Année 2003, Volume 147, Numéro 2 pages 661-676. Cette étude provient : L'éditeur du site Persée — le Ministère de la jeunesse.
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